La séance est ouverte à 17 heures 10.
Présidence de M. Sacha Houlié, président.
La Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, et discussion générale sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (n° 1855) (M. Florent Boudié, rapporteur général ; Mme Elodie Jacquier-Laforge, M. Ludovic Mendes, M. Philippe Pradal, M. Olivier Serva, rapporteurs)
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Monsieur le ministre de l'intérieur et des outre-mer, nous allons procéder à votre audition, préalable à l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Ce texte joufflu – et sans doute excessif – a déjà été examiné par le Sénat : certaines de ses boursouflures ne résisteront sans doute pas à l'œil juridique du Conseil constitutionnel ou à l'examen par la commission des lois. Je renvoie d'ailleurs les sceptiques et les critiques aux décisions du Conseil constitutionnel sur la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) – les ajouts sénatoriaux avaient notamment été censurés – ou, plus récemment, sur la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ), dont les articles 2, 4, 8, 10 et 20 ont été considérés comme des cavaliers législatifs.
J'invite aussi chacun à constater que certains ajouts sont politiquement regrettables, s'agissant de la politique de santé publique, des mineurs non accompagnés ou du code de la nationalité française. De toute évidence, les arguments juridiques ne se suffisent pas à eux-mêmes. J'espère que la commission des lois retrouvera l'ambition initiale du Gouvernement et sa lucidité en matière d'immigration.
Comme souvent, la partie du projet de loi la plus utile aux Français sera sans doute la moins commentée : cela a été le cas pour la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi « séparatisme », concernant la police des cultes, puisque la territorialisation et l'accélération des procédures d'asile – qui s'appliquera à près de 300 000 personnes – seront certainement étudiées dans le plus grand des consensus par cette commission. À cet égard, il serait utile que M. le ministre puisse préciser, en introduction, la liberté de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) à s'organiser, pour la formation de jugement, en juge unique ou en collégialité. La simplification des procédures – de douze à trois, voire à deux – sera également très profitable à tous les requérants ; viennent ensuite les dispositions qui ont été largement débattues avant que ne nous réunissions cette commission.
Tout d'abord, le texte comporte des mesures en matière de fermeté, et je suis curieux de savoir qui s'y opposera. Elles concernent l'expulsion des étrangers délinquants et la fin des excuses, notamment les levées des réserves d'ordre public ; les mineurs ne pourront plus être enfermés dans les centres de rétention administrative – que j'invite chacun d'entre vous à aller visiter, comme je l'ai fait, pour en connaître la réalité.
J'appelle enfin l'attention de la commission sur le volet de l'intégration, très débattu avant même son arrivée au Parlement.Je ne regrette pas que ce soient cette majorité, et ce ministre, qui aient permis de parler positivement de l'immigration pour la première fois depuis vingt ans. Bien que la rédaction proposée ne me semble pas satisfaisante, je tiens à saluer le fait que la droite sénatoriale, après avoir longtemps critiqué le caractère législatif des mesures en matière de régularisation, ait elle-même pris l'initiative d'introduire des dispositions en ce domaine.
J'appelle également votre attention sur les obligations nouvellement créées : formation des salariés, régularisation dans les métiers en tension, autorisation de travail aux demandeurs d'asile, fin de l'exploitation des personnes en situation d'activité libérale, sanction administrative pesant sur les employeurs ou sur les logeurs, qui ne sont que le miroir de la criminalisation des réseaux de passeurs.
Je suis heureux de vous retrouver pour discuter d'un texte annoncé depuis un an. Il découle directement du programme du Président de la République et reprend, dans ses trois grands axes, le projet de loi initial du Gouvernement, déposé en premier lieu, et pour la première fois, devant le Sénat.
Le premier sujet est celui de la simplification drastique des procédures. Dans la continuité de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb, les juridictions administratives, entre autres, rencontrent beaucoup de difficultés pour informer rapidement – selon les règles que nous avons définies – une personne de sa possibilité de rester ou non sur le sol de la République.
Le deuxième point concerne bien sûr les exigences et les moyens en termes d'intégration. Ce volet très important permet de toucher l'intégralité du champ de l'intégration et fait suite à l'augmentation de 25 % du budget dédié, résultant de la LOPMI et trouvant une traduction budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2024.
Le troisième axe est la fermeté vis-à-vis des étrangers, qu'il s'agisse de leur éloignement ou de leur expulsion, lorsqu'ils commettent des actes graves de délinquance ou de criminalité. Nous y reviendrons.
Je concentrerai mon propos sur la présentation du projet initial du Gouvernement – d'autres dispositions ayant ensuite été introduites, par le Gouvernement, à la suite des drames survenus à Annecy et à Arras, ou par les différents groupes politiques du Sénat. Je partage votre vision du débat parlementaire : des cavaliers législatifs figurent dans ce texte ; ce serait mentir aux Français que de leur faire croire que les questions, certes importantes, parfois abordées par les sénateurs sont recevables, puisqu'elles seront, à coup sûr, censurées par le Conseil constitutionnel. Le sujet de l'immigration est particulièrement complexe, en ce qu'il touche des femmes, des hommes, des enfants et, bien sûr, les personnes chargées d'appliquer les règles de la République, si bien qu'il n'est pas utile d'y introduire des contrevérités. Ne faisons pas croire aux Français que nous avons trouvé la martingale, alors que ce texte ne prévoit pas d'autres dispositions que celles figurant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, telles qu'initialement prévues par le Gouvernement.
Je reviens sur les trois grands axes qui sous-tendent ce projet de loi. Notre écosystème permet malheureusement une immigration irrégulière, quand notre travail collectif consiste à prévoir une immigration régulière, avec des critères définis par le Parlement, et à lutter contre l'immigration irrégulière. Celle-ci est toujours source de difficultés, non seulement pour l'État, mais aussi pour les femmes et les hommes qui la subissent. Il existe un écosystème irrégulier, allant des passeurs – des marchands de misère –, qui organisent le trafic des êtres humains contre des sommes d'argent, à ceux qui les logent dans des conditions inacceptables, écosystème contre lequel ce projet de loi vise à lutter. Je suis ouvert aux amendements et aux discussions sur ce point.
Tout d'abord, le fait d'être passeur ne sera plus un délit, mais un crime. Actuellement il s'agit d'un délit, puni d'une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans de prison – davantage en cas de décès d'une personne. Nous pensons tous à ce drame qui a eu lieu dans la Manche, où vingt-neuf migrants – des femmes enceintes, des enfants – sont morts dans les eaux froides, dans des conditions ignobles. Malheureusement, les très nombreux passeurs que nous interpellons ne sont pas punis à la hauteur des drames qu'ils font naître, parce que les tribunaux appliquent la règle de la République, laquelle ne prévoit pas le même quantum de peine que pour un criminel de haut rang, un trafiquant de stupéfiants ou un membre du grand banditisme. Le garde des sceaux – puisque la mesure relève du code pénal – et moi-même vous proposons que le fait d'être un passeur devienne un crime passible de quinze ans de prison, ou de vingt ans en cas de passage ayant entraîné la mort.
Deuxièmement, se pose la question des personnes qui se trouvent en situation d'irrégularité dès leur arrivée sur le sol de la République, en raison de ce que nous pourrions qualifier de difficultés administratives de notre pays. En effet, il est possible, en France, de créer une auto-entreprise en ligne, sans que jamais que quelqu'un ne vérifie la régularité du séjour de la personne concernée. Ainsi, les étrangers irréguliers qui créent des auto-entreprises travaillent souvent pour des entreprises qui les exploitent, du fait du statut d'auto-entrepreneur. Ils paient des impôts et des cotisations sociales, sans jamais bénéficier de protection sociale. Au bout de quelques années, ils demandent à la préfecture de les régulariser, justifiant des impôts et cotisations dont ils s'acquittent ainsi que d'un papier du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique attestant leur droit de créer une auto-entreprise.
Il est compliqué de les régulariser, puisqu'il s'agit manifestement d'une filière d'immigration irrégulière, créée par l'État français : ils rentrent donc dans la catégorie des personnes qui ne sont ni régularisables – ils sont en situation irrégulière –, ni expulsables – aucun juge n'accédera à la demande d'expulsion d'une personne sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) alors que l'État français lui a permis d'avoir une entreprise en France.
Je me réjouis donc que le débat en séance publique au Sénat ait permis de rétablir un article qui avait été supprimé par sa commission des lois : nous proposons qu'il ne soit plus possible de créer une entreprise – ou une auto-entreprise – en France sans que la régularité du séjour ne fasse l'objet d'une vérification par les services de l'État. Il suffit d'ailleurs de se balader dans les rues des grandes villes pour s'apercevoir que de nombreuses personnes se trouvent dans de telles situations irrégulières ou clandestines.
Le troisième sujet est celui des employeurs que l'on peut qualifier de voyous, puisqu'ils embauchent sciemment des personnes qui ne sont pas en règle au titre du droit au séjour. Attention toutefois, certaines entreprises embauchent involontairement des étrangers en situation irrégulière. Les personnes visées par le nouveau dispositif ne sont pas celles qui, embauchées par une entreprise et disposant d'un titre de séjour de travail ou d'apprentissage, basculent dans l'irrégularité pour des raisons diverses – soit la personne cache son statut administratif au bout d'un certain temps, soit la préfecture n'ose pas ou n'a pas pu lui donner à temps un rendez-vous visant à la régulariser. Leurs employeurs sont en effet généralement d'accord pour les régulariser.
Les personnes visées ne sont pas non plus celles qui embauchent des personnes en étant trompées par un alias : il faudra bien sûr distinguer ce qui relève de la véritable tromperie, ou de celle organisée, comportant un état civil défectueux – cela relève notamment de l'inspection du travail.
Les employeurs concernés sont ceux qui embauchent des personnes irrégulières, sans papiers, sur le territoire national : elles font des horaires extrêmement difficiles, sans disposer d'un contrat de travail, ni de droit syndical ou de protection sociale. Il est toutefois impossible de sanctionner leurs patrons voyous, qui les exploitent et tirent un avantage concurrentiel par rapport à ceux qui respectent les règles de la République.
Si des procédures judiciaires existent, elles sont très peu utilisées, malgré les demandes de l'inspection du travail et du ministère de l'intérieur et des outre-mer : 15 000 contrôles sont effectués chaque année, pour seulement 500 procédures et moins de quelques dizaines de condamnations. Nous constatons pourtant l'existence de cette économie parallèle dans chacun de nos départements et de nos territoires. La moitié de ces personnes sont d'ailleurs elles-mêmes des étrangers, parfois en situation irrégulière, notamment dans les secteurs du bâtiment et travaux publics (BTP) ou de l'agriculture.
Il s'agit donc de prévoir des sanctions administratives extrêmement fortes, pour compléter les sanctions judiciaires – sans les remplacer – ainsi que des amendes très élevées pour ceux qui, sciemment, embauchent des travailleurs irréguliers et les exploitent sans leur donner le droit syndical ou le droit de la protection du travail.
L'écosystème est également irrégulier pour les marchands de sommeil. Nous connaissons tous des étrangers en situation irrégulière, dont des propriétaires véreux tirent profit, se faisant payer en liquide, parfois sans quittance de loyer. Les femmes, les enfants, les personnes vulnérables sont exploitées, parfois dans des conditions extrêmement difficiles – mérules, sorties de secours qui n'existent pas, froid en hiver, extrême chaleur en été : parce qu'elles sont vulnérables et en situation irrégulière, elles subissant ce système d'exploitation, souvent en lien avec le travail irrégulier. Nous devons lutter fortement contre cet écosystème de personnes véreuses, qui travaillent parfois avec les passeurs, notamment dans l'habitat ancien dégradé.
Le Gouvernement avait pris une disposition forte pour lutter contre les « marchands de sommeil ». J'ai accepté un amendement du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste – de M. Ian Brossat –, adopté par le Sénat, visant à permettre le titre de séjour temporaire à une personne qui dénoncerait son marchand de sommeil, sur le modèle de la personne prostituée et irrégulière qui dénonce son proxénète, une disposition qui fonctionne bien. Lors de la précédente législature, j'avais accepté un amendement de Marie-George Buffet permettant à une femme victime de violences conjugales et en situation irrégulière de disposer d'un titre de séjour provisoire : ce dispositif fonctionne et il contribue à sécuriser ces personnes. Grâce à l'accès à un titre de séjour temporaire en échange du dépôt de plainte, nous lutterons contre les marchands de sommeil et les trafiquants de misère.
Ces dispositions, extrêmement importantes, figuraient dans la première partie du texte avant l'examen par le Sénat : il s'agit des articles 2, 5 et 8 du projet de loi. Les mesures en matière d'intégration viennent les compléter, notamment celle supprimée par la commission des lois du Sénat, mais rétablie en séance : l'employeur devra désormais permettre à la personne embauchée de prendre des cours de français – voire des cours portant sur les valeurs de la République – sur son temps de travail, en vue de la passation de l'examen requis.
En effet, l'étranger doit actuellement accéder à des cours, donnés par les préfectures, par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ou par des associations, en dehors de ses heures de travail. Or, nous le savons tous, la plupart des étrangers qui entrent dans ce cadre ont un travail difficile, beaucoup de transports en commun et n'ont pas toujours le loisir de prendre ces cours.
Le dispositif que nous proposons s'apparente à un pourcent intégration, sur le modèle de ce qui se pratique en matière de logement. Les employeurs ont désormais aussi une vocation sociale et ne sont pas uniquement là pour faire un profit : ils doivent libérer quelques heures de travail dans la semaine, pour donner à la personne le temps de prendre les cours de français, afin qu'elle puisse s'intégrer au mieux. Je me réjouis que le Sénat ait finalement compris les intentions du Gouvernement sur ce point.
Ces mesures de lutte contre l'immigration irrégulière – les passeurs, les employeurs patrons, les difficultés administratives que nous avons créées, les marchands de sommeil – nous permettent d'avoir des exigences d'intégration plus fortes. J'en viens ainsi à ce qui est sans doute la mesure la plus importante de ce projet de loi. Jusqu'à présent, en matière de cours de français, il y avait une obligation de moyens, mais pas de résultat. Il y aura désormais une obligation de résultat : pour avoir un titre de séjour pluriannuel – les courts séjours ne sont pas concernés –, comme le demandent la plupart des pays autour de nous – à l'exception de deux d'entre eux, dont la France –, les étrangers devront demain désormais passer un examen de français de niveau A2, selon la qualification du Sénat et conformément à la moyenne européenne. En cas de réussite, il donnera droit au titre de séjour pluriannuel, mais s'il est raté, le titre de séjour ne sera pas accordé.
La contrepartie de cette exigence de la compréhension et de l'expression dans la langue, qui peut s'avérer difficile pour un certain nombre d'étrangers, est celle de la gratuité des cours. Elle résulte d'un autre amendement que nous avons accepté, en séance, au Sénat. Nous avons débloqué les moyens nécessaires, soit plus de 100 millions d'euros par an, notamment pour les cours de français mis en place avec la LOPMI.
Cette exigence d'intégration autour de la langue et des valeurs de la République – notion ajoutée par le Sénat – est très importante. Nous savons que 25 % à 40 % des étrangers disposant de titres de séjour parlent et écrivent mal – voire très mal – le français. Plus de la moitié des personnes concernées sont des femmes : elles sont particulièrement vulnérables, notamment en matière de communautarisme.
Le deuxième point est celui de la simplification administrative – les titres III, IV et V –, sujet très important puisqu'il vise à lutter contre le mal français qui consiste à multiplier les procédures, donc le temps de traitement de la demande : lorsque la réponse est négative, l'éloignement de la personne – la fameuse OQTF – est rendu quasiment impossible ; l'intégration n'est pas non plus facilitée puisque, pendant ce délai, la personne ne peut pas travailler et vivre correctement au sein de sa famille.
Cette simplification procédurale s'inspire du rapport de François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat, adopté à l'unanimité des groupes politiques il y a plus de deux ans et résultant lui-même du rapport Stahl du Conseil d'État. L'objectif est de passer de douze à trois procédures – j'entends que certains souhaitent les réduire jusqu'à deux, nous en discuterons –, soit une division par trois ou quatre. Pour la première fois, le Gouvernement ne vous propose pas de changer les règles en matière d'asile, avec des critères différents et des pays sûrs, dont nous débattrons pour savoir lesquels méritent de figurer ou pas sur la liste.
Nous avons fait un choix radicalement différent, celui de ne pas toucher aux règles de l'asile, mais de modifier la rapidité avec laquelle nous répondons à une personne. La loi Collomb a permis de passer le délai de traitement par de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) à cinq mois en moyenne, soit deux fois plus rapidement qu'avant, où il était d'un an. Ce délai est raisonnable, si l'on considère qu'il faut laisser le temps aux personnes qui arrivent sur le sol national pour demander l'asile de reprendre leurs esprits, parfois de se soigner ou d'être accompagnées. Il ne peut donc pas être réduit à zéro.
En revanche, le temps de l'action juridique des tribunaux administratifs, et parfois des tribunaux judiciaires, est beaucoup trop long. Quand un demandeur d'asile arrive en France, l'Ofpra lui répond en moyenne en cinq mois. Dans 70 % des cas, la réponse est négative, la France étant l'un des pays qui refusent le plus l'asile en Europe : contrairement aux idées reçues, nous ne sommes donc pas laxistes, mais trop longs. L'objet du projet de loi est de lutter contre cette lenteur.
En cas de refus, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) est saisie, et les choses se compliquent : neuf à dix mois viennent s'ajouter au délai de cinq mois de l'Ofpra. On arrive donc à un total d'un an et trois mois en moyenne. Lorsque la demande d'asile se solde par un refus de la CNDA en appel, la personne fait l'objet d'une OQTF, laquelle est susceptible d'un recours suspensif ; dès lors l'État, les policiers ou les préfets ne peuvent agir. Ainsi, seules 15 % à 20 % des OQTF sont appliquées, les 80 % restantes étant suspensives.
Lorsque la personne conteste l'OQTF, il faut ajouter six mois à un an au délai initial, selon le tribunal administratif – 50 % de l'activité des tribunaux administratifs relèvent du droit des étrangers, et cela représente 60 % du contentieux des cours d'appel. Pendant ce temps-là, la justice administrative – qui fait partie du service public – est mal rendue, notamment en matière d'urbanisme, en réponse aux demandes des maires, en raison de cette embolie liée au droit des étrangers.
L'appel pour l'OQTF amène donc le délai à deux ans et trois mois. Lorsque la décision du tribunal administratif est négative, elle fait généralement l'objet d'un appel devant une cour administrative d'appel ou devant le Conseil d'État, ce qui augmente à nouveau le délai d'une année. Au final, quelqu'un qui arrive en France obtient une réponse au bout de deux ans et demi à trois ans. Durant cette période, la personne a peut-être fait des enfants ou s'est mariée. Elle a peut-être inscrit ses enfants à l'école, eu l'occasion de travailler ou de créer son auto-entreprise, voire a travaillé dans une entreprise qui l'a embauchée, soit par alias, soit illégalement. Quand bien même nous voudrions appliquer l'OQTF, beaucoup de juges, au nom de la vie privée et familiale et de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), nous indiquent que l'expulsion n'est pas possible.
Tel est le nœud gordien que nous devons trancher : nous devons être en mesure de donner une réponse rapide. Si elle est positive, mais qu'elle survient seulement au bout de trois ans, la personne concernée aura, durant cette période, vécu de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), de l'aide médicale de l'État (AME), de difficultés dans le dispositif national d'accueil (DNA) pour les demandeurs d'asile et les réfugiés ainsi qu'en matière administrative, sans compter le sentiment d'insécurité lié à l'OQTF, alors qu'elle aurait pu vivre de ses cotisations sociales, de son salaire et être respectée sur le territoire national, en tant que femme ou homme.
Nous souhaitons donc simplifier drastiquement ces délais, en passant des deux à trois ans actuels, à moins de neuf mois. Ainsi, nous aurons bien travaillé, puisque, depuis longtemps, le Conseil d'État, la CNDA et le Parlement réclament une telle simplification, conforme au droit européen.
Le troisième sujet est celui de l'expulsion et de l'éloignement des étrangers qui ne respectent pas les règles de la République. Mesdames et messieurs les députés, il m'est actuellement impossible d'expulser ou d'éloigner énormément de personnes sous OQTF, surtout lorsqu'elles ont commis des crimes et des délits, en raison des réserves d'ordre public inventées par le législateur au début des années 2000, dans un contexte sans doute très différent. Elles sont propres à la France et ne sont garanties ni par la Constitution, ni par la CEDH, ni par les traités européens, comme l'a indiqué le Conseil d'État dans son avis sur ce texte. Elles empêchent – c'est la loi de la République – d'expulser une personne arrivée sur le territoire national avant l'âge de 13 ans, même si elle a commis des méfaits, par exemple à l'âge de 18 ans et demi.
Prenons le cas d'une personne arrivée à l'âge de 13 ans et demi, âgée de 19 ans, qui n'est pas française et n'a pas demandé la nationalité française, ni n'est régulièrement sur le territoire national : j'ai le droit de l'éloigner, avec une OQTF. En revanche je n'ai pas le droit d'expulser une personne arrivée à l'âge 12 ans et demi et qui, à 18 ans et demi, commet des crimes : la loi de la République empêche de l'éloigner.
Il en va de même pour les personnes mariées en France, présentes depuis plus de vingt ans sur le territoire national, ou qui ont eu des enfants, même lorsque les crimes ou les délits sont en rapport avec les enfants. Je pense à un cas extrêmement précis, où la vie privée et familiale a été caractérisée et évoquée, où la loi française m'a été opposée, cette personne – qui se livrait pourtant à des attouchements sexuels sur ses propres enfants – ne pouvant pas être expulsée en raison de la présence d'enfants sur le territoire national. Cette décision a été très difficile à comprendre, mais conforme à la législation.
Je vous propose, avec les articles 9 et 10, de lever ces réserves d'ordre public. Il y a toutefois une difficulté très forte, sur laquelle nous reviendrons : le régime de l'expulsion et le régime de l'éloignement ne sont pas les mêmes, le Conseil d'État ayant insisté pour que figurent deux articles différents. Le ministre peut prendre un arrêté ministériel d'expulsion (AME), y compris pour les étrangers réguliers sur le territoire national qui ont commis des crimes et des délits. Il faut en effet qu'une personne encourant des peines importantes, de cinq à dix ans de prison, puisse être expulsée, même si elle est en situation régulière. L'éloignement vise un étranger en situation irrégulière : lorsqu'il commet les mêmes méfaits, il ne peut actuellement pas être éloigné en raison des réserves d'ordre public.
Nous souhaitons donc supprimer les réserves d'ordre public, à l'exception de celle concernant les personnes de moins de 18 ans qui commettent des actes de délinquance avant l'âge de 18 ans – les mineurs étrangers ne relèvent pas du ministre de l'intérieur et des outre-mer, mais du garde des sceaux –, interdite par la Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants, sauf décision expresse du juge. Je propose de supprimer toutes les autres réserves d'ordre public, lorsque les étrangers ont commis des actes qui menacent l'ordre public, des violences conjugales, des atteintes contre les policiers, du trafic de stupéfiants ou tout autre crime. Ainsi, nous pourrons expulser ou éloigner tous les étrangers, non pas par rapport à leur statut d'arrivée sur le territoire national, mais en raison de ce qu'ils font contre la nation.
S'ajoute à cela l'article 13, nouveau et assez puissant : il prévoit le retrait du titre de séjour des étrangers qui commettent des actes de délinquance ou qui ne respectent pas les valeurs de la République au sens de la loi sur le séparatisme. Par exemple, si les policiers ou les gendarmes découvrent, dans le téléphone d'une personne, des vidéos répétées de décapitation, en l'absence de transfert de ces messages, il n'est actuellement pas possible de considérer que cette personne tombe sous le coup de la loi, mais simplement qu'elle adhère à une idéologie radicale. Si, grâce à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), cette personne peut être fichée administrativement, je ne peux pas lui retirer son titre de séjour, ce qui est incompréhensible pour les Français. L'article 13 prévoit notamment l'adhésion aux valeurs de la République, telles que définies par la loi sur le séparatisme et validées par le Conseil constitutionnel. Si ce concept a pu sembler flou lors de son adoption, il nous est bien utile ; validé par le Conseil d'État et par le Conseil constitutionnel, il est très efficace pour nous protéger contre tout signe d'atteinte contre la République.
Simplification drastique des procédures, exigence d'intégration, notamment par la langue, travail de fermeté extrêmement fort contre les délinquants étrangers : telle est l'ossature du projet de loi. S'y sont ajoutées les dispositions que vous avez évoquées, monsieur le président, qui ne sont pas de l'ordre de l'irrecevabilité et sur lesquelles je ne reviendrai pas, mais aussi des dispositions voulues par le Gouvernement, notamment la question du travail du juge des libertés et de la détention (JLD). J'ai décidé de placer dans les centres de rétention administrative des personnes dangereuses, et non plus des étrangers qui n'ont commis aucun acte de délinquance, ce qui change la nature de ces centres et permet au JLD d'avoir un œil particulier sur les personnes qui représentent une dangerosité.
Certaines dispositions visent à l'identification des personnes. Lorsque l'on interpelle des personnes en situation irrégulière en vue d'une OQTF, il n'est aujourd'hui pas possible de rechercher, dans l'appartement ou dans la voiture, la pièce d'identité où se trouve mentionnée la nationalité de la personne, afin de la reconduire dans son pays d'origine. Nous demandons que ce soit désormais possible.
D'autres dispositions nous paraissent intéressantes, comme le conditionnement des laissez-passer consulaires vis-à-vis des visas imaginés par le Sénat – à titre personnel, j'y suis favorable –, ou d'autres disspositions nous permettant d'être plus efficaces. Prenons l'exemple du drame d'Annecy : il n'est pas possible de traiter très rapidement la demande d'asile d'une personne qui avait déjà obtenu celui-ci dans un pays européen ; nous proposons donc de lui indiquer, si elle se trouve dans ce cas, qu'elle n'obtiendra pas l'asile en France, étant désormais protégée, même si elle dispose évidemment de la possibilité d'avoir un pays de refuge – la Suède, dans le cas de l'auteur des attaques des bébés à Annecy.
Ce sujet suscite bien évidemment l'incompréhension des Français, tout comme ils ne comprennent pas que des personnes ayant obtenu le statut de réfugiés en France – je pense à des citoyens russes d'origine tchétchène –, à qui l'on aurait ensuite retiré le droit d'asile en raison de leur retour, chaque été, dans leur pays d'origine, où ils sont supposés être pourchassés, puissent conserver, en vertu du droit actuel, une qualité pour rester sur le territoire national. Avec ce texte, cette qualité leur sera retirée afin de pouvoir les expulser du territoire national : il n'est pas concevable d'avoir une résidence secondaire dans le pays qui est censé vous persécuter.
Vous l'aurez compris, beaucoup de dispositions ont été ajoutées dans ce texte, y compris par le Gouvernement. Il ne sera pas sans présenter de difficultés juridiques, puisque le droit des étrangers est extrêmement encadré. À cet égard, je m'enorgueillis de l'avis du Conseil d'État sur le projet de loi initial du Gouvernement. Je regrette d'ailleurs que les présidents des assemblées, notamment celui du Sénat, n'aient pas saisi le Conseil d'État sur des dispositions, certes très intéressantes mais difficiles, en raison du contrôle de constitutionnalité. Ce projet de loi n'épuise pas tous les débats, notamment ceux de nature constitutionnelle et conventionnelle. Il ne m'appartient pas d'en faire un texte constitutionnel ou conventionnel – les deux se complètent, selon la nature des opinions de chacun.
J'évoquerai pour finir les articles 3 et 4. L'article 3 a été supprimé par le Sénat. Ses dispositions ont été réécrites à l'article 4 bis, qui conserve la possibilité de régulariser dans les métiers en tension, ce qui est une bonne chose. Je crois savoir que M. le rapporteur général souhaite travailler à une nouvelle rédaction de cet article.
Ce qui importe, c'est de rompre le lien entre l'employeur et l'employé dans la régularisation. À l'heure actuelle, il est impossible de régulariser une personne si son employeur s'y oppose. C'est un droit de servage. Si une personne vient me voir pour être régularisée, je ne peux pas la régulariser – la loi, en l'espèce le code du travail, m'en empêche, et non le règlement – dès lors que son employeur refuse de signer le formulaire de demande d'autorisation de travail pour embaucher un étranger résidant en France.
Deux raisons incitent généralement les employeurs à ne pas les signer : ils ne veulent pas reconnaître qu'ils embauchent des travailleurs sans-papiers, ce qui est un délit, ni verser la taxe pour l'emploi d'un travailleur étranger, dite taxe OFII. Placée dans cette situation, une femme, pour être régularisée, doit faire un enfant ou se marier sur le territoire national, aux termes de la circulaire du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dite circulaire Valls.
Nous sommes dans un monde très particulier où, même si nous savons très bien que la personne que nous avons devant nous travaille, nous ne pouvons pas la régulariser parce que l'employeur ne veut pas signer le formulaire de demande d'autorisation de travail pour embaucher un étranger résidant en France.
L'objectif premier de l'article 3, indépendamment des régularisations qu'il fait naître dans les métiers et les zones géographiques en tension – systématiquement oubliées par les commentateurs –, est de faire sauter ce lien entre employeur et employé, pour permettre la régularisation de ce dernier dans les conditions que définira le Parlement.
Quant à l'article 4, relatif à l'accès au travail de certains demandeurs d'asile, lesquels – contrairement à ce que l'on entend souvent dire – ont le droit de travailler en France six mois après y être arrivés, il vise à annuler ce délai pour ceux dont la nationalité les rend les plus susceptibles d'être protégés par la France. Cet article est le seul que le Sénat a supprimé sur les vingt-sept que compte le texte initial, ce qui prouve que celui-ci, indépendamment des ajouts introduits par le Sénat, est non seulement bien vivant, mais a été approuvé par une large majorité de sénateurs.
Je rappellerai les principales orientations du texte initial du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, adopté par le Sénat le 14 novembre dernier.
Premièrement, nous voulons déployer des stratégies supplémentaires et des voies nouvelles d'intégration, notamment par l'apprentissage du français. Cette mesure, de nombreux gouvernements ne l'ont pas prise par le passé. Nous voulons aussi mettre un terme à des situations de maltraitance à l'égard de bon nombre d'étrangers présents sur notre sol, notamment par le biais de l'interdiction de la rétention administrative des mineurs. Tel est aussi l'objectif de la régularisation des travailleurs dans les métiers en tension – tous les employeurs n'étant pas de bonne foi –, de la lutte contre les passeurs et de la lutte contre les marchands de sommeil, qui maintiennent des étrangers dans des conditions de logement inhumaines.
Deuxièmement, nous voulons renforcer l'efficacité de l'expulsion des étrangers délinquants, considérant que leur place n'est pas sur le sol de la République. Tel est notamment le sens de la levée des protections contre l'éloignement pour motif d'ordre public dont bénéficient parfois les auteurs de délits, voire de crimes, ainsi que certains multirécidivistes.
Dans ce contexte, le Sénat a fait son travail et nous ferons le nôtre. Certaines dispositions adoptées par le Sénat méritent d'être approfondies, car elles vont dans le bon sens. Tel est notamment le cas de l'amélioration de l'encadrement du titre de séjour pour raisons de santé, du renforcement du contrôle caractère réel et sérieux des études justifiant la délivrance d'un visa étudiant et de la justification d'une connaissance minimale de la langue française pour bénéficier du regroupement familial.
D'autres modifications sont contestables sur le fond ou sur la forme. Tel est notamment le cas de la suppression de l'AME, qui constitue un colossal cavalier législatif. Le rapport à ce sujet commandé à MM. Patrick Stefanini et Claude Évin sera remis le 4 décembre. Il permettra d'éclairer le débat, voire de le prolonger. La dernière modification de l'AME a eu lieu dans le cadre d'un projet de loi de finances, à l'initiative de la ministre de la santé d'alors. Il s'agit à la fois d'une question de santé publique et d'une question budgétaire. Au demeurant, ce débat n'entre pas dans le cadre du projet de loi dont nous sommes saisis – peut-être sa place est-elle dans une campagne présidentielle –, pas davantage que celui sur la réforme des dispositions du code civil relatives à la nationalité.
Nous débattrons en revanche de la régularisation des travailleurs dans les métiers en tension, envisagée dans l'article 3 du texte initial comme ciblée et bornée dans le temps, en l'espèce au 31 décembre 2026. Peut-être pourrons-nous l'adapter. Je constate que la majorité sénatoriale, qui, il y a quelques jours, avait pour slogan « zéro régularisation », a finalement validé la nécessité, pour notre pays, d'une politique raisonnée de régularisations, dans l'intérêt de notre économie comme de l'intégration des personnes concernées. Je proposerai à notre commission, avec l'assentiment de la rapporteure Jacquier-Laforge, d'élaborer une solution à mi-chemin du droit automatique, général et absolu à la régularisation, qui soulève de réelles difficultés, et du recours au pouvoir discrétionnaire du préfet pour lequel a opté le Sénat.
S'agissant du renforcement du rôle du Parlement en matière migratoire et de la mise en œuvre d'une politique de quotas, le texte du Sénat se heurte à deux sérieux obstacles constitutionnels : aucun Parlement ne peut contraindre son futur ordre du jour ; le Parlement n'a pas pour rôle de déterminer les chiffres de l'immigration. Par conséquent, une réforme de la Constitution serait nécessaire. Certains la souhaitent ; nous aurons ce débat en séance publique.
En revanche, un débat sur les objectifs annuels d'immigration, sur la base des chiffres communiqués par le Gouvernement en matière de visas de travail et de visas étudiants, est envisageable. Au demeurant, il offrira à la majorité présidentielle l'occasion de rappeler ses ambitions. Je rappelle que l'immigration pour études est plus nombreuse que l'immigration pour motif familial – 108 000 titres de séjour délivrés, contre 90 000.
J'espère que nos débats seront non seulement de la plus grande courtoisie républicaine – je n'en doute pas –, mais aussi précis et exigeants. L'immigration est une question sensible et délicate, qui engage une part de notre avenir. Je veillerai, dans mon rôle, à la bonne tonalité de nos débats.
J'espère aussi que nous prendrons le temps d'accorder l'attention qu'ils méritent aux deux titres essentiels que sont les titres IV et V, relatifs respectivement à la réforme structurelle du système de l'asile et à la simplification des règles du contentieux relatif à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers. L'actualité médiatique ne doit pas nous faire renoncer à accorder aux sujets exigeants l'attention qu'ils méritent.
Le titre Ier du projet de loi a pour ambition d'assurer une meilleure intégration des étrangers par la langue et par le travail.
S'agissant de l'intégration par la langue, elle suit les deux axes du projet de loi initial. L'article 1er vise à rendre obligatoire la maîtrise d'un niveau minimal de français pour l'obtention d'une carte de séjour pluriannuelle. L'article 2 prévoit des formations au bénéfice des salariés allophones afin de favoriser leur intégration dans le monde du travail.
Nos auditions ont fait ressortir la maîtrise de la langue comme un facteur essentiel de l'intégration dans notre société. Comment accéder au marché de l'emploi, se faire comprendre et comprendre les autres si on ne maîtrise pas la langue ? En dépit de la suppression de l'article 2 en commission, le Sénat a maintenu ces deux dispositions, ce dont je me félicite. Toutefois, nous ne sommes pas favorables à tous les amendements à l'article 1er qui ont été adoptés.
Le Sénat a ajouté de nombreuses dispositions au chapitre Ier, ce qui a fait passer le nombre d'articles qui le composent de deux à douze. La plupart des nouveaux articles sont relatifs à l'acquisition de la nationalité française par des étrangers et au droit du sol. Leur insertion dans ce chapitre et dans le projet de loi en général ne me semble pas pertinente.
S'agissant de l'intégration par le travail, celui-ci non seulement offre une voie vers l'autonomie financière, mais en outre permet de pratiquer la langue et de tisser des liens sociaux. Les chapitres II et III du projet de loi, porteurs d'ambitions inédites, lui sont consacrés.
L'examen de l'article 4 bis par notre assemblée doit être l'occasion de travailler à une rédaction opératoire des dispositions initialement contenues dans l'article 3. L'impératif est triple : humaniste, car les situations de travail illégal sont trop souvent le cadre d'atteintes à la dignité humaine ; de justice, ce qui impose notamment de mettre un terme à la nécessité de la coopération de l'employeur ; économique, si l'on se souvient que notre pays, d'après les derniers chiffres de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), compte environ 350 000 emplois vacants. Si la rédaction du Sénat nous semble devoir être retravaillée, rétablir la rédaction initiale de l'article n'est peut-être pas le chemin à suivre. Nous devons élaborer une rédaction nouvelle.
S'agissant de l'article 4, qui tend à donner un accès immédiat au marché du travail aux demandeurs d'asile les plus susceptibles de faire l'objet d'une protection internationale, j'en proposerai le rétablissement. Ces étrangers ayant de fortes chances de rester sur notre territoire, autant qu'ils s'intègrent rapidement, notamment en bénéficiant d'un accès rapide à l'autonomie financière, d'autant qu'ils le souhaitent.
Par ailleurs, je suis favorable à la rédaction de l'article 8 adoptée par le Sénat, qui remplace par une amende administrative la contribution spéciale sanctionnant les employeurs d'étrangers ne détenant pas un titre les autorisant à travailler. L'enjeu est triple : il y va du contrôle du travail illégal, de la prévention de l'exploitation d'autrui et de l'équité économique.
Je me réjouis que nos travaux sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration débutent. Je sais pouvoir compter sur beaucoup d'entre vous pour donner au titre Ier, consacré à l'intégration des étrangers par la langue et par le travail, sa pleine portée.
Les sujets qui m'échoient sont particulièrement sensibles : le titre II vise à améliorer le dispositif d'éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l'ordre public et à mieux tirer les conséquences des actes des étrangers en matière de droit au séjour ; le titre II bis, entièrement constitué d'articles issus du Sénat, comporte des dispositions visant à agir pour la mise en œuvre effective des décisions d'éloignement.
Même si nous avons mené de nombreuses auditions et eu des échanges avec les services du ministère, notre discussion générale intervient relativement tôt. Elle me paraît donc être l'occasion de faire part des convictions qui sont les miennes, des sujets sur lesquels mon opinion n'est pas arrêtée et des questions sur lesquelles M. le ministre pourra peut-être nous éclairer. C'est donc avec beaucoup de prudence et de modestie que je formule ces premières analyses.
Le titre II comporte des dispositions ambitieuses abordant des questions sensibles et engageantes pour notre société. Les articles 9 et 10 prévoient d'assouplir le régime de protection dont bénéficient certaines catégories de ressortissants étrangers en raison des liens d'attachement qu'ils entretiennent avec la France. Cette mesure est conçue pour faciliter les décisions d'expulsion et le prononcé de la peine d'interdiction du territoire français (ITF). Ces dispositions ont subi des modifications significatives au Sénat. Notre responsabilité est de travailler ensemble à établir un équilibre, en accord avec les principes constitutionnels et conventionnels qui guident notre démarche.
L'article 11 permet le relevé signalétique des étrangers sans leur consentement. S'y refuser est un délit. Cette mesure me semble proportionnée à l'enjeu. Le Sénat l'a encadrée de garanties, dont il faudra s'assurer qu'elles ne nuisent pas à son caractère opérationnel.
L'article 12, qui interdit la présence de mineurs de moins de 16 ans en centre de rétention administrative (CRA), est une avancée majeure. Je suis convaincu que nous poursuivrons la réflexion à ce sujet au cours de nos travaux.
L'article 13 prévoit d'encadrer la délivrance, le renouvellement et le retrait de titres de séjour, selon des critères sur lesquels nous devrions tomber d'accord. Ne pas laisser se maintenir sur notre territoire des étrangers constituant une menace grave pour l'ordre public et exiger des titulaires d'un titre de séjour de longue durée une résidence habituelle en France sont des mesures de bon sens, qui ne devraient pas susciter de vaines polémiques. Tel est aussi le cas du respect des principes de la République, cette fois précisément définis, contrairement à la tentative législative de 2021. Cette mesure ne fait qu'étendre le champ d'une disposition en vigueur. Elle est de nature à favoriser l'intégration des étrangers. Le Sénat a renforcé ses dispositions selon des modalités dont l'opportunité n'est pas pleinement assurée, ce dont nous aurons tout loisir de débattre.
Le titre II bis comporte diverses mesures, dont certaines ne sont pas dénuées de sens et d'autres soulèvent des interrogations. L'article 14 A permet de faire dépendre de la bonne coopération migratoire la délivrance de visas de long séjour et le montant de l'aide publique au développement (APD). Cette disposition, qui n'est pas sans intérêt, peut être améliorée pour en accroître l'efficacité. Tel est aussi le cas de l'article 14 B, qui rend obligatoire l'information par les préfets des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi sur les décisions d'OQTF et crée une obligation de radiation une fois la décision devenue définitive. Des améliorations visant à rendre cette disposition plus opérationnelle sont possibles. De même, les dispositions de l'article 14 C visant à allonger la durée maximale d'assignation à résidence d'un étranger faisant l'objet d'une OQTF paraissent de nature à améliorer la mise en œuvre effective des mesures d'éloignement.
L'opportunité de l'article 14 D est douteuse, dans la mesure où le versement en une fois de l'aide au retour est d'ores et déjà garanti par un texte réglementaire. L'article 14 E m'inspire la même prudence, dans la mesure où il réintroduit dans la loi une disposition qui en avait été supprimée, à raison, par la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.
J'espère que nous débattrons de ces questions avec l'exigence, la précision et le sérieux qu'elles exigent, dans un climat serein et constructif.
Le titre III comporte des dispositions dont j'ose espérer qu'elles feront consensus.
L'article 14 renforce la sanction contre les réseaux de passeurs, en criminalisant l'infraction d'aide à l'entrée, au séjour et à la circulation des étrangers si elle est commise en bande organisée et présente un danger pour les personnes concernées. Par ailleurs, il cible les dirigeants des réseaux afin de lutter contre les filières d'immigration clandestine, dont les premières victimes sont des enfants, des femmes et des hommes souvent exploités, qui ont besoin de protection.
Dans le même esprit, l'article 15 durcit la répression contre les marchands de sommeil, afin de lutter le plus efficacement possible contre ceux qui exploitent la vulnérabilité des étrangers. Loin des polémiques politiciennes, je pense que nous pouvons tous nous retrouver non seulement sur les objectifs de cet article, mais aussi sur les modalités proposées pour l'atteindre.
Le titre III garantit le renforcement des contrôles aux frontières, en prévoyant le contrôle par les transporteurs de l'autorisation de voyage Etias – European Travel Information and Authorisation System, ou Système européen d'autorisation et d'information concernant les voyages – et en permettant la visite sommaire des voitures particulières pour éviter les contournements. Ces dispositions complètent celles que nous avons adoptées lors de la récente modification du code des douanes. Par ailleurs, le titre III permet de refuser un visa à une personne ne pouvant justifier du respect d'une OQTF préalable.
Le titre IV prévoit une réforme ambitieuse et structurelle de notre système d'asile. Deux de ses articles figuraient dans le texte initial.
L'article 19 prévoit la création de pôles territoriaux « France asile » visant à renforcer les guichets uniques de demande d'asile (Guda), au sein desquels le demandeur pourra non seulement faire enregistrer sa demande par la préfecture et bénéficier de conditions matérielles d'accueil dans le cadre de l'OFII, mais aussi avoir un premier contact avec un agent de l'Ofpra pour l'introduction de sa demande d'asile.
Cette réforme est bénéfique pour le demandeur, qui sera accompagné par un agent mieux armé pour le guider dans ses premières formalités, s'agissant notamment du choix de la langue d'entretien, qui est un vrai casse-tête dans certains territoires. Elle permettra d'accélérer le délai de traitement des demandes. Je suis donc convaincu que l'expérimentation prévue par le Sénat n'est pas nécessaire. J'espère que nous parviendrons à convaincre qu'un déploiement progressif des pôles territoriaux, à partir de sites pilotes, est la meilleure solution.
L'article 20, adopté par le Sénat dans sa version initiale, prévoit une réforme de la CNDA destinée à rapprocher le demandeur d'asile et le juge de l'asile. Il vise à créer des chambres territoriales de la CNDA, qui siège à Montreuil, ville assez difficile à rallier si l'on se trouve à Tarbes, par exemple. Par ailleurs, l'article 20 prévoit la généralisation du principe du juge unique, qui n'est appliqué que dans un nombre de cas restreints.
Le titre V constitue une avancée majeure en matière de modernisation et de simplification du contentieux des étrangers. Au cœur de cette réforme des règlements contentieux, l'article 21, qui a fait l'objet d'ajustements significatifs par le Sénat, vise à réduire à trois le nombre de procédures applicables, en lieu et place de la douzaine dénombrée par le Conseil d'État. Cette simplification facilitera le travail des acteurs concernés et garantira aux justiciables un accès à la justice plus rapide et équitable.
Les articles 21 et 24 prévoient des mesures concrètes pour améliorer le fonctionnement de la justice rendue dans ce cadre. La délocalisation des audiences dans des salles spécialement aménagées, situées à proximité des lieux de rétention ou des zones d'attente, offre une réponse adaptée à l'exigence de rapidité et d'efficacité du traitement judiciaire de ce type de contentieux. La facilitation de la vidéo-audience, devant le juge administratif et devant le JLD, participe aussi à l'objectif de bonne administration de la justice. Notre responsabilité est de trouver le juste équilibre entre efficacité et protection des droits de l'étranger en tant que justiciable.
L'article 25 tient compte, de façon très concrète, de l'évolution du contentieux des étrangers. Il vise à adapter les règles procédurales du contentieux. Cette disposition tire les leçons de l'expérience du traitement judiciaire des migrants arrivés à bord de l' Ocean Viking à Toulon en novembre 2022. Ce débat, nous devons l'avoir ; nous ne pouvons plus le repousser ; nous devons l'accepter tel qu'il est. Certaines dispositions ajoutées au Sénat sont utiles à notre pays. Les supprimer toutes serait une erreur.
Je ne doute pas que nous aurons un débat apaisé sur les dispositions des titres III, IV et V, ni que nous trouverons un accord constructif et utile pour les Français, pour les ressortissants étrangers et pour le Gouvernement.
Chargé du titre VI, dont les deux articles traitent d'enjeux majeurs, je serai la voix des territoires ultramarins. L'article 26 a vocation à déterminer l'application spécifique aux outre-mer des dispositions du projet de loi, et l'article 27 détermine les modalités d'entrée en vigueur de certaines d'entre elles.
Je salue la démarche du Gouvernement, qui a pris l'engagement devant le Sénat d'inscrire directement dans la loi les dispositions applicables à certains territoires d'outre-mer plutôt que de recourir à une mise en œuvre par ordonnance. L'adoption par le Sénat d'un amendement du Gouvernement à l'article 26 a permis d'exclure du champ de l'habilitation à légiférer par ordonnances la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous aurons, pour ces territoires, la possibilité de déterminer directement dans le projet de loi les mesures dont nous souhaitons qu'elles s'y appliquent.
En revanche, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie feront l'objet d'ordonnances. La situation de ces collectivités mérite entièrement de faire l'objet d'un débat parlementaire devant la représentation nationale. Je me réjouis que nous ayons ce débat.
Toutefois, si ces territoires ultramarins justifient pleinement l'attention du législateur, ils ne peuvent faire l'objet d'une approche monolithique. Les onze territoires d'outre-mer habités présentent une diversité d'enjeux, qui ne peuvent être abordés sous le prisme d'une norme unique. La situation de la Guyane, qui compte 35 % de personnes étrangères sur son sol, n'est pas comparable à celle de la Guadeloupe, où la proportion d'étrangers en situation irrégulière est estimée à 4 % de la population. La Guyane, qui partage des centaines de kilomètres de frontière terrestre avec le Surinam et avec le Brésil, ne présente pas les mêmes difficultés que les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon, situées au large de l'Amérique du Nord et ne comptant que quatre-vingts étrangers sur leur sol.
Certaines de ces collectivités font face à des flux importants d'entrées irrégulières. Le cas de Mayotte est emblématique : un tiers de la population y serait en situation irrégulière. D'autres collectivités, Saint-Pierre-et-Miquelon par exemple, peinent au contraire à attirer la main-d'œuvre suffisante pour répondre aux besoins du marché du travail.
En tant que rapporteur, j'ai choisi de mener une concertation avec les onze territoires situés en outre-mer. À chaque audition, j'ai associé tous les représentants du territoire – services de l'État déconcentrés, élus locaux, parlementaires et associations – afin de recueillir tous les points de vue et de bâtir des propositions faisant l'objet d'un consensus.
J'ai la profonde conviction qu'aucune mesure ne doit être adoptée sans une très large adhésion des territoires concernés. Cette conviction guidera mon travail lors de nos discussions. J'indique d'emblée qu'il me semble nécessaire de réfléchir à des mécanismes de territorialisation des métiers en tension, tels qu'ils sont définis par le projet de loi. Leur liste ne saurait être établie de façon uniforme et unilatérale pour les territoires d'outre-mer, qui présentent de fortes particularités en matière d'emploi et de besoins de main-d'œuvre.
Le besoin d'un mécanisme de consultation des acteurs locaux a été exprimé à plusieurs reprises par les acteurs des territoires que j'ai auditionnés. Dans le même esprit, la durée des titres de séjour délivrés dans le cadre du mécanisme de régularisation prévu à l'article 4 bis devrait pouvoir être modulé afin de tenir compte de l'éloignement et des délais de traitement de la délivrance des titres de séjour dans certains territoires ultramarins.
Le travail de concertation que je mène a vocation à se poursuivre dans les prochains jours. À l'issue de ce travail, je proposerai des solutions sur mesure pour chaque territoire ultramarin, le cas échéant en fonction des souhaits que leurs représentants auront exprimés et des besoins que ces auditions auront permis d'identifier. Le cadre constitutionnel nous permet de procéder à ces adaptations, afin de tenir compte des caractéristiques et des contraintes particulières de ces collectivités. Je formule le souhait que nos travaux en commission nous permettent de nous saisir pleinement de cette opportunité, afin d'accorder à ces territoires toute l'attention qu'ils méritent. Dans cet esprit, que pensez-vous, monsieur le ministre, de la démarche permettant de consacrer un article à chaque territoire ?
Au nom du groupe Renaissance, je salue le travail et la clarté des propos des rapporteurs, qui nous éclairent sur les enjeux du projet de loi, sur sa philosophie et sur la façon dont sont envisagées ses évolutions après son adoption au Sénat le 14 novembre dernier.
Les sujets migratoires sont l'un des enjeux de notre époque. Nous sommes confrontés à un défi humain, sur lequel nous savons les attentes de nos concitoyens fortes. Nous sommes confrontés à un sujet qui reviendra certainement de façon régulière devant notre assemblée. Aussi, il importe d'aborder l'examen du texte avec une certaine humilité et un réel sens des responsabilités. Il importe de l'aborder en sachant de quoi nous parlons exactement.
Premièrement – tâchons de ne jamais l'oublier –, nous parlons d'hommes, de femmes et d'enfants amenés, bien souvent contre leur gré, à quitter leur territoire, le plus souvent en raison des conséquences du dérèglement climatique, de conflits et de guerres, ou pour des raisons économiques, sociales ou politiques. En 2023, près de 130 millions de personnes étaient considérées comme déplacées. La pression migratoire se fait de plus en plus forte sur les pays de l'Union européenne (UE), dont les pays les plus vulnérables accueillent la majorité des personnes déplacées.
Parler de l'immigration, c'est aussi parler des valeurs de notre pays, de notre modèle républicain et social. C'est également parler de notre souveraineté et de nos politiques d'intégration. Parler d'immigration, c'est parler de notre cohésion sociale et de notre avenir. C'est parler d'Europe et du monde dans lequel nous vivons, qui, au fond, est un village où chaque événement peut avoir des conséquences sur notre société.
Les réponses apportées par le projet de loi présenté par le Gouvernement sont de nature à répondre à ces enjeux, dans le respect de nos valeurs et des attentes de nos concitoyens ; d'abord en renforçant considérablement nos politiques d'intégration, en facilitant l'apprentissage de la langue, en revoyant à la hausse nos attentes en la matière, et en assumant de renforcer l'intégration par l'accès au travail, condition sine qua non d'une bonne intégration ; ensuite en facilitant les règles d'expulsion, grâce à la réintroduction de la double peine pour celles et ceux qui ne respectent pas les règles de notre société, et en alourdissant les sanctions à l'encontre des réseaux mafieux de traite humaine, qui organisent en partie l'immigration irrégulière. Il s'agit, selon les mots de M. le ministre, d'être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants. Par ailleurs, le texte vise à simplifier davantage certaines procédures, afin de traiter plus rapidement les demandes de séjour ou d'obtention du statut de réfugié.
Nous n'oublions pas que le texte ne se suffit pas à lui-même. Il s'inscrit dans la continuité de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, laquelle a permis de diviser par deux le délai de traitement des demandes d'asile par l'Ofpra. Il s'inscrit aussi dans la continuité de la LOPMI, qui a permis d'augmenter de 25 % les crédits dédiés à l'intégration et d'ouvrir un travail de refonte importante des préfectures. Les travaux essentiels menés à l'échelon européen, qui doivent fonder une grande partie des réponses à ce défi, complètent ce contexte législatif.
Le texte adopté par le Sénat a été âprement discuté et amendé. Le sujet est difficile, mais je forme le vœu que nos débats se déroulent dans le même état d'esprit républicain que celui qui a présidé à ceux du Palais du Luxembourg. Si nous saluons le compromis obtenu au Sénat, grâce auquel le texte a été adopté, en conservant la quasi-totalité des dispositions initiales, nos désaccords avec certains ajouts sont réels. Il est notamment exclu que nous acceptions les dispositions relatives à l'AME, au droit de la nationalité, aux mineurs non accompagnés (MNA) et à la restriction de l'accès aux prestations sociales.
Forts de la volonté de répondre aux enjeux du texte et d'adopter les dispositions les plus claires et efficaces possibles, nous examinerons avec attention certaines dispositions introduites par le Sénat, qui sont de nature à améliorer l'efficacité du projet de loi, dans le respect des valeurs auxquelles nous sommes attachés.
En matière d'immigration, nous devons nous poser deux questions : quel est l'impact de l'immigration sur la vie de nos compatriotes et sur notre pays ? Que veulent nos compatriotes ?
Si je ne nie nullement les quelques améliorations que comporte le texte, je sais aussi que la gauche et une partie de la majorité tenteront de le modifier pour accentuer le laxisme migratoire. Au demeurant, tel qu'il a été adopté par le Sénat, le texte ne répond pas à toutes les attentes des Français, ni à l'urgence de la situation. Chers collègues de la majorité, vous affichez dans les médias la volonté de lutter contre l'immigration irrégulière et, en même temps, vous souhaitez la régularisation des travailleurs clandestins : sévérité affichée et, en même temps, laxisme migratoire.
En réalité, comme vos prédécesseurs, vous organisez les appels d'air. Sur le droit du sol, rien d'efficace n'est prévu. Sur la politique d'immigration régulière, rien non plus. Or, depuis qu'Emmanuel Macron est Président de la République, la France a délivré 1,6 million de premiers titres de séjour à des immigrés extraeuropéens – un record. Rien non plus sur l'immigration irrégulière. Monsieur le ministre, vous estimiez devant notre commission, le 2 novembre dernier, qu'entre 600 000 et 900 000 étrangers sont en situation irrégulière sur le territoire national. Votre incapacité et votre manque de volonté à maîtriser nos frontières sont malheureusement évidents.
Pire, vous ne prévoyez rien pour couper les pompes aspirantes de l'immigration. Le nombre de bénéficiaires de l'AME était de 400 000 en 2022. Ce dispositif coûte 1,2 milliard d'euros aux Français chaque année. Les sénateurs ont eu la sagesse d'adopter la mesure préconisée par Marine Le Pen consistant à remplacer l'AME par une aide médicale d'urgence, mais la Première ministre exige que vous réintroduisiez dans le texte ce dispositif coûteux et injuste pour les Français.
En ce qui concerne la demande d'asile, qui a triplé en dix ans, votre projet ne durcit aucunement la procédure malgré son dévoiement permanent. Les étrangers obtiennent chez nous plus facilement le statut de réfugié qu'en Allemagne, en Suède, en Norvège, en Autriche ou au Danemark. Car c'est bien là le sujet : le dévoiement du droit d'asile a non seulement un impact sur l'économie du pays, mais exerce aussi un effet sur ceux qui peuvent réellement y prétendre.
Que dire, également, de l'expulsion des étrangers en situation irrégulière et de l'absence totale du principe de priorité nationale dans le projet de loi ? De la même façon, vous êtes muet sur le problème de l'hébergement inconditionnel des migrants clandestins, alors que tant de Français n'arrivent pas à se loger correctement.
Ensuite, et c'est peut-être plus grave encore, vous proposez, derrière la prétendue fermeté affichée pour asseoir vos ambitions personnelles, d'adopter un article qui aboutira à la vague de régularisation de clandestins la plus massive de l'histoire de notre pays. Oui, l'article 3 a été supprimé par le Sénat, en séance publique, après avoir été approuvé en commission – y compris par les membres du groupe Les Républicains, d'ailleurs. Toutefois, cette disposition a simplement pris une autre forme, en devenant l'article 4 bis. En outre, votre majorité va tenter de le réintroduire dans sa rédaction initiale. Sous une forme ou sous une autre, le résultat est le même : vous souhaitez donner une prime à la clandestinité. Alors que la surreprésentation des étrangers dans la délinquance est une réalité et que 5 millions de Français sont sans emploi, votre projet accentuera les avantages au profit d'étrangers clandestins, clandestins donc délinquants.
Vous ignorez les problèmes de notre pays, les failles pour notre sécurité collective, pour les comptes publics, pour les salaires des Français et pour l'économie. Monsieur le ministre, l'heure est grave, c'est pour cela que les Français sont 83 % à demander un référendum, comme le propose Marine Le Pen, et qu'ils veulent une politique migratoire ferme. C'est pour cette raison que les députés du Rassemblement national amenderont ce texte afin de rendre plus strictes les conditions de séjour des étrangers, en finir avec l'AME et le droit du sol, refonder la politique française de l'asile, lutter profondément contre l'immigration irrégulière, redonner enfin à la France la maîtrise de ses instruments juridiques.
François Mitterrand disait, en 1988 : « Ceux qui sont clandestins […] , il faut qu'ils rentrent chez eux ». Comme quoi, même ceux qui ont une responsabilité dans le déclin de notre pays peuvent avoir des instants de lucidité.
La liberté, c'est l'esclavage, l'ignorance, c'est la force : tel est l'esprit de votre loi, monsieur Darmanin. Que ce soit La France insoumise, la gauche, les associations, les collectifs, les syndicats, les institutions ou les avocats, personne n'est dupe ! Dans le contexte de l'attaque d'Arras, vous avez défendu votre loi comme étant la plus dure et la plus ferme qui ait été présentée depuis trente ans et comme une réponse au terrorisme. En quoi une dégradation majeure des droits permettrait-elle de lutter contre le terrorisme ?
Votre projet est mensonger. Il est fondé sur le postulat selon lequel notre pays serait submergé par une prétendue vague migratoire. Or, notre pays se trouve à la vingtième place, au sein de l'Union européenne, pour le nombre de réfugiés accueillis rapporté à la population, ce qui va à contre-courant des mythes que vous vous plaisez à alimenter.
Votre projet est superflu. C'est le vingt-neuvième texte sur l'immigration depuis 1983. Il s'agit toujours de courir inlassablement derrière la politique du chiffre.
Votre politique et votre projet sont trompeurs. L'inflation législative n'a aucunement pour but de développer une politique digne pour tous, comme nous le demandons. Elle vise au contraire à rendre notre pays de plus en plus hostile à celles et ceux qui pourraient espérer y trouver des conditions d'existence dignes, et même aux personnes qui, d'une façon légitime, au sens premier du terme, devraient pouvoir y trouver protection et asile. Le démantèlement du système d'asile que votre texte entérinerait est représentatif de cette tendance.
Votre texte est dangereux. En effet, nous assistons, du fait d'une dégradation inédite des droits des étrangers et du droit d'asile, à une insupportable inversion de la hiérarchie des normes. Le droit humain, le droit de l'enfant, tout cela est passé par-dessus bord – comme d'autres droits, comme des humains.
Votre projet est inhumain. Vous avez recours à des concepts malléables à souhait pour justifier le durcissement des mesures d'éloignement et la prétendue augmentation des taux d'exécution au détriment des personnes malades et des enfants, en méconnaissance de la réalité de la procédure en matière de droit des étrangers et de son application.
Votre projet est un projet de division entre les uns et les autres, entre ceux qui sont ici et ceux qui voudraient pouvoir s'y installer. Dans votre vision, étranger rime avec criminel, migrant avec humain aux moindres droits, alors même que les sciences humaines s'accordent unanimement sur l'absence de lien entre l'immigration et la délinquance.
Vous avez ouvert la porte à toutes les régressions. Évidemment, et vous le saviez, la droite sénatoriale s'y est engouffrée, reprenant et adoptant les pires dispositions : retrait du titre de séjour pour motif d'adhésion au djihadisme – alors que les dispositions de la loi séparatisme à ce sujet ont été censurées par le Conseil constitutionnel –, allongement de la durée de rétention administrative maximale de trois à dix-huit mois, comme dans l'Italie de Meloni, suppression de l'AME, alors même que huit personnes éligibles sur dix n'y ont pas recours, selon les données de Médecins du monde.
Vous prétendez être juste au motif que votre projet de loi vise à régulariser les travailleurs étrangers dans les métiers en tension. Nous n'accepterons pas cette vision utilitariste et hypocrite des travailleurs.
Vous entendez réformer nos institutions, en particulier la procédure d'asile, dont la France pourrait être fière, sous prétexte de vouloir réduire les délais et rapprocher les demandeurs des structures. Nous n'accepterons pas que vous mettiez définitivement à bas l'impartialité de la CNDA, pas plus que nous n'admettrons la fin de l'indépendance de l'Ofpra. Au pays des droits de l'homme, tous les humains sont égaux, mais selon vous, il y en a qui sont plus égaux que d'autres.
Permettez-moi tout d'abord de vous exprimer le plaisir que j'éprouve à rejoindre votre commission pour l'examen des textes de loi sur l'immigration, à savoir le projet de loi issu des travaux du Sénat et la proposition de loi constitutionnelle des Républicains, pour lesquels j'ai l'honneur d'être oratrice au nom de mon groupe.
Monsieur le ministre, nous vous auditionnons aujourd'hui en préalable à l'examen de votre projet de loi destiné à contrôler l'immigration et améliorer l'intégration. Initialement composé de vingt-sept articles, le texte en comporte désormais quatre-vingt-seize : c'est dire combien les travaux menés par nos collègues sénateurs l'ont transformé en profondeur.
La fermeté des sénateurs est à nos yeux justifiée face à une situation migratoire hors de contrôle. Chacun connaît les chiffres : ils sont plus qu'alarmants. Comment s'étonner, dès lors, que 74 % des Français rejettent la politique du Gouvernement en matière migratoire ? Cette opinion est un fait qui nous met en face de nos responsabilités. Je dirais même que c'est l'heure de vérité. Notre pays est à la fois laxiste et impuissant. C'est donc du côté de la fermeté qu'il faut aller car en matière d'ouverture, nous sommes, si j'ose dire, largement pourvus. Les chiffres disent une réalité dont nous n'avons pas le droit d'ignorer les conséquences en matière d'insécurité, de perte de souveraineté, de perte de cohésion nationale, de déséquilibres financiers et sociaux. Assouplir et durcir : « l'impossible oxymore », pour reprendre l'expression de Pierre Brochand.
Ce texte permettra-t-il de remédier au problème ? Le Sénat s'y est employé et a produit un texte qui, mesure après mesure, corrige l'existant – nous aurons matière à le corriger encore –, mais qu'en ferez-vous ? Les premières déclarations de membres de votre majorité, ce soir encore, conduisent à nourrir bien des inquiétudes. Concernant les métiers en tension, certains veulent revenir à la rédaction initiale, qui crée une nouvelle filière d'immigration et de nouvelles sources de contentieux, alors que le taux de chômage des immigrés s'élève à 16 % et que le taux de chômage en catégorie A augmente – funeste « en même temps ». Si les régularisations, que la France conduit massivement depuis 1981, avaient résolu les problèmes et tari les flux, ça se saurait. « Régulariser les clandestins dans les métiers en tension, c'est amorcer une pompe inépuisable », nous dit encore l'ancien directeur général de la sécurité extérieure.
Quant à l'AME, qui n'est que l'un des onze dispositifs existants en matière de santé des étrangers, certains, dans votre majorité ou au Gouvernement, exigent sa restauration en caricaturant le dispositif que nous proposons de lui substituer, lequel garantit pourtant la protection de la santé publique.
La principale raison qui nourrit nos doutes quant à l'efficacité de ce texte est qu'il ignore délibérément les freins à son application. Exécuter les OQTF ou les expulsions, instituer des plafonds migratoires ou durcir les conditions d'accès au regroupement familial, pour ne citer que ces exemples, sont autant de mesures qui se heurteront au droit conventionnel et à sa jurisprudence, ainsi qu'aux cours souveraines nationales. La gestion de l'immigration de notre pays est largement dictée par des dispositions supranationales. Seule une réforme de la Constitution assurera donc la pleine effectivité de ce texte et redonnera à la France le droit d'accueillir sur son sol qui elle veut et la possibilité de se protéger d'une immigration massive et subie qui porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Vous le savez pertinemment, monsieur le ministre, tout comme le Président de la République.
En conséquence, nous avons déposé une proposition de loi constitutionnelle qui, seule, nous permettra de reprendre le contrôle. Nous verrons bien, lors de son examen, le 7 décembre prochain, ce que le Parlement souverain en dira. Monsieur le ministre, comprenez bien que les Républicains, parfaitement conscients des enjeux, entendent éviter que cette loi soit la quarantième d'une longue liste de textes inutiles ou inefficaces. Nous voulons un vrai changement de paradigme : non pas gérer les flux migratoires, mais en finir avec l'immigration de masse.
Le groupe Démocrate aborde l'examen de ce projet de loi animé d'une double préoccupation : d'une part, bien comprendre l'attente de réforme de l'opinion publique, à laquelle il entend répondre et, d'autre part, être fidèle aux valeurs humanistes qui fondent notre conception de la démocratie, où toutes les réconciliations doivent être possibles. Le législateur a pour devoir de garantir le respect de ces valeurs et des principes républicains.
Le projet initial s'efforce à l'équilibre entre deux impératifs : l'intégration réussie pour les étrangers en situation régulière et la maîtrise efficace de l'immigration irrégulière. La réussite de l'intégration, d'abord, passe par la maîtrise de la langue, qui est la garantie première de la volonté de participer à un pays et d'adopter son mode de vie, et par l'engagement dans le travail, pour gagner sa vie.
S'agissant de la maîtrise de l'immigration irrégulière, le projet du Gouvernement vise, dans sa rédaction d'origine, à supprimer un certain nombre de facilités, qui sont autant de brèches dans la protection de notre pays contre l'immigration clandestine. Il raccourcit opportunément les délais nécessaires à l'examen initial des demandes d'asile et des recours ; en particulier, il réforme la CNDA. Nous déplorons que, dans sa volonté de dissuader à toute force l'immigration clandestine et de limiter l'immigration illégale, le Sénat ait péché par esprit de système. En raccourcissant à l'excès les délais au détriment du droit au recours effectif, en imposant des exigences sans doute excessives aux étudiants étrangers, ou encore en définissant trop étroitement les conditions du regroupement familial, le Sénat a porté des atteintes qui nous paraissent disproportionnées aux libertés constitutives des principes de la République.
Sur tous ces points, le groupe Démocrate soutiendra des amendements de suppression. Tout d'abord, il faudra revenir sur la suppression pure et simple de l'AME et supprimer les dispositions relatives à la nationalité, qui sont manifestement sans lien avec le projet initial. Il convient de définir des règles claires pour l'entrée et le séjour des étrangers, en particulier des mineurs non accompagnés, faire respecter notre souveraineté, lutter avec vigueur contre les passeurs et les marchands de sommeil, empêcher le dévoiement du droit d'asile. À cet égard, nous saluons la volonté de réduire les délais de traitement des demandes.
Sur la question des métiers en tension, le compromis trouvé au Sénat sous l'impulsion de notre partenaire, l'Union centriste, ouvre un chemin. En laissant la main aux préfets, il inscrit dans la loi ce que l'on constate toujours dans la réalité. Nous comprenons l'esprit de cette disposition, mais nous nous interrogeons sur son impact réel sur le nombre de régularisations et les métiers concernés. En outre, le groupe Démocrate souhaite une clarification des responsabilités respectives du maire et de l'administration dans la vérification des conditions de vie des étrangers. Il est également attaché à la reconnaissance explicite par la loi du rôle des associations. Enfin, notre groupe s'interroge sur l'application de ces dispositions et la capacité de l'administration à s'y adapter. La question se pose particulièrement à propos du traitement expérimental dit à 360 degrés des demandes de titre de séjour.
Vous l'aurez compris, nous souhaitons parvenir à un texte équilibré. Nous devons nous donner toutes les chances de réussir la réforme par un travail de fond, en responsabilité, en faisant preuve de pragmatisme et d'humanisme.
Monsieur le ministre, il y a un an, vous présentiez un texte, avec le ministre du travail, dans un duo assez bien rodé. Ce texte initial, je dois le confesser, constituait une base de discussion intéressante, s'agissant notamment de l'intégration par le travail, qui demeure, de notre point de vue, le moyen le plus opérant d'accueillir dignement un étranger dans la communauté nationale.
À cet égard, Olivier Dussopt déclarait : « C'est une forme d'absurdité du système. On enferme certains étrangers dans l'inactivité et d'autres dans l'illégalité. » Vous-même, monsieur le ministre, avez enfoncé le clou, en affirmant : « Nous ne donnons peut-être pas assez de titres de séjour aux gens qui travaillent et qu'un certain patronat utilise comme une armée de réserve […] ». Alors, on s'interroge : entre le texte présenté il y a un an et celui qui nous arrive du Sénat, que s'est-il passé ? On devait examiner un texte méchant avec les méchants et gentil avec les gentils, on se retrouve avec un texte méchant avec tout le monde. Ce projet de loi désintègre plus qu'il n'intègre ; il accroît les contraintes et multiplie les motifs de contentieux.
Au fond, on se demande qui est le vrai Gérald Darmanin : celui qui présente un texte en Conseil des ministres, dont on a le sentiment qu'il s'inscrit dans un cadre républicain, ou bien celui qui donne des avis de sagesse coupables au Sénat parce que la fin justifie les moyens ?
Venons-en au fond. À ce stade, le droit des étrangers va poursuivre sa vie en absurdie et dans le royaume de l'hypocrisie. De ce point de vue, la liste est longue. On peut par exemple, dans notre pays, travailler, avoir le devoir de payer des cotisations et ne pas se voir reconnaître de droit en retour. Plusieurs centaines de milliers de travailleurs irréguliers subissent cette situation profondément injuste. Quant à celui qui ne travaille pas, parfois sous le coup d'une OQTF absurde parce qu'inapplicable, il restera soumis à la clandestinité et à une épreuve terrible pendant des années avant que la République ne consente à l'accueillir en son sein.
Par ce texte, vous cédez au mythe de l'appel d'air, selon lequel, si on traite trop bien les populations étrangères qui arrivent sur notre sol, on fera face à une submersion. Au nom de ce mythe, on dégrade l'accueil de ces populations, en pensant que l'on va tarir la source – ce n'est pas la lutte contre les passeurs ou les marchands de sommeil qui changera cette réalité.
Chacun sait que notre politique migratoire n'est ni généreuse, ni ferme : elle est brouillonne, confuse et souvent illisible. La France accueille mal, protège mal, intègre mal et même reconduit mal. Les Français doivent comprendre que ce texte, en l'état, c'est plus de précarité, plus de travail dissimulé, plus de contentieux, plus de gens malades : en un mot, c'est plus de désordre.
Le groupe Socialistes défendra une politique de l'ordre républicain fondée sur des critères d'admission clairs, une véritable politique d'accueil et d'inclusion, notamment par le travail mais aussi par l'éducation, l'enseignement du français comme des valeurs de la République, l'accès à la santé, bien entendu, une répartition organisée et solidaire chez nos voisins européens comme sur le territoire national, ainsi que des moyens pour instruire correctement les droits des étrangers ou protéger les mineurs non accompagnés.
Nous voulons croire qu'il existe une majorité de députés pour faire revenir ce texte dans le champ de la République et de ses principes, en particulier sur la suppression de l'AME, les conditions de maîtrise de la langue française, la terrible franchise de cinq ans introduite par le Sénat pour accéder aux allocations sociales, les quotas ou bien encore la remise en cause du droit du sol. Sachez que le groupe Socialistes, sans idéologie mais non sans idéal, se battra pied à pied sur chacun de ces points et bien d'autres encore, pour ramener le texte dans le champ de la République dont il est malheureusement sorti.
Au cours des dernières décennies, de nombreux textes ont traité de la politique migratoire, sujet qui nous touche toutes et tous profondément, pour d'innombrables raisons. C'est une question sensible, car elle est au cœur de ce qui fait la France, de ce qui l'a faite et de ce qui la fera. Depuis des décennies, nous souffrons d'une incapacité à nous projeter, à définir une trajectoire en la matière. Cela conduit parfois à des largesses, des mesures permissives mais aussi à des injustices, que les Français, à juste titre, n'acceptent plus. La réponse à la question migratoire inquiète légitimement nos compatriotes. Elle suppose de la nuance, qui n'empêche en rien la fermeté et, surtout, le réalisme. C'est un sujet bien trop sérieux pour que le débat public se limite à la petite phrase, n'en déplaise à certains.
Il faut le reconnaître et ne pas avoir peur de le dire : notre pays connaît parfois des tensions exacerbées, en raison d'une immigration que certains de nos compatriotes considèrent comme subie. Notre modèle social et nos services publics sont soumis à une forte tension, ce qui pousse nos capacités d'intégration à leurs limites extrêmes. D'un point de vue économique, l'immigration est un moteur, mais entraîne aussi, parfois, la paupérisation de nos travailleurs. Enfin, nous ferons face, au cours des décennies à venir, à un vertige démographique.
Il est donc grand temps de changer de braquet et de porter une véritable vision de la politique migratoire française. Le système actuel est trop fragile et doit être adapté pour préserver la cohésion nationale. Je ne crois pas que le projet de loi règlera toutes les difficultés, mais il n'en demeure pas moins indispensable, car il vise à instituer un système dans lequel nous ne subirons plus ou, en tout cas, nous subirons moins, notamment grâce au resserrement des conditions de regroupement et de réunification familiale et à la limitation du renouvellement des cartes de séjour temporaires.
Ce texte est indispensable aussi parce qu'il est grand temps de muscler notre stratégie d'éloignement. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, nous partageons avec vous la volonté de lever un certain nombre de protections à l'égard des étrangers qui constituent une menace pour l'ordre public. Il faut donner aux préfets les moyens de refuser ou de retirer le titre de séjour à ces personnes. Soyons très clairs : un étranger qui ne se conforme pas aux principes républicains et constitue une menace pour l'ordre public doit être éloigné ou expulsé.
Le projet de loi est indispensable, enfin, car il replace les valeurs de la République, la langue, le travail au cœur de l'intégration. Cette exigence républicaine n'est pas même une condition, c'est un préalable. L'immigration ne saurait conduire à un délitement de nos valeurs fondamentales, dont le travail fait partie. C'est une condition incontournable de l'intégration et de la nécessaire contribution de chacun à notre pays.
Néanmoins, ce texte ne suffira pas car, depuis la création de l'espace Schengen, agir seul n'a pas grand sens. Une action collective européenne doit se déployer au côté, bien sûr, d'une stratégie nationale de protection de nos frontières. À ce titre, nous espérons que le pacte sur la migration et l'asile aboutira avant l'échéance de juin 2024.
Il est une autre raison pour laquelle le texte ne suffira pas : en matière d'éloignement, ce n'est pas seulement notre arsenal juridique qui manque d'efficience, mais bien notre capacité réelle à éloigner les intéressés. Nous n'avons qu'une option crédible : agir sur les pays source, en conditionnant l'attribution de l'aide au développement à la coopération en matière de réadmission et en limitant drastiquement le taux et la durée de délivrance des visas. Nous ne pouvons pas continuer à financer massivement des projets structurants dans ces pays sans exiger une coopération efficace en matière de réadmission.
Monsieur le ministre, est-il possible de concilier la politique d'attractivité internationale menée par la France et une politique de réduction rationnelle de nos flux migratoires ?
Le passage à la caisse du supermarché est un véritable calvaire pour le porte-monnaie de nos concitoyens. Nos enseignants sont à bout et les inégalités scolaires demeurent parmi les plus élevés de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques. Quelque 3 millions d'enfants ne partent jamais en vacances. Des milliers de gens crèvent de froid dans la rue ou dans des passoires thermiques. L'ONU nous alerte sur l'accélération du grand réchauffement. La France est régulièrement condamnée pour ses régressions en matière de libertés ou de droits humains.
Mais vous, vous paralysez le débat public, déjà suffisamment englouti sous les thèmes et les termes de l'extrême droite, avec une question : comment durcir encore les conditions d'accès et d'accueil dans notre pays ? Quel cadeau fait à Marine Le Pen !
Peu importe que vous sachiez, au fond, que vous ne pouvez rien faire, en réalité, contre un phénomène humain – la migration – qui existait avant vous et qui continuera à exister après vous. Vous ne pouvez et vous ne pourrez rien de plus que vos vingt-neuf prédécesseurs, qui ont produit vingt-neuf lois sur le sujet en quarante ans. Ces vingt-neuf lois, monsieur le ministre de l'intérieur – la trentième ne fera pas exception – n'auront eu que deux effets : plus d'argent dans la poche des passeurs, qui indexent leurs tarifs sur les difficultés à passer nos frontières, et plus de cadavres qui flottent en mer Méditerranée ou qui gèlent dans les Alpes.
Peu importe, pour vous, que la majorité des migrations aient lieu entre pays du Sud, ce qui anéantit le grand délire de la submersion migratoire.
Peu importe, pour vous, qu'aucune étude statistique, aucune réalité historique, aucun fait n'accrédite l'hypothèse de potentiels appels d'air liés à des politiques plus inclusives.
Peu importe, pour vous, que la part des étrangers en France soit globalement stable depuis des années.
Peu importe, pour vous, que des milliers de gens honnêtes vivent, travaillent, aiment, enrichissent notre pays chaque jour sans papiers – ne parlez pas de votre article 3, qui est mieux que rien, mais presque rien.
Peu importent, pour vous, les valeurs qui fondent la République et sa devise, qui consacrent la fraternité.
Peu importe, pour vous, notre histoire, faite de transformations et de migrations.
Peu importe, pour vous, que, par ce texte, vous abîmiez l'image de la France dans le monde, son rayonnement, en envoyant un signal de repli et de rabougrissement.
Peu importe, pour vous, que les étudiants étrangers repartent quasiment tous dans leur pays d'origine après leurs études et n'aient rien à faire dans les statistiques de l'immigration.
Peu importe, pour vous, que la véritable urgence consiste à engager des moyens en faveur de l'inclusion, de l'hébergement, de la protection des mineurs pour garantir la dignité de toutes et de tous.
Tout cela vous importe peu, car vous voulez votre loi, à tel point que vous sacrifiez votre promesse d'équilibre, mal en point dès le texte initial, sur l'autel de toutes les compromissions avec la droite radicalisée, donnant votre blanc-seing pour faire entrer par pans entiers le programme de Marine Le Pen et de son père dans la loi – on l'a vu avec l'avis de sagesse, mal nommée, donné par le Gouvernement sur la suppression de l'AME.
Monsieur le ministre de l'intérieur, vous pouvez encore, je le crois, éteindre l'incendie que vous avez vous-même allumé, puisque vous nous promettiez, il y a plus d'un an – ce texte a connu un parcours chaotique – un équilibre et une majorité. L'équilibre n'est visiblement pas au rendez-vous : vous avez entendu comme moi les uns et les autres s'exprimer. La majorité n'existe pas davantage, ce qui vous a contraint à vous rallier sur bien des aspects aux positions de la droite radicalisée au Sénat, et que vous serez obligé, compte tenu de cette absence de majorité, d'entamer avec elle, ici, un marchandage mortifère sur le dos de l'État de droit, des droits des exilés et de nos principes les plus fondamentaux.
Vous pouvez encore, monsieur le ministre de l'intérieur, apaiser notre pays, arrêter cette folle surenchère vers l'abîme, en suspendant l'examen de ce texte et en nous permettant de débattre sur les véritables préoccupations des Françaises et des Français – pour leur pouvoir d'achat, la dignité, l'inclusion et l'intégration. Voilà ce que sera la boussole des écologistes dans ce débat, pour faire des exilés autre chose que des menaces ou des variables d'ajustement économiques.
Je veux commencer par dire combien les débats au Sénat, les mots choisis pour parler des personnes exilées marquent, ou peut-être d'ailleurs confirment un basculement. De très nombreuses propositions tournent le dos, ni plus ni moins, à toute volonté d'intégration dans notre pays de personnes étrangères. Elles se rapprochent finalement du principe de la préférence nationale et je crois qu'elles ne font pas que flirter avec de grands poncifs racistes. Elles illustrent en fait assez bien les propos, que je trouve très inquiétants, de Pierre Brochand, qui expliquait il y a peu que nous sommes ligotés par notre État de droit. Je pense profondément le contraire et je crois que le laisser-faire du Gouvernement au cours des débats au Sénat est particulièrement coupable, en ce qu'il légitime une vision suspecte de l'étranger. Cela n'a rien d'étonnant, finalement, puisque vous avez ouvert un boulevard à ces idées, dans un contexte politique hystérisé par les mythes de l'appel d'air et du grand remplacement. Pourtant, je le rappelle, la France n'est pas le plus grand pays d'immigration en Europe, tant s'en faut, ni celui qui y accueille le plus de réfugiés. Notre pays n'a jamais accueilli de grandes vagues de réfugiés dans des proportions correspondant à sa population ou même à sa richesse.
Sous couvert de la lutte contre ce chimérique appel d'air, ce sont les droits des personnes qui sont bafoués. Certes, cette réforme accélère ou cherche à accélérer les procédures d'examen des demandes d'asile, mais elle le fait au détriment des droits individuels. Elle accentue la mise sous contrôle des demandeurs d'asile, facilite les expulsions, durcit les conditions d'accès aux titres de séjour, affaiblit les droits et garanties des personnes étrangères.
Le projet de loi s'inscrit dans un récit aux racines xénophobes qui cherche à établir un trait d'union abject entre immigration et délinquance – un discours que vous relayez volontiers, monsieur le ministre, en usant de vocables manichéens désignant les gentils et les méchants. Heureusement, de merveilleux auteurs pour la jeunesse, comme Tomi Ungerer, sont passés par là pour expliquer à nos enfants que le monde est un tout petit peu plus compliqué que cela. Vous véhiculez ce discours par des tweets quotidiens et des circulaires invitant à multiplier les OQTF – tout en sachant que, dans bien des cas, elles ne sont pas possibles – et le placement en rétention des auteurs de troubles à l'ordre public – une notion très large et arbitraire. Le volet « méchants » est donc bien présent ; il se traduit par une véritable criminalisation des migrants et, au passage, des assauts de solidarité, au mépris de nos engagements conventionnels.
À côté de cela, le projet de loi comporte des lacunes fondamentales : je pense notamment à la question de l'hébergement immédiat, de l'accueil inconditionnel. Ce qui est en jeu, ici, ce n'est pas tant le laxisme ou la fermeté de vos politiques migratoires, mais le désordre qu'elles provoquent. Personne ne peut accepter que des personnes exilées se retrouvent à la rue, dans des campements : ni les intéressés, ni nous-mêmes, ni les riverains. La seule réponse possible est évidemment de faire en sorte que ces personnes soient hébergées, qu'elles puissent travailler et que les enfants soient scolarisés. L'accueil est bon non seulement pour le respect des droits, mais aussi pour notre cohésion sociale.
La régularisation des travailleurs sans papiers a visiblement été réduite, dès le projet de loi initial, à une approche utilitariste limitée aux seuls métiers en tension. Nous combattrons évidemment cette idée, en défendant une régularisation de toutes et tous par le travail.
Au cours du mois à venir, nous aurons l'occasion d'échanger sur ce qu'est notre immigration, notre façon d'intégrer et sur ce qu'elle devrait être. Si l'on regarde dans le détail le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), on constate que la partie législative n'est pas la plus importante, en comparaison des dispositions de nature réglementaire et d'origine européenne. Il faut avoir l'honnêteté de reconnaître que nos moyens sont limités. Nous devons être lucides et prendre en considération le principe de réalité. La recherche du pragmatisme et de l'équilibre doit nous guider tout au long de l'étude du texte.
On peut se demander, par exemple, si l'AMU – aide médicale urgente – figure à la bonne place dans le texte et, le cas échéant, si elle ne risque pas d'aggraver la surcharge de nos hôpitaux et des services d'urgence. Nous devons nous poser cette question, car elle renvoie à des problèmes réels, comme nous devons nous interroger sur l'opportunité de revoir le panier de soins, qui, par son ampleur, peut interpeller nos concitoyens.
Il en va de même pour l'article 3. D'une part, il faut définir des critères stricts qui ne laissent aucun doute sur l'objectif recherché, à savoir l'intégration par le travail en cohérence avec les besoins des territoires et des entreprises qui y sont implantées. D'autre part, il faut des critères clairs, afin d'éviter de créer des pompes d'aspiration, mais il serait incohérent d'occulter la réalité de la main-d'œuvre étrangère en France. Il faut donc trouver une voie de passage sur les métiers en tension, qui sont une réalité, afin de répondre à une demande de nos entreprises au sein de la grande majorité, voire de la totalité de nos territoires. Il serait aberrant d'occulter cette demande économique. Dans le même temps, il convient de prévoir des sanctions fortes contre les entreprises qui profitent du système et qui exploitent des personnes en situation difficile.
Il existe également un réel besoin de réformes administratives. Nous devons repenser notre façon de faire, non seulement pour réduire, autant que possible, les délais, mais aussi pour gagner en efficacité. Cela nécessite un investissement massif dans nos services, d'autant plus que, comme le montre un rapport récent, les services des étrangers, au sein des préfectures, ont subi une diminution considérable de leurs moyens. Il faut également accroître la départementalisation des services, en lien, notamment, avec l'OFII et la CNDA, car cela aiderait à résoudre un certain nombre de difficultés.
Enfin, il est essentiel d'éloigner les étrangers menaçant l'ordre public. Il faut le faire de manière plus rigoureuse, plus rapide, plus exigeante, et ne faire preuve d'aucune faiblesse face à des obstacles que nous avons parfois nous-mêmes créés.
Ce texte doit conduire à un résultat que les vingt-neuf précédents n'ont pas su atteindre : offrir un accueil sans doute moindre pour assurer une meilleure intégration et répondre aux difficultés présentes et à venir.
« L'augmentation rapide du nombre d'étrangers en France participe à l'embolie de beaucoup de nos services publics. » Cette citation n'est pas de moi, mais d'un ancien Premier ministre : Édouard Philippe. L'exercice du pouvoir permet, semble-t-il, d'ouvrir les yeux sur la réalité !
La politique d'immigration de la France est un échec, avec plus de 320 000 titres délivrés en 2022, contre 277 000 en 2019, et une immigration clandestine que nous ne parvenons toujours pas à maîtriser – sans même songer à la juguler. Ce n'est malheureusement pas nouveau, mais M. Macron n'a rien résolu. Victime de son « en même temps » permanent, il explique qu'il veut être ferme sur les expulsions, mais qu'il faut, en même temps, encourager l'intégration et l'installation d'immigrés dans les campagnes. Il dénonce une politique absurde, fois inefficace et inhumaine, mais il oublie que c'est sa propre majorité qui a élargi la réunification familiale aux frères et sœurs de réfugiés, et que le regroupement familial a grimpé d'environ 18 % en 2021, après avoir augmenté de 28 % en 2020.
Je refuse cependant le fatalisme en matière d'immigration. Une grande diversité de solutions existe chez nos voisins européens, qu'il s'agisse du Royaume-Uni, de l'Allemagne ou du Danemark, dont nous pourrions nous inspirer, à condition d'y mettre le prix : il faudrait notamment adopter de bonnes pratiques dénuées d'idéologie, dans le cadre d'une réelle vision stratégique, éviter les appels d'air, renforcer l'assimilation et les conditions d'acquisition de la nationalité française, et être fermes avec les délinquants étrangers. J'y ajouterai quelques mesures toutes simples, consistant par exemple à supprimer le droit du sol, à refuser automatiquement l'asile à une personne faisant l'objet d'une OQTF, à faire en sorte que le droit d'asile ne soit pas détourné chaque jour avec l'aide d'associations qui jouent contre notre pays et contre ceux qu'elles prétendent défendre, et à refuser de marier un clandestin faisant l'objet d'une OQTF.
Monsieur le ministre, j'espère simplement, mais sincèrement, que le petit jeu parlementaire du détricotage ne donnera pas, une fois encore, une image catastrophique de notre pays, car les Français nous attendent avec des mesures efficaces et de bon sens afin de redonner à la France le droit d'accueillir sur son sol qui elle veut.
Je remercie les rapporteurs de leurs observations et de leur positionnement, qui se situent dans l'esprit du texte du Gouvernement et des modifications que lui a apportées le Sénat. Je souscris à la plupart de leurs remarques.
Monsieur Serva, je suis favorable aux articles visant, territoire par territoire, les outre-mer. Le procédé est original, mais il permettra que chaque territoire ultramarin se sente respecté. De fait, les difficultés n'étant pas les mêmes à Mayotte qu'en Guyane ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, il serait absurde de tout englober dans des dispositions générales sous un titre ultramarin, et insultant de renvoyer ces dispositions à une ordonnance. La situation est, en outre, différente à cet égard pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, où le droit ne s'applique pas de la même manière que dans les territoires régis par l'article 73 de la Constitution. Menons ensemble, si les territoires le souhaitent, des consultations article par article pour aboutir à des dispositions particulières adaptées aux difficultés de chacun d'entre eux.
Le texte fait l'objet de nombreuses critiques, mais heureusement pas de la part de tous les députés. Je remercie tous ceux qui le soutiennent, notamment les députés du groupe LIOT, qui expriment des réserves que je suis prêt à entendre. Je constate toutefois que les plus critiques ne formulent pas beaucoup de propositions, et c'est un peu dommage. Mieux vaudrait en effet parler du texte de loi tel qu'il existe, modifié par le Sénat, plutôt que d'une version inventée où on ne le retrouve pas toujours. Ainsi, une durée de rétention de dix-huit mois n'y figure pas – mais peut-être les choses seront-elles plus simples quand nous examinerons le texte article par article et amendement par amendement, avec moins de suivi médiatique.
Je tiens à souligner, à l'intention des députés du groupe Rassemblement national, que le texte ne vise évidemment pas l'immigration régulière, mais l'immigration irrégulière. Du reste, à moins d'être purement et simplement opposé à l'immigration – ce qui ne me semble pas être ce qui ressort de vos propos, ni de ceux de votre candidate à l'élection présidentielle –, mieux vaut une immigration régulière qu'une immigration irrégulière. L'immigration régulière devrait faire l'objet d'un débat – c'est ce que nous souhaitons et ce qui se fait dans tous les pays au monde : qu'ils choisissent de l'organiser par quotas, par objectifs, par métiers ou par zones géographiques, les grands pays démocratiques ont toujours une immigration régulière. Évoquer le nombre de titres de séjour que nous délivrons n'a, ainsi, pas beaucoup de sens, car ce qui compte est de savoir si nous sommes capables de lutter contre l'immigration irrégulière.
Par ailleurs, vous faites semblant de ne pas voir que vos dispositions n'empêcheront en aucun cas les demandes d'asile, car ni votre programme, ni les politiques de nos voisins européens qui s'inspirent parfois de la vôtre ne démontrent leur efficacité. La comparaison avec d'autres pays européens qui connaissent à peu près les mêmes difficultés que la France est à cet égard intéressante.
D'abord, c'est une contrevérité flagrante que de dire que la France est le pays qui offre le meilleur taux de protection. En effet, ce taux est d'environ 25 % à l'Ofpra et, par des mesures de justice administrative, en première instance ou en appel, de 40 % après passage devant la CNDA, contre 46 % en Allemagne et de 62 % chez vos amis Italiens. Parmi les trois grands pays comparables, la France est donc celui qui présente le moindre taux de protection accordée aux demandeurs d'asile – en d'autres termes, c'est en France qu'on a le moins de chances de l'obtenir, alors que nous avons à peu près le même nombre de demandeurs. La situation est donc assez difficile, monsieur le député, pour que vous puissiez vous abstenir de dire des idioties qui sont des contrevérités flagrantes, sans quoi nous ne parviendrons pas même à nous entendre sur le constat.
Ce qui est inquiétant, c'est que nous ne disposons d'aucune possibilité de trouver d'autres solutions que celles que nous poursuivons, à savoir une simplification drastique des procédures.
En Grande-Bretagne, M. Boris Johnson a été élu sur un programme politique qui est grosso modo le vôtre – à savoir le Frexit. Vous êtes en effet favorables à ce que la France sorte de l'Union européenne et des traités européens, et même, à ce que j'entends dire, de la Convention européenne des droits de l'homme – peut-être cela fait-il désormais débat dans vos rangs, mais ce n'est pas grave. Toujours est-il que, depuis qu'il est sorti des traités européens, le Royaume-Uni n'a jamais connu autant d'immigration irrégulière, ni aussi peu d'expulsions du territoire britannique – 5 000 expulsions par an, pour 1 million d'étrangers irréguliers, contre 20 000 à 22 000 en France, avec environ deux fois moins d'immigration irrégulière.
La Cour suprême du Royaume-Uni – ce pays qui, selon les partisans du Brexit, a retrouvé sa souveraineté – vient de dire au gouvernement de ce pauvre M. Sunak, qui doit désormais assumer l'héritage de M. Johnson, que non seulement le projet d'expulser les immigrés au Rwanda ne tenait pas debout – de fait, ni le Danemark, ni la Grande-Bretagne, ni personne n'a jamais envoyé un réfugié au Rwanda –, mais qu'il resterait impossible à appliquer même si la Grande-Bretagne sortait de la CEDH. Pour appliquer votre programme, monsieur le député, ce n'est pas de la CEDH ou de l'Europe qu'il faudait sortir, mais bel et bien du monde – ce qui est évidemment difficile. À en croire la Cour suprême britannique, vous jetez de la poudre de perlimpinpin, car vous savez que c'est trompeur.
En Italie, où Mme Meloni applique une autre solution en promettant un blocus naval – que nous ne voyons pas venir – et la fin de l'immigration irrégulière grâce à un projet de loi, il n'y a jamais eu autant d'immigration irrégulière que depuis cinq ans, au point que Mme Meloni, fort raisonnablement, a appelé à son secours la Commission européenne et Mme von der Leyen.
La solution anglaise et la solution italienne sont toutes deux des échecs. De fait, la question de l'immigration est très difficile et, en la matière, nos voisins ne réussissent pas mieux que nous – ils font même parfois bien pire. Mme Meloni, après avoir appelé à l'aide Mme von der Leyen, qui s'est rendue à Lampedusa, a voté, sur proposition de la France, notre pacte migratoire fondé sur Eurodac et le règlement « screening » – j'y suis particulièrement attentif en tant que représentant la France depuis trois ans et demi aux conseils des ministres de l'intérieur européens.
Les éléments de comparaison dont nous disposons quant à l'application du programme du Rassemblement national à l'étranger montrent bien que ce sont des mensonges à l'intention des Français. Si vous avez des contre-exemples, je suis preneur, mais vous n'êtes capables de citer aucun pays où l'arrivée de populistes tels que vous se serait traduite, dans le domaine de l'immigration, par des résultats en termes de protection de la population. En revanche, nous en connaissons deux qui ont essayé d'appliquer une partie de vos présupposés et qui en ont retiré des échecs flagrants.
Vous pourriez au moins vous en rendre compte et reconnaître que le texte – dont vous n'avez pas parlé, mais dont j'espère que nous parlerons au cours du débat – offre des avancées en matière de lutte contre l'immigration irrégulière, de pénalisation des passeurs ou de simplification administrative. J'observe, à cet égard, un décalage entre les propos de votre candidate et présidente de votre groupe, d'une part, et ceux que vous tenez désormais, d'autre part.
Madame Martin, j'ai entendu répéter plusieurs fois que vingt-neuf textes avaient été consacrés à l'immigration depuis 1983. La belle affaire ! Ce n'est pas parce qu'un argument est répété qu'il est vrai. Ceux qui, comme M. Saulignac ou M. Lucas, ont participé à des majorités soutenant les gouvernements de M. Hollande se souviennent que trois textes sur l'immigration ont été adoptés en quatre ans sous ce président, tandis qu'un seul l'a été en six ans de mandat de M. Macron. Monsieur Lucas, M. le président de la commission des lois m'indique que vous avez été président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), mais si vous émettez une critique, c'est à la gauche qu'elle s'applique. Toujours est-il que je ne fais pas grief à M. Hollande de ces mesures, car il faut, par définition, adapter notre législation au mouvement des hommes et aux difficultés.
Voilà quinze ou vingt ans, les ministres de l'intérieur qui m'ont précédé avaient des relations diplomatiques avec le Sahel, le Mali, la Libye, l'Irak et l'Afghanistan, ce qui n'est plus du tout le cas aujourd'hui. Les réfugiés climatiques sont un phénomène assez nouveau et il n'y a que quatre ou cinq ans que 25 à 30 millions de personnes sont déplacées dans le monde, soit 60 000 personnes par jour : ce n'était pas le cas voilà vingt ans. La question de la pénalisation des relations sexuelles et la situation des personnes transgenres sont elles aussi des questions très nouvelles, du moins pour les gouvernants, qui ne se posent que depuis quelques années, et certainement pas depuis vingt-cinq ou trente ans. Face aux actes de terrorisme de Daech ou de l'État islamique et à des difficultés très fortes, il était normal que le président Hollande propose des dispositions. Évitons donc les arguments populistes. Je m'adresse aux partis de gouvernement : vous qui avez fait trois lois en quatre ans, laissez-nous en faire une durant un quinquennat. La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, ou loi Collomb, a ses inconvénients, mais aussi des avantages certains. Ainsi, la réduction d'un an à cinq mois de la durée d'examen des dossiers des demandeurs d'asile a changé la vie de dizaines de milliers de personnes. Je n'ai rien contre les comparaisons mais, monsieur Lucas, si nous étions aussi durs que vous le dites, pourquoi, en Allemagne, le gouvernement des Verts et des socialistes prend-il des dispositions bien plus dures que les nôtres ? Regardez donc ce qui se passe à côté de chez nous : si je vous parais trop dur, il est urgent d'exclure de l'internationale verte vos collègues Verts allemands ! Vous en riez vous-même, car il s'agissait là d'un argument de tribune auquel ne croyez certainement pas.
Monsieur Saulignac, monsieur Lucas, vous parvenez, à vous deux – pour m'en tenir aux partis de gouvernement et sans compter les interventions de La France insoumise ou du parti communiste –, à parler huit minutes sans évoquer un seul instant les progrès sociaux qu'apporte ce texte et que vous avez pourtant réclamés depuis cinquante ans lorsque vous étiez dans l'opposition, sans jamais les réaliser lorsque vous étiez dans la majorité.
Ainsi, vous n'avez pas parlé de la fin de la présence des mineurs dans les centres de rétention administrative, belle idée de gauche que tout le monde réclame depuis cinquante ans – qu'il s'agisse du Défenseur des droits ou du Défenseur des enfants, de la Cour européenne des droits de l'homme et ou de l'ensemble des associations. C'est nous qui le faisons, et vous avez préféré caricaturer le propos, parce que cela vous servait. C'est tout de même incroyable !
Au Sénat, j'ai donné un avis favorable à la proposition du groupe socialiste de fixer la limite à 18 ans. Le Sénat ne l'a pas voulu, mais j'ai annoncé que je recommencerai ici. Or, vous n'avez pas eu un mot pour dire que c'est nous qui faisons en sorte qu'il n'y ait plus de mineurs dans les centres de rétention administrative, car vous préférez camper sur des positions idéologiques. Nous devrions pourtant tous être satisfaits de constater que, ce que le gouvernement socialiste n'a jamais fait, ni sous M. Jospin, ni sous M. Hollande, ni sous M. Mitterrand, nous le faisons.
Les cours gratuits pour les étrangers, réclamés à chaque instant par toutes les associations, c'est nous qui le faisons. On peut désormais apprendre le français pendant ses heures de travail, payé par l'employeur. C'est un magnifique progrès social, qui évitera à la femme de ménage qui fait une heure et demie de RER pour venir travailler à quatre heures du matin, puis une autre heure et demie pour rentrer, d'aller reprendre des cours à quinze heures, au moment où elle doit s'occuper de ses enfants, de sa famille ou, tout simplement, de sa vie.
Le titre de séjour accordé aux personnes exploitées est une idée formidable, développée en co-construction avec le groupe communiste au Sénat – lequel n'a manifestement pas la même position que Mme Faucillon, mais c'est un autre sujet que je vous laisserai trancher entre communistes. C'est très cohérent, mais cela ne vous fait pas réagir, car vous avez une vision très théorique de l'immigration et de l'exploitation des personnes, et vous n'osez pas dire que des progrès importants ont été réalisés. Que tout ne vous satisfasse pas, je l'entends bien, car cette loi n'est évidemment pas celle de La France soumise ou du parti communiste, et je mesure la différence abyssale qui nous sépare sur certains points, mais vous pourriez au moins dire que, pour certaines de ses dispositions, ce texte n'est pas voué aux gémonies.
Madame Genevard, qui peut le plus peut le moins. J'entends les arguments constitutionnels et conventionnels, mais le cas de la Grande-Bretagne a démontré que, même en sortant des traités européens – ce qui n'est certes pas exactement ce que vous prônez, mais nous en reparlerons lors de l'examen de votre proposition de loi constitutionnelle –, et même en écrasant les règles de la CEDH, il y aura toujours des dispositions qui s'imposeront et il y aura toujours des juges qui rendront un avis, y compris au nom de principes qu'ils créeront eux-mêmes.
Je sais que vous ne souhaitez pas remettre en cause la séparation des pouvoirs. La question est donc de savoir quelles adaptations nous pouvons apporter dans le cadre de notre Constitution et de la Convention européenne des droits de l'homme. Il s'agit là d'un débat constitutionnel. Nous pensons que nous pouvons largement améliorer les choses avec la loi ordinaire, sans renier nos principes ni tourner le dos aux engagements européens de la France et à tous les traités européens poussés par tous les présidents de la République qui appartenaient à votre famille politique, du général De Gaulle à Nicolas Sarkozy. Une fois donc écartée cette approche constitutionnelle et conventionnelle, et sachant que nous aurons un jour ce débat, reste tout ce qui ne relève pas de la Constitution ni de la CEDH, mais du pouvoir souverain de la France et du pouvoir du législateur.
Êtes-vous pour ou contre le fait d'imposer, comme le font tous les pays européens sauf deux, un examen de français pour obtenir un titre de séjour long ? Pour ou contre l'augmentation de la durée d'assignation à résidence pour les personnes dangereuses, comme le prévoit le texte ? Pour ou contre la possibilité de la coercition pour prendre les empreintes des étrangers afin de savoir s'ils sont mineurs ou majeurs et de connaître leur identité – mesure que nous ne sommes, là encore, que deux pays à ne pas appliquer ? Pour ou contre la criminalisation des passeurs, dont l'activité est un délit chez nous, alors que, partout ailleurs, c'est un crime ? Pour ou contre le retrait du titre de séjour pour adhésion à une idéologie radicale ? J'entends dire, en effet, que vous êtes favorables au retrait des titres de séjour et à l'expulsion, par exemple, des salafistes ou des Frères musulmans, alors qu'il n'existe aucune disposition en ce sens. Pour ou contre la simplification des procédures proposée par M. Buffet lui-même, dont nous reprenons in extenso le rapport ? Pour ou contre la suppression des dispositions qui empêchent aujourd'hui le ministre de l'intérieur d'expulser des étrangers délinquants, par exemple parce qu'ils sont arrivés sur le territoire national avant l'âge de 13 ans – restriction adoptée au début des années 2000 et que la France est seule à appliquer, et sur laquelle le Conseil d'État a expressément déclaré que le législateur pouvait revenir à son gré ? Pour ou contre une application de droits particuliers à Mayotte ou en Guyane, comme l'ont fait voter les sénateurs mahorais ou guyanais ? Ce sont là autant de dispositions qui ne dépendent ni de la CEDH, ni de la Constitution.
Il existe évidemment, madame Genevard, des points sur lesquels nous avons des désaccords mais, sans revenir sur les dispositions que vous avez évoquées au début de votre intervention, et à propos desquelles le président de la commission des lois avait invoqué avant votre arrivée le principe d'irrecevabilité, je répète que certaines choses qui figurent dans ce texte ne relèvent pas d'une réforme constitutionnelle.
Ce serait laisser penser que nous ne voulons pas avancer que de ne pas donner à nos policiers des choses aussi simples que, par exemple, les moyens de contrôler les véhicules de moins de neuf places à la frontière italienne. De même, aujourd'hui, dans la bande des 20 kilomètres, les policiers ne peuvent pas arrêter des passeurs qui transportent des moteurs de bateau entre le Nord et la Belgique pour traverser la Manche. Avons-nous besoin, pour leur donner ces moyens, d'une réforme constitutionnelle ?
Il y a certes des débats de nature européenne et constitutionnelle, que je ne veux pas trancher ici, et il peut y voir des désaccords, mais j'ai du mal à comprendre pourquoi il faut absolument changer la Constitution ou la Convention européenne des droits de l'homme pour adopter pour des choses aussi bêtes que chou qui empêchent concrètement nos policiers, nos gendarmes et nos préfets de faire leur travail et d'améliorer l'intégration. Je forme donc le vœu que nous puissions y réfléchir ensemble.
Enfin, je suis très favorable au lien qui devrait être établi, comme l'a souligné notamment M. Marcangeli, entre les visas et les laissez-passer consulaires (LPC). Il faut aider le Gouvernement à dire aux pays qui ne délivrent pas de LPC qu'il ne peut pas y avoir de visas sans discussions diplomatiques ni, parfois, de contraintes. Le Sénat a imaginé des dispositions en ce sens, mais je dois dire à la majorité qu'elles figuraient dès 2019 parmi les propositions du comité interministériel, et que le Président de la République a évoqué lui-même la difficile question de la conditionnalité de l'aide au développement pour certains pays qui ne jouent pas le jeu des laissez-passer consulaires ou qui persécutent une partie de leur population pour des raisons sexuelles ou religieuses. Ce débat est original et compliqué, mais il mériterait que nous l'ayons.
Enfin, il n'est pas tout à fait exact de dire que tous les ajouts qui ont fait passer le texte de vingt-sept à quatre-vingt-dix articles auraient été rédigés par le Sénat. Une vingtaine d'articles ont en effet été ajoutés par le fait du Gouvernement, avec vingt-six amendements que j'ai des moi-même proposés. On peut donc dire qu'il y a eu co-construction à 50-50, avec de nombreuses dispositions irrecevables, vingt-six amendements adoptés par le Sénat ayant créé autant d'articles qui introduisent notamment des dispositions difficiles intéressant tout le monde, comme l'asile en rétention, dont c'est la première apparition, la prolongation de la durée maximale de l'assignation à résidence, le raccourcissement des délais entre déplacement et rétention, ou la réforme du juge des libertés et de la détention (JLD), qui n'est pas non plus de nature constitutionnelle.
Il est évident qu'il est difficile de gérer le ministère de l'intérieur et de mener une politique migratoire, et qu'il y a, en la matière, des échecs. Ce que je viens demander au Parlement, ce sont des moyens supplémentaires pour être plus efficace.
Ce texte ne règle pas tout, et il faut trouver un équilibre, que chacun, dans son groupe politique, placera où il le souhaite. Cependant, le ministre de l'intérieur que je suis et tous les services placés sous son autorité – quel que soit le ministre – font le maximum de ce qu'ils peuvent avec les moyens dont ils disposent, puisqu'ils respectent les règles de la République.
À cet égard, un exemple très intéressant est celui de M. Iquioussen, qui se trouve depuis plus de cinquante ans sur le territoire de la République, a quatre enfants majeurs nés en France, est propriétaire et s'est marié en France, qui n'a rien fait et n'a aucun casier judiciaire, mais qui est un imam radical, que nous surveillons comme tel et qui est fiché S : depuis des années, l'État se demande comment se débarrasser de ce nauséabond Monsieur. J'entends les exclamations des députés du groupe La France insoumise – heureusement que vous n'avez jamais été à la tête de l'État !
La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, que vous avez votée, fixe un principe général : pour lutter contre le séparatisme, qui se situe entre la vie normale et la radicalisation ou le passage à l'acte terroriste, nous avons défini une disposition permettant d'écarter les gens qui touchent profondément le fonctionnement de notre nation. Fort de cette loi, j'ai fait procéder par le préfet du Nord à l'expulsion de M. Iquioussen, dans des conditions très difficiles. Au bout du compte, il n'est plus sur le territoire national, ayant appliqué lui-même cette décision de ne plus rester et de ne plus revenir sur le territoire national, ce qui est une très bonne chose.
Il est vrai que le tribunal administratif m'a donné tort, parce que ce Monsieur s'était marié et avait eu quatre enfants en France mais, à la fin des fins, le Conseil d'État me donne raison. C'est cela, être ministre de l'intérieur : on a parfois les mains dans le cambouis. Parfois on réussit, et parfois on ne réussit pas. Parfois, on va montrer au juge que telle personne est dangereuse et mortifère, en s'éclairant à la lumière de l'esprit du législateur, et au bout du compte, on vous donne raison. Je n'en tire aucune gloriole particulière, mais encore faut-il pouvoir aller devant le juge. De fait, il y a chaque année 4 000 délinquants étrangers dont je ne peux même pas demander l'expulsion, car vous ne m'y autorisez pas, en vertu d'une loi que vous avez votée voilà vingt ans. Je ne suis pas un ministre-dictateur tout-puissant.
Les ricanements de La France insoumise n'apportent rien en la matière, et la démocratie gagnerait à ce que nous ayons un débat digne. Il ne suffit pas d'avoir un discours humaniste à l'extérieur : il faut aussi traiter sérieusement les personnes. Il est ici question de l'intérêt général et de la sécurité des personnes. Je pourrais, je le répète, expulser 4 000 personnes de plus par an si la loi m'y autorisait.
Sur plus de 3 000 demandes d'expulsion que j'ai formulées, 2 500 personnes ont été expulsées en 2023. La justice, que je respecte profondément, m'a refusé 500 expulsions et il y en a 4 000 supplémentaires que je ne peux pas effectuer parce que vous n'avez pas voté cette disposition. Il faudra donc que nous en parlions – et que nous en parlions à nos électeurs.
L'intégration est un pilier fondamental pour faire nation et représente une part très importante de ce projet de loi. Cela concerne bien évidemment l'apprentissage de la langue, dont le groupe Renaissance fera un point crucial durant les débats. Pouvez-vous préciser, même si vous avez déjà beaucoup développé ce thème, les mesures consacrées à l'apprentissage du français ?
L'intégration englobera également l'accès à l'éducation, les soins de santé et tout ce qui permet de créer du commun. Là encore, la recherche d'un équilibre sera nécessaire et nous nous y emploierons.
Le volet relatif au travail est, lui aussi, essentiel. Il est primordial que nos politiques comblent les besoins du marché du travail et valorisent les compétences des personnes qui se trouvent sur nos territoires et qui ont envie de s'intégrer. Je ne compte plus le nombre d'entrepreneurs, d'artisans et de commerçants qui nous font remonter des situations incompréhensibles dans lesquelles des formalités administratives contraignantes empêchent des personnes étrangères de travailler sur des postes qu'ils ne parviennent par ailleurs pas à pourvoir. Encourager l'accès à l'emploi dans des secteurs en demande tout en garantissant des conditions équitables est une approche nécessaire, que nous soutiendrons lors des débats.
À ce titre, j'appelle votre attention sur les délais de traitement des dossiers en préfecture, qui sont encore bien trop longs et enkystent nombre de situations, surtout dans certaines grandes métropoles comme Lyon et le Rhône. Quelles sont les mesures que vous envisagez de prendre pour réduire les délais dans les services concernés ?
Ce projet de loi fait éclater au grand jour la discorde qui règne au sein de la majorité macroniste. Tout d'abord, notre attention a été attirée par les modifications calendaires de ce texte, annoncé à l'été 2022, puis remplacé par un débat sans vote dans l'hémicycle en décembre 2022. Voyant que ça coinçait dans la majorité, le Président de la République a envisagé, en mars 2023, de le saucissonner en deux projets distincts, l'un sur l'immigration, que vous défendez, monsieur le ministre, et l'autre sur le travail, porté par M. Dussopt – qui, soit dit en passant, a disparu des radars. Puis, un mois plus tard, le Président de la République s'est rétracté.
Monsieur le ministre, lorsque le président de la commission des lois annonce qu'il veut élargir les droits des étrangers extra-européens, notamment en leur octroyant le droit de vote et l'éligibilité aux élections municipales, et qu'il cosigne avec l'extrême gauche une tribune dans Libération soutenant la régularisation des clandestins, on se dit que, dans vos réunions de la majorité, il doit y avoir de l'ambiance !
Plus grave encore que cette instabilité de calendrier et ces petites peaux de banane que vous vous envoyez les uns aux autres, vous n'êtes pas d'accord entre vous sur le fond du texte. Un exemple : la transformation de l'aide médicale de l'État en aide médicale d'urgence (AMU). En octobre, monsieur le ministre, vous vous êtes dit favorable à cette évolution. Depuis lors, vos collègues Olivier Véran et Aurélien Rousseau, ainsi que Mme Borne, ont exprimé leur opposition à vos propos. Quant à Mme Firmin Le Bodo, ministre déléguée aux professions de santé, on ne sait pas trop ce qu'elle pense de tout cela. Vous avez alors dû sortir les rames pour essayer d'expliquer pourquoi vous avez changé d'avis à propos de l'AME. On vous a ainsi vu arguer qu'une suppression de l'AME serait censurée par le Conseil constitutionnel… Ce n'est pas très sérieux, quand on est ministre de l'intérieur, de n'en prendre conscience que maintenant.
Alors que près de trois quarts des Français souhaitent une transformation de l'AME en AMU, peuvent-ils nourrir l'espoir que vous retourniez encore votre veste sur ce sujet ? Si vous ne le faites pas, les 78 % de Français qui ont une mauvaise opinion de la politique migratoire de votre gouvernement n'ont aucune raison de changer d'avis.
Madame Diaz, la démocratie, c'est compliqué. Vous devriez peut-être essayer au Rassemblement national : ça vous changerait.
Par ailleurs, la défense du texte du Gouvernement dans une tribune peut aussi vous changer : vous devriez la lire, au lieu de raconter des choses erronées, même si, en tant que soutien inconditionnel de la Russie, vous avez l'habitude de recourir aux fausses informations.
Monsieur le ministre, comme vous l'avez dit dans Le Parisien, vous rêvez de supprimer l'AME. Le Sénat l'a fait pour vous.
Contrairement à ce que vous avez dit en introduction, on ne peut pas vivre de l'AME. Depuis 1893, l'aide médicale gratuite, dont l'aide médicale de l'État est l'héritière, résiste aux assauts démagogiques, xénophobes et racistes. Depuis 1893, elle subit des attaques à répétition, dont la dernière en date est la réforme de 2021, qui complique déjà le recours à l'aide médicale de l'État. Les exilés, confrontés au stress du statut migratoire et à sa précarité, aux expériences traumatisantes et aux obstacles sociaux et institutionnels, doivent être, au nom de nos valeurs humanistes, une population prioritaire en matière de santé publique.
Au lieu de cela, dans la France de l'égalité et de la fraternité, dans la France de 2023, dans la France dont vous rêvez, vous nous proposez de supprimer l'AME, qui est un dispositif élémentaire, garant du respect des droits de l'homme et des principes éthiques en matière de santé. L'AME, instaurée voilà 130 ans pour des enjeux de santé publique, repose sur des fondements essentiels. Des milliers de soignants et de médecins vous ont rappelé à l'ordre dans une tribune. Vous manipulez les Français avec de faux arguments économiques, vous agitez des peurs, vous alimentez les haines. Agiter le mythe de l'appel d'air est une diversion cynique – comme si un exilé prenait le temps de lire notre code de l'action sociale et des familles avant d'embarquer sur un bateau de fortune !
L'AME, c'est 0,4 % des dépenses d'assurance maladie, sur un total de 242 milliards d'euros. Il y a les grandes phrases, et il y a la réalité. Curieusement, vous n'évoquez jamais ce budget largement sous-utilisé. Plutôt que de vous attaquer aux délinquants financiers, vous préférez priver délibérément toute une population d'accès aux soins, prenant alors consciemment le risque de propager des maladies transmissibles.
En 2018, les prétendues fraudes à l'AME ont représenté 38 cas pour un montant équivalent à 500 000 euros, soit, 0,06 % des dépenses d'assurance maladie, c'est-à-dire 200 000 fois moins que les 100 milliards d'euros d'évasion fiscale.
Pourtant, monsieur le ministre, je ne vous ai jamais entendu prétendre à la suppression de l'évasion fiscale. Fort avec les faibles et faible avec les puissants, allez-vous laisser votre nom dans l'histoire comme celui qui mettra fin à 130 ans de solidarité ?
Monsieur le ministre, je vous poserai deux questions précises. Pour ce qui concerne l'AME, tout d'abord, vous avez émis au Sénat un avis de sagesse à propos de la transformation de l'AME en aide médicale d'urgence. Or, au vu de vos différentes interventions médiatiques, votre avis semble plus nuancé. Au moment d'examiner le texte qui arrive à l'Assemblée nationale, êtes-vous toujours favorable à cette mesure, qui respecterait le cadre européen en nous mettant au niveau des autres pays de l'Union ?
Par ailleurs, vous avez évoqué à plusieurs reprises la future inscription des étrangers sous OQTF au fichier des personnes recherchées (FPR). J'avais moi-même déposé au printemps dernier des amendements en ce sens, mais ils n'ont pas abouti. Êtes-vous toujours favorable à cette inscription, qui serait un outil supplémentaire pour nos policiers ? Le texte que nous allons examiner sera-t-il une occasion d'avancer dans ce domaine ?
Monsieur le ministre, à la suite de la première partie de vos réponses, j'aurai trois interrogations.
Tout d'abord, l'article 1er nouveau pose pour principe que la première délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant », évoquée à l'article 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda), est subordonnée au dépôt d'une caution par l'étranger. Quel est le montant de cette caution estimé a priori par vos services comme étant juste ou raisonnable, et quel en sera le mode de calcul ? Sera-t-elle appréciée en fonction du coût de la vie en France ou d'autres éléments, comme le coût de formation ou l'existence même de bourses ou d'aides ?
Ensuite, l'article 12 prévoit initialement d'interdire le placement en centre de rétention de mineurs de 16 ans et entend aussi compléter les dispositions du Ceseda en modifiant l'article 741. La France a ainsi été condamnée à neuf reprises par la Cour européenne des droits de l'homme sur le fondement de l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant, qui confère une protection à toutes les personnes de moins de 18 ans, sans distinction. Je souhaiterais vous entendre confirmer que vous êtes ouvert à la possibilité de fixer l'âge minimum à 18 ans.
Enfin, l'article 20 prévoit que le jugement à juge unique devant la CNDA devient la règle de droit commun, en précisant que les décisions de cette Cour seront rendues, sauf exception, par le président de la formation de jugement statuant seul.
En réduisant les jugements en formation collégiale, le Gouvernement exclut de fait de la formation de jugement le représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui est souvent le seul à connaître la situation politique du pays d'origine. La volonté du Gouvernement n'est donc pas, a priori, d'améliorer le traitement du contentieux. Pouvez-vous nous préciser votre raisonnement à propos de cette évolution ?
Nous sommes face à un problème complexe à double titre : parce qu'il s'inscrit dans une longue histoire et une succession de situations complexes, et parce qu'il engage l'avenir. La démographie nous enseigne que la pression migratoire ne pourra que croître avec le temps.
Deux impératifs s'imposent à nous : l'humanisme et le réalisme. Au nom du premier, n'oublions jamais qu'il est question du destin d'êtres humains, qui ont des devoirs mais aussi des droits, y compris le droit à la santé. Au nom du second, nous ne pouvons pas ignorer la vie économique et les besoins des entreprises des secteurs tendus, ni la vie sociale et des conditions de vie, de travail et logement parfois inhumaines. Il faut concilier la nécessité d'intégrer, donc de maîtriser la langue, et l'impératif de sécurité et de respect de l'ordre public, qui dépasse la réalité migratoire.
Nombre de questions ayant déjà été posées, je me contenterai de rappeler que l'élaboration de la loi doit être guidée par les deux principes que je viens d'énoncer. C'est ce que nous défendrons par le biais de nos amendements.
Je reste dubitative, si ce n'est interloquée, sur la teneur du texte voté par le Sénat, dans lequel les marqueurs d'extrême droite sont nombreux. N'étant pas membre de la commission des lois, je compte sur sa sagesse pour corriger tout ce qui mérite de l'être.
Ainsi, je suis très attachée à la réintroduction d'un titre de séjour mention « travail dans des métiers en tension » de plein droit, à l'initiative des salariés et sans décision discrétionnaire du préfet, qui verrait là son travail quotidien alourdi, ne l'oublions pas.
Je suis également très soucieuse de l'anticipation de l'accès au travail des demandeurs d'asile, plus particulièrement pour ceux dont le pays d'origine ouvre droit à une protection forte, afin de faciliter leur intégration.
De-ci de-là, parmi les quatre-vingt-seize articles, je note quelques mesures intéressantes, telles que l'expérimentation des espaces France Asile, afin d'évaluer leur efficacité avant d'envisager leur généralisation. En tant que rapporteure spéciale de la commission des finances sur la mission Immigration, asile et intégration, il me semble plus urgent de renforcer le maillage territorial de l'OFII.
Enfin, monsieur le ministre, pouvez-vous préciser les moyens consacrés dans les préfectures à la délivrance des titres, alors que les crédits de l'action 02, Réglementation générale, garantie de l'identité et de la nationalité et délivrance des titres, de la mission Administration générale et territoriale de l'État diminuent en 2024.
Monsieur le ministre, tous les jours entre dix heures et midi, votre compte X – anciennement Twitter – s'active ; vous y publiez une liste d'expulsions réalisées par vos services ; vous y pratiquez le name and shame – nommer et couvrir de honte – avec des motifs de plus en plus flous. Votre fil devient un mur de la honte où sont montrés du doigt les étrangers, des anonymes que vous exhibez comme des trophées de chasse. À quoi servent ces publications ?
Plutôt que d'essayer de mettre en valeur vos résultats en matière d'expulsion qui ne convainquent personne, pourquoi ne pas exposer la violence aveugle du patriarcat dont sont victimes les femmes, en mettant des visages sur les féminicides qui endeuillent chaque jour notre pays ? Au lieu de jouer les gros bras sur la dalle d'Argenteuil et d'affirmer vouloir nettoyer la France au Kärcher comme votre mentor, vous faites des pavés sur Twitter.
À vouloir démontrer que vous êtes ferme, vous attisez la haine des racistes en les abreuvant de faits divers. Avons-nous face à nous un ministre de la République ou un chroniqueur de CNews ? Vous cherchez tellement à occuper l'espace médiatique que vous révélez chaque jour un peu plus votre incompétence. Vous avez expulsé un prétendu délinquant qui s'avère être la victime d'un vol à l'arraché, qui plus est conjoint de Français ; un enfant français a été envoyé dans les Comores sur un délit de faciès ; un homme expulsé a dû être rapatrié en France parce que vous n'aviez pas daigné attendre le sort de son recours, et la justice vous a donné tort.
Quand allez-vous respecter et faire respecter le droit, plutôt que de draguer la droite ? Que ce soit le parti Les Républicains (LR) ou ses électeurs, ils ont déjà repoussé vos avances assez lourdes. Monsieur le ministre, il est temps d'arrêter les frais. Pour annoncer cette trentième loi sécuritaire, vous publiez une série de tweets pour exciter la pensée de droite. Vous usez de rhétoriques chères à M. Ciotti, Mme Le Pen ou M. Zemmour. Vous nourrissez les lubies xénophobes. Nous ne pouvons que constater l'échec au fil des ans de la stratégie consistant à faire un lien entre immigration et délinquance. L'immigration est un phénomène aussi vieux que l'humanité, qui connaît une crise d'accueil et de solidarité. Cessons son instrumentalisation permanente à des fins populistes.
Quand, sur le territoire hexagonal, l'immigration plafonne à 10 %, tout le monde a peur. À Mayotte, elle dépasse 60 % sur un territoire de 374 kilomètres carrés, de plus de 450 000 habitants – population réelle ; 190 000 dossiers sont en cours d'instruction, des gens toujours plus nombreux demandent à venir à Mayotte. Plus de 100 000 titres de séjour sont enfermés dans une cocotte-minute. Dans les écoles, plus de 80 % des enfants ont des parents d'origine étrangère ; à 70 kilomètres de là, aux Comores, plus de 200 000 enfants attendent d'aller à l'école à Mayotte ; les financements de l'État n'arrivent plus à suivre ; 11 000 naissances ont lieu chaque année dont 75 % de parents d'origine étrangère.
La question migratoire ne peut pas être traitée à Mayotte comme elle l'est à Paris ou dans je ne sais quelle région de l'Hexagone. Nous avons besoin de mesures spécifiques et fortes pour endiguer l'immigration et permettre aux Mahorais de revenir sur leur île. Nous ferons des propositions, mais je voudrais, d'ores et déjà, soumettre à votre sagacité le principe suivant : pas de régularisation pour ceux qui arrivent clandestinement à Mayotte, quelle que soit l'ancienneté de leur présence sur l'île. Lorsque je demande à mes collègues de laisser les étrangers venir en métropole, tout le monde refuse. Nous ne pouvons pas davantage les accepter.
Ma première question porte sur la dignité de l'accueil des étrangers. Si les files devant les préfectures ont disparu, l'accès au droit reste pour eux une gageure. Peut-être faudrait-il apporter des garanties en la matière dans le texte.
Ma deuxième question concerne la CNDA. La réforme, dont je comprends l'objectif de raccourcir les délais d'instruction, suscite de nombreuses inquiétudes. Peut-on envisager un moratoire ? La Cour ne fonctionne pas si mal, il n'y a pas d'embolie : elle rend un nombre de décisions supérieur à celui des recours dont elle est saisie.
Je doute que le recours au juge unique garantisse un examen serein de dossiers complexes, au cours duquel il faut notamment évaluer la dangerosité des étrangers désireux d'entrer sur le territoire français – je rejoins en cela vos préoccupations. Enfin, les questions sur la formation, insuffisante, des juges de l'asile et le cadre déontologique applicable aux présidents et assesseurs vacataires restent posées.
Je tiens à saluer le travail des forces de l'ordre et des enquêteurs, qui ont procédé à un vaste coup de filet à Nîmes pour arrêter les auteurs présumés du meurtre de Fayed, un petit Mahorais de dix ans tué par le narcotrafic. Je veux aussi vous alerter sur la vague de violence qui sème la terreur à Mayotte depuis plusieurs semaines : à Sada, à Bandraboua, à Mamoudzou et à Ouangani, des bandes de barbares pillent, vandalisent, incendient, agressent et sèment la mort nuit et jour.
À Mayotte, l'immigration pose des questions de sécurité, mais surtout elle provoque une crise hors du commun. Plus de la moitié de la population est étrangère, le plus souvent en situation irrégulière. Notre territoire implose : les services publics sont saturés ; notre seul hôpital soigne d'abord les étrangers qui arrivent en grande détresse. Il n'y a point d'AME à Mayotte, en conséquence de quoi les étrangers sont actuellement soignés aux dépens de la santé des Mahorais, car les financements ne suffisent pas à couvrir les dépenses.
Mayotte, territoire le plus pauvre de France, accueille le plus grand nombre d'étrangers et nous n'en pouvons plus. Les règles d'acquisition de la nationalité peuvent être modifiées, ainsi que l'avait proposé le sénateur Thani Mohamed Soilihi il y a plusieurs années, sans révision de la Constitution. Mayotte ne peut plus entendre l'argument erroné de l'inconstitutionnalité pour défendre l'inertie, pas plus qu'elle n'accepte le refus de mettre fin aux visas territorialisés qui fixent les étrangers à Mayotte et transforment notre île en cocotte-minute. L'argument de l'appel d'air ne tient pas, puisque Mayotte implose déjà sous la pression migratoire. Nous avons besoin de la solidarité nationale pour faire face.
Monsieur le ministre, que prévoit le texte pour Mayotte ?
La France insoumise se fait aujourd'hui le porte-voix des agents de l'Ofpra, rejoints par ceux de la CNDA, qui ont été en grève et le seront de nouveau prochainement. Ils alertent sur leurs conditions de travail désastreuses, qu'aggrave le projet de loi, demandent le retrait du chapitre IV et dénoncent votre politique du chiffre.
Cette politique du chiffre que vous chérissez tant, au détriment des salariés, des demandeurs d'asile, des droits humains et du bon sens, est de plus en plus poussée – des procédures de plus en plus complexes, des délais de plus en plus courts, avec pour maîtres mots la régulation et les économies.
Est-ce pour mieux accompagner les demandeurs que vous voulez créer des pôles France Asile territorialisés ? En soumettant ainsi l'Ofpra à la tutelle politique et administrative des préfets, vous mettriez fin à son indépendance. Quant à la CNDA, vous voulez territorialiser son activité, supprimer la collégialité ainsi que la présence du Haut-commissariat aux réfugiés. En faisant fi d'un principe fondamental, vous menacez l'équité et l'impartialité dans l'examen des recours.
Ces constats ne sont pas les nôtres, ce sont ceux de plus de 200 professionnels travaillant à la CNDA, de représentants des avocats et de très nombreuses associations humanitaires. Monsieur le ministre, pourquoi voulez-vous mettre fin à l'indépendance et à l'impartialité de l'Ofpra et de la CNDA ?
Ma première question concerne les délais administratifs de traitement des demandes. Face à l'embolie des juridictions et aux délais que nous constatons tous dans les préfectures, vous entendez donner la priorité aux primo-demandeurs. Les services des étrangers disposent-ils aujourd'hui des capacités nécessaires pour absorber les flux de demandes ? Vous l'avez dit, plus longtemps on se maintient sur le territoire, plus l'expulsion devient impossible.
S'agissant de l'aide médicale d'urgence, que les sénateurs LR ont souhaité substituer à l'AME, nous sommes loin des caricatures faites par la gauche. Il ne s'agit pas de ne plus soigner les personnes atteintes de maladies graves ou très contagieuses. Si j'en crois le site de l'assurance maladie, l'aide médicale d'État prend en charge, au terme d'un délai de neuf mois, pour des personnes qui ont violé nos lois : le recollement des oreilles, les prothèses d'épaule, la pose d'anneaux gastriques et le traitement du canal carpien. Le contribuable français ne comprend plus pourquoi il devrait financer de tels frais de santé pour des personnes qui ne respectent pas nos lois. Quelle est votre position, monsieur le ministre ?
Vous avez reproché à la gauche son manque de propositions. Pourtant nos déclarations sont très claires, et je vous renvoie au projet du parti socialiste.
À la lecture du projet de loi, on note ce qui y figure – et il y a des horreurs, encore plus nombreuses après l'examen au Sénat – mais surtout ce qui n'y figure pas. À cet égard, notre rôle est de faire le droit, mais aussi de lutter contre le non-droit.
Je vais prendre deux exemples sur lesquels j'aimerais connaître votre avis. Le premier concerne la frontière franco-italienne, où sont utilisés ce que l'on appelle les locaux de mise à l'abri, qui ne sont pas définis juridiquement – le texte ne pallie pas cette lacune. Or, ces locaux s'apparentent à des lieux de privation de la liberté, sans qu'un accueil digne et l'exercice des droits fondamentaux y soient garantis.
Ensuite, il existe deux campements importants dans le Calvados, l'un à Caen, qui compte une centaine d'Afghans, et l'autre à Ouistreham, où environ 200 Soudanais sont rassemblés. Ces deux pays sont en guerre. La plupart des personnes, notamment à Ouistreham, ont déposé une demande d'asile. Pour autant, elles n'ont pas accès à l'hébergement d'urgence. Monsieur le ministre, je ne vois rien dans le texte pour améliorer l'accès au droit des demandeurs d'asile.
Selon les données de votre ministère, en 2022, plus de 320 000 premiers titres de séjour ont été délivrés ; plus de 160 000 personnes ont demandé l'asile. Lors de votre audition au Sénat, vous avez estimé entre 600 000 et 900 000 le nombre de personnes présentes irrégulièrement sur le territoire national, appelées clandestins.
Vous vantez régulièrement la « fermeté » d'un texte d'intérêt général. Sachant qu'en 2022 nous avons accueilli un peu moins de 500 000 personnes dans notre pays, envisagez-vous une baisse réelle de l'immigration légale si votre texte est adopté, ? Comptez-vous éloigner plus de clandestins que vous n'en régulariserez ? Nos compatriotes sont en droit de savoir alors que, selon plusieurs sondages, ils sont plus de 71 % à souhaiter une diminution des flux migratoires sur le territoire national. Ils sont aussi partisans d'un référendum sur l'immigration, que votre majorité refuse. Pouvez-vous nous assurer que le taux d'exécution des OQTF va enfin augmenter ? Allez-vous exclure les 4 000 personnes étrangères suivies pour radicalisation ?
Pouvez-vous garantir que les flux migratoires, légaux et illégaux, vont enfin baisser, comme le réclament nos compatriotes, ou allez-vous malheureusement faire l'inverse ? Je vous demande de répondre à ces questions, qui sont d'intérêt national, tant on connaît les conséquences néfastes de l'immigration pour notre pays, que nous dénonçons depuis des années.
En ce qui concerne les préfectures évoquées par M. Rudigoz, M. Di Filippo et Mme Dupont, je suis parfaitement conscient du mauvais service public rendu.
Madame Untermaier, je serai évidemment favorable à un amendement visant à préciser les conditions de l'accès au droit, d'autant que l'exercice de leurs droits par les étrangers est parfois rendu difficile par la faible maîtrise du français, l'illettrisme ou le traumatisme des violences subies. La garantie de l'accès au droit et la fermeté ne sont pas antinomiques. Si les conditions légales sont réunies, la République française doit garantir l'exercice d'un droit.
Pour améliorer le service rendu, nous comptons d'abord sur la numérisation des procédures pour ce qu'on appelle le back office. Grâce à l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef) – pour schématiser, l'impôt à la source appliqué aux préfectures –, on passe du tout-papier, qui complique le suivi des étrangers changeant de préfecture pour leurs démarches, au numérique. Ainsi, au 1er janvier 2024, 60 % des procédures seront dématérialisées. En 2025, l'Anef sera généralisée à toutes les procédures.
Madame Dupont, en ce qui concerne la baisse des crédits, on peut évidemment attendre des économies de la numérisation. En vertu de la hausse des effectifs inscrite dans la LOPMI, 400 personnes supplémentaires seront affectées dans les préfectures. Celles-ci emploient 20 % de vacataires, du fait du manque d'attractivité de certains métiers, mais aussi de l'urgence à répondre à un besoin criant, dont le coût n'est pas le même que celui d'un fonctionnaire. Voilà ce qui explique la baisse de 8 % des crédits.
Outre la numérisation des procédures, il est prévu que les effectifs – nouveaux ou redéployés – se consacrent aux primo-demandes. Dès lors que la personne a réussi son examen de français, que son casier judiciaire et son état civil ont été vérifiés, il faut rendre le renouvellement des titres automatique – cela concerne aujourd'hui 100 000 titres en flux et 400 000 titres en stock, lequel est concentré dans les régions urbaines. C'est énorme. Pour les départements ruraux, c'est la double peine : les démarches se sont multipliées, tandis que les effectifs des préfectures ont diminué.
C'est la révolution copernicienne que nous voulons mener dans les préfectures : s'occuper des primo-demandeurs et rendre automatique le renouvellement des titres de séjour sur lesquels la République s'est déjà prononcée et qui ne posent aucun problème. Il est prévu une procédure d'information du préfet lorsqu'une personne est arrêtée par la police ou condamnée par la justice. Celui-ci pourra alors s'opposer au renouvellement automatique du titre, ou le retirer.
Aujourd'hui, nous plaçons nous-mêmes des personnes en situation d'irrégularité faute de pouvoir leur proposer un rendez-vous en préfecture dans les délais impartis – c'est la faute de l'État français et non de l'étranger. Nous avons mené une expérimentation avec certains publics. Je pense aux Chibanis, ces citoyens algériens qui ont combattu dans l'armée française – et parfois même ont été décorés – et ont choisi de conserver la nationalité algérienne tout en restant sur notre sol. Pourquoi les embêter en les obligeant à se rendre en préfecture à 80, 90, voire 100 ans ? Nous avons mis un terme à cette obligation.
Je réitère mes profonds remerciements aux agents des préfectures qui, malgré les difficultés administratives et le public compliqué auquel ils s'adressent, font preuve de calme et de professionnalisme. Le projet de loi les servira, j'en suis convaincu. Je suis disposé à présenter à la commission des lois – je l'ai dit au président – les détails de la réforme des préfectures.
En ce qui concerne l'AME, elle ne figurait pas dans le projet de loi initial parce que je voulais m'en tenir aux dispositions, déjà fort compliquées, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le débat sur l'AME relève d'abord du budget – il est évoqué chaque année dans le cadre du projet de loi de finances – ou de la santé publique.
Cela peut paraître paradoxal, mais Mme Youssouffa réclame l'AME à Mayotte. Pourquoi ? Non pas pour avoir davantage d'étrangers à l'hôpital de Mayotte, mais pour que les dépenses de santé des étrangers en situation irrégulière puissent être tracées. J'imagine que c'est aussi une manière de comptabiliser précisément le nombre d'étrangers à Mayotte ; à cet égard, la vérité sur leur part dans la population à Mayotte est quelque part entre les 30 % de M. Serva et les 60 % de M. Kamardine.
En vertu de l'AME, l'État compense à la sécurité sociale les dépenses de santé des étrangers en situation irrégulière qui ne paient pas de cotisation. L'AME pose avant tout une question budgétaire. Il s'agit de savoir qui paie, puisqu'à la fin des fins, les personnes sont soignées. Est-ce l'État ou la sécurité sociale ? À Mayotte, le fait que ce soit la sécurité sociale pèse sur le fonctionnement de l'hôpital.
Mon avis sur l'AME est le suivant : d'abord, je l'ai dit depuis le début, l'AME n'a pas sa place dans le texte. C'est un cavalier législatif évident, qui sera censuré par le Conseil constitutionnel – tout le monde le sait, y compris le Sénat. Ensuite, j'ai dit, à titre personnel, qu'on pouvait se poser des questions sur l'AME. Je ne fais pas partie de ceux qui contestent l'AME à cause de son panier de soins. C'est ouvrir un débat interminable sans remédier à l'embolie de l'hôpital public, et les médecins soigneront en tout état de cause.
Un quart des bénéficiaires de l'AME étant des enfants, il faut envisager les modifications avec prudence. 75 % d'entre eux sont des personnes présentes depuis plus de trois ans sur le territoire national. C'est sur ce point qu'il convient de s'interroger. Sachez qu'un étranger en situation irrégulière – par exemple, un demandeur d'asile qui n'a pas encore déposé sa demande – n'a pas droit à l'AME dans les trois premiers mois de sa présence sur le territoire national. En revanche, à l'issue d'un délai de neuf mois, il peut bénéficier de l'intégralité du panier de soins – notamment la consultation chez le généraliste prise en charge à 100 %. Pourtant, à mon sens, c'est pendant cette période de neuf mois, dans l'attente des réponses aux démarches engagées, que nous devrions être attentifs aux conditions de sa présence sur le sol national.
La couverture médicale pendant les procédures que le projet de loi vise à accélérer me semble une évidence. En revanche, nous devrions tous nous demander pourquoi 75 % des gens sont depuis plus de trois ans sur le territoire national, alors que nous leur avons dit non – trois ans, c'est quand même la fourchette haute des délais pour les décisions de justice.
Comme toute politique publique, l'AME mérite d'être questionnée. Le Gouvernement ne le nie pas, puisque la Première ministre a commandé à MM. Stefanini et Évin, deux personnalités incontestables, un rapport qui sera remis le 4 décembre. Vous le voyez, nous n'avons rien à cacher, puisqu'il sera rendu public avant le débat en séance publique. Nous verrons les conséquences qu'il conviendra d'en tirer sur le panier de soins ou sur le statut des personnes.
Voilà ma position personnelle : je suis favorable à une réflexion pour modifier l'AME, en jouant non pas sur le panier de soins, mais sur le statut de ses bénéficiaires. J'admets tout à fait que d'autres membres du Gouvernement et que d'autres personnes, appartenant ou pas à ma famille politique, aient un avis contraire. Cela s'appelle la démocratie. Je rappelle que l'AME a été modifiée par le gouvernement d'Édouard Philippe, en l'occurrence par Mme Buzyn et moi-même, en tant que ministre des comptes publics.
En ce qui concerne les OQTF, les personnes qui en font l'objet sont inscrites au FPR depuis une instruction du 17 novembre 2022, qui a été validée par le Conseil d'État. Toutefois, l'inscription peut être retardée du fait du caractère suspensif des recours. Le fichier comprend plusieurs catégories, et l'étranger en situation irrégulière qui n'a commis aucun crime et délit n'entre pas dans la même case que les criminels.
Le délit de séjour irrégulier a été supprimé par la loi du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, ainsi que par une directive européenne élaborée par le parti populaire européen (PPE). Cependant, le délit de maintien sur le territoire existe toujours, ce qui permet aux forces de l'ordre d'agir. C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur général, le débat sur le délit de séjour irrégulier me paraît un peu ésotérique pour les policiers et les gendarmes. Monsieur Pauget, une intervention législative n'est donc pas nécessaire. Il est toutefois possible que les OQTF prononcées avant l'instruction ministérielle – le stock – ne figurent pas dans le fichier.
Madame Karamanli, je ne suis pas favorable à l'article 1er, je l'ai dit au Sénat. Il y a sans doute des dispositions à prendre s'agissant des étudiants. Je veux ainsi appeler l'attention des parlementaires sur un point : le budget des universités publiques étant défini en fonction du nombre d'étudiants qui s'y inscrivent, il peut y avoir une tentation d'inscrire de nombreux étudiants, qui ne suivent pas vraiment des études.
Je suis favorable à la vérification de « l'assiduité de l'étranger et [du] sérieux de sa participation aux formations » qu'a introduite le Sénat, sous réserve de s'entendre sur la forme qu'elle prendra. En revanche, la caution me paraît une bizarrerie contre-productive. Notre souci est d'accueillir pour leurs études non pas des gens riches, mais des gens talentueux – il n'y a pas, me semble-t-il, de lien entre talent et richesse. L'idée d'une caution me paraît contraire à la méritocratie française que nous essayons de défendre. Aujourd'hui, les étudiants doivent s'acquitter, lors de la validation de leur visa, d'une taxe dont le montant n'est pas dirimant. J'espère que vous modifierez l'article.
S'agissant de l'article 12, je souhaite qu'il soit mis fin à la présence des mineurs dans les centres de rétention administrative (CRA) dès la publication de la loi. Une exception vous est demandée pour Mayotte. Plus de la moitié des reconduites à la frontière de France se font à Mayotte depuis le seul CRA qui existe sur Petite-Terre – un deuxième sera construit sur Grande-Terre. Il faut laisser quelques années au ministère de l'intérieur pour créer des unités familiales pour pouvoir éloigner les personnes. Le fait de supprimer la rétention des mineurs ne doit pas empêcher d'éloigner des familles. Entendons-nous bien, je souhaite que nous puissions éloigner des familles sans avoir à placer des bébés ou des adolescents dans des CRA qui accueillent des personnes radicalisées et des délinquants, autrement dit des personnes dangereuses pour la société. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
En ce qui concerne l'article 20, je n'ai pas du tout la même lecture que vous du juge unique. D'abord, le juge unique existe déjà, et cela représente 50 % de l'activité de la CNDA. Ensuite, la protection est la même, que la Cour siège en formation collégiale ou à juge unique. En outre, je cite l'article : « À moins que, de sa propre initiative ou à la demande du requérant, le président de la Cour nationale du droit d'asile ou le président de formation de jugement désigné à cette fin ne décide, à tout moment de la procédure, d'inscrire l'affaire devant une formation collégiale ou de la lui renvoyer s'il estime qu'elle pose une question qui le justifie, les décisions de la Cour nationale du droit d'asile sont rendues par le président de la formation de jugement statuant seul. » Contrairement aux idioties que j'ai entendues, ce n'est pas l'État ou l'Ofpra qui impose le recours au juge unique. Toutes les parties doivent être d'accord et ce choix peut être remis en cause à tout moment de la procédure.
Pourquoi cet article ? La CNDA le dit elle-même, certaines décisions doivent être prises de manière collégiale parce qu'il s'agit de décisions de principe. La jurisprudence dite Kaboul, qui permettait à une majorité de demandeurs d'asile afghans d'obtenir une protection internationale, a été remise en cause avant l'arrivée des talibans. Certains événements géopolitiques ou certaines persécutions particulières – contre des personnes transgenres ou homosexuelles – peuvent poser des questions de principe qui méritent d'être examinées par une formation collégiale.
Il est plus facile pour un Afghan pourchassé par les talibans d'obtenir l'asile devant le juge unique – le taux de protection est très élevé. En revanche, il n'y a aucune raison d'accorder l'asile par principe à des Ivoiriens ou des Sénégalais, à moins que ce soient des opposants politiques notoires ou des personnes persécutées en raison de leur sexe – le taux de protection est très faible.
On est loin de la mise sous tutelle de la CNDA que certains dénoncent dans une lecture très éloignée du texte lui-même.
À l'orateur de La France insoumise, qui n'est plus là, et qui nous a accusés de faire monter les extrêmes, je répondrai que sa posture idéologique est bien plus responsable de la montée de l'extrême droite – je note que les extrêmes se rejoignent dans l'outrance – et, plus inquiétant encore, ne protège pas les étrangers eux-mêmes. Je le constate, notamment dans ma ville, les étrangers sont les premiers à demander de la fermeté à l'encontre de ceux qui se comportent mal. En donnant une mauvaise image des étrangers, ces derniers nourrissent le racisme et les discriminations. Ce n'est pas en laissant agir des criminels et des délinquants qu'on fera mieux comprendre et accepter l'immigration dans notre pays. Je ne comprends pas cette interpellation qui semble surtout destinée à alimenter les réseaux sociaux.
Madame Youssouffa, le débat sur l'AME à Mayotte est très intéressant ; il n'a pas sa place ici, mais il peut se tenir dans un autre cadre – il semble qu'ait lieu en ce moment une discussion budgétaire ouverte et nourrie avec le Gouvernement.
Je suis très favorable à une révision des règles, comme le propose votre collègue Thani Mohamed Soilihi. Aujourd'hui, à Mayotte, pour être régularisé, il faut avoir l'un des deux parents qui est en situation régulière ou français, depuis au moins trois mois avant la naissance de l'enfant. Je souhaite que nous travaillions sur la modification de deux critères : les deux parents devraient être en situation régulière et depuis plus de neuf mois – pourquoi pas un an ? – sur le territoire national.
Ensuite, monsieur Kamardine, j'approuve l'idée selon laquelle, à Mayotte, une personne ne peut pas être régularisée si elle est arrivée irrégulièrement – l'étranger conserve le droit d'être régularisé ailleurs en France.
Je ne suis pas de ceux qui vous disent d'emblée que ces mesures ne sont pas constitutionnelles. Nous verrons bien ce que le juge constitutionnel dira. La future loi sur Mayotte nous permettra de prendre en considération d'éventuelles remarques du Conseil constitutionnel. La révision constitutionnelle que le Président de la République a annoncée pourrait aussi être l'occasion d'adopter des dispositions particulières à Mayotte. On ne peut pas gouverner Mayotte, me semble-t-il, comme on gouverne le reste du pays en matière d'acquisition de la nationalité. C'est mon avis personnel. Les conditions sont déjà différentes du droit commun. Qui peut le plus peut le moins. Je suis tout à fait prêt à y travailler et nous verrons ce que dira le Conseil constitutionnel.
Évidemment, ni l'Ofpra ni l'OFII, et encore moins la CNDA, ne voient leur indépendance remise en cause.
S'agissant des demandeurs d'asile dans le Calvados, je vais examiner la situation de Ouistreham que, je l'avoue, je connais moins bien que celle du Nord-Pas-de-Calais. Il me semble que nous avons affaire au même public, désireux de passer en Angleterre.
Certes, on peut avoir envie d'aller à Calais et à Boulogne-sur-Mer – j'y vais en vacances et j'y ai ma maison de famille – mais on y va surtout parce qu'on a envie de traverser la Manche pour aller en Angleterre.
À Grande-Synthe, Calais ou Boulogne-sur-Mer, où il y a quinze fois moins de migrants aujourd'hui qu'il y a dix ans, grâce à l'action très forte de M. Cazeneuve – on peut le remercier d'avoir lutté vigoureusement contre l'immigration irrégulière et démantelé les camps de migrants ; vous soutenez moins de telles actions aujourd'hui, mais il faut rappeler l'attitude très ferme contre l'immigration irrégulière d'un gouvernement socialiste dans les traces duquel nous nous inscrivons –, moins de 5 % des migrants demandent l'asile sur le territoire de la République, parce qu'ils veulent aller en Angleterre.
Notre souci est de faire comprendre à la Grande-Bretagne la nécessité, comme dans n'importe quel autre pays au monde, de rétablir une voie d'immigration légale et d'autoriser le dépôt de demandes d'asile. Tant que la Grande-Bretagne reste dans les lunes du Brexit sur les questions migratoires, elle s'interdit d'appliquer les accords de Dublin et de procéder à des reconduites à la frontière. Elle oblige les migrants, puisque le tunnel est complètement bloqué désormais, à emprunter des bateaux pour rejoindre son sol. Elle ne comprend pas qu'elle doit changer de paradigme. Monsieur Delaporte, je vous promets de vous répondre avec précision sur la situation du Calvados. Dans le Nord-Pas-de-Calais, souvent les migrants refusent les hébergements qui leur sont proposés, soit parce qu'ils veulent être prêts à prendre le prochain bateau, soit parce qu'ils sont aux mains des passeurs.
Il y a dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais plus de 800 chambres libres. Il n'y en a pas moins des camps de migrants, auxquels ces chambres sont proposées. Ils les refusent car ils veulent passer en Angleterre, même dans les conditions affreuses que vous avez décrites, monsieur Delaporte. Il convient d'abord de remercier les gendarmes et les policiers de leur travail. Ils plongent dans des eaux difficiles pour sauver des bébés, des femmes, des enfants et des hommes qui veulent traverser la Manche sur des bateaux de fortune. Quoi qu'il en soit, les choses ne sont pas aussi manichéennes que vous les présentez.
Monsieur Guitton, nous n'allons pas opposer les sondages aux sondages. Je constate que 80 % des Français sont favorables au projet de loi, et que 60 % des Français sont favorables à la régularisation des travailleurs étrangers dans les métiers en tension. Au demeurant, des gens de toutes tendances me demandent des régularisations, ce qui n'a rien de surprenant : les gens qui travaillent, tout un chacun souhaite leur régularisation.
Être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils est une attitude que tout le monde comprend. Les gens qui ne respectent pas les lois de la République, nous voulons tous nous en séparer. Il faut donc prendre les sondages avec précaution. À leur aune, vous êtes favorables comme un seul homme au texte que nous proposons, très largement soutenu par les Français.
Il n'en résulte pas que les Français ne sont pas favorables à une politique plus ferme en matière d'immigration, voire à un référendum. Celui-ci suppose toutefois une modification de la Constitution. Cette solution est peut-être intéressante, mais elle n'est pas immédiate. Ce que je propose a, au moins, le mérite de l'être.
J'évoquerai pour finir le taux d'application des OQTF, qui pourrit le débat médiatique. Le ministère de l'intérieur n'a jamais diffusé, dans aucun document, budgétaire ou non, le pourcentage d'OQTF appliquées. Lorsque vous en évoquez un, vous prenez le nombre de mesures administratives – qui ne sont pas toutes des OQTF, certaines par exemple sont des interdictions du territoire français (ITF) –, vous le divisez par le nombre de personnes qui ont quitté le territoire français, et vous annoncez un taux de 10 %, 15 % ou 20 %.
Cela ne fonctionne pas ainsi. Je sais que c'est difficile à admettre, mais telle est l'absurdité de notre mode de fonctionnement. Parmi les 120 000 mesures administratives prises chaque année, dont la plupart sont des OQTF, 80 % sont susceptibles de faire l'objet d'un recours suspensif. Ne pas le dire est malhonnête.
À ma place, même armés de votre bonne volonté et du programme de Mme Le Pen, vous n'obtiendrez pas un meilleur taux d'exécution des OQTF que moi. Dire, pour l'année 2023, que 120 000 mesures ont été prises et que 20 000 personnes ont quitté le territoire est malhonnête, car les mesures appliquées en 2023 ont été prises deux ou trois ans plus tôt et ont fait l'objet d'un recours. Les deux chiffres ne sont pas du même ordre.
Je suis le premier à dire que nous ne sommes pas efficaces en matière de reconduite à la frontière. C'est précisément pour cela que je présente un projet de loi. Par ailleurs, les autres pays ne font pas mieux. Nous sommes tous tributaires de la délivrance de laissez-passer consulaires et de lenteurs administratives, que j'essaie de combattre. Je n'atteindrai pas le taux de 100 % d'OQTF exécutées, mais je l'améliorerai. Pour le reste, donner des taux de 7 %, de 10 % et de 20 % ne repose sur aucune réalité administrative. Il serait intéressant de mesurer le temps moyen d'application d'une OQTF.
Par ailleurs, la majorité des départs sont volontaires. Comme tels, ils ne sont pas comptabilisés. Les départs au titre de l'aide au retour volontaire, versée en une fois par l'OFII après le départ, représentent 20 % des départs, les départs forcés 7 %. J'ignore si ce système est le bon, mais c'est le nôtre. Les Allemands ont ce qu'ils appellent une tolérance, qui offre une protection temporaire ne créant aucun droit, valable jusqu'à l'expiration du recours. Peut-être est-ce le bon calcul, mais, si j'étais venu devant vous pour vous annoncer que nous mettons un terme au régime des OQTF, vous m'auriez dit « Monsieur le ministre, vous cassez le thermomètre ! ». Ce que je propose, c'est la simplification drastique des procédures, pour améliorer fortement le taux d'application des OQTF. J'espère vous avoir démontré que cette façon de procéder est la bonne.
Quant aux 4 000 personnes étrangères suivies pour radicalisation, les articles 9, 10 et 13 du projet de loi me permettront de procéder à leur expulsion. À l'heure actuelle, je ne peux ni les interner dans un CRA, ni les mettre dans un avion. Toutes seront concernées. C'est pourquoi j'aurai du mal à comprendre que vous ne votiez pas ce texte de loi, qui offre aux Français une sécurité contre les multirécidivistes.
La séance est levée à 20 heures 20
Informations relatives à la Commission
La commission a désigné :
M. Éric Pauget, rapporteur d'application sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (n° 1855) ;
M. Guillaume Gouffier-Valente, rapporteur sur la proposition de résolution européenne visant à faire respecter le droit international dans le secours des migrants en mer Méditerranée (n° 508).
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chandler, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, Mme Elsa Faucillon, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Marie Guévenoux, M. Jordan Guitton, M. Sacha Houlié, M. Jérémie Iordanoff, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, M. Andy Kerbrat, M. Philippe Latombe, M. Gilles Le Gendre, Mme Marie Lebec, Mme Marie-France Lorho, M. Benjamin Lucas, M. Emmanuel Mandon, Mme Élisa Martin, M. Thomas Ménagé, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Éric Pauget, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Portes, M. Éric Poulliat, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Philippe Pradal, M. Aurélien Pradié, M. Stéphane Rambaud, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Sandra Regol, M. Davy Rimane, Mme Béatrice Roullaud, M. Thomas Rudigoz, M. Hervé Saulignac, M. Olivier Serva, Mme Andrée Taurinya, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Guillaume Vuilletet, Mme Caroline Yadan
Excusés. - Mme Emeline K/Bidi, Mme Naïma Moutchou
Assistaient également à la réunion. - Mme Farida Amrani, M. Michel Castellani, M. Arthur Delaporte, M. Fabien Di Filippo, Mme Stella Dupont, Mme Annie Genevard, M. Laurent Marcangeli, M. Christophe Naegelen, M. Lionel Royer-Perreaut, M. Boris Vallaud, Mme Estelle Youssouffa