La commission procède à la discussion sur la thématique d'évaluation L'enseignement agricole (M. Robin Reda, rapporteur spécial).
J'ai le rare privilège de pouvoir présenter ce point d'évaluation devant deux ministres. Le programme 143, Enseignement technique agricole, qui représente 2 % de la mission Enseignement scolaire – soit tout de même 1,5 milliard d'euros –, relève en effet du budget du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et non de celui l'éducation nationale et de la jeunesse.
L'enseignement technique agricole n'en revêt pas moins une importance particulière au regard de ses 200 000 élèves et apprenants à travers le pays, de ses 18 000 personnels du ministère de l'agriculture – dont de nombreux enseignants – et de ses 800 établissements un peu partout en France. J'ai eu l'occasion, dans le cadre de cette mission, de mener des auditions mais aussi de me déplacer dans une dizaine d'entre eux.
Dans nos lycées agricoles commence la transition démographique, dont nous avons beaucoup parlé dans le cadre du projet de loi d'orientation agricole (PLOA), mais aussi la transition écologique. À rebours de certains clichés en effet, j'ai rencontré des professeurs, des élèves et des apprenants animés par l'envie de faire mieux en matière de transition écologique et pleinement conscients du rôle économique de celle-ci dans l'aménagement des territoires ruraux.
Grâce à un maillage territorial très serré, l'enseignement technique agricole est présent partout, offrant à chaque élève la possibilité d'étudier l'agriculture – 60 % de ses établissements sont privés et 40 % publics. Ce maillage est une chance, même si les cartes de formation ne sont pas toujours complémentaires et qu'il existe parfois des doublons ; cela soulève la question de leur spécialisation, qui doit être traitée en lien avec les régions notamment.
J'aimerais partager avec vous un constat et trois grandes idées. Le constat, je l'emprunte à Lenny, 15 ans, élève au lycée agricole de Bouaye en Loire-Atlantique : alors qu'il était décrocheur au collège, il a trouvé au lycée des enseignants et des équipes généreux. Ce constat, qui ne doit pas invisibiliser les insuffisances et les améliorations possibles, reflète parfaitement l'état d'esprit qui prévaut dans l'enseignement agricole, marqué par l'innovation pédagogique et l'accompagnement humain.
Dans l'immense majorité des établissements, le climat scolaire semble apaisé. Alors qu'ils sont souvent en difficulté à l'origine, les élèves y « rattrapent le train » de l'école ; leur insertion professionnelle est quasiment garantie. Les difficultés sociales sont pourtant nombreuses, et le taux de boursiers important – en particulier, je tiens à le souligner, dans les établissements privés. La présence quasi- systématique d'internats accueillant une grande part des élèves enraye parfois le nivellement par le bas des comportements.
Dans ces établissements, les élèves décrocheurs trouvent un projet professionnel et rencontrent des professeurs et des personnels sachant s'adapter à leurs particularités. Ils découvrent un monde professionnalisant, un projet pédagogique tourné vers le concret, et voient s'ouvrir les perspectives de carrière. L'insertion professionnelle y est réussie, avec des taux avoisinant 90 % à l'issue du baccalauréat professionnel ou du brevet de technicien supérieur (BTS), contre 75 % à 80 % dans l'enseignement professionnel de l'éducation nationale.
Au-delà de ce constat plutôt élogieux, je veux aussi souligner un certain nombre de difficultés qu'il faudra résoudre pour garantir la souveraineté alimentaire de la France. L'enseignement agricole, d'abord, manque cruellement d'élèves alors qu'il a la possibilité d'en former davantage. Pour remédier au manque d'attractivité, l'enjeu de la communication est majeur. Notre façon d'appréhender l'enseignement agricole doit changer. Il faut répéter que l'on ne va pas dans un lycée agricole uniquement pour devenir agriculteur mais que l'on peut s'y préparer à des métiers divers : salarié agricole, infirmière, cuisinier, arboriculteur ou encore paysagiste. L'enseignement technique agricole, c'est l'école de la ruralité, de l'enracinement dans les territoires. Les agriculteurs de demain ont besoin de ce réseau de services autour d'eux pour s'installer durablement dans nos campagnes.
Il faut également multiplier les occasions fortuites d'orienter les élèves vers l'enseignement agricole – M. le ministre aura probablement à cœur de rappeler les avancées prévues par le PLOA à cet égard. De nombreux élèves, notamment lorsqu'ils ne sont pas issus du milieu agricole, disent en effet être arrivés accidentellement dans cette voie. Il m'a été suggéré à plusieurs reprises de profiter du fait que le service national universel (SNU) soit souvent accueilli au sein d'établissements agricoles pour axer davantage son contenu sur des thématiques liées à la nature, aux paysages et la souveraineté alimentaire.
Je voudrais aussi proposer quelques pistes d'actions concrètes pour les élèves dans la classe et hors de la classe. L'enseignement agricole doit s'adapter aux enjeux de demain, notamment économiques : les notions d'économie, de gestion d'entreprise et de connaissance des marchés sont abordées dans des formations très spécifiques, comme le BTS « analyse, conduite et stratégie de l'exploitation agricole » (ACSE), mais trop peu dans les formations plus générales et dans les niveaux infra-baccalauréat. Or ces connaissances sont essentielles pour s'adapter et comprendre les demandes d'un patron, lorsque l'on est en stage ou en apprentissage, mais aussi pour reprendre une exploitation, le cas échéant.
Les mutations du monde agricole entraînent aussi des mutations dans les techniques agricoles. La formation continue des enseignants doit être renforcée afin qu'ils puissent présenter, dans leurs cours, les évolutions du monde professionnel auxquelles les jeunes seront confrontées.
L'enseignement agricole compte également 26 000 collégiens de quatrième et de troisième. Souvent, ils viennent de milieux sociaux difficiles et ont été en décrochage scolaire dès la sixième ou la cinquième. Ils trouvent dans ce collège une solution pour ne plus être à la dérive. La collaboration avec l'éducation nationale se fait plus facilement au niveau du collège que du lycée, en particulier pour orienter vers ces établissements spécifiques les élèves qui ont besoin d'allier une formation professionnelle à des cours théoriques plus traditionnels.
Les élèves évoluent fréquemment en milieu professionnel, donc hors de la classe. Ils effectuent en effet des périodes de stage et d'apprentissage, notamment dans les maisons familiales rurales (MFR). Il faut encourager les chefs d'exploitation à accueillir des stagiaires ; on constate parfois que le lien est un peu distendu entre le monde professionnel et celui de l'enseignement agricole. Trop souvent, le logement constitue un critère pour choisir le stage dans la localité de l'établissement d'enseignement, alors que beaucoup de professeurs soulignent l'importance d'aller « voir du pays », dans une logique de compagnonnage. Cela nécessite de résider près de l'exploitation où se déroule le stage, or les possibilités de dormir à la ferme sont de plus en plus rares.
Enfin, la coopération internationale est très présente, en particulier grâce au programme Erasmus, qui permet à des jeunes parfois éloignés des enjeux internationaux de voyager et de découvrir certaines réalités européennes, liées notamment au monde agricole et au développement des territoires. J'ai entendu des témoignages émouvants d'élèves de l'enseignement agricole qui ont ainsi pu découvrir le monde.
Un mot sur les relations institutionnelles. Les régions financent les lycées et la formation relève de leurs compétences, elles sont donc un partenaire institutionnel privilégié des établissements agricoles. Or elles ont une connaissance inégale du secteur et on constate des disparités entre les investissements consentis.
Pour conclure, je veux insister sur le fait que l'enseignement agricole participe à la transition. Il a inventé, il y a longtemps déjà, l'école du futur, grâce à de nombreuses innovations pédagogiques. Il donne de l'espoir à toute une partie de la jeunesse du pays, en lui offrant des trajectoires. Il mérite qu'on parle de lui.
Je suis heureux que Nicole Belloubet soit là pour débattre de l'enseignement agricole, dont nous discutons souvent. Nos destins sont liés et notre coopération et celle de nos cabinets et de nos administrations sont précieuses.
Comme je l'ai dit à plusieurs reprises ces derniers jours, pendant l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole, l'enseignement agricole est un puissant instrument pour atteindre les objectifs définis dans le texte. En effet, la formation d'agriculteurs et d'agricultrices est un préalable indispensable au développement d'une agriculture sûre, saine, durable et garante de notre souveraineté. Il constitue un atout précieux pour relever le défi du changement climatique, car il est à même de nous doter de toutes les connaissances et compétences nécessaires pour construire des solutions viables et durables à l'échelle de chaque ferme, de chaque filière, de chaque territoire.
L'orientation, la formation et l'innovation sont donc au cœur du projet de loi que l'Assemblée a adopté hier. Je salue la réussite de nos apprenants et le travail de celles et ceux qui font l'enseignement agricole : les équipes éducatives et les équipes régionales et nationales engagées au quotidien.
Nous parlons d'un dispositif éducatif singulier. Il compte 800 établissements, qui assurent un maillage territorial complet, en métropole et dans les outre-mer. Ceux-ci sont organisés en campus autour d'un lycée, d'une exploitation, de centres de formation pour apprentis (CFA) et pour adultes (CFPPA). Grâce à l'autonomie réelle dont ils disposent et à une gouvernance ouverte aux professionnels et aux acteurs locaux, ils sont ancrés dans leur territoire. Ils préparent à plus de 200 métiers en proposant des formations générales, technologiques et professionnelles, en formation initiale, en apprentissage et en formation continue. Dans ce système très complet, chacun peut trouver sa place et sa voie. Il est constitué d'établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricoles (Eplefpa) et d'établissements privés. L'articulation des deux et l'équilibre qui en découle font en partie la force, la résilience et l'adaptabilité du système.
L'enseignement agricole a développé de longue date une approche par projets et une pédagogie du concret. C'est le cas en particulier dans les organisations dites en « rythme approprié », qu'adoptent par exemple les maisons familiales rurales. La place prépondérante de l'éducation socioculturelle, dont nous fêterons les soixante ans cette année, de l'ouverture à l'international, du sport et le nombre significatif d'apprenants accueillis en internat sont autant de points forts, qui contribuent à la réussite des jeunes, futurs citoyens éclairés et professionnels compétents.
Les résultats prouvent l'efficacité du système. L'indice de position sociale des élèves (IPS) est en moyenne plus faible dans les établissements agricoles que dans les lycées de l'éducation nationale. Or les résultats observés sont excellents et constants, qu'il s'agisse des résultats aux examens – entre 87 et 95 % de réussite au nouveau bac en 2023 – ou de l'insertion professionnelle – les taux nets d'emploi trois ans après l'obtention du diplôme s'échelonnent de 81 à 92 %.
L'enseignement agricole est également attractif. Après une décennie de diminution du nombre d'élèves, on observe depuis cinq ans une évolution positive, malgré une démographie scolaire globalement en baisse : le nombre d'apprenants a augmenté de 6 %, en particulier grâce à l'apprentissage.
Il bénéficie également d'une forte capacité à déployer les politiques publiques et à innover. Pleinement engagé dans l'application des politiques prioritaires du Gouvernement, il constitue un maillon essentiel du service public de l'éducation ; particulièrement inclusif, il accueille plus de 4 500 élèves en situation de handicap, dans les meilleures conditions possibles : 100 % disposent d'une notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et bénéficient de mesures comme une aide technique, humaine ou organisationnelle – on sait à quel point c'est essentiel.
Il est engagé pour l'égalité des filles et des garçons. La proportion de femmes a considérablement augmenté depuis les années 1970, jusqu'à atteindre plus de 45 % dans les formations techniques. Je reste toutefois vigilant dans ce domaine, si important pour la société.
Depuis sept ans, l'enseignement agricole s'est largement impliqué dans la formation aux transitions. Les résultats sont réels ; par exemple, l'intégralité des diplômes intègre l'agroécologie dans les référentiels de formation. Les exploitations agricoles des lycées sont pleinement engagées dans les transitions et sont souvent tout à fait exemplaires : 72 % disposent d'au moins un atelier en agriculture biologique.
La dotation globale de l'État est pertinente : l'enseignement agricole est un système éducatif efficace. Nous veillons évidemment à la cohérence de l'évolution des crédits et de celles du nombre d'apprenants et du nombre d'élèves par classe. Le budget a augmenté de 10 % en 2024 – ce dont je me félicite –, afin d'appliquer des mesures justes et nécessaires visant à renforcer l'attractivité du métier d'enseignant, grâce au déploiement du Pacte enseignant, et l'attractivité de la voie professionnelle initiale, en instaurant la gratification des stages.
Pour satisfaire aux besoins d'innovation et de transition, des moyens complémentaires seront investis dans le cadre du plan d'investissement France 2030.
Des difficultés majeures demeurent. Comme l'éducation nationale, l'enseignement agricole affronte une crise d'attractivité du métier d'enseignant. Dans la continuité des annonces faites dans le cadre du choc des savoirs, nous avons déployé une réforme du recrutement des professeurs au niveau de la licence. De plus, nous accompagnons les nouveaux pendant leur prise de poste et pour les aider à obtenir un diplôme de niveau master.
Nous travaillons par ailleurs à conforter et à stabiliser les équipes d'accompagnement éducatif – assistants d'éducation (AED) et accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) –, par exemple en leur proposant des CDI, pour satisfaire à une demande ancienne.
Comme d'autres secteurs économiques, l'enseignement agricole est touché par l'inflation. Certains établissements, privés comme publics, connaissent des difficultés financières importantes. Pour les aider et maintenir le maillage territorial minimal, le soutien des conseils régionaux sera indispensable.
Nous avons également engagé un travail de simplification visant à soulager les équipes de direction et les équipes éducatives. C'est un vaste chantier : de nombreuses réformes sont encore en cours d'application.
L'évolution du secteur impose de relever plusieurs défis d'ici à 2030. L'une des principales ambitions du projet de loi consiste à y parvenir. Nous nous sommes fixé l'objectif de renouveler les générations et d'augmenter de 30 % le nombre d'apprenants ; cela nécessite de renforcer l'attractivité des formations et des métiers. Je suis convaincu que l'attrait de l'offre de formation, du métier et du parcours fait davantage que la démographie – l'évolution des effectifs le prouve. Nous devons accélérer ce mouvement en faisant redécouvrir l'agriculture aux plus jeunes, en multipliant les offres de stage et en travaillant sur l'orientation, avec ma collègue de l'éducation nationale et avec les régions. C'est l'objectif du programme national d'orientation et de découverte des métiers défini dans le texte.
Nous travaillons également sur les problèmes que pose la carte scolaire. Avec le contrat territorial, nous nous dotons d'outils permettant d'ouvrir et de consolider des classes dans les territoires qui en ont besoin, pour former à des métiers en tension.
L'enseignement agricole est le premier moyen de relever le défi de la formation aux compétences de demain. En posant les fondements d'un nouveau diplôme de niveau bac + 3, en rappelant les principales compétences à développer dans les formations, en créant une sixième mission pour l'enseignement agricole, résolument engagé en faveur des transitions agroécologiques, la future loi d'orientation agricole renforcera le rayonnement et l'attractivité de nos formations.
Les établissements d'enseignement agricole accomplissent un travail exceptionnel de prise en charge des élèves. Les débouchés professionnels qui en découlent en sont la traduction. Nous avons beaucoup à apprendre de cet enseignement.
Ce rapport est en effet d'une grande qualité. Mon département compte d'excellents lycées agricoles ; leur recrutement et les formations qu'ils dispensent sont du même niveau que dans les lycées généraux.
Merci de nous avoir donné l'occasion de débattre de l'enseignement agricole, avec les deux ministres concernés. Je tiens ma science de l'excellent lycée de Vic-en-Bigorre, qui offre un modèle à suivre. Une part importante du projet de loi d'orientation agricole est consacrée à ce sujet fondamental. J'ai néanmoins quatre remarques à formuler, issues du terrain.
Les élèves témoignent qu'on leur dispense un enseignement traditionnel, malgré une volonté de présenter la diversité des agricultures : les pratiques conventionnelles restent centrales, alors qu'ils demandent à apprendre toute la palette des compétences agricoles, agroécologiques en particulier.
Les stages peuvent s'effectuer dans l'exploitation familiale, ce qui fait perdre aux élèves une occasion d'observer de nouvelles pratiques.
Les enseignants regrettent la réforme qui a ramené à trois ans au lieu de quatre la préparation du bac professionnel. Désormais, un bac profesionnel ne suffit pas pour reprendre une exploitation, c'est-à-dire pour devenir chef d'entreprise ; cela nécessite des compétences, de gestion notamment. Le projet de loi d'orientation agricole tend à pourvoir aux besoins en la matière.
Peut-être faudrait-il laisser davantage d'autonomie aux directions, pour recruter et mener à bien les projets d'établissement. C'est vrai partout, mais là tout particulièrement. Il est arrivé en effet que des candidats soient refusés faute de moyens.
Le débat est ouvert sur la place de l'enseignement traditionnel et de l'innovation. Dans le cadre de France 2030, nous avons fait le choix de favoriser l'innovation, notamment dans la pédagogie. L'objectif est bien d'engager, plus résolument encore, l'enseignement agricole dans la voie des transitions, notamment pour relever le défi climatique. Nous devons former des jeunes à l'adaptation et à la résilience.
J'ignore si ceux qui choisissent un stage de proximité, familiale, géographique ou amicale, dérogent au principe général, qui demande sans doute des améliorations. Il faudrait élargir le réseau des exploitations à même d'accueillir des stagiaires. Nous devons pour y parvenir faire œuvre de pédagogie, car les représentations en la matière sont fausses : beaucoup ont l'impression qu'il s'agit d'un mur infranchissable, et qu'ils ne sauraient pas trop quoi faire de stagiaires.
Le bac professionnel se prépare maintenant en trois ans, selon le schéma général. Beaucoup d'élèves préparent ensuite un BTS – brevet de technicien supérieur. Pour renforcer les compétences, le projet de loi prévoit un diplôme complémentaire, à bac + 3, que la navette parlementaire nommera.
L'enseignement agricole jouit déjà d'une grande autonomie, c'est une de ses singularités. Il est vrai qu'on en veut toujours davantage. Nous allons plutôt dans ce sens notamment parce que l'autonomie favorise les interactions avec les acteurs de territoire : il faut continuer à capitaliser sur cette force.
Je me joins aux éloges sur la qualité du rapport thématique.
Les élèves des lycées agricoles sont souvent des enfants d'agriculteurs. Quand je visite une exploitation dans ma circonscription, située dans une terre agricole, ou dans les environs, une majorité, pour ne pas dire tous, se plaignent que le contenu des enseignements diffère de l'expérience de leurs parents, les mettant en porte-à-faux. Les cours reposent sur une certaine vision de l'écologie, de la décroissance, du bien-être animal ; on leur explique que leurs parents ne savent pas travailler et qu'il faut faire autrement. Les jeunes ne se sentent pas en confiance. Ce retour étant systématique, j'en conclus que les enseignements sont idéologisés. Ils ne concernent pas des transitions qui seraient acceptables ou bienvenues ; leur contenu est politique. Cela m'inquiète d'autant plus que la remarque revient dans beaucoup de circonscriptions, d'élus du groupe Rassemblement national et d'autres groupes – contrairement à ce qu'on peut dire, les agriculteurs votent encore pour d'autres partis politiques que le mien. Je le dis sincèrement, et non pour susciter une polémique.
Deuxièmement, lorsque des lycées agricoles déménagent, certaines régions ne s'occupent pas des friches – que ce soit par hypocrisie ou pour d'autres raisons. Ainsi, l'immense friche de Ribemont-sur-Ancre, dans la Somme, est située sur le territoire d'une petite commune, qui ne peut la gérer toute seule. Or le conseil régional ne s'en occupe pas. L'État ne le fait pas non plus. Je ne dis pas que c'est de votre faute – je sais bien que la compétence a été transférée à la région, mais les communes se trouvent dans une situation très difficile. Que nous le voulions ou non, les habitants mettent le problème sur le dos de l'État : la relation avec l'État étant ce qu'elle est en France, ça vous retombe dessus. Il faudrait trouver une solution pour empêcher les conseils régionaux d'abandonner les friches.
Les filières qui préparent au métier de chef d'exploitation comptent 25 % d'enfants d'agriculteurs : 75 % des élèves sont désignés par l'horrible acronyme Nima, soit « non issus du milieu agricole ». La sociologie de l'enseignement agricole a profondément changé ; globalement, 9 % des apprenants sont enfants d'agriculteurs.
Je ne considère pas votre intervention comme polémique, mais nous n'avons pas les mêmes échos – peut-être pas les mêmes territoires, ni les mêmes oreilles. Les jeunes gens remettent toujours un peu en cause ce qu'ont fait leurs parents ; ils n'ont pas besoin pour cela d'être scolarisés dans l'enseignement agricole ou d'écouter les discours des enseignants. Je ne crois pas que les établissements fassent de prosélytisme. Je ne dis pas que cela ne peut pas arriver, mais je crois que les enseignants veillent à l'éviter. D'ailleurs, M. Mournet disait à l'instant que les élèves se plaignent qu'on ne leur parle pas assez de transition. J'ajoute que l'enseignant est là non pas pour imposer un modèle, mais pour permettre l'acquisition des compétences techniques. L'éducation nationale et l'enseignement agricole ne se situent pas dans le registre des jugements de valeur. On fait dans l'agriculture des choses qu'on ne faisait pas il y a quarante ans. Personne n'est à juger : on ne peut, quarante ans plus tard, avec le regard de la société contemporaine, condamner les pratiques d'alors.
S'agissant des friches, je suis preneur d'autres exemples concrets. À la fin, c'est toujours « la faute de l'État ». Les friches peuvent donner une image dégradée des établissements et de leur place dans les écosystèmes. J'ai assez peu entendu parler du problème, qui relève de la compétence des établissements, des conseils régionaux, et parfois d'autres collectivités, et je ne peux donc vous répondre précisément. Toutefois je veux bien d'autres éléments d'information pour réfléchir aux solutions possibles ; il faut éviter une généralisation.
Le projet de loi d'orientation agricole prévoit la création d'un bachelor agro – selon votre terme. Nous avons voté l'objectif d'augmenter de 30 % le nombre des apprenants de l'enseignement agricole technique. Avec quels moyens seront-ils formés ? Cette augmentation concernera-t-elle en priorité les établissements publics ? Ceux-ci assurent en effet un accès plus équitable – parce que moins onéreux – à l'enseignement, en particulier si l'on considère que 16 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté et que le renouvellement générationnel concerne aussi les enfants d'agriculteurs. Rehausserez-vous de 30 % les crédits correspondants ?
Nous avons également fixé l'objectif de sensibiliser les élèves aux questions agricoles dès l'école primaire. M. Le Maire a annoncé des restrictions budgétaires. Des crédits seront-ils alloués aux actions pédagogiques ?
La seule façon d'être crédibles, c'est de montrer ce que nous avons fait. Le budget du ministère de l'agriculture prévoit 1,7 milliard d'euros pour financer l'enseignement technique et 0,4 milliard pour l'enseignement supérieur, soit 2,1 milliards. Il a augmenté de 11 % entre 2017 et 2023 ; dans la même période, les effectifs ont crû de 6 % environ.
Comme je l'ai dit lors de l'examen du texte, je me refuse à annoncer le nombre d'enseignants qu'il faudra recruter. Mais je peux dire en toute sérénité que par le passé, nous avons ajusté les moyens aux besoins des apprenants. En moyenne, les classes comptent moins de vingt élèves ; ces effectifs, stables, ne se sont pas dégradés au fil des années, malgré la hausse globale.
Les établissements privés rassemblent 60 % des apprenants. On ne peut les passer à la toise ; on ne peut pas dire non plus que les maisons familiales rurales sont réservées aux plus aisés. La guerre entre le public et le privé n'a jamais existé dans l'enseignement agricole, il n'est pas nécessaire de la déclencher. Dès lors que nous mettons les moyens, nous le ferons pour l'enseignement privé comme pour l'enseignement public, eu égard à la structure de l'enseignement agricole.
Je remercie M. le rapporteur spécial de son choix. L'enseignement agricole est crucial pour relever les défis qui s'imposent au monde agricole, notamment pour assurer le renouvellement des générations. Le projet de loi adopté hier prévoit plusieurs améliorations : création d'une licence professionnelle ; nouveaux contrats territoriaux pour renforcer les formations ; expérimentation de l'enseignement d'une spécialité agricole dès la seconde, afin d'orienter les élèves vers les lycées agricoles.
Une question persiste cependant : comment susciter des vocations durables, chez les enseignants comme chez les jeunes ? Comment changer l'image négative de l'agriculture ?
C'est tout le défi. La trajectoire est ascendante, il faut la maintenir. Il est nécessaire de renouveler largement les chefs d'exploitation. L'enseignement agricole destine aussi aux métiers salariés du monde agricole et du secteur agroalimentaire – on l'oublie souvent. Pour atteindre les objectifs que nous nous sommes assignés, le nombre d'apprenants doit augmenter de 30 %.
Plusieurs mesures ont été prises, notamment grâce au pacte préparatoire à la loi d'orientation agricole. Les élèves de la voie professionnelle bénéficient, au cours de leur période de formation, d'une aide financière comprise entre cinquante et cent euros par semaine, pour un budget de 66 millions d'euros. L'attractivité suppose la rénovation des diplômes pour relever les défis de la transition : 100 % des diplômes seront rénovés chaque année, en intégrant notamment les questions agroécologiques.
La campagne #EntrepreneursDuVivant lancée il y a trois ans vise à attirer les jeunes, notamment dans les territoires urbains, où ils sont par nature moins familiers des métiers agricoles. Compte tenu de la répartition de la population sur le territoire français, une part de la ressource humaine devra être trouvée en milieu urbain, puis orientée vers les structures d'enseignement agricole avant de se destiner aux métiers de l'agriculture au sens large. Par ailleurs, la découverte des métiers et l'orientation dès le plus jeune âge doivent permettre d'avancer.
S'agissant des enseignants, le dispositif du Pacte dans l'enseignement agricole est doté de 76 millions d'euros supplémentaires. C'est un succès : 58 % des agents ont souscrit à au moins une des « briques » du pacte et 65 % des missions disponibles ont été attribuées. Le remplacement de courte durée a été largement privilégié, représentant à lui seul 28 % des missions attribuées, ce qui a permis de réduire le nombre d'heures non assurées
Tout cela contribue à l'attractivité de l'enseignement agricole parmi les élèves et les enseignants.
Le Gouvernement vient de faire adopter une loi d'orientation agricole qui ne nous a guère enthousiasmés. Nous sommes d'accord sur un point au moins : la nécessité d'augmenter significativement le nombre de personnes formées aux métiers de l'agriculture. Les établissements d'enseignement agricole jouent un rôle primordial dans l'avenir du monde agricole.
L'exécution budgétaire de l'année 2023 révèle un recul de plus de la moitié des dépenses d'appui à l'enseignement agricole, de 7,9 à 3,1 millions. Cette diminution interroge d'autant plus que la situation financière des établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricole se dégrade. Le ministère classe soixante-seize des 172 établissements en catégorie « inquiétude » ou « crise financière potentielle ou avérée ». Cette dernière compte trente-sept établissements, soit six de plus que l'an dernier, dont cinq sont en crise financière avérée.
En outre, dix-huit établissements sont en crise depuis plus de cinq ans. Tel est par exemple le cas de celui de Château-Gontier. Par ailleurs, le rapport de M. Reda indique que nous avons perdu une dizaine d'établissements depuis 2017. Les difficultés se concentrent plus précisément dans les lycées agricoles, dont 54 % ont un résultat déficitaire. L'inspection de l'enseignement agricole (IEA) considère que leurs résultats financiers sont en nette dégradation. Les facteurs sont multiples, allant des effets du contexte inflationniste sur les prix de l'énergie et des denrées alimentaires aux difficultés des exploitations et des ateliers technologiques.
Quelles mesures budgétaires le ministère compte-t-il mettre en œuvre, en coordination avec les régions, pour permettre à ces établissements de relever le défi du renouvellement des générations ? Comment expliquer la sous-exécution de l'action 01 du programme 143 ?
La sous-exécution de l'action 01 du programme 143 est due à l'évolution de son périmètre budgétaire. Le soutien à l'enseignement public agricole est inchangé.
La situation des établissements d'enseignement agricole est un sujet de préoccupation. Leurs charges structurelles ont augmenté sous l'effet de l'inflation.
L'analyse financière révèle que 22 % des établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricole (Eplefpa) sont en crise financière potentielle ou avérée, contre 18 % en 2022. Certains d'entre eux sont durablement en crise.
Les situations varient en fonction des stratégies des conseils régionaux, s'agissant notamment du traitement des fonds de roulement, des modalités d'allocation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et de la compensation partielle des effets de l'inflation, dont la prise en compte est très hétérogène. Il serait intéressant de regarder ce qu'il en est région par région. Par ailleurs, la prise en charge des surcoûts pédagogiques supportés par les exploitations et de leurs investissements, ainsi que ses modalités, varie beaucoup d'une région à l'autre.
En 2023, j'ai demandé à la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) d'élaborer un plan de redressement des établissements en difficulté, incluant un appui méthodologique de l'IEA et des autorités académiques, un diagnostic financier permettant d'identifier les marges de manœuvre, les faiblesses et une trajectoire de retour à l'équilibre.
S'agissant de la gestion des établissements privés, qui disposent de l'autonomie financière, le ministère ne dispose pas d'éléments précis. Certaines fédérations ont fait état à plusieurs reprises des difficultés financières de leurs adhérents. Récemment, le Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) a fait parvenir à la DGER une analyse financière de ses 174 établissements rattachés au ministère, dont trente-deux sont en situation financière préoccupante – ils feront l'objet d'une attention et d'un accompagnement du CNEAP – et neuf sous surveillance renforcée.
Les réseaux de l'Union nationale rurale d'éducation et promotion (UNREP) et des maisons familiales rurales (MFR) n'ont pas porté à notre connaissance une revue financière de leurs établissements, mais il n'y a pas de raison que leur situation ne soit pas comparable à celle des établissements publics. Nous les accompagnerons.
Le principal problème de tous les établissements est le dérapage de certains coûts fixes en raison de la crise inflationniste.
Je remercie M. le ministre de l'agriculture et Mme la ministre de l'éducation nationale d'avoir participé à cet échange. Je remercie les personnes auditionnées ainsi que les services du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, notamment le DGER. Je remercie aussi les établissements où j'ai été reçu d'avoir répondu à mes questions.
Entretenir l'ambition de ce travail commun de l'éducation nationale et de l'enseignement agricole est nécessaire. Pour une part importante de notre jeunesse, par-delà les milieux ruraux, l'enseignement agricole offre une voie d'insertion ou de réinsertion dans le milieu scolaire, ainsi que des possibilités d'insertion professionnelle au sein des belles et diverses carrières du monde agricole au sens large. Cet enseignement d'enracinement dans les territoires est nécessaire à notre pays.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Puis la commission, réunie en commission d'évaluation des politiques publiques, procède à l'audition de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
J'ai toujours pensé que l'évaluation des politiques publiques, en agriculture comme ailleurs, est un exercice utile, surtout dans un contexte où nous devons assurer notre souveraineté alimentaire et le réarmement de nos services publics tout en préservant l'avenir de notre souveraineté économique en limitant notre déficit et notre endettement publics. Cet exercice se tient après plusieurs semaines de débats riches et intenses à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
La loi de finances pour 2023 avait doté le ministère de 6,5 milliards d'euros de crédits de paiement, répartis entre deux missions et un compte spécial, soit une augmentation de 1 milliard d'euros, un peu passée sous silence. En y ajoutant les financements européens ainsi que les dispositifs fiscaux et sociaux, on obtient un total de 23 milliards d'euros de soutien public à l'agriculture, largement augmenté par la loi de finances de fin de gestion pour 2023 pour permettre à la ferme France de faire face aux nombreuses difficultés qu'elle a rencontrées, notamment la sécheresse, la crise viticole et la maladie hémorragique épizootique (MHE).
L'année 2023 a été marquée par deux évolutions majeures dans la vie du monde agricole : l'adoption de la nouvelle programmation de la politique agricole commune (PAC) pour la période de 2023 à 2027 – à ce sujet, je rappelle que, conformément à l'engagement du Premier ministre, les paiements découplés, l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) et l'aide au revenu ont bel et bien été versés au 15 mars, de sorte que nous payons actuellement les aides du second pilier – et l'entrée en vigueur de la réforme de l'assurance des récoltes, qui permet de mieux protéger nos agriculteurs face aux risques climatiques, grâce à un budget exceptionnel qui pourra atteindre 680 millions d'euros, conformément à l'engagement du Président de la République.
Je salue les équipes du ministère, en particulier nos services déconcentrés, dont l'engagement sans faille a permis de traduire ce budget en actes, dans le contexte de la mise en œuvre de la nouvelle PAC, qui n'est jamais facile, et du déploiement de nombreux dispositifs de crise prolongeant ceux de la crise liée à l'épidémie de covid-19 et de la mission Plan de relance. Tout cela a rudement mis les agents à contribution. Tous font l'objet de ma vigilance, en particulier les agents des services d'économie agricole, dont les effectifs ont fondu depuis plusieurs quinquennats, ce qui complique singulièrement la gestion du temps et des priorités.
Je salue aussi les équipes de la Mutualité sociale agricole, qui œuvrent au plus près des agriculteurs, notamment dans les moments difficiles. La crise agricole du début de l'année 2024 a parfois fait naître des tensions à l'endroit des agents publics. Je regrette les attitudes de certains acteurs à l'égard des agents de mon ministère, ou de ceux du ministère de la transition écologique par exemple. Dans la crise que nous traversons, l'accompagnement des agriculteurs est plus indispensable que jamais. Au demeurant, c'est vers les agents du ministère qu'ils finissent par se tourner pour obtenir de l'aide face aux difficultés qu'ils rencontrent.
Les crédits ont permis de financer la totalité des priorités débattues et arrêtées lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023.
La première est de permettre à nos agriculteurs et à nos professionnels du secteur forestier de continuer à créer de la valeur et à être compétitifs. Ce soutien s'est inscrit dans le cadre du second pilier de la PAC, qui repose sur un principe de cofinancement par les crédits européens et les contreparties nationales. À titre d'exemple, 340 millions d'euros en moyenne sont consacrés à l'aide à la conversion à l'agriculture biologique, soit une augmentation de 36 % par rapport à la précédente programmation. Le total d'exécution en 2023 des crédits nationaux consacré à ce soutien s'est élevé à 482 millions d'euros.
Le dispositif d'exonération de la part patronale des cotisations sociales pour l'embauche de travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi (TO-DE) a consommé 567 millions d'euros en 2023. Il est déterminant pour la compétitivité de nos exploitations, notamment celles qui sont très pourvoyeuses en main-d'œuvre, telles que celles de la filière des fruits et légumes. Prolongé par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023, ce dispositif verra sa pérennisation sollicitée par le projet de LFSS pour 2025, conformément à l'engagement du Premier ministre.
Les crédits destinés à la politique forestière ont été consommés à hauteur de 277 millions d'euros, notamment pour financer la protection des forêts, dans un contexte d'intensification et d'extension latitudinale du risque d'incendie, et pour permettre à l'Office national des forêts (ONF), dont les effectifs ont été stabilisés pour la première fois depuis quinze ans, d'accomplir ses missions.
Je suis très attaché aux enjeux d'autonomie alimentaire des territoires ultramarins et nous avons exécuté le budget au delà de ce qui était prévu initialement. Les crédits en faveur de l'outre-mer se sont élevés à 212 millions d'euros.
La deuxième priorité est de maintenir un niveau d'exigence élevé en matière de sécurité sanitaire et de qualité de l'alimentation, pour préserver la santé de nos élevages et la sécurité sanitaire. Face aux aléas que nous voyons venir et qui se multiplient, mieux vaut prévenir que guérir.
La loi de finances pour 2023 prévoyait une augmentation des moyens en matière sanitaire, portés à 665 millions d'euros, en hausse de 7 % par rapport à l'année précédente. Ces crédits ont permis de renforcer nos contrôles et la surveillance des dangers sanitaires, de lancer l'application des règles européennes que l'on connaît sous le nom de loi de santé animale et de mettre en place la police sanitaire unique de l'alimentation, dont mon ministère est désormais responsable.
Le troisième axe est l'investissement pour renforcer l'avenir de notre agriculture grâce à la formation et au renouvellement des générations. Nous venons d'évoquer l'exécution du budget de l'enseignement agricole. Pour le reste, je me contenterai de rappeler la place essentielle du compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural (CAS DAR ) dans le financement de l'innovation. Son plafond avait initialement été maintenu à 126 millions d'euros en 2023 mais des recettes excédentaires de 28 millions d'euros ont été constatées en fin d'année et renforceront notre action en 2024 grâce à leur report, notamment en matière de transition agroécologique, dont j'ai fait une priorité.
Face à l'ampleur des crises survenues en 2023, le Gouvernement a ouvert des moyens sans précédent en cours d'année pour accompagner nos agriculteurs. Alors que l'année 2022 avait déjà été marquée par une ouverture de crédits inédite, la loi de fin de gestion pour 2023 a atteint hélas un record en ouvrant 836 millions d'euros de crédits de paiement supplémentaires, dont 575 millions d'euros consacrés aux indemnisations des filières touchées par les conséquences de la guerre en Ukraine, aux pertes économiques des agriculteurs touchés par l' influenza aviaire et aux difficultés économiques des exploitations en agriculture biologique, et 276 millions d'euros pour faire face aux conséquences sanitaires de l' influenza aviaire et organiser en quelques mois une campagne de vaccination qui a été un vrai succès, permettant de vacciner 64 millions de canards dans 2 700 élevages. C'est très encourageant et la campagne se poursuivra évidemment en 2024.
À chaque crise, on me demande si le Gouvernement sera au rendez-vous : dans ces cas-là, je suis toujours à l'aise car les moyens supplémentaires que je viens d'énumérer démontrent que le Gouvernement a toujours été aux côtés de nos agriculteurs face aux crises qu'ils traversent.
À ce sujet, j'évoquerai brièvement le travail que nous menons au niveau européen pour faire évoluer les règles de minimis, auxquelles sont adossés plusieurs dispositifs qui se trouvent assez rapidement saturés lorsque les crises se succèdent. Le plafond des aides est fixé à 20 000 euros par entreprise sur trois exercices financiers, pour un total d'environ 900 millions d'euros. La succession des crises nous contraint à inventer des dispositifs d'urgence et j'ai bon espoir que nous parvenions à l'échelon européen à redevenir plus opérationnels.
L'orientation, la formation, la transmission, l'installation, la transition et l'adaptation au changement sont essentielles. C'est pourquoi nous avons fait le choix d'accorder dès 2024 des crédits supplémentaires, à hauteur de 1,3 milliard d'euros en autorisations d'engagement et de 750 millions d'euros en crédits de paiement, à la planification écologique. Orienter, former – en nombre et en compétences – et rendre possibles la transmission et l'installation : ce sont les objectifs du projet de loi d'orientation dont nous avons débattu comme des moyens budgétaires alloués en 2023 et dans le cadre du programme pluriannuel du développement agricole et rural (PNDAR) pour les années 2022 à 2027.
En 2023, au titre de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales, ont été consommés 4,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, soit un peu plus de 120 % des sommes ouvertes par la loi de finances initiale ou 92 % de ces sommes augmentées des crédits ouverts en gestion.
S'agissant du programme 149 Compétitivité et durabilité de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, la consommation est de 2,91 milliards d'euros. Les motifs de dépassement traduisent les aides que l'État apporte toujours avec une grande réactivité aux filières qui en ont besoin. La dotation pour les missions d'intérêt général de l'ONF atteint 42,5 millions d'euros pour une programmation de 32 millions d'euros, notamment au profit de la défense des forêts contre les incendies. Les subventions allouées à l'agriculture ultramarine s'élèvent à 212 millions d'euros, pour 191 millions d'euros prévus, en raison notamment d'une compensation, pour la première année, des surcoûts de la production de canne à sucre relativement à la betterave cultivée dans l'Hexagone.
Une enveloppe de la mission Plan de relance a aussi permis de consacrer 129,5 millions d'euros au bien-être dans les élevages. Mais la principale surexécution tient aux aléas de l' influenza aviaire – 643 millions d'euros –, du gel et de la grêle – 140 millions d'euros –, de la production biologique – 107 millions d'euros –, de la distillation viticole – 80 millions d'euros –, etc.
Le temps manque pour évoquer autant qu'il le mériterait le programme 206 Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation. Je me contenterai de rappeler qu'il a mobilisé 770,3 millions d'euros, dont 175 millions d'euros pour l' influenza aviaire, en plus du programme 149.
Le programme 215 Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture affiche une sous-consommation due essentiellement à des non-renouvellements de postes, voire à des difficultés de recrutement. Dans la période que traverse notre pays, il est impératif de renforcer l'attractivité des carrières publiques, singulièrement dans les services chargés de la souveraineté alimentaire. Monsieur le ministre, quelles actions envisagez-vous à cette fin ?
Mes chers collègues, vous l'attendiez tous avec impatience : voici venu le moment de parler du CAS DAR, dont le solde est désormais supérieur à 130 millions d'euros et ne peut toujours pas être utilisé et dont, année après année, l'allocation des moyens confirme qu'il s'inscrit dans une logique de rente. Défendre cet outil est de plus en plus difficile, face aux agriculteurs qui versent la taxe afférente en espérant qu'elle serve à diffuser les innovations et face au ministère de l'économie et des finances et à la Cour des comptes, qui désespèrent face à la violation des principes de la loi organique relative aux lois de finances.
La nouvelle mouture du PNDAR, qui est la feuille de route du CAS DAR, devait rendre les projets plus concurrentiels et plus verts et éviter les effets d'aubaine tout en fluidifiant leur instruction, donc leur paiement. Tel n'a pas véritablement été le cas. Quelles corrections le ministère prévoit-il pour y remédier ?
L'attractivité des métiers et des postes au sein du ministère, comme dans la fonction publique en général, suppose à la fois d'y consacrer des moyens et de donner un sens à ce que nous faisons. Les grandes stratégies que nous développons en matière de planification écologique des questions agricoles et forestières sont de nature, me semble-t-il, à susciter des vocations.
Par ailleurs, nous menons un travail de communication pour améliorer la diffusion et la visibilité de nos métiers. Nous avons ouvert un site internet de recrutement dédié aux métiers du ministère, qui présente la diversité de nos 250 métiers et offre chaque semaine des dizaines d'offres d'emploi sur tout le territoire.
Dans sa gestion des ressources humaines, le ministère adapte son fonctionnement pour offrir plus de souplesse aux recruteurs, notamment par le biais de la déconcentration des recrutements, de la diversification des supports de recrutement – incluant des CDI et des contrats d'apprentissage – et d'une politique en faveur du handicap. Il cherche à favoriser la fidélisation des agents grâce à un accompagnement individuel. Des moyens supplémentaires ont été alloués à la gestion des ressources humaines du ministère, qui manquait d'un plan d'ensemble, ce sur quoi nous avions été alertés à plusieurs reprises.
En matière de rémunération, le ministère adapte sa politique indemnitaire pour accroître son attractivité, pour ses agents tant fonctionnaires que contractuels. Nous allons adopter de nouveaux référentiels avec des progressions salariales significatives. Nous essayons donc d'œuvrer sur tous les fronts, de la rémunération à l'attractivité et au sens de nos métiers.
Le CAS DAR a fait l'objet d'un effort de simplification et de lisibilité. Les actions s'articulent depuis 2023 autour de neuf thèmes prioritaires, contre vingt-et-un auparavant, et trois modalités complémentaires. Les programmes permettent de mener des actions structurantes, jouissant d'une visibilité pluriannuelle. Les appels à projets compétitifs ont été profondément revus et les projets mieux ciblés.
Les appels à projets du PNDAR, désormais au nombre de trois, sont par nature concurrentiels. L'appel à projets « connaissances » vise à la production de nouvelles connaissances techniques, de nouveaux outils ou de nouvelles méthodes. L'appel à projets « co-innovation » vise à la co-conception d'innovations techniques, organisationnelles ou économiques, dans le cadre d'un partenariat entre plusieurs acteurs, en renforçant le continuum entre la recherche, le développement et la formation. L'appel à projet « démultiplication » vise à identifier les leviers permettant d'intensifier et de massifier l'adoption des innovations. Ces appels à projets sont publics et ouverts à tous les acteurs du développement agricole. Pour les deux dernières années, le taux de sélection est de 40 %.
Toutes les actions financées par le CAS DAR visent à rendre notre agriculture à la fois plus concurrentielle et plus verte, en massifiant la transition agroécologique.
En raison de la très forte augmentation des prix des produits alimentaires en 2022 et 2023, les consommateurs ont dû changer leurs habitudes alimentaires. La filière bio en a particulièrement souffert : de septembre 2022 à août 2023, ses ventes ont baissé de 12 %. Les conversions au bio se sont faites moins nombreuses, le nombre de dé-certifications a augmenté, celui des nouvelles certifications a baissé de près de 32 %.
Je considère que le Gouvernement n'a pas été à la hauteur de la crise. Le budget alloué aux mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) a été sous-exécuté à hauteur de 31,1 %. Comment pouvez-vous l'expliquer ?
La baisse de la consommation de produits bio est souvent expliquée par le recul du pouvoir d'achat. Pourtant, tous ne sont pas plus chers que ceux issus de l'agriculture conventionnelle. La filière souffre de certaines idées reçues qui la desservent. Elle est exposée à une concurrence déloyale qu'il arrive au Gouvernement d'encourager, par exemple en soutenant des labels ne garantissant pas un véritable bénéfice environnemental, tels que la certification de haute valeur environnementale (HVE). Que le coût du crédit d'impôt pour les exploitations agricoles certifiées HVE ait été quadruplé par rapport au montant prévu m'inquiète.
Dans le cadre des coupes budgétaires que le Gouvernement impose pour 2024, le budget du ministère de l'agriculture a été plutôt préservé : les crédits ouverts ont été annulés à hauteur de 1 %. Mais, si chaque euro compte, comme le Gouvernement a l'air de le penser, pourquoi avoir fait droit à la demande de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles de ne pas augmenter la redevance pour pollutions diffuses, ce qui aurait augmenté les recettes fiscales de 37 millions d'euros ?
Les MAEC n'ont pas fait l'objet d'une sous-exécution, plutôt d'une surexécution, qui a exigé de trouver des moyens supplémentaires. Peut-être pensiez-vous spécifiquement aux MAEC dans le secteur bio.
S'agissant du rythme des conversions à l'agriculture biologique, nous disposerons des données pour l'année 2023 à la mi-juin. Après une année de forte crise, les premiers mois de 2024 font apparaître quelques signes encourageants, qu'il faut prendre avec prudence.
Nous faisons face à un double risque, celui des déconversions et celui d'un recul net des conversions à l'agriculture biologique. C'est pourquoi nous avons ouvert des crédits à hauteur de 100 millions d'euros, en deux temps, à la fin de l'année 2023 et au début de cette année. Dans la crise conjoncturelle qu'elle traverse, nous soutenons bien la filière bio, monsieur le président.
Nous travaillons beaucoup sur le soutien de la demande, puisque la crise de ce marché est une crise de la demande. Celle-ci a diminué à hauteur de 1,3 milliard d'euros. Or si toutes les collectivités publiques avaient atteint l'objectif fixé par la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite EGALIM 2, soit un minimum de 20 % de produits bio dans la restauration collective, nous aurions absorbé ce choc. Dans cette filière comme dans les autres, et face à une baisse de chiffre d'affaires de cette ampleur, l'État ne peut pas tout.
S'agissant des MAEC, les demandes de souscription ont été nettement plus importantes que prévu, particulièrement dans des territoires de l'Ouest comme la Bretagne, ce qui traduit la volonté de nombreux agriculteurs. Il conviendra de s'interroger sur ce dispositif à l'approche de la prochaine programmation de la PAC, qui débutera en 2027 : les MAEC ont été pensées pour compenser les surcoûts liés aux transitions pendant cinq ou dix ans, mais elles sont pour ainsi dire devenues un paiement pour service environnemental. Toujours est-il qu'une enveloppe complémentaire de 150 millions d'euros a été allouée aux MAEC au début de l'année, grâce au concours des agences de l'eau et à un apport du ministère de l'agriculture, afin de soutenir la transition des exploitations.
J'ajoute que le décalage entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement explique la sous-consommation de ces derniers. Les crédits ne sont décaissés qu'une fois que les dossiers sont instruits. Nous sommes parfois vilipendés sur ce point, mais la mécanique des MAEC est ainsi faite.
Il est effectivement difficile de parler de coupes budgétaires alors que les crédits du ministère de l'agriculture ont progressé de 1,3 milliard d'euros en 2024 – ou alors plus aucun chiffre n'a de sens. Les économies qui nous ont été demandées sont effectivement modestes.
Quant à la redevance pour pollutions diffuses, la vérité est que nous avons remis l'ouvrage sur le métier, car la trajectoire doit être soutenable. Le cumul de différents dispositifs et du déplafonnement prévu par les agences de l'eau n'allait pas conduire à une hausse de 37 millions d'euros, mais de 100, 120, voire 150 millions d'euros ; nous n'aurions plus été dans le même registre. Nous devons donner une trajectoire lisible aux agriculteurs, afin qu'ils puissent s'adapter. Et nous devons répondre à la question de l'affectation de ces recettes, lesquelles devraient, selon moi, être utilisées pour la création de retenues d'eau – c'est un débat que nous avons de manière récurrente.
Enfin, le quadruplement du coût du crédit d'impôt relatif au label HVE signifie que davantage d'acteurs ont souhaité l'obtenir. Notons que le coût du crédit d'impôt relatif à l'agriculture biologique est également en hausse. Je ne crois donc pas que la crise du bio soit liée à la montée en puissance du label HVE – celui-ci existe depuis longtemps et l'agriculture biologique se portait très bien jusqu'en 2022. D'ailleurs, dans la vraie vie, je ne croise pas de consommateurs qui me demandent où se trouve le rayon des produits HVE dans les supermarchés – mais le rayon bio, oui. C'est un signe d'engagement à l'échelle d'un système d'exploitation, non un sigle directement destiné aux consommateurs.
La surexécution des crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêts et affaires rurales illustre le soutien qu'apporte l'État quand il faut affronter des crises, qu'il s'agisse de la MHE ou du mildiou – sachant qu'à ces fonds s'ajoutent ceux du plan de relance et les près de 10 milliards d'euros issus de la PAC. Il n'était d'ailleurs pas tout à fait trivial de réussir à maintenir la part allouée à la France, certains de nos partenaires européens estimant que nous octroyons trop d'aides publiques à l'agriculture. Par exemple, dans ma circonscription, 40 % des 2,8 millions d'euros investis dans l'abattoir de Tarbes ont été financés par les fonds européens.
Cela étant dit, il me gêne un peu qu'il soit fait si peu de cas de la diversité de nos terroirs dans le budget de l'agriculture. Dans le Sud-Ouest, c'est une agriculture familiale et paysanne qui est pratiquée. Il serait bon que les documents budgétaires d'évaluation soient l'occasion d'objectiver ce qui est effectivement transféré vers ces territoires qui, plus que les autres, souffrent et subissent le changement climatique. J'ajoute qu'avec une telle structure des exploitations, il nous arrive de recevoir des agriculteurs dans nos permanences pour les aider dans leurs démarches d'obtention des aides.
Par ailleurs, je souhaite appeler votre attention sur les zones défavorisées. Eu égard aux règles européennes, ces zones peuvent représenter jusqu'à 10 % du territoire national – plafond dont nous sommes proches. Or leur répartition, qui date de 2018, est en décalage avec la réalité. J'ai en tête une douzaine de communes des coteaux de la zone d'Astarac-Bigorre – j'en parle d'autant plus facilement qu'elles ne sont pas dans ma circonscription – qui sont actuellement en déprise totale.
Je ne suis pas certain que nous fassions si peu de cas de la diversité des terroirs, même si une analyse d'un certain nombre d'éléments sous l'angle géographique serait sans doute bienvenue. Je ne crois pas, d'ailleurs, que pareille étude ait jamais été conduite. Le cas échéant, il faudrait tenir compte des dispositifs fiscaux et sociaux, afin d'avoir un tableau complet de tous les accompagnements.
S'agissant de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels, il faut d'abord se réjouir que nous l'ayons sauvée, et ce contre toute attente, le dispositif ne trouvant pas un écho très favorable au sein de la Commission européenne. Il nous faudra d'ailleurs fourbir nos armes pour la négociation de la prochaine programmation de la PAC, car à force d'être seuls contre vingt-six pays, nous pourrions finir par perdre cette bataille. Dit autrement, nous devrons justifier du maintien, sous une forme ou sous une autre, d'une compensation du handicap naturel. À voir si les paiements pour services environnementaux pourraient se substituer à ce dispositif.
Quant aux critères d'éligibilité, ils tiennent compte de l'environnement biophysique et des contraintes naturelles, ainsi que des spécificités agricoles territoriales. Mais c'est toujours le même problème avec le zonage : ceux qui sont inclus ne disent rien et ceux qui ne le sont pas ne sont pas contents ! C'est ainsi que, dans votre département comme dans quelques autres, certaines communes ne comprennent pas pourquoi elles n'y ont pas droit. Rappelons tout de même que les communes qui, en 2018, ont cessé d'être éligibles ont perçu 80 % du montant de l'ICHN en 2019 et 40 % en 2020.
Les dépenses européennes et nationales de l'ICHN sont de 1,1 milliard d'euros. Du point de vue géographique, nous savons où ces fonds sont affectés et il pourrait être intéressant de se pencher sur la répartition. J'ajoute que si ce montant est resté inchangé dans le cadre de l'actuelle programmation de la PAC, c'est parce que l'État a consenti à accroître sa part de cofinancement. Cela confirme notre engagement en faveur des zones défavorisées ou souffrant d'un handicap, à l'instar des zones de montagne. J'y reviens : les paiements pour services environnementaux pourraient à l'avenir être un moyen de repenser les choses.
S'agissant enfin de la complexité de l'accès aux aides, nous essayons de faire le plus simple possible et de ne pas accumuler les dispositifs. Ce n'est pas parfait et je demande d'ailleurs toujours à regarder les formulaires afin de vérifier que je parviens à les comprendre et que je serais en mesure de les remplir moi-même. Pour la même raison, nous élaborons certains formulaires directement avec les préfets. Mais il n'est pas toujours possible de simplifier les choses. Le premier formulaire que nous avions élaboré pour la MHE, par exemple, était assez général : on nous a répondu qu'il fallait tenir compte des types de bovins, de leur âge, des départements, des types de fermes… Bref, ce qui commence à deux ou trois pages se termine invariablement par un formulaire de dix pages ! Le schéma a été le même concernant l' influenza aviaire.
Soit on fixe une toise générale, mais certains n'entreront pas dans les critères et seront mal indemnisés et mal accompagnés, soit on s'efforce d'être très englobant, mais il faut tenir compte alors d'une ribambelle de cas particuliers. Nous ne serions pas fâchés de pouvoir nous en passer, mais cela nécessiterait que tout le monde l'assume, y compris au sein de la profession. Faire plus simple requiert d'être davantage aveugle aux spécificités locales.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble de votre politique agricole, avec laquelle nous sommes en désaccord ; ce n'est pas l'objet de nos débats du jour. Je vous interrogerai plutôt sur deux sujets, qui devraient intéresser tout le monde.
Le premier est celui de la gestion durable des forêts. Comme vous le savez, ces dernières constituent un puits de carbone et un enjeu majeur pour la captation des émissions de gaz à effet de serre. Or plusieurs rapports nous alertent sur la capacité réelle de nos forêts à absorber le carbone, l'Académie des sciences indiquant qu'entre 2015 et 2020, cette capacité a été divisée par deux. Ainsi, aux bonnes nouvelles annoncées la semaine dernière par le Premier ministre au sujet des émissions s'adjoint une information moins positive : le puits de carbone que constituent les forêts est moins efficace que prévu.
Le ministère de l'agriculture confirme-t-il les conclusions de l'Académie des sciences et réfléchit-il à cette question ? Si ces informations sont avérées, je présume que des décisions budgétaires très importantes devront être prises pour restaurer nos forêts, afin que ces dernières recouvrent leur capacité à capter le carbone. Ce n'est pas anecdotique : la baisse du volume de carbone capté par nos forêts dépasse le total des émissions dues à notre production de déchets.
Deuxième sujet, la sous-exécution des crédits alloués à la protection animale – sujet qui, comme vous le savez, tient à cœur à la présidente Le Pen. La note du rapporteur spécial sur la mission Agriculture, alimentation, forêts et affaires rurales donne des éléments d'explication, mais la question n'est pas anodine pour les politiques publiques.
Plus particulièrement, votre ministère envisage-t-il un accroissement substantiel des subventions accordées aux associations qui participent à la castration des chats, afin de limiter le nombre de chats sauvages ? Cette action constitue une véritable mission de service public et contribue à la préservation d'animaux comme les oiseaux. En effet, les efforts de nos agriculteurs seront vains si la faune est dégradée par la prolifération des chats sauvages. La Fédération nationale des chasseurs a été beaucoup moquée quand elle a évoqué cette question mais, sans vouloir diaboliser les chats – mon parti ne me le pardonnerait pas ! – j'estime qu'il y a là un véritable enjeu.
S'agissant d'abord des forêts, je crois que nous nous sommes collectivement laissés intoxiquer par l'idée selon laquelle leur surface s'accroîtrait de 60 000 hectares chaque année. Cette progression est principalement due à la déprise agricole, laquelle ne produit pas des forêts, mais des friches, qui ne stockent pas beaucoup de carbone.
Les forêts souffrent de différents stress. Il y a tantôt trop d'eau, tantôt pas assez, ou des températures parfois trop élevées. Alors que leur volume progressait de 2 à 3 % par an, tout comme leurs capacités de stockage du carbone, nous faisons face à une situation nouvelle : en raison des stress que je viens d'évoquer, les forêts s'accroissent beaucoup moins que par le passé et plusieurs maladies entraînent un dépérissement forestier. Dans certains massifs, les scolytes font mourir entre 20 et 40 % des arbres, voire 100 % dans certains endroits. Vous l'avez indiqué, le risque est d'aboutir, à terme, à un stockage de carbone négatif, ce qui est un gros problème.
La première chose à faire est de s'interroger sur l'utilisation des bois récoltés après ces crises, car nous n'avons aucun intérêt à simplement laisser mourir les arbres en forêt. Nous devons les extraire avant, afin de les exploiter pour la construction ou l'ameublement, en préservant leurs capacités de stockage du carbone. Je rappelle à cet égard que les poutres qui ont brûlé dans la cathédrale Notre-Dame de Paris avaient mille ans… La capacité du bois à stocker le carbone est donc particulièrement durable. Nous avons donc lancé un plan sur les bois de crise.
Le deuxième enjeu est de replanter massivement. Notre plan de renouvellement forestier, qui est antérieur au rapport de l'Académie des sciences, a été doté de 509 millions d'euros en autorisations d'engagement au titre de la loi de finances pour 2024. Nous aurons l'occasion d'en reparler, mais j'estime qu'il ne faut pas faire dans la dentelle dans ce domaine.
Quant aux populations de chats, je rappelle que vous avez approuvé l'octroi de 3 millions d'euros de crédits pour accompagner les opérations de stérilisation. Peut-être faudra-t-il accroître cette somme, mais il faut aussi que les collectivités prennent leur part. L'État ne peut pas tout : c'est le conseiller municipal que je suis qui le dit.
Le plan d'austérité budgétaire prévoit 83 millions d'euros d'économies pour l'agriculture. Le ministre Le Maire a indiqué à l'hebdomadaire La France agricole que cette somme serait trouvée sur la masse salariale. Doit-on comprendre que des départs à la retraite de fonctionnaires du ministère ne seront pas compensés ? Il serait dommage que des postes d'enseignants disparaissent alors que nous venons de fixer l'objectif, dans le projet de loi d'orientation agricole, d'accroître le nombre d'étudiants de 30 % dans les cursus agricoles. Il serait également dommage que la recherche soit mise à contribution, étant donné que nous nous accordons à la considérer comme indispensable à la transition agroécologique.
Ces 83 millions d'euros correspondent en gros au montant du fonds d'urgence pour l'agriculture biologique que vous avez annoncé lors du dernier Salon international de l'agriculture, qui est largement insuffisant puisqu'il ne permettra d'aider que 15 % des fermes alors que le double en aurait besoin, à en croire le président de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB).
Cette somme correspond également aux crédits affectés à l'aide au portage foncier, que propose le fonds pour les entrepreneurs du vivant. Précisons en passant que 80 millions d'euros ne permettront que quarante-trois installations par an, alors qu'il en faudrait au moins 10 000.
Vous me répondrez certainement que le budget de l'agriculture a augmenté en 2024, mais les exemples que je viens de donner montrent que les crédits demeurent insuffisants pour affronter la transition agroécologique. Peut-être pourriez-vous souffler à M. Le Maire qu'accompagner financièrement l'agroécologie permet d'épargner sur le long terme ? Cette forme d'agriculture entraîne moins d'externalités négatives, moins de pollution des eaux, moins de cancers chez les agriculteurs et leurs familles, et donc un gain pour la santé et pour la société en général.
Madame la députée, je crois que nous avons un problème d'échelle de valeur. Vous parlez de 80 millions d'euros d'économies sur un budget qui a progressé de 1,3 milliard d'euros – en partant de seulement 5 milliards d'euros – et vous appelez cela de l'austérité ! Je n'ai pas la main sur la planche à billets européenne, et heureusement, sans doute. Je ne produis pas de l'argent et, comme les élus communaux, départementaux et régionaux, je me fixe des cadres budgétaires pour éviter l'endettement. Mais vraiment, si l'on peut parler d'austérité quand un budget de 5 milliards d'euros en 2023 gagne 1,3 milliard d'euros, je ne sais plus ce qui vaut quelque chose !
Des moyens très importants ont bien été dégagés. Comme je le disais en introduction, les aides d'urgence sont le plus souvent couvertes par la loi de finances de fin de gestion. Il ne me semble pas que de nombreuses enveloppes aient été sous-consommées. Et on ne peut pas dire que le ministère de l'agriculture, l'agriculture elle-même, la transition agroécologique ou les questions économiques aient été sacrifiées sur je ne sais quel autel.
Quant à la masse salariale, elle ne sera pas touchée. J'ai indiqué que les économies seraient faites sur des lignes structurellement sous-consommées. Nous n'allons pas voler des postes dans l'enseignement agricole, pour vous répondre directement. Ne nous faisons pas peur là où il n'y a pas lieu. Encore une fois, quand un budget de 5 milliards d'euros augmente de 1,3 milliard d'euros, on doit être capable de trouver 80 millions d'euros d'économies.
Cette discussion intervient dans un contexte particulier puisque notre Assemblée a adopté hier en première lecture le projet de loi d'orientation agricole, fruit d'une concertation avec les acteurs du secteur et réponse aux revendications des syndicats agricoles. Le groupe Démocrate se félicite de ce texte, qui apportera des solutions dans les domaines de la formation, de l'installation et de la transmission des exploitations et qui sera complété par de nouvelles mesures fiscales lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025.
S'agissant de l'année 2023, plus de 800 millions d'euros de crédits supplémentaires ont dû être débloqués, afin de dédommager les agriculteurs touchés par la sécheresse et l' influenza aviaire. L'État a montré sa réactivité vis-à-vis de ce fléau en lançant dès 2023 une campagne de vaccination des canards – une première en Europe. Pourriez-vous faire le point sur cette campagne et ses suites pour l'année 2024 ?
Par ailleurs, vous avez annoncé, en juillet 2023, une nouvelle stratégie destinée à résoudre les difficultés rencontrées par les abattoirs. Pourriez-vous nous dire où nous en sommes ?
Pourquoi faut-il se préoccuper de l' influenza aviaire ? Parce qu'il s'agit d'un problème sérieux, qui ne concerne pas que l'élevage aviaire : la grippe aviaire est en train de passer des volailles aux mammifères bovins et risque de se propager encore. Cette question entre donc désormais dans le concept « une seule santé » que développent les organisations internationales compétentes. Je crois que nous savons désormais ce que peut être une grande pandémie.
Pourquoi ce virus passe-t-il d'une espèce à l'autre ? Parce qu'il circule beaucoup. Nous avons donc intérêt à réduire le nombre de cas. Je sais que les mesures parfois très coercitives que nous prenons, comme le confinement, voire l'abattage entier, font débat. Nous les prenons parce que c'est une nécessité de santé animale et humaine.
Nous sommes les premiers dans le monde à avoir lancé une campagne de vaccination. Mes homologues canadiens, américains et, sauf erreur de ma part, japonais, que j'ai encore rencontrés dimanche lors d'une réunion de l'Organisation mondiale de la santé animale, ont manifesté leur intérêt et vont venir voir comment nous l'avons organisée. Au total, 32 millions de canards ont reçu une première dose en prévision de la prochaine saison de grippe. Au cours de la dernière, qui s'est étendue de septembre 2022 à mai 2023, seuls dix cas ont été détectés, contre plusieurs centaines au cours de l'hiver de 2022 et 2023 et plusieurs milliers l'année précédente.
Certes, tous les progrès ne sont pas liés à la vaccination. La protection des élevages et la biosurveillance sont également utiles. Mais la campagne sera prolongée. L'État a pris en charge la première à hauteur de 80 %, ce qui représente tout de même 80 millions d'euros en 2024 après un peu plus de 15 millions d'euros en 2023. Nous discutons actuellement avec les professionnels d'une répartition financière plus équilibrée.
S'agissant maintenant des abattoirs, 180 ont été aidés dans le cadre du plan de relance, pour un montant de 115 millions d'euros. Pour des raisons de volumes, d'équilibre économique ou encore de gestion, certains d'entre eux continuent de rencontrer de sérieux problèmes. Nous évaluons actuellement l'adéquation entre l'offre et les besoins dans les différents territoires et nous développons une méthodologie afin d'identifier les forces et les faiblesses des abattoirs, afin d'envisager une réorganisation. De plus, nous réfléchissons aux meilleures manières d'accompagner économiquement cette activité. Ce diagnostic sera achevé à la fin du mois de juin. Nous avons besoin des abattoirs qui, pour diverses raisons, sont profondément fragilisés.
Dans une récente étude, l'Institut de l'économie pour le climat a révélé que, sur la période de 2013 à 2022, les dépenses d'indemnisation et de gestion de crise ont fortement augmenté, pour atteindre 2,1 milliards d'euros en 2022. Cette somme provient en quasi-totalité du budget du ministère de l'agriculture, représentant 40 % de ses crédits en 2022. Vous connaissez les crises dont il est ici question : elles sont géopolitiques, sanitaires, mais aussi climatiques et écologiques, qu'il s'agisse des épisodes de sécheresse, des inondations ou encore des nouveaux nuisibles.
En conséquence, indique la Cour des comptes, les mesures favorables à l'adaptation ont baissé de 7,3 points dans le budget 2023, de même que celles destinées à réduire la pollution ont diminué de 10,6 points. Pourquoi faites-vous, en matière d'investissements publics, tout le contraire de ce que recommandent les meilleurs scientifiques et les meilleurs économistes ?
Par ailleurs, cette réorientation des financements publics appelle, toujours selon la Cour des comptes, une classification plus fine des différents postes budgétaires du ministère de l'agriculture. Il s'agit d'ailleurs de l'objet du budget vert, mais le ministère n'a pas répondu aux trois recommandations formulées par la Cour des comptes sur ce sujet en 2022. De quels moyens prévoyez-vous de vous doter pour réaliser cette cotation plus fine et assurer un suivi pluriannuel, et ce aussi bien pour la programmation du budget que pour le suivi de son exécution ?
J'engage tous mes collègues à lire la page 33 de la note d'analyse de l'exécution budgétaire relative à la mission Agriculture, qui fait état de l'explosion des dépenses brunes et de la stagnation, voire de la baisse des dépenses vertes. C'est tout le paradoxe du budget vert. Lancé et mis en avant par le Gouvernement, il est insuffisamment suivi et n'est pas réellement considéré comme une boussole écologique par le ministère de l'agriculture et son administration.
S'il peut y avoir des sous-exécutions liées au développement de certains programmes, ce n'est pas une volonté, d'autant que les moyens sont là.
En 2024, 2,3 milliards d'euros parmi les crédits de la mission Agriculture seraient classés comme favorables à l'environnement. Nous sommes en train d'affiner les choses, car il y a certains éléments avec lesquels je suis en désaccord. En effet, de nombreuses dépenses sont considérées comme neutres alors qu'elles ont des effets indirects positifs. C'est le cas, par exemple, des mesures de soutien de l'élevage, car cette activité permet de maintenir des prairies, c'est-à-dire des espaces ouverts, contribue à la lutte contre le risque incendie, ou encore participe à la préservation de la biodiversité. Cela peut faire débat, mais si vous me dites qu'il faut arrêter l'élevage pour obtenir une cotation environnementale plus favorable, je ne serai pas d'accord.
Or la cotation environnementale influence le regard que l'on peut porter sur les politiques publiques. Nous allons continuer à y travailler, sachant qu'il faut également comptabiliser les crédits affectés à la planification écologique. L'élevage est un parfait exemple des divergences que nous pouvons avoir : dans le Massif central, si cette activité disparaît, les prairies aussi – et ce que l'on pense être neutre pour l'environnement devient négatif.
La décentralisation du second pilier de la politique agricole commune permet d'élaborer des dispositifs adaptés qui tiennent compte des différences de situation et de la diversité des régions agricoles. En effet, il n'y a pas une agriculture, mais des agricultures. Il est évident que les zones de moyenne montagne n'ont ni les mêmes rendements, ni les mêmes contraintes que les plaines céréalières.
Cela étant, il me semble regrettable que la décentralisation des aides non surfaciques se traduise par des différences de traitement d'une région à l'autre. Il n'est pas concevable que des priorités politiques régionales différentes aboutissent à des traitements financiers différents. Par exemple, il n'est pas normal que les mesures relatives à l'agriculture biologique ou aux jeunes agriculteurs varient d'une région à l'autre, avec des critères plus ou moins larges et des montants plus ou moins généreux.
Monsieur le ministre, comment justifiez-vous cette inacceptable rupture d'égalité ?
Je n'ai rien à justifier. Notre pays passe son temps à critiquer la centralisation et à se plaindre que les décisions soient prises à Paris par d'affreux technocrates qui n'y connaissent rien. Mais lorsque nous décidons une déconcentration ou une décentralisation, d'abord on découvre que la technocratie existe également dans les échelons infranationaux et ensuite on s'émeut de ce que la région Auvergne-Rhône-Alpes ne mène pas la même politique que la Nouvelle-Aquitaine, qui ne fait pas comme en Occitanie. Ce sont les joies de la décentralisation ! Vous ne me ferez pas dire que je suis favorable à une reconcentration, mais il est vrai que les aides destinées aux jeunes agriculteurs ne sont pas les mêmes partout.
Je vous le dis très tranquillement : je veux bien rouvrir cette boîte, mais on ne peut pas se plaindre d'un côté que c'est trop centralisé et de l'autre que les régions ne font pas toutes la même chose. C'est la nature même de la décentralisation – mais vous n'avez pas tort : il est déjà difficile de mener une politique agricole commune au niveau européen, avec des distorsions entre pays, mais si en plus chaque région a son propre registre, cela devient compliqué.
Il faut également faire attention à ne pas créer trop de différentiations. Dans le cadre de la PAC par exemple, il y a encore 100 MAEC et il arrive que l'on développe des systèmes informatiques pour quinze ou vingt bénéficiaires. Je suis assez favorable à l'adaptation aux réalités territoriales, mais il faut prendre garde à ne pas créer des usines à gaz. Comme je le disais à M. Mournet tout à l'heure, il faut parfois assumer de faire passer tout le monde sous la même toise et trouver un équilibre avec l'adaptation aux différentes situations.
Puis la commission procède à la discussion sur la thématique d'évaluation Refonte du système assurantiel agricole : évaluation de l'assurance récolte (M. Pascal Lecamp, rapporteur spécial).
J'ai le plaisir de vous présenter maintenant mes observations sur l'articulation de l'assurance privée et du régime public d'indemnisation des exploitants agricoles subissant des pertes de récolte depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2023, de la loi du 2 mars 2022 communément appelée loi « assurance récolte ». Je tenais à évaluer, dès sa première année et sous un angle prioritairement financier, la mise en œuvre de cette réforme à laquelle je crois beaucoup – dans laquelle j'avais même dit voir une « révolution » –, même si un tel calendrier pose des limites dans l'analyse.
D'abord, il me faut rappeler pourquoi un changement était nécessaire. Mon prédécesseur, M. Hervé Pellois, ayant parfaitement décrit la situation en 2020, je vais me permettre de le citer : « Une offre d'assurance privée s'est mise en place dès le début du XIXe siècle, mais elle concernait surtout le risque de grêle » ; « la création en 2005 de l'assurance multirisque climatique (MRC), qui couvre à la fois la grêle, le gel, l'inondation, la sécheresse et la tempête », s'était traduite par une diffusion qui « varie fortement d'une filière à l'autre, avec par exemple 31 % pour les grandes cultures et la viticulture, ou 20 à 25 % pour les légumes de plein champ, mais seulement 3 % pour l'arboriculture et 1 % pour les prairies » ; « souvent, les agriculteurs ne s'y intéressent qu'après un coup dur, pour se désengager à la fin d'une bonne année », comme c'est un peu le cas cette année ; « faute d'avoir un nombre suffisant de clients, donc de pouvoir diluer les risques, les assureurs […], pour préserver leur rentabilité, augmentent donc leurs tarifs, ce qui n'attire pas de nouveaux exploitants. »
À ce cercle vicieux de l'offre privée s'ajoutait un circuit public dysfonctionnel de l'indemnisation par le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), créé en 1964 et remodelé en 2010. Outre une double taxe lui était affectée avec un taux et un plafond qui ont régulièrement évolué au gré des arbitrages budgétaires, ce qui n'est bon ni pour la visibilité des parties prenantes, ni pour la constitution, en cas de clémence du climat, d'une trésorerie, le FNGRA recevait une subvention de l'État donnant lieu à des surexécutions que les rapporteurs spéciaux et généraux successifs de notre commission, y compris notre rapporteur général Cazeneuve l'année dernière, ont qualifiées de « spectaculaires » : de 2017 à 2022, les taux ont été, en arrondissant, de 2 648 %, 1 613 %, 1 640 %, 3 370 %, 14 367 % et 13 443 %. L'explication officielle était que les aléas sont imprévisibles, ce qui est plus vrai s'agissant de leur montant que de leur occurrence. Officieusement, cela permettait de n'inscrire en début d'année que 5 à 9 millions d'euros pour respecter les normes des finances publiques. Je ne blâme ici, bien sûr, aucun des anciens responsables de votre portefeuille, monsieur le ministre.
Le nouveau régime mixte a trois étages : pour les risques faibles, une auto-assurance, grâce à l'investissement dans les équipements de prévention et de protection et à l'innovation dans les pratiques culturales et les choix variétaux ; pour les risques d'intensité moyenne, une assurance privée prise en charge par la puissance publique à hauteur de 70 % des primes ; pour les risques catastrophiques, le FNGRA, pour lequel a été prévue, à la suite d'un engagement personnel du Président de la République, une enveloppe de 560 millions d'euros dès la loi de finances initiale pour 2023, puis 580 millions d'euros en 2024, et enfin 600 millions d'euros à partir de 2025, sans naturellement oublier, dès qu'il le faut – avec la réactivité que tout le monde reconnaît et apprécie de la part de vos services – des abondements en cours de gestion.
L'assurance – subventionnée, je le rappelle – se déclenche pour les pertes dépassant 20 % du rendement, contre 35 % dans la plupart des cas avant la loi de 2022. L'indemnité de solidarité nationale (ISN) intervient à partir de 30 % ou 50 %, suivant les risques. Un point très important est qu'elle couvre désormais 90 % des pertes dépassant ce seuil pour les agriculteurs ayant souscrit une assurance, mais seulement 45 % en 2023, puis 40 % en 2024 et 35 % en 2025 pour ceux qui ne l'ont pas fait. Je soutiens ce mécanisme gagnant-gagnant : un meilleur partage du risque favorise une plus grande profitabilité pour les assureurs mais, surtout, une diminution des cotisations pour les exploitants et par conséquent une moindre mobilisation de l'argent des contribuables.
L'enveloppe de 560 millions d'euros du FNGRA se répartit ainsi : 255 millions d'euros pour le programme 149, soit environ cinquante fois plus qu'auparavant, 120 millions d'euros de fiscalité affectée, soit le double, et 184,5 millions du second pilier de la politique agricole commune – ah, cette fameuse Europe ultralibérale et austéritaire que certains dans cette salle combattent avec acharnement, en particulier en ce moment de campagne pour les élections européennes ! La première année d'application de la réforme de MM. Julien Denormandie et Frédéric Descrozaille ayant été assez peu sinistrée, la dépense du programme 149 n'aura été que de 110 millions d'euros et celle du FNGRA de 188 millions d'euros au titre de calamités antérieures et de 20 millions d'euros au titre de la nouvelle ISN. Pourriez-vous, Monsieur le ministre, nous dire où en est le programme 149 pour 2024 ?
Parmi les douze compagnies d'assurances habilitées, deux – Groupama et Pacifica, filiale du Crédit agricole – occupent 70 % du marché. Entre la fin de 2022 et la fin de 2023, le taux de diffusion rapporté aux surfaces est passé de 31,7 % à 35,2 % pour les grandes cultures et les légumes, de 32,5 % à 37,4 % pour les vignes, mais surtout de 1,4 % à 10,7 % pour l'arboriculture et de 0,5 % à 9 % pour les prairies. En moyenne, la surface couverte est passée de 31,4 % à 35 % hors prairie et de 17,4 % à 23,2 % avec ces dernières. Cette hausse d'un tiers de la surface couverte en un an est un très bon résultat.
En réponse à mon questionnaire, la Caisse centrale de réassurance, qui abrite le FNGRA pour le compte de l'État, m'écrit : « en 2024, la réforme peine à renouveler la dynamique de l'an passé, avec un volume d'affaires qui serait en train de stagner, voire de diminuer légèrement ; les causes affichées sont la crise agricole de début d'année et la relative faiblesse de la sinistralité enregistrée en 2023, ayant permis aux éleveurs, notamment, de reconstituer leur socle de fourrage ».
Monsieur le ministre, qu'envisagez-vous pour retrouver le même élan et atteindre les cibles que le législateur a fixées d'ici à 2030, à savoir 60 % d'assurance dans les grandes cultures, les légumes et les vignes et 30 % dans l'arboriculture et les prairies ?
On constate un retard dans la mise en place d'une part du réseau des interlocuteurs agréés, c'est-à-dire du mandat confié aux assureurs d'avancer à leurs clients les sommes de l'ISN afin de soulager au plus vite la trésorerie des fermes sinistrées, et d'autre part du groupement d'intérêt économique des assureurs et des réassureurs. Le cadre initial n'a pas été tenu. Pourriez-vous, Monsieur le ministre, indiquer à la commission les raisons de ce décalage, l'état d'avancement de la constitution du groupement d'intérêt économique devant l'Autorité de la concurrence et l'horizon précis envisagé ?
À l'occasion de mes visites de terrain et des auditions conduites à l'Assemblée, deux difficultés reviennent systématiquement.
En premier lieu, la fréquence et l'intensité de plus en plus aiguës des aléas minent la pertinence de l'alternative entre le calcul de la variation des rendements sur les trois dernières années ou sur la moyenne dite olympique, c'est-à-dire les cinq dernières années dont on enlève la meilleure et la moins bonne.
Certaines structures représentatives appellent de leurs vœux un allongement, mais on voit bien les problèmes économiques que cela poserait.
En deuxième lieu, l'évaluation du préjudice sur les fourrages repose sur un indice produit par la branche satellitaire d'Airbus, dont j'ai eu l'occasion de découvrir les locaux à Toulouse au printemps dernier. Le très fort attachement des entreprises d'assurance pour cet outil n'a d'égal que la défiance qu'il suscite chez les agriculteurs, persuadés qu'il n'est pas du tout fiable pour mesurer la pousse de l'herbe et n'a aucune finesse géographique. Parlons concrètement, certains y voient même une arnaque. Que pensez-vous de ce casse-tête ?
Le système assurantiel participe à la résilience du système agricole, qui est en outre assurée par les pratiques, l'accès à l'eau et les systèmes de protection des cultures, comme la protection contre la grêle ou les techniques de taille des vignes. Il ne pourra pas prendre en charge tous les aléas climatiques qui sont devant nous.
Les aléas ne sont pas très prévisibles. Nous avons connu en 2022 de gros aléas liés à la sécheresse mais peu en 2023, hormis la sécheresse sur la bordure méditerranéenne. En 2024, j'ai le sentiment que c'est l'aléa des inondations auquel nous devrons faire face. En raison du dérèglement climatique, ces événements sont chaque année plus fréquents et plus puissants et provoquent des dégâts chaque fois plus importants. Nous avons construit ce système assurantiel pour y faire face, mais il doit trouver son équilibre économique.
Le taux de diffusion a été supérieur à celui que nous avions prévu dans le plan triennal – alors que certains pensaient que nous n'y arriverions pas et que la moitié du budget serait bien suffisante. Les surfaces couvertes par un contrat d'assurance sont ainsi passées de 4,8 millions d'hectares en 2022 à 6,5 millions en 2023, soit une augmentation de 33 %. On est passé de 0,5 % à 9 % pour les prairies et de 1,4 % à 10 % pour l'arboriculture et aussi de 32 % à 37 % pour la viticulture et de 31 % à 35 % pour la grande culture, qui n'étaient pas des cibles privilégiées puisque le taux de diffusion y était déjà important.
Nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers et nous devons continuer à convaincre et à mobiliser. Le premier axe de travail est le système satellitaire. Il fait l'objet d'une certaine défiance, mais disons-le : sans système satellitaire, il ne peut y avoir de système assurantiel – il n'est pas possible d'aller dans chaque exploitation pour vérifier chaque prairie. Les satellites permettent tout de même de mesurer l'écart à la pousse, même s'il y a débat. Pour crédibiliser les choses, nous allons déployer en 2024 un réseau de 150 fermes de référence qui permettront de confronter la perception sur le terrain avec les informations fournies par les satellites. Nous travaillons avec les assureurs pour que leurs indices individuels soient mesurés plusieurs fois dans l'année afin d'éviter les distorsions.
Le deuxième sujet est la procédure de versement simplifié de l'ISN : l'agriculteur qui aura désigné son interlocuteur agréé pourra la recevoir automatiquement, sans démarche supplémentaire. La procédure de recours fait encore l'objet de désaccords. J'ai donc lancé une mission « flash » du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux. Les coûts de gestion sont à prendre en compte et, même s'il faut des voies de recours, il faut prendre garder à ne pas fragiliser le système.
La question de la moyenne olympique se pose, car si l'indemnité est calculée sur la base des récoltes des cinq dernières années, un agriculteur ayant subi quatre années de gel, de grêle et de sécheresse ne recevra pas grand-chose. Les aides sont classées par l'Organisation mondiale du commerce dans un système de boîtes de couleurs – rouge, orange, bleue et verte – et l'Union européenne en fait une application stricte. Plutôt que d'essayer d'obtenir une modification de ce système – nous aurions sans doute plus à y perdre qu'à y gagner – notre stratégie est de demander à la Commission de modifier la réglementation PAC et l'encadrement des aides d'État afin de permettre aux États membres de mobiliser davantage la boîte orange, ce qui permettrait d'allonger par exemple la période de référence à huit ans. Nous y travaillons et j'en ai encore parlé à la Commission européenne lundi dernier, à l'occasion d'un conseil des ministres. Je pense que nous pourrons avancer avec certains de mes collègues, la Commission m'ayant paru ouverte.
À la fin de 2022, des accords significatifs ont été trouvés avec les assureurs, l'État et les autres acteurs afin de prendre en charge les non-assurés. J'ai déjà pris certaines décisions afin d'éviter toute pression. Nous prendrons le temps qu'il faudra. Pour l'année 2024, les assureurs accompagneront la réforme et poursuivront sa mise en place en gérant l'ISN pour les cultures non assurées de leurs clients assurés. Pour l'ensemble des prairies, qu'elles soient assurées ou pas, l'État prendra en charge uniquement l'assurance des exploitants intégralement non assurés. À l'avenir, en fonction des frais de gestion qui seront proposés par les assureurs pour la gestion des autres agriculteurs non assurés, nous examinerons l'opportunité de confier la gestion de tous les non assurés au réseau d'interlocuteurs agréés.
Vous pouvez compter sur moi pour faire preuve d'une transparence totale sur le coût des primes, une fois tous les éléments chiffrés en notre possession. L'objectif de la réforme est de retrouver un équilibre économique, pas de subventionner un ratio de 50 % entre le sinistre et la prime ni de donner aux assureurs des opportunités de surprofit. Nous allons être très vigilants.
Le système assurantiel est une pierre supplémentaire à l'édifice de la résilience agricole que nous essayons de construire. Il va avec l'adaptation des filières, les efforts d'accès et d'économie d'eau ou l'adoption de systèmes de protection. Nous avons ouvert des guichets, notamment dans le cadre du plan de souveraineté pour la filière des fruits et légumes, pour doter les agriculteurs de moyens leur permettant de s'équiper en matériel de protection, ce qui participe d'un système assurantiel préventif. J'ai d'ailleurs demandé aux assureurs de différencier leurs tarifs entre ceux demandés aux agriculteurs qui ont investi dans des systèmes de protection, qui coûtent cher, et aux autres, afin qu'il y ait une prime à l'investissement dans ces systèmes.
Au moment où le dérèglement climatique provoque des calamités agricoles toujours plus fréquentes, je m'interroge sur ce nouveau système assurantiel qui conduit à une privatisation de la gestion du risque et qui exclut de facto un bon nombre de paysans, considérés par le privé comme trop complexes à assurer.
La réforme a certes prévu un interlocuteur unique qui permet aux entreprises d'assurance de verser elles-mêmes les indemnisations reposant sur la solidarité nationale avec une refacturation à l'État, mais ce système mixte me semble difficile à comprendre et à mettre en œuvre. Par ailleurs, n'existe-t-il pas un risque de surcompensation ?
Je ne crois pas du tout au risque de surcompensation.
Je veux bien qu'on nous fasse le grief de la privatisation, mais le système assurantiel est par nature privé et nous avons construit un des rares systèmes assurantiels où la puissance publique intervient. Je rappelle que, jusqu'à 20 %, l'agriculteur prend en charge l'aléa. Entre 20 % et un certain taux, il est pris en charge par l'assureur et, au delà, par la solidarité nationale, donc par des moyens publics. Sachant que nous y consacrons des centaines de millions d'euros supplémentaires, j'ai du mal à y voir une privatisation. Au delà de 80 %, les pertes ne peuvent pas être compensées, ainsi que l'impose la réglementation européenne. Il n'y a donc pas de risque de surcompensation.
Ce système est donc très atypique, si on le compare par exemple à l'assurance pour l'habitation des particuliers, qui a un caractère obligatoire et dans laquelle l'État n'intervient pas. Toutefois il ne couvre pas tous les besoins et doit être complété par la résilience des systèmes face à un dérèglement climatique qui va durer.
On pourrait imaginer un fonds financé par la fiscalité qui permettrait de ne pas recourir aux assurances privées.
Il faudrait alors l'étendre aux artisans, aux commerçants, aux industriels et aux habitants – pour les argiles rétractables par exemple.
Nous sommes suffisamment critiques de la politique du Gouvernement pour ne pas rester ouverts à la solution que vous avez trouvée et qui semble satisfaire les agriculteurs les plus concernés. Nous pouvons toutefois nous demander si l'État ne pourrait pas, par l'intermédiaire de ses institutions financières, comme la Caisse des dépôts et consignations, placer de l'argent qui ferait des petits, comme le font les assurances, afin de limiter l'exposition des contribuables à ce service rendu aux agriculteurs et à la Nation. C'est une proposition ouverte, pas une attaque. Les aléas vont se reproduire et l'État pourrait utiliser ainsi le marché, qui présente tout de même quelques avantages.
Le dispositif a plutôt bien marché lors de la première année mais je me méfie du système de la moyenne olympique. Le risque est grand, si les aléas se succèdent et que les référentiels de production diminuent structurellement d'une année sur l'autre, que l'agriculteur ne soit indemnisé de rien du tout.
J'ai du mal à voir comment votre proposition pourrait trouver son équilibre face à des risques de plus en plus importants, mais elle mérite sans doute d'être étudiée avec le rapporteur spécial.
Vous ne pouvez pas dire que vous n'avez pas privatisé le système assurantiel alors que nous sommes passés d'un fonds pour les calamités agricoles géré par les services déconcentrés de l'État avec de l'argent public à un système qui se trouve entre les mains de l'assurance privée.
Je partage les doutes du président Coquerel sur la durabilité du système face au changement climatique. Pour garantir notre souveraineté alimentaire, nous avons besoin d'un État fort. La Confédération paysanne propose la création d'un fonds professionnel mutuel et solidaire. Quel est votre avis sur cette solution ?
Enfin, pourriez-vous répondre à ma question sur les 80 millions d'euros – qui ne sont pas grand-chose pour vous, au vu de l'augmentation du budget de votre ministère – que la FNAB demande pour le fonds d'urgence en faveur du bio ? Vous avez déjà donné 90 millions d'euros, mais ils ont besoin du double.
Moi, je n'ai jamais dit que 80 millions d'euros ne représentent pas grand-chose ! Par ailleurs, ce sont 100 millions d'euros qui ont été demandés par ceux qui se sont adressés au guichet du fonds d'urgence en faveur du bio, et nous avons déjà ouvert des crédits à hauteur de 90 millions d'euros – après 100 millions d'euros en 2023. Il ne manque donc pas 80 millions d'euros. Il y a déjà suffisamment de dépenses pour que nous n'ayons pas besoin d'en inventer ! Cela me rappelle le débat sur les MAEC lors de l'examen du budget pour 2024 : le président Coquerel, entre autres, avait estimé le besoin à 500 millions d'euros mais il s'est avéré qu'il était de 150 millions d'euros, comme je l'avais alors dit. Il ne sert à rien d'aligner les millions à l'aveugle.
Expliquez-moi où est la privatisation d'un système financé à hauteur de 680 millions d'euros par les assurances, 255 millions d'euros par l'État, 120 millions d'euros par de taxes et 184,5 millions d'euros par des crédits européens. Ce n'est pas parce que les assureurs, dont c'est l'expertise, vont sur place pour constater les dégâts qui sont ensuite indemnisés par de l'argent public provenant notamment de la contribution des agriculteurs que le service se trouve privatisé. Les assureurs font des constats, c'est un système vieux presque comme le monde qui fonctionne plutôt bien pour l'automobile, l'habitation et l'agriculture. Ce n'est pas une privatisation.
Monsieur le ministre, à propos du débat budgétaire sur les MAEC, je tiens à préciser que je vous avais demandé, en fonction des estimations des professionnels, une hausse en autorisations d'engagement, quitte à voir postérieurement ce qui était nécessaire.
Quelque 600 millions d'euros, soit 12 % du budget du ministère, permettent de prendre en charge 70 % des primes d'assurance privée. C'est de l'argent public, l'argent des contribuables. Je ne crois pas que d'autres pays dans le monde subventionnent autant le système assurantiel agricole.
Quand nous atteindrons le taux de couverture assurantielle visé – de 60 % ou de 30 % selon les cultures –, je souhaite que le système s'équilibrera de lui-même, comme c'est déjà le cas pour les assurances automobiles par exemple. Cela permettra de réduire la charge qui pèse sur l'État et donc sur les contribuables et même, dans un monde parfait, de la supprimer dans trois, quatre ou cinq ans. Avec une masse critique d'assurés, le système fonctionnera de lui-même.
Les agriculteurs comme les assureurs souhaitent préserver le système actuel, qui les satisfait. Certains points doivent toutefois être ajustés, notamment le recours à la moyenne dite olympique et les critères de durée. J'ai également noté les remarques de M. Tanguy.
Les pertes de récolte liées aux sécheresses et aux canicules, c'est-à-dire au changement climatique, ont triplé ces cinquante dernières années en Europe. Ces aléas climatiques de plus en plus intenses, dévastateurs et nombreux fragilisent fortement les agriculteurs et agricultrices et les plongent dans une incertitude permanente.
La réforme de l'assurance des récoltes, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, a remplacé le système des calamités agricoles par un système de répartition de la prise en charge de l'aléa entre l'agriculteur, l'État et l'assurance privée. Cela donne un système de protection à deux vitesses, puisqu'il exclut les agriculteurs qui n'ont pas les moyens de souscrire à une assurance privée ainsi que certaines productions que les assureurs tiennent pour trop complexes à assurer, notamment l'apiculture, le maraîchage diversifié, les plantes à parfum, aromatiques et médicinales et l'aquaculture.
Ces producteurs sont donc mal couverts. En cas d'aléa, l'État ne leur verse l'indemnité de solidarité nationale que si leurs pertes dépassent 30 % ou 50 % des récoltes attendues – le taux varie selon les risques. De plus, vous réduirez progressivement cette indemnité pour les exploitants non assurés et prévoyez de la supprimer en 2025.
En somme, l'argent public soutient en priorité celles et ceux qui bénéficient déjà d'une assurance privée et sont les mieux protégés face aux aléas. Vous laissez une très grande partie des exploitations avec un système d'indemnisation au rabais, insuffisant pour faire face aux risques.
En outre, la méthode du calcul de référence est obsolète puisque les mauvaises années ne cessent de se succéder – et, le réchauffement étant parti pour atteindre 4 degrés, la situation ne va pas s'arranger.
Le Gouvernement compte-t-il améliorer l'accès à l'assurance des récoltes pour la rendre plus inclusive et plus juste ? Comment garantir l'éligibilité de l'ensemble des productions agricoles ? Quelles sont les conséquences du changement de mécanisme sur le niveau d'indemnisation des exploitants dans chaque département ? Comment l'État contrôlera-t-il les assureurs privés et s'assurera-t-il qu'ils ne tirent pas profit du système sur le dos des agriculteurs ?
Selon vous, le système précédent était merveilleux. C'est sans doute pour cela que les agriculteurs ont tous demandé qu'il soit supprimé…
Le fait est que nous allions dans le mur. Le nombre d'agriculteurs bénéficiant d'une offre assurantielle était de plus en plus faible. Vous ne décrivez pas le monde réel.
Nous travaillons à diversifier les offres et les acteurs assurantiels pour élargir la couverture aux filières qui n'en bénéficient pas actuellement – et qui n'en bénéficiaient pas non plus dans le système précédent : le système ne s'est pas dégradé.
Comment prétendre que nous restreignons le nombre d'assurés alors que le nouveau système couvre 1,7 million d'hectares supplémentaires ? Les grandes cultures ne sont pas les seules à en bénéficier, les petites exploitations aussi. Le taux de couverture est passé de 0,5 % à 9 % pour les prairies, au bénéfice des éleveurs, de 1,4 % à 10,7 % pour l'arboriculture. Pour vous, en faire plus, c'est forcément en faire moins, mais une chose est sûre : il y a plus d'agriculteurs assurés. La raison en est simple : l'État subventionne les primes d'assurance à hauteur de 70 %. Le système est beaucoup plus inclusif.
Quant à l'effet du nouveau système sur les prix, moins de six mois s'étant écoulés depuis la fin du premier exercice, il est difficile de se prononcer. La prise en charge à 70 % des primes assurantielles ne doit pas déboucher sur un enchérissement de 70 % de celles-ci. Pour l'heure, ce n'est pas ce que nous constatons, mais cela reste à vérifier. Tout le monde doit jouer le jeu, pour atteindre l'équilibre.
Mais franchement, je ne pensais pas qu'on reprocherait à un système qui couvre 1,7 million d'hectares supplémentaires de ne pas être inclusif. Je sais que tous les conservatismes se rejoignent pour éviter de rien changer, mais plus de paysans sont couverts, le nouveau système est plus inclusif et donc plus efficace que le précédent, la réforme a été utile.
Vous évitez de créer de nouvelles dépenses, monsieur le ministre, et je m'en félicite.
Un an et demi après l'entrée en vigueur du nouveau dispositif de protection des agriculteurs contre les aléas climatiques, les résultats sont plutôt positifs : le budget est plus soutenable qu'avant et le taux de couverture a augmenté, avec 35 % des surfaces agricoles désormais assurées. Comment maintenir cette dynamique ? Un réseau d'interlocuteurs agréés a été déployé cette année, pour améliorer le taux de couverture et assurer la viabilité du modèle. De nouveaux dispositifs sont-ils prévus en ce sens ?
Afin d'améliorer la dynamique, nous travaillons à améliorer la crédibilité du système satellitaire pour que les éleveurs lui fassent suffisamment confiance pour souscrire une assurance. En outre, nous travaillons à diversifier l'offre assurantielle, pour l'ouvrir à des filières qui en sont exclues.
Nous devons également inciter les agriculteurs à mieux se protéger eux-mêmes, par exemple en arboriculture. Rien ne vaut la prévention, pour assurer la pérennité du système. Il faut donc regarder du côté des pratiques et du matériel. La couverture assurantielle étant par ailleurs très disparate, en particulier en arboriculture, il faut veiller à généraliser l'offre ; j'en ai parlé aux assureurs.
Nous n'avons jamais nié que le coût des primes d'assurance serait amené à augmenter, puisqu'elles doivent couvrir des risques plus nombreux. Toutefois, il doit rester acceptable pour l'agriculteur et refléter l'important taux de subvention de ces assurances.
Pour l'année 2024, le système public de prise en charge intégrale par l'État ne vaudra que pour les exploitants qui ne sont couverts par aucune assurance. Quant au réseau des interlocuteurs agréés, valables pour les autres, il ne dévoie nullement les principes généraux du système assurantiel. Quand un assureur couvre déjà 50 % de la surface exploitée par un agriculteur, j'estime que son expert peut aussi intervenir au nom de l'État sur la partie non assurable.
Il conviendra enfin de régler la question de la moyenne olympique, pour crédibiliser le système dans la durée.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 22 heures 30
Présents. - M. Mickaël Bouloux, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Pascal Lecamp, M. Damien Maudet, M. Benoit Mournet, M. Robin Reda, M. Alexandre Sabatou, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Manuel Bompard, M. Joël Giraud, M. Tematai Le Gayic, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard
Assistaient également à la réunion. - M. Francis Dubois, Mme Manon Meunier, Mme Marie Pochon, M. Jean-Claude Raux