Ne pas oublier, pour toutes les victimes de la Shoah, leurs enfants et leurs petits-enfants. Ne pas oublier qu'en France, les spoliations n'ont pas seulement été le fait de nazis, mais aussi de Français, dignitaires du régime de Vichy ou anonymes, qui ont acquis des œuvres avec des procédures de vol légal. Ne pas oublier que la France a participé à la privation des Juifs de leur héritage patrimonial mais surtout culturel, dans une volonté de priver un peuple de son histoire et de son humanité. Ne pas oublier que derrière la spoliation culturelle des Juifs, se cachait la volonté du régime nazi et de l'extrême droite française au service du gouvernement de Vichy d'annihiler leur individualité, leur histoire et leur héritage.
Il est de notre devoir de ne pas oublier la pente fasciste délibérément prise par la France, cette pente réactionnaire engagée avant la défaite de 1940 par une défaite morale faite de la stigmatisation des réfugiés et d'une vindicte des discours publics à l'encontre de la démocratie parlementaire ou des étrangers désignés comme responsables du déclin de la France. Ce terme d'étrangers désignait alors les Juifs français ou européens, pour ceux d'entre eux qui fuyaient les pays annexés par Hitler. Une pente qui a commencé par la superposition de décrets-lois contre l'immigration, pour finir par les lois raciales antisémites et scélérates de Vichy.
Devoir de mémoire, devoir d'histoire pour se souvenir, pour réparer, pour comprendre les mécanismes qui entraînent de tels faits dans un contexte précis et pour comprendre ce qui peut se jouer sous notre nez, aujourd'hui. Le refoulement des crimes passés est le terreau des malheurs à venir. Nous ne pouvons pas effacer notre passé, mais nous pouvons travailler à le réparer. Assumer, c'est apaiser. Ce devoir de réparation nous incombe de manière imprescriptible, comme le sont les crimes contre l'humanité perpétrés pendant la seconde guerre mondiale. Chaque restitution est un acte de justice. Réparer le mal au service des descendants des victimes spoliées, c'est bâtir l'avenir des générations futures sur des bases meilleures.
Aussi longtemps qu'il le faudra, le Parlement prendra les actes nécessaires pour restituer les biens spoliés par les actes antisémites. C'est grâce à l'héroïque action d'inventaire de Rose Valland, cette résistante attachée de conservation du musée du Jeu de Paume, qui a identifié plus de 60 000 œuvres pillées sur les 100 000 estimées et gardé la trace de leurs mouvements, de leur provenance et de leur destination pendant quatre ans, que 45 000 œuvres ont pu être restituées à la Libération. Ensuite, la dynamique de restitution s'est essoufflée. Les principes de Washington, actés en 1998, se sont heurtés à l'inertie de la législation. Si les restitutions annoncées en grande pompe n'ont jamais cessé, elles n'en demeurent pas moins exceptionnelles.
Les travaux de la sénatrice écologiste Corinne Bouchoux, en 2012, ont permis de mettre en lumière la négligence des pouvoirs publics pour certaines œuvres au passé flou, et de relancer le débat sur la nécessité d'une véritable loi-cadre permettant une politique volontariste de restitution des œuvres spoliées pendant la seconde guerre mondiale, mais aussi dans le cadre du passé colonial français. Dans les collections publiques, un immense travail d'inventaire s'impose pour comprendre le parcours juridique d'appropriation de ces œuvres. Une loi-cadre permettrait d'inscrire ces restitutions dans une démarche scientifique et transparente, dans un travail de fond plutôt qu'à travers des décisions dictées par l'urgence ou des considérations diplomatiques.
Au-delà de ces limites, nous saluons la présente initiative gouvernementale. La procédure de sortie de biens culturels spoliés qu'elle instaure lève le frein d'inaliénabilité à la restitution des œuvres publiques, avec un élargissement de la période historique de recherche et une ouverture aux collections privées. Je salue les multiples apports du Sénat, venant notamment inscrire la reconnaissance de la responsabilité de la spoliation par le régime de Vichy dans le code du patrimoine, et donner un caractère public et transparent aux avis de la commission compétente en matière de réparation des préjudices. J'espère que ce projet de loi en appellera d'autres. Nous savons que nos musées regorgent d'œuvres résultant d'autres massacres et pillages. Or nous ne pourrons pas écrire notre avenir sans avoir tiré au clair notre passé.