J'ai le rare privilège de pouvoir présenter ce point d'évaluation devant deux ministres. Le programme 143, Enseignement technique agricole, qui représente 2 % de la mission Enseignement scolaire – soit tout de même 1,5 milliard d'euros –, relève en effet du budget du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et non de celui l'éducation nationale et de la jeunesse.
L'enseignement technique agricole n'en revêt pas moins une importance particulière au regard de ses 200 000 élèves et apprenants à travers le pays, de ses 18 000 personnels du ministère de l'agriculture – dont de nombreux enseignants – et de ses 800 établissements un peu partout en France. J'ai eu l'occasion, dans le cadre de cette mission, de mener des auditions mais aussi de me déplacer dans une dizaine d'entre eux.
Dans nos lycées agricoles commence la transition démographique, dont nous avons beaucoup parlé dans le cadre du projet de loi d'orientation agricole (PLOA), mais aussi la transition écologique. À rebours de certains clichés en effet, j'ai rencontré des professeurs, des élèves et des apprenants animés par l'envie de faire mieux en matière de transition écologique et pleinement conscients du rôle économique de celle-ci dans l'aménagement des territoires ruraux.
Grâce à un maillage territorial très serré, l'enseignement technique agricole est présent partout, offrant à chaque élève la possibilité d'étudier l'agriculture – 60 % de ses établissements sont privés et 40 % publics. Ce maillage est une chance, même si les cartes de formation ne sont pas toujours complémentaires et qu'il existe parfois des doublons ; cela soulève la question de leur spécialisation, qui doit être traitée en lien avec les régions notamment.
J'aimerais partager avec vous un constat et trois grandes idées. Le constat, je l'emprunte à Lenny, 15 ans, élève au lycée agricole de Bouaye en Loire-Atlantique : alors qu'il était décrocheur au collège, il a trouvé au lycée des enseignants et des équipes généreux. Ce constat, qui ne doit pas invisibiliser les insuffisances et les améliorations possibles, reflète parfaitement l'état d'esprit qui prévaut dans l'enseignement agricole, marqué par l'innovation pédagogique et l'accompagnement humain.
Dans l'immense majorité des établissements, le climat scolaire semble apaisé. Alors qu'ils sont souvent en difficulté à l'origine, les élèves y « rattrapent le train » de l'école ; leur insertion professionnelle est quasiment garantie. Les difficultés sociales sont pourtant nombreuses, et le taux de boursiers important – en particulier, je tiens à le souligner, dans les établissements privés. La présence quasi- systématique d'internats accueillant une grande part des élèves enraye parfois le nivellement par le bas des comportements.
Dans ces établissements, les élèves décrocheurs trouvent un projet professionnel et rencontrent des professeurs et des personnels sachant s'adapter à leurs particularités. Ils découvrent un monde professionnalisant, un projet pédagogique tourné vers le concret, et voient s'ouvrir les perspectives de carrière. L'insertion professionnelle y est réussie, avec des taux avoisinant 90 % à l'issue du baccalauréat professionnel ou du brevet de technicien supérieur (BTS), contre 75 % à 80 % dans l'enseignement professionnel de l'éducation nationale.
Au-delà de ce constat plutôt élogieux, je veux aussi souligner un certain nombre de difficultés qu'il faudra résoudre pour garantir la souveraineté alimentaire de la France. L'enseignement agricole, d'abord, manque cruellement d'élèves alors qu'il a la possibilité d'en former davantage. Pour remédier au manque d'attractivité, l'enjeu de la communication est majeur. Notre façon d'appréhender l'enseignement agricole doit changer. Il faut répéter que l'on ne va pas dans un lycée agricole uniquement pour devenir agriculteur mais que l'on peut s'y préparer à des métiers divers : salarié agricole, infirmière, cuisinier, arboriculteur ou encore paysagiste. L'enseignement technique agricole, c'est l'école de la ruralité, de l'enracinement dans les territoires. Les agriculteurs de demain ont besoin de ce réseau de services autour d'eux pour s'installer durablement dans nos campagnes.
Il faut également multiplier les occasions fortuites d'orienter les élèves vers l'enseignement agricole – M. le ministre aura probablement à cœur de rappeler les avancées prévues par le PLOA à cet égard. De nombreux élèves, notamment lorsqu'ils ne sont pas issus du milieu agricole, disent en effet être arrivés accidentellement dans cette voie. Il m'a été suggéré à plusieurs reprises de profiter du fait que le service national universel (SNU) soit souvent accueilli au sein d'établissements agricoles pour axer davantage son contenu sur des thématiques liées à la nature, aux paysages et la souveraineté alimentaire.
Je voudrais aussi proposer quelques pistes d'actions concrètes pour les élèves dans la classe et hors de la classe. L'enseignement agricole doit s'adapter aux enjeux de demain, notamment économiques : les notions d'économie, de gestion d'entreprise et de connaissance des marchés sont abordées dans des formations très spécifiques, comme le BTS « analyse, conduite et stratégie de l'exploitation agricole » (ACSE), mais trop peu dans les formations plus générales et dans les niveaux infra-baccalauréat. Or ces connaissances sont essentielles pour s'adapter et comprendre les demandes d'un patron, lorsque l'on est en stage ou en apprentissage, mais aussi pour reprendre une exploitation, le cas échéant.
Les mutations du monde agricole entraînent aussi des mutations dans les techniques agricoles. La formation continue des enseignants doit être renforcée afin qu'ils puissent présenter, dans leurs cours, les évolutions du monde professionnel auxquelles les jeunes seront confrontées.
L'enseignement agricole compte également 26 000 collégiens de quatrième et de troisième. Souvent, ils viennent de milieux sociaux difficiles et ont été en décrochage scolaire dès la sixième ou la cinquième. Ils trouvent dans ce collège une solution pour ne plus être à la dérive. La collaboration avec l'éducation nationale se fait plus facilement au niveau du collège que du lycée, en particulier pour orienter vers ces établissements spécifiques les élèves qui ont besoin d'allier une formation professionnelle à des cours théoriques plus traditionnels.
Les élèves évoluent fréquemment en milieu professionnel, donc hors de la classe. Ils effectuent en effet des périodes de stage et d'apprentissage, notamment dans les maisons familiales rurales (MFR). Il faut encourager les chefs d'exploitation à accueillir des stagiaires ; on constate parfois que le lien est un peu distendu entre le monde professionnel et celui de l'enseignement agricole. Trop souvent, le logement constitue un critère pour choisir le stage dans la localité de l'établissement d'enseignement, alors que beaucoup de professeurs soulignent l'importance d'aller « voir du pays », dans une logique de compagnonnage. Cela nécessite de résider près de l'exploitation où se déroule le stage, or les possibilités de dormir à la ferme sont de plus en plus rares.
Enfin, la coopération internationale est très présente, en particulier grâce au programme Erasmus, qui permet à des jeunes parfois éloignés des enjeux internationaux de voyager et de découvrir certaines réalités européennes, liées notamment au monde agricole et au développement des territoires. J'ai entendu des témoignages émouvants d'élèves de l'enseignement agricole qui ont ainsi pu découvrir le monde.
Un mot sur les relations institutionnelles. Les régions financent les lycées et la formation relève de leurs compétences, elles sont donc un partenaire institutionnel privilégié des établissements agricoles. Or elles ont une connaissance inégale du secteur et on constate des disparités entre les investissements consentis.
Pour conclure, je veux insister sur le fait que l'enseignement agricole participe à la transition. Il a inventé, il y a longtemps déjà, l'école du futur, grâce à de nombreuses innovations pédagogiques. Il donne de l'espoir à toute une partie de la jeunesse du pays, en lui offrant des trajectoires. Il mérite qu'on parle de lui.