Intervention de Antoine Bozio

Réunion du mercredi 21 juin 2023 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Antoine Bozio, directeur de l'IPP, maître de conférences à l'EHESS et professeur associé à PSE :

Je vous remercie pour ces commentaires et ces questions. L'IPP a vocation de fournir des éléments qui permettent de nourrir le débat public et les décisions de la représentation nationale.

Je souhaite tout d'abord évoquer les questions relatives aux données sur les donations et les successions. Pourquoi s'agit-il d'un trou noir ? À l'heure actuelle, la DGFIP ne dispose pas de ces informations. Les notaires enregistrent les donations et transmettent les prélèvements qui sont dus au vu des donations effectuées. En revanche, il n'existe pas de transmission dématérialisée à la DGFIP des formulaires papier de donation et de succession qui sont enregistrés dans les offices notariaux, au niveau individuel. Ils sont disponibles pour pouvoir effectuer des contrôles, mais aucune base de données ne permettrait de mesurer ces effets. Il s'agit donc naturellement d'une lacune qui empêche de connaître dans quelle mesure ces impôts sont réglés et qui les règle. Par le passé, il existait des enquêtes réalisées auprès d'un échantillon de notaires et les documents papiers étaient retranscrits sous format numérique. Les seuls montants qui existent aujourd'hui sont les montants agrégés des droits qui sont payés.

Ensuite, vous avez été nombreux à nous demander pourquoi nous n'avons pas rajouté d'autres impôts comme la TVA ou les impôts de production. Nous sommes d'accord : d'un point de vue conceptuel, nous devrions disposer de l'ensemble des prélèvements et des revenus. Mais nous sommes obligés d'émettre des hypothèses, à partir d'enquêtes représentatives de la population française. Dans ce travail, nous avons fait le choix de travailler à partir de données d'observation pour savoir qui paye quoi, de manière la plus précise possible. Par conséquent, la part des hypothèses demeure très limitée. Nous ne vous cachons rien : nous vous décrivons de manière très factuelle ce qu'il en est. Cela ne signifie pas qu'il serait inutile de savoir de quelle manière la TVA ou les impôts de production contribuent à la progressivité du système fiscal. Vos remarques sont donc particulièrement pertinentes. Mais, une fois encore, nous avons fait le choix dans cette étude de nous focaliser sur une partie restreinte de la population (les 10 % disposant des revenus les plus élevés), pour pouvoir bien comprendre la situation sur les différents types de revenus et d'impositions.

Certains d'entre vous ont également fait remarquer que les taux d'imposition étaient élevés en France. Vous nous avez demandé comment, tout en n'augmentant pas la fiscalité, réduire la régressivité qui apparaît comme choquante : même si l'on souhaite une fiscalité plus faible, on a du mal à accepter le fait que des foyers disposant de revenus plus importants soient soumis à des taux d'imposition plus faibles que d'autres, dont les revenus sont moins élevés.

Une réponse possible, que vous n'avez pas évoquée, consiste à baisser les taux d'imposition personnels. En effet, si on les diminue, la régressivité baissera également, puisqu'on rapprocherait l'imposition des revenus de l'imposition sur les sociétés. Ce faisant, des pertes de recettes fiscales considérables interviendraient nécessairement. Nous ne défendons pas une position plutôt qu'une autre : notre travail a pour vocation de vous faire part de nos observations en matière de progressivité.

Dans la présentation de notre étude, nous avons insisté sur la caractérisation de son objet : de quoi parlons-nous lorsque nous évoquons « les plus riches » ? Les 10 % les plus riches représentent ainsi une quantité importante de personnes, une grande partie d'entre nous. L'étude montre que la majorité des 1 % les plus riches payent de très hauts niveaux d'imposition. En revanche, les 0,001 % qui ont des revenus considérables représentent des situations très différentes. Il faut replacer cet élément pour ne pas nous tromper en termes d'instruments mobilisables.

En outre, je souhaite revenir sur la question de l'ISF et de la règle de constitutionnalité d'un plafonnement à 75 % des revenus fiscaux. Si l'on enlève l'exonération pour bien professionnel, les effets seront très faibles. En effet, le critère majeur qui réduit l'ISF pour les plus grandes fortunes est le plafonnement à 75 % du revenu fiscal de référence. Là encore, le blocage ne porte pas sur le principe constitutionnel du plafonnement. La clef repose en réalité sur la définition du revenu qui sert au plafonnement.

Je ne suis pas spécialiste de droit constitutionnel. Cependant, ma lecture précise des décisions du Conseil constitutionnel me fait constater que le Conseil constitutionnel a toujours retoqué des situations où le législateur avait inclus des revenus soit latents, soit non contrôlés. À mon sens, le juge constitutionnel ne s'est pas prononcé sur un texte où les revenus sont effectivement contrôlés à l'instant où ils sont générés et où ils appellent une taxation.

Se battre contre le principe constitutionnel d'un plafonnement relève d'un autre sujet. À mon avis, le Conseil constitutionnel estime que l'on ne peut pas taxer ce qu'un ménage ou une personne physique ne contrôle pas, ce qui ne me semble pas aberrant. En revanche, la mesure et l'application de ce plafonnement doivent être considérés de manière précise.

Par ailleurs, une autre série d'interrogations a porté sur la pertinence de taxer les revenus non distribués et son impact sur les investissements. Les revenus et profits sont taxés à l'IS, dont le niveau d'imposition joue possiblement sur les capacités d'investissement des entreprises. Les questions du bon niveau de taxation et de la concurrence fiscale entre les pays méritent effectivement d'être posées. Cependant, aucun pays n'estime que les profits réalisés ne doivent pas être taxés. Au contraire, la coordination internationale s'efforce d'établir des taux minima et de limiter la concurrence fiscale dans ce domaine.

Enfin, vous avez peu évoqué un élément qui me semble pourtant essentiel : la nécessité de conduire une coordination internationale, compte tenu du type de revenus auxquels nous faisons face et des implications au niveau des règles européennes. Pour arriver à mettre en place le type de système fiscal que vous souhaitez, cette coordination est incontournable.

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