« Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n'oublierai cette fumée. Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n'oublierai ces flammes. Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé pour l'éternité du désir de vivre. Jamais je n'oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps. » Merci, madame la ministre, de contribuer avec ce projet de loi à éclairer cette longue nuit que décrit ici Élie Wiesel.
Je salue la portée historique inédite de ce texte, le premier d'une série de trois lois-cadres dédiées aux restitutions d'œuvres. C'est un pas essentiel sur le plan symbolique, même s'il ne sera jamais possible de réparer les crimes innommables commis pendant la Shoah et ces 6 millions de Juifs, soit les deux tiers des Juifs d'Europe, dont un million et demi d'enfants, qui furent assassinés. Même s'ils n'effacent pas la douleur des familles, les assassinats et le souvenir des atrocités du nazisme, chaque nouvelle restitution représente un nouvel acte de justice et un témoignage de l'indispensable travail de mémoire que nous devons continuer à mener dans notre pays. Nous ne pouvons pas rendre les enfances ou les vies volées, mais nous pouvons faciliter la restitution, aux familles des victimes et à leurs ayants droit, de leurs œuvres massivement spoliées, pillées ou qui firent l'objet de ventes forcées. Il s'agissait là d'un des premiers degrés de l'horreur nazie, le pouvoir hitlérien et les régimes de collaboration commençant par confisquer les biens matériels avant de détruire les vies en pourchassant ces hommes, ces femmes et ces enfants, en les condamnant à la clandestinité, à l'exil ou à la mort.
Il était indispensable que la spécificité de la spoliation des Juifs en raison des politiques antisémites de l'Allemagne nazie et des autorités complices soient reconnues par une loi française. C'est chose faite, grâce à ce projet de loi qui, par son ambition mémoriale, s'inscrit dans le prolongement du discours tenu par Jacques Chirac en 1995 lors des cérémonies commémorant la rafle du Vel' d'Hiv. Un peu moins de quatre-vingts ans après la fin de l'Occupation, ce texte marquera une nouvelle pierre blanche sur le chemin de la reconnaissance et de la justice pour les victimes de persécutions antisémites. Au-delà de notre devoir de mémoire collective, ce texte est aussi indispensable du point de vue matériel et technique, car il renouvelle les bases légales des démarches de restitution.
Si de nombreuses initiatives ont été prises en matière d'identification et de restitution, de nombreux biens culturels n'ont pas encore été identifiés, y compris dans les collections nationales. Une nouvelle loi était donc nécessaire pour adapter le cadre législatif à l'ampleur du travail qui reste à accomplir.
Je salue l'engagement de la mission Mattéoli, de la CIVS et de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945. Le rythme des restitutions reste lent compte tenu des dizaines de milliers d'œuvres concernées. Nous avons du travail. Les députés du groupe Horizons voteront unanimement ce texte. J'espère que nous arriverons à trouver une écriture qui respectera à la fois l'histoire et la mémoire de cette période sombre.
Enfin, je rends hommage aux Justes de France, qui ont aussi éclairé cette longue nuit, et à Rose Valland qui, au péril de sa vie, a inventorié les œuvres spoliées.