Au cours des dernières décennies, de nombreux textes ont traité de la politique migratoire, sujet qui nous touche toutes et tous profondément, pour d'innombrables raisons. C'est une question sensible, car elle est au cœur de ce qui fait la France, de ce qui l'a faite et de ce qui la fera. Depuis des décennies, nous souffrons d'une incapacité à nous projeter, à définir une trajectoire en la matière. Cela conduit parfois à des largesses, des mesures permissives mais aussi à des injustices, que les Français, à juste titre, n'acceptent plus. La réponse à la question migratoire inquiète légitimement nos compatriotes. Elle suppose de la nuance, qui n'empêche en rien la fermeté et, surtout, le réalisme. C'est un sujet bien trop sérieux pour que le débat public se limite à la petite phrase, n'en déplaise à certains.
Il faut le reconnaître et ne pas avoir peur de le dire : notre pays connaît parfois des tensions exacerbées, en raison d'une immigration que certains de nos compatriotes considèrent comme subie. Notre modèle social et nos services publics sont soumis à une forte tension, ce qui pousse nos capacités d'intégration à leurs limites extrêmes. D'un point de vue économique, l'immigration est un moteur, mais entraîne aussi, parfois, la paupérisation de nos travailleurs. Enfin, nous ferons face, au cours des décennies à venir, à un vertige démographique.
Il est donc grand temps de changer de braquet et de porter une véritable vision de la politique migratoire française. Le système actuel est trop fragile et doit être adapté pour préserver la cohésion nationale. Je ne crois pas que le projet de loi règlera toutes les difficultés, mais il n'en demeure pas moins indispensable, car il vise à instituer un système dans lequel nous ne subirons plus ou, en tout cas, nous subirons moins, notamment grâce au resserrement des conditions de regroupement et de réunification familiale et à la limitation du renouvellement des cartes de séjour temporaires.
Ce texte est indispensable aussi parce qu'il est grand temps de muscler notre stratégie d'éloignement. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, nous partageons avec vous la volonté de lever un certain nombre de protections à l'égard des étrangers qui constituent une menace pour l'ordre public. Il faut donner aux préfets les moyens de refuser ou de retirer le titre de séjour à ces personnes. Soyons très clairs : un étranger qui ne se conforme pas aux principes républicains et constitue une menace pour l'ordre public doit être éloigné ou expulsé.
Le projet de loi est indispensable, enfin, car il replace les valeurs de la République, la langue, le travail au cœur de l'intégration. Cette exigence républicaine n'est pas même une condition, c'est un préalable. L'immigration ne saurait conduire à un délitement de nos valeurs fondamentales, dont le travail fait partie. C'est une condition incontournable de l'intégration et de la nécessaire contribution de chacun à notre pays.
Néanmoins, ce texte ne suffira pas car, depuis la création de l'espace Schengen, agir seul n'a pas grand sens. Une action collective européenne doit se déployer au côté, bien sûr, d'une stratégie nationale de protection de nos frontières. À ce titre, nous espérons que le pacte sur la migration et l'asile aboutira avant l'échéance de juin 2024.
Il est une autre raison pour laquelle le texte ne suffira pas : en matière d'éloignement, ce n'est pas seulement notre arsenal juridique qui manque d'efficience, mais bien notre capacité réelle à éloigner les intéressés. Nous n'avons qu'une option crédible : agir sur les pays source, en conditionnant l'attribution de l'aide au développement à la coopération en matière de réadmission et en limitant drastiquement le taux et la durée de délivrance des visas. Nous ne pouvons pas continuer à financer massivement des projets structurants dans ces pays sans exiger une coopération efficace en matière de réadmission.
Monsieur le ministre, est-il possible de concilier la politique d'attractivité internationale menée par la France et une politique de réduction rationnelle de nos flux migratoires ?