Je suis heureux de vous retrouver pour discuter d'un texte annoncé depuis un an. Il découle directement du programme du Président de la République et reprend, dans ses trois grands axes, le projet de loi initial du Gouvernement, déposé en premier lieu, et pour la première fois, devant le Sénat.
Le premier sujet est celui de la simplification drastique des procédures. Dans la continuité de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb, les juridictions administratives, entre autres, rencontrent beaucoup de difficultés pour informer rapidement – selon les règles que nous avons définies – une personne de sa possibilité de rester ou non sur le sol de la République.
Le deuxième point concerne bien sûr les exigences et les moyens en termes d'intégration. Ce volet très important permet de toucher l'intégralité du champ de l'intégration et fait suite à l'augmentation de 25 % du budget dédié, résultant de la LOPMI et trouvant une traduction budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2024.
Le troisième axe est la fermeté vis-à-vis des étrangers, qu'il s'agisse de leur éloignement ou de leur expulsion, lorsqu'ils commettent des actes graves de délinquance ou de criminalité. Nous y reviendrons.
Je concentrerai mon propos sur la présentation du projet initial du Gouvernement – d'autres dispositions ayant ensuite été introduites, par le Gouvernement, à la suite des drames survenus à Annecy et à Arras, ou par les différents groupes politiques du Sénat. Je partage votre vision du débat parlementaire : des cavaliers législatifs figurent dans ce texte ; ce serait mentir aux Français que de leur faire croire que les questions, certes importantes, parfois abordées par les sénateurs sont recevables, puisqu'elles seront, à coup sûr, censurées par le Conseil constitutionnel. Le sujet de l'immigration est particulièrement complexe, en ce qu'il touche des femmes, des hommes, des enfants et, bien sûr, les personnes chargées d'appliquer les règles de la République, si bien qu'il n'est pas utile d'y introduire des contrevérités. Ne faisons pas croire aux Français que nous avons trouvé la martingale, alors que ce texte ne prévoit pas d'autres dispositions que celles figurant dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, telles qu'initialement prévues par le Gouvernement.
Je reviens sur les trois grands axes qui sous-tendent ce projet de loi. Notre écosystème permet malheureusement une immigration irrégulière, quand notre travail collectif consiste à prévoir une immigration régulière, avec des critères définis par le Parlement, et à lutter contre l'immigration irrégulière. Celle-ci est toujours source de difficultés, non seulement pour l'État, mais aussi pour les femmes et les hommes qui la subissent. Il existe un écosystème irrégulier, allant des passeurs – des marchands de misère –, qui organisent le trafic des êtres humains contre des sommes d'argent, à ceux qui les logent dans des conditions inacceptables, écosystème contre lequel ce projet de loi vise à lutter. Je suis ouvert aux amendements et aux discussions sur ce point.
Tout d'abord, le fait d'être passeur ne sera plus un délit, mais un crime. Actuellement il s'agit d'un délit, puni d'une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans de prison – davantage en cas de décès d'une personne. Nous pensons tous à ce drame qui a eu lieu dans la Manche, où vingt-neuf migrants – des femmes enceintes, des enfants – sont morts dans les eaux froides, dans des conditions ignobles. Malheureusement, les très nombreux passeurs que nous interpellons ne sont pas punis à la hauteur des drames qu'ils font naître, parce que les tribunaux appliquent la règle de la République, laquelle ne prévoit pas le même quantum de peine que pour un criminel de haut rang, un trafiquant de stupéfiants ou un membre du grand banditisme. Le garde des sceaux – puisque la mesure relève du code pénal – et moi-même vous proposons que le fait d'être un passeur devienne un crime passible de quinze ans de prison, ou de vingt ans en cas de passage ayant entraîné la mort.
Deuxièmement, se pose la question des personnes qui se trouvent en situation d'irrégularité dès leur arrivée sur le sol de la République, en raison de ce que nous pourrions qualifier de difficultés administratives de notre pays. En effet, il est possible, en France, de créer une auto-entreprise en ligne, sans que jamais que quelqu'un ne vérifie la régularité du séjour de la personne concernée. Ainsi, les étrangers irréguliers qui créent des auto-entreprises travaillent souvent pour des entreprises qui les exploitent, du fait du statut d'auto-entrepreneur. Ils paient des impôts et des cotisations sociales, sans jamais bénéficier de protection sociale. Au bout de quelques années, ils demandent à la préfecture de les régulariser, justifiant des impôts et cotisations dont ils s'acquittent ainsi que d'un papier du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique attestant leur droit de créer une auto-entreprise.
Il est compliqué de les régulariser, puisqu'il s'agit manifestement d'une filière d'immigration irrégulière, créée par l'État français : ils rentrent donc dans la catégorie des personnes qui ne sont ni régularisables – ils sont en situation irrégulière –, ni expulsables – aucun juge n'accédera à la demande d'expulsion d'une personne sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) alors que l'État français lui a permis d'avoir une entreprise en France.
Je me réjouis donc que le débat en séance publique au Sénat ait permis de rétablir un article qui avait été supprimé par sa commission des lois : nous proposons qu'il ne soit plus possible de créer une entreprise – ou une auto-entreprise – en France sans que la régularité du séjour ne fasse l'objet d'une vérification par les services de l'État. Il suffit d'ailleurs de se balader dans les rues des grandes villes pour s'apercevoir que de nombreuses personnes se trouvent dans de telles situations irrégulières ou clandestines.
Le troisième sujet est celui des employeurs que l'on peut qualifier de voyous, puisqu'ils embauchent sciemment des personnes qui ne sont pas en règle au titre du droit au séjour. Attention toutefois, certaines entreprises embauchent involontairement des étrangers en situation irrégulière. Les personnes visées par le nouveau dispositif ne sont pas celles qui, embauchées par une entreprise et disposant d'un titre de séjour de travail ou d'apprentissage, basculent dans l'irrégularité pour des raisons diverses – soit la personne cache son statut administratif au bout d'un certain temps, soit la préfecture n'ose pas ou n'a pas pu lui donner à temps un rendez-vous visant à la régulariser. Leurs employeurs sont en effet généralement d'accord pour les régulariser.
Les personnes visées ne sont pas non plus celles qui embauchent des personnes en étant trompées par un alias : il faudra bien sûr distinguer ce qui relève de la véritable tromperie, ou de celle organisée, comportant un état civil défectueux – cela relève notamment de l'inspection du travail.
Les employeurs concernés sont ceux qui embauchent des personnes irrégulières, sans papiers, sur le territoire national : elles font des horaires extrêmement difficiles, sans disposer d'un contrat de travail, ni de droit syndical ou de protection sociale. Il est toutefois impossible de sanctionner leurs patrons voyous, qui les exploitent et tirent un avantage concurrentiel par rapport à ceux qui respectent les règles de la République.
Si des procédures judiciaires existent, elles sont très peu utilisées, malgré les demandes de l'inspection du travail et du ministère de l'intérieur et des outre-mer : 15 000 contrôles sont effectués chaque année, pour seulement 500 procédures et moins de quelques dizaines de condamnations. Nous constatons pourtant l'existence de cette économie parallèle dans chacun de nos départements et de nos territoires. La moitié de ces personnes sont d'ailleurs elles-mêmes des étrangers, parfois en situation irrégulière, notamment dans les secteurs du bâtiment et travaux publics (BTP) ou de l'agriculture.
Il s'agit donc de prévoir des sanctions administratives extrêmement fortes, pour compléter les sanctions judiciaires – sans les remplacer – ainsi que des amendes très élevées pour ceux qui, sciemment, embauchent des travailleurs irréguliers et les exploitent sans leur donner le droit syndical ou le droit de la protection du travail.
L'écosystème est également irrégulier pour les marchands de sommeil. Nous connaissons tous des étrangers en situation irrégulière, dont des propriétaires véreux tirent profit, se faisant payer en liquide, parfois sans quittance de loyer. Les femmes, les enfants, les personnes vulnérables sont exploitées, parfois dans des conditions extrêmement difficiles – mérules, sorties de secours qui n'existent pas, froid en hiver, extrême chaleur en été : parce qu'elles sont vulnérables et en situation irrégulière, elles subissant ce système d'exploitation, souvent en lien avec le travail irrégulier. Nous devons lutter fortement contre cet écosystème de personnes véreuses, qui travaillent parfois avec les passeurs, notamment dans l'habitat ancien dégradé.
Le Gouvernement avait pris une disposition forte pour lutter contre les « marchands de sommeil ». J'ai accepté un amendement du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste – de M. Ian Brossat –, adopté par le Sénat, visant à permettre le titre de séjour temporaire à une personne qui dénoncerait son marchand de sommeil, sur le modèle de la personne prostituée et irrégulière qui dénonce son proxénète, une disposition qui fonctionne bien. Lors de la précédente législature, j'avais accepté un amendement de Marie-George Buffet permettant à une femme victime de violences conjugales et en situation irrégulière de disposer d'un titre de séjour provisoire : ce dispositif fonctionne et il contribue à sécuriser ces personnes. Grâce à l'accès à un titre de séjour temporaire en échange du dépôt de plainte, nous lutterons contre les marchands de sommeil et les trafiquants de misère.
Ces dispositions, extrêmement importantes, figuraient dans la première partie du texte avant l'examen par le Sénat : il s'agit des articles 2, 5 et 8 du projet de loi. Les mesures en matière d'intégration viennent les compléter, notamment celle supprimée par la commission des lois du Sénat, mais rétablie en séance : l'employeur devra désormais permettre à la personne embauchée de prendre des cours de français – voire des cours portant sur les valeurs de la République – sur son temps de travail, en vue de la passation de l'examen requis.
En effet, l'étranger doit actuellement accéder à des cours, donnés par les préfectures, par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ou par des associations, en dehors de ses heures de travail. Or, nous le savons tous, la plupart des étrangers qui entrent dans ce cadre ont un travail difficile, beaucoup de transports en commun et n'ont pas toujours le loisir de prendre ces cours.
Le dispositif que nous proposons s'apparente à un pourcent intégration, sur le modèle de ce qui se pratique en matière de logement. Les employeurs ont désormais aussi une vocation sociale et ne sont pas uniquement là pour faire un profit : ils doivent libérer quelques heures de travail dans la semaine, pour donner à la personne le temps de prendre les cours de français, afin qu'elle puisse s'intégrer au mieux. Je me réjouis que le Sénat ait finalement compris les intentions du Gouvernement sur ce point.
Ces mesures de lutte contre l'immigration irrégulière – les passeurs, les employeurs patrons, les difficultés administratives que nous avons créées, les marchands de sommeil – nous permettent d'avoir des exigences d'intégration plus fortes. J'en viens ainsi à ce qui est sans doute la mesure la plus importante de ce projet de loi. Jusqu'à présent, en matière de cours de français, il y avait une obligation de moyens, mais pas de résultat. Il y aura désormais une obligation de résultat : pour avoir un titre de séjour pluriannuel – les courts séjours ne sont pas concernés –, comme le demandent la plupart des pays autour de nous – à l'exception de deux d'entre eux, dont la France –, les étrangers devront demain désormais passer un examen de français de niveau A2, selon la qualification du Sénat et conformément à la moyenne européenne. En cas de réussite, il donnera droit au titre de séjour pluriannuel, mais s'il est raté, le titre de séjour ne sera pas accordé.
La contrepartie de cette exigence de la compréhension et de l'expression dans la langue, qui peut s'avérer difficile pour un certain nombre d'étrangers, est celle de la gratuité des cours. Elle résulte d'un autre amendement que nous avons accepté, en séance, au Sénat. Nous avons débloqué les moyens nécessaires, soit plus de 100 millions d'euros par an, notamment pour les cours de français mis en place avec la LOPMI.
Cette exigence d'intégration autour de la langue et des valeurs de la République – notion ajoutée par le Sénat – est très importante. Nous savons que 25 % à 40 % des étrangers disposant de titres de séjour parlent et écrivent mal – voire très mal – le français. Plus de la moitié des personnes concernées sont des femmes : elles sont particulièrement vulnérables, notamment en matière de communautarisme.
Le deuxième point est celui de la simplification administrative – les titres III, IV et V –, sujet très important puisqu'il vise à lutter contre le mal français qui consiste à multiplier les procédures, donc le temps de traitement de la demande : lorsque la réponse est négative, l'éloignement de la personne – la fameuse OQTF – est rendu quasiment impossible ; l'intégration n'est pas non plus facilitée puisque, pendant ce délai, la personne ne peut pas travailler et vivre correctement au sein de sa famille.
Cette simplification procédurale s'inspire du rapport de François-Noël Buffet, président de la commission des lois du Sénat, adopté à l'unanimité des groupes politiques il y a plus de deux ans et résultant lui-même du rapport Stahl du Conseil d'État. L'objectif est de passer de douze à trois procédures – j'entends que certains souhaitent les réduire jusqu'à deux, nous en discuterons –, soit une division par trois ou quatre. Pour la première fois, le Gouvernement ne vous propose pas de changer les règles en matière d'asile, avec des critères différents et des pays sûrs, dont nous débattrons pour savoir lesquels méritent de figurer ou pas sur la liste.
Nous avons fait un choix radicalement différent, celui de ne pas toucher aux règles de l'asile, mais de modifier la rapidité avec laquelle nous répondons à une personne. La loi Collomb a permis de passer le délai de traitement par de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) à cinq mois en moyenne, soit deux fois plus rapidement qu'avant, où il était d'un an. Ce délai est raisonnable, si l'on considère qu'il faut laisser le temps aux personnes qui arrivent sur le sol national pour demander l'asile de reprendre leurs esprits, parfois de se soigner ou d'être accompagnées. Il ne peut donc pas être réduit à zéro.
En revanche, le temps de l'action juridique des tribunaux administratifs, et parfois des tribunaux judiciaires, est beaucoup trop long. Quand un demandeur d'asile arrive en France, l'Ofpra lui répond en moyenne en cinq mois. Dans 70 % des cas, la réponse est négative, la France étant l'un des pays qui refusent le plus l'asile en Europe : contrairement aux idées reçues, nous ne sommes donc pas laxistes, mais trop longs. L'objet du projet de loi est de lutter contre cette lenteur.
En cas de refus, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) est saisie, et les choses se compliquent : neuf à dix mois viennent s'ajouter au délai de cinq mois de l'Ofpra. On arrive donc à un total d'un an et trois mois en moyenne. Lorsque la demande d'asile se solde par un refus de la CNDA en appel, la personne fait l'objet d'une OQTF, laquelle est susceptible d'un recours suspensif ; dès lors l'État, les policiers ou les préfets ne peuvent agir. Ainsi, seules 15 % à 20 % des OQTF sont appliquées, les 80 % restantes étant suspensives.
Lorsque la personne conteste l'OQTF, il faut ajouter six mois à un an au délai initial, selon le tribunal administratif – 50 % de l'activité des tribunaux administratifs relèvent du droit des étrangers, et cela représente 60 % du contentieux des cours d'appel. Pendant ce temps-là, la justice administrative – qui fait partie du service public – est mal rendue, notamment en matière d'urbanisme, en réponse aux demandes des maires, en raison de cette embolie liée au droit des étrangers.
L'appel pour l'OQTF amène donc le délai à deux ans et trois mois. Lorsque la décision du tribunal administratif est négative, elle fait généralement l'objet d'un appel devant une cour administrative d'appel ou devant le Conseil d'État, ce qui augmente à nouveau le délai d'une année. Au final, quelqu'un qui arrive en France obtient une réponse au bout de deux ans et demi à trois ans. Durant cette période, la personne a peut-être fait des enfants ou s'est mariée. Elle a peut-être inscrit ses enfants à l'école, eu l'occasion de travailler ou de créer son auto-entreprise, voire a travaillé dans une entreprise qui l'a embauchée, soit par alias, soit illégalement. Quand bien même nous voudrions appliquer l'OQTF, beaucoup de juges, au nom de la vie privée et familiale et de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), nous indiquent que l'expulsion n'est pas possible.
Tel est le nœud gordien que nous devons trancher : nous devons être en mesure de donner une réponse rapide. Si elle est positive, mais qu'elle survient seulement au bout de trois ans, la personne concernée aura, durant cette période, vécu de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), de l'aide médicale de l'État (AME), de difficultés dans le dispositif national d'accueil (DNA) pour les demandeurs d'asile et les réfugiés ainsi qu'en matière administrative, sans compter le sentiment d'insécurité lié à l'OQTF, alors qu'elle aurait pu vivre de ses cotisations sociales, de son salaire et être respectée sur le territoire national, en tant que femme ou homme.
Nous souhaitons donc simplifier drastiquement ces délais, en passant des deux à trois ans actuels, à moins de neuf mois. Ainsi, nous aurons bien travaillé, puisque, depuis longtemps, le Conseil d'État, la CNDA et le Parlement réclament une telle simplification, conforme au droit européen.
Le troisième sujet est celui de l'expulsion et de l'éloignement des étrangers qui ne respectent pas les règles de la République. Mesdames et messieurs les députés, il m'est actuellement impossible d'expulser ou d'éloigner énormément de personnes sous OQTF, surtout lorsqu'elles ont commis des crimes et des délits, en raison des réserves d'ordre public inventées par le législateur au début des années 2000, dans un contexte sans doute très différent. Elles sont propres à la France et ne sont garanties ni par la Constitution, ni par la CEDH, ni par les traités européens, comme l'a indiqué le Conseil d'État dans son avis sur ce texte. Elles empêchent – c'est la loi de la République – d'expulser une personne arrivée sur le territoire national avant l'âge de 13 ans, même si elle a commis des méfaits, par exemple à l'âge de 18 ans et demi.
Prenons le cas d'une personne arrivée à l'âge de 13 ans et demi, âgée de 19 ans, qui n'est pas française et n'a pas demandé la nationalité française, ni n'est régulièrement sur le territoire national : j'ai le droit de l'éloigner, avec une OQTF. En revanche je n'ai pas le droit d'expulser une personne arrivée à l'âge 12 ans et demi et qui, à 18 ans et demi, commet des crimes : la loi de la République empêche de l'éloigner.
Il en va de même pour les personnes mariées en France, présentes depuis plus de vingt ans sur le territoire national, ou qui ont eu des enfants, même lorsque les crimes ou les délits sont en rapport avec les enfants. Je pense à un cas extrêmement précis, où la vie privée et familiale a été caractérisée et évoquée, où la loi française m'a été opposée, cette personne – qui se livrait pourtant à des attouchements sexuels sur ses propres enfants – ne pouvant pas être expulsée en raison de la présence d'enfants sur le territoire national. Cette décision a été très difficile à comprendre, mais conforme à la législation.
Je vous propose, avec les articles 9 et 10, de lever ces réserves d'ordre public. Il y a toutefois une difficulté très forte, sur laquelle nous reviendrons : le régime de l'expulsion et le régime de l'éloignement ne sont pas les mêmes, le Conseil d'État ayant insisté pour que figurent deux articles différents. Le ministre peut prendre un arrêté ministériel d'expulsion (AME), y compris pour les étrangers réguliers sur le territoire national qui ont commis des crimes et des délits. Il faut en effet qu'une personne encourant des peines importantes, de cinq à dix ans de prison, puisse être expulsée, même si elle est en situation régulière. L'éloignement vise un étranger en situation irrégulière : lorsqu'il commet les mêmes méfaits, il ne peut actuellement pas être éloigné en raison des réserves d'ordre public.
Nous souhaitons donc supprimer les réserves d'ordre public, à l'exception de celle concernant les personnes de moins de 18 ans qui commettent des actes de délinquance avant l'âge de 18 ans – les mineurs étrangers ne relèvent pas du ministre de l'intérieur et des outre-mer, mais du garde des sceaux –, interdite par la Convention européenne sur l'exercice des droits des enfants, sauf décision expresse du juge. Je propose de supprimer toutes les autres réserves d'ordre public, lorsque les étrangers ont commis des actes qui menacent l'ordre public, des violences conjugales, des atteintes contre les policiers, du trafic de stupéfiants ou tout autre crime. Ainsi, nous pourrons expulser ou éloigner tous les étrangers, non pas par rapport à leur statut d'arrivée sur le territoire national, mais en raison de ce qu'ils font contre la nation.
S'ajoute à cela l'article 13, nouveau et assez puissant : il prévoit le retrait du titre de séjour des étrangers qui commettent des actes de délinquance ou qui ne respectent pas les valeurs de la République au sens de la loi sur le séparatisme. Par exemple, si les policiers ou les gendarmes découvrent, dans le téléphone d'une personne, des vidéos répétées de décapitation, en l'absence de transfert de ces messages, il n'est actuellement pas possible de considérer que cette personne tombe sous le coup de la loi, mais simplement qu'elle adhère à une idéologie radicale. Si, grâce à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), cette personne peut être fichée administrativement, je ne peux pas lui retirer son titre de séjour, ce qui est incompréhensible pour les Français. L'article 13 prévoit notamment l'adhésion aux valeurs de la République, telles que définies par la loi sur le séparatisme et validées par le Conseil constitutionnel. Si ce concept a pu sembler flou lors de son adoption, il nous est bien utile ; validé par le Conseil d'État et par le Conseil constitutionnel, il est très efficace pour nous protéger contre tout signe d'atteinte contre la République.
Simplification drastique des procédures, exigence d'intégration, notamment par la langue, travail de fermeté extrêmement fort contre les délinquants étrangers : telle est l'ossature du projet de loi. S'y sont ajoutées les dispositions que vous avez évoquées, monsieur le président, qui ne sont pas de l'ordre de l'irrecevabilité et sur lesquelles je ne reviendrai pas, mais aussi des dispositions voulues par le Gouvernement, notamment la question du travail du juge des libertés et de la détention (JLD). J'ai décidé de placer dans les centres de rétention administrative des personnes dangereuses, et non plus des étrangers qui n'ont commis aucun acte de délinquance, ce qui change la nature de ces centres et permet au JLD d'avoir un œil particulier sur les personnes qui représentent une dangerosité.
Certaines dispositions visent à l'identification des personnes. Lorsque l'on interpelle des personnes en situation irrégulière en vue d'une OQTF, il n'est aujourd'hui pas possible de rechercher, dans l'appartement ou dans la voiture, la pièce d'identité où se trouve mentionnée la nationalité de la personne, afin de la reconduire dans son pays d'origine. Nous demandons que ce soit désormais possible.
D'autres dispositions nous paraissent intéressantes, comme le conditionnement des laissez-passer consulaires vis-à-vis des visas imaginés par le Sénat – à titre personnel, j'y suis favorable –, ou d'autres disspositions nous permettant d'être plus efficaces. Prenons l'exemple du drame d'Annecy : il n'est pas possible de traiter très rapidement la demande d'asile d'une personne qui avait déjà obtenu celui-ci dans un pays européen ; nous proposons donc de lui indiquer, si elle se trouve dans ce cas, qu'elle n'obtiendra pas l'asile en France, étant désormais protégée, même si elle dispose évidemment de la possibilité d'avoir un pays de refuge – la Suède, dans le cas de l'auteur des attaques des bébés à Annecy.
Ce sujet suscite bien évidemment l'incompréhension des Français, tout comme ils ne comprennent pas que des personnes ayant obtenu le statut de réfugiés en France – je pense à des citoyens russes d'origine tchétchène –, à qui l'on aurait ensuite retiré le droit d'asile en raison de leur retour, chaque été, dans leur pays d'origine, où ils sont supposés être pourchassés, puissent conserver, en vertu du droit actuel, une qualité pour rester sur le territoire national. Avec ce texte, cette qualité leur sera retirée afin de pouvoir les expulser du territoire national : il n'est pas concevable d'avoir une résidence secondaire dans le pays qui est censé vous persécuter.
Vous l'aurez compris, beaucoup de dispositions ont été ajoutées dans ce texte, y compris par le Gouvernement. Il ne sera pas sans présenter de difficultés juridiques, puisque le droit des étrangers est extrêmement encadré. À cet égard, je m'enorgueillis de l'avis du Conseil d'État sur le projet de loi initial du Gouvernement. Je regrette d'ailleurs que les présidents des assemblées, notamment celui du Sénat, n'aient pas saisi le Conseil d'État sur des dispositions, certes très intéressantes mais difficiles, en raison du contrôle de constitutionnalité. Ce projet de loi n'épuise pas tous les débats, notamment ceux de nature constitutionnelle et conventionnelle. Il ne m'appartient pas d'en faire un texte constitutionnel ou conventionnel – les deux se complètent, selon la nature des opinions de chacun.
J'évoquerai pour finir les articles 3 et 4. L'article 3 a été supprimé par le Sénat. Ses dispositions ont été réécrites à l'article 4 bis, qui conserve la possibilité de régulariser dans les métiers en tension, ce qui est une bonne chose. Je crois savoir que M. le rapporteur général souhaite travailler à une nouvelle rédaction de cet article.
Ce qui importe, c'est de rompre le lien entre l'employeur et l'employé dans la régularisation. À l'heure actuelle, il est impossible de régulariser une personne si son employeur s'y oppose. C'est un droit de servage. Si une personne vient me voir pour être régularisée, je ne peux pas la régulariser – la loi, en l'espèce le code du travail, m'en empêche, et non le règlement – dès lors que son employeur refuse de signer le formulaire de demande d'autorisation de travail pour embaucher un étranger résidant en France.
Deux raisons incitent généralement les employeurs à ne pas les signer : ils ne veulent pas reconnaître qu'ils embauchent des travailleurs sans-papiers, ce qui est un délit, ni verser la taxe pour l'emploi d'un travailleur étranger, dite taxe OFII. Placée dans cette situation, une femme, pour être régularisée, doit faire un enfant ou se marier sur le territoire national, aux termes de la circulaire du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dite circulaire Valls.
Nous sommes dans un monde très particulier où, même si nous savons très bien que la personne que nous avons devant nous travaille, nous ne pouvons pas la régulariser parce que l'employeur ne veut pas signer le formulaire de demande d'autorisation de travail pour embaucher un étranger résidant en France.
L'objectif premier de l'article 3, indépendamment des régularisations qu'il fait naître dans les métiers et les zones géographiques en tension – systématiquement oubliées par les commentateurs –, est de faire sauter ce lien entre employeur et employé, pour permettre la régularisation de ce dernier dans les conditions que définira le Parlement.
Quant à l'article 4, relatif à l'accès au travail de certains demandeurs d'asile, lesquels – contrairement à ce que l'on entend souvent dire – ont le droit de travailler en France six mois après y être arrivés, il vise à annuler ce délai pour ceux dont la nationalité les rend les plus susceptibles d'être protégés par la France. Cet article est le seul que le Sénat a supprimé sur les vingt-sept que compte le texte initial, ce qui prouve que celui-ci, indépendamment des ajouts introduits par le Sénat, est non seulement bien vivant, mais a été approuvé par une large majorité de sénateurs.