Intervention de Laurent Nuñez

Réunion du jeudi 4 mai 2023 à 14h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Laurent Nuñez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône :

En découvrant mon nom dans la presse lors de la publication des Uber files, j'ai été très surpris par l'interprétation de mes deux arrêtés successifs. Les médias présentaient le second arrêté comme un renoncement par rapport au premier arrêté ; or, il n'en est absolument rien.

En tant que préfet des Bouches-du-Rhône, je n'étais pas chargé de la gestion de la réglementation des taxis, qui relève du rôle du préfet du département ou du préfet de région. J'étais pour ma part compétent sur les questions de sécurité et d'ordre public. C'est à ce titre que je suis intervenu dans ce dossier, afin de déployer les contrôles sur le terrain et de prendre des mesures réglementaires, dès lors que leur motivation touchait à la prévention des troubles à l'ordre public – ce qui était le cas de ces deux arrêtés.

De plus, à cette époque, en tant que hauts fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, nous recevions des instructions et des directives particulièrement fermes au sujet du contrôle de l'activité des VTC. Je me réfère par exemple à un télégramme du directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur du 25 juin 2015 demandant «  la multiplication des opérations de contrôle et la totale mobilisation des comités opérationnels départementaux antifraude (Codaf) en ciblant prioritairement les conducteurs de type Uber Pop ». La fermeté de ces instructions ministérielles ne traduit aucune complaisance à l'égard de la société Uber à cette époque.

Je suis donc très étonné de la lecture du deuxième arrêté, pris le 3 novembre 2015. Avant ces arrêtés, de nombreux chauffeurs VTC ou de véhicules de transport collectif légers (Loti) utilisaient l'application UberX et exerçaient la maraude, à l'encontre des règles de retour à la base entre chaque course et de l'interdiction de maraude qui s'appliquent aux VTC. Alertés par les représentants des taxis et par ces instructions ministérielles, nous constations que l'application UberX permettait de contourner ces règles, de manière totalement illégale.

S'en sont suivis de grandes difficultés et des troubles avec les taxis, dans les gares de Marseille Saint Charles et d'Aix, à l'aéroport et dans certains arrondissements de Marseille. C'est dans ce cadre que j'ai signé ce premier arrêté le 20 octobre 2015, dont nous avions convenu avec le préfet. En réalité, il s'agissait surtout d'une mesure d'affichage, puisque l'arrêté interdisait une activité déjà illégale. Nous souhaitions rappeler fermement les règles.

L'arrêté interdisait «  l'activité de transport routier à titre onéreux effectuée par des conducteurs ne remplissant pas les conditions réglementaires, organisée par la société Uber France SAS, ou ses intermédiaires, au moyen de l'application pour mobile UberX  », et s'appliquait à quelques arrondissements de Marseille, l'aéroport de Marseille et la gare SNCF d'Aix-en-Provence TGV.

Nous nous sommes aperçus que cet arrêté était sans doute trop limité, que les VTC commettaient d'autres types de fraudes et que certains chauffeurs utilisaient d'autres applications qu'Uber. Nous avons donc décidé de prendre un second arrêté le 3 novembre 2015 – qui ne revenait en rien sur le premier. Au contraire, il embrassait tout le champ du transport de personnes et ne faisait plus seulement référence à l'application UberX. Il indiquait ainsi : «  L'activité de transport routier de personnes à titre onéreux effectués par des conducteurs et/ou sociétés partenaires de la Société Uber SAS, ou par tout autre opérateur, dans des conditions ne respectant pas les règles fixées par la législation en vigueur, est interdite dans le département des Bouches-du-Rhône  ».

Cet arrêté était beaucoup plus restrictif. Les responsables d'Uber ont alors demandé un entretien auprès des responsables du département, qui a effectivement eu lieu, en ma présence. Ils n'ont donc pas vu cet arrêté comme étant plus souple. Nous leur avons fermement rappelé la réglementation à l'occasion de ce rendez-vous.

Immédiatement, nous avons adressé une note aux parquets d'Aix-en-Provence et de Marseille pour préciser le sens de mon arrêté, qui expliquait : «  vous constaterez que contrairement à l'arrêté préfectoral émis par la préfecture de police, le présent acte ne vise directement aucune entreprise mais est au contraire de portée générale. Il est en conséquence applicable à l'ensemble des prestataires, VTC ou exploitants Loti, afin de parer notamment l'adaptation de la société Uber aux éventuelles failles de la réglementation  ». Il est donc totalement faux de dire que ce deuxième arrêté accordait des largesses à Uber.

Vous noterez que ces deux arrêtés n'ont pas été attaqués sur le fondement de l'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie : nous étions pourtant sur une ligne de crête. Nous étions dans une posture d'affichage très offensive vis-à-vis du comportement des chauffeurs Uber. En réalité, nous procédions à un très grand nombre de contrôles, conformément aux instructions du directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur de 2015. J'y participais même personnellement et les taxis étaient très satisfaits.

Je n'ai subi aucune pression. Je n'ai rencontré les représentants d'Uber que lors de l'entretien avec le préfet de département, pour leur dire fermement que nous appliquerions les textes compte tenu des irrégularités constatées, et leur rappeler que les chauffeurs Uber devaient revenir à leur base et ne travailler que sur réservation préalable.

J'ai donc très mal réagi en découvrant mon nom dans les Uber files, qui laissent entendre que j'aurais assoupli l'arrêté sous l'effet d'une pression exercée à mon encontre. Au contraire, je n'ai jamais été sous influence et je l'ai rendu plus restrictif encore – ce qui s'est traduit par des contrôles systématiques des VTC et des véhicules Loti. Petit à petit, beaucoup de chauffeurs se sont inscrits dans le cadre de la loi Loti – en contournant d'ailleurs ce texte. Nos contrôles étaient très productifs et donnaient lieu à de nombreuses verbalisations, voire à des retraits, comme le prévoyait la sanction.

Encore une fois, j'ai signé cet arrêté pour prévenir des troubles à l'ordre public, en ligne avec la position du préfet de département.

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