En conclusion, il convient de comprendre les mécanismes en jeu. Traditionnellement, le taux d'imposition sur les sociétés était très proche du taux supérieur de l'IR en France, soit 50 %, jusqu'au milieu des années 1980. Dans ces conditions, l'intérêt à ne jamais se distribuer ses revenus était très faible. Mais les dispositifs de rattrapage de l'IR ont baissé en même temps que l'IS : ce dernier a suivi la baisse des droits de donation, notamment sur les parts sociales, mais aussi l'accroissement du nombre d'abattements sur les plus-values taxables.
En réalité, nos résultats incluent au numérateur les droits perçus sur les plus-values réalisées, l' exit tax et les impôts payés sur les dividendes effectivement distribués. La seule chose que nous ne sommes pas en mesure de calculer et que nous devons simuler est le paiement des droits de donation potentiels sur ces revenus non distribués. En effet, les données n'existent pas : nous ne pouvons pas relier les droits de donation payés par les individus aux feuilles d'impôts personnelles. Cette simulation réaliste prend en compte les dispositifs d'exonération disponibles, notamment pour les parts sociales.
Par conséquent, il faut comprendre que ce mécanisme est récent, il y a environ une trentaine d'années. La concurrence fiscale dans tous les pays a permis en quelque sorte de bénéficier de taux effectifs plus bas lorsque l'on peut loger ses revenus dans des holdings. Il ne s'agit pas de dire que la France est plus un paradis fiscal que ses voisins en Europe : si l'on faisait la même étude dans d'autres pays européens, les résultats seraient probablement similaires.
Ensuite, cela signifie que certaines solutions régulièrement évoquées s'avèrent en réalité ineffectives. Le débat porte traditionnellement en France sur les taux d'imposition personnels, en faisant comme si la partie relative aux sociétés n'existait pas. Si l'on augmente les taux du barème de l'imposition sur le revenu, ce qui a été réalisé par exemple en 2013, les comportements de distribution vont être modifiés. En 2013, lorsque le taux d'imposition sur les dividendes a été augmenté, les reports ont à nouveau explosé et les distributions se sont interrompues de manière si ample que cela a été perçu en comptabilité nationale. Cette option ne fonctionne donc pas si on ne change pas la base.
L'option de l'ISF a également été proposée, en partant du principe qu'il vaut mieux taxer le patrimoine que les revenus pour les très hauts revenus, puisqu'on le mesure mieux. Le problème tient au fait que le patrimoine est plus difficile à liquider que les revenus non distribués. Et le juge constitutionnel a régulièrement écarté l'intégration dans le périmètre du plafonnement des revenus latents et donc non disponibles pour leurs bénéficiaires.
Il convient donc de raisonner au niveau des sociétés et de comprendre les options possibles pour faire en sorte que les revenus logés dans les holdings subissent une imposition plus importante. Aux États-Unis, il est beaucoup moins intéressant d'organiser des holdings intermédiaires. De fait, les grands entrepreneurs ne mettent pas en place ce genre d'organisation car il existe une surtaxe spécifique sur les holdings à visée purement financière. Par conséquent, cet impôt dissuasif permet d'empêcher le système des holdings intermédiaires.
On pourrait penser mettre en place une taxe similaire en France, mais cela ne respecterait pas une directive européenne bien établie sur la non-taxation des dividendes « mère-fille ». Cette directive s'est d'ailleurs inspirée d'une disposition française en place depuis les années 1920. Le droit européen a donc suivi le droit français : il existe une tradition française de ne pas taxer les holdings mère-fille.
La solution la plus ambitieuse consisterait à mettre en transparence fiscalement les revenus des sociétés contrôlées par les actionnaires qui contrôlent la politique de distribution de ces entreprises. Ce système est d'ailleurs déjà en place, y compris en France, pour les sociétés de personnes. Dans un tel système, la question consiste à définir le niveau de contrôle effectif requis pour qu'un bénéfice de société soit réputé être un revenu dont dispose le foyer fiscal actionnaire. Il existe donc des questions de mise en place que nous ne prétendons pas résoudre : nous voulons simplement mettre sur la table les options qui n'ont pas fonctionné, les options utilisées dans d'autres pays et les options potentiellement utilisables sous réserve de conditions, en France.