Je sais que vous auditionnerez divers interlocuteurs issus de l'Anses, qui a en réalité plusieurs identités, associées à ses différentes missions. Pour ma part, j'interviens au titre de la mission de phytopharmacovigilance, qui a été créée en 2015 pour accompagner le transfert de la gestion des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Nous avons alors mis en place une surveillance des effets indésirables qui surviennent à la suite de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les conditions réelles du terrain. Pour cela, nous avons créé un réseau de partenaires. Nous nous appuyons sur l'ensemble des dispositifs de surveillance existants dans tous les milieux, les Aasqa notamment, pour la surveillance de l'air ambiant. Vous avez auditionné l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) qui a mené une campagne de mesures dans les sols. C'est également l'un des partenaires de l'Anses dans le cadre de la phytopharmacovigilance.
Nous collectons l'ensemble des données de présence des résidus de pesticides dans les différents milieux, dans l'alimentation et l'environnement. Par ailleurs, nous recensons les effets indésirables – intoxications aiguës, éléments de pathologie chronique – qui peuvent être attribués à l'exposition aux pesticides. Cette collecte nous permet de faire un état des lieux et d'identifier, dans le cadre de notre mission de vigilance, des signaux ou des alertes qui nécessitent la mise en place d'actions de correction.
Au titre de cette mission, nous avons, à partir de 2015, réalisé un état des lieux des données existantes pour documenter la présence des résidus de pesticides dans l'environnement. Pour le sol, nous avons constaté qu'il n'y avait quasiment pas de données et nous avons financé une campagne de mesures. Pour l'air, le diagnostic était différent. Comme vous l'avez entendu, depuis presque vingt ans, certaines Aasqa mesurent les pesticides dans l'air, selon des protocoles variables. La Cnep nous a permis de disposer d'une image représentative et homogène sur l'ensemble du territoire national, y compris les territoires ultramarins, avec les mêmes méthodes et la recherche des mêmes substances actives sur une année entière. Nous avons aussi pu capter les variations saisonnières et la variabilité de l'occupation des sols. Avant de lancer la Cnep, nous avons mené une expertise pour déterminer ce que nous nous attendions à trouver, c'est-à-dire des molécules les plus utilisées et les plus volatiles, ainsi que celles qui sont le plus toxiques. La Cnep a couvert des sites céréaliers, viticoles ou arboricoles, soit la diversité des contextes agricoles, cependant nous ne nous sommes pas placés à proximité des cultures. La Cnep n'avait pas pour objet de comprendre ce qui se passait une heure après un traitement, mais plutôt de capter une sorte d'ambiance de fond sur le territoire.
Les résultats ont montré que certaines substances atteignaient des pics de concentration, d'autres étaient très fréquemment retrouvées, pas forcément à des concentrations élevées, quand d'autres cumulaient les deux caractéristiques. Nous avons trouvé des substances interdites, comme le lindane, dont l'utilisation a été interdite à la fin des années quatre-vingt-dix pour la protection des cultures et au début des années 2000 pour l'élevage. Nous avons aussi observé une saisonnalité des contaminations.
Par ailleurs, l'air est le premier compartiment contaminé. Pour l'application d'un produit phytopharmaceutique, on utilise couramment la pulvérisation, qui consiste à créer un brouillard au-dessus des cultures, afin de protéger la culture des insectes ravageurs, ou d'atteindre les mauvaises herbes qui sont au pied des cultures. Or, une fois contaminé, l'air contamine le sol, les cours d'eau et les environnements intérieurs.
La Cnep a mis en évidence des niveaux de concentration et des fréquences de quantification et de détection. Nous avons accompagné ces résultats par une interprétation sanitaire de ces niveaux de concentration. Nous avons conclu qu'il n'y avait pas d'alerte sanitaire liée aux niveaux de concentration retrouvés dans les mesures réalisées dans l'air. Je ne parle ici que de l'exposition par voie respiratoire. Mais ce travail a par ailleurs pointé l'absence de repères normatifs ou sanitaires pour réaliser la surveillance de la qualité de l'air, contrairement à ce qu'on observe dans d'autres milieux.
Nous pensons qu'il y a tout de même un intérêt à mesurer les concentrations de pesticides dans l'air, bien que nous ayons des difficultés à les interpréter en termes des risques sanitaires. Pour cette raison, nous nous réjouissons de la transformation de la campagne exploratoire qui n'était que provisoire en une surveillance nationale pérenne, assurée par les Aasqa. Cette surveillance nous permet de procéder à des analyses sur le temps long. En effet, la grande variabilité d'une année sur l'autre – en raison de la météorologie, par exemple – ne nous permet pas de mettre en évidence des tendances sur seulement trois années. Les signaux que nous détectons sont ensuite transmis à nos collègues chargés des autorisations de mise sur le marché, ainsi qu'à toutes les missions publiques nationales qui interviennent dans la gestion des risques liés aux pesticides.