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Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 21 novembre 2023 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre :

En ce qui concerne les préfectures évoquées par M. Rudigoz, M. Di Filippo et Mme Dupont, je suis parfaitement conscient du mauvais service public rendu.

Madame Untermaier, je serai évidemment favorable à un amendement visant à préciser les conditions de l'accès au droit, d'autant que l'exercice de leurs droits par les étrangers est parfois rendu difficile par la faible maîtrise du français, l'illettrisme ou le traumatisme des violences subies. La garantie de l'accès au droit et la fermeté ne sont pas antinomiques. Si les conditions légales sont réunies, la République française doit garantir l'exercice d'un droit.

Pour améliorer le service rendu, nous comptons d'abord sur la numérisation des procédures pour ce qu'on appelle le back office. Grâce à l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef) – pour schématiser, l'impôt à la source appliqué aux préfectures –, on passe du tout-papier, qui complique le suivi des étrangers changeant de préfecture pour leurs démarches, au numérique. Ainsi, au 1er janvier 2024, 60 % des procédures seront dématérialisées. En 2025, l'Anef sera généralisée à toutes les procédures.

Madame Dupont, en ce qui concerne la baisse des crédits, on peut évidemment attendre des économies de la numérisation. En vertu de la hausse des effectifs inscrite dans la LOPMI, 400 personnes supplémentaires seront affectées dans les préfectures. Celles-ci emploient 20 % de vacataires, du fait du manque d'attractivité de certains métiers, mais aussi de l'urgence à répondre à un besoin criant, dont le coût n'est pas le même que celui d'un fonctionnaire. Voilà ce qui explique la baisse de 8 % des crédits.

Outre la numérisation des procédures, il est prévu que les effectifs – nouveaux ou redéployés – se consacrent aux primo-demandes. Dès lors que la personne a réussi son examen de français, que son casier judiciaire et son état civil ont été vérifiés, il faut rendre le renouvellement des titres automatique – cela concerne aujourd'hui 100 000 titres en flux et 400 000 titres en stock, lequel est concentré dans les régions urbaines. C'est énorme. Pour les départements ruraux, c'est la double peine : les démarches se sont multipliées, tandis que les effectifs des préfectures ont diminué.

C'est la révolution copernicienne que nous voulons mener dans les préfectures : s'occuper des primo-demandeurs et rendre automatique le renouvellement des titres de séjour sur lesquels la République s'est déjà prononcée et qui ne posent aucun problème. Il est prévu une procédure d'information du préfet lorsqu'une personne est arrêtée par la police ou condamnée par la justice. Celui-ci pourra alors s'opposer au renouvellement automatique du titre, ou le retirer.

Aujourd'hui, nous plaçons nous-mêmes des personnes en situation d'irrégularité faute de pouvoir leur proposer un rendez-vous en préfecture dans les délais impartis – c'est la faute de l'État français et non de l'étranger. Nous avons mené une expérimentation avec certains publics. Je pense aux Chibanis, ces citoyens algériens qui ont combattu dans l'armée française – et parfois même ont été décorés – et ont choisi de conserver la nationalité algérienne tout en restant sur notre sol. Pourquoi les embêter en les obligeant à se rendre en préfecture à 80, 90, voire 100 ans ? Nous avons mis un terme à cette obligation.

Je réitère mes profonds remerciements aux agents des préfectures qui, malgré les difficultés administratives et le public compliqué auquel ils s'adressent, font preuve de calme et de professionnalisme. Le projet de loi les servira, j'en suis convaincu. Je suis disposé à présenter à la commission des lois – je l'ai dit au président – les détails de la réforme des préfectures.

En ce qui concerne l'AME, elle ne figurait pas dans le projet de loi initial parce que je voulais m'en tenir aux dispositions, déjà fort compliquées, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le débat sur l'AME relève d'abord du budget – il est évoqué chaque année dans le cadre du projet de loi de finances – ou de la santé publique.

Cela peut paraître paradoxal, mais Mme Youssouffa réclame l'AME à Mayotte. Pourquoi ? Non pas pour avoir davantage d'étrangers à l'hôpital de Mayotte, mais pour que les dépenses de santé des étrangers en situation irrégulière puissent être tracées. J'imagine que c'est aussi une manière de comptabiliser précisément le nombre d'étrangers à Mayotte ; à cet égard, la vérité sur leur part dans la population à Mayotte est quelque part entre les 30 % de M. Serva et les 60 % de M. Kamardine.

En vertu de l'AME, l'État compense à la sécurité sociale les dépenses de santé des étrangers en situation irrégulière qui ne paient pas de cotisation. L'AME pose avant tout une question budgétaire. Il s'agit de savoir qui paie, puisqu'à la fin des fins, les personnes sont soignées. Est-ce l'État ou la sécurité sociale ? À Mayotte, le fait que ce soit la sécurité sociale pèse sur le fonctionnement de l'hôpital.

Mon avis sur l'AME est le suivant : d'abord, je l'ai dit depuis le début, l'AME n'a pas sa place dans le texte. C'est un cavalier législatif évident, qui sera censuré par le Conseil constitutionnel – tout le monde le sait, y compris le Sénat. Ensuite, j'ai dit, à titre personnel, qu'on pouvait se poser des questions sur l'AME. Je ne fais pas partie de ceux qui contestent l'AME à cause de son panier de soins. C'est ouvrir un débat interminable sans remédier à l'embolie de l'hôpital public, et les médecins soigneront en tout état de cause.

Un quart des bénéficiaires de l'AME étant des enfants, il faut envisager les modifications avec prudence. 75 % d'entre eux sont des personnes présentes depuis plus de trois ans sur le territoire national. C'est sur ce point qu'il convient de s'interroger. Sachez qu'un étranger en situation irrégulière – par exemple, un demandeur d'asile qui n'a pas encore déposé sa demande – n'a pas droit à l'AME dans les trois premiers mois de sa présence sur le territoire national. En revanche, à l'issue d'un délai de neuf mois, il peut bénéficier de l'intégralité du panier de soins – notamment la consultation chez le généraliste prise en charge à 100 %. Pourtant, à mon sens, c'est pendant cette période de neuf mois, dans l'attente des réponses aux démarches engagées, que nous devrions être attentifs aux conditions de sa présence sur le sol national.

La couverture médicale pendant les procédures que le projet de loi vise à accélérer me semble une évidence. En revanche, nous devrions tous nous demander pourquoi 75 % des gens sont depuis plus de trois ans sur le territoire national, alors que nous leur avons dit non – trois ans, c'est quand même la fourchette haute des délais pour les décisions de justice.

Comme toute politique publique, l'AME mérite d'être questionnée. Le Gouvernement ne le nie pas, puisque la Première ministre a commandé à MM. Stefanini et Évin, deux personnalités incontestables, un rapport qui sera remis le 4 décembre. Vous le voyez, nous n'avons rien à cacher, puisqu'il sera rendu public avant le débat en séance publique. Nous verrons les conséquences qu'il conviendra d'en tirer sur le panier de soins ou sur le statut des personnes.

Voilà ma position personnelle : je suis favorable à une réflexion pour modifier l'AME, en jouant non pas sur le panier de soins, mais sur le statut de ses bénéficiaires. J'admets tout à fait que d'autres membres du Gouvernement et que d'autres personnes, appartenant ou pas à ma famille politique, aient un avis contraire. Cela s'appelle la démocratie. Je rappelle que l'AME a été modifiée par le gouvernement d'Édouard Philippe, en l'occurrence par Mme Buzyn et moi-même, en tant que ministre des comptes publics.

En ce qui concerne les OQTF, les personnes qui en font l'objet sont inscrites au FPR depuis une instruction du 17 novembre 2022, qui a été validée par le Conseil d'État. Toutefois, l'inscription peut être retardée du fait du caractère suspensif des recours. Le fichier comprend plusieurs catégories, et l'étranger en situation irrégulière qui n'a commis aucun crime et délit n'entre pas dans la même case que les criminels.

Le délit de séjour irrégulier a été supprimé par la loi du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, ainsi que par une directive européenne élaborée par le parti populaire européen (PPE). Cependant, le délit de maintien sur le territoire existe toujours, ce qui permet aux forces de l'ordre d'agir. C'est la raison pour laquelle, monsieur le rapporteur général, le débat sur le délit de séjour irrégulier me paraît un peu ésotérique pour les policiers et les gendarmes. Monsieur Pauget, une intervention législative n'est donc pas nécessaire. Il est toutefois possible que les OQTF prononcées avant l'instruction ministérielle – le stock – ne figurent pas dans le fichier.

Madame Karamanli, je ne suis pas favorable à l'article 1er, je l'ai dit au Sénat. Il y a sans doute des dispositions à prendre s'agissant des étudiants. Je veux ainsi appeler l'attention des parlementaires sur un point : le budget des universités publiques étant défini en fonction du nombre d'étudiants qui s'y inscrivent, il peut y avoir une tentation d'inscrire de nombreux étudiants, qui ne suivent pas vraiment des études.

Je suis favorable à la vérification de « l'assiduité de l'étranger et [du] sérieux de sa participation aux formations » qu'a introduite le Sénat, sous réserve de s'entendre sur la forme qu'elle prendra. En revanche, la caution me paraît une bizarrerie contre-productive. Notre souci est d'accueillir pour leurs études non pas des gens riches, mais des gens talentueux – il n'y a pas, me semble-t-il, de lien entre talent et richesse. L'idée d'une caution me paraît contraire à la méritocratie française que nous essayons de défendre. Aujourd'hui, les étudiants doivent s'acquitter, lors de la validation de leur visa, d'une taxe dont le montant n'est pas dirimant. J'espère que vous modifierez l'article.

S'agissant de l'article 12, je souhaite qu'il soit mis fin à la présence des mineurs dans les centres de rétention administrative (CRA) dès la publication de la loi. Une exception vous est demandée pour Mayotte. Plus de la moitié des reconduites à la frontière de France se font à Mayotte depuis le seul CRA qui existe sur Petite-Terre – un deuxième sera construit sur Grande-Terre. Il faut laisser quelques années au ministère de l'intérieur pour créer des unités familiales pour pouvoir éloigner les personnes. Le fait de supprimer la rétention des mineurs ne doit pas empêcher d'éloigner des familles. Entendons-nous bien, je souhaite que nous puissions éloigner des familles sans avoir à placer des bébés ou des adolescents dans des CRA qui accueillent des personnes radicalisées et des délinquants, autrement dit des personnes dangereuses pour la société. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

En ce qui concerne l'article 20, je n'ai pas du tout la même lecture que vous du juge unique. D'abord, le juge unique existe déjà, et cela représente 50 % de l'activité de la CNDA. Ensuite, la protection est la même, que la Cour siège en formation collégiale ou à juge unique. En outre, je cite l'article : « À moins que, de sa propre initiative ou à la demande du requérant, le président de la Cour nationale du droit d'asile ou le président de formation de jugement désigné à cette fin ne décide, à tout moment de la procédure, d'inscrire l'affaire devant une formation collégiale ou de la lui renvoyer s'il estime qu'elle pose une question qui le justifie, les décisions de la Cour nationale du droit d'asile sont rendues par le président de la formation de jugement statuant seul. » Contrairement aux idioties que j'ai entendues, ce n'est pas l'État ou l'Ofpra qui impose le recours au juge unique. Toutes les parties doivent être d'accord et ce choix peut être remis en cause à tout moment de la procédure.

Pourquoi cet article ? La CNDA le dit elle-même, certaines décisions doivent être prises de manière collégiale parce qu'il s'agit de décisions de principe. La jurisprudence dite Kaboul, qui permettait à une majorité de demandeurs d'asile afghans d'obtenir une protection internationale, a été remise en cause avant l'arrivée des talibans. Certains événements géopolitiques ou certaines persécutions particulières – contre des personnes transgenres ou homosexuelles – peuvent poser des questions de principe qui méritent d'être examinées par une formation collégiale.

Il est plus facile pour un Afghan pourchassé par les talibans d'obtenir l'asile devant le juge unique – le taux de protection est très élevé. En revanche, il n'y a aucune raison d'accorder l'asile par principe à des Ivoiriens ou des Sénégalais, à moins que ce soient des opposants politiques notoires ou des personnes persécutées en raison de leur sexe – le taux de protection est très faible.

On est loin de la mise sous tutelle de la CNDA que certains dénoncent dans une lecture très éloignée du texte lui-même.

À l'orateur de La France insoumise, qui n'est plus là, et qui nous a accusés de faire monter les extrêmes, je répondrai que sa posture idéologique est bien plus responsable de la montée de l'extrême droite – je note que les extrêmes se rejoignent dans l'outrance – et, plus inquiétant encore, ne protège pas les étrangers eux-mêmes. Je le constate, notamment dans ma ville, les étrangers sont les premiers à demander de la fermeté à l'encontre de ceux qui se comportent mal. En donnant une mauvaise image des étrangers, ces derniers nourrissent le racisme et les discriminations. Ce n'est pas en laissant agir des criminels et des délinquants qu'on fera mieux comprendre et accepter l'immigration dans notre pays. Je ne comprends pas cette interpellation qui semble surtout destinée à alimenter les réseaux sociaux.

Madame Youssouffa, le débat sur l'AME à Mayotte est très intéressant ; il n'a pas sa place ici, mais il peut se tenir dans un autre cadre – il semble qu'ait lieu en ce moment une discussion budgétaire ouverte et nourrie avec le Gouvernement.

Je suis très favorable à une révision des règles, comme le propose votre collègue Thani Mohamed Soilihi. Aujourd'hui, à Mayotte, pour être régularisé, il faut avoir l'un des deux parents qui est en situation régulière ou français, depuis au moins trois mois avant la naissance de l'enfant. Je souhaite que nous travaillions sur la modification de deux critères : les deux parents devraient être en situation régulière et depuis plus de neuf mois – pourquoi pas un an ? – sur le territoire national.

Ensuite, monsieur Kamardine, j'approuve l'idée selon laquelle, à Mayotte, une personne ne peut pas être régularisée si elle est arrivée irrégulièrement – l'étranger conserve le droit d'être régularisé ailleurs en France.

Je ne suis pas de ceux qui vous disent d'emblée que ces mesures ne sont pas constitutionnelles. Nous verrons bien ce que le juge constitutionnel dira. La future loi sur Mayotte nous permettra de prendre en considération d'éventuelles remarques du Conseil constitutionnel. La révision constitutionnelle que le Président de la République a annoncée pourrait aussi être l'occasion d'adopter des dispositions particulières à Mayotte. On ne peut pas gouverner Mayotte, me semble-t-il, comme on gouverne le reste du pays en matière d'acquisition de la nationalité. C'est mon avis personnel. Les conditions sont déjà différentes du droit commun. Qui peut le plus peut le moins. Je suis tout à fait prêt à y travailler et nous verrons ce que dira le Conseil constitutionnel.

Évidemment, ni l'Ofpra ni l'OFII, et encore moins la CNDA, ne voient leur indépendance remise en cause.

S'agissant des demandeurs d'asile dans le Calvados, je vais examiner la situation de Ouistreham que, je l'avoue, je connais moins bien que celle du Nord-Pas-de-Calais. Il me semble que nous avons affaire au même public, désireux de passer en Angleterre.

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