Deux hauts fonctionnaires, Julie Bonamy – désignée par le ministère de l'Économie – et André Dorso – par le ministère de l'Intérieur –, m'ont été adjoints après ma nomination comme médiateur. Julie Bonamy est une inspectrice des finances très brillante et André Dorso est un ancien sous-préfet qui est devenu par la suite responsable de la commission du T3P créée par la loi. J'ai travaillé en toute confiance avec ces deux administrateurs qui ont participé à l'élaboration du rapport.
Un premier débat a concerné le lieu des auditions, Bercy comme Beauvau souhaitant les accueillir – elles se sont finalement tenues à l'Assemblée nationale car j'étais député. Nous avons échangé avec les cabinets ministériels. Un jour, Julie Bonamy m'a fortement conseillé de rencontrer Jacques Attali, ce que j'ai fait le 26 février 2014. Il m'a tout de suite fait part de son inquiétude, même s'il n'était alors pas encore question d'une loi. Pendant ce bref échange, il me semble avoir réussi à le convaincre du nécessaire équilibre que j'évoquais.
Le 27 février, j'ai rencontré Uber et, le 12 mars, Emmanuel Macron à l'Élysée. C'était la première fois que j'échangeais avec lui. Nous nous sommes tutoyés d'emblée. Il a fait preuve de beaucoup d'aisance relationnelle : nous étions immédiatement deux jeunes hommes de la même génération, qui devions nous entendre facilement, puisque nous comprenions les enjeux de la révolution numérique et des nouveaux usages. Il m'a fait comprendre qu'il ne fallait pas faire de mal à Uber en France. Ce n'était pas mon but : je voulais juste éviter que les anciens soient remplacés par les nouveaux puisque cela n'aurait servi à rien. Il a entendu, comme Jacques Attali, qu'un compromis était nécessaire. Je ne l'ai plus revu jusqu'au vote de la loi du 1er octobre 2014. Je n'ai pas le sentiment d'avoir subi de pression ni d'influence de sa part ; mais Bercy était très attentif à l'ouverture de la concurrence tandis que Beauvau voulait la restreindre au maximum.
En même temps, les taxis aussi avaient une force de frappe médiatique et de lobbying importante. Mon rôle était donc également de les convaincre qu'il leur fallait se moderniser et évoluer. Tout le monde avait ses entrées au plus haut niveau de l'État, comme aujourd'hui : la première fois que j'ai rencontré Nicolas Rousselet, c'était dans le bureau de Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale. Il me semble que la présence d'Uber auprès des autorités est plus forte aujourd'hui qu'à cette époque, où elle arrivait seulement sur le marché : l'attitude de ses représentants, d'ailleurs théorisée par Travis Kalanick, consistait à s'imposer de force sur le marché et à contester toute décision qui ne leur convenait pas devant les tribunaux. Aujourd'hui, la perméabilité entre les décideurs publics et les représentants d'intérêts est désormais documentée, grâce à la HATVP.
Je considère que je n'ai pas subi d'influence. J'ai reçu des amendements de la part des deux parties prenantes.
Par ailleurs, l'influence que révèle l'enquête Uber files ne concerne pas cette période, mais celle qui s'est ouverte en 2015. Je n'étais donc plus présent. Pour ma part, je n'ai jamais rencontré Mark MacGann. Dans tous les cas, je tenais suffisamment solidement la barre pour ne pas me laisser influencer.