Dans ma circonscription, un passage discret porte le nom de Rose Valland. Conservatrice au musée du Jeu de Paume, cette formidable résistante a permis de cacher et de lister des centaines de milliers d'œuvres d'art réquisitionnées par le régime nazi, et contribuer ainsi, des années plus tard, à leur restitution.
La restitution des œuvres d'art spoliées est, non pas une question d'argent, mais d'histoire et de mémoire – la mémoire des souffrances endurées par tant de familles juives, dont la mienne, françaises et étrangères qui ont connu la persécution, bien souvent avant les arrestations, dès 1933, mais aussi lors de la déportation et de l'extermination. Il y eut les vols, les pillages, les confiscations, les aryanisations ou encore les ventes sous contrainte.
La spoliation est un acte civil, dont il faut mesurer les conséquences dévastatrices. Au-delà de la dépossession, elle constitue une atteinte grave à la dignité des individus. Elle est la négation même de leur mémoire, de leurs souvenirs, de leurs émotions. La spoliation des biens juifs n'était pas une obsession pour l'art, mais l'obsession d'annuler une culture tout entière et, en définitive, une part de notre humanité. Si rien ne peut ramener les victimes d'hier et si leur peine reste imprescriptible, nous pouvons néanmoins rendre plus facile la restitution des biens culturels à leurs familles et à leurs ayants droit. Nous le devons, pour rendre un fragment d'histoire familiale et pour que ce qui est juste ne soit plus un combat législatif sans fin, mais un droit.
Depuis 1995, date à laquelle Jacques Chirac a reconnu officiellement la participation et la responsabilité de la France dans les exactions et dans les déportations dont les Juifs de France furent l'objet, nos gouvernements successifs cherchent à faire la lumière sur les spoliations et à indemniser les spoliés et leurs descendants. La mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, créée en 2019, a étendu ces recherches aux œuvres entrées en toute légalité dans les collections publiques, parfois bien des années, voire des décennies après la guerre. Pour autant, lorsque les recherches aboutissent, lorsqu'une œuvre spoliée est repérée comme telle dans les collections publiques, lorsque ses propriétaires sont identifiés et lorsque les parties s'accordent sur le principe de la restitution, il reste impossible de le faire sans passer soit par une procédure judiciaire, soit par une loi spécifique au cas par cas, pour déroger au principe d'inaliénabilité des collections publiques.
Ce projet de loi-cadre permet de simplifier le processus de restitution en instaurant une procédure administrative dérogeant au principe d'inaliénabilité des collections publiques, et en étendant ce principe aux musées privés bénéficiant de l'appellation « Musée de France » pour restituer des biens spoliés, acquis soit par don ou legs, soit avec le concours financier de l'État ou d'une collectivité territoriale. Est également prévue une information annuelle du Parlement concernant les biens culturels restitués. Cette information sera, à n'en pas douter, une source précieuse pour raviver le souvenir des victimes et transmettre aux générations futures cette exigence du devoir de mémoire. Nous continuerons ainsi à tracer ce chemin de justice et de vérité ouvert par tous ceux qui se sont battus pour rendre les restitutions possibles, considérant qu'il ne peut y avoir de progrès s'il n'est pas rendu justice à ceux qui ont souffert par le passé. Telle est la portée de cette nouvelle mission qui nous engage et nous oblige. C'est pourquoi notre groupe votera avec conviction pour ce projet de loi.