Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Réunion du jeudi 4 mai 2023 à 14h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Jeudi 4 mai 2023

La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.

(Présidence de M. Benjamin Haddad, président de la commission)

La commission d'enquête entend M. Thomas Thévenoud, ancien député et médiateur du conflit entre les taxis et les VTC en 2014.

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Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir M. Thomas Thévenoud, en tant qu'ancien député, médiateur de la crise entre les taxis et les VTC entre février et juin 2014 et auteur de la proposition de loi relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur (VTC), devenue la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux VTC, qui porte son nom.

Monsieur Thévenoud, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions dans cette dans cette salle que vous connaissez très bien.

Nous avons entamé en février les travaux de notre commission d'enquête sur les révélations des Uber files, l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences.

Vous le savez, à partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d'investigation ont publié ce qu'il est désormais convenu d'appeler les Uber files : s'appuyant sur 124 000 documents internes à l'entreprise américaine datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France, comme dans de nombreux pays, des VTC venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personnes réservé jusqu'alors aux taxis.

Dans ce contexte, notre commission d'enquête a, d'une part, pour objet d'identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour pouvoir s'implanter en France, le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d'intérêts ; d'autre part, pour ambition d'évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement du modèle Uber en France et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.

Votre audition nous intéresse pour répondre à ces deux préoccupations. Vous avez travaillé à l'époque – et depuis – sur ce sujet, qui vous passionne : vous avez déclaré, dans une interview, qu'il avait changé votre vie et votre trajectoire professionnelle. Nous serons donc intéressés par vos recommandations sur l'ubérisation, sur le dialogue social au sein du secteur et sur l'équilibre à définir entre l'innovation et la protection des travailleurs.

Vous avez été un acteur central du débat qui a eu lieu autour des VTC en 2014. Avez-vous eu le sentiment que certains acteurs de ce débat étaient sous l'influence de lobbys ou leurs prises de position s'expliquaient-elles par des différences politiques et idéologiques sincères ? Les débats qui ont animé la majorité de l'époque, au Gouvernement comme au Parlement, ont-ils fait l'objet d'une forme d'opacité dans les actions des uns et des autres, ministres ou parlementaires, ou non lors des différentes étapes législatives ?

Avant de vous laisser la parole, je rappelle que cette audition est publique et que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Thomas Thévenoud prête serment.)

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Thomas Thévenoud, ancien député et médiateur du conflit entre les taxis et les VTC en 2014

J'ai été élu député de Saône-et-Loire et ai été membre de la commission des finances en 2012. Concernant le sujet qui vous intéresse, je dois vous rappeler que, le 10 février 2014, Christophe Chantepy, directeur du cabinet du Premier ministre de l'époque, m'a demandé de me trouver à dix heures à la Maison de la Chimie, où Jean-Marc Ayrault m'a proposé d'être médiateur dans le conflit qui opposait chauffeurs de taxi et VTC. Je ne connaissais rien à ce sujet, qui a depuis changé ma vie. J'ai donc été nommé pour des qualités extrapolitiques – du fait de « ma rondeur », m'a-t-on dit. J'ai hésité pendant deux heures, et, contre l'avis de tous – puisqu'il semblait impossible de trouver un compromis – j'ai accepté.

Quand un gouvernement nomme un député médiateur dans un conflit social, il a généralement une idée derrière la tête. Cette fois, ce n'était pas le cas : le Gouvernement n'avait aucune idée de l'issue que prendraient les événements. À ce moment-là, le Président de la République se trouvait en Californie pour rencontrer Mark Zuckerberg et Travis Kalanick, et l'Élysée s'inquiétait avant tout de son retour, puisque les aéroports d'Orly et de Roissy ainsi que le périphérique étaient bloqués par les taxis. Le Gouvernement s'était fourvoyé dans deux options, consécutivement rejetées par le Conseil d'État et l'Autorité de la concurrence : l'instauration d'un prix minimum pour les VTC puis l'adoption d'un délai de quinze minutes au minimum pour les courses VTC.

Quand j'ai demandé à Christophe Chantepy quelle option envisageait le Gouvernement, il m'a répondu que tout était possible, y compris la fin des taxis et le rachat des licences par l'État, ce qui revenait à 3,5 milliards d'euros à l'époque.

Le Gouvernement n'avait aucune ligne de conduite : on m'a conseillé de recevoir tous les acteurs pour définir une solution. Je pense que si je n'étais pas intervenu, il n'existerait plus de taxis parisiens aujourd'hui.

Votre commission d'enquête s'interroge sur les liens avec les pouvoirs publics et les lobbys mais il faut aussi prendre en compte le contexte médiatique, qui était alors très favorable à Uber. Les services proposés par la plateforme à l'époque – la bouteille d'eau, la tablette, l'ouverture de la porte par le chauffeur, la propreté des véhicules – avaient beaucoup de succès auprès des clients parisiens et des journalistes. Pour ma part, je n'avais jamais pris de VTC. Le député Luc Belot m'avait conseillé de le faire ; certains députés étaient eux-mêmes très consommateurs de VTC.

De février 2014 jusqu'à la promulgation de la loi le 1er octobre 2014, le Gouvernement n'avait pas de ligne de conduite. Il y avait des influences diverses au sein du Gouvernement : le ministère de l'Intérieur – avec ses deux ministres successifs, Manuel Valls puis Bernard Cazeneuve – soutenait fortement les taxis, qu'il considérait être sa propriété. J'ai même été convoqué par le préfet de police de Paris à son domicile, où il m'a dit qu'il ne fallait surtout pas toucher aux taxis. De l'autre côté, le pôle Bercy était très favorable à la disruption, à la révolution numérique et à Uber. Lorsque j'ai été nommé médiateur, Emmanuel Macron n'était pas ministre de l'Économie mais secrétaire général adjoint de l'Élysée. Cependant, il faisait partie du courant favorable à Uber et aux VTC.

Je devais avant tout lever les blocages le plus rapidement possible – ne serait-ce que pour permettre au Président de la République d'atterrir à son retour de Californie, ce qui a bien été le cas. Pour cela, j'avais demandé au Premier ministre de mettre à l'arrêt l'immatriculation des VTC, puisque 1 000 d'entre eux étaient immatriculés chaque mois.

Je rappelle que les VTC ont été créés dans le cadre d'une loi sur le tourisme à l'époque, sous le nom de véhicules de tourisme – et non de transport – avec chauffeur. Or, Uber a décidé de faire de Paris sa cible favorite. L'anecdote veut que, de passage à Paris pour un sommet de « la tech », Travis Kalanick n'ait pas trouvé de taxi et qu'il ait alors décidé d'implanter Uber en France.

Le Gouvernement n'avait donc aucune ligne. Pourtant, le texte du 1er octobre 2014 a été approuvé à l'Assemblée et au Sénat dans les mêmes termes. Nous avons donc travaillé avec l'ensemble des groupes politiques, qui étaient traversés par ces différentes influences.

Je pense que nous avons fait œuvre utile et que la segmentation du marché du transport public particulier de personnes (T3P) – issue de la loi Thévenoud – est toujours valable. Elle repose, non pas sur un prix ou un temps minimum, mais sur l'occupation du domaine public. Nous sommes revenus aux fondements de la licence du taxi, qui est une autorisation de stationnement. Depuis 2014, la loi établit que la distinction entre taxis et VTC est fondée sur l'occupation du domaine public. Les taxis ont le droit de rouler et de stationner dans des espaces publics – voies dédiés, de bus et stations de taxis – qui ne sont pas accessibles aux VTC. Nous y avons aussi ajouté la maraude électronique. L'occupation du domaine public est le seul critère qui permette de faire cohabiter une concurrence entre les taxis, qui paient ce droit, et les VTC. Cette notion prend une importance croissante dans les métropoles : le domaine public est un bien, et pouvoir l'occuper est un privilège qui justifie le prix de la licence de taxi.

Le numérique n'est pas un far-west, comme l'a encore récemment rappelé à propos des influenceurs Bruno Le Maire, actuel ministre de l'Économie. Il fallait donc établir des règles pour les VTC. Par ailleurs, la modernisation des taxis était nécessaire. Une douzaine d'articles de la loi de 2014 y était consacrée ; je pense notamment à l'obligation de proposer le paiement par carte bancaire. Le rapport préalable à la loi a également permis d'instaurer les forfaits aéroport. Par ailleurs, les taxis ont pris d'autres initiatives, comme les applications numériques.

Le rapport que j'ai remis au Premier ministre à la fin de l'année 2014 s'intitulait « Un métier d'avenir, des emplois pour la France ». En effet, je suis persuadé que ce secteur va créer des emplois. La demande ne va cesser d'augmenter, car malgré le développement des transports en commun, les besoins de mobilité dans nos métropoles sont insuffisamment couverts. Ces services doivent donc être développés. Je n'ai jamais voulu interdire Uber en France mais seulement poser des règles. C'était d'ailleurs la grande crainte de Bercy et de certains de mes interlocuteurs. Pourtant, nous avons seulement interdit Uber Pop. Ce service permettait à chacun d'entre nous de devenir un chauffeur potentiel, sans assurance ni garantie de sécurité routière. Il fallait donc l'interdire. En revanche, j'ai très rapidement considéré qu'il fallait des concurrents aux taxis, à condition qu'ils respectent la règle du jeu – à savoir, l'occupation du domaine public, qui permet désormais à chacun de se développer.

D'autres sujets sont apparus depuis dix ans, notamment le droit du travail pour les chauffeurs VTC, sur lequel je continue à travailler. À mon sens, le numérique et la responsabilité sociale ne sont pas antinomiques : on peut à la fois utiliser des outils numériques et être attaché à un modèle social français et européen – mais pas seulement, puisque la question du droit du travail des chauffeurs Uber se pose dans l'ensemble du monde, comme le montrent par exemple les débats en Californie.

Vous m'avez interrogé sur de potentielles influences. J'ai reçu des amendements de la part de tous les secteurs. Puisque j'avais réussi à mettre fin au blocage du périphérique et aux violences entre taxis et VTC, le Gouvernement m'a laissé faire : j'ai d'abord remis un rapport à Manuel Valls fin avril, suivi d'une proposition de loi en juin au nom du groupe socialiste. Le Gouvernement m'a octroyé un temps parlementaire dédié. La proposition de loi a été votée à l'Assemblée nationale puis au Sénat et promulguée le 1er octobre.

Il me semble que le texte a été voté dans les mêmes termes et aussi rapidement parce qu'il était équilibré. Le Gouvernement, qui ne savait pas quelle direction prendre, a accepté cette solution qui reste opérationnelle aujourd'hui.

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Selon vous, il n'y aurait plus de taxis parisiens aujourd'hui sans votre intervention en raison de la demande et de la popularité initiale des VTC. Cet équilibre, soutenu par le Gouvernement, a-t-il été maintenu dans les initiatives suivantes – au moins jusqu'en 2017 ?

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Thomas Thévenoud, ancien député et médiateur du conflit entre les taxis et les VTC en 2014

Plus ou moins. Je trouve que la « loi Grandguillaume » est allée trop loin en remettant en cause le statut de la location-gérance, qui me tenait à cœur. Il existe trois statuts pour les taxis : artisan, salarié et locataire. Ces derniers ont toujours été les parents pauvres du taxi : ils louent l'autorisation mais également le véhicule et la radio. J'avais donc souhaité traiter cette question en créant le statut de locataire-gérant mais finalement ce statut a été remis en cause.

Néanmoins, la ligne rouge de la distinction entre VTC et taxis en fonction du critère de l'occupation de l'espace public n'a pas été franchie. Il y a toutefois eu des tentatives : Uber a soumis ma loi et les suivantes à un crash test juridique. Uber me l'avait d'ailleurs fait savoir par avance. J'ai rencontré à une occasion le directeur général d'Uber France, Pierre Dimitri Gore-Coty, le 27 février 2014. Dans le cadre de la médiation, j'ai en effet échangé avec chacun des acteurs, en bilatéral puis en plénière, en salle Colbert, à l'Assemblée nationale. Pierre Dimitri Gore-Coty était accompagné de son cabinet d'avocats et de lobbying, et notamment par Thaima Samman, qui conseillait Uber . À cette occasion, le directeur général d'Uber France m'a indiqué qu'il ne participerait pas aux réunions mais que seul son cabinet d'avocat serait présent et qu'il ne dirait rien. Il m'a précisé que, dans tous les cas, la loi serait attaquée. Ils ont tout essayé – le Conseil d'État, l'Union européenne, le Conseil constitutionnel – et n'ont gagné que sur un seul point, à travers une question prioritaire de constitutionnalité : ils ont remis en cause l'impossibilité que j'avais introduite dans la loi d'être à la fois chauffeur de taxi et de VTC. C'est en effet un problème puisque les taxis et les VTC effectuent le même travail, mais ne suivent pas les mêmes règles. Uber a donc été un partenaire dormant durant toute cette période, présent à travers son cabinet de lobbying, mais sans émettre aucune proposition. Les VTC français, au contraire, étaient forces de propositions.

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Quelles étaient les préoccupations et les priorités de vos interlocuteurs à Bercy, et d'Emmanuel Macron, que vous avez rencontré à cette occasion ?

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Thomas Thévenoud, ancien député et médiateur du conflit entre les taxis et les VTC en 2014

Deux hauts fonctionnaires, Julie Bonamy – désignée par le ministère de l'Économie – et André Dorso – par le ministère de l'Intérieur –, m'ont été adjoints après ma nomination comme médiateur. Julie Bonamy est une inspectrice des finances très brillante et André Dorso est un ancien sous-préfet qui est devenu par la suite responsable de la commission du T3P créée par la loi. J'ai travaillé en toute confiance avec ces deux administrateurs qui ont participé à l'élaboration du rapport.

Un premier débat a concerné le lieu des auditions, Bercy comme Beauvau souhaitant les accueillir – elles se sont finalement tenues à l'Assemblée nationale car j'étais député. Nous avons échangé avec les cabinets ministériels. Un jour, Julie Bonamy m'a fortement conseillé de rencontrer Jacques Attali, ce que j'ai fait le 26 février 2014. Il m'a tout de suite fait part de son inquiétude, même s'il n'était alors pas encore question d'une loi. Pendant ce bref échange, il me semble avoir réussi à le convaincre du nécessaire équilibre que j'évoquais.

Le 27 février, j'ai rencontré Uber et, le 12 mars, Emmanuel Macron à l'Élysée. C'était la première fois que j'échangeais avec lui. Nous nous sommes tutoyés d'emblée. Il a fait preuve de beaucoup d'aisance relationnelle : nous étions immédiatement deux jeunes hommes de la même génération, qui devions nous entendre facilement, puisque nous comprenions les enjeux de la révolution numérique et des nouveaux usages. Il m'a fait comprendre qu'il ne fallait pas faire de mal à Uber en France. Ce n'était pas mon but : je voulais juste éviter que les anciens soient remplacés par les nouveaux puisque cela n'aurait servi à rien. Il a entendu, comme Jacques Attali, qu'un compromis était nécessaire. Je ne l'ai plus revu jusqu'au vote de la loi du 1er octobre 2014. Je n'ai pas le sentiment d'avoir subi de pression ni d'influence de sa part ; mais Bercy était très attentif à l'ouverture de la concurrence tandis que Beauvau voulait la restreindre au maximum.

En même temps, les taxis aussi avaient une force de frappe médiatique et de lobbying importante. Mon rôle était donc également de les convaincre qu'il leur fallait se moderniser et évoluer. Tout le monde avait ses entrées au plus haut niveau de l'État, comme aujourd'hui : la première fois que j'ai rencontré Nicolas Rousselet, c'était dans le bureau de Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale. Il me semble que la présence d'Uber auprès des autorités est plus forte aujourd'hui qu'à cette époque, où elle arrivait seulement sur le marché : l'attitude de ses représentants, d'ailleurs théorisée par Travis Kalanick, consistait à s'imposer de force sur le marché et à contester toute décision qui ne leur convenait pas devant les tribunaux. Aujourd'hui, la perméabilité entre les décideurs publics et les représentants d'intérêts est désormais documentée, grâce à la HATVP.

Je considère que je n'ai pas subi d'influence. J'ai reçu des amendements de la part des deux parties prenantes.

Par ailleurs, l'influence que révèle l'enquête Uber files ne concerne pas cette période, mais celle qui s'est ouverte en 2015. Je n'étais donc plus présent. Pour ma part, je n'ai jamais rencontré Mark MacGann. Dans tous les cas, je tenais suffisamment solidement la barre pour ne pas me laisser influencer.

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Selon vous, la nature comme l'intensité des pratiques de lobbying des taxis et des VTC était comparable.

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Thomas Thévenoud, ancien député et médiateur du conflit entre les taxis et les VTC en 2014

Elles étaient de nature différente : les taxis étaient représentés par vingt-trois organisations syndicales, dont l'une représentait directement les intérêts de la G7, et par des chauffeurs qui exerçaient leur métier souvent depuis longtemps. De l'autre côté, nous faisions face à des « startupers » – des jeunes, qui sortaient à peine de HEC, et qui voulaient créer leur entreprise.

Le climat était alors très favorable à Uber. La couverture médiatique a radicalement changé depuis : elle déplore généralement la qualité du service, rapporte des agressions, remet en cause la rentabilité du modèle ou évoque les difficultés des chauffeurs en matière de droit du travail. À l'époque, certains députés m'ont accusé de ringardise parce que je défendais les taxis : pourtant, ce n'était pas le cas. Je tenais uniquement à imposer des règles pour permettre à chaque acteur de se développer.

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Ce débat agite toutes les grandes économies, jusqu'aux États-Unis. En Europe, il donne lieu à la discussion sur la directive de présomption de salariat. Quel est votre point de vue sur ces questions ?

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Thomas Thévenoud, ancien député et médiateur du conflit entre les taxis et les VTC en 2014

Je suis favorable au projet de directive européenne. L'Europe, souvent critiquée pour son libéralisme, se montre ici moins libérale que le gouvernement français. La régulation du numérique vient davantage de Bruxelles que de Paris – en témoignent le Digital markets act ou le Digital services act, qui sont de grandes avancées. L'Europe a un message à adresser au monde dans ce domaine. Paradoxalement, la France – et son Gouvernement actuel en particulier – reste en retrait.

Je travaille actuellement avec des chauffeurs VTC, des avocats et des syndicalistes sur une piste complémentaire : le coopérativisme. Les coopératives concilient en effet la volonté d'entreprendre avec une forme de protection. Nous avons créé une coopérative de chauffeurs VTC en Seine–Saint-Denis : son objectif n'est pas de concurrencer Uber – il faudrait pour cela des milliers de chauffeurs –, mais de proposer un modèle alternatif aux chauffeurs.

La directive européenne est donc nécessaire et le Gouvernement français doit évoluer sur ses positions dans cette direction, car elles ne sont plus conformes aux conditions de travail. Certaines plateformes VTC françaises, comme Heetch, se posent d'ailleurs des questions sur le niveau de rémunération des chauffeurs.

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Les Uber files révèlent un lobbying intensif d'Uber vis-à-vis du ministre de l'Économie de l'époque juste après l'adoption de votre loi : recours à des économistes pour soutenir le modèle Uber, publication d'articles pour ringardiser le secteur des taxis, etc. Emmanuel Macron lui-même est arrivé à Bercy cinq semaines plus tard.

Plusieurs figures d'Uber se rendent alors à Bercy : Travis Kalanick, président du groupe, David Plouffe, ancien conseiller de Barack Obama, et Pierre Dimitri Gore-Coty, directeur général d'Uber pour l'Europe de l'Ouest. Mark MacGann, présent à cette rencontre, la résume ainsi à ses collaborateurs : «  en un mot, spectaculaire, du jamais vu. On quitte Bercy et on file à l'aéroport. Je vous tape un rapport dans la journée. Beaucoup de boulot à venir, mais on va danser bientôt  ».

Dans un compte-rendu rédigé par Uber, ces représentants décrivent leur satisfaction d'être sur la même ligne que Bercy : «  globalement, l'objectif du ministère de l'économie est d'avancer afin de clore le dossier VTC-taxis, tout en évitant que trop de barrières soient imposées au développement du secteur VTC  ».

Les Uber files laissent entendre qu'Uber a fait part de ses inquiétudes quant à l'application de la loi Thévenoud et sur la durée de formation des chauffeurs, perçues comme des freins au développement de son activité.

L'application Uber Pop devait être interdite par votre loi. Or, les Uber files révèlent que les dirigeants d'Uber ont mené un lobbying intensif pour en détricoter une partie : le 20 janvier 2015, une deuxième rencontre a eu lieu entre Travis Kalanick et Emmanuel Macron, alors qu'Uber était confronté à une enquête judiciaire. C'est à ce moment que s'est engagé le «  deal  » – pour reprendre les termes du ministre de l'Économie – qui devait, en échange de la fin d'Uber Pop, alléger de manière significative les conditions requises pour exercer l'activité de VTC, permettant ainsi à Uber de recruter massivement des chauffeurs pour envahir le marché.

Je suppose que vous avez continué à suivre l'actualité à ce sujet. Quel est votre point de vue sur ces révélations ? Ce « deal » était-il nécessaire puisque la loi allait mettre fin à Uber Pop ?

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Thomas Thévenoud, ancien député et médiateur du conflit entre les taxis et les VTC en 2014

Non. Uber ne faisait pas une concession en mettant fin à Uber Pop : il s'agissait seulement d'appliquer la loi.

Je ne peux pas me prononcer sur ces rencontres entre Uber et le ministre de l'Économie, puisque je n'en avais pas connaissance. Cependant, force est de constater la cohérence dont témoigne l'attitude d'Emmanuel Macron : comme il l'a répété le 14 juillet 2022 quand il s'est exprimé sur les Uber files, il assume entièrement ces faits. Pour lui, il vaut mieux être chauffeur VTC que «  tenir les murs  », ainsi qu'il l'a déclaré avant sa première élection. Certes, mais la situation de l'emploi a profondément évolué depuis cette période. Par ailleurs, la qualité de service d'Uber s'est fortement dégradée et de nombreux problèmes juridiques ont émergé. On peut donc lui reconnaître une cohérence idéologique mais il est difficile d'ignorer la question de la protection sociale des chauffeurs aujourd'hui.

D'ailleurs, de plus en plus de jeunes qui se lancent comme VTC aspirent à devenir chauffeurs de taxi et suivent des formations. Depuis le départ, j'insiste sur la nécessité d'une formation de haut niveau : il ne s'agit pas seulement de conduire un client en toute sécurité, mais aussi de parler anglais et de suivre une formation dans les matières liées au commerce. Cette formation devrait faire partie de la réglementation.

Au-delà du statut, il y a d'autres questions importantes. Dans le rapport que j'avais produit – et dont les recommandations ne sont d'ailleurs pas obsolètes – je proposais un observatoire de la mobilité à l'échelle parisienne et l'élaboration d'un rapport d'évaluation de l'application de la loi. Il a fallu un an et demi pour que ce rapport soit produit. J'ai dû poser une question d'actualité au Gouvernement pour l'obtenir – peut-être parce que certains ne voulaient pas le publier, pour ne pas faire part d'influences ou de rencontres : je l'ignore. En tout cas, il importe de réévaluer cette loi et de reprendre les propositions émises dans le rapport d'avril 2014, notamment en créant des voies dédiées entre Paris et les aéroports, en associant davantage les collectivités locales, etc. Il en va de l'intérêt des 60 000 chauffeurs VTC actuels, et du développement de ce secteur – qui est le seul, au sein de l'artisanat, à recruter massivement.

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Vous indiquez que votre rôle de médiateur consistait à définir l'intérêt général en cherchant un compromis entre des intérêts divergents. La stratégie d'Uber, à ce moment-là, se résumait à observer les avancées législatives avant d'en attaquer les dispositions devant les tribunaux.

Une fois la « loi Thévenoud » adoptée, Uber est passé à une nouvelle étape dans sa stratégie de lobbying. Vous avez bien confirmé que le «  deal  » sur Uber Pop n'était pas nécessaire. À partir de ce moment-là, nous avons le sentiment d'une rupture dans l'équilibre. Le cadeau offert par Emmanuel Macron sur l'allègement des exigences sur la formation ne relevait pas du portefeuille du ministre de l'Économie et se trouvait en contradiction avec les positions des ministères de l'Intérieur et des Transports. Qu'en pensez-vous ? Avez-vous suivi ces négociations ?

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Thomas Thévenoud, ancien député et médiateur du conflit entre les taxis et les VTC en 2014

J'étais toujours député à cette époque. Cette rupture marque en réalité une nouvelle étape politique dans le quinquennat de François Hollande. Cette histoire illustre en fait l'évolution politique du Gouvernement à partir de l'arrivée d'Emmanuel Macron en septembre 2014, marquée notamment par la « loi Macron » et la « loi El Khomri ». Or, la tête de l'État était hésitante. Les députés eux-mêmes ont ressenti cette pression accentuée en faveur d'une orientation plus libérale. Texte après texte, la majorité a pris un autre chemin.

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La « loi Macron » et la « loi El Khomri » ont cependant fait l'objet d'un débat parlementaire. Ce n'est pas le cas des mesures qui ont détricoté la « loi Thévenoud » – qui n'ont pas même donné lieu à un débat au sein du Gouvernement : on a l'impression qu'Emmanuel Macron a imposé ces modifications, après s'y être engagé auprès des dirigeants d'Uber. Le lobbyiste Maxime Drouineau, qui a assisté à la deuxième rencontre entre Emmanuel Macron et Travis Kalanick à Bercy, a tenu les propos suivants, rapportés par les Uber files : «  Emmanuel Macron est favorable à une licence “ light ” pour les VTC, et par conséquent, à un allègement significatif des conditions requises renforcées par la loi Thévenoud  ». Il résume la stratégie définie : « Nous nous sommes mis d'accord avec Emmanuel Macron sur un process en deux temps : 1/ Proposer un ou plusieurs amendements à la loi Macron avant demain soir afin de modifier la réglementation actuelle introduite par la loi Thévenoud. 2/ Nous avons une fenêtre de quatre semaines pour mener une campagne de communication avec Macron afin de faire accepter l'idée qu'une licence VTC light serait une solution pour l'emploi et la mobilité. Dans ce contexte, il s'agira de trouver le moment opportun pour rédiger un décret abolissant le régime proposé par la loi Thévenoud et introduire une réglementation plus souple  ». C'est ce qui donnera lieu aux amendements de Luc Belot. Le nom de Julie Bonamy, conseillère d'Emmanuel Macron, est d'ailleurs cité dans les Uber files par un dirigeant d'Uber qui salue la volonté de Luc Belot de déposer ces amendements.

Avez-vous découvert cette proximité lorsque vous étiez député ou l'avez-vous découverte lors de la publication des Uber files  ?

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Thomas Thévenoud, ancien député et médiateur du conflit entre les taxis et les VTC en 2014

J'ai découvert ces informations au moment des Uber files. Par ailleurs, je pense qu'Uber n'a pas été mécontent de me voir perdre ma place au Gouvernement : cela permettait évidemment de faire pencher la balance dans un sens plus libéral – qui correspondait à l'orientation générale qu'ont prise le Gouvernement et le Président de la République à partir de septembre 2014.

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Vous avez fait part de vos recommandations pour maintenir l'équilibre entre VTC et taxis. Sur de nombreux aspects, votre loi n'est toujours pas appliquée : c'est notamment le cas de l'interdiction de la maraude électronique. Quel regard portez-vous sur ce sujet ? De même, il s'est écoulé une très longue période avant que les décrets d'application de la « loi Grandguillaume » soient promulgués – et de nombreux points ne sont toujours pas appliqués.

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Thomas Thévenoud, ancien député et médiateur du conflit entre les taxis et les VTC en 2014

C'est un peu le drame de la fonction de législateur : certains de nos textes ne rentrent pas en application.

Je pense qu'il faut continuer à moderniser les taxis. Le forfait aéroport, par exemple, devrait être étendu dans le cadre du Grand Paris, et non s'appliquer seulement à Paris intramuros. Il faut aussi créer un registre national de la disponibilité des taxis afin de pouvoir géolocaliser en temps réel les taxis disponibles, comme l'a suggéré le ministère des Transports.

De la même manière, il faut continuer à réglementer les VTC. Outre la question des droits sociaux et du droit du travail, il faut travailler sur la qualité de service. Nous devons lutter contre les incivilités et les agressions qui ont été observées tant dans les VTC que dans les taxis.

Il faut reprendre point par point les différents articles des lois de 2014, de 2016 et du rapport initial. J'ai espoir que ce secteur d'activité continue à se développer. Uber ne peut pas prétendre que son développement a été entravé par la « loi Thévenoud » puisque le nombre de chauffeurs a en effet explosé.

J'ai le souvenir que Nicolas Rousselet m'avait dit : «  votre loi est une très bonne loi, parce qu'elle mécontente tout le monde : c'est souvent l'indice des bonnes lois  ». Elle mécontentait aussi la G7, qui a fait modifier certaines de ses dispositions par la « loi Grandguillaume », comme la location-gérance. Il faut continuer à moderniser et à poser des règles du jeu : ces dernières n'empêchent ni le développement des plateformes ni leur rentabilité.

Je souhaiterais que les chauffeurs VTC, qui ont été directement affectés par la crise sanitaire, et les livreurs, qui font partie de la même catégorie de travailleurs des plateformes et que l'on voit sillonner nos villes, puissent avoir accès à un statut, une protection, des papiers et qu'ils soient régularisés. C'est ce que doit essayer de faire le Gouvernement français pour concilier le numérique et le modèle social.

La commission d'enquête entend ensuite M. Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches du Rhône.

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Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir M. Laurent Nuñez, en tant qu'ancien préfet de police des Bouches du Rhône entre 2015 et 2017.

Monsieur Nuñez, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions, dans une période assez chargée pour vous et vos services.

Nous avons entamé en février les travaux de notre commission d'enquête sur les révélations des Uber files, l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences. Vous le savez, à partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d'investigation ont publié ce qu'il est désormais convenu d'appeler les Uber files : s'appuyant sur 124 000 documents internes à l'entreprise américaine datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France, comme dans de nombreux pays, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personnes réservé jusqu'alors aux taxis.

Dans ce contexte, notre commission d'enquête a, d'une part, pour objet d'identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour pouvoir s'implanter en France, le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d'intérêts ; d'autre part, pour ambition d'évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement du modèle Uber en France et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.

Dans la mesure où votre nom est cité par les Uber files, il a nous a semblé indispensable de vous auditionner pour connaître votre version des faits qu'ils relatent. En l'occurrence, le 21 octobre 2015, vous avez pris un arrêté interdisant le service UberX dans le centre-ville de Marseille, à l'aéroport Marseille-Provence et à la gare Aix-en-Provence TGV. Mark McGann, le lobbyiste d'Uber, s'en est plaint aussitôt auprès du cabinet du ministre de l'économie dans ces termes : «  Monsieur le Ministre, nous sommes consternés par l'arrêté préfectoral à Marseille. Pourriez-vous demander à votre cabinet de nous aider à comprendre ce qui se passe ?  ». Quelques jours plus tard, l'interdiction a disparu au profit de contrôles accrus pour les chauffeurs qui ne seraient pas en règle.

Quelles étaient les difficultés posées par le service UberX dans les Bouches-du-Rhône au point de l'interdire par arrêté préfectoral ? Pour quelles raisons aviez-vous modifié cet arrêté ? Aviez-vous reçu une directive de la part du ministre de l'Économie ou de tout autre décideur public en ce sens ?

Je rappelle que cette audition est publique et retransmise en direct et que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Laurent Nuñez prête serment.)

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

En découvrant mon nom dans la presse lors de la publication des Uber files, j'ai été très surpris par l'interprétation de mes deux arrêtés successifs. Les médias présentaient le second arrêté comme un renoncement par rapport au premier arrêté ; or, il n'en est absolument rien.

En tant que préfet des Bouches-du-Rhône, je n'étais pas chargé de la gestion de la réglementation des taxis, qui relève du rôle du préfet du département ou du préfet de région. J'étais pour ma part compétent sur les questions de sécurité et d'ordre public. C'est à ce titre que je suis intervenu dans ce dossier, afin de déployer les contrôles sur le terrain et de prendre des mesures réglementaires, dès lors que leur motivation touchait à la prévention des troubles à l'ordre public – ce qui était le cas de ces deux arrêtés.

De plus, à cette époque, en tant que hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, nous recevions des instructions et des directives particulièrement fermes au sujet du contrôle de l'activité des VTC. Je me réfère par exemple à un télégramme du directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur du 25 juin 2015 demandant «  la multiplication des opérations de contrôle et la totale mobilisation des comités opérationnels départementaux antifraude (Codaf) en ciblant prioritairement les conducteurs de type Uber Pop ». La fermeté de ces instructions ministérielles ne traduit aucune complaisance à l'égard de la société Uber à cette époque.

Je suis donc très étonné de la lecture du deuxième arrêté, pris le 3 novembre 2015. Avant ces arrêtés, de nombreux chauffeurs VTC ou de véhicules de transport collectif légers (Loti) utilisaient l'application UberX et exerçaient la maraude, à l'encontre des règles de retour à la base entre chaque course et de l'interdiction de maraude qui s'appliquent aux VTC. Alertés par les représentants des taxis et par ces instructions ministérielles, nous constations que l'application UberX permettait de contourner ces règles, de manière totalement illégale.

S'en sont suivis de grandes difficultés et des troubles avec les taxis, dans les gares de Marseille Saint Charles et d'Aix, à l'aéroport et dans certains arrondissements de Marseille. C'est dans ce cadre que j'ai signé ce premier arrêté le 20 octobre 2015, dont nous avions convenu avec le préfet. En réalité, il s'agissait surtout d'une mesure d'affichage, puisque l'arrêté interdisait une activité déjà illégale. Nous souhaitions rappeler fermement les règles.

L'arrêté interdisait «  l'activité de transport routier à titre onéreux effectuée par des conducteurs ne remplissant pas les conditions réglementaires, organisée par la société Uber France SAS, ou ses intermédiaires, au moyen de l'application pour mobile UberX  », et s'appliquait à quelques arrondissements de Marseille, l'aéroport de Marseille et la gare SNCF d'Aix-en-Provence TGV.

Nous nous sommes aperçus que cet arrêté était sans doute trop limité, que les VTC commettaient d'autres types de fraudes et que certains chauffeurs utilisaient d'autres applications qu'Uber. Nous avons donc décidé de prendre un second arrêté le 3 novembre 2015 – qui ne revenait en rien sur le premier. Au contraire, il embrassait tout le champ du transport de personnes et ne faisait plus seulement référence à l'application UberX. Il indiquait ainsi : «  L'activité de transport routier de personnes à titre onéreux effectués par des conducteurs et/ou sociétés partenaires de la Société Uber SAS, ou par tout autre opérateur, dans des conditions ne respectant pas les règles fixées par la législation en vigueur, est interdite dans le département des Bouches-du-Rhône  ».

Cet arrêté était beaucoup plus restrictif. Les responsables d'Uber ont alors demandé un entretien auprès des responsables du département, qui a effectivement eu lieu, en ma présence. Ils n'ont donc pas vu cet arrêté comme étant plus souple. Nous leur avons fermement rappelé la réglementation à l'occasion de ce rendez-vous.

Immédiatement, nous avons adressé une note aux parquets d'Aix-en-Provence et de Marseille pour préciser le sens de mon arrêté, qui expliquait : «  vous constaterez que contrairement à l'arrêté préfectoral émis par la préfecture de police, le présent acte ne vise directement aucune entreprise mais est au contraire de portée générale. Il est en conséquence applicable à l'ensemble des prestataires, VTC ou exploitants Loti, afin de parer notamment l'adaptation de la société Uber aux éventuelles failles de la réglementation  ». Il est donc totalement faux de dire que ce deuxième arrêté accordait des largesses à Uber.

Vous noterez que ces deux arrêtés n'ont pas été attaqués sur le fondement de l'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie : nous étions pourtant sur une ligne de crête. Nous étions dans une posture d'affichage très offensive vis-à-vis du comportement des chauffeurs Uber. En réalité, nous procédions à un très grand nombre de contrôles, conformément aux instructions du directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur de 2015. J'y participais même personnellement et les taxis étaient très satisfaits.

Je n'ai subi aucune pression. Je n'ai rencontré les représentants d'Uber que lors de l'entretien avec le préfet de département, pour leur dire fermement que nous appliquerions les textes compte tenu des irrégularités constatées, et leur rappeler que les chauffeurs Uber devaient revenir à leur base et ne travailler que sur réservation préalable.

J'ai donc très mal réagi en découvrant mon nom dans les Uber files, qui laissent entendre que j'aurais assoupli l'arrêté sous l'effet d'une pression exercée à mon encontre. Au contraire, je n'ai jamais été sous influence et je l'ai rendu plus restrictif encore – ce qui s'est traduit par des contrôles systématiques des VTC et des véhicules Loti. Petit à petit, beaucoup de chauffeurs se sont inscrits dans le cadre de la loi Loti – en contournant d'ailleurs ce texte. Nos contrôles étaient très productifs et donnaient lieu à de nombreuses verbalisations, voire à des retraits, comme le prévoyait la sanction.

Encore une fois, j'ai signé cet arrêté pour prévenir des troubles à l'ordre public, en ligne avec la position du préfet de département.

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Vous avez évoqué une ligne de crête. Quel était votre raisonnement juridique pour établir un équilibre entre respect de l'ordre public et de la liberté de commerce ? Quel était celui d'autres villes ou départements confrontés au même problème ?

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

J'ignore si d'autres départements ont pris des arrêtés similaires, mais la piste d'une interdiction pour prévenir les troubles à l'ordre public avait été explorée, notamment à Paris – sans toutefois avoir été mise en œuvre.

J'évoque une ligne de crête, car il était évident que les activités illégales étaient interdites. L'arrêté avait surtout pour objet d'empêcher des troubles à l'ordre public. Mes arrêtés restaient légaux, car ils rappelaient que l'activité était interdite parce qu'elle était effectuée dans des conditions qui n'étaient pas légales. C'est ce que nous avons précisé dans la note que nous avons envoyée au parquet : «  l'arrêté préfectoral du 3 novembre consacre donc la pleine application du code des transports, et répond à la nécessité posée par la jurisprudence de justifier d'une réglementation spécifique pour limiter la liberté du commerce et de l'industrie sur le domaine public  ».

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Comme nous l'a rappelé M. Thomas Thévenoud lors de son audition, les positions au sein du Gouvernement étaient très différentes. Le ministre de l'Intérieur ainsi que son prédécesseur étaient très attachés au respect de la réglementation du transport de personnes à titre onéreux et de la profession des taxis, et préoccupés par le maintien de l'ordre public – dans un contexte de tensions accrues. Comprenez toutefois que le doute puisse planer : les Uber files révèlent les échanges suivants entre Mark MacGann et Emmanuel Macron : « Monsieur le Ministre, nous sommes consternés par l'arrêté préfectoral à Marseille interdisant UberX, service VTC. Nous avons appris cela par l'AFP et avons informé votre cabinet. Pourriez-vous à votre cabinet de nous aider à comprendre ce qui se passe ? Respectueusement, Mark  ». Emmanuel Macron, ministre de l'Économie lui répond par SMS, alors qu'Uber bafoue les lois de la République : «  Je vais regarder cela personnellement. Faites-moi passer tous les éléments factuels et nous décidons d'ici ce soir. Restons calmes à ce stade : je vous fais confiance  ». Qu'en pensez-vous ?

Effectivement, l'arrêté interdit une activité déjà illégale. Vous conviendrez que ce qui est interdit n'est toujours pas respecté : les chauffeurs ne retournent jamais au garage et la maraude électronique reste pratiquée – même si la maraude d'UberX suivait un fonctionnement différent. Les « boers » – surnom donné par les taxis aux agents de contrôle – ont d'ailleurs beaucoup de mal à opérer aux abords des aéroports, car les VTC s'y agglutinent malgré l'interdiction d'y pratiquer leur activité, en allant jusqu'à utiliser des rabatteurs à l'intérieur même des aéroports pour orienter les clients vers ces véhicules. Ne considérez-vous pas cette situation problématique ? En tant que préfet de police, estimez-vous avoir les moyens de faire appliquer ces réglementations ? Les difficultés relèvent-elles d'un nombre insuffisant de « boers » ou faudrait-il modifier la réglementation pour faire appliquer la loi ?

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

Il ne m'appartient pas de me prononcer sur le message envoyé par Mark MacGann au ministre de l'Économie. Je n'ai subi aucune pression et n'ai eu aucun contact. Nous avons pris une décision, au contraire, encore plus restrictive que la première.

S'agissant de l'application actuelle de la réglementation, il est évident que des abus persistent dans le monde de transport de personnes en véhicule notamment particulier. Cependant, le problème majeur auquel nous sommes confrontés est l'exercice illégal de plusieurs activités, qu'il s'agisse de VTC ou de taxis et mototaxis clandestins, notamment aux abords des aéroports.

En 2015, Uber commençait à peine à exercer son activité. Depuis cette date, la situation s'est rationalisée.

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Vos services ont une charge de travail importante liée à la lutte contre les clandestins dans le transport public particulier de personnes (T3P). Cependant, même les chauffeurs dotés d'une licence n'appliquent pas les normes en vigueur de retour au garage. Estimez-vous avoir les moyens suffisants pour faire appliquer cette loi ?

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

Les opérations de contrôle que nous organisons portent sur l'ensemble des professionnels. Nombre de clandestins s'appuient sur des rabatteurs et des observateurs qui les alertent de nos contrôles. Comme dans toute profession, une minorité de personnes ne respectent pas la réglementation, qu'il s'agisse de VTC ou de taxis. Des commissions disciplinaires sont saisies à cet égard. Je vous transmettrai les résultats des contrôles et leurs motifs. En 2022, six commissions de discipline ont été dédiées aux VTC, et trente-cinq avis de sanction de retrait de carte professionnelle ont été rendus.

Les bilans des contrôles sont remontés au jour le jour. Je constate que les verbalisations concernent tous les professionnels et que les plus fréquents restent les taxis clandestins.

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Je m'interroge sur l'origine de ces arrêtés. Le préfet de police doit-il en référer à sa hiérarchie ? Quelle est cette hiérarchie ? Y a-t-il des consultations de parties prenantes, comme la Chambre de commerce ou la Chambre des métiers ?

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

Comme à Paris, Marseille compte un préfet tourné vers la sécurité, qui est autonome et qui relève directement de l'autorité du ministre, au même titre que le préfet du département des Bouches-du-Rhône, qui est aussi préfet de région et de zone, qui relève aussi directement de l'autorité du ministre.

Nous avions reçu des instructions de fermeté de la part du ministre de l'Intérieur, mais je n'ai pas le souvenir que nous ayons informé le cabinet du ministre de cette décision. Je considérais qu'elle faisait partie du mandat général de grande fermeté que nous avions reçu.

S'agissant de l'information des acteurs, les professionnels des taxis – qui avaient été reçus plusieurs fois par le préfet de département – savaient que nous nous montrions fermes à l'égard des VTC. Il me semble qu'ils étaient informés de cette mesure, de même que les représentants de la société Uber.

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L'information a été communiquée à vos fonctionnaires par la voie hiérarchique, avec une instruction claire de mise en œuvre ?

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

Elle a été communiquée à l'ensemble des services de police et de gendarmerie sur l'ensemble du département et assortie d'une note d'explication auprès du parquet qui précisait également la nature des infractions constatées sur le terrain. Le but était d'augmenter le nombre de contrôles pour appréhender ceux qui ne respectaient pas les règles.

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Qu'advient-il après un contrôle constatant qu'un taxi est clandestin ?

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

En cas d'infraction, des poursuites pénales sont entamées. Les chauffeurs de taxi clandestins sont des personnes qui exercent de manière illégale une activité de transport de personnes. En revanche, lorsque l'infraction concerne une profession réglementée, il y a par ailleurs des sanctions administratives décidées en commission, allant de l'avertissement au retrait de la licence ou de l'autorisation de carte de VTC.

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Un taxi clandestin peut ne pas avoir de licence : y a-t-il une traduction directe devant le tribunal correctionnel pour usurpation d'identité ou de qualité ? Ces chauffeurs sont-ils en situation irrégulière sur le sol français ? Qu'advient-il dans ce cas ?

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

Les personnes qui se livrent à l'activité de taxi de manière illégale peuvent être condamnées. Je vous transmettrai le bilan des verbalisations auxquelles nous avons procédé au titre des taxis clandestins et des suites judiciaires qui ont été données. Lorsqu'il y a un délit, il y a une infraction et donc des poursuites pénales.

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Pourtant, les aéroports sont munis de très nombreuses caméras : comment se fait-il que l'on ne parvienne pas à endiguer ce phénomène ? Et qu'advient-il des taxis clandestins qui sont en situation irrégulière sur notre territoire ?

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

Pour appréhender les taxis clandestins, il faut d'abord pouvoir les interpeler en flagrant délit : or, les réseaux sont de plus en plus organisés et font appel à des informateurs qui alertent les chauffeurs de contrôles. Nous en interpelons toutefois, bien entendu. Tout étranger en situation irrégulière interpelé commettant une infraction fait systématiquement l'objet d'une procédure administrative au titre du séjour irrégulier.

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Pouvez-vous estimer le ratio entre le nombre de chauffeurs de taxi et le nombre de VTC dans la capitale ? Les commissions locales du T3P prévues dans la « loi Grandguillaume » se tiennent-elles à Paris ?

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

Les commissions se tiennent régulièrement à Paris. En tant que préfet de police, je préside moi-même ces commissions dites C3P. J'étais hier avec les représentants des professionnels des taxis pour discuter de l'objectif de 1 000 taxis pour les personnes à mobilité réduire pour les Jeux olympiques et paralympiques. Je peux à ce titre attester du haut niveau de réglementation qui pèse sur cette profession.

Je vous transmettrai les chiffres que vous me demandez. Il me semble que 19 000 taxis exercent leur activité à Paris, dont 13 000 ont le statut d'artisan, et que le nombre de cartes professionnelles de VTC à Paris s'élève à 10 451. Le nombre de cartes délivrées chaque année diminue : il était de 695 en 2020, de 581 en 2021 et de 580 en 2022. Cependant, il faut bien noter que les VTC bénéficient d'une liberté de déplacement, même si la carte est délivrée par le préfet de département du lieu de domicile.

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Malgré vos réponses, j'ai toujours du mal à comprendre les raisons pour lesquelles vous avez pris deux arrêtés coup sur coup : s'agissant d'activités illégales, elles étaient de toute façon interdites sur l'ensemble du territoire. Préciser l'étendue de certains territoires permettait peut-être d'indiquer à Uber que les contrôles seraient concentrés en certains lieux.

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Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône

Nous avons pris un premier arrêté, qui était trop limitatif, puisqu'il ne concernait qu'une seule application. Nous avons souhaité cibler un champ territorial plus vaste et embrasser l'ensemble des opérateurs qui ne respectaient pas la réglementation. Le deuxième arrêté était plus restrictif.

La vérité est donc à l'inverse de ce qu'affirment les Uber files. Je n'ai pas assoupli le premier arrêté et, sur le terrain, nous avons intensifié les contrôles – auxquels je participais en personne. Je l'avais déjà précisé aux journalistes, qui n'en ont pas tenu compte – alors que la simple lecture des arrêtés suffit à le démontrer.

Sur le plan juridique, j'entends votre incompréhension. Ces arrêtés relevaient d'une volonté d'affichage : nous affirmions que nous ne laisserions passer aucune dérive dans l'utilisation de certaines applications.

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Et pourtant, Uber crie victoire après l'adoption de ce deuxième arrêté.

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Monsieur le préfet, je vous remercie pour votre témoignage.

La commission d'enquête entend M. Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC.

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Mes chers collègues, nous sommes heureux d'accueillir M. Luc Belot, en tant qu'ancien député.

À partir du 10 juillet 2022, plusieurs membres du consortium international des journalistes d'investigation ont publié ce qu'il est désormais convenu d'appeler les Uber files : s'appuyant sur 124 000 documents internes à l'entreprise américaine datés de 2013 à 2017, cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société Uber pour implanter en France, comme dans de nombreux pays, des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) venant concurrencer le secteur traditionnel du transport public particulier de personnes réservé jusqu'alors aux taxis.

Dans ce contexte, notre commission d'enquête a, d'une part, pour objet d'identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour pouvoir s'implanter en France, le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d'intérêts ; d'autre part, pour ambition d'évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales du développement du modèle Uber en France et les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.

Les Uber files révèlent que vous avez reçu en 2015 trois amendements écrits par l'entreprise Uber, discutés au cours de l'examen du projet de loi « Macron ». Le patron d'Uber en France s'est alors félicité d'un «  bon appel avec Luc Belot, député socialiste, soutien clé des VTC et d'Uber  ». Ces amendements, que vous avez déposés, ont été rejetés mais, selon les Uber files, cette issue devait contribuer à donner davantage de poids au ministre de l'Économie pour signer un arrêté du 2 février 2016 relatif à la simplification de la formation et à l'examen de conducteur de VTC.

Votre audition vise donc à recueillir votre version des faits révélés par les Uber files vous concernant. Quelle était la généalogie de ces amendements ? Quelles étaient vos relations avec l'entreprise Uber France à l'époque ? Aviez-vous été en contact, au préalable, avec le ministère de l'Économie pour accepter de déposer ces amendements qui ont reçu un avis défavorable ? Quel regard portez-vous sur les révélations des Uber files et sur le débat idéologique au sein de la majorité de l'époque quant à l'équilibre à définir entre innovation et protection sociale des travailleurs ?

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Luc Belot prête serment.)

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole sur ce sujet, qui nous interroge sur la manière de traiter les acteurs du numérique dans la vie quotidienne de nos concitoyens et sur la place que nous devrions ou non leur accorder. Je reviendrai sur ce sujet présenté, malheureusement, de manière très binaire alors que l'enjeu est plutôt celui de la régulation.

Mes deux domaines d'expertise en arrivant à l'Assemblée, et sur lesquels j'ai exclusivement travaillé durant cinq ans, étaient l'éducation et le numérique, dont j'ai notamment traité au sein de la commission des lois que j'ai rejointe en 2014.

J'ai été rapporteur de la loi sur la dématérialisation du Journal officiel, de la loi pour une République numérique et de la transposition de la directive sur la réutilisation des informations du secteur public (PSI). Je suis également auteur d'un rapport sur les smart cities et j'ai dirigé un groupe d'études sur les drones.

Durant trois ans, j'ai quotidiennement vécu avec l'ensemble des acteurs du numérique, tous confondus – non seulement les « Gafam », mais également des associations. La loi sur l' open data et la transposition de la directive PSI a notamment été l'objet de débats importants sur la transparence.

Le Parlement ne comptait à cette époque que peu d'experts sur ce sujet, la plupart s'intéressant d'ailleurs au secteur des télécoms, compte tenu d'enjeux importants à l'époque sur le développement de la fibre, etc.

Je n'ai plus aucune activité politique et ne souhaite plus tenir de commentaire sur la vie politique locale ou nationale, bien que je suive avec intérêt le travail de l'Assemblée nationale. J'ai conservé quelques activités pro bono sur des sujets numériques, en réponse aux sollicitations de la Direction générale des entreprises (DGE), de la Caisse des dépôts et de l'ONU Habitat, sur des enjeux liés à la transparence, aux données personnelles ou à l'accessibilité.

À l'époque, ne traitant que de sujets numériques, mes relations avec le ministère de l'Économie et le secrétariat d'État au Numérique étaient constantes. J'ai mené un très grand nombre d'auditions publiques dans le cadre des projets de loi dont j'ai été rapporteur ou de mon rapport sur les smart cities, avec des acteurs comme Heetch, Google, Uber, Blablacar, Amazon ou encore Facebook. J'ai aussi participé à un club parlementaire numérique avec des députés et des sénateurs qui se réunissait toutes les trois semaines, dont les trois quarts des membres étaient des acteurs du numérique, nationaux et internationaux, au sens large. La plupart d'entre eux étaient accompagnés de lobbyistes – ou d'influenceurs, selon le terme qui prévalait à cette époque.

Ce travail s'est déroulé en toute transparence : je communiquais, y compris sur les réseaux sociaux, l'ensemble de mes auditions. L'essentiel de mes rendez-vous étaient indiqués sur mon agenda mais toutes ces rencontres autour du numérique étaient publiques. Chaque semaine, je recevais plusieurs acteurs, toutes natures confondues : associations, associations d'élus, acteurs privés français et internationaux du secteur. Je revendiquais la transparence de ces relations. En effet, il me semblait que pour bien légiférer, il convenait d'entendre tous les avis, aussi partagés, voire, opposés soient-ils.

J'étais favorable à une régulation des acteurs du numérique plutôt qu'à leur simple interdiction. À cette époque, le niveau de service des taxis était bien éloigné de celui que nous connaissons désormais : les taxis n'acceptaient presque jamais la carte bancaire et n'avaient pas de monnaie. En région, il était très difficile de trouver un taxi. C'est alors qu'un acteur disruptif est arrivé sur le marché, avec un niveau de service bien supérieur. Aujourd'hui, la situation s'est inversée : les Uber rendent un service médiocre tandis que les taxis se sont largement améliorés.

Concernant le sujet des amendements, les parlementaires recevaient chaque jour des dizaines d'amendements sur leur boîte mail de l'Assemblée : ils se sont comptés en milliers lors de la loi sur le mariage pour tous. La loi sur la croissance et l'activité a aussi fait l'objet de propositions massives, d'ailleurs émises en majorité par des notaires.

J'ai toujours adopté une pratique très transparente : quand je déposais un amendement, qu'il ait été travaillé avec mon équipe, un acteur du numérique, un collaborateur du groupe ou un administrateur, c'était le mien, et il reflétait mon avis. C'était bien le cas sur les VTC, car j'avais toujours assumé vouloir plus de libertés pour ce secteur.

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Vous assumez ces amendements, car ils s'inscrivaient dans un choix politique et économique. Confirmez-vous n'avoir reçu aucune récompense en échange de leur dépôt et de leur défense ?

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

En effet. Dans le cadre de mon rapport sur les smart cities, je me suis rendu à Amsterdam, où j'ai rencontré les responsables d'Uber pour travailler sur une expérience de prolongement des transports en commun à Londres, pour recentrer l'activité de la plateforme autour du dernier kilomètre – en particulier à destination des femmes et la nuit. Je recommandais d'ailleurs dans mon rapport de profiter des services VTC pour compléter l'offre de services publics sur certaines tranches horaires ou sur certaines lignes.

Le débat, dont je parlais tout à l'heure, se posait en des termes binaires : il s'agissait d'autoriser ou d'interdire purement et simplement Uber. Or, cette manière d'appréhender la situation me semble contre-productive : quand nous avons décidé d'interdire la réduction de 5 % sur les livres, Amazon en a profité pour offrir la livraison gratuite – ce qui revenait au même, voire devenait plus intéressant. Les acteurs du numérique trouvent toujours des biais : plutôt que de les interdire, il faut plutôt se demander comment les réguler. Par ailleurs, j'ai toujours assumé mon opposition à Uber Pop, qui n'était rien d'autre que du travail au noir déguisé, et qui soulevait des risques importants.

J'ai le souvenir d'une séance de nuit lors du débat sur la loi pour une République numérique, où tous les parlementaires de Paris ont défendu en bloc des amendements pour interdire Airbnb, sans aucun effet. En revanche, nous avons pu, par la suite, travailler sur la régulation, avec un numéro unique d'enregistrement et une durée de séjour limitée à 120 jours. Bien entendu, nous pourrions aller plus loin aujourd'hui mais ce travail d'obstruction n'avait pas de sens. Il en allait de même sur les VTC.

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Les représentants d'Uber ne vous ont donc pas offert de récompenses en échange des amendements que vous avez soutenus : ils savaient seulement que vous aviez une ligne politique favorable au développement économique du secteur.

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

Merci de me rappeler la question à laquelle je n'ai pas répondu. Je travaillais depuis plusieurs mois sur les enjeux de la disruption avec des schémas assez clairs. En réalité, les VTC ne sont ni plus ni moins que des taxis associés à une plateforme numérique ; Blablacar ne faisait qu'organiser l'autostop sur une application ; de même, les services offerts par Airbnb existaient déjà dans le cadre d'échanges de maisons, par exemple pour les enseignants. Cependant, l'outil numérique a permis de démultiplier les services et de les rendre accessibles et moins chers. Uber connaissait donc ma position. J'étais déjà utilisateur d'Uber. Je n'ai reçu aucune prestation ni aucune compensation : je n'ai jamais travaillé pour eux. Ce ne serait pas des pratiques acceptables.

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Vous avez expliqué que ces amendements reflétaient votre propre position, tout en rappelant que vous fréquentiez un très grand nombre d'acteurs du numérique. Vous estimez ne pas être instrumentalisé et vous insistez sur la transparence : en séance, avez-vous publiquement assumé la traçabilité de vos amendements afin d'éclairer la délibération collective ?

Quel était le contenu de ces amendements ? Uber souhaitait revenir sur la « loi Thévenoud » et notamment sur l'obligation de retour à la base, qui avait pourtant fait l'objet d'un débat transparent dans l'hémicycle. Uber ne cachait pas non plus sa volonté de se passer du code du travail et de s'extraire de toute obligation sociale, notamment en faisant porter la TVA sur ses chauffeurs et en échappant à l'impôt sur les sociétés par le biais de stratégies d'optimisation, voire d'évasion fiscale.

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

La transparence est en effet essentielle. La liste des auditions que j'ai menées avec l'ensemble des acteurs est disponible sur le site de l'Assemblée.

S'agissant du contenu des amendements, je précise qu'aucun ne concernait le nombre d'heures de formation, contrairement à ce qui a pu être dit. Je ne me suis jamais caché du travail mené avec Uber lors de la rédaction des amendements – qui restaient les miens. J'ai toujours procédé de cette manière.

Il me semble pertinent que lorsqu'un amendement est repris in extenso, le nom de son auteur soit explicite. Si j'étais toujours parlementaire, je me plierais à une telle obligation avec bonne volonté.

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Vous dites qu'il était de notoriété publique que vous auditionniez ces acteurs. Lorsque vous présentez ces amendements, en commission comme en séance, indiquez-vous de manière transparente et officielle qu'ils vous ont été transmis par Uber ?

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

Ces amendements reflétaient mes positions. Je ne me suis jamais caché de travailler avec ces acteurs, mais ces amendements restaient les miens.

L'amendement 3074 discuté en séance le 28 janvier, que les journalistes ont évoqué, portait sur les enjeux des garanties financières : il demandait de ne pas imposer de garanties financières complémentaires aux chauffeurs ayant acheté leur propre véhicule, afin de leur éviter une double peine. Après un avis défavorable de Gilles Savary, cet amendement a fait l'objet d'une demande de retrait par le ministre, évoquant un arrêté dont la publication était imminente sur ce point précis. Contrairement à ce que j'ai lu dans la presse, ni cet amendement ni les autres – le 3038 rectifié, le 2954 et le 2385 après l'article 35 undecies, jugé irrecevable – ne concernaient le nombre d'heures de formation.

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Que pensez-vous d'une obligation de traçabilité des amendements ? S'agirait-il d'une démarche positive et constructive d'amélioration du cadre du débat public ?

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

Comme je vous l'ai indiqué, je me plierais assez facilement à cette logique si j'étais parlementaire aujourd'hui. À cette époque, chacun connaissait les sujets sur lesquels je travaillais et mes positions sur les enjeux de l'innovation et les acteurs du numérique.

Les débats sur le projet de loi sur la croissance et l'activité avaient eu lieu en toute transparence. Ils étaient d'ailleurs d'une très grande qualité, tant en commission qu'en séance.

Ma proximité avec les acteurs numériques et ma position en faveur d'une régulation plutôt que d'une interdiction étaient de notoriété publique.

Je pense que cette transparence est souhaitable. La commission des lois a d'ailleurs voté la « loi Sapin 2 », qui a formé une première étape essentielle sur les enjeux de transparence. Il faut par ailleurs noter que les associations comme les entreprises ou les syndicats défendent tous leurs intérêts, leurs doctrines ou leurs valeurs.

Présidence de M. Frédéric Zgainski, vice-président.

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Lors du dépôt de vos amendements, saviez-vous d'emblée que le ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, y apporterait un avis défavorable ? Étiez-vous conscient que la discussion de ces amendements était une manière de préparer le terrain pour publier un arrêté facilitant l'exercice de l'activité de VTC, comme l'indiquent les Uber files  ?

Les Uber files révèlent en effet que le lobbyiste d'Uber, qui a assisté à la rencontre entre Travis Kalanick et Emmanuel Macron à Bercy, a déclaré : «  Nous nous sommes mis d'accord avec Emmanuel Macron sur un process en deux temps : 1/ Proposer un ou plusieurs amendements à la loi Macron avant demain soir afin de modifier la réglementation actuelle introduite par la loi Thévenoud. 2/ Nous avons une fenêtre de 4 semaines pour mener une campagne de communication avec Macron afin de faire accepter l'idée qu'une licence VTC “ light ” serait une solution pour l'emploi et la mobilité. Dans ce contexte, il s'agira de trouver le moment opportun pour rédiger un décret abolissant le régime proposé par la loi Thévenoud et introduire une réglementation plus souple  ».

Les amendements ne portaient pas sur la formation, puisque cette question ne serait pas réglée de cette manière ; en revanche, Uber a fait soutenir des amendements à des députés sur d'autres points – comme le retour au garage – qui formaient le point d'achoppement entre taxis et VTC afin d'aggraver la crise. Emmanuel Macron a pu s'opposer publiquement à vos amendements, afin de brouiller les pistes, pendant que se préparait le «  deal  » consistant à supprimer Uber Pop en échange d'un allègement des obligations de formation. Saviez-vous que vos amendements entraient dans cette stratégie ?

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

En tant que parlementaire, je déposais des amendements en espérant qu'ils soient adoptés. Mes amendements, par ailleurs, ne portaient pas sur le sujet de la formation. En outre, lors des débats dans l'hémicycle sur les deux autres textes qui ont régulé l'activité des véhicules de transport, je me suis battu pour que ces derniers aient accès à des places de stationnement aux abords des gares et des aéroports. C'était un autre sujet : l'amendement 3074 concernait des garanties financières.

Comme je vous l'ai indiqué, j'ai toujours été défavorable à Uber Pop, que je considérais comme du travail au noir déguisé.

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Je reste persuadée qu'Uber a fait perdurer Uber Pop non pas en pensant que cette activité avait une chance de pouvoir s'exercer à terme, mais pour créer un écran de fumée : en se préoccupant de l'illégalité d'Uber Pop, le débat public s'est désintéressé des autres illégalités commises par Uber. Uber Pop a joué un rôle de monnaie d'échange pour arracher d'autres avancées afin de développer le marché de la plateforme. De la même manière, les Uber files révèlent que les amendements comme les vôtres avaient pour rôle d'occuper le débat public pendant qu'un «  deal  » avait lieu. Vous n'intervenez donc qu'indirectement sur la question de la formation.

Avez-vous connaissance d'autres députés qui auraient porté des amendements d'Uber ? Avez-vous soutenu des amendements d'autres acteurs du numérique ?

Quelques années plus tard, portez-vous le même regard qu'à l'époque ? Vous avez raison de rappeler que le climat idéologique était alors différent. Aujourd'hui, nous avons davantage conscience de la terrible précarité des chauffeurs et de l'illégalité de certaines pratiques.

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

J'ai passé ma mandature à écrire et retravailler des amendements avec l'ensemble des acteurs, mon groupe politique et les spécialistes du numérique des autres groupes – la loi pour une République numérique a d'ailleurs été adoptée à l'unanimité grâce à l'effort de co-élaboration avec tous les groupes. J'ai donc travaillé avec de nombreux acteurs, notamment sur le sujet de la téléphonie, des zones blanches et de la fibre. Il me paraissait pertinent de travailler avec les acteurs qui opèrent sur ces sujets.

La liste de ces 220 auditions est disponible sur les sites de l'Assemblée et de Matignon. Au moins 75 % des personnes auditionnées – ONG comprises – étaient porteuses de propositions d'amendements, qu'elles soient ou non écrites.

Vous m'interrogez sur mon regard actuel sur le sujet. Il me semble d'abord que la qualité de service des taxis s'est grandement améliorée. S'agissant des services numériques, je n'ai jamais posé le débat dans les termes d'une opposition entre les anciens et les modernes. Les pratiques illégales, qu'elles soient commises par Uber ou d'autres, sont inadmissibles, et d'autant plus pour les parlementaires.

Les mobilisations concernant les acteurs du numérique restent encore trop binaires à l'Assemblée comme au Sénat. Elles ne tiennent pas compte d'une réalité : nombre de services sont désormais accessibles depuis le smartphone de tous nos concitoyens. Les plateformes Waze, Airbnb ou de livraison de repas – avec toutes les nuisances qu'elles induisent – doivent pouvoir être régulées, et notamment en s'appuyant sur les acteurs locaux. C'était d'ailleurs l'objet de trois recommandations concrètes de mon rapport sur les smart cities. Le débat actuel sur Airbnb et les locations saisonnières, notamment sur la côte, ne prend à mon sens pas la bonne tournure. Il faut les réguler, au lieu de se demander s'il convient de les autoriser ou de les interdire purement et simplement.

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L'amendement que vous avez porté n'est toutefois pas un simple amendement qui aurait été envoyé à tous les députés, ou simplement déposé sur votre bureau à l'occasion d'une rencontre : c'est un amendement rédigé par Uber, présenté dans le cadre d'une stratégie conjointement élaborée avec le ministre de l'Économie, actant le nom du député qui le portera. Vous pouvez ensuite dire que cet amendement devient le vôtre, mais il reste le fruit d'une négociation entre les lobbyistes d'une plateforme et un ministre, à des fins d'instrumentalisation.

Je réaffirme la nécessité pour notre commission d'enquête parlementaire d'auditionner d'autres députés qui ont eu à porter des amendements présentés clé en main, comme M. Vigier ou M. Taché.

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

Les positions que je soutenais dans mes amendements étaient celles que je défendais également en commission, dans l'hémicycle ou publiquement, dans des colloques, des conférences, aux rencontres du Conseil national du numérique ou au club parlementaire sur le numérique. J'ai toujours été transparent sur ma manière de travailler avec ces acteurs.

Je n'ai pas participé aux discussions entre Uber et le ministère : il me semble qu'Adrien Sénécat l'a confirmé lors de son audition. Si un «  deal  » a été conclu, je n'y étais pas associé et n'en étais pas à l'origine. Au contraire, je suis très attaché à la séparation des pouvoirs.

Je revendique mes prises de position et le fait d'avoir défendu des mesures permettant aux VTC de travailler dans des conditions correctes, à côté des taxis. À cet égard, l'amendement 2954 rappelait que la maraude devait rester une spécificité des taxis : «  les entreprises effectuent elles-mêmes la sélection du véhicule proposé au client, garantissant l'absence de relation directe entre celui-ci et le chauffeur du véhicule sélectionné, relation constitutive de la maraude, qui reste ainsi exclusivement pour les taxis  ».

J'en profite vous dire un mot des taxis : on a souvent entendu que ces derniers avaient acheté leur licence à un prix très élevé. À l'époque, 92 % des taxis étaient salariés ou loueurs de plaque, et seuls 8 % avaient acheté eux-mêmes leur plaque et avaient effectivement besoin d'un retour sur investissement. La vision de l'artisan taxi qui aurait été spolié par les VTC était donc inexacte pour une grande majorité d'entre eux.

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Lorsque le «  deal  » est en train d'être conclu, Thibaud Simphal a bien connaissance de votre position. Le lendemain, votre attaché parlementaire prévient Uber que trois projets d'amendements initialement fournis par l'entreprise ont été retravaillés et déposés. Dans un échange interne, une collaboratrice d'Uber se félicite de cette conclusion : «  C'est quand même une excellente nouvelle. On a trois amendements déposés par un député socialiste qui portent sur des éléments clés du régime, et il a notamment gardé l'amendement sur les gares et aéroports. Ceci permet, comme c'était le but, d'amorcer un débat sur un régime VTC assoupli  ».

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Vous êtes revenu sur l'intérêt du numérique pour développer des activités. Pensez-vous avoir pris suffisamment de recul sur les opportunités offertes par le numérique pour analyser les conséquences négatives de ce développement ? Quels acteurs avez-vous rencontrés pour essayer de les envisager ?

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

La plus grande dérive à laquelle nous faisions face était Uber Pop. N'importe qui pouvait se décréter chauffeur, sans aucun contrôle : il fallait l'interdire.

Nous étions encore aux débuts de l'« applitariat ». Les autoentrepreneurs avaient une activité rémunératrice, qui leur permettait de vivre plutôt correctement : les conséquences négatives étaient très largement concentrées sur Uber Pop.

Depuis, le débat porte sur la reconnaissance du salariat pour ces travailleurs. Je ne pense pas qu'il s'agisse de la seule hypothèse à étudier, mais il est certain qu'on ne peut exiger une qualité de service élevée de la part de travailleurs qui ne gagnent pas assez pour vivre correctement.

J'ai toujours cherché à trouver le juste équilibre dans la régulation des acteurs numériques. Uber Pop n'était pas acceptable car il s'agissait de travail au noir déguisé. De la même manière, je considérais que l'activité de VTC devait pouvoir être régulée pour se développer.

Uber s'est félicitée que je dépose des amendements qui allaient dans son sens : je n'en suis pas surpris. Il s'agissait de positions que je défendais depuis longtemps.

Je pense que nous avons fait avancer la manière de travailler et de réguler ces enjeux, même si cela ne s'est pas uniquement fait par le travail parlementaire.

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Vous ne semblez pas avoir mené de travail d'anticipation avec des acteurs autres que les plateformes. Quel est votre regard sur la situation actuelle ?

Le marché s'est fortement développé, comme le montrent les chiffres de l'Insee ; mais cette activité soulève d'importants problèmes sociaux, allant jusqu'à des condamnations aux prud'hommes ; et d'un point de vue économique, ces opérateurs ne sont pas du tout rentables. Quelle est votre vision de ce marché ? Quel bilan tirez-vous de ce travail que vous avez contribué à mener ?

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Luc Belot, ancien député, auteur d'amendements en faveur de la simplification de la législation sur les VTC

Nous sommes passés d'une situation où les taxis en service, à Paris en particulier, rendaient un service médiocre – quand est apparu un service disruptif, plus rapide, plus simple, et qui coûtait à peine moins cher –, à un système où les chauffeurs de VTC ne gagnent plus assez bien leur vie. Au début de cette aventure, dans de nombreux quartiers populaires, les seuls qui arrivaient à gagner suffisamment d'argent étaient soit chauffeurs Uber, soit dealers. Pour ma part, le choix était clair. Aujourd'hui, cette réalité n'est plus objective. Nous avons sans doute besoin de trouver une nouvelle régulation. En attendant, depuis, les taxis ont fait l'effort qui était attendu de leur part et ont retrouvé leur qualité de service.

La séance s'achève à dix-huit heures quinze.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Benjamin Haddad, Mme Béatrice Roullaud, Mme Danielle Simonnet, M. Frédéric Zgainski

Excusés. – Mme Aurore Bergé, Mme Anne Genetet, Mme Amélia Lakrafi, M. Olivier Marleix, Mme Louise Morel, Mme Valérie Rabault