Je vous remercie pour votre présentation. Je salue d'abord la grande qualité de ce travail universitaire qui développe une approche nouvelle de notre fiscalité. Je vous remercie également pour les précautions méthodologiques que vous avez soulignées.
Ce travail important de l'IPP a d'abord été rendu possible par la qualité des statistiques fiscales françaises et l'accès aux données de la direction générale des finances publiques (DGFIP). Il faut donc saluer cette transparence et le travail des services de l'État. Votre travail fournit un apport substantiel à la compréhension que chacun peut avoir de notre système fiscal. En cela, vous faites œuvre utile pour le débat public et vous nous laissez le choix des conclusions.
Vous confirmez que l'impôt français est extrêmement progressif, sur les grandes masses. Ensuite, vous nous indiquez que la France n'est pas un paradis fiscal. Je rappelle ainsi que 10 % de nos concitoyens payent 70 % de l'impôt sur le revenu et que son taux marginal s'élève à 58 %. Dans votre document, vous soulignez par ailleurs que l'ISF n'est pas une solution de progressivité et qu'il ne permet pas de toucher les personnes les plus fortunées.
Vos travaux montrent que les profits non distribués sont très concentrés sur le haut de la distribution des revenus, beaucoup plus que les travaux de l'Insee ne le laissaient penser jusqu'à présent. Nous savons que les profits non distribués ne sont pas directement fiscalisés à l'IR des actionnaires. Cependant, ils supportent bien l'impôt sur les bénéfices des sociétés. Contrairement à ce qu'a dit Gabriel Zucman devant notre commission, les milliardaires français ne payent pas 2 % d'impôt sur leurs revenus, compte tenu de l'IS. Ils payent en réalité 26 % sur les sommes qui résultent de leur activité.
Toutefois, la fraction de revenu que l'étude ajoute pour constituer le « revenu économique » ne présente pas la même disponibilité ou liquidité que les revenus courants habituellement appréhendés. Comment imposer des sommes qui sont maintenues au sein des entreprises et déjà frappées par l'IS ? Les profits non distribués ont d'ailleurs d'abord vocation à être réinvestis et donc à être à nouveau imposés en alimentant le circuit économique. Surtout, ils ont vocation à supporter un impôt personnel à moyen ou long terme, lorsqu'interviendra une distribution de dividendes, une cession ou une transmission par donation ou succession.
La question que vous posez est en quelque sorte la suivante : faut-il fixer l'impôt sur les sociétés à un niveau plus important afin d'augmenter l'imposition de ces milliardaires français ou faut-il fixer l'IS en fonction de ce nous souhaitons faire en matière d'activité économique ? Il faut en effet veiller à ne pas pénaliser l'activité et l'investissement, pour « attraper » quelques milliardaires.
Cela soulève d'emblée un paradoxe. Certains s'offusquent ici des montants importants de dividendes distribués par nos entreprises. Mais lorsqu'un dividende est distribué, il est taxé. Votre étude montre qu'un profit non distribué n'est pas immédiatement taxable à l'IR. Or on ne peut pas crier au loup à la fois quand les profits sont distribués et quand ils ne le sont pas. Il faut donc probablement choisir son combat. Certaines oppositions nous ont indiqué qu'il y avait beaucoup trop de dividendes en France, mais ceux-ci sont taxés à l'IR !
Votre étude se fonde sur les données fiscales de 2016, alors que la réforme de la fiscalité opérée par la loi de finances pour 2018 a conduit à un fort accroissement de la distribution de dividendes. Ne faudrait-il pas en tenir compte pour apprécier l'imposition effective des plus riches ? Quel impact a eu la réforme de la flat tax ?
Ensuite, je suis surpris par les hypothèses que vous avez retenues concernant l'imposition des successions-donations, dont vous considérez qu'elle augmente de quatre à cinq points les prélèvements tout en haut de la distribution des revenus. Vous vous situez ici dans le cas le plus favorable, en partant du postulat que les titres sont entièrement transmis en bénéficiant d'un mécanisme Dutreil à 75 %, en plus de la déduction de 50 % de donation en pleine propriété avant 70 ans. Or, en l'absence de ce dispositif de faveur, l'imposition totale peut culminer à 71 %. En conséquence, vous vous situez dans une hypothèse très minimaliste d'imposition de ce point vue. Avez-vous des données qui vous permettent de savoir dans quel cas le dispositif Dutreil est effectif ou non dans ces catégories de revenus ?
J'ajoute que vous ne tenez pas compte du fait que, pour acquitter des droits de donation et de succession, il faut rajouter l'impôt sur les distributions, c'est-à-dire sur les dividendes ou les cessions de titres nécessaires pour payer ces droits. Êtes-vous donc certains que votre étude tient compte de façon réaliste des effets de ces prélèvements futurs ? Ne serait-il pas utile de proposer une valeur actualisée de ces prélèvements, afin de comparer les effets d'un prélèvement immédiat par rapport à un prélèvement différé dans le temps ?
Enfin, concernant le cadre fiscal favorable au transfert des profits dans les holdings, vous notez que nous n'offrons pas aux grandes fortunes françaises une situation plus avantageuse que nos voisins. Vous citez le cas facialement plus sévère des États-Unis, mais il ne fait pas de doute que les milliardaires américains sont très peu imposés, ce qui montre que l'enjeu n'est pas principalement celui du montage sociétaire. En mettant de côté la remise en cause du fonctionnement des holdings, identifiez-vous d'autres leviers fiscaux plus praticables pour contrôler un peu plus les profits non distribués, en conciliant le mieux possible les exigences de sécurité juridique, d'efficacité économique et de redistribution ?