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Intervention de Jean Boiffin

Réunion du mercredi 6 septembre 2023 à 14h15
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Jean Boiffin, ingénieur agronome, directeur de recherche honoraire à l'Inra :

Je suis très honoré de cette audition, et même impressionné. D'après ce qui m'a été indiqué, elle devait comporter deux points : retour sur le constat posé par le rapport de 2014, que vous avez cité, et regard sur les suites qui lui ont été données. Mon intervention liminaire portera essentiellement sur le premier aspect. Si vous m'interrogez sur le second par la suite, je vous dirai franchement si mon information, un peu lacunaire depuis 2014, date à laquelle j'ai en effet pris ma retraite, me permet de vous répondre de façon pertinente ou non.

Je n'ai pas participé à la conception du plan Écophyto, mais il m'a été demandé, fin 2009, probablement d'ailleurs parce que je n'avais pas été impliqué initialement, de présider le comité d'experts du plan. C'était une sorte de conseil scientifique et technique, chargé de suivre la mise en œuvre. J'ai animé ce comité de 2010 à 2014, et c'est à ce titre que j'ai été intégré dans la mission constituée en 2014 autour du député Dominique Potier.

Après un bref rappel sur le premier plan Écophyto, qui s'appelait Écophyto 2018, j'évoquerai la lettre de mission de M. Potier, puis chacune des trois grandes parties du rapport – respectivement intitulées « Comprendre », « Agir » et « La mise en œuvre » –, essentiellement sous l'angle de l'analyse sous-jacente que nous avions faite.

Le plan Écophyto 2018 avait pour origine le Grenelle de l'environnement, vaste réflexion collective menée en 2007 sous la présidence Sarkozy, dans une conjoncture politique qui a été, pendant un certain temps, proenvironnementaliste. Un des six axes de travail du Grenelle concernait la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles. C'est dans ce cadre qu'étaient principalement traités les problèmes agricoles. Il n'y avait pas d'axe de travail relatif à l'agriculture : elle était présente dans chacun d'eux, en particulier celui concernant la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles. Cet axe a conduit, entre autres engagements, comme la trame verte et bleue, à un objectif de réduction massive et rapide de l'usage des pesticides, de moins 50 % en dix ans. La recherche, quant à elle, n'était pas très présente dans les axes du Grenelle de l'environnement, et l'engagement massif qui a été décidé a surpris pas mal d'observateurs, notamment dans les milieux agricoles et agronomiques.

Le ministre de l'agriculture de l'époque, Michel Barnier, a demandé à Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture et ex-président de l'Inra, qui était très respecté aussi bien dans le milieu agricole que dans le milieu scientifique, de présider le comité opérationnel du Grenelle de l'environnement, lequel était chargé de traduire en plan d'action l'engagement qui avait été pris. Bon gré, mal gré, les organisations professionnelles agricoles, l'agrofourniture et l'industrie phytosanitaire ont accepté de participer, à côté des ONG environnementalistes, et de cautionner le plan dès lors qu'était ajoutée à l'objectif la mention « si possible ». Cet ajout correspondait, du reste, au caractère non contraignant de la plupart des dispositions du plan Écophyto.

Les travaux du comité se sont appuyés sur une vaste étude collective qui avait été engagée par l'Inra avant même le début du Grenelle de l'environnement, à la demande des pouvoirs publics, et qui s'appelait « Écophyto R&D [recherche et développement], quelles voies pour réduire l'usage des pesticides ? » Cette étude a eu une grande influence sur une assez large partie du plan.

Celui-ci a été copiloté par les ministères chargés de l'environnement et de l'agriculture, mais sa maîtrise d'œuvre a été confiée à ce dernier et, point très important, centralisée à la direction générale de l'alimentation (DGAL).

Dans sa version initiale, datant de septembre 2008, le plan comportait 105 actions, regroupées en huit axes qui étaient respectivement consacrés aux indicateurs, à la mise au point et à la diffusion des voies de réduction de l'usage des pesticides, à la recherche, à la formation, à la surveillance des bioagresseurs et des effets non intentionnels, aux départements et territoires d'outre-mer (DOM-TOM), aux usages en zones non agricoles et à la communication, à quoi s'est ajouté, en 2012, un axe relatif à la santé des utilisateurs.

Le contexte était double au niveau européen : l'adoption du plan était concomitante de celle de la directive 2009/128, instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, et de la préparation d'une énième révision de la PAC, la politique agricole commune, finalement intervenue en 2015.

Pour ce qui est de la directive, c'est la DGAL qui était à la manœuvre afin d'assurer une coordination, laquelle a été très étroite. Le plan Écophyto a ainsi officiellement constitué la version française de la mise en œuvre de la directive, celle-ci prévoyant l'adoption de plans nationaux. Alors que la directive ne comportait aucune obligation de réduction – et c'est toujours le cas –, la France s'est placée en pointe dans l'interprétation du texte par rapport à ses compétiteurs européens, notamment l'Allemagne, qui privilégiait alors la réduction des impacts et interprétait la directive sous cet angle, en utilisant des systèmes de mesure qui correspondaient plus à la question de l'impact des pesticides qu'à celle de leur usage. Les dirigeants des grandes filières végétales ont dès lors déclaré que la France s'infligeait, à travers le plan Écophyto, une autodistorsion de concurrence.

En ce qui concerne la PAC, la négociation a été menée par d'autres services du ministère de l'agriculture. Je n'ai plus en tête la taxonomie alors en vigueur, mais il me semble qu'il s'agissait de la direction de l'espace rural et des forêts. Pour les hauts cadres qui menaient les négociations – ils nous l'ont dit lors d'une séance publique du comité d'experts – les questions environnementales étaient très secondaires, et celle de la réduction de l'usage des pesticides était tertiaire.

Début 2014, le plan Écophyto avait été mis en œuvre pendant cinq années pleines. La décision de confier son évaluation à mi-parcours à un parlementaire s'est accompagnée d'un regain d'importance politique – c'est en tout cas ainsi que l'ont ressenti beaucoup d'acteurs, dont je fais partie.

La lettre de mission, en date du 30 mai 2014 et signée par le Premier ministre de l'époque, Manuel Valls, fixait pour objectif de « proposer, en concertation avec les parties prenantes et les administrations concernées, une nouvelle version du plan Écophyto », ce qui sous-entendait qu'on considérait la version initiale comme insuffisante pour atteindre les objectifs fixés. Du reste, l'échéance de 2018 avait prudemment été gommée de l'intitulé du plan. La lettre de mission faisait aussi référence à la directive européenne de 2009, qui prévoyait un réexamen à mi-parcours. Le rapport a servi de base pour la réponse de la France à cette disposition.

La première partie du rapport visait à poser un diagnostic sur l'évolution des enjeux et du contexte depuis le démarrage du plan et sur l'absence de tendance à la baisse que l'on observait alors. Je citerai quatre points forts – le député Potier complétera ou rectifiera s'il le juge nécessaire.

S'agissant de l'impact des pesticides, des études a posteriori menées entre 2008 et 2014, notamment la fameuse expertise de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de 2013 et le rapport sénatorial de 2012, avaient accru les présomptions d'effets négatifs des pesticides sur la santé humaine et accessoirement, car c'était de manière plus fragmentaire, sur le fonctionnement des écosystèmes. Un gros travail avait été mené, en particulier, sur les pollinisateurs. Ces travaux nous ont fait prendre conscience, au sein de la mission, de l'insuffisance fondamentale des systèmes d'évaluation ex ante, c'est-à-dire avant la mise sur le marché. Cette évaluation, qui est indispensable, devait être non seulement renforcée mais aussi complétée par une évaluation a posteriori des effets observés sur le terrain, qui devait être beaucoup plus sérieuse que ce qui existait à l'époque, à notre avis, étant entendu que les collègues de l'Inserm et le rapport sénatorial avaient déjà réclamé un renforcement. Ces études a posteriori devaient permettre de réviser les cohortes, les observations in situ des écosystèmes, en particulier leur dérive, et les autorisations de mise sur le marché, dès qu'apparaitraient des présomptions fondées, c'est-à-dire de faire ce qu'on appelle de la phytopharmacovigilance. Le renforcement de ces études était une des recommandations majeures du rapport. Nous avons souligné au passage que l'évaluation a posteriori était particulièrement faible et lacunaire en ce qui concerne les impacts écologiques.

J'en viens à la réduction de l'usage des pesticides. En 2014, on observait qu'elle n'avait pas eu lieu et qu'il y avait même une tendance à la hausse, ainsi que d'importantes fluctuations interannuelles, ces deux tendances étant essentiellement imputables aux herbicides. Dans le même temps, on observait une tendance à la baisse dans le réseau des 2 000 fermes Dephy (réseau de démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires), souvent sans détérioration des performances économiques. Néanmoins, cette tendance à la baisse était encore assez modeste et surtout extraordinairement variable d'une ferme à l'autre, suivant des trajectoires extrêmement diverses – beaucoup plus qu'on l'avait pensé lors de la conception du réseau Dephy. Cela a impliqué un travail d'analyse beaucoup plus fouillé que prévu, d'où des coûts et un investissement en temps bien supérieurs. S'agissant des zones non agricoles, la loi Labbé venait d'être promulguée. En exagérant un peu, on pouvait dire que l'affaire était réglée ; en tout cas, une baisse considérable et irréversible des usages était enclenchée.

La mission a mis en exergue, dans son diagnostic, les facteurs qui contrarient la diversification des cultures dans le temps et l'espace, ce qui est un point capital.

La quantité de pesticides utilisés pour une surface agricole donnée a trois sources de variabilité. La première est la nature de l'espèce végétale cultivée, chacune ayant son propre cortège de bioagresseurs, auxquels elle est plus ou moins sensible et exposée. Dans un contexte écologique, technique et économique donné, il en résulte des niveaux moyens d'usage des pesticides extrêmement variables selon les cultures, la médaille d'or allant aux vergers de pommiers, celle d'argent aux pommes de terre et celle de bronze à la vigne. Au pied du podium, à un niveau moyen élevé, se trouvent le blé tendre, le colza et l'orge d'hiver. À l'opposé, on n'utilise rien dans les prairies permanentes, quasiment rien dans celles non permanentes, et peu, voire très peu de pesticides pour le tournesol ou le sorgho. L'évolution des surfaces occupées par les différentes cultures a ainsi une grande importance.

La deuxième grande source de variabilité est le contexte, qui favorise plus ou moins le développement des bioagresseurs. Il s'agit non seulement du climat, plus ou moins favorable selon les années et les régions, mais aussi des systèmes de culture, en particulier la succession dans le temps des cultures sur une parcelle et le paysage dans lequel s'insère cette dernière – c'est l'aspect spatial. Plus la succession de cultures et le paysage sont uniformes – on peut penser, par exemple, à une monoculture occupant un paysage entièrement ouvert, comme les oliveraies en Andalousie, monoculture très ancienne et extraordinairement étendue –, plus le développement des bioagresseurs spécialisés dans la culture concernée risque d'être important, et plus l'agriculteur est incité à traiter.

Une troisième source de variabilité est la façon dont l'agriculteur gère la santé des plantes. Sa manière de faire est plus ou moins préventive et systématique, avec plus ou moins d'aversion au risque, plus ou moins de recours aux avertissements et aux outils d'aide à la décision. C'est, là aussi, très variable pour une culture donnée, face à un même niveau de risque. Le comportement de l'agriculteur dépend de ses sources d'information et de son environnement technique.

C'est sur ce comportement que se focalisait le plan. Les deux premiers facteurs sont liés à la structure de la ferme France et à son évolution, et ils dépendent du degré de spécialisation à l'échelle régionale. Quand des régions, qui occupent en France des surfaces énormes, sont spécialisées dans le système de culture colza-blé-orge, cela conduit à une très forte inertie de la consommation de pesticides, d'une part, parce que ces trois cultures en utilisent beaucoup et, d'autre part, parce que ce système, ultrasimple, favorise le développement des bioagresseurs et donc un usage important des pesticides pour chacune des trois cultures.

Les deux premiers facteurs étaient pratiquement ignorés par le plan Écophyto initial. Sans méconnaître l'importance du troisième facteur, le comportement de l'agriculteur, la mission de 2014 a pensé que l'uniformité des assolements et de la succession des cultures était un facteur d'explication majeur du haut niveau de l'usage des pesticides en France. Il est lié à l'importance des surfaces des espèces végétales fortement traitées – blé, orge d'hiver, colza et vigne – et plus encore au fait que cette uniformité crée un contexte phytosanitaire défavorable qui incite à traiter.

En allant plus en amont, nous avons pensé qu'il fallait, pour réduire l'usage des pesticides, s'intéresser aux mécanismes de rémunération des agriculteurs, en particulier la fixation des prix des produits végétaux. Elle conduit, en effet, au choix des cultures et de leur succession et va dans le sens de la spécialisation et de l'uniformité plutôt que dans celui d'une diversification des couverts végétaux dans le temps et l'espace, aspect totalement ignoré par le plan Écophyto – j'exagère peut-être un peu en disant « totalement », mais pas beaucoup.

J'en viens à l'éventail des solutions disponibles.

Notre premier constat était qu'une dynamique de recherche et développement indéniable s'était enclenchée. Beaucoup plus de projets avaient trait à la réduction de l'usage des pesticides en 2014 qu'en 2008, et il ne s'agissait pas seulement de projets directement soutenus par le plan. Celui-ci avait eu un très important effet de rayonnement et d'entraînement sur le système de recherche et développement, mais cette dynamique était encore trop récente pour fournir aux agriculteurs toute la panoplie nécessaire pour atteindre un objectif aussi ambitieux qu'une réduction de 50 % des usages dans l'ensemble de la ferme France. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir sur l'historique de la recherche et de l'enseignement en agronomie, qui me paraît une question très importante.

Deuxième constat, réalisé dans le cadre du réseau Dephy, l'éventail des solutions pour réduire l'usage des pesticides se caractérisait, comme envisagé initialement dans l'étude préliminaire Écophyto R&D, par trois degrés, croissants, de difficulté. Il y a tout d'abord l'accroissement de l'efficience des produits appliqués, qui n'est pas très difficile. Typiquement, au lieu de traiter de façon systématique, on suit des avertissements et on utilise des outils d'aide à la décision. Cela ne conduit pas toujours à une réduction de l'usage des pesticides, mais c'est possible, dans l'ensemble, et c'est une des voies suivies dans le réseau Dephy. Le deuxième niveau, un peu plus difficile, consiste à substituer un produit de biocontrôle à un pesticide chimique. Le troisième niveau est ce qu'on appelle la reconception : on s'engage dans un changement profond du système de culture, par exemple par l'allongement de la rotation grâce à l'introduction d'une nouvelle culture. Si on le faisait à l'échelle de la ferme France, l'assolement de celle-ci devrait changer. Ce n'est pas ce qu'on constate, ou seulement de façon marginale. Bien que privilégiée dans la sélection des projets et assez largement représentée dans le réseau Dephy, la dernière option reste minoritaire, parce qu'elle est plus difficile. Or, très schématiquement, c'est surtout ce levier qui est efficace, en particulier pour les mauvaises herbes. Je rappelle que les herbicides représentent grosso modo la moitié des pesticides utilisés.

Troisième constat, quand on voulait regarder ce qui se passait à l'échelle de la France entière pour comprendre en quoi et pourquoi l'évolution des pratiques phytosanitaires ne correspondait pas à ce qu'on observait dans le réseau Dephy, on avait en réalité très peu d'informations. Les enquêtes sur les pratiques culturales du ministère de l'agriculture, qui sont pourtant des mines extraordinaires de renseignements, ne comportaient pas beaucoup de données en la matière. Elles n'ont commencé à en recueillir qu'assez tardivement par rapport au début de la mise en œuvre du plan.

L'assolement de la ferme France est, je l'ai dit, quasiment immuable. Ce qu'on qualifiait de solutions disponibles au sein du réseau Dephy n'était donc peut-être pas si disponible que cela, ou n'était pas perçu comme tel au niveau de la France entière. En fin de compte, le réseau Dephy était peut-être un réseau pionnier, d'exploration, et très intéressant à ce titre, mais pas, comme on le souhaitait au départ, un réseau de démonstration. Ce qui marche, en effet, est difficile.

Notre rapport n'a pas pris la forme d'une dénonciation univoque d'un échec du plan. Celui-ci comportait, à nos yeux, certains points forts qui pouvaient être considérés comme des conditions non suffisantes mais nécessaires pour la réduction des usages. Il s'agissait ainsi d'un plan d'accompagnement mais pas véritablement d'entraînement.

Le premier point fort était que les pouvoirs publics ont émis un signal qui a été à peu près maintenu et qui a été effectivement suivi par une grande partie du système de recherche et développement agronomique – je peux en témoigner –, par une partie importante du développement agricole sous tutelle professionnelle, notamment les chambres d'agriculture, et par un nombre non négligeable de responsables professionnels, même s'il y avait, bien entendu, des différences importantes selon les institutions, les filières végétales ou les régions.

Deuxième point fort, la version initiale du plan Écophyto a créé des dispositifs structurants, comme les indicateurs d'usage, le bulletin de santé du végétal, le réseau Dephy, notamment les fermes expérimentales, le certificat individuel de produits phytopharmaceutiques (Certiphyto) et le programme de recherche dédié au plan, qui étaient pour nous des conditions indispensables à l'instauration d'une dynamique de réduction de l'usage des pesticides.

Nous avons néanmoins relevé un certain nombre de points faibles. Je me bornerai à en citer trois, qui sont majeurs.

Le premier était l'absence de prise sur certains leviers indirects, mais essentiels, pour l'usage des pesticides, comme la PAC et les cahiers des charges de la grande distribution et du commerce international des denrées agricoles, qui jouent sur la structure de la ferme France et par les choix faits par les agriculteurs en matière de cultures, d'assolement et de succession des cultures.

Deuxième point faible, que j'ai déjà évoqué, le potentiel d'adoption et de diffusion des solutions initialement considérées comme disponibles était surestimé. La conception de départ était probablement un peu simpliste.

Troisième point faible, nous avons souligné un certain nombre de défauts d'organisation et de mise en œuvre, notamment l'émiettement du plan, qui comprenait neuf axes et 114 actions, avec pour corollaires une gouvernance qu'on pourrait qualifier de très ramifiée et surtout un mode de financement des actions très compliqué, qu'un chercheur peu versé dans ces matières trouverait peut-être kafkaïen. Le financement transitait par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) et il passe peut-être encore par l'Office français de la biodiversité (OFB).

J'aborde maintenant la deuxième partie du rapport, à savoir les orientations proposées en vue d'une nouvelle version du plan. Ces orientations, auxquelles correspondaient à chaque fois plusieurs recommandations, formulées sous forme de fiches, étaient au nombre de six. J'en évoquerai quatre qui sont pour moi – mais je m'exprime sous le contrôle du député Potier – les plus importantes.

La première orientation était le renforcement de la surveillance et de la maîtrise des risques. Il s'agissait de donner à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui venait d'être créée, les moyens d'exécuter la mission de phytopharmacovigilance qui lui avait été donnée, c'est-à-dire le suivi a posteriori des impacts de l'usage des pesticides sur la santé humaine, la santé des écosystèmes et la contamination des milieux.

La deuxième orientation était d'arriver à une baisse de 25 % des usages en cinq ans en utilisant tous les outils et toutes les solutions validés lors des cinq premières années d'application du plan et, surtout, en organisant mieux l'accompagnement des agriculteurs. Nous avons ainsi recommandé d'augmenter la taille du réseau Dephy, notamment le dispositif des fermes, en faisant passer leur nombre de 2 000 à 3 000, et de créer un deuxième cercle de 30 000 exploitations qui bénéficieraient d'un conseil renforcé, mais n'allant pas jusqu'à la prestation lourde déployée dans le réseau Dephy – un ingénieur à mi-temps, me semble-t-il, pour dix fermes, afin de réaliser un travail d'animation constant –, le but étant de s'engager en vraie grandeur dans les voies ayant fait leurs preuves dans le cadre de Dephy.

La troisième orientation était d'agir à moyen et à long terme en appliquant un ensemble de recommandations, encore plus nouvelles, qui visaient à utiliser des leviers structurels : non seulement homogénéiser encore plus les règles d'homologation, pour éviter les distorsions de concurrence, mais aussi faire en sorte que la PAC favorise bien davantage la diversification et le verdissement par le soutien à l'élevage, afin de maintenir les prairies non traitées, par la préservation de soutiens couplés pour certaines cultures dites de diversification, comme les protéagineux – non parce que ceux-ci seraient vraiment moins traités que d'autres cultures, même si certains le sont effectivement très peu, mais pour créer des rotations faisant en sorte qu'on traite moins le blé ou le colza –, ainsi que par une conditionnalité des aides du premier pilier explicitement liée, ce qui n'était pas le cas, à la succession des cultures, et non pas seulement à leur diversification, et à la gestion des pesticides.

Autre élément important, nous avons recommandé de faire de la protection intégrée un standard reconnu, coconstruit mais aussi exigeant que possible – la protection intégrée étant plastique ou flexible, on peut y intégrer pas mal de choses – pour les transactions commerciales, y compris au sein du commerce international, à l'image de ce qui a été fait, bien que ce soit très décrié, en ce qui concerne l'huile de palme. En effet, les standards qui conditionnent la mise sur le marché de l'huile de palme ne sont pas si nuls qu'on le dit du point de vue de la déforestation. Nous avons pensé que la protection intégrée pouvait être utilisée en tant que condition de commercialisation, par exemple pour les transactions concernant les céréales.

S'agissant toujours de l'action à moyen et à long terme, nous avons recommandé de favoriser la maîtrise du foncier et de la gestion de l'espace pour agir sur les facteurs paysagers des épidémies de bioagresseurs, en développant une sorte d'agroécologie du paysage.

La quatrième orientation consistait à changer de braquet en ce qui concerne l'effort de R&D directement induit par le plan Écophyto. La dynamique en la matière était encore trop récente, je l'ai dit, et présentait encore trop d'angles morts, aussi bien à l'échelle internationale qu'à l'échelle française. Il nous a donc paru important de renforcer le rôle fédérateur et orienteur du plan dans ce domaine. En matière d'agroécologie du paysage, par exemple, l'état de l'art était à l'époque, et il le reste encore, je crois, trop lacunaire et imprécis pour pouvoir fournir des règles d'action consistantes. La question ne se résume pas à augmenter le nombre de kilomètres de haies.

S'agissant de la troisième partie du rapport, je me contenterai de mentionner deux volets.

Le premier était la restructuration du plan en six axes, au lieu de neuf, dont un tout nouvel axe intitulé « politiques publiques, territoires et filières », dont je me demande un peu ce qu'il est devenu – j'ai très peur qu'il n'ait pas donné ce qu'on espérait, mais je n'ai pas suivi la question d'assez près pour pouvoir le certifier.

Nous avons également recommandé un nouveau système de gestion financière, doté de moyens accrus et surtout présentant une meilleure coordination entre les différents acteurs de la maîtrise d'ouvrage, la grande innovation souhaitée en la matière étant l'introduction des régions dans les tours de table en matière de financement et d'orientation. En effet, les régions étaient complètement absentes du plan Écophyto initial.

Pour conclure, je dirais que le rapport comportait une critique forte mais constructive de la première version du plan. Il préconisait à la fois une prise de recul et une amplification, et essayait à tout prix de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain, ce qui aurait comblé les vœux d'opposants très différents au plan Écophyto. Le rapport visait à conserver un esprit participatif permettant d'embarquer une partie importante de la profession et à instaurer à la fois plus de réalisme et plus d'ambition quant à l'ampleur des changements à réaliser.

Je me tiens maintenant prêt à répondre à vos questions.

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