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Intervention de Pascal Lecamp

Réunion du mercredi 29 mai 2024 à 22h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Lecamp, rapporteur spécial :

J'ai le plaisir de vous présenter maintenant mes observations sur l'articulation de l'assurance privée et du régime public d'indemnisation des exploitants agricoles subissant des pertes de récolte depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2023, de la loi du 2 mars 2022 communément appelée loi « assurance récolte ». Je tenais à évaluer, dès sa première année et sous un angle prioritairement financier, la mise en œuvre de cette réforme à laquelle je crois beaucoup – dans laquelle j'avais même dit voir une « révolution » –, même si un tel calendrier pose des limites dans l'analyse.

D'abord, il me faut rappeler pourquoi un changement était nécessaire. Mon prédécesseur, M. Hervé Pellois, ayant parfaitement décrit la situation en 2020, je vais me permettre de le citer : « Une offre d'assurance privée s'est mise en place dès le début du XIXe siècle, mais elle concernait surtout le risque de grêle » ; « la création en 2005 de l'assurance multirisque climatique (MRC), qui couvre à la fois la grêle, le gel, l'inondation, la sécheresse et la tempête », s'était traduite par une diffusion qui « varie fortement d'une filière à l'autre, avec par exemple 31 % pour les grandes cultures et la viticulture, ou 20 à 25 % pour les légumes de plein champ, mais seulement 3 % pour l'arboriculture et 1 % pour les prairies » ; « souvent, les agriculteurs ne s'y intéressent qu'après un coup dur, pour se désengager à la fin d'une bonne année », comme c'est un peu le cas cette année ; « faute d'avoir un nombre suffisant de clients, donc de pouvoir diluer les risques, les assureurs […], pour préserver leur rentabilité, augmentent donc leurs tarifs, ce qui n'attire pas de nouveaux exploitants. »

À ce cercle vicieux de l'offre privée s'ajoutait un circuit public dysfonctionnel de l'indemnisation par le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), créé en 1964 et remodelé en 2010. Outre une double taxe lui était affectée avec un taux et un plafond qui ont régulièrement évolué au gré des arbitrages budgétaires, ce qui n'est bon ni pour la visibilité des parties prenantes, ni pour la constitution, en cas de clémence du climat, d'une trésorerie, le FNGRA recevait une subvention de l'État donnant lieu à des surexécutions que les rapporteurs spéciaux et généraux successifs de notre commission, y compris notre rapporteur général Cazeneuve l'année dernière, ont qualifiées de « spectaculaires » : de 2017 à 2022, les taux ont été, en arrondissant, de 2 648 %, 1 613 %, 1 640 %, 3 370 %, 14 367 % et 13 443 %. L'explication officielle était que les aléas sont imprévisibles, ce qui est plus vrai s'agissant de leur montant que de leur occurrence. Officieusement, cela permettait de n'inscrire en début d'année que 5 à 9 millions d'euros pour respecter les normes des finances publiques. Je ne blâme ici, bien sûr, aucun des anciens responsables de votre portefeuille, monsieur le ministre.

Le nouveau régime mixte a trois étages : pour les risques faibles, une auto-assurance, grâce à l'investissement dans les équipements de prévention et de protection et à l'innovation dans les pratiques culturales et les choix variétaux ; pour les risques d'intensité moyenne, une assurance privée prise en charge par la puissance publique à hauteur de 70 % des primes ; pour les risques catastrophiques, le FNGRA, pour lequel a été prévue, à la suite d'un engagement personnel du Président de la République, une enveloppe de 560 millions d'euros dès la loi de finances initiale pour 2023, puis 580 millions d'euros en 2024, et enfin 600 millions d'euros à partir de 2025, sans naturellement oublier, dès qu'il le faut – avec la réactivité que tout le monde reconnaît et apprécie de la part de vos services – des abondements en cours de gestion.

L'assurance – subventionnée, je le rappelle – se déclenche pour les pertes dépassant 20 % du rendement, contre 35 % dans la plupart des cas avant la loi de 2022. L'indemnité de solidarité nationale (ISN) intervient à partir de 30 % ou 50 %, suivant les risques. Un point très important est qu'elle couvre désormais 90 % des pertes dépassant ce seuil pour les agriculteurs ayant souscrit une assurance, mais seulement 45 % en 2023, puis 40 % en 2024 et 35 % en 2025 pour ceux qui ne l'ont pas fait. Je soutiens ce mécanisme gagnant-gagnant : un meilleur partage du risque favorise une plus grande profitabilité pour les assureurs mais, surtout, une diminution des cotisations pour les exploitants et par conséquent une moindre mobilisation de l'argent des contribuables.

L'enveloppe de 560 millions d'euros du FNGRA se répartit ainsi : 255 millions d'euros pour le programme 149, soit environ cinquante fois plus qu'auparavant, 120 millions d'euros de fiscalité affectée, soit le double, et 184,5 millions du second pilier de la politique agricole commune – ah, cette fameuse Europe ultralibérale et austéritaire que certains dans cette salle combattent avec acharnement, en particulier en ce moment de campagne pour les élections européennes ! La première année d'application de la réforme de MM. Julien Denormandie et Frédéric Descrozaille ayant été assez peu sinistrée, la dépense du programme 149 n'aura été que de 110 millions d'euros et celle du FNGRA de 188 millions d'euros au titre de calamités antérieures et de 20 millions d'euros au titre de la nouvelle ISN. Pourriez-vous, Monsieur le ministre, nous dire où en est le programme 149 pour 2024 ?

Parmi les douze compagnies d'assurances habilitées, deux – Groupama et Pacifica, filiale du Crédit agricole – occupent 70 % du marché. Entre la fin de 2022 et la fin de 2023, le taux de diffusion rapporté aux surfaces est passé de 31,7 % à 35,2 % pour les grandes cultures et les légumes, de 32,5 % à 37,4 % pour les vignes, mais surtout de 1,4 % à 10,7 % pour l'arboriculture et de 0,5 % à 9 % pour les prairies. En moyenne, la surface couverte est passée de 31,4 % à 35 % hors prairie et de 17,4 % à 23,2 % avec ces dernières. Cette hausse d'un tiers de la surface couverte en un an est un très bon résultat.

En réponse à mon questionnaire, la Caisse centrale de réassurance, qui abrite le FNGRA pour le compte de l'État, m'écrit : « en 2024, la réforme peine à renouveler la dynamique de l'an passé, avec un volume d'affaires qui serait en train de stagner, voire de diminuer légèrement ; les causes affichées sont la crise agricole de début d'année et la relative faiblesse de la sinistralité enregistrée en 2023, ayant permis aux éleveurs, notamment, de reconstituer leur socle de fourrage ».

Monsieur le ministre, qu'envisagez-vous pour retrouver le même élan et atteindre les cibles que le législateur a fixées d'ici à 2030, à savoir 60 % d'assurance dans les grandes cultures, les légumes et les vignes et 30 % dans l'arboriculture et les prairies ?

On constate un retard dans la mise en place d'une part du réseau des interlocuteurs agréés, c'est-à-dire du mandat confié aux assureurs d'avancer à leurs clients les sommes de l'ISN afin de soulager au plus vite la trésorerie des fermes sinistrées, et d'autre part du groupement d'intérêt économique des assureurs et des réassureurs. Le cadre initial n'a pas été tenu. Pourriez-vous, Monsieur le ministre, indiquer à la commission les raisons de ce décalage, l'état d'avancement de la constitution du groupement d'intérêt économique devant l'Autorité de la concurrence et l'horizon précis envisagé ?

À l'occasion de mes visites de terrain et des auditions conduites à l'Assemblée, deux difficultés reviennent systématiquement.

En premier lieu, la fréquence et l'intensité de plus en plus aiguës des aléas minent la pertinence de l'alternative entre le calcul de la variation des rendements sur les trois dernières années ou sur la moyenne dite olympique, c'est-à-dire les cinq dernières années dont on enlève la meilleure et la moins bonne.

Certaines structures représentatives appellent de leurs vœux un allongement, mais on voit bien les problèmes économiques que cela poserait.

En deuxième lieu, l'évaluation du préjudice sur les fourrages repose sur un indice produit par la branche satellitaire d'Airbus, dont j'ai eu l'occasion de découvrir les locaux à Toulouse au printemps dernier. Le très fort attachement des entreprises d'assurance pour cet outil n'a d'égal que la défiance qu'il suscite chez les agriculteurs, persuadés qu'il n'est pas du tout fiable pour mesurer la pousse de l'herbe et n'a aucune finesse géographique. Parlons concrètement, certains y voient même une arnaque. Que pensez-vous de ce casse-tête ?

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