Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 21 juin 2023 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission entend M. Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques, et MM. Laurent Bach, Arthur Guillouzouic et Clément Malgouyres, sur la note n° 92 de l'Institut : Quels impôts les milliardaires paient-ils ?

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Mes chers collègues, nous auditionnons les auteurs de la récente note de l'Institut des politiques publiques (IPP) intitulée « Quels impôts les milliardaires paient-ils ? », réalisée notamment avec des données transmises par le ministère de l'économie et des finances.

Il s'agit d'un travail d'analyse précis des foyers se situant dans le centile le plus élevé de la population française et de la manière dont ils sont traités fiscalement. Compte tenu des données fournies par Bercy, cette étude est historique, ou à tout le moins inédite. La démonstration est claire et a le mérite d'être scientifiquement prouvée. Dès lors que l'on prend en compte au titre des revenus des ménages, les revenus non distribués mais bien contrôlés par les ménages au sein des 0,1 % des foyers fiscaux les plus riches, le taux d'imposition global devient régressif, passant de 46 % pour les 0,1 % les plus riches à 26 % pour les 0,0002 % les plus riches, que l'étude appelle « les milliardaires ».

Les quatre auteurs de la note sont présents pour présenter et discuter de ce travail. Il s'agit de MM. Antoine Bozio, Laurent Bach, Arthur Guillouzouic et Clément Malgouyres.

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Laurent Bach, professeur associé de finances à l'Essec Business School, responsable du programme « Entreprise » à l'Institut des politiques publiques (IPP)

Ce travail universitaire a effectivement été réalisé à quatre, mais nous avons conscience que cette question intéresse la représentation nationale. Dans son article 13, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen indique que « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » La question de la répartition du paiement des impôts en raison des facultés des citoyens est ainsi fondamentale pour le législateur, depuis plusieurs siècles.

Cependant, cet article ne résout pas cette question de manière précise. En particulier, il n'indique pas quel est le niveau de progressivité idéal dans la société, ni comment le mesurer. Or la mesure de la progressivité effective du système fiscal constitue bien un enjeu des débats récurrents de l'équité devant l'impôt. Ces interrogations sur la contribution des grandes fortunes au financement public existent aussi à l'étranger, notamment aux États-Unis.

Notre étude est un projet de recherche pour éclairer les débats : l'IPP ne défend pas de parti pris normatif sur le bon niveau de progressivité du système fiscal. L'objectif de l'IPP est ainsi d'apporter une mesure précise et fiable de la progressivité, d'identifier les mécanismes sous-jacents permettant d'expliquer pourquoi le taux d'imposition augmente avant de baisser à partir d'un certain seuil et d'aider les législateurs et les citoyens à choisir les pistes de réforme qui permettent d'atteindre au mieux les objectifs normatifs qu'ils se sont fixés.

Le projet de recherche a été particulièrement long. Il a débuté dans le cadre d'une commande du comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital en 2019, dont l'objectif était de mesurer l'impact des réformes votées en 2017 sur le tissu productif français. En matière de données, un apport essentiel consistait à pouvoir relier les niveaux d'imposition personnels, notamment des actionnaires, aux entreprises qu'ils contrôlent.

Il a donc fallu construire un appariement entre les données d'impositions personnelles des ménages et les feuilles d'impôts des entreprises qu'ils contrôlent pour pouvoir répondre à cette question. En 2021, un premier rapport a été réalisé pour le comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital pour mesurer l'impact de la suppression de l'ISF sur l'investissement des entreprises.

La deuxième phase a débuté par la rédaction d'un article scientifique. En juin 2022 ont eu lieu les premières présentations scientifiques des travaux liminaires sur la progressivité fiscale dans des cadres très restreints. Désormais, les travaux sont les résultats de plus amples discussions et extensions, menant à une communication publique à partir du mois de juin 2023.

Les données à partir desquelles nous avons travaillé sont exceptionnelles, car traditionnellement, il n'y a pas de lien automatique établi entre les actionnaires des entreprises qui déposent des déclarations d'impôt sur les bénéfices des sociétés (IS) et les ménages qui déposent des déclarations personnelles d'impôt sur le revenu (IR). Nous nous sommes concentrés sur les actionnaires de référence, que nous avons reliés aux feuilles d'impôts personnelles.

Cet appariement s'est déroulé selon une procédure très cadrée, qui respecte la protection des données personnelles au plus haut point. À aucun moment, nous n'avons vu la moindre feuille d'impôts nominative. Peu de pays au monde disposent de telles données : la France rejoint ici la Norvège et la Suède, les deux seuls pays ayant également effectué cet exercice. Nous avons commencé nos travaux à une période où les données les plus récentes dataient de 2016 et nous n'avons pas pu les étendre au-delà de cette date pour le moment, compte tenu de la charge que représente le traitement juridique et technique des données.

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Clément Malgouyres, professeur associé au Centre de recherche en économie et statistique (CREST), chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et chercheur à l'IPP

Mon propos se concentrera sur la méthodologie adoptée dans notre travail. Notre étude a pour objet de mesurer la progressivité du système fiscal, c'est-à-dire le fait que le taux moyen d'imposition par rapport à la capacité contributive augmente avec celle-ci.

Pour mesurer la capacité contributive, il faut choisir une mesure du revenu qui reflète la capacité contributive des contribuables. Ici, nous avons retenu la métrique du revenu réalisé et contrôlé par les foyers fiscaux, ce qui implique de ne pas intégrer le revenu latent (par exemple les plus-values latentes) ou un revenu sans une forme de contrôle sur sa possible utilisation (par exemple les profits non distribués de sociétés de la part de petits porteurs).

Il s'agit donc d'un ensemble de revenus, plus large que le revenu fiscal, mais qui repose sur des revenus réalisés et qui ont déjà eux-mêmes fait l'objet de taxes existantes. Cette mesure des revenus est effectuée au niveau du foyer fiscal.

Nous présentons deux concepts du revenu : le revenu fiscal et le revenu économique contrôlé par les foyers fiscaux. Le revenu fiscal de référence (RFR) est la mesure habituelle des revenus soumis à l'impôt sur le revenu, soit un revenu net des cotisations sociales.

Le revenu économique contrôlé par les foyers fiscaux est quant à lui constitué de la manière suivante : nous ajoutons au revenu fiscal deux types de revenus non imposés à l'IR, d'une part les cotisations sociales non-contributives pour obtenir un revenu d'activité brut ; et d'autre part, les profits non distribués des sociétés contrôlées par les foyers fiscaux au prorata de leur part de détention. Nous effectuons donc une sorte de consolidation du revenu de l'actionnaire et de celui des sociétés contrôlées. Cette définition permet d'être moins sensible au traitement fiscal des bénéfices et de rendre plus comparables les mesures de revenus. En effet, dans certains pays comme les États-Unis, une grande partie des revenus des sociétés est imposée à l'IR et apparaît donc dans le revenu fiscal. C'est beaucoup moins le cas en France. Cette mesure du revenu économique est donc moins sensible au contexte institutionnel et favorise les comparaisons entre les pays et dans le temps.

Les cotisations contributives (retraite et chômage) sont exclues, car elles financent des prestations déjà incluses dans le revenu fiscal et économique. Enfin, le contrôle des revenus des sociétés est mesuré comme le fait d'être un actionnaire de référence (détention supérieure à 10 % des parts d'une entreprise), ou comme le fait d'être réputé avoir une position de contrôle de la société.

La distribution du revenu fiscal et du revenu économique montre que ce dernier est plus large (33 000 euros en moyenne, contre 26 000) et que cet écart est assez stable en proportion, jusque très haut dans la distribution. En revanche, quand on rentre dans le top 0,1 %, puis dans le top 0,001 %, on constate une divergence, où les revenus économiques sont largement supérieurs au revenu fiscal. Cela reflète le fait que ces revenus sont très concentrés, mais aussi que les individus qui disposent des revenus économiques plus élevés ont des sociétés qui ont des propensions plus faibles à distribuer des dividendes et donc à faire apparaître une partie de leurs bénéfices dans le revenu fiscal des actionnaires.

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Arthur Guillouzouic, chercheur à l'IPP

Il existe deux mesures du taux d'imposition directe. Il s'agit d'abord du taux d'imposition directe par rapport au revenu fiscal : l'impôt sur le revenu, l'impôt de solidarité sur la fortune (dans sa forme de 2016) et les prélèvements sociaux, c'est-à-dire la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).

Il s'agit d'autre part du taux d'imposition directe par rapport au revenu économique, pour lequel on rajoute à ces trois impositions les cotisations sociales non contributives (maladie, famille) et l'impôt sur les sociétés sur les profits contrôlés par les foyers fiscaux. En revanche, pour des questions de disponibilité des données ou de précision des informations dont nous disposons, nous omettons la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), la taxe foncière, la taxe d'habitation et les impôts de production.

Nous nous intéressons aux 10 % des foyers fiscaux dont le RFR est le plus élevé, que nous découpons en dix parties. Le dernier centième est ensuite découpé en dix, pour obtenir des millièmes. Le dernier millième le plus riche est ensuite lui-même découpé en dix parties.

Quand on se restreint au revenu fiscal, principalement sous l'effet du barème progressif de l'IR et dans une moindre mesure sous l'effet du barème progressif de l'ISF, on observe que le système fiscal en fonction du RFR est progressif, jusqu'à atteindre 46 % quand on arrive au sein du millième le plus riche de la population.

Quand on s'intéresse au revenu économique, on atteint des taux à l'entrée du top 10 % autour de 30 %. Ce taux augmente jusqu'au millième le plus riche (37 000 foyers fiscaux), où il se situe autour de 46 %. C'est seulement quand on rentre dans les 15 000 foyers fiscaux les plus riches en termes de revenu économique que ce taux d'imposition commence à décroître, du fait de la dégressivité de l'IR et des prélèvements sociaux au sein de cette population. Arrivé dans les 75 foyers fiscaux dont les revenus économiques sont les plus élevés, l'IS est la seule imposition réellement acquittée. Si on appliquait la progressivité des impositions personnelles à l'ensemble des revenus – et donc sans tenir compte de la dissociation entre les revenus des sociétés et les revenus des personnes –, on atteindrait un niveau d'imposition d'environ 58 à 59 % en haut de la distribution.

Les résultats clés sont de deux ordres. D'une part, l'imposition directe globale est progressive jusqu'à des hauts niveaux de revenus économiques : le taux d'imposition est croissant jusqu'au millième dont le revenu économique est le plus élevé (soit un revenu économique de 627 000 euros). De plus, 50 % des foyers du top 0,1 % paient une imposition directe élevée, autour de 45 % de leur revenu économique.

D'autre part, le système devient régressif au-delà de ce seuil, c'est-à-dire tout en haut de la distribution des revenus, avec le passage d'un taux moyen de 46 % à 26 % entre l'entrée du top 0,1 % et le top 0,0002 %. Les impôts personnels (IR, CSG-CRDS, ISF) deviennent très régressifs dans le haut de la distribution du revenu économique et l'impôt sur les sociétés est le principal impôt acquitté par les « milliardaires ».

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Laurent Bach, professeur associé de finances à l'Essec Business School, responsable du programme « Entreprise » à l'Institut des politiques publiques (IPP)

En conclusion, il convient de comprendre les mécanismes en jeu. Traditionnellement, le taux d'imposition sur les sociétés était très proche du taux supérieur de l'IR en France, soit 50 %, jusqu'au milieu des années 1980. Dans ces conditions, l'intérêt à ne jamais se distribuer ses revenus était très faible. Mais les dispositifs de rattrapage de l'IR ont baissé en même temps que l'IS : ce dernier a suivi la baisse des droits de donation, notamment sur les parts sociales, mais aussi l'accroissement du nombre d'abattements sur les plus-values taxables.

En réalité, nos résultats incluent au numérateur les droits perçus sur les plus-values réalisées, l' exit tax et les impôts payés sur les dividendes effectivement distribués. La seule chose que nous ne sommes pas en mesure de calculer et que nous devons simuler est le paiement des droits de donation potentiels sur ces revenus non distribués. En effet, les données n'existent pas : nous ne pouvons pas relier les droits de donation payés par les individus aux feuilles d'impôts personnelles. Cette simulation réaliste prend en compte les dispositifs d'exonération disponibles, notamment pour les parts sociales.

Par conséquent, il faut comprendre que ce mécanisme est récent, il y a environ une trentaine d'années. La concurrence fiscale dans tous les pays a permis en quelque sorte de bénéficier de taux effectifs plus bas lorsque l'on peut loger ses revenus dans des holdings. Il ne s'agit pas de dire que la France est plus un paradis fiscal que ses voisins en Europe : si l'on faisait la même étude dans d'autres pays européens, les résultats seraient probablement similaires.

Ensuite, cela signifie que certaines solutions régulièrement évoquées s'avèrent en réalité ineffectives. Le débat porte traditionnellement en France sur les taux d'imposition personnels, en faisant comme si la partie relative aux sociétés n'existait pas. Si l'on augmente les taux du barème de l'imposition sur le revenu, ce qui a été réalisé par exemple en 2013, les comportements de distribution vont être modifiés. En 2013, lorsque le taux d'imposition sur les dividendes a été augmenté, les reports ont à nouveau explosé et les distributions se sont interrompues de manière si ample que cela a été perçu en comptabilité nationale. Cette option ne fonctionne donc pas si on ne change pas la base.

L'option de l'ISF a également été proposée, en partant du principe qu'il vaut mieux taxer le patrimoine que les revenus pour les très hauts revenus, puisqu'on le mesure mieux. Le problème tient au fait que le patrimoine est plus difficile à liquider que les revenus non distribués. Et le juge constitutionnel a régulièrement écarté l'intégration dans le périmètre du plafonnement des revenus latents et donc non disponibles pour leurs bénéficiaires.

Il convient donc de raisonner au niveau des sociétés et de comprendre les options possibles pour faire en sorte que les revenus logés dans les holdings subissent une imposition plus importante. Aux États-Unis, il est beaucoup moins intéressant d'organiser des holdings intermédiaires. De fait, les grands entrepreneurs ne mettent pas en place ce genre d'organisation car il existe une surtaxe spécifique sur les holdings à visée purement financière. Par conséquent, cet impôt dissuasif permet d'empêcher le système des holdings intermédiaires.

On pourrait penser mettre en place une taxe similaire en France, mais cela ne respecterait pas une directive européenne bien établie sur la non-taxation des dividendes « mère-fille ». Cette directive s'est d'ailleurs inspirée d'une disposition française en place depuis les années 1920. Le droit européen a donc suivi le droit français : il existe une tradition française de ne pas taxer les holdings mère-fille.

La solution la plus ambitieuse consisterait à mettre en transparence fiscalement les revenus des sociétés contrôlées par les actionnaires qui contrôlent la politique de distribution de ces entreprises. Ce système est d'ailleurs déjà en place, y compris en France, pour les sociétés de personnes. Dans un tel système, la question consiste à définir le niveau de contrôle effectif requis pour qu'un bénéfice de société soit réputé être un revenu dont dispose le foyer fiscal actionnaire. Il existe donc des questions de mise en place que nous ne prétendons pas résoudre : nous voulons simplement mettre sur la table les options qui n'ont pas fonctionné, les options utilisées dans d'autres pays et les options potentiellement utilisables sous réserve de conditions, en France.

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Antoine Bozio, directeur de l'IPP, maître de conférences à l'EHESS et professeur associé à PSE

L'IPP ne cherche pas à prescrire le bon taux de progressivité ou le bon taux d'imposition. Cette prérogative relève de la représentation nationale. Notre rôle consiste à documenter précisément la façon dont l'ensemble de notre système fiscal fonctionne, afin d'éclairer les choix, en indiquant les instruments qui permettent d'atteindre les objectifs établis.

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Votre étude est particulièrement intéressante. Tout d'abord, on observe, pour les plus riches de nos concitoyens, la porosité entre les revenus professionnels et les revenus personnels. Ensuite, le débat n'est pas tant entre ceux qui voudraient augmenter les impôts et ceux qui voudraient les diminuer. Simplement, il s'agit de se demander pourquoi le système devient régressif tout en haut de l'échelle, alors que l'on pourrait intuitivement penser l'inverse.

En outre, ce phénomène conduit à deux conséquences possibles : d'une part, le problème du consentement à l'impôt pour tous ceux pour lesquels il n'est pas régressif ; et d'autre part celui des recettes perdues par l'État. Lorsque nous vous avions rencontré avec M. le rapporteur dans le cadre de notre mission d'information sur les différentiels de fiscalité entre entreprises, vous nous aviez en outre indiqué que l'IS est le principal impôt payé par les milliardaires.

Votre étude se fonde sur l'année 2016. Depuis 2016, nous avons assisté à une baisse de l'impôt sur les sociétés et plusieurs mesures ont été prises pour avantager les revenus du capital, dont notamment la flat tax. Pensez-vous que ce différentiel s'est aggravé depuis 2016 ?

D'autre part, vous suggérez de taxer les revenus non distribués des holdings à l'IR ou de mettre en transparence les revenus des sociétés non distribués. Cela suffirait-il pour rétablir une réelle progressivité de la fiscalité des plus hauts revenus ? Ne faudrait-il pas combiner cela avec une révision des taux marginaux d'imposition des plus hauts revenus ?

Vous indiquez par ailleurs que la France n'est pas un paradis fiscal pour les milliardaires, compte tenu de l'environnement international. Faut-il en déduire un risque de fuite des foyers fiscaux vers l'étranger dans l'hypothèse où le système fiscal français corrigerait la dégressivité actuelle de l'imposition des revenus les plus fortunés ?

Enfin, quelles seraient les recettes supplémentaires disponibles ? Vous soulignez que le taux d'imposition effectif des 75 milliardaires les plus riches de France est de 26,2 %. Selon le journal Libération, si les 75 plus grandes fortunes françaises voyaient l'ensemble de leurs revenus soumis à l'IR, ils paieraient près de 16 milliards d'euros d'impôts supplémentaires. Ce montant s'élèverait à 18,5 milliards pour les 150 ménages les plus riches et à 35,3 milliards supplémentaires pour les 10 % de ménages les plus aisés.

La Cour des comptes révèle qu'en 2027, grâce à la réforme des retraites, l'économie nette sera légèrement supérieure à 7 milliards. De son côté, Bruno Le Maire a annoncé la volonté de l'État de réaliser 10 milliards d'économies sur les dépenses publiques. M. Pisani-Ferry estime qu'il faudrait 66 milliards d'euros supplémentaires pour financer les investissements dans le cadre de la transition écologique, dont la moitié d'investissements publics. Pouvez-vous réagir aux montants que je viens d'évoquer ?

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Je vous remercie pour votre présentation. Je salue d'abord la grande qualité de ce travail universitaire qui développe une approche nouvelle de notre fiscalité. Je vous remercie également pour les précautions méthodologiques que vous avez soulignées.

Ce travail important de l'IPP a d'abord été rendu possible par la qualité des statistiques fiscales françaises et l'accès aux données de la direction générale des finances publiques (DGFIP). Il faut donc saluer cette transparence et le travail des services de l'État. Votre travail fournit un apport substantiel à la compréhension que chacun peut avoir de notre système fiscal. En cela, vous faites œuvre utile pour le débat public et vous nous laissez le choix des conclusions.

Vous confirmez que l'impôt français est extrêmement progressif, sur les grandes masses. Ensuite, vous nous indiquez que la France n'est pas un paradis fiscal. Je rappelle ainsi que 10 % de nos concitoyens payent 70 % de l'impôt sur le revenu et que son taux marginal s'élève à 58 %. Dans votre document, vous soulignez par ailleurs que l'ISF n'est pas une solution de progressivité et qu'il ne permet pas de toucher les personnes les plus fortunées.

Vos travaux montrent que les profits non distribués sont très concentrés sur le haut de la distribution des revenus, beaucoup plus que les travaux de l'Insee ne le laissaient penser jusqu'à présent. Nous savons que les profits non distribués ne sont pas directement fiscalisés à l'IR des actionnaires. Cependant, ils supportent bien l'impôt sur les bénéfices des sociétés. Contrairement à ce qu'a dit Gabriel Zucman devant notre commission, les milliardaires français ne payent pas 2 % d'impôt sur leurs revenus, compte tenu de l'IS. Ils payent en réalité 26 % sur les sommes qui résultent de leur activité.

Toutefois, la fraction de revenu que l'étude ajoute pour constituer le « revenu économique » ne présente pas la même disponibilité ou liquidité que les revenus courants habituellement appréhendés. Comment imposer des sommes qui sont maintenues au sein des entreprises et déjà frappées par l'IS ? Les profits non distribués ont d'ailleurs d'abord vocation à être réinvestis et donc à être à nouveau imposés en alimentant le circuit économique. Surtout, ils ont vocation à supporter un impôt personnel à moyen ou long terme, lorsqu'interviendra une distribution de dividendes, une cession ou une transmission par donation ou succession.

La question que vous posez est en quelque sorte la suivante : faut-il fixer l'impôt sur les sociétés à un niveau plus important afin d'augmenter l'imposition de ces milliardaires français ou faut-il fixer l'IS en fonction de ce nous souhaitons faire en matière d'activité économique ? Il faut en effet veiller à ne pas pénaliser l'activité et l'investissement, pour « attraper » quelques milliardaires.

Cela soulève d'emblée un paradoxe. Certains s'offusquent ici des montants importants de dividendes distribués par nos entreprises. Mais lorsqu'un dividende est distribué, il est taxé. Votre étude montre qu'un profit non distribué n'est pas immédiatement taxable à l'IR. Or on ne peut pas crier au loup à la fois quand les profits sont distribués et quand ils ne le sont pas. Il faut donc probablement choisir son combat. Certaines oppositions nous ont indiqué qu'il y avait beaucoup trop de dividendes en France, mais ceux-ci sont taxés à l'IR !

Votre étude se fonde sur les données fiscales de 2016, alors que la réforme de la fiscalité opérée par la loi de finances pour 2018 a conduit à un fort accroissement de la distribution de dividendes. Ne faudrait-il pas en tenir compte pour apprécier l'imposition effective des plus riches ? Quel impact a eu la réforme de la flat tax ?

Ensuite, je suis surpris par les hypothèses que vous avez retenues concernant l'imposition des successions-donations, dont vous considérez qu'elle augmente de quatre à cinq points les prélèvements tout en haut de la distribution des revenus. Vous vous situez ici dans le cas le plus favorable, en partant du postulat que les titres sont entièrement transmis en bénéficiant d'un mécanisme Dutreil à 75 %, en plus de la déduction de 50 % de donation en pleine propriété avant 70 ans. Or, en l'absence de ce dispositif de faveur, l'imposition totale peut culminer à 71 %. En conséquence, vous vous situez dans une hypothèse très minimaliste d'imposition de ce point vue. Avez-vous des données qui vous permettent de savoir dans quel cas le dispositif Dutreil est effectif ou non dans ces catégories de revenus ?

J'ajoute que vous ne tenez pas compte du fait que, pour acquitter des droits de donation et de succession, il faut rajouter l'impôt sur les distributions, c'est-à-dire sur les dividendes ou les cessions de titres nécessaires pour payer ces droits. Êtes-vous donc certains que votre étude tient compte de façon réaliste des effets de ces prélèvements futurs ? Ne serait-il pas utile de proposer une valeur actualisée de ces prélèvements, afin de comparer les effets d'un prélèvement immédiat par rapport à un prélèvement différé dans le temps ?

Enfin, concernant le cadre fiscal favorable au transfert des profits dans les holdings, vous notez que nous n'offrons pas aux grandes fortunes françaises une situation plus avantageuse que nos voisins. Vous citez le cas facialement plus sévère des États-Unis, mais il ne fait pas de doute que les milliardaires américains sont très peu imposés, ce qui montre que l'enjeu n'est pas principalement celui du montage sociétaire. En mettant de côté la remise en cause du fonctionnement des holdings, identifiez-vous d'autres leviers fiscaux plus praticables pour contrôler un peu plus les profits non distribués, en conciliant le mieux possible les exigences de sécurité juridique, d'efficacité économique et de redistribution ?

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Je précise que Gabriel Zucman nous a indiqué lors de son audition que le taux d'imposition effectif sur l'IR des 0,001 % est de 2 %.

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Antoine Bozio, directeur de l'IPP, maître de conférences à l'EHESS et professeur associé à PSE

Les données utilisées concernaient bien l'année 2016, c'est-à-dire avant l'ensemble des réformes sur la fiscalité du capital mises en place en 2017. Nous avons commencé ces travaux dans le cadre du comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital. Nous avons choisi 2016 pour pouvoir avoir une chance de mesurer ces réformes à l'aune de la manière dont les ménages et les entreprises potentiellement touchées par ces réformes auraient pu réagir. Nous travaillons avec la DGFIP pour pouvoir étendre cet appariement à des années plus récentes. Il s'agit là aussi d'un travail long, qui prend du temps, pour obtenir une mesure des évolutions.

La mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) est intervenue, avec un taux plus faible d'imposition sur les revenus du capital, et elle a induit un changement dans la distribution des profits. En réaction au PFU, il y a eu un afflux de distribution de dividendes. À la fin, il pourrait donc y avoir un effet double où les revenus non distribués seraient plus apparus sur la feuille d'imposition du revenu – dans ce cas, le taux d'imposition à l'IR augmente –, alors même que l'ensemble des revenus seraient taxés à un taux plus bas.

L'autre mesure qu'il faut avoir en tête concerne le changement de l'impôt sur les sociétés. Ici encore, les effets peuvent être assez variables. Les données chiffrées sur l'importance de cette imposition pour les plus hauts patrimoines peuvent entraîner un effet à la baisse du taux global. Cependant, au sein des profits non distribués, une grande partie est réalisée à l'étranger et donc taxée à l'IS à l'étranger. On pourrait donc voir un mécanisme de substitution entre des profits qui étaient au préalable « shiftés » dans des profits à l'étranger et qui ont pu être « reshiftés » au sein des profits taxés en France, et avoir in fine un effet positif sur les impôts payés en France.

Il sera essentiel de regarder ces données, car il n'est pas évident de savoir dans quelle mesure les réformes sur la fiscalité du capital, parce qu'elles touchent des foyers fiscaux dont une partie des revenus sont très largement des revenus de profit international, les ont conduits à réagir aux modifications. Je suis d'accord sur la nécessité de faire ce travail avec des données plus récentes, pour voir de manière plus complète quelle est l'importance de ces éléments.

Ensuite, M. le président, vous nous avez interrogés sur les risques de fuite à l'étranger si le législateur taxe ces ménages de manière beaucoup plus importante. Il existe peu d'éléments robustes sur la sensibilité de ces ménages à la localisation, mais je ne peux pas vous dire que le risque est nul. Les pays voisins ont des taux d'imposition qui peuvent être faibles pour ces cas-là. La question de la sensibilité à des taux d'imposition reste donc ouverte.

La raison pour laquelle l'IPP n'a pas communiqué sur un chiffrage potentiel de la réincorporation de l'ensemble de ces revenus dans un impôt progressif personnel tient au fait que nous ne sommes pas en mesure de donner l'ampleur des réactions comportementales de délocalisation et de modifications patrimoniales qui viendraient minorer le chiffre de recettes fiscales. Il est essentiel de ne pas mettre dans le débat public des éléments qui seraient faux. En revanche, il est exact qu'un petit nombre de foyers fiscaux contrôlent une partie importante de l'activité économique et donc des profits générés. On ne peut donc pas nier l'importance économique, mais aussi l'importance potentielle de la chose en termes de recettes fiscales.

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Laurent Bach, professeur associé de finances à l'Essec Business School, responsable du programme « Entreprise » à l'Institut des politiques publiques (IPP)

Je tiens à évoquer également le risque de départs à l'étranger. Notre étude montre qu'une grande partie des impôts payés par les plus fortunés le sont au niveau des sociétés. Tant que la société ne quitte pas la France, elle continue à payer un IS sur le territoire national. La question consiste à savoir combien de recettes au titre des impositions personnelles sont perdues quand ces actionnaires éventuels changent de résidence fiscale personnelle. La question se pose avec plus d'acuité dans le cas où les sociétés qu'ils contrôlent changent de domiciliation, pour être logées à l'étranger. Il faut donc bien distinguer la résidence personnelle de la résidence fiscale des sociétés.

M. le rapporteur s'interroge sur l'estimation de certaines taxes. S'il devait y avoir plus tard des distributions ou des plus-values plus importantes, on devrait déjà l'observer dans la distribution de revenus fiscaux très élevés et même plus élevés que les revenus économiques. Or nous ne le constatons pas du tout, parce que les plus-values ne sont parfois jamais réalisées et quand elles le sont, elles bénéficient de forts abattements, qui sont optimisés au moment le plus opportun. C'est la raison pour laquelle ces plus-values n'apparaissent jamais dans la distribution des revenus fiscaux de notre pays.

La question ne porte donc pas vraiment sur ces plus-values, que nous intégrons et qui sont assez faibles, mais plutôt sur les donations. À ce titre, nous serions ravis de disposer de données nous permettant de mieux comprendre le taux effectif des donations, notamment sur ces revenus obtenus au cours de la vie du donateur. Notre étude révèle que l'impôt sur les donations et les successions n'est pas seulement un impôt qui garantit l'équité entre les nouvelles générations, mais aussi le paiement de l'IR du donateur. Pour bien l'estimer, il faut en effet pouvoir relier les impôts sur les donations et successions payés aux revenus qui ont généré ces donations.

Nous réalisons ces hypothèses d'optimisation, car nous savons que les flux de transmissions annuelles de type Dutreil sont élevés, au-dessus de 10 milliards selon le Conseil d'analyse économique. Or le taux d'imposition sur ces transmissions est très faible. Les données agrégées de transmission ne permettent pas de conclure que l'État reçoit tous les ans des droits de donation d'un montant très élevé au titre de ces sociétés. Cependant, nous sommes très conscients de la limite de l'exercice, qui est essentiellement liée au manque de données.

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Antoine Bozio, directeur de l'IPP, maître de conférences à l'EHESS et professeur associé à PSE

Je souhaite ajouter un élément au sujet des données sur les donations. Les informations sur les flux de donations et de successions constituent un « trou noir » des statistiques publiques et des statistiques de l'administration fiscale, ne serait-ce que pour objectiver le choix du législateur.

Par ailleurs, nous n'avons pas simulé tous ces droits de donation et de succession, qui sont payés par l'ensemble des foyers fiscaux, hors abattements. Je pense aux foyers fiscaux figurant dans les 10 %, voire les 5 % ou les 1 % les plus riches et qui payent des droits de succession et de donation beaucoup plus élevés que dans le cadre le plus favorable. Pour y parvenir, il serait nécessaire de disposer de données précises pour objectiver la réalité de ce type d'imposition des donations et des successions et de les croiser avec les autres informations et données fiscales du revenu.

Ensuite, je souhaite également répondre à une question de M. le rapporteur général, qui nous interroge sur le choix d'augmenter l'impôt sur les sociétés. L'IS n'est pas un bon instrument pour disposer d'une imposition progressive car il va ainsi taxer plus y compris des profits de petits entrepreneurs ou d'entreprises en croissance. Les économistes que nous sommes sont très conscients que cet instrument a potentiellement des effets négatifs en termes d'investissement, d'attractivité et d'accumulation. La question consiste bien à savoir comment traiter de manière différenciée des profits non distribués qui représentent la majorité des cas chez les entrepreneurs français et ceux qui sont à des niveaux d'accumulation patrimoniale que l'on souhaite taxer. Une fois encore, nous ne nous prononçons pas sur le bon niveau de taxation qui doit être opéré sur l'ensemble de ces foyers.

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Je vous remercie pour cette étude très instructive. Je tiens également à remercier le ministre et son administration fiscale, qui ont mis à disposition des chercheurs des données inédites d'une qualité exceptionnelle.

Avant d'en venir à vos conclusions, je tiens à rappeler que l'action que nous avons entreprise depuis plusieurs années en termes de fiscalité. Nous avons imposé les géants du numérique, nous avons agi au niveau international pour que la taxation minimale sur les entreprises entre en vigueur le plus rapidement possible. Cela sera chose faite lors du projet de loi de finances pour 2024.

Malgré la baisse de la fiscalité liée aux réformes adoptées depuis 2017, les recettes fiscales ainsi que celles liées au contrôle fiscal progressent année après année. Votre étude montre que le taux d'imposition global devient régressif, passant de 46 % pour les 0,1 % les plus riches à 26 % pour les 75 contribuables dits milliardaires. La problématique ne porte pas sur l'IR, qui est indiscutablement progressif : le taux marginal de l'IR en France est en effet l'un des plus élevés de l'OCDE. Comme vous le soulignez, l'IR ne représente qu'une fraction négligeable des revenus globaux des plus riches.

La question de l'actualisation des données est particulièrement complexe. Il faut notamment intégrer au-delà de ces revenus économiques les enjeux de succession et de donation du Dutreil. Votre réflexion s'inscrit par ailleurs dans le cadre d'autres travaux, ainsi que le président de la commission l'a rappelé. Je pense notamment aux travaux de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz, qui soulignent la nécessité d'investissements d'ampleur pour financer la transition climatique. Cela implique de nouvelles recettes et une équité dans l'effort.

Vous documentez cette régressivité, qui est synonyme d'injustice pour nombre de Français. Vous évoquez des pistes de réforme en soulignant aussi leurs limites. Parmi celles-ci figure la taxation des actionnaires français sur l'ensemble des résultats distribués par les entreprises contrôlées, qui vous semble sans doute la plus pertinente. À titre personnel, je pense qu'il serait intéressant d'ouvrir la voie à une réflexion de ce type au niveau européen. Existe-t-il des exemples étrangers d'une telle taxation, notamment dans l'Union européenne, malgré la directive mère-fille ?

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Je souhaite tout d'abord vous remercier pour cette étude. Comme vous l'avez souligné, il est difficile de disposer de données intéressantes et consolidées pour savoir qui paye quoi en France. Il est en effet compliqué de conduire ces études. Ce type d'études devrait d'ailleurs être développé au niveau des entreprises, afin de connaître la fiscalité réelle des entreprises en fonction de leur chiffre d'affaires.

En réalité, en 2016, avant même l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir, il existait une dégressivité de l'impôt pour les plus riches, qui constitue une grande injustice. Nous avons compris que cela vous était difficile pour le moment, mais nous aurions aimé disposer d'une étude consolidée après le choc fiscal initié par Emmanuel Macron, qui avait d'ailleurs suscité à l'époque le mouvement des Gilets Jaunes. Je rappelle que certains ont dit à l'époque qu'il était nécessaire de garder les revenus sur le territoire français pour permettre des investissements alors même qu'ils étaient déjà très bien lotis au préalable, avant l'arrivée d'Emmanuel Macron.

Enfin, qu'en est-il de nos propositions ? Vous parlez de l'ISF mais nous proposons une imposition sur la fortune financière, qui vise justement à taxer la finance directement. Qu'en est-il du prélèvement forfaitaire unique qui serait exclu pour les hauts revenus ? Qu'en est-il de la fiscalité sur les transactions financières ? Ces éléments seraient-ils de nature à limiter ces injustices fiscales ?

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Je précise que l'IPP a réalisé il y a quelques années une étude sur les différentiels de fiscalité entre entreprises. J'ajoute que le rapporteur général et moi-même y travaillons actuellement.

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Je tiens à vous remercier pour cette étude très intéressante, dont nous avons hâte de lire une version actualisée.

Pourquoi n'avez-vous pas intégré la TVA et la taxe foncière dans cette étude, compte tenu du poids de la TVA dans les prélèvements obligatoires et de son caractère régressif ? Cette intégration n'aurait-elle pas abouti à ce que la régressivité que vous démontrez apparaisse encore plus dans l'échelle des revenus ?

Comment jugez-vous la proposition de Gabriel Zucman d'un ISF renouvelé, qui ne s'appliquerait qu'à partir d'un seuil de patrimoine à déterminer démocratiquement mais ne comporterait aucune possibilité d'exonération, notamment sur les biens professionnels ? Un tel impôt contribuerait-il à rétablir une progressivité parmi les ultra-riches ? Enfin, une étude de chercheurs de l'université d'Harvard parue au début du mois de juin 2023 a montré que le retour sur investissement dans le contrôle fiscal augmente avec le revenu des ménages contrôlés. Dans le cas américain, un dollar supplémentaire dépensé dans le contrôle fiscal des 50 % les plus pauvres apporte cinq dollars à l'État, quand un dollar supplémentaire dépensé dans le contrôle fiscal des 10 % les plus riches fournit douze dollars à l'État. Que vous inspirent ces chiffres ? Serait-il possible d'envisager une étude équivalente dans le cas français ?

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Je vous remercie pour cette présentation de vos travaux, qui s'articule autour de cette intéressante notion de revenu économique. Je reste cependant un peu perplexe sur les confusions qui pourraient résulter de cette réflexion. En effet, les revenus économiques sont les revenus réels, qui résultent d'une trésorerie immédiatement disponible des bénéficiaires, mais également de revenus non disponibles, pour lesquels des choix d'affectation ont été effectués. Finalement, chaque année, les actionnaires se demandent quelle sera l'affectation des revenus, en réserve dans la structure ou en dividendes. Dans la vraie vie, les choix des actionnaires s'effectuent non pas forcément pour essayer d'éviter une taxation, mais aussi parce que l'entreprise a des besoins.

Avez-vous mesuré dans votre étude le coût de ce risque de maintenir certaines sommes dans l'entreprise sans les distribuer ? Avez-vous mesuré l'impact de ces revenus non distribués sur l'investissement, qui permettent aux entreprises de disposer d'une capacité d'autofinancement ? Si ces revenus économiques étaient taxés, quels seraient les montants sortis des entreprises ? Ces revenus passant du monde économique au monde privé n'entraîneraient-ils pas un impact très important sur la diminution des fonds propres des entreprises et donc de leurs capacités de financement ?

En conclusion, vous vous interrogez pour savoir si les revenus logés dans les holdings doivent être taxés. Cela me semble révéler un prisme de nature à créer une confusion juridique entre la société personne morale et les actionnaires, et par conséquent me dérange quelque peu.

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J'ai déjà eu l'occasion d'effectuer quelques commentaires sur votre étude. J'avoue que je suis un peu étonné que vous mettiez de côté un certain nombre de notions juridiques, comme celle de la personnalité morale des entreprises, qui est au cœur du code civil et du code du commerce.

De fait, le bénéfice d'une entreprise n'appartient pas aux actionnaires, seule la décision de distribution ultérieure l'affectera aux actionnaires. L'entreprise en tant que personne morale est certes une abstraction juridique, mais elle a un rôle dans la société. Or vous balayez du revers de la main ces notions juridiques qui ont pourtant permis de construire notre développement.

Les holdings constituent effectivement un sujet de questionnement. Cependant, il existe des holdings utiles, pour faire du développement. Avec l'accord national interprofessionnel (ANI), nous essayons par exemple d'intéresser les salariés. Votre vision d'universitaire est très intéressante et je suis sensible aux éléments que vous mettez en lumière. Cependant, il importe de conduire une réflexion plus globale et de cerner l'utilité de certaines dispositions qui sont prises pour maintenir notre économie.

Enfin, le pacte Dutreil a été mis en place pour éviter que de nombreuses entreprises ne soient vendues à l'étranger. Je rappelle par ailleurs qu'il est encadré. Par ailleurs, votre vision du droit est mondialisée, mais nous tenons à notre droit continental, qui me semble essentiel dans la marche des affaires du monde.

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Je vous remercie pour la présentation de vos travaux, qui sont assez inédits et mettent en lumière un phénomène à la fois connu et inconnu. En effet, nous savons que la progressivité de notre système fiscal ne fonctionne que partiellement, jusqu'à un certain niveau de richesses. Cependant, il n'a jamais véritablement existé de méthode solide pour mesurer en finesse à quel point les 0,01 % les plus fortunés possèdent et combien ils contribuent réellement à la solidarité nationale.

Vous soulignez que les revenus non distribués dorment dans les comptes des holdings et ne sont donc pas imposés à l'impôt sur le revenu. Comment vivent ces 0,01 % ? Se versent-ils un peu de revenus quand ils en ont besoin ou existe-t-il des schémas plus compliqués, comme des souscriptions d'emprunts bancaires avec en collatéral des titres de ces sociétés ?

Ensuite, vous dites que vous excluez pour des raisons méthodologiques, les loyers fictifs, les taxes foncières et d'habitation, la TVA et les impôts de production. Peut-on malgré tout vous demander votre intuition quant à leur participation à la progressivité ou à la régressivité de notre système fiscal ?

Enfin, vous avez fait part de votre étonnement quant au manque de données sur les donations-successions. Nous ne devons pas être surpris cependant : depuis des années, dans le cadre de ma mission budgétaire, je le dénonce. En effet, ces données existent forcément mais elles ne sont pas rendues accessibles aux chercheurs, ni aux parlementaires que nous sommes. À quoi est-ce dû ? Quels sont les freins ? Sont-ils techniques ?

Enfin, avez-vous estimé ce que rapporterait à l'État votre taux contrefactuel ?

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Je tiens à vous remercier pour votre étude, qui fournit un sujet de débat profondément politique à notre commission. Ce travail est inédit d'un point de vue scientifique, notamment grâce à l'effort historique de transparence et de mise à disposition des données publiques par les services de Bercy. Gageons que cette mine d'informations donnera lieu également à de nouvelles études qui nous permettront de mieux comprendre et de mieux adapter nos outils fiscaux.

Je comprends parfaitement votre volonté de créer cette notion de revenu économique distinct du revenu fiscal, à des fins de simplification méthodologique et de compréhension des enjeux. Cette étude nous apprend que les postures défendues par certains économistes comme Thomas Piketty sont fausses : l'impôt est bien progressif pour 99,9 % des foyers fiscaux en France. Au-delà, nous sommes effectivement confrontés à un tassement de la progressivité pour 0,1 % des foyers, puis à un effet de seuil qui bénéficie à 378 foyers, lesquels payent proportionnellement moins d'impôts que les autres, compte tenu de leurs avoirs.

Ensuite, vous dites clairement que cela n'est absolument pas spécifique à la France : cela se vérifie en Suède, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande et, dans une moindre mesure aux États-Unis. Étant attaché à la valeur travail, je suis contre l'impôt confiscatoire, et simultanément, il ne me paraît pas normal que l'impôt ne soit pas progressif pour tout le monde. Une fois ce constat dressé, avez-vous des pistes de réflexion pour gommer cet effet de seuil et rendre l'impôt progressif pour tous, sans tomber dans l'impôt confiscatoire qui de toute façon serait inconstitutionnel, ni sans pousser les milliardaires à l'exil vers des pays qui seraient flexibles fiscalement ?

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Votre audition sur la fiscalité du patrimoine nous avait déjà bien éclairés sur la rigueur de votre méthodologie et sur les premiers résultats de vos recherches et investigations. Votre note désormais présentée nous permet de constater une régressivité de la contribution effective des plus fortunés à l'IR en pourcentage de leur revenu économique global, avec des taux d'imposition pouvant atteindre 2 % pour les 0,001 % les plus riches.

À cela s'ajoute la démonstration de l'imperfection de l'ISF pour corriger l'insuffisante contribution des milliardaires à la charge fiscale commune. Vous proposez notamment de taxer les revenus non distribués des holdings à l'impôt sur le revenu des personnes physiques. À ce titre, je renvoie à la lecture d'un article de Libération du 13 juin 2023, intitulé « Taxation des riches : dans les holdings de Bolloré, des réserves bien au chaud ». Cet article met la lumière sur l'art de constituer des cascades de sociétés se consolidant et se contrôlant entre elles pour ainsi servir, non pas à entreprendre, mais uniquement à abriter une super-épargne gelée non soumise à l'impôt et servant in fine à la recapitalisation.

Vous proposez donc soit de taxer les actionnaires, soit de taxer les revenus, soit de taxer les actionnaires personnes physiques dans les entreprises contrôlées. Pourriez-vous nous fournir des éléments complémentaires, sur la base des données dont vous disposez ? Est-il possible d'obtenir une estimation des montants générés dans les deux cas ?

La proposition d'une taxation des actionnaires personnes physiques résidents fiscaux en France sur l'ensemble des revenus non distribués par les entreprises contrôlées semble être inspirée de la taxe en place aux États-Unis, qui est applicable aux résidents américains contrôlant des sociétés étrangères. Existe-t-il d'autres pays ayant mis en place cette imposition ? Quels en sont les résultats ? Quels sont les impacts que la mise en transparence des revenus des sociétés pourrait avoir sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales ?

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Je salue à mon tour les auteurs de cette étude. Cette dernière objective la fracture qui s'est creusée entre le devoir constitutionnel de contribution à la hauteur de sa capacité et l'accumulation de richesse et de patrimoine dans les mains d'une poignée de nos compatriotes. Cet élément est fondamental pour la mission d'information sur la fiscalité du patrimoine, dont nous sommes, avec Jean-Paul Mattei, les rapporteurs.

Ensuite, le calcul du revenu économique est un outil très pertinent : il permet de traiter en même temps, d'une part, les entreprises qui appartiennent à des personnes physiques, et donc les résultats des entreprises qui deviennent des revenus, et, d'autre part, les personnes physiques. En effet, sans personne physique, il n'y a pas d'entreprise. À un moment donné, le résultat des entreprises se transmet bien dans les revenus des personnes physiques.

Selon votre scénario contrefactuel, il est possible de dégager un certain nombre de milliards. Si le travail scientifique n'a pu être mené après 2016, quels sont les premiers résultats que vous pourriez connaître après les modifications fiscales ? En effet, le taux d'imposition global à 26 % a-t-il baissé ou augmenté pour les quelques milliardaires dont nous avons parlé ? Les impôts payés en sortie, plus-values ou exit tax ne font-ils pas l'objet de stratégies d'évitement ?

Quelles seraient les possibilités de corriger la régressivité et soulager les finances publiques avec un IS progressif et conditionné au partage de la valeur ? Pourriez-vous estimer la part liquide dans les 15 ou 35 milliards évoqués qui serait taxable facilement ? Enfin, si nous prenons comme référence le revenu économique et non le revenu fiscal de référence de l'impôt sur le revenu, le caractère confiscatoire n'existe plus, tel qu'il est défini par le Conseil constitutionnel.

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Pourquoi n'avez-vous pas intégré le foncier bâti et les impôts de production dans vos calculs ? Cette intégration modifierait-elle vos conclusions ? Pourquoi n'avez-vous pas non plus intégré les loyers fictifs dans le revenu économique ? En effet, plus on a de revenus, plus on est propriétaire. Le revenu économique en est majoré mais n'est plus taxé depuis 1963.

Vous démontrez une nouvelle fois que la taxation ISF ne taxe pas les « très riches » mais les « petits riches ». Une célèbre note avait ainsi déterminé que sur les cinquante fortunes de France, dix ne payaient pas l'ISF, grâce au plafonnement à 70 % voulu par le Conseil constitutionnel. Il existe donc bien un véritable obstacle. Il en va de même sur la notion de revenu effectif : le Conseil constitutionnel n'accepte pas que l'on taxe les revenus non effectifs.

Enfin, quelle est votre position sur une taxation différenciée entre les bénéfices mis en réserve et les bénéfices distribués ? Est-ce une bonne idée au regard de la question posée ? L'avoir fiscal aggravait-il les inégalités ? Je rappelle que le dispositif de l'avoir fiscal existait parce que l'on considérait que l'IS sur la partie distribuée devait être remboursé. Le tout était intégré dans l'impôt sur le revenu

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Je remercie à mon tour l'ensemble des intervenants pour leur présentation. Les statistiques que vous nous avez fournies sont troublantes sur la partie supérieure de la pyramide fiscale. Cela pose naturellement la question de la contribution des holdings en soumettant la partie non distribuée à l'IR et celle de la taxation des actionnaires résidant en France sur l'ensemble des résultats non distribués. Ces éléments s'ajoutent aux problèmes que nous évoquons régulièrement concernant la taxation des transactions financières ou les zones grises que constituent les paradis fiscaux.

Ensuite, il existe une réelle ambiguïté : les revenus retenus dans les holdings contribuent en partie en investissement à la production de richesses et d'emplois, l'autre partie étant simplement mise à l'abri de la fiscalité. Ne faudrait-il pas établir un mécanisme qui taxe d'autant plus les milliardaires que leurs entreprises bénéficient de subventions et de dépenses fiscales ?

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Votre étude a le mérite de confirmer que l'impôt est fortement progressif pour tous les foyers fiscaux. J'ajoute cependant que je suis surpris par le concept de revenu économique, qui intègre les bénéfices non distribués. En effet, selon moi, cette trésorerie doit profiter à la société, qui est une personne à part entière et qu'il faut respecter à ce titre. En effet, il faut bien des ressources pour faire face aux difficultés économiques et pour pouvoir se développer grâce à de l'autofinancement. Je ne comprends pas l'idée de taxer les actionnaires dès lors que les revenus ne sont pas distribués à titre personnel. Avec un tel concept, on pourrait considérer qu'il est possible de taxer à la TVA l'épargne des Français. En effet, s'ils ne consomment pas avec leur épargne, les rentrées de TVA dans les caisses de l'État sont moindres.

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À l'occasion de cette discussion, je souhaite prendre un peu de hauteur et rappeler que le niveau de prélèvement obligatoire dans notre pays est de 45 % de la richesse nationale. Nous sommes à ce titre les champions de la zone euro, vice-champions d'Europe des impôts et des taxes. Les Français étouffent sous le poids des prélèvements obligatoires. C'est pour cette raison qu'avec le Président de la République, nous avons entrepris une politique de baisse des impôts pour redonner des marges à nos concitoyens et aux entreprises, et pour leur permettre d'investir. Les résultats sont là : le chômage baisse, le pays se réindustrialise et la croissance se maintient.

Pourquoi vouloir poursuivre cette inventivité consistant à créer de nouveaux impôts, qui a pourtant plombé notre économie par le passé ? Il m'apparaît particulièrement nécessaire de maintenir le pacte Dutreil, un outil très utilisé par des patrons de PME et d'entreprises de taille intermédiaire, qui permet à notre pays de rester compétitif dans le jeu européen.

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Vous nous invitez à conduire une réflexion sur l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme, qui s'achève en évoquant le concept de facultés. Quand on lit la postface de l' Histoire de la Révolution française de Jules Michelet, on se rend bien compte que nos prédécesseurs insistaient sur deux notions : prendre en compte les facultés, ce qui permet de taxer les dépenses somptuaires : et éviter l'accumulation du capital, en instaurant une fiscalité des successions. Dans ce domaine, en filant la métaphore avec les États-Unis, votre étude révèle des limites. Aux États-Unis, il existe un système de droits de vote multiples, qui leur permet d'être relativement léonin à l'égard des holdings. Cela n'est pas le cas en France où les droits de vote multiples sont interdits. Ensuite, l'impôt sur les successions français ne permet pas les mêmes possibilités de transmission du patrimoine qu'aux États-Unis. Enfin, avez-vous pris en compte la notion de trust, qui a un réel impact sur la manière de calculer l'impôt aux États-Unis ?

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Je vous remercie pour votre présentation et notamment celle ayant trait au concept de revenu économique, qui m'intéresse particulièrement. Vous avez indiqué qu'il existait un « trou noir » des droits de transmission. Cependant, le système notarial français permet de transmettre toutes les informations nécessaires à la DGFIP. Vous devriez donc pouvoir récupérer ces données.

Ensuite, il faut selon moi continuer à travailler le concept de revenu économique. J'ai eu la chance de vivre la moitié de ma vie en Scandinavie, où il est mis en place depuis longtemps. En adoptant votre logique, on aurait pu imaginer que ce revenu inclue d'autres sources de revenus, plus cohérents que les profits non distribués, comme les loyers imputés aux propriétaires, qui sont bien mieux contrôlés par les ménages que les profits non distribués. Dans ces pays, les revenus sont fléchés sous un seul numéro d'identification. Techniquement, des efforts doivent encore être réalisés pour aboutir à ce système.

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Avant de céder la parole à nos invités, je souhaite formuler une réflexion et leur soumettre un autre chiffre. Nos collègues se demandent s'il est juste que le revenu économique soit considéré comme revenu personnel, compte tenu des différences en termes de personnalité juridique. L'étude part en effet du principe que le revenu économique enrichit aussi personnellement les personnes concernées, ce qui explique que leur taux d'imposition implicite est de 26,2 %.

Je suis d'accord pour considérer que la différenciation est essentielle : on ne peut pas résumer une société à ses actionnaires, y compris à ses principaux actionnaires. Cependant, un autre chiffre a évolué de manière simultanée : l'accroissement de la part de l'actionnariat familial dans le CAC 40. Elle était de 10 % en 2012, elle est de 21,5 % en 2022. Les cinq familles les plus riches disposent de 18 % de l'actionnariat du CAC 40. Il me semble quand même exister une corrélation entre des revenus économiques et des personnes que nous étudions ici. Manifestement, elles ne sont pas soumises au prélèvement obligatoire décrit par M. Charles Sitzenstuhl : leur imposition est bien plus faible, ce qui pose problème.

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Antoine Bozio, directeur de l'IPP, maître de conférences à l'EHESS et professeur associé à PSE

Je vous remercie pour ces commentaires et ces questions. L'IPP a vocation de fournir des éléments qui permettent de nourrir le débat public et les décisions de la représentation nationale.

Je souhaite tout d'abord évoquer les questions relatives aux données sur les donations et les successions. Pourquoi s'agit-il d'un trou noir ? À l'heure actuelle, la DGFIP ne dispose pas de ces informations. Les notaires enregistrent les donations et transmettent les prélèvements qui sont dus au vu des donations effectuées. En revanche, il n'existe pas de transmission dématérialisée à la DGFIP des formulaires papier de donation et de succession qui sont enregistrés dans les offices notariaux, au niveau individuel. Ils sont disponibles pour pouvoir effectuer des contrôles, mais aucune base de données ne permettrait de mesurer ces effets. Il s'agit donc naturellement d'une lacune qui empêche de connaître dans quelle mesure ces impôts sont réglés et qui les règle. Par le passé, il existait des enquêtes réalisées auprès d'un échantillon de notaires et les documents papiers étaient retranscrits sous format numérique. Les seuls montants qui existent aujourd'hui sont les montants agrégés des droits qui sont payés.

Ensuite, vous avez été nombreux à nous demander pourquoi nous n'avons pas rajouté d'autres impôts comme la TVA ou les impôts de production. Nous sommes d'accord : d'un point de vue conceptuel, nous devrions disposer de l'ensemble des prélèvements et des revenus. Mais nous sommes obligés d'émettre des hypothèses, à partir d'enquêtes représentatives de la population française. Dans ce travail, nous avons fait le choix de travailler à partir de données d'observation pour savoir qui paye quoi, de manière la plus précise possible. Par conséquent, la part des hypothèses demeure très limitée. Nous ne vous cachons rien : nous vous décrivons de manière très factuelle ce qu'il en est. Cela ne signifie pas qu'il serait inutile de savoir de quelle manière la TVA ou les impôts de production contribuent à la progressivité du système fiscal. Vos remarques sont donc particulièrement pertinentes. Mais, une fois encore, nous avons fait le choix dans cette étude de nous focaliser sur une partie restreinte de la population (les 10 % disposant des revenus les plus élevés), pour pouvoir bien comprendre la situation sur les différents types de revenus et d'impositions.

Certains d'entre vous ont également fait remarquer que les taux d'imposition étaient élevés en France. Vous nous avez demandé comment, tout en n'augmentant pas la fiscalité, réduire la régressivité qui apparaît comme choquante : même si l'on souhaite une fiscalité plus faible, on a du mal à accepter le fait que des foyers disposant de revenus plus importants soient soumis à des taux d'imposition plus faibles que d'autres, dont les revenus sont moins élevés.

Une réponse possible, que vous n'avez pas évoquée, consiste à baisser les taux d'imposition personnels. En effet, si on les diminue, la régressivité baissera également, puisqu'on rapprocherait l'imposition des revenus de l'imposition sur les sociétés. Ce faisant, des pertes de recettes fiscales considérables interviendraient nécessairement. Nous ne défendons pas une position plutôt qu'une autre : notre travail a pour vocation de vous faire part de nos observations en matière de progressivité.

Dans la présentation de notre étude, nous avons insisté sur la caractérisation de son objet : de quoi parlons-nous lorsque nous évoquons « les plus riches » ? Les 10 % les plus riches représentent ainsi une quantité importante de personnes, une grande partie d'entre nous. L'étude montre que la majorité des 1 % les plus riches payent de très hauts niveaux d'imposition. En revanche, les 0,001 % qui ont des revenus considérables représentent des situations très différentes. Il faut replacer cet élément pour ne pas nous tromper en termes d'instruments mobilisables.

En outre, je souhaite revenir sur la question de l'ISF et de la règle de constitutionnalité d'un plafonnement à 75 % des revenus fiscaux. Si l'on enlève l'exonération pour bien professionnel, les effets seront très faibles. En effet, le critère majeur qui réduit l'ISF pour les plus grandes fortunes est le plafonnement à 75 % du revenu fiscal de référence. Là encore, le blocage ne porte pas sur le principe constitutionnel du plafonnement. La clef repose en réalité sur la définition du revenu qui sert au plafonnement.

Je ne suis pas spécialiste de droit constitutionnel. Cependant, ma lecture précise des décisions du Conseil constitutionnel me fait constater que le Conseil constitutionnel a toujours retoqué des situations où le législateur avait inclus des revenus soit latents, soit non contrôlés. À mon sens, le juge constitutionnel ne s'est pas prononcé sur un texte où les revenus sont effectivement contrôlés à l'instant où ils sont générés et où ils appellent une taxation.

Se battre contre le principe constitutionnel d'un plafonnement relève d'un autre sujet. À mon avis, le Conseil constitutionnel estime que l'on ne peut pas taxer ce qu'un ménage ou une personne physique ne contrôle pas, ce qui ne me semble pas aberrant. En revanche, la mesure et l'application de ce plafonnement doivent être considérés de manière précise.

Par ailleurs, une autre série d'interrogations a porté sur la pertinence de taxer les revenus non distribués et son impact sur les investissements. Les revenus et profits sont taxés à l'IS, dont le niveau d'imposition joue possiblement sur les capacités d'investissement des entreprises. Les questions du bon niveau de taxation et de la concurrence fiscale entre les pays méritent effectivement d'être posées. Cependant, aucun pays n'estime que les profits réalisés ne doivent pas être taxés. Au contraire, la coordination internationale s'efforce d'établir des taux minima et de limiter la concurrence fiscale dans ce domaine.

Enfin, vous avez peu évoqué un élément qui me semble pourtant essentiel : la nécessité de conduire une coordination internationale, compte tenu du type de revenus auxquels nous faisons face et des implications au niveau des règles européennes. Pour arriver à mettre en place le type de système fiscal que vous souhaitez, cette coordination est incontournable.

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Laurent Bach, professeur associé de finances à l'Essec Business School, responsable du programme « Entreprise » à l'Institut des politiques publiques (IPP)

En tant qu'universitaire, je souhaite revenir sur les critiques adressées au concept de revenu non distribué. En l'occurrence, sous prétexte qu'un revenu n'est pas réinvesti, certains considèrent qu'il ne faut pas l'envisager comme un revenu. Cela n'est pas pertinent, à notre avis. Quand une part du salaire est utilisée pour amortir le prêt d'une maison, ce salaire est pourtant compté comme un revenu. L'épargne ne doit pas conduire à exclure ce revenu du raisonnement.

Simplement, le réinvestissement se passe à l'intérieur d'une société : l'épargne a lieu via une société. D'ailleurs, au niveau de la comptabilité nationale, une très grande quantité de l'épargne brute de notre pays se passe dans les sociétés, ce qui n'était pas autant le cas il y a une trentaine d'années. La question de cette épargne, de son utilisation et de son rendement est ainsi essentielle, mais nous n'avons pas vocation à nous déterminer avec une seule étude. Cependant, d'un point de vue économique, le fait d'intégrer dans un concept de revenu une partie de l'épargne, ne devrait pas donner lieu à controverses.

En revanche, il peut y avoir débat pour savoir à quel point ce revenu épargné est véritablement à la disposition des actionnaires, alors même qu'il dort dans une société, pour aider à l'objet social de cette société et non pas directement contribuer au bien-être des actionnaires qui la constituent.

Vous avez raison : il existe une tradition française et continentale en droit des sociétés, qui distingue nettement les personnes physiques et morales pour certaines sociétés. Cependant, il ne faut pas naturaliser le droit, y compris le droit français. Depuis trente ans, le concept juridique de société a notoirement évolué et a contribué à rapprocher singulièrement la société de ses actionnaires. Je pense notamment au concept de société par actions simplifiées (SAS). Il est beaucoup plus facile aujourd'hui qu'il y a trente ans de tenir une société pour un actionnaire individuel.

En revanche, le droit fiscal n'a pas forcément suivi cette évolution de son côté. De ce point de vue, dans les revenus, nous n'avons pas intégré ceux des actionnaires qui n'avaient pas de pouvoir sur leur distribution lors des assemblées générales. Nous avons précisément voulu rentrer dans cette « boîte noire » de la distribution. Lorsque l'on détient 100 % des actions d'une SAS dont on a décidé des statuts de manière très libre, peut-on vraiment considérer que la société dispose d'une personnalité spécifique, dont l'objet est différent de son détenteur ?

Dans certains pays, la porosité est beaucoup plus assumée. En France, l'évolution du droit des sociétés depuis trente ans a contribué à singulièrement rapprocher les actionnaires des sociétés, sans que le droit fiscal n'ait lui-même suivi cette évolution. Dans de nombreux pays, l'intégration fiscale des revenus des sociétés, y compris les sociétés à responsabilité limitée, est devenue de fait le standard, notamment aux États-Unis. Dans ce cas, les revenus sont taxés à l'IR, selon un mécanisme de transparence fiscale. Ce système existe d'autant plus qu'il est progressif : lorsque votre société produit peu de revenus, vous êtes peu taxé. Il bénéficie aux petits entrepreneurs qui ont besoin de fonds propres.

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 21 juin 2023 à 11 heures

Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, Mme Émilie Bonnivard, M. Mickaël Bouloux, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, Mme Stella Dupont, Mme Marina Ferrari, M. Luc Geismar, M. David Guiraud, M. Alexandre Holroyd, M. Emmanuel Lacresse, M. Michel Lauzzana, Mme Constance Le Grip, M. Pascal Lecamp, Mme Charlotte Leduc, Mme Patricia Lemoine, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet, M. Kévin Mauvieux, M. Benoit Mournet, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Sébastien Rome, M. Alexandre Sabatou, M. Michel Sala, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Jean-Marc Tellier

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Éric Coquerel, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Joël Giraud, Mme Karine Lebon