J'ai toujours pensé que l'évaluation des politiques publiques, en agriculture comme ailleurs, est un exercice utile, surtout dans un contexte où nous devons assurer notre souveraineté alimentaire et le réarmement de nos services publics tout en préservant l'avenir de notre souveraineté économique en limitant notre déficit et notre endettement publics. Cet exercice se tient après plusieurs semaines de débats riches et intenses à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture.
La loi de finances pour 2023 avait doté le ministère de 6,5 milliards d'euros de crédits de paiement, répartis entre deux missions et un compte spécial, soit une augmentation de 1 milliard d'euros, un peu passée sous silence. En y ajoutant les financements européens ainsi que les dispositifs fiscaux et sociaux, on obtient un total de 23 milliards d'euros de soutien public à l'agriculture, largement augmenté par la loi de finances de fin de gestion pour 2023 pour permettre à la ferme France de faire face aux nombreuses difficultés qu'elle a rencontrées, notamment la sécheresse, la crise viticole et la maladie hémorragique épizootique (MHE).
L'année 2023 a été marquée par deux évolutions majeures dans la vie du monde agricole : l'adoption de la nouvelle programmation de la politique agricole commune (PAC) pour la période de 2023 à 2027 – à ce sujet, je rappelle que, conformément à l'engagement du Premier ministre, les paiements découplés, l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) et l'aide au revenu ont bel et bien été versés au 15 mars, de sorte que nous payons actuellement les aides du second pilier – et l'entrée en vigueur de la réforme de l'assurance des récoltes, qui permet de mieux protéger nos agriculteurs face aux risques climatiques, grâce à un budget exceptionnel qui pourra atteindre 680 millions d'euros, conformément à l'engagement du Président de la République.
Je salue les équipes du ministère, en particulier nos services déconcentrés, dont l'engagement sans faille a permis de traduire ce budget en actes, dans le contexte de la mise en œuvre de la nouvelle PAC, qui n'est jamais facile, et du déploiement de nombreux dispositifs de crise prolongeant ceux de la crise liée à l'épidémie de covid-19 et de la mission Plan de relance. Tout cela a rudement mis les agents à contribution. Tous font l'objet de ma vigilance, en particulier les agents des services d'économie agricole, dont les effectifs ont fondu depuis plusieurs quinquennats, ce qui complique singulièrement la gestion du temps et des priorités.
Je salue aussi les équipes de la Mutualité sociale agricole, qui œuvrent au plus près des agriculteurs, notamment dans les moments difficiles. La crise agricole du début de l'année 2024 a parfois fait naître des tensions à l'endroit des agents publics. Je regrette les attitudes de certains acteurs à l'égard des agents de mon ministère, ou de ceux du ministère de la transition écologique par exemple. Dans la crise que nous traversons, l'accompagnement des agriculteurs est plus indispensable que jamais. Au demeurant, c'est vers les agents du ministère qu'ils finissent par se tourner pour obtenir de l'aide face aux difficultés qu'ils rencontrent.
Les crédits ont permis de financer la totalité des priorités débattues et arrêtées lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023.
La première est de permettre à nos agriculteurs et à nos professionnels du secteur forestier de continuer à créer de la valeur et à être compétitifs. Ce soutien s'est inscrit dans le cadre du second pilier de la PAC, qui repose sur un principe de cofinancement par les crédits européens et les contreparties nationales. À titre d'exemple, 340 millions d'euros en moyenne sont consacrés à l'aide à la conversion à l'agriculture biologique, soit une augmentation de 36 % par rapport à la précédente programmation. Le total d'exécution en 2023 des crédits nationaux consacré à ce soutien s'est élevé à 482 millions d'euros.
Le dispositif d'exonération de la part patronale des cotisations sociales pour l'embauche de travailleurs occasionnels et demandeurs d'emploi (TO-DE) a consommé 567 millions d'euros en 2023. Il est déterminant pour la compétitivité de nos exploitations, notamment celles qui sont très pourvoyeuses en main-d'œuvre, telles que celles de la filière des fruits et légumes. Prolongé par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2023, ce dispositif verra sa pérennisation sollicitée par le projet de LFSS pour 2025, conformément à l'engagement du Premier ministre.
Les crédits destinés à la politique forestière ont été consommés à hauteur de 277 millions d'euros, notamment pour financer la protection des forêts, dans un contexte d'intensification et d'extension latitudinale du risque d'incendie, et pour permettre à l'Office national des forêts (ONF), dont les effectifs ont été stabilisés pour la première fois depuis quinze ans, d'accomplir ses missions.
Je suis très attaché aux enjeux d'autonomie alimentaire des territoires ultramarins et nous avons exécuté le budget au delà de ce qui était prévu initialement. Les crédits en faveur de l'outre-mer se sont élevés à 212 millions d'euros.
La deuxième priorité est de maintenir un niveau d'exigence élevé en matière de sécurité sanitaire et de qualité de l'alimentation, pour préserver la santé de nos élevages et la sécurité sanitaire. Face aux aléas que nous voyons venir et qui se multiplient, mieux vaut prévenir que guérir.
La loi de finances pour 2023 prévoyait une augmentation des moyens en matière sanitaire, portés à 665 millions d'euros, en hausse de 7 % par rapport à l'année précédente. Ces crédits ont permis de renforcer nos contrôles et la surveillance des dangers sanitaires, de lancer l'application des règles européennes que l'on connaît sous le nom de loi de santé animale et de mettre en place la police sanitaire unique de l'alimentation, dont mon ministère est désormais responsable.
Le troisième axe est l'investissement pour renforcer l'avenir de notre agriculture grâce à la formation et au renouvellement des générations. Nous venons d'évoquer l'exécution du budget de l'enseignement agricole. Pour le reste, je me contenterai de rappeler la place essentielle du compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural (CAS DAR ) dans le financement de l'innovation. Son plafond avait initialement été maintenu à 126 millions d'euros en 2023 mais des recettes excédentaires de 28 millions d'euros ont été constatées en fin d'année et renforceront notre action en 2024 grâce à leur report, notamment en matière de transition agroécologique, dont j'ai fait une priorité.
Face à l'ampleur des crises survenues en 2023, le Gouvernement a ouvert des moyens sans précédent en cours d'année pour accompagner nos agriculteurs. Alors que l'année 2022 avait déjà été marquée par une ouverture de crédits inédite, la loi de fin de gestion pour 2023 a atteint hélas un record en ouvrant 836 millions d'euros de crédits de paiement supplémentaires, dont 575 millions d'euros consacrés aux indemnisations des filières touchées par les conséquences de la guerre en Ukraine, aux pertes économiques des agriculteurs touchés par l' influenza aviaire et aux difficultés économiques des exploitations en agriculture biologique, et 276 millions d'euros pour faire face aux conséquences sanitaires de l' influenza aviaire et organiser en quelques mois une campagne de vaccination qui a été un vrai succès, permettant de vacciner 64 millions de canards dans 2 700 élevages. C'est très encourageant et la campagne se poursuivra évidemment en 2024.
À chaque crise, on me demande si le Gouvernement sera au rendez-vous : dans ces cas-là, je suis toujours à l'aise car les moyens supplémentaires que je viens d'énumérer démontrent que le Gouvernement a toujours été aux côtés de nos agriculteurs face aux crises qu'ils traversent.
À ce sujet, j'évoquerai brièvement le travail que nous menons au niveau européen pour faire évoluer les règles de minimis, auxquelles sont adossés plusieurs dispositifs qui se trouvent assez rapidement saturés lorsque les crises se succèdent. Le plafond des aides est fixé à 20 000 euros par entreprise sur trois exercices financiers, pour un total d'environ 900 millions d'euros. La succession des crises nous contraint à inventer des dispositifs d'urgence et j'ai bon espoir que nous parvenions à l'échelon européen à redevenir plus opérationnels.
L'orientation, la formation, la transmission, l'installation, la transition et l'adaptation au changement sont essentielles. C'est pourquoi nous avons fait le choix d'accorder dès 2024 des crédits supplémentaires, à hauteur de 1,3 milliard d'euros en autorisations d'engagement et de 750 millions d'euros en crédits de paiement, à la planification écologique. Orienter, former – en nombre et en compétences – et rendre possibles la transmission et l'installation : ce sont les objectifs du projet de loi d'orientation dont nous avons débattu comme des moyens budgétaires alloués en 2023 et dans le cadre du programme pluriannuel du développement agricole et rural (PNDAR) pour les années 2022 à 2027.