Mercredi 6 septembre 2023
La séance est ouverte à quatorze heures dix.
(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)
La commission entend lors de sa table ronde sur l'impact des pesticides sur la qualité de l'air :
– M. Ohri Yamada, chef de l'unité phytopharmacovigilance et observatoire des résidus de pesticides à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) ;
– Mme Anne Laborie, déléguée générale de la Fédération Atmo France, réseau des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA), Mme Emmanuelle Drab-Sommesous, directrice accompagnement et développement à Atmo Grand Est, référente pesticides pour Atmo France, et Mme Charlotte Lepitre, responsable projet et plaidoyer à Atmo France.
Nous poursuivons nos travaux avec une table ronde dédiée à la question de la présence des produits phytopharmaceutiques dans l'air. Nous sommes dans une phase de mise à niveau de nos connaissances, nous ne sommes donc pas encore entrés dans l'examen critique des politiques publiques. Le sujet étant très technique, je vous remercie de faire preuve de beaucoup de pédagogie dans vos interventions qui doivent nous permettre de prendre connaissance des dispositifs utilisés pour mesurer, contrôler, surveiller la qualité de l'air et produire de la donnée.
Nous accueillons à cette fin des représentants de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et de la fédération Atmo France. Je rappelle que nous aurons d'autres occasion d'auditionner l'Anses, notamment sur son rôle en matière d'autorisation des produits phytosanitaires ; aujourd'hui nous tâcherons de rester focalisés sur la question de la contamination de l'air.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Ohri Yamada et Mmes Anne Laborie, Emmanuelle Drab-Sommesous et Charlotte Lepitre prêtent serment.)
Le gouvernement a confié la surveillance de la qualité de l'air aux associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa). Leurs missions sont précisées dans le cadre d'un agrément. Chaque région est dotée d'une Aasqa dont la gouvernance est quadripartite : État, collectivités territoriales, entreprises, ONG et personnalités qualifiées issues du monde de la santé. Leur financement est assuré par l'État, les collectivités locales et les entreprises. Ce sont des organismes tiers de confiance, transparents et indépendants. Les informations produites par les Aasqa sont des données de référence, fiables et transparentes. Enfin, les Aasqa bénéficient d'un ancrage territorial qui les place au plus près des acteurs, notamment des collectivités locales et du monde agricole. Cette proximité est importante car chaque territoire a ses spécificités ; c'est particulièrement vrai lorsqu'on parle des produits phytosanitaires.
Les Aasqa ont pour mission de surveiller et de prévoir la qualité de l'air par des mesures et des modélisations, pour une douzaine de polluants réglementés mais aussi pour d'autres polluants qui ne sont pas encore réglementés, dont les pesticides. Elles informent et sensibilisent la population au quotidien et en cas d'épisode de pollution. Elles accompagnent les acteurs des territoires dans la mise en œuvre, le suivi et l'évaluation de leurs actions en faveur de la qualité de l'air, selon une approche intégrant l'air, le climat et l'énergie. Enfin, elles contribuent à améliorer les connaissances sur la qualité de l'air. C'est à ce titre qu'elles ont, depuis les années 2000, sur l'impulsion de certains acteurs locaux, initié une surveillance des résidus de pesticides présents dans l'air.
La mesure des pesticides dans l'air a commencé en 2001, à l'initiative des Aasqa, avec l'aide financière d'acteurs territoriaux, pour répondre à des préoccupations locales. Pendant plus d'une décennie, c'est ainsi uniquement grâce aux Aasqa et à ces acteurs territoriaux que les pesticides ont été surveillés, en fonction des moyens humains et financiers disponibles. Atmo a mis en place une base de données unique, PhytAtmo, qui agrège les résultats de ces observations et les rapports de toutes les Aasqa de 2001 à 2020. PhytAtmo est accessible en données ouvertes sur le site d'Atmo France, ainsi que , depuis 2019, sur data.gouv. Elle a été présentée au Conseil national de l'air lorsqu'il était présidé par le député Jean-Yves Fugit.
361 substances sont répertoriées dans la base de données qui comprend les résultats de plus de 10 000 prélèvements sur 176 sites répartis sur le territoire. Elle recense également les données de la campagne nationale exploratoire des pesticides dans l'air (Cnep) menée en 2018-2019. À la suite de la Cnep, un suivi national a été mis en place sur un site par région, financé par l'État. Parallèlement, les suivis régionaux ont été maintenus à l'initiative des Aasqa et des acteurs territoriaux.
C'est cette base de données que l'Anses utilise pour sa phytopharmacovigilance. Atmo transmet également des alertes à l'Anses si elle observe des données anormales sur certaines substances.
La présence des pesticides dans l'air est liée à différents phénomènes qui ont des temporalités différentes. Au moment du traitement nous pouvons observer des phénomènes de dérive, liés à des conditions de vent, lequel disperse les gouttelettes dans l'atmosphère, ou à des conditions de volatilisation. Nous observons également des émissions de pesticides plus tardives, plusieurs heures ou plusieurs semaines après le traitement, notamment en raison des conditions météorologiques, qui peuvent entraîner une volatilisation ou une érosion éolienne. Le compartiment atmosphérique est donc susceptible d'être contaminé par les pesticides au même titre que d'autres compartiments de l'environnement.
Les substances qui font l'objet d'un suivi par les Aasqa proviennent de divers usages. Nous suivons à la fois des fongicides, des herbicides et des insecticides ; au total, entre 75 et 100 substances actives sont recherchées et quantifiées par les Aasqa. Le socle des 75 substances résulte d'une liste commune établie sur l'ensemble du territoire dans le cadre de la Cnep qui s'est déroulée en 2018-2019.
Il existe une norme Afnor relative au prélèvement, une autre relative à l'analyse. Les pesticides dans l'air sont captés à partir d'équipements en prélèvement actif, c'est-à-dire que l'air est aspiré. Il passe sur un filtre, où l'on récolte la fraction particulaire des pesticides, et ensuite à travers une mousse qui collecte la fraction gazeuse. Les deux échantillons sont collectés par les Aasqa soit sur une semaine, soit sur une journée. Ils sont ensuite envoyés en laboratoire où ils sont analysés en même temps. Nous suivons ainsi la concentration totale de la substance active pendant la période de prélèvement.
Je reviens sur les étapes principales de la mesure des pesticides dans l'air. 2001 a donc marqué le début des mesures par les Aasqa, à l'initiative des acteurs locaux. En 2018-2019, a été organisée la Cnep. Elle a permis de faire un état des lieux et de constituer un protocole a minima pour les mesures, avec notamment une liste de substances actives à rechercher. Enfin, en 2021, un suivi national a été mis en place, toujours sur la base d'un point de mesure dans chaque région. D'autres points peuvent faire l'objet de mesures, à la libre appréciation de l'Aasqa sur le territoire concerné.
Depuis 2001, nous observons une variabilité spatiale et temporelle extrêmement importante des pesticides dans l'air. Nous observons des comportements différents entre les sites, entre les années et entre les saisons. Ces différences sont liées au caractère multifactoriel des concentrations en pesticides dans l'air : l'occupation du sol ; le type de cultures ; la nature du sol les pratiques agricoles ; le type d'équipements utilisé ; la météorologie, qui impacte de manière directe et indirecte les émissions dans l'atmosphère ; et les propriétés physico-chimiques de la substance. Plus elle est volatile, plus la substance a de chances de se retrouver dans le compartiment atmosphérique.
Au-delà de cette variabilité, grandes tendances nationales se dégagent néanmoins, notamment la saisonnalité. Sur les dix dernières années, nous avons observé des niveaux de concentration des pesticides dans l'air plus importants en automne – essentiellement des herbicides. Le prosulfocarbe est très présent dans l'ensemble des régions et présente les niveaux de concentration les plus élevés dans beaucoup de situations. Les fongicides sont également présents ; en revanche, les insecticides apparaissent peu. Le lindane est interdit en usage agricole depuis 1998 mais nous le trouvons de manière récurrente sur l'ensemble du territoire. Cependant, contrairement au prosulfocarbe, ses niveaux de concentration sont très faibles.
Le compartiment atmosphérique est donc un compartiment qui reflète de manière assez immédiate et rapide les pratiques mises en œuvre sur les parcelles en termes de gestion des produits phytosanitaires. Nous suivons également certaines substances interdites au fil des années. Certains sites sont suivis depuis plus de dix ans, ce qui nous permet d'avoir une idée des grandes tendances.
Enfin, vous constaterez que les données que nous produisons sur les pesticides sont uniquement issues de mesures, ce qui est assez différent des polluants réglementés, pour lesquels nous appuyons à la fois sur des mesures et sur de la modélisation. Celle-ci nous permet d'évaluer la qualité de l'air et les niveaux de concentration de polluants ou de substances en tout point du territoire. Nous avons donc une problématique liée à la connaissance exhaustive des territoires.
Par ailleurs, si l'approche nationale est importante pour avoir un cadre commun, s'agissant notamment des substances actives et des périodes de prélèvement, il ne faut pas occulter les spécificités locales qui nous permettent de compléter de manière utile nos diagnostics très spécifiques des territoires.
Je sais que vous auditionnerez divers interlocuteurs issus de l'Anses, qui a en réalité plusieurs identités, associées à ses différentes missions. Pour ma part, j'interviens au titre de la mission de phytopharmacovigilance, qui a été créée en 2015 pour accompagner le transfert de la gestion des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Nous avons alors mis en place une surveillance des effets indésirables qui surviennent à la suite de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les conditions réelles du terrain. Pour cela, nous avons créé un réseau de partenaires. Nous nous appuyons sur l'ensemble des dispositifs de surveillance existants dans tous les milieux, les Aasqa notamment, pour la surveillance de l'air ambiant. Vous avez auditionné l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) qui a mené une campagne de mesures dans les sols. C'est également l'un des partenaires de l'Anses dans le cadre de la phytopharmacovigilance.
Nous collectons l'ensemble des données de présence des résidus de pesticides dans les différents milieux, dans l'alimentation et l'environnement. Par ailleurs, nous recensons les effets indésirables – intoxications aiguës, éléments de pathologie chronique – qui peuvent être attribués à l'exposition aux pesticides. Cette collecte nous permet de faire un état des lieux et d'identifier, dans le cadre de notre mission de vigilance, des signaux ou des alertes qui nécessitent la mise en place d'actions de correction.
Au titre de cette mission, nous avons, à partir de 2015, réalisé un état des lieux des données existantes pour documenter la présence des résidus de pesticides dans l'environnement. Pour le sol, nous avons constaté qu'il n'y avait quasiment pas de données et nous avons financé une campagne de mesures. Pour l'air, le diagnostic était différent. Comme vous l'avez entendu, depuis presque vingt ans, certaines Aasqa mesurent les pesticides dans l'air, selon des protocoles variables. La Cnep nous a permis de disposer d'une image représentative et homogène sur l'ensemble du territoire national, y compris les territoires ultramarins, avec les mêmes méthodes et la recherche des mêmes substances actives sur une année entière. Nous avons aussi pu capter les variations saisonnières et la variabilité de l'occupation des sols. Avant de lancer la Cnep, nous avons mené une expertise pour déterminer ce que nous nous attendions à trouver, c'est-à-dire des molécules les plus utilisées et les plus volatiles, ainsi que celles qui sont le plus toxiques. La Cnep a couvert des sites céréaliers, viticoles ou arboricoles, soit la diversité des contextes agricoles, cependant nous ne nous sommes pas placés à proximité des cultures. La Cnep n'avait pas pour objet de comprendre ce qui se passait une heure après un traitement, mais plutôt de capter une sorte d'ambiance de fond sur le territoire.
Les résultats ont montré que certaines substances atteignaient des pics de concentration, d'autres étaient très fréquemment retrouvées, pas forcément à des concentrations élevées, quand d'autres cumulaient les deux caractéristiques. Nous avons trouvé des substances interdites, comme le lindane, dont l'utilisation a été interdite à la fin des années quatre-vingt-dix pour la protection des cultures et au début des années 2000 pour l'élevage. Nous avons aussi observé une saisonnalité des contaminations.
Par ailleurs, l'air est le premier compartiment contaminé. Pour l'application d'un produit phytopharmaceutique, on utilise couramment la pulvérisation, qui consiste à créer un brouillard au-dessus des cultures, afin de protéger la culture des insectes ravageurs, ou d'atteindre les mauvaises herbes qui sont au pied des cultures. Or, une fois contaminé, l'air contamine le sol, les cours d'eau et les environnements intérieurs.
La Cnep a mis en évidence des niveaux de concentration et des fréquences de quantification et de détection. Nous avons accompagné ces résultats par une interprétation sanitaire de ces niveaux de concentration. Nous avons conclu qu'il n'y avait pas d'alerte sanitaire liée aux niveaux de concentration retrouvés dans les mesures réalisées dans l'air. Je ne parle ici que de l'exposition par voie respiratoire. Mais ce travail a par ailleurs pointé l'absence de repères normatifs ou sanitaires pour réaliser la surveillance de la qualité de l'air, contrairement à ce qu'on observe dans d'autres milieux.
Nous pensons qu'il y a tout de même un intérêt à mesurer les concentrations de pesticides dans l'air, bien que nous ayons des difficultés à les interpréter en termes des risques sanitaires. Pour cette raison, nous nous réjouissons de la transformation de la campagne exploratoire qui n'était que provisoire en une surveillance nationale pérenne, assurée par les Aasqa. Cette surveillance nous permet de procéder à des analyses sur le temps long. En effet, la grande variabilité d'une année sur l'autre – en raison de la météorologie, par exemple – ne nous permet pas de mettre en évidence des tendances sur seulement trois années. Les signaux que nous détectons sont ensuite transmis à nos collègues chargés des autorisations de mise sur le marché, ainsi qu'à toutes les missions publiques nationales qui interviennent dans la gestion des risques liés aux pesticides.
La question des seuils est subtile à comprendre. Ils peuvent être interprétés comme des seuils de danger ou des seuils de risque, alors que ce sont des seuils d'alerte. Que faudrait-il faire pour que nous disposions de seuils d'alerte sur l'air et comment bien comprendre la différence entre le seuil qui déclenche une action ou un renforcement de la surveillance et le seuil qui révèle un danger et qui doit inquiéter ?
Je partage votre interrogation, et je pense que nous pourrions l'étendre aux seuils établis dans l'ensemble des compartiments de l'environnement : une clarification est nécessaire.
Il me semble que nous sommes très en retard sur la surveillance de l'air, par rapport à ce qui est prévu pour les sols et pour l'eau. Je comprends à ce que vous dites que la surveillance est partie du terrain ; l'État en a ensuite fait une politique nationale, mais une politique qui n'est pas normée. Par conséquent, nous observons sans mesurer. Quelles sont vos préconisations en termes de politiques publiques ? En effet, une commission d'enquête parlementaire peut déboucher sur des orientations générales mais aussi sur des mesures concrètes qui permettraient de renforcer la vigilance.
Nous avons vu ce matin que la contamination par l'eau représentait 5 % des impacts observés sur la santé humaine. Pouvez-vous, de la même manière, nous dire quelle est la part imputable aux autres modes d'exposition, notamment l'air ? Disposez-vous d'une mesure d'ensemble de l'exposome ?
Par ailleurs, dans le cadre du dialogue territorial que vous menez avec les parties prenantes, vous êtes amenés à réfléchir à des mesures d'atténuation. Il y a deux écoles. L'une prône moins de pesticides et plus d'agroécologie, l'autre cherche des solutions techniques, comme des modes d'application permettant aux produits d'être moins diffusés dans l'air. Quels sont les progrès qui nous permettent de réduire l'érosion aérienne ? Devant les limites de ces solutions techniques, préconisez-vous une diminution globale des quantités et des usages des pesticides, pour en diminuer l'impact ?
Je vous ai dit que les Aasqa avaient pour rôle de surveiller un certain nombre de polluants ; mais les pesticides ne font pas partie de la douzaine de polluants réglementés pour lesquels il y a des valeurs limites. Cette liste pourrait évoluer, dans la mesure où la directive européenne sur la qualité de l'air ambiant est en cours de révision, mais les pesticides ne sont, à ce stade, pas inclus dans le document. Ce n'est donc pas de cette manière que de nouvelles obligations seront introduites dans le droit français. Il n'y a pas, à ce jour, de projet de réglementer les émissions de pesticides dans l'air. Nous regrettons également l'absence de valeurs sanitaires, qui nous permettraient d'interpréter les résultats des mesures de concentration que nous faisons.
Je rappelle que l'Anses a conclu à l'absence d'alerte sanitaire au regard des résultats de la Cnep. Pour parvenir à ce résultat, nous les avons comparés à un seuil. À partir d'une donnée de concentration dans l'air, nous pouvons en déduire une concentration d'exposition par le volume d'air inspiré. Nous disposons également de valeurs toxicologiques de référence (VTR), en dessous desquelles il est peu probable que surviennent des effets sanitaires. La VTR est un élément clé dans l'évaluation des risques sanitaires, quelles que soient les expositions. Quand nous avons réalisé cette interprétation sanitaire, nous avons pointé que, globalement, les VTR existant pour les pesticides sont établies à partir d'études dans lesquelles les animaux de laboratoire sont exposés par voie orale. Il y a toujours une incertitude sur la transposition de la voie orale à une autre voie. Les effets aux seuils de concentration observés sont-ils les mêmes, quelle que soit la voie d'exposition ? Normalement, pour les effets systémiques, il n'y a pas vraiment d'incertitude sur la voie d'exposition mais les pesticides n'ont pas que des effets systémiques. Nous avons conclu qu'il n'y avait pas d'alerte manifeste mais nous ne nous sommes pas prononcés sur l'absence de risque de manière définitive. Il ne serait donc pas satisfaisant d'établir des seuils à partir des seules VTR.
Il est difficile de répondre de façon générale sur la part de l'impact sanitaire de l'exposition aérienne aux pesticides, par rapport aux autres voies d'exposition. En effet, les pesticides couvrent des milliers de substances, dont certaines sont très volatiles, d'autres persistantes, etc. Par ailleurs, la réponse serait différente pour les populations qui vivent à côté des cultures en zone agricole et pour la population générale, éloignée des sources de pesticides. Santé publique France, l'Anses et les Aasqa mènent une étude sur les personnes habitant à proximité de parcelles de vigne. Nous allons mesurer leur exposition aux pesticides dans leurs urines et dans leurs cheveux et comparer ces résultats à la contamination de l'air, des aliments et des poussières, pour déterminer s'il existe une part d'exposition plus importante pour l'une de ces voies.
Pour les mesures d'atténuation, nous n'avons pas, à ce jour, de réponse. Pour répondre à cette question, il faudrait que nous disposions de modèles pour quantifier l'influence des différents déterminants sur les niveaux de concentration dans l'air. Il est donc compliqué de déterminer si des mesures d'optimisation des pratiques seraient suffisantes pour abaisser le niveau de concentration dans l'air. Par ailleurs, nous observons des diagnostics de niveaux très variables en fonction de la nature du sol, du type de cultures, des substances actives, etc. Néanmoins, tout ce qui vise à réduire la volatilisation ne peut, a priori, qu'être positif, notamment les systèmes d'enfouissement.
Il m'avait été donné de voir, dans le cadre d'une mission réalisée pour le Premier ministre, une station de l'Inrae qui m'avait semblé très performante sur la mesure de l'impact sur l'air des différents modes d'application. Je suis surpris qu'aujourd'hui nous ne soyons pas plus avancés.
L'Inrae travaille à l'échelle de la parcelle, avec des situations qui ne sont pas forcément représentatives à l'échelle du territoire ; de nombreux facteurs peuvent varier. L'Inrae n'a pas encore de modèle permettant de passer à plus grande échelle pour identifier l'importance des différents déterminants sur les niveaux de concentration.
Ohri Yamada a évoqué le besoin de travailler sur des VTR spécifiques pour la voie respiratoire. Aujourd'hui, les travaux de suivi des pesticides dans l'air ne sont guidés que par un groupe de travail et par ce qui est écrit dans le Plan de réduction des polluants atmosphériques (Prepa). Il n'y a donc pas de politique publique établissant la surveillance nationale des pesticides dans l'air, ni d'objectifs sur lesquels nous pourrions nous appuyer.
Le Prepa a été publié en décembre 2022 ; il indique qu'il faut poursuivre les travaux sur la science des pesticides dans l'air, mais sans définir de cadre national. Il n'organise le suivi que sur un seul site par région, ce qui n'est pas à la hauteur des enjeux s'agissant des pesticides dans l'air.
Combien de départements sont aujourd'hui couverts par Atmo ? Quelle est la part des pesticides sur l'ensemble des polluants aériens ?
Par ailleurs, je suis députée de l'Aunis, un territoire qui est sous le feu des projecteurs depuis un an, à la suite d'une étude d'Atmo publiée en juillet 2022. La presse a largement fait état de ces données qui révèlent des valeurs particulièrement hautes. Cela a suscité de fortes tensions sur le territoire. Je ne remets pas en question ces valeurs mais elles ont été comparées à celles de territoires, comme le centre de Poitiers, qui sont totalement différents de la plaine d'Aunis, lequel est un territoire céréalier. Je pense qu'il serait plus intéressant de comparer des données comparables.
En termes de couverture, pour assurer le suivi souhaité par le ministre en charge de l'environnement, il y a au moins un point de mesure dans chaque région, y compris dans les territoires ultramarins. Il est habituellement localisé sur une zone de bassin de vie assez importante, avec des activités agricoles en proximité. C'est le cahier des charges établi par le ministère qui apporte son soutien financier au fonctionnement de ces points de mesure. Les Aasqa ont toute liberté pour conduire des mesures sur d'autres points si elles disposent de moyens financiers suffisants, sachant que les analyses de l'air sont les plus onéreuses en termes de suivi de pollution. Dans la région Grand Est, nous disposons de 4 points supplémentaires de surveillance.
Les mesures des polluants réglementés sont généralement de l'ordre du microgramme par mètre cube, à l'exception des hydrocarbures aromatiques polycycliques, qui sont des substances cancérigènes et pour lesquelles les mesures sont de l'ordre du nanogramme par mètre cube. Pour les pesticides, nous sommes également dans un ordre de grandeur du nanogramme par mètre cube, avec des niveaux variables en fonction de la durée de la mesure, de la proximité géographique d'une parcelle, de la proximité temporelle de la mesure par rapport aux traitements, etc. Sur la centaine de substances actives suivies par les Aasqa, une vingtaine est quantifiée et 80 % ont des niveaux inférieurs à 1 nanogramme par mètre cube. Seules quelques substances atteignent des niveaux hebdomadaires de 10 ou 100 nanogrammes par mètre cube.
Par ailleurs, quand nous sommes confrontés à des valeurs élevées, nous nous trouvons un peu démunis, puisque nous faisons un suivi et non une surveillance. Les acteurs des territoires se tournent vers nous et nous demandent quelles sont les actions à mettre en œuvre au regard des niveaux mesurés, mais nous ne pouvons pas leur répondre car nous ne disposons pas des outils nécessaires ni de valeurs de gestion.
Enfin, les données du site que vous avez évoqué ont été exploitées par Atmo Nouvelle-Aquitaine ; elles ont été comparées à un milieu urbain car il s'agit du site de suivi national. Nous disposons d'une base de données qui compile l'ensemble des mesures réalisées sur le territoire et nous travaillons à la rendre plus facilement exploitable, pour permettre à nos collègues de comparer les données d'un point de mesure avec celles d'autres territoires.
Elles seront disponibles fin octobre ou début novembre. Je ne dispose pas du nombre exact de départements couverts par un point de mesure, mais je pourrai vous transmettre cette information. Par ailleurs, les Aasqa échangent sur les études qu'elles ont menées et essaient de trouver un territoire comparable. Nous faisons cette recherche actuellement pour la plaine d'Aunis.
Tout ce que je viens d'entendre m'interpelle et me met dans un état de colère sourde et contenue. Vingt ans après le début des mesures, il n'y a toujours pas de plan de surveillance ni de valeur réglementaire pour les pesticides dans l'air. Dans ces conditions, que signifie la pharmacovigilance assurée par l'Anses ? Comment avez-vous réussi à déterminer des zones de non-traitement (ZNT) à dix mètres ? Sur quelles bases vous êtes-vous appuyés ? Alors que nous savons que les substances sont transportées dans l'air sur de grandes distances, je m'interroge sur la pertinence de ces ZNT. Quelles réponses apportez-vous aux familles des enfants identifiés dans des clusters de cancers pédiatriques, où plus de 40 pesticides ont été identifiés dans l'air ? Je pense qu'il appartient à l'Anses de proposer des actions correctives. Vingt ans après, j'ai l'impression que nous sommes au point zéro. Comme nous n'avons pas réussi à déterminer ces VTR, c'est, pour le dire de façon triviale, « open bar ». Nous respirons des pesticides à pleins poumons et personne ne s'en préoccupe. Cette inaction depuis vingt ans me met dans une profonde colère.
La mission de la phytopharmacovigilance est de collecter les données, de les interpréter et de passer la main aux différentes missions publiques de gestion des risques. Nous sommes tributaires des données et des repères existants. Si, jusqu'à maintenant, nous n'avons pas été capables de faire plus, c'est parce que les données existantes ne permettent pas de dire plus. Les données disent qu'il y a des pesticides dans l'air et que leur concentration varie en fonction des contextes et des saisons. Je reconnais que les repères sanitaires manquent pour la voie d'exposition respiratoire. Par défaut, nous avons interprété les données avec des VTR établies pour l'exposition par ingestion. Nous avons, en dépit de cette incertitude, conclu à l'absence d'alerte sanitaire après avoir évalué l'exposition à distance des parcelles, dans un contexte agricole. C'est une conclusion qui est généralisable à l'ensemble des valeurs de concentration dans l'air qui peuvent être observées puisque nous avons comparé les données de la Cnep 2018-2019 avec les données historiques des Aasqa et que nous n'avons relevé aucune divergence significative.
Je précise que les mesures sont réalisées à distance des parcelles et qu'elles ne prennent pas en compte la dérive de pulvérisation, c'est-à-dire les gouttelettes émises au moment de la pulvérisation et dans les heures qui suivent. C'est une exposition particulière qui concerne les populations vivant au plus proche des parcelles. Une fois que l'on est à distance, la phase gazeuse s'évapore dans l'air et peut être transportée sur de très grandes distances. C'est cette exposition que nous avons caractérisée et pour laquelle nous avons réalisé l'interprétation sanitaire des résultats des Aasqa.
Nous ne pouvons pas tirer d'enseignements sur les ZNT à partir de données de la contamination de l'air de la phase gazeuse. C'est l'exposition à proximité, cumulée aux gouttelettes, à la phase gazeuse puis aux dépôts et donc à d'autres voies d'exposition, par exemple par contact cutané, qui sont pris en compte pour déterminer les ZNT. Vous pourrez sans doute évoquer cette question lors de futures auditions de l'Anses.
Les Aasqa sont conscientes de la nécessité de renforcer la surveillance. Le Prepa prévoit des actions ; vous pouvez compter sur les Aasqa pour poursuivre et renforcer la surveillance. Nous cherchons des moyens pour la financer et nous réfléchissons à la mise en place du principe « pollueur, payeur », puisqu'il existe aujourd'hui une redevance payée par les fabricants de produits phytosanitaires.
Je rappelle que le travail d'une commission d'enquête consiste à chercher la vérité. C'est un sujet très sensible. En effet, nourrir un soupçon sur ce qu'on boit, ce qu'on mange et surtout sur ce qu'on respire est terrible. Nous avons besoin que vous nous aidiez à aller le plus loin possible dans la compréhension de ce qu'on sait, de ce qu'on ne sait pas et de ce qu'il peut y avoir d'incohérent dans les différents dispositifs d'élaboration des connaissances.
Je vous remercie pour vos interventions. Il y a longtemps, j'ai beaucoup travaillé sur la pollution des sols, des eaux et de l'air. Nous parlions relativement peu de la pollution de l'air car nous ne savions pas comment la mesurer. J'ai retenu que l'état de pollution d'un sol est stable pendant un certain temps, que celui de l'eau était assez constant malgré des déplacements et que celui de l'air est totalement spontané et peut être complètement modifié quelques secondes après la mesure. Si nous considérons la circulation des masses d'air à l'échelle de la planète, comment pouvons-nous traiter ce sujet de façon posée et réfléchie, sans extrapoler dans un sens ou dans un autre, mais en proposant des moyens d'action pour limiter la contamination à l'échelle de la planète ?
Par ailleurs, j'habite en Ardèche, territoire mité par des résidences. Les ZNT peuvent rendre impossible le travail de certaines terres agricoles, du fait de cette dispersion des habitations. En Californie, cette question ne se pose pas puisque les terres sont gigantesques ; il est donc possible de définir des distances de traitement importantes. Quelles solutions proposez-vous ?
J'ai concentré mon intervention sur l'agriculture mais mon collègue Grégoire de Fournas vous parlera probablement des polluants présents dans d'autres secteurs, notamment dans les peintures. En effet, ces peintures utilisées sur les habitations sont à l'origine d'émanations permanentes de pesticides. Comment, en intégrant l'ensemble de ces données, pouvons-nous produire des propositions réalistes et agir ?
Pour nous, la porte d'entrée est la mesure des pesticides à des moments donnés et sur des points donnés. Votre question porte sur l'exhaustivité de la connaissance sur le territoire. À ce jour, nous ne disposons pas de la totalité de l'information sur la totalité du territoire, à tout moment, alors que nous l'avons pour les polluants réglementés.
Dans la plupart des régions, nous travaillons avec les chambres régionales d'agriculture, notamment celles qui disposent d'un conseiller « air ». Avant d'arriver à une réduction des émissions, nous pouvons expérimenter diverses solutions comme des haies ou des murs. Ces solutions mériteraient d'être poussées pour disposer d'une réponse intermédiaire pour les riverains et pour donner le temps à la profession de travailler sur le sujet. Une étude intitulée « Repair » a été menée en ce sens avec huit chambres d'agriculture, des Aasqa et l'Inrae, mais nous sommes encore au début du chemin.
Il n'existe pas une seule solution applicable sur l'ensemble du territoire car il existe différentes pratiques et différents paysages. Sur les pesticides dans l'air, il nous manque des informations pour compléter nos données, en particulier des données agricoles qui ne sont pas accessibles, comme les cahiers de pratiques culturales qui nous permettraient de mieux comprendre le terrain et de mieux interpréter nos observations. Par ailleurs, nous devons trouver les moyens de financer des études permettant d'avoir des inventaires d'émissions des pesticides dans l'air, que nous pourrions rapprocher de nos mesures, ce qui nous permettrait de travailler sur des solutions dont nous pourrions mesurer l'impact.
Quelle est votre position s'agissant des campagnes de désinsectisation des zones touristiques conduites à proximité des plans d'eau ?
C'est en effet un sujet qui émerge. Comme je l'ai précisé, chaque Aasqa peut compléter le suivi des substances actives sur son territoire. Atmo Grand Est complète ses observations sur certaines substances à la demande de la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) ou en réponse à des attentes sociétales. Pour le moment, les concentrations les plus importantes sont dues à des herbicides et non à des insecticides. A ce jour, on ne nous a pas demandé de réaliser de campagne spécifique autour de ces insecticides en zone touristique.
Je comprends la difficulté de corréler un seuil ou une mesure avec un risque. J'ai été choqué d'entendre M. Yamada évoquer la détection de lindane, un insecticide organochloré supprimé depuis plus de quinze ans. Avez-vous détecté cette substance sur plusieurs sites de mesures ? Les valeurs observées correspondent-elles à une émission récente ou à des réémissions ? S'il s'agit d'une émission récente, pouvez-vous la relier à un usage ? S'agit-il plutôt d'une réémission de produits stockés dans des bois traités il y a quinze ans ? Est-il possible de mettre en place des contrôles en routine sur des territoires où vous soupçonnez l'utilisation de ce produit interdit ?
Le lindane fait partie des polluants organiques persistant pendant des dizaines ou des centaines d'années ; il figure à ce titre sur une liste établie par la convention de Stockholm. Dans la Cnep 2018-2019, il a été mesuré à des concentrations relativement faibles dans les trois quarts des prélèvements, avec une relative constance, sans saisonnalité marquée. Le milieu aérien n'est pas un compartiment de stockage, c'est un milieu assez fugace. Notre hypothèse est que le lindane stocké dans les sols s'évapore et contamine l'air.
Une fois qu'une molécule est utilisée, il est important de mesurer comment elle persiste, comment elle migre dans les différents compartiments jusqu'à nous exposer par la voie respiratoire, la voie cutanée, par les aliments oupar l'eau. Je rappelle que la France est le seul État européen à avoir mis en place une phytopharcovigilance intégrant l'ensemble des données de surveillance dans tous les compartiments et évaluant les effets sur la santé humaine et sur la santé animale.
S'agissant du lindane, nous allons mener des travaux d'expertise spécifiques pour comprendre les mécanismes de transfert identifiés là où cette substance est stockée. Il serait étonnant que nous trouvions des mésusages. Le lindane n'a pas été utilisé uniquement pour l'agriculture : des éleveurs avaient recours au lindane pour protéger leurs animaux d'insectes parasites ; il a également été utilisé pour traiter les charpentes contre les insectes. Cette utilisation comme biocide a été plus tardive et ne s'est interrompue qu'au milieu des années 2000. C'est la raison pour laquelle on retrouve encore beaucoup de lindane dans l'air intérieur.
Vous avez mis en avant la dimension multifactorielle de la présence des pesticides dans l'air. Quels sont les effets du réchauffement climatique et notamment de la résurgence d'épisodes caniculaires intenses sur la concentration des pesticides dans l'air ? Certaines conditions climatiques favorisent-elles cette concentration ? Par ailleurs, la réglementation actuelle est-elle suffisante pour protéger les riverains des cultures des effets des pulvérisations de produits phytosanitaires ?
Il est évident que les épisodes caniculaires vont conduire à une volatilisation plus intense. Par ailleurs, certains facteurs météorologiques conduisent à des pressions parasitaires et donc à une utilisation plus importante des intrants chimiques. C'est notamment le cas du mildiou dans les milieux viticoles, où les fongicides sont largement utilisés. C'est aussi ce qui explique la variabilité interannuelle. La météorologie joue de manière directe au moment du traitement par les phénomènes de volatilisation mais aussi de manière indirecte en raison des programmes mis en place pour lutter contre les pressions parasitaires.
Ce matin, un intervenant nous disait que la quantité de nouvelles molécules arrivant sur le marché dépassait largement les moyens d'investigation de la recherche sur ces substances. Comment la hiérarchie est-elle établie entre l'ensemble de ces substances qu'il faut surveiller ?
Par ailleurs, les personnes que nous avons auditionnées ont insisté sur l'importance de disposer d'une vision globale et non par silo. Un film est récemment sorti sur les algues vertes en Bretagne, qui résultent de pratiques agricoles. Disposez-vous de sites de mesures dans cette région, en lien avec cette problématique ?
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, on ne trouve que ce qu'on cherche. Cette maxime a longtemps été valable en chimie analytique. Désormais, de nouvelles techniques d'analyse non ciblée nous permettent d'identifier des signatures chimiques et de les relier à différentes molécules. Cependant, cette technique nous permet seulement d'identifier la molécule, pas de mesurer sa concentration. Ainsi, la surveillance repose encore beaucoup sur des analyses ciblées ; il est donc essentiel de déterminer ce que nous nous attendons à trouver. Nous nous attendons ainsi à trouver dans l'air les molécules qui ont le plus d'affinité pour l'air, c'est-à-dire qui sont les plus volatiles, mais aussi celles qui sont les plus vendues. Par ailleurs, plus les substances sont toxiques, plus il y a un intérêt à les surveiller. C'est la combinaison de ces trois critères qui nous permet de déterminer les substances à rechercher. Nous sommes aussi attentifs à l'arrivée des nouvelles substances et à celles qui sont les plus persistantes.
Nous dépendons aussi de la capacité des laboratoires à détecter et à quantifier les substances. Parfois, certains composés ne peuvent pas, en l'état actuel des techniques, être analysés en laboratoire.
Il y a en Bretagne un site pérenne de mesure pour les pesticides ; le deuxième n'a pas pu être reconduit. Mais il existe un réseau plus important pour la surveillance de l'azote, de l'ammoniaque et du soufre.
La problématique des algues vertes dans l'air est liée aux émissions de sulfures d'hydrogène et d'ammoniaque, qui ne sont pas des pesticides, et qui sont mesurées régulièrement par Air Breizh.
Une récente étude américaine a démontré que la pollution de l'air était la première cause de mortalité dans le monde. Pouvez-vous estimer la part liée aux pesticides dans l'air dans la mortalité ?
C'est une question qu'il faudrait poser à Santé Publique France qui conduit des évaluations sur la mortalité et les décès prématurés. Nous mesurons les concentrations de pesticides mais pas leur impact sur la santé.
Pouvez-vous confirmer que, pour les autorisations de mise sur le marché, il n'y a aucune obligation des fabricants à soumettre leurs produits à des tests portant sur une contamination par voie aérienne et qu'ils ne sont soumis qu'à des tests évaluant la toxicité par voie d'ingestion ? Cette disposition s'applique-t-elle à toutes les familles de pesticides ? Je suis surpris que nous ne disposions d'aucune donnée médicale sur la contamination des pesticides par voie aérienne.
Je le confirme.
Dans le rapport que nous avons écrit en 2014 avec Jean Boiffin, nous disions que le sol était la terre inconnue des pesticides. Je découvre aujourd'hui un nouveau continent : l'air. Le champ de la recherche est vertigineux. Nous avons bien compris que vous nous appeliez à renforcer les moyens de mesure et la réglementation.
Je vous remercie de nous avoir invités à cette table ronde. Vous avez très bien résumé les enjeux. Une vraie politique nationale de surveillance des pesticides dans l'air, qui ne font aujourd'hui l'objet que d'un suivi assez léger par rapport aux enjeux, nous semble indispensable. Vous pouvez compter sur les Aasqa pour y travailler.
N'hésitez pas à interroger les Aasqa sur vos territoires, elles sont à votre disposition.
La fédération se tient également à votre disposition pour toute question à l'échelle nationale. Santé publique France le dira mieux que moi mais les études sanitaires montrent que certaines substances ou expositions jouent un rôle dans certaines maladies.
Je précise que des études sur la contamination par voie respiratoire préalablement à la mise sur le marché existent, mais uniquement pour les effets aigus. Les VTR concernent les effets chroniques, peu importe la voie d'exposition. Ce sont les effets sur les organes qui sont évalués, presque exclusivement par voie orale.
L'objectif de la phytopharmacovigilance est de collecter les données d'observation dans les conditions réelles d'utilisation. Elle vient en complément des évaluations a priori réalisées sur des animaux de laboratoire et extrapolées à la santé humaine. Nous identifions parfois des effets indésirables insoupçonnables, liés à des circonstances imprévisibles au moment de l'évaluation a priori. Notre mission est d'identifier ces données et les signaux qui imposent des mesures de gestion.
Puis la commission entend M. Jean Boiffin, ingénieur agronome, directeur de recherche honoraire à l'INRA.
Monsieur Boiffin, merci beaucoup de vous être rendu disponible.
Nous avons choisi de consacrer la première phase de nos auditions à un état des lieux, notamment afin de tendre vers une sorte d'harmonisation des connaissances des différents membres de la commission d'enquête. Cette audition nous permettra de faire la transition avec la phase suivante d'analyse critique des politiques publiques de réduction de l'usage des produits phytosanitaires.
Votre témoignage nous sera utile pour bien contextualiser le lancement du premier plan Écophyto. Il importe, en effet, de ne pas regarder le passé avec les yeux du présent. Nous avons compris, grâce à nos nombreuses auditions, que les connaissances et les dispositifs de mesure avaient beaucoup évolué ces dernières années.
Je rappelle à mes collègues que vous êtes ingénieur agronome et que vous avez fait l'essentiel de votre carrière à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), devenu l'Inrae, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. Vous en avez été le chef du département d'agronomie, avant d'être nommé directeur scientifique chargé des relations entre agriculture et environnement. Vous avez suivi de près la mise en place du premier plan Écophyto, sujet sur lequel nous souhaitons plus particulièrement vous entendre, et vous avez été un acteur central du premier bilan qui en a été dressé, en cheville avec notre rapporteur, Dominique Potier, dans le cadre de son rapport « Pesticides et agroécologie, les champs du possible ».
Nous ne vous demanderons pas de réagir à ce qui a été fait après 2014, puisque vous aviez alors pris votre retraite, mais vous pourrez nous faire part, de vous-même, de tous les éléments que vous souhaiterez concernant l'objet de notre commission d'enquête, qui vise à comprendre les raisons du bilan mitigé, voire de l'échec des politiques publiques de réduction de l'usage des pesticides dans l'agriculture.
Je précise qu'étant entendu par une commission d'enquête, vous êtes tenu, en vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Jean Boiffin prête serment.)
Je suis très honoré de cette audition, et même impressionné. D'après ce qui m'a été indiqué, elle devait comporter deux points : retour sur le constat posé par le rapport de 2014, que vous avez cité, et regard sur les suites qui lui ont été données. Mon intervention liminaire portera essentiellement sur le premier aspect. Si vous m'interrogez sur le second par la suite, je vous dirai franchement si mon information, un peu lacunaire depuis 2014, date à laquelle j'ai en effet pris ma retraite, me permet de vous répondre de façon pertinente ou non.
Je n'ai pas participé à la conception du plan Écophyto, mais il m'a été demandé, fin 2009, probablement d'ailleurs parce que je n'avais pas été impliqué initialement, de présider le comité d'experts du plan. C'était une sorte de conseil scientifique et technique, chargé de suivre la mise en œuvre. J'ai animé ce comité de 2010 à 2014, et c'est à ce titre que j'ai été intégré dans la mission constituée en 2014 autour du député Dominique Potier.
Après un bref rappel sur le premier plan Écophyto, qui s'appelait Écophyto 2018, j'évoquerai la lettre de mission de M. Potier, puis chacune des trois grandes parties du rapport – respectivement intitulées « Comprendre », « Agir » et « La mise en œuvre » –, essentiellement sous l'angle de l'analyse sous-jacente que nous avions faite.
Le plan Écophyto 2018 avait pour origine le Grenelle de l'environnement, vaste réflexion collective menée en 2007 sous la présidence Sarkozy, dans une conjoncture politique qui a été, pendant un certain temps, proenvironnementaliste. Un des six axes de travail du Grenelle concernait la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles. C'est dans ce cadre qu'étaient principalement traités les problèmes agricoles. Il n'y avait pas d'axe de travail relatif à l'agriculture : elle était présente dans chacun d'eux, en particulier celui concernant la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles. Cet axe a conduit, entre autres engagements, comme la trame verte et bleue, à un objectif de réduction massive et rapide de l'usage des pesticides, de moins 50 % en dix ans. La recherche, quant à elle, n'était pas très présente dans les axes du Grenelle de l'environnement, et l'engagement massif qui a été décidé a surpris pas mal d'observateurs, notamment dans les milieux agricoles et agronomiques.
Le ministre de l'agriculture de l'époque, Michel Barnier, a demandé à Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture et ex-président de l'Inra, qui était très respecté aussi bien dans le milieu agricole que dans le milieu scientifique, de présider le comité opérationnel du Grenelle de l'environnement, lequel était chargé de traduire en plan d'action l'engagement qui avait été pris. Bon gré, mal gré, les organisations professionnelles agricoles, l'agrofourniture et l'industrie phytosanitaire ont accepté de participer, à côté des ONG environnementalistes, et de cautionner le plan dès lors qu'était ajoutée à l'objectif la mention « si possible ». Cet ajout correspondait, du reste, au caractère non contraignant de la plupart des dispositions du plan Écophyto.
Les travaux du comité se sont appuyés sur une vaste étude collective qui avait été engagée par l'Inra avant même le début du Grenelle de l'environnement, à la demande des pouvoirs publics, et qui s'appelait « Écophyto R&D [recherche et développement], quelles voies pour réduire l'usage des pesticides ? » Cette étude a eu une grande influence sur une assez large partie du plan.
Celui-ci a été copiloté par les ministères chargés de l'environnement et de l'agriculture, mais sa maîtrise d'œuvre a été confiée à ce dernier et, point très important, centralisée à la direction générale de l'alimentation (DGAL).
Dans sa version initiale, datant de septembre 2008, le plan comportait 105 actions, regroupées en huit axes qui étaient respectivement consacrés aux indicateurs, à la mise au point et à la diffusion des voies de réduction de l'usage des pesticides, à la recherche, à la formation, à la surveillance des bioagresseurs et des effets non intentionnels, aux départements et territoires d'outre-mer (DOM-TOM), aux usages en zones non agricoles et à la communication, à quoi s'est ajouté, en 2012, un axe relatif à la santé des utilisateurs.
Le contexte était double au niveau européen : l'adoption du plan était concomitante de celle de la directive 2009/128, instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, et de la préparation d'une énième révision de la PAC, la politique agricole commune, finalement intervenue en 2015.
Pour ce qui est de la directive, c'est la DGAL qui était à la manœuvre afin d'assurer une coordination, laquelle a été très étroite. Le plan Écophyto a ainsi officiellement constitué la version française de la mise en œuvre de la directive, celle-ci prévoyant l'adoption de plans nationaux. Alors que la directive ne comportait aucune obligation de réduction – et c'est toujours le cas –, la France s'est placée en pointe dans l'interprétation du texte par rapport à ses compétiteurs européens, notamment l'Allemagne, qui privilégiait alors la réduction des impacts et interprétait la directive sous cet angle, en utilisant des systèmes de mesure qui correspondaient plus à la question de l'impact des pesticides qu'à celle de leur usage. Les dirigeants des grandes filières végétales ont dès lors déclaré que la France s'infligeait, à travers le plan Écophyto, une autodistorsion de concurrence.
En ce qui concerne la PAC, la négociation a été menée par d'autres services du ministère de l'agriculture. Je n'ai plus en tête la taxonomie alors en vigueur, mais il me semble qu'il s'agissait de la direction de l'espace rural et des forêts. Pour les hauts cadres qui menaient les négociations – ils nous l'ont dit lors d'une séance publique du comité d'experts – les questions environnementales étaient très secondaires, et celle de la réduction de l'usage des pesticides était tertiaire.
Début 2014, le plan Écophyto avait été mis en œuvre pendant cinq années pleines. La décision de confier son évaluation à mi-parcours à un parlementaire s'est accompagnée d'un regain d'importance politique – c'est en tout cas ainsi que l'ont ressenti beaucoup d'acteurs, dont je fais partie.
La lettre de mission, en date du 30 mai 2014 et signée par le Premier ministre de l'époque, Manuel Valls, fixait pour objectif de « proposer, en concertation avec les parties prenantes et les administrations concernées, une nouvelle version du plan Écophyto », ce qui sous-entendait qu'on considérait la version initiale comme insuffisante pour atteindre les objectifs fixés. Du reste, l'échéance de 2018 avait prudemment été gommée de l'intitulé du plan. La lettre de mission faisait aussi référence à la directive européenne de 2009, qui prévoyait un réexamen à mi-parcours. Le rapport a servi de base pour la réponse de la France à cette disposition.
La première partie du rapport visait à poser un diagnostic sur l'évolution des enjeux et du contexte depuis le démarrage du plan et sur l'absence de tendance à la baisse que l'on observait alors. Je citerai quatre points forts – le député Potier complétera ou rectifiera s'il le juge nécessaire.
S'agissant de l'impact des pesticides, des études a posteriori menées entre 2008 et 2014, notamment la fameuse expertise de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de 2013 et le rapport sénatorial de 2012, avaient accru les présomptions d'effets négatifs des pesticides sur la santé humaine et accessoirement, car c'était de manière plus fragmentaire, sur le fonctionnement des écosystèmes. Un gros travail avait été mené, en particulier, sur les pollinisateurs. Ces travaux nous ont fait prendre conscience, au sein de la mission, de l'insuffisance fondamentale des systèmes d'évaluation ex ante, c'est-à-dire avant la mise sur le marché. Cette évaluation, qui est indispensable, devait être non seulement renforcée mais aussi complétée par une évaluation a posteriori des effets observés sur le terrain, qui devait être beaucoup plus sérieuse que ce qui existait à l'époque, à notre avis, étant entendu que les collègues de l'Inserm et le rapport sénatorial avaient déjà réclamé un renforcement. Ces études a posteriori devaient permettre de réviser les cohortes, les observations in situ des écosystèmes, en particulier leur dérive, et les autorisations de mise sur le marché, dès qu'apparaitraient des présomptions fondées, c'est-à-dire de faire ce qu'on appelle de la phytopharmacovigilance. Le renforcement de ces études était une des recommandations majeures du rapport. Nous avons souligné au passage que l'évaluation a posteriori était particulièrement faible et lacunaire en ce qui concerne les impacts écologiques.
J'en viens à la réduction de l'usage des pesticides. En 2014, on observait qu'elle n'avait pas eu lieu et qu'il y avait même une tendance à la hausse, ainsi que d'importantes fluctuations interannuelles, ces deux tendances étant essentiellement imputables aux herbicides. Dans le même temps, on observait une tendance à la baisse dans le réseau des 2 000 fermes Dephy (réseau de démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires), souvent sans détérioration des performances économiques. Néanmoins, cette tendance à la baisse était encore assez modeste et surtout extraordinairement variable d'une ferme à l'autre, suivant des trajectoires extrêmement diverses – beaucoup plus qu'on l'avait pensé lors de la conception du réseau Dephy. Cela a impliqué un travail d'analyse beaucoup plus fouillé que prévu, d'où des coûts et un investissement en temps bien supérieurs. S'agissant des zones non agricoles, la loi Labbé venait d'être promulguée. En exagérant un peu, on pouvait dire que l'affaire était réglée ; en tout cas, une baisse considérable et irréversible des usages était enclenchée.
La mission a mis en exergue, dans son diagnostic, les facteurs qui contrarient la diversification des cultures dans le temps et l'espace, ce qui est un point capital.
La quantité de pesticides utilisés pour une surface agricole donnée a trois sources de variabilité. La première est la nature de l'espèce végétale cultivée, chacune ayant son propre cortège de bioagresseurs, auxquels elle est plus ou moins sensible et exposée. Dans un contexte écologique, technique et économique donné, il en résulte des niveaux moyens d'usage des pesticides extrêmement variables selon les cultures, la médaille d'or allant aux vergers de pommiers, celle d'argent aux pommes de terre et celle de bronze à la vigne. Au pied du podium, à un niveau moyen élevé, se trouvent le blé tendre, le colza et l'orge d'hiver. À l'opposé, on n'utilise rien dans les prairies permanentes, quasiment rien dans celles non permanentes, et peu, voire très peu de pesticides pour le tournesol ou le sorgho. L'évolution des surfaces occupées par les différentes cultures a ainsi une grande importance.
La deuxième grande source de variabilité est le contexte, qui favorise plus ou moins le développement des bioagresseurs. Il s'agit non seulement du climat, plus ou moins favorable selon les années et les régions, mais aussi des systèmes de culture, en particulier la succession dans le temps des cultures sur une parcelle et le paysage dans lequel s'insère cette dernière – c'est l'aspect spatial. Plus la succession de cultures et le paysage sont uniformes – on peut penser, par exemple, à une monoculture occupant un paysage entièrement ouvert, comme les oliveraies en Andalousie, monoculture très ancienne et extraordinairement étendue –, plus le développement des bioagresseurs spécialisés dans la culture concernée risque d'être important, et plus l'agriculteur est incité à traiter.
Une troisième source de variabilité est la façon dont l'agriculteur gère la santé des plantes. Sa manière de faire est plus ou moins préventive et systématique, avec plus ou moins d'aversion au risque, plus ou moins de recours aux avertissements et aux outils d'aide à la décision. C'est, là aussi, très variable pour une culture donnée, face à un même niveau de risque. Le comportement de l'agriculteur dépend de ses sources d'information et de son environnement technique.
C'est sur ce comportement que se focalisait le plan. Les deux premiers facteurs sont liés à la structure de la ferme France et à son évolution, et ils dépendent du degré de spécialisation à l'échelle régionale. Quand des régions, qui occupent en France des surfaces énormes, sont spécialisées dans le système de culture colza-blé-orge, cela conduit à une très forte inertie de la consommation de pesticides, d'une part, parce que ces trois cultures en utilisent beaucoup et, d'autre part, parce que ce système, ultrasimple, favorise le développement des bioagresseurs et donc un usage important des pesticides pour chacune des trois cultures.
Les deux premiers facteurs étaient pratiquement ignorés par le plan Écophyto initial. Sans méconnaître l'importance du troisième facteur, le comportement de l'agriculteur, la mission de 2014 a pensé que l'uniformité des assolements et de la succession des cultures était un facteur d'explication majeur du haut niveau de l'usage des pesticides en France. Il est lié à l'importance des surfaces des espèces végétales fortement traitées – blé, orge d'hiver, colza et vigne – et plus encore au fait que cette uniformité crée un contexte phytosanitaire défavorable qui incite à traiter.
En allant plus en amont, nous avons pensé qu'il fallait, pour réduire l'usage des pesticides, s'intéresser aux mécanismes de rémunération des agriculteurs, en particulier la fixation des prix des produits végétaux. Elle conduit, en effet, au choix des cultures et de leur succession et va dans le sens de la spécialisation et de l'uniformité plutôt que dans celui d'une diversification des couverts végétaux dans le temps et l'espace, aspect totalement ignoré par le plan Écophyto – j'exagère peut-être un peu en disant « totalement », mais pas beaucoup.
J'en viens à l'éventail des solutions disponibles.
Notre premier constat était qu'une dynamique de recherche et développement indéniable s'était enclenchée. Beaucoup plus de projets avaient trait à la réduction de l'usage des pesticides en 2014 qu'en 2008, et il ne s'agissait pas seulement de projets directement soutenus par le plan. Celui-ci avait eu un très important effet de rayonnement et d'entraînement sur le système de recherche et développement, mais cette dynamique était encore trop récente pour fournir aux agriculteurs toute la panoplie nécessaire pour atteindre un objectif aussi ambitieux qu'une réduction de 50 % des usages dans l'ensemble de la ferme France. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir sur l'historique de la recherche et de l'enseignement en agronomie, qui me paraît une question très importante.
Deuxième constat, réalisé dans le cadre du réseau Dephy, l'éventail des solutions pour réduire l'usage des pesticides se caractérisait, comme envisagé initialement dans l'étude préliminaire Écophyto R&D, par trois degrés, croissants, de difficulté. Il y a tout d'abord l'accroissement de l'efficience des produits appliqués, qui n'est pas très difficile. Typiquement, au lieu de traiter de façon systématique, on suit des avertissements et on utilise des outils d'aide à la décision. Cela ne conduit pas toujours à une réduction de l'usage des pesticides, mais c'est possible, dans l'ensemble, et c'est une des voies suivies dans le réseau Dephy. Le deuxième niveau, un peu plus difficile, consiste à substituer un produit de biocontrôle à un pesticide chimique. Le troisième niveau est ce qu'on appelle la reconception : on s'engage dans un changement profond du système de culture, par exemple par l'allongement de la rotation grâce à l'introduction d'une nouvelle culture. Si on le faisait à l'échelle de la ferme France, l'assolement de celle-ci devrait changer. Ce n'est pas ce qu'on constate, ou seulement de façon marginale. Bien que privilégiée dans la sélection des projets et assez largement représentée dans le réseau Dephy, la dernière option reste minoritaire, parce qu'elle est plus difficile. Or, très schématiquement, c'est surtout ce levier qui est efficace, en particulier pour les mauvaises herbes. Je rappelle que les herbicides représentent grosso modo la moitié des pesticides utilisés.
Troisième constat, quand on voulait regarder ce qui se passait à l'échelle de la France entière pour comprendre en quoi et pourquoi l'évolution des pratiques phytosanitaires ne correspondait pas à ce qu'on observait dans le réseau Dephy, on avait en réalité très peu d'informations. Les enquêtes sur les pratiques culturales du ministère de l'agriculture, qui sont pourtant des mines extraordinaires de renseignements, ne comportaient pas beaucoup de données en la matière. Elles n'ont commencé à en recueillir qu'assez tardivement par rapport au début de la mise en œuvre du plan.
L'assolement de la ferme France est, je l'ai dit, quasiment immuable. Ce qu'on qualifiait de solutions disponibles au sein du réseau Dephy n'était donc peut-être pas si disponible que cela, ou n'était pas perçu comme tel au niveau de la France entière. En fin de compte, le réseau Dephy était peut-être un réseau pionnier, d'exploration, et très intéressant à ce titre, mais pas, comme on le souhaitait au départ, un réseau de démonstration. Ce qui marche, en effet, est difficile.
Notre rapport n'a pas pris la forme d'une dénonciation univoque d'un échec du plan. Celui-ci comportait, à nos yeux, certains points forts qui pouvaient être considérés comme des conditions non suffisantes mais nécessaires pour la réduction des usages. Il s'agissait ainsi d'un plan d'accompagnement mais pas véritablement d'entraînement.
Le premier point fort était que les pouvoirs publics ont émis un signal qui a été à peu près maintenu et qui a été effectivement suivi par une grande partie du système de recherche et développement agronomique – je peux en témoigner –, par une partie importante du développement agricole sous tutelle professionnelle, notamment les chambres d'agriculture, et par un nombre non négligeable de responsables professionnels, même s'il y avait, bien entendu, des différences importantes selon les institutions, les filières végétales ou les régions.
Deuxième point fort, la version initiale du plan Écophyto a créé des dispositifs structurants, comme les indicateurs d'usage, le bulletin de santé du végétal, le réseau Dephy, notamment les fermes expérimentales, le certificat individuel de produits phytopharmaceutiques (Certiphyto) et le programme de recherche dédié au plan, qui étaient pour nous des conditions indispensables à l'instauration d'une dynamique de réduction de l'usage des pesticides.
Nous avons néanmoins relevé un certain nombre de points faibles. Je me bornerai à en citer trois, qui sont majeurs.
Le premier était l'absence de prise sur certains leviers indirects, mais essentiels, pour l'usage des pesticides, comme la PAC et les cahiers des charges de la grande distribution et du commerce international des denrées agricoles, qui jouent sur la structure de la ferme France et par les choix faits par les agriculteurs en matière de cultures, d'assolement et de succession des cultures.
Deuxième point faible, que j'ai déjà évoqué, le potentiel d'adoption et de diffusion des solutions initialement considérées comme disponibles était surestimé. La conception de départ était probablement un peu simpliste.
Troisième point faible, nous avons souligné un certain nombre de défauts d'organisation et de mise en œuvre, notamment l'émiettement du plan, qui comprenait neuf axes et 114 actions, avec pour corollaires une gouvernance qu'on pourrait qualifier de très ramifiée et surtout un mode de financement des actions très compliqué, qu'un chercheur peu versé dans ces matières trouverait peut-être kafkaïen. Le financement transitait par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) et il passe peut-être encore par l'Office français de la biodiversité (OFB).
J'aborde maintenant la deuxième partie du rapport, à savoir les orientations proposées en vue d'une nouvelle version du plan. Ces orientations, auxquelles correspondaient à chaque fois plusieurs recommandations, formulées sous forme de fiches, étaient au nombre de six. J'en évoquerai quatre qui sont pour moi – mais je m'exprime sous le contrôle du député Potier – les plus importantes.
La première orientation était le renforcement de la surveillance et de la maîtrise des risques. Il s'agissait de donner à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui venait d'être créée, les moyens d'exécuter la mission de phytopharmacovigilance qui lui avait été donnée, c'est-à-dire le suivi a posteriori des impacts de l'usage des pesticides sur la santé humaine, la santé des écosystèmes et la contamination des milieux.
La deuxième orientation était d'arriver à une baisse de 25 % des usages en cinq ans en utilisant tous les outils et toutes les solutions validés lors des cinq premières années d'application du plan et, surtout, en organisant mieux l'accompagnement des agriculteurs. Nous avons ainsi recommandé d'augmenter la taille du réseau Dephy, notamment le dispositif des fermes, en faisant passer leur nombre de 2 000 à 3 000, et de créer un deuxième cercle de 30 000 exploitations qui bénéficieraient d'un conseil renforcé, mais n'allant pas jusqu'à la prestation lourde déployée dans le réseau Dephy – un ingénieur à mi-temps, me semble-t-il, pour dix fermes, afin de réaliser un travail d'animation constant –, le but étant de s'engager en vraie grandeur dans les voies ayant fait leurs preuves dans le cadre de Dephy.
La troisième orientation était d'agir à moyen et à long terme en appliquant un ensemble de recommandations, encore plus nouvelles, qui visaient à utiliser des leviers structurels : non seulement homogénéiser encore plus les règles d'homologation, pour éviter les distorsions de concurrence, mais aussi faire en sorte que la PAC favorise bien davantage la diversification et le verdissement par le soutien à l'élevage, afin de maintenir les prairies non traitées, par la préservation de soutiens couplés pour certaines cultures dites de diversification, comme les protéagineux – non parce que ceux-ci seraient vraiment moins traités que d'autres cultures, même si certains le sont effectivement très peu, mais pour créer des rotations faisant en sorte qu'on traite moins le blé ou le colza –, ainsi que par une conditionnalité des aides du premier pilier explicitement liée, ce qui n'était pas le cas, à la succession des cultures, et non pas seulement à leur diversification, et à la gestion des pesticides.
Autre élément important, nous avons recommandé de faire de la protection intégrée un standard reconnu, coconstruit mais aussi exigeant que possible – la protection intégrée étant plastique ou flexible, on peut y intégrer pas mal de choses – pour les transactions commerciales, y compris au sein du commerce international, à l'image de ce qui a été fait, bien que ce soit très décrié, en ce qui concerne l'huile de palme. En effet, les standards qui conditionnent la mise sur le marché de l'huile de palme ne sont pas si nuls qu'on le dit du point de vue de la déforestation. Nous avons pensé que la protection intégrée pouvait être utilisée en tant que condition de commercialisation, par exemple pour les transactions concernant les céréales.
S'agissant toujours de l'action à moyen et à long terme, nous avons recommandé de favoriser la maîtrise du foncier et de la gestion de l'espace pour agir sur les facteurs paysagers des épidémies de bioagresseurs, en développant une sorte d'agroécologie du paysage.
La quatrième orientation consistait à changer de braquet en ce qui concerne l'effort de R&D directement induit par le plan Écophyto. La dynamique en la matière était encore trop récente, je l'ai dit, et présentait encore trop d'angles morts, aussi bien à l'échelle internationale qu'à l'échelle française. Il nous a donc paru important de renforcer le rôle fédérateur et orienteur du plan dans ce domaine. En matière d'agroécologie du paysage, par exemple, l'état de l'art était à l'époque, et il le reste encore, je crois, trop lacunaire et imprécis pour pouvoir fournir des règles d'action consistantes. La question ne se résume pas à augmenter le nombre de kilomètres de haies.
S'agissant de la troisième partie du rapport, je me contenterai de mentionner deux volets.
Le premier était la restructuration du plan en six axes, au lieu de neuf, dont un tout nouvel axe intitulé « politiques publiques, territoires et filières », dont je me demande un peu ce qu'il est devenu – j'ai très peur qu'il n'ait pas donné ce qu'on espérait, mais je n'ai pas suivi la question d'assez près pour pouvoir le certifier.
Nous avons également recommandé un nouveau système de gestion financière, doté de moyens accrus et surtout présentant une meilleure coordination entre les différents acteurs de la maîtrise d'ouvrage, la grande innovation souhaitée en la matière étant l'introduction des régions dans les tours de table en matière de financement et d'orientation. En effet, les régions étaient complètement absentes du plan Écophyto initial.
Pour conclure, je dirais que le rapport comportait une critique forte mais constructive de la première version du plan. Il préconisait à la fois une prise de recul et une amplification, et essayait à tout prix de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain, ce qui aurait comblé les vœux d'opposants très différents au plan Écophyto. Le rapport visait à conserver un esprit participatif permettant d'embarquer une partie importante de la profession et à instaurer à la fois plus de réalisme et plus d'ambition quant à l'ampleur des changements à réaliser.
Je me tiens maintenant prêt à répondre à vos questions.
Un immense merci pour votre exposé, que j'ai trouvé absolument passionnant, notamment lorsque vous avez rappelé les conditions dans lesquelles le plan Écophyto a été conçu, à la suite du Grenelle de l'environnement. Quand on n'écrit pas exactement ce qu'on a dit, il ne faut peut-être pas s'étonner qu'ensuite on ne fasse pas exactement ce qu'on a écrit, mais nous aurons l'occasion d'en reparler.
Je vous remercie également, monsieur Boiffin, pour la belle synthèse que vous venez de faire. Je ne pouvais pas présenter moi-même le rapport de 2014, que nous avons copiloté. Mon statut lors de cette audition est assez particulier : il serait un peu hypocrite que je vous questionne et que je commente ce que nous avons fait ensemble. Je me mettrai donc en retrait à ce stade, même si je vais quand même exprimer deux nuances par rapport à ce que vous avez dit et vous poser une question.
Vous avez en quelque sorte méprisé, dans votre présentation, la question des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), qui ont été lancés grâce au rapport mais abandonnés à la suite de la loi Egalim. Nous avons fait le constat, dans le cadre d'un groupe de travail que j'ai conduit avec Stéphane Travert, qu'il fallait au moins reprendre le fil de l'expérimentation – quatre ou cinq ans ont donc été perdus. J'étais assez réservé lorsque j'ai proposé dans le rapport la création de ces certificats, mais j'ai ensuite été convaincu par l'idée que j'avais reprise : elle est en effet prometteuse. Elle est même cruciale en matière de R&D, car elle permet de s'assurer que le conseil émis par les coopératives ou le secteur privé ne vient pas en contradiction avec la recherche de l'intérêt général, incarné par les chambres d'agriculture et les instituts. Tout cela doit donc être réarticulé. Cette proposition, qui était opérationnelle, a été quelque peu réduite à néant, mais elle pourrait bien redevenir d'actualité.
S'agissant du foncier, nous avons débattu assez tôt de son lien avec l'usage des produits phytosanitaires, notamment lors des états généraux de l'alimentation. Je pense qu'il ne s'agirait pas tant de créer une mosaïque paysagère par l'intervention des pouvoirs publics que de réguler le marché du foncier pour permettre le renouvellement des générations, qui s'accompagne quasi automatiquement, en tout cas assez naturellement, d'une recherche de valeur ajoutée et d'une diversification des activités, alors que la logique de l'agrandissement conduit à une simplification des cultures. Je privilégierais donc la dimension socioéconomique à la dimension paysagère, même si l'objectif reste bien la mosaïque paysagère et la succession des cultures, voire les méteils – le mélange des espèces dans une même parcelle.
J'aimerais que vous reveniez sur une question, que je me suis d'ailleurs permis de poser au ministre, en tant que rapporteur, qui est celle du changement des critères. Nous avions nous-mêmes débattu pendant des mois de la question des indicateurs. Le Nodu (nombre de doses unités) nous avait semblé le nec plus ultra, contrairement à l'indicateur fondé sur les quantités. Dans les communications qui voient le jour au niveau gouvernemental, on se satisfait néanmoins de l'évolution des quantités alors que le Nodu reste constant. Compte tenu de votre expertise, j'aimerais connaître votre sentiment. Le Nodu a un défaut : il ne correspond pas à une norme européenne ; je n'en fais donc pas un dogme. Il faudra s'entendre sur une taxonomie européenne mais, en attendant, n'est-il pas dangereux de se rassurer, quand on évalue le plan Écophyto, en parlant de la baisse des quantités ?
Loin de moi l'idée de mépriser les CEPP. On me reproche au contraire, dans le milieu qui est le mien, d'y être favorable. Le rapport contenait une fiche à leur sujet, mais je crois me souvenir que les CEPP ne sont pas nés dans ce cadre. Marion Guillou faisait notamment partie des promoteurs de cette mesure, qui a fait l'objet de beaucoup de controverses, car tout le monde pensait que ce serait une usine à gaz. Je crois que l'expérimentation a commencé au moment même du rapport et nous en avons donc parlé.
Pour ce qui est du foncier, je suis totalement d'accord avec ce que vous avez dit.
En ce qui concerne les indicateurs, on n'a pas trouvé mieux que le Nodu. Pendant toute la période d'application d'Écophyto 1, des groupes de travail ont étudié la question intensément, et parfois même de façon passionnée, mais le Nodu a survécu. Il a même été consolidé à l'issue de ces débats, en tant qu'indicateur d'usage et de pression. La notion de quantité de substances actives (QSA) ne vaut rien : elle n'a aucune signification, sinon pour les transporteurs.
Sauf erreur, la QSA correspond à un tonnage. Le Nodu, quant à lui, est le nombre de doses unités utilisées dans l'année. Il est actuellement d'environ 80 millions d'hectares : même s'il y a eu des hausses et des baisses au fil du temps, on reste au même niveau qu'au début de l'application du plan, et le chiffre est supérieur à la surface agricole utile de la France. Le Nodu nous en dit davantage de l'impact que les quantités utilisées, qui sont variables en fonction de la concentration des produits.
Lorsque l'usage de produits très pondéreux, comme le soufre ou la bouillie bordelaise – en particulier cette dernière – diminue au profit, par exemple, de pesticides organiques de synthèse beaucoup plus efficaces, y compris dans leurs impacts négatifs, dont les doses se mesurent en grammes au lieu de tonnes ou de centaines de kilos par hectare, les quantités baissent mais en termes d'impacts environnementaux et de dépendance de l'agriculteur vis-à-vis des pesticides, ce n'est pas comparable.
Deux indicateurs ont été utilisés dans le cadre du plan – et sont, du reste, encore en usage. Le premier est l'indice de fréquence de traitement (IFT), pour lequel un traitement vaut un point d'indice, deux traitements deux points d'indice, et ainsi de suite. Bien que peu subtil, cet indicateur traduit assez bien l'intensité du traitement par pesticides auquel recourt un agriculteur.
Un autre indice, plus subtil, repose sur les « doses de référence » autorisées lors de la mise sur le marché et que l'on n'a pas le droit de dépasser : une unité de Nodu correspond à une dose de référence de produit, quel qu'il soit. Si l'on utilise plusieurs produits en même temps, par exemple trois doses de référence de trois produits en un seul passage, on compte trois points de Nodu et un seul point d'IFT.
L'IFT s'applique à l'exploitation ou à la parcelle. Pour une pleine dose d'un produit, l'IFT est égal à 1, et à 0,5 pour une demi-dose. On obtiendra ainsi, par exemple, pour une culture de maïs, un IFT de 2,8 pour une pleine dose d'un produit et diverses fractions de dose d'autres produits.
Le Nodu, qui s'applique plutôt au pays tout entier, correspond à l'ensemble, ramené à la dose pleine, des doses vendues sur l'ensemble du territoire français, tandis que l'IFT tient compte du fait que l'on applique une dose ou une demi-dose, voire un quart de dose. On peut certes calculer un Nodu à l'exploitation, mais c'est plutôt au niveau de la ferme France qu'on peut voir si les quantités globales diminuent ou non. Cette mesure est cependant plus riche que la quantité calculée dans l'absolu car, comme vous l'avez rappelé, la bouillie bordelaise s'emploie par kilos à l'hectare, tandis que certains produits s'appliquent à des doses de quelques grammes à l'hectare.
Dans l'histoire du plan Écophyto, ce débat sur les indicateurs a constitué une vraie controverse idéologique. Un consensus s'est dégagé à propos du Nodu, même si je suis aujourd'hui le premier à reconnaître qu'il faut l'abandonner au profit d'un critère européen, car ces mesures n'ont de sens qu'à l'échelle européenne. Cependant, au moment où certains communiquent aujourd'hui sur la baisse des quantités, une clarification s'impose. J'ai d'ailleurs écrit à ce propos au ministre, qui m'a répondu. Dans le cadre d'une commission d'enquête, nous devons parler des mêmes choses et nous avons un devoir de vérité. Si le Nodu est la référence scientifique, il doit être le premier indicateur utilisé, même s'il peut être tempéré avec l'IFT ou la QSA.
La question de la normativité méritait certes une clarification, mais ce n'est pas le lieu d'épuiser les questions de fond et je préfère profiter de votre présence, monsieur Boiffin, pour aborder des questions plus significatives.
Pour ce qui est de l'IFT, nous sommes pleinement d'accord et je me suis peut-être mal exprimé. Je me permettrai toutefois d'ajouter un point, qui du reste touche encore au fond et concerne l'avenir des discussions européennes. Le débat à venir, qui est aussi celui que nous avons eu avec les Allemands, porte sur l'opportunité d'une pondération des quantités, qu'il s'agisse de doses unitaires ou d'IFT, c'est-à-dire d'occurrences de traitement. Nos collègues européens étaient d'accord avec cette démarche, mais la question était de savoir s'il fallait ou non pondérer avec des indices d'impact. Les Allemands étaient très favorables à cette idée, car leur mode de mesure des impacts permettait alors de donner l'impression d'une forte diminution de leurs indices. D'interminables discussions ont eu lieu à ce propos au sein du groupe de travail consacré au plan Écophyto, et elles ne manqueront pas de se poursuivre. Après quoi, un compromis se dégagera certainement pour intégrer en partie les impacts dans le calcul des indices.
Je reconnais bien l'agronome ! Je ferai deux remarques, en lien avec les observations de M. Potier.
Vous avez redit, monsieur Boiffin, que plus les cultures étaient homogènes et se répétaient dans la rotation, plus il fallait recourir à divers phytosanitaires pour contrer les bioagresseurs. L'expérience vécue sur le terrain montre bien le lien entre l'agrandissement des fermes et le recours aux pesticides. De fait, lorsqu'on agrandit la ferme, on la simplifie et on réduit donc le nombre de cultures : pour faire face aux pics de main-d'œuvre, on utilise davantage de phytosanitaires sur des cultures moins diversifiées. Il y a donc un lien très fort entre l'agrandissement des fermes et l'homogénéisation, la simplification et l'augmentation des traitements sur les cultures.
Ma deuxième remarque porte sur les haies, dont je suis un ardent défenseur, en tant qu'elles sont un multiplicateur de semences. En effet, la présence d'une haie est étroitement liée à celle des insectes pollinisateurs, quels que soient les traitements appliqués. La haie est un réservoir de nourriture pour tous les insectes, ainsi que pour certains oiseaux et autres animaux, et je peux vous démontrer que, pour certaines cultures très attractives pour les pollinisateurs, la différence est visible selon qu'il existe ou non une haie à proximité, sans qu'il soit besoin de procéder à des mesures poussées.
Je suis tout à fait d'accord. Le lien avec l'agrandissement des fermes est certain et il serait intéressant d'étudier de plus près le lien entre l'usage des phytosanitaires et l'agrandissement des fermes, sachant que cet agrandissement peut s'opérer de différentes façons. Dans la perspective qui nous intéresse, un modèle d'agrandissement particulièrement redoutable est celui qui procède par adjonction de grands blocs de parcelles très éloignés du siège de l'exploitation : c'est le summum du mécanisme que vous décrivez car, du fait de la distance, il pousse à une simplification encore plus grande.
Ardent partisan des haies moi aussi, je bois du petit-lait en vous écoutant. Cependant, les haies devront être composées et disposées différemment selon les bioagresseurs considérés. En d'autres termes, le kilométrage ne suffit pas : si l'on veut une agroécologie fine, efficace et percutante, il ne faut pas se contenter de prôner la haie en termes globaux.
Vous avez évoqué un relatif échec du plan Écophyto, mais il est un point qui n'a pas été abordé depuis ce matin : la rémunération des agriculteurs. Je ne connais, en effet, aucun agriculteur qui traite ses cultures et pulvérise des produits phytosanitaires par plaisir, ne serait-ce que parce que ces produits coûtent cher – ce qui est tant mieux, car cela limite leur utilisation. Du reste, la redevance antipollution est également payée par les agriculteurs. Or on ne prend pas en compte ce coût de production, alors que l'agriculteur peut vouloir se préserver en utilisant, dans le doute, un pesticide dont il n'aurait peut-être pas besoin.
Si donc on améliorait les conditions de prévention, par exemple à l'aide des sources météo, on réglerait certains problèmes. Je suis convaincu que l'on disposait d'un plus grand nombre de stations météorologiques très fiables à l'échelon local, on pourrait fortement limiter la pollution par les pesticides. Le manque de techniciens est sans doute une autre cause du problème car, dans les chambres d'agriculture, certaines productions ne comptent plus aucun technicien agricole.
Ne croyez-vous pas que l'on aurait dû davantage se préoccuper de la rémunération du producteur – même si cela a été fait bien plus tard avec la loi Egalim, dont on voit cependant les limites, car certaines productions sont sorties de son périmètre ? J'en veux pour preuve que, si l'on voit que le bio est une solution, on observe également un retour en arrière marqué par une déconversion de certains agriculteurs lorsque certaines productions ne trouvent pas preneur et que les produits bio se trouvent être moins chers que ceux de l'agriculture standard. Quel est votre avis sur cette question ?
Je suis d'accord quant à l'importance des avertissements du Bulletin de santé du végétal (BSV). Il me semble cependant que, par rapport à ce que nous avons connu en 2008, de très gros progrès ont été accomplis, même si la situation est loin d'être satisfaisante. La différence est en effet beaucoup plus grande entre rien et ce qui existe aujourd'hui qu'entre ce qui existe aujourd'hui et la perfection. Je n'ai toutefois pas suivi cette question avec assez de précision pour vous dire comment améliorer la situation ou si les moyens disponibles sont suffisants, et j'espère que vous aurez affaire à des spécialistes mieux informés que moi des derniers développements en la matière.
Cependant, à ma connaissance, un énorme progrès a été réalisé, notamment pour rassembler les acteurs qui assuraient cette prestation, dans un remarquable effet de fédération. Il arrive pourtant parfois qu'un agriculteur ayant accès aux avertissements augmente ses traitements, ce qui signifie donc que les avertissements ne suffisent pas à eux seuls. Sans entrer dans le détail, il existe d'autres aspects. Tout le système d'exploration et de démonstration du dispositif Dephy, avec ses 3 000 exploitations participantes articulées aux 30 000 autres, est très important pour montrer non seulement que les avertissements sont utiles, mais qu'il faut leur adjoindre d'autres éléments pour parvenir à une réduction.
Quant à la rémunération de l'agriculteur, j'y ai fait allusion en évoquant un moment auquel les concepteurs du plan Écophyto n'ont pas pensé : celui où l'agriculteur – je parle sous le contrôle de M. Turquois, qui vous le raconterait d'une façon beaucoup plus vivante que moi – s'assied à sa table de cuisine ou à son bureau pour définir son assolement de l'année. Il fait la liste des différentes cultures, marque les contraintes qui l'empêcheront de réaliser telle culture sur telle parcelle, et tient compte des contraintes maximales et minimales de succession des cultures qui détermineront le délai le plus court à respecter pour renouveler une culture sur une parcelle donnée – on peut ainsi cultiver le maïs tous les ans sur la même parcelle, mais ce ne pourra être que tous les deux ans pour le blé. L'agriculteur classe ensuite les marges brutes ou semi-nettes de ses cultures, qui dépendent beaucoup du prix des produits végétaux. Or, s'il veut que ses enfants puissent faire des études supérieures, il ne s'encombrera pas de poésie, mais s'assurera d'avoir les moyens de financer ce projet.
Les facteurs de cette équation sont notamment la politique agricole commune et le calibrage des aides, mais pas les synthèses de Dephy, ni même Écophyto – qui pourrait pourtant jouer un rôle en la matière, mais qui, actuellement, n'aborde pas ces aspects.
C'est LE manque !
Je souhaite revenir sur les unités de mesure, car comment pourrions-nous évaluer l'insuffisance de la réduction de l'usage des produits phytosanitaires si l'on n'est pas capable de se mettre d'accord sur la manière de la calculer ? Le Nodu est, si j'ai bien compris, le regroupement, à l'échelle nationale, des IFT de chaque exploitation.
Permettez-moi de vous livrer mon expérience de viticulteur dans le Bordelais : lorsque j'ai fait le choix de sortir des CMR – substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction –, j'ai dû les remplacer par des produits conventionnels moins efficaces, qu'il a fallu compléter d'un biocontrôle employé à deux tiers de dose, ce qui se traduisait déjà par un IFT de 1,63, contre 1 pour le CMR, avec en outre une rémanence de dix jours au lieu de quatorze, ce qui supposait une utilisation plus fréquente. Je n'ai pas fait le calcul, mais il est clair que ce processus plombe l'IFT.
L'impossibilité de se mettre d'accord sur les mesures complique la réduction de l'utilisation des phytosanitaires, et la question du tonnage est encore plus catastrophique. Il importe cependant d'en parler, car des articles de presse affirment que dans mon département de la Gironde, qui est le plus gros consommateur de produits phytosanitaires, les tonnages de ces produits « explosent ». Or c'est inévitable lorsqu'on remplace un CMR conventionnel, utilisé parfois à raison de 200 grammes à l'hectare, par du soufre, dont il faut employer 8 kilogrammes à l'hectare.
J'en viens à ma question : lorsque le Grenelle décide de réduire de 50 % le recours aux phytosanitaires, sur quel fondement cela repose-t-il ? Je note d'ailleurs que le titre de cette commission d'enquête est assez subtil, puisqu'il se réfère aux impacts, qui sont peut-être la vraie question, sachant qu'on ne peut mesurer le recours ni avec les Nodu ni avec le tonnage. Ce chiffre de 50 % me fait penser à celui, également de 50 %, qui devait définir la part du nucléaire dans la production d'électricité française et dont nous avons vu, dans une autre commission d'enquête, qu'il avait été décidé sur le coin d'une table, avec des conséquences catastrophiques en termes de souveraineté énergétique.
D'ailleurs, la souveraineté alimentaire est également un enjeu et elle est, elle aussi, dans une situation catastrophique. En décidant de réduire le recours aux phytosanitaires, on décide de priver les agriculteurs d'outils de production – car on n'utilise pas les phytosanitaires pour se faire plaisir, mais pour garantir des récoltes. On dégrade ainsi la compétitivité des exploitations tout en mettant en péril la production au niveau national : comment cette ambition, très belle sur le papier, est-elle compatible avec la préservation de la souveraineté alimentaire, qui n'était peut-être pas un enjeu au moment du Grenelle, mais qui l'est bien davantage aujourd'hui, depuis le début de la guerre en Ukraine ? Une prise de conscience s'impose.
Vous avez raison de souligner l'importance des unités de mesure. Je croyais que le Nodu avait fait l'objet d'un certain consensus et je conçois que les substitutions que vous évoquez puissent entraîner des augmentations, par exemple, de l'IFT. Cependant, la présentation des résultats de Dephy distingue la part des IFT correspondant aux biocontrôles. Le soufre étant un produit de biocontrôle, vous serez alors blanchi, monsieur de Fournas, et votre indice sera bien meilleur, car votre IFT, hors biocontrôle, baissera beaucoup. Ces questions d'indices sont toutefois compliquées et délicates, et il faut se mettre d'accord – mais je croyais que c'était à peu près le cas.
Quant à la réduction de 50 % du recours aux pesticides, il ne s'agit que d'un slogan, qui n'a contraint ni étranglé personne. Par ailleurs, la réduction de la dépendance aux pesticides a été considérée par tous comme un enjeu de durabilité de l'agriculture. Si on observe l'évolution de la disponibilité des produits phytosanitaires, on constate qu'elle dégringole – chacun pourrait parier, indépendamment de sa profession et de ses intérêts, sur cette dégringolade et sur le fait que des fournées entières de retraits se préparent, qui concerneront dans peu de temps 50 % ou 70 % des usages. Tout le monde le sait, et les dirigeants des filières agroalimentaires disent en aparté – certes pas dans les assemblées générales – qu'il faut sortir des pesticides.
L'adoption de la baisse de 50 % à l'échelle européenne – même si cela dépend des systèmes d'indices retenus – pourrait régler le gros problème de distorsion de concurrence dont nous nous plaignons. Le fait d'avoir anticipé, de nous être fixé ces objectifs et de disposer du réseau Dephy et de tout l'effort de recherche et développement entrepris depuis le début des années 2000 et amplifié depuis – avec un nouveau changement d'ordre de grandeur depuis 2014 – deviendra un avantage compétitif important.
Il s'agit d'un enjeu de durabilité dans le domaine de la santé. Les grandes cohortes, comme Agrican, ne cesseront pas de produire des résultats et de faire apparaître des surcroîts inattendus de prévalence de pesticides, que les systèmes d'évaluation ex ante ne permettaient pas de prédire. Ce sera encore, qu'on le veuille ou non, un autre facteur de retrait.
Enfin, les salariés accepteront de moins en moins de dépendre des produits phytosanitaires. Sans doute constatez-vous qu'ils sont de plus en plus exigeants en la matière – les agriculteurs eux-mêmes aussi, du reste. La question est donc moins celle du chiffre même de moins 50 % que celle de la durabilité de l'agriculture qui implique la réduction de la dépendance aux pesticides. En effet, face à cette évolution, l'innovation issue de l'agro-industrie est très poussive et, sur des échelles de temps importantes, il entre dix ou cent fois moins de produits nouveaux sur le marché qu'il n'en sort, car on ne découvre pas de nouveaux modes d'action et l'innovation phytosanitaire est très coûteuse. Quoi qu'on en pense, on peut donc prévoir la tendance.
Je ne voudrais pas que l'on pense que nous remettons en cause le Nodu. Je vous invite tous à consulter le site du ministère, qui présente cet outil conçu pour comparer les quantités de substances actives vendues. Le Nodu est une fraction : généralement, la dose unitaire par hectare augmente dans les mêmes proportions que la substance active vendue, et lorsque la quantité de substance active vendue baisse, si la dose unitaire baisse aussi, le Nodu reste inchangé. L'outil a été conçu pour cela et il ne faut pas lui faire dire plus que ce qu'il dit, mais je confirme qu'il fait consensus quant à ce qu'il dit.
La question des pesticides soulève de nombreuses difficultés. Alors que les précédents intervenants nous ont invités à ne pas généraliser, qu'il s'agisse de l'eau, de l'air ou des comparaisons entre les différentes molécules, il me semble que c'est ici un peu le contraire : après nous avoir dit que les cultures les plus consommatrices de pesticides étaient la pomme et la pomme de terre, on n'a cessé de parler de grandes cultures et de rotation des cultures. Or on n'utilise pas le même type de produits et les systèmes de culture n'ont pas le même pas de temps. Face à la variabilité de l'agriculture, on regroupe toutes les données, on calcule des sommes et on en tire des généralisations globales. C'est là l'une des grosses difficultés que nous rencontrons.
Plus encore, et comme je l'avais relevé à l'occasion d'une des premières interventions consacrées à l'évolution de l'agriculture, on a tendance à dire que l'agriculture évolue de plus en plus vers la monoculture et les grandes cultures, mais l'évolution des chiffres du recensement général agricole entre 2010 et 2020 – que j'invite tous les membres de la commission à consulter – fait apparaître une baisse de près de 300 000 hectares pour les céréales et une augmentation des superficies toujours en herbe. On observe donc des évolutions de l'agriculture qui ne correspondent pas nécessairement à ce qu'on nous décrit en termes généraux. Chaque fois que l'on parle des pesticides, on en parle à une échelle générale en prenant les grandes cultures pour exemple, mais ce ne sont pas les seules qui existent dans notre pays ni celles qui utilisent le plus les pesticides. À cela s'ajoute le fait que, comme cela a été dit auparavant, on ne peut pas comparer l'impact sur l'environnement des diverses molécules.
Ce qui m'intéresse avant tout, en tant que citoyenne, est moins la quantité des produits phytosanitaires que leur impact sur l'environnement et la santé. Le débat n'est pas à la hauteur des enjeux. En tant qu'ingénieure agronome, je m'adresse à l'ingénieur agronome : que peut-on faire d'autre que ce qu'on a fait jusqu'à présent pour rendre cette question compréhensible pour le grand public, sans en rester à de grandes idées simplistes qui ne font pas avancer la question ?
Je suis désolé d'être rangé dans le camp des promoteurs des grandes idées simplistes !
À en juger par l'occupation du sol, certaines régions sont simplistes. Toutefois, on a peut-être tort de s'en tenir au cumul des chiffres et il serait certainement très intéressant d'éclater l'analyse nationale par région ou par système de culture. Les synthèses de Dephy – qui sont loin d'être simplistes ! – opèrent cette désagrégation des chiffres. Cependant, et même sans perdre de vue l'origine de ces chiffres ni la constitution de leurs agrégats, il faut bien aussi les agréger, car l'usage des pesticides a une dimension nationale et européenne. L'agrégation résulte pour partie des surfaces et des niveaux moyens d'utilisation des produits. Finalement, quelque désir qu'on puisse avoir de nuances et de complexité, l'usage des pesticides et sa tendance dépendent du quatuor vigne-blé-colza-orge d'hiver. Je n'y peux rien, c'est comme ça !
La pomme de terre n'occupe pas des surfaces telles qu'elle pèse énormément. Ce sont ces quatre productions qui font l'évolution. J'ajouterai un autre élément quelque peu simpliste : le désherbage a un poids majeur dans cette équation. Agronome amoureux de la complexité, je fais partie de ceux qui répondent toujours que « ça dépend ». Mais là, le constat s'impose à moi. À mon grand regret, je ne peux pas compliquer davantage et il importe d'avoir ces ordres de grandeur présents à l'esprit.
Madame Heydel Grillere, c'était justement l'une des critiques adressées au plan Ecophyto 1 que de ne pas s'être concentré sur les cultures qui sont les plus importantes sur la question phytosanitaire en termes de surface cultivée. Sur les 114 fiches actions, une majorité concernait ainsi des cultures qui ne représentaient qu'une minorité – peut-être 20 % – des surfaces concernées.
Il manque en effet un pilotage stratégique : si nous avions eu des politiques, notamment pour les grandes cultures, la vigne ou le verger du futur, nous aurions aujourd'hui atteint le chiffre de 50 %. Ainsi, si elle avait été généralisée, une solution visant le colza, qui était prête à être appliquée au moment où le colza était à son apogée, aurait fourni à elle seule 10 % des solutions. Faute de pilotage stratégique et de fermeté, les actions se sont dispersées et nous n'avons pas obtenu les résultats attendus. Nous aurions pu nous concentrer sur les grands objectifs en termes d'impacts, pour les atteindre et retrouver de l'optimisme, mais nous n'avons pas su le faire, comme le montre la mission de 2014 – et nous ne l'avons pas fait davantage par la suite.
Nous sommes très centrés sur ces cultures, alors qu'il en existe de nombreuses autres, comme les vergers ou les légumes, et nous nous trouvons dans des impasses que nous ne savons pas mieux gérer que les autres pays, de telle sorte que nous finissons par importer des produits alimentaires comportant des produits que nous ne souhaitons pas trouver dans nos aliments. C'est là un effet collatéral de ces discussions et nous devrions nous demander ce que nous voulons vraiment.
Je rappelle que nous en sommes à la phase de transition entre un état des lieux et un examen critique de la politique publique. Merci beaucoup, monsieur Boiffin, de votre contribution à cette réflexion.
Revenons donc à la perspective de notre commission d'enquête. Nous sommes en train de rappeler ce qu'il s'agit de mesurer et de chiffrer, comment évaluer nos actions et comment vérifier que nous atteignons les objectifs que nous nous sommes fixés en termes d'impact sur la santé, sur l'air et sur l'eau. Il nous faut voir ce que nous ne savons pas mesurer et comment chiffrer une réduction, afin de savoir si la politique publique est efficace.
Monsieur Boiffin, il est intéressant que vous ayez pris le temps de nous rappeler le contexte de la mise en œuvre du plan Écophyto et les ambitions de la France de 2014, à la suite notamment du Grenelle de l'environnement. Vous avez rappelé la surprise qu'a connue le monde agricole à l'époque et le « si possible » dont le ministère de l'agriculture a assorti l'application de ce plan, ainsi que la nécessité d'intégrer des collectivités telles que les régions dans ce travail de terrain. Vous avez également rappelé le contexte de la recherche et l'émulation qui se manifestait en faveur de la réduction des pesticides en 2014 – émulation qu'on ne sent plus toujours aussi nettement aujourd'hui, faute peut-être de compte d'affectation spéciale (CAS) budgétaire dans la période que nous avons traversée.
Vous avez également émis certaines critiques en soulignant que cette France de 2014 s'infligeait, en décidant de mettre en œuvre le plan Écophyto dans le contexte de l'époque, une « autodistorsion » de concurrence. Vous avez aussi rappelé les critiques émises à l'époque à l'encontre de ce plan et évoqué, parmi ses limites, l'implication imparfaite de la grande distribution et la surestimation de certains outils.
Pourquoi le bilan de la mise en œuvre du plan Écophyto vous semble-t-il mitigé ? En quoi vous êtes-vous senti pionnier dans l'application de ce plan en 2014 ? Sans doute les choses sont-elles différentes dans le contexte de la France de 2023, dans une période de post-pandémie et de post-attentats qui a sans doute fait évoluer les mentalités et la réflexion politique, et alors que notre pays, face à la guerre en Ukraine et à la montée de tensions géopolitiques très fortes, connaît un immense besoin de souveraineté alimentaire. Dans ce contexte, en effet, nos modèles agricoles se cherchent dans chacun de nos territoires.
Qu'est-ce qui, en 2023, fait de la réduction de l'emploi des produits phytosanitaires une nécessité impérieuse ? Par ailleurs, comment intégrer cette ambition et ce besoin essentiel de réduction dans la formation des jeunes agriculteurs, en particulier à l'horizon 2025 ?
Ces questions sont très importantes, mais elles m'écrasent et dépassent de très loin mes capacités et le mandat qui m'a été donné dans le cadre de cette audition.
D'une manière assez brutale, on pourrait considérer que le bilan est très mauvais, puisqu'il n'y a pas eu de réduction et que l'objectif n'a pas du tout été atteint, mais il est, en réalité, mitigé, parce que l'ambiance a changé et que, dans le monde agricole et dans le système de recherche et développement agronomique – qu'il s'agisse de l'enseignement, de la recherche ou des instituts –, on ne parle plus de cette question de la même façon qu'en 2008.
Pour revenir sur le commentaire que je faisais dans le prolongement de la discussion que nous avons eue avec M. de Fournas, on observe aujourd'hui, même si elle est suivie de nombreuses divergences, une prise de conscience de la nécessité de sortir des pesticides, parce que nous n'avons pas le choix et que c'est là une condition de durabilité de l'agriculture. Les parties prenantes ne sont pas d'accord sur la vitesse à laquelle il faut en sortir ni sur la manière dont il faut le faire, et certains considèrent que leur intérêt ou celui de l'agriculture française est que cela dure le plus longtemps possible. Mais je ne crois pas qu'au fond de soi, quiconque en doute, au vu notamment des indices que j'ai évoqués, comme le flétrissement de l'innovation phytosanitaire. C'en est fini, en effet, dans ce domaine : si l'innovation est très importante dans le domaine des semences et du biocontrôle, voilà une éternité qu'on n'a pas découvert de nouveaux modes d'action dans le domaine chimique, et les coûts d'innovation sont devenus énormes. Il n'y a pas d'avenir de ce côté-là. Si donc, je le répète, le bilan est mitigé, c'est parce que l'ambiance a changé.
La formation dans les lycées agricoles a énormément changé depuis dix ou vingt ans, avec une forte élévation du niveau de qualité en agronomie. La formation sur les pesticides actuellement dispensée aux jeunes dans ces lycées, au niveau par exemple du bac agricole ou du brevet de technicien supérieur (BTS), leur donne le bagage nécessaire pour assumer les changements à venir.
Pour ce qui concerne les agriculteurs eux-mêmes, on me dit que le certificat individuel de produits phytopharmaceutiques (Certiphyto) n'est pas à la hauteur – je parle ici sous le contrôle de ceux d'entre vous qui sont agriculteurs ou viennent du milieu agricole. Un sursaut est nécessaire en la matière, et c'est là un point que vous examinerez peut-être.
En matière de recherche, des collègues chercheurs avec qui je discutais aujourd'hui encore pour mieux préparer cette audition m'ont confirmé que les montants des financements destinés à la recherche et au développement visant à la réduction de l'usage des phytosanitaires avaient encore progressé d'un facteur 10 grâce au plan Écophyto et à son retentissement sur l'Agence nationale de la recherche, laquelle a pris des initiatives en la matière, et sur les organismes tels que l'Inrae. De fait, la quantité et l'intérêt des travaux menés à l'Inrae depuis que j'en suis sorti ont énormément évolué dans le sens de ces orientations.
Il est dommage qu'il ne soit pas question de remettre en cause le Nodu. Nos questions à ce propos sont légitimes et ce pourrait être l'une des ambitions de cette commission d'enquête que de dire que ces critères posent problème et de proposer des pistes.
Vous dites en effet, monsieur Boiffin, qu'il n'y a pas eu de réduction des phytosanitaires, mais on a observé, en Gironde au moins, une baisse considérable de l'emploi des CMR, ce qui n'apparaît pas dans le Nodu. La commission d'enquête pourrait ainsi formuler la recommandation d'intégrer cette notion de dangerosité dans un critère, par exemple européen – du reste, si un critère n'est pas efficient, on se moque qu'il soit européen : l'essentiel est qu'il reflète la réalité, et tant mieux si c'est niveau européen. Il faut en tout cas absolument que nous puissions avancer sur cette question.
Vous avez entièrement raison de souligner que cette commission d'enquête a toute liberté pour formuler les propositions qu'elle voudra. La question des dispositifs de mesure et des choses qui sont derrière les mots est essentielle.
Je confirme que le Nodu fait consensus pour ce qu'il est, à savoir une fraction qui permet de comparer la quantité de substance active vendue d'une année sur l'autre, et n'a d'ailleurs été pratiquement créé que pour cela. La commission sera libre de formuler les recommandations qu'elle voudra.
Il pourrait être intéressant d'y réfléchir, car nous avons besoin d'un véritable thermomètre.
Monsieur Boiffin, il me semble, avec tout le respect que je vous dois, qu'il y a quelque incohérence à dire, comme vous l'avez fait, qu'il faut sortir des phytosanitaires. C'est en effet un peu simpliste, car le biocontrôle est lui aussi un produit phytosanitaire. Doit-on, à terme, sortir aussi du biocontrôle ? Si tel est le cas, nous ne sommes pas sortis de l'auberge et, à force de répéter de telles phrases, il ne faut pas s'étonner que la recherche sur ces produits soit difficile, car si les responsables disent qu'il faut en finir avec eux, plus personne ne voudra investir dans cette direction.
Il y a là une difficulté, et j'ai le sentiment que vous proposez beaucoup de choses simplistes – certains en font aussi leur commerce politique –, mais il faut tenir compte des réalités scientifiques et économiques. Je n'ai donc pas été très convaincu par vos réponses relatives à la préservation de la souveraineté alimentaire. Nous voulons tous sortir des phyto et nous pouvons certes en sortir dès demain, mais nous n'aurons alors plus d'agriculture. Il y aura des choix à faire et cette question devrait nourrir notre débat sur le rôle de l'Anses, mais nous ne l'abordons pas. Or si nous n'en sommes pas capables, nous irons dans le mur.
J'espère ne pas avoir dit qu'il fallait sortir des phytosanitaires. J'ai dit que la réduction de la dépendance de l'agriculture envers ces produits était un enjeu de durabilité de l'agriculture, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Il faut, par ailleurs, nous préparer à une importante discussion européenne, car le projet de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant une utilisation des produits phytopharmaceutiques compatible avec le développement durable (SUR) est en discussion. Je n'ai ni titre ni mandat pour vous faire des recommandations en la matière, mais il conviendrait que vos débats s'inscrivent dans cette perspective. Tout ce que vous dites à propos des indicateurs se produira et il est tout à fait légitime d'en discuter.
Pour ce qui est du Nodu, je comprends fort bien que la manière dont certains articles de presse un peu simplistes utilisent ces indices vous énerve – cela m'énerve aussi. Les évolutions du Nodu sont exposées sur le site du ministère de l'agriculture, qui fait toujours apparaître une rubrique distinguant les CMR1 et les CMR2, et il est tout à fait vrai que le recours à ces substances diminue, à cause des suppressions. Le même site distingue également les produits de biocontrôle. Il faut en effet procéder à des distinctions, car la globalisation induit des contresens.
Affûtez-vous donc pour les futures discussions européennes, qui iront dans le sens d'une réduction de l'usage des produits phytosanitaires – sans doute pas du biocontrôle, dont l'usage augmente, mais plutôt des pesticides chimiques de synthèse, dont l'usage diminuera. La question n'est pas de savoir si je recommande que cet usage diminue, car il diminuera de toute façon, et je n'y suis pour rien.
Aujourd'hui, nous avons pris le temps, avec M. Boiffin, de revenir sur le travail qui avait été réalisé à l'occasion du rapport de 2014. En effet, notre commission d'enquête a pris pour borne initiale l'expertise collective de l'Inserm de 2013 : depuis 10 ans, que s'est-il passé ? Nous ne pouvions pas faire comme s'il n'y avait pas eu ce rapport en 2014. Je proposerai, pour ma part, que les services reprennent sous la forme d'un petit document d'une dizaine de pages, qui se lira en une demi-heure, les déclarations de M. Boiffin, celles de Marion Guillou et quelques textes importants du rapport, afin que chacun puisse en prendre connaissance sans avoir besoin d'entrer dans le détail des fiches techniques.
Je précise toutefois à l'intention de M. de Fournas que le rapport comporte cinq pages très édifiantes consacrées au Nodu, qui présentent l'état de la querelle idéologique, scientifique et technique sur cette question et les raisons justifiant notre conclusion et l'adoption de critères croisés plutôt que d'un critère unique.
Je remercie le président de nous avoir permis de prendre le temps d'aller au fond de cette question pour ne pas repartir du début, du niveau de 2009, mais bien de 2014, et voir comment et pourquoi la promesse de 2014 n'a pas tout à fait été réalisée, avant d'entamer aujourd'hui une nouvelle séquence.
En 2014, nous n'avions pas conscience de certains éléments que vient de rappeler M. Boiffin. À moins qu'on se moque de l'Europe – ce qui n'est pas notre cas, et en tout cas pas le mien –, le règlement SUR est inéluctable, même si son degré d'intensité fait encore l'objet d'ultimes négociations, et il induira un changement de paradigme en accélérant la sortie des pesticides pour des raisons majeures de santé publique à l'échelle européenne, de durabilité de nos agrosystèmes et de fertilité des sols pour nourrir le monde. L'Europe est en train de donner un coup d'accélérateur et le dérèglement climatique promet, comme le disent Christian Huyghe et tous les lanceurs d'alerte scientifiques, une accélération des agressions et une perte de solutions des molécules, l'efficacité de ces dernières ne cessant de baisser, entraînant le retrait de ces molécules – le principal facteur de l'augmentation du Nodu ou des QSA est précisément ce retrait, notamment celui des CMR, ce qui est une réussite.
Si donc nous n'avons pas une politique de recherche et de développement à la hauteur, en termes d'agroécologie et d'innovation, de ce que nous promet la directive européenne en termes de retrait de molécules et de dérèglement climatique, nous nous trouverons dans une impasse économique tant pour l'agriculture que, plus globalement, pour la capacité de la société à agir. La question n'est donc pas de savoir s'il faut croître ou décroître, mais quelles sont les conditions de notre capacité à nous nourrir. La situation était moins dramatique en 2014 qu'aujourd'hui, où sont apparus les trois éléments que je viens de rappeler : le retrait des molécules, la directive européenne et le dérèglement climatique. Il est donc urgent d'agir.
Merci, monsieur Boiffin, du temps que vous avez pris pour cette audition, de votre qualité d'écoute et de la sincérité et de la rigueur de vos réponses.
La séance s'achève à dix-sept heures quarante.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Frédéric Descrozaille, M. Grégoire de Fournas, Mme Marine Hamelet, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Mathilde Hignet, M. Éric Martineau, Mme Marie Pochon, M. Dominique Potier, M. Loïc Prud'homme, Mme Mélanie Thomin, M. Nicolas Turquois