Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer
Lundi 11 mars 2024
La séance est ouverte à quinze heures
Présidence de M. Mansour Kamardine, président
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la table ronde « Forces armées », réunissant : Forces armées en Guyane (FAG), Général de division aérienne Marc Le Bouil, commandant supérieur, commandant de la base de défense de Guyane ; Forces armées aux Antilles (FAA), Contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur ; Forces armées dans la Zone-sud de l'océan Indien (FAZSOI), Général de brigade Jean-Marc Giraud, commandant supérieur
Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui les responsables de nos forces armées en Guyane, aux Antilles et dans la zone Sud de l'océan Indien.
Nous sommes en visioconférence avec le général de division aérienne Marc Le Bouil, commandant supérieur des forces armées en Guyane (FAG) et commandant de la base de défense de Guyane, le contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (FAA), commandant de la zone maritime Antilles et commandant de la base de défense des Antilles, et le général de brigade Jean-Marc Giraud, commandant supérieur des forces armées dans la zone Sud de l'océan Indien (FAZSOI) et commandant de la base de défense de La Réunion-Mayotte. L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. le général Marc Le Bouil, M. le contre-amiral Nicolas Lambropoulos et M. le général Jean-Marc Giraud prêtent successivement serment.)
Le sujet des risques naturels est très important pour les forces armées en outre-mer, en particulier en Guyane. Je présenterai tout d'abord les missions générales des FAG, puis la construction spécifique de notre outil de défense et la façon dont nous traitons la question des risques naturels. En conclusion, j'exposerai quelques réflexions sur les progrès possibles en la matière, en ce qui nous concerne comme au niveau interministériel.
Les missions des FAG sont celles des forces armées en général, avec un point d'application particulier, la Guyane et les Antilles. Notre mission est en effet toujours la même, y compris outre-mer : protéger la population ; protéger le territoire français ; défendre les intérêts français ; participer à l'édification d'un monde plus sûr, notamment au moyen d'une approche multilatérale et par la construction de partenariats régionaux ; développer, dans notre population, une force morale et une capacité à travailler ensemble pour faire face aux crises qui touchent la nation.
Notre outil de défense, qu'il s'agisse du personnel ou du matériel, est façonné, en particulier outre-mer, pour réaliser des opérations du haut du spectre, c'est-à-dire les missions d'engagement de haute intensité que seules les armées savent et peuvent mener, dans des conditions extrêmes et face à des adversaires qui font peser des menaces dans tous les champs de la conflictualité. C'est à cette fin que notre personnel est formé et que nous demandons et obtenons du matériel.
Pour vous donner une image, les forces armées sont des sportifs de haut niveau. Nous devons en permanence œuvrer à maintenir leur excellence afin de surclasser nos adversaires. Cela suppose de développer des savoir-faire collectifs et individuels et des matériels dotés de technologies d'avant-garde. Il en résulte à la fois des avantages et des contraintes quand il s'agit d'employer les forces armées pour répondre aux risques naturels.
Les armées sont faites pour s'exprimer dans le chaos. Là, nous devons être capables d'agir de façon coordonnée et performante ; c'est le cœur de notre métier. Par essence, les militaires constituent le dernier rempart quand le fonctionnement normal des pouvoirs publics n'est plus possible. C'est souvent le cas à la suite de phénomènes naturels de grande ampleur, tels que les cyclones, les inondations, les affaissements ou glissements de terrain, les feux violents… Menacées, les structures ordinaires de l'État sont incapables de remplir correctement leurs missions, et l'on fait alors appel aux moyens des armées. Ces moyens ne sont néanmoins pas conçus pour un tel emploi, mais pour les missions spécifiques que j'ai évoquées précédemment.
Ma première mission, et celle de mes camarades, est bien de protéger la France et les Français. Lorsque des risques naturels mettent en danger la population et les territoires, je mets évidemment mes capacités et mon savoir-faire au service des structures de gestion de crise.
Je tiens à souligner que la participation des armées fait alors l'objet d'un arbitrage au niveau interministériel. Il est en effet impératif de mesurer les conséquences que l'intervention des forces armées au titre du traitement des risques naturels aura sur leurs missions permanentes, à la fois en termes de personnel et de matériel.
C'est pourquoi, d'après nous, la question est davantage celle des résultats recherchés que celle des moyens. : Qu'attendent de nous, sur le terrain, le préfet et la cellule de crise ? Très concrètement, est-il plus rapide et efficace d'envoyer, à partir de Cayenne, une section de militaires, dans un Casa CN-235, qui arrivera en douze heures ? Ou, depuis la métropole, une compagnie, dans un Airbus A400M Atlas, en trente-six heures ? Ou un régiment, dans un bâtiment de la marine nationale, en dix jours ? Ou encore en envoyer un mixte, ou cadencer les efforts ?
Pour répondre, nous devons savoir quels effets nous souhaitons obtenir sur le terrain, et à quelle échéance. C'est ainsi que nous pouvons, nous militaires, rendre le meilleur service tout en maintenant nos participations au titre de nos missions permanentes.
Les FAG comptent 2 200 militaires des trois armées et 200 civils de la défense, avec un commandement interarmées terre–air-mer qui couvre aussi l'influence, le cyber et l'espace.
Notre première mission est la protection du centre spatial guyanais, le port spatial européen, qui constitue un enjeu majeur d'accès souverain à l'espace pour la France. J'exerce une protection à 360 degrés face à toutes sortes de menaces, tout au long de l'année – en renforçant la présence sur le terrain durant les périodes de tir – et sur une surface qui représente les deux tiers de la Martinique.
Vient ensuite la mission Harpie, qui constitue le volet répressif de la lutte contre l'orpaillage illégal, laquelle comprend également des volets diplomatique, social et économique. Dans ce cadre, je fournis des personnels et des moyens au préfet et au procureur de la République, afin d'appuyer les forces de sécurité intérieure dans la lutte contre l'orpaillage en forêt.
J'ai donc 400 militaires qui dorment en forêt chaque nuit. Parmi les 700 militaires présents sur quatre mois, certains passent, sur 120 jours de mission, 110 jours en forêt amazonienne. Autant vous dire que ce n'est pas un sport de masse : il faut une préparation mentale et physique exceptionnelle, ainsi que des règles de comportement et d'exercice de la force, en appui aux gendarmes, extrêmement exigeantes, avec énormément de rigueur et de savoir-faire. Nous faisons face à des orpailleurs illégaux, des réseaux de trafic et des organisations transnationales qui nous mettent au défi. Il y a là des enjeux environnementaux et sociaux.
Nous intervenons également dans la lutte contre la pêche illicite, en menant des opérations très techniques contre des bateaux venus du Brésil, du Suriname ou du Venezuela pour piller nos eaux. Les filets mis en place ont parfois une taille dix fois supérieure aux normes européennes. Nous les saisissons et nous capturons les bateaux qui tentent de se soustraire à nos contrôles et se montrent parfois très violents. Nous avons alors des commandos à la mer, prêts à agir, dans le cadre d'une police administrative, pour faire cesser les actions de pillage de nos ressources halieutiques.
Si je dois intervenir à l'occasion d'un phénomène naturel majeur, cela implique de retirer des forces des missions permanentes. Lors de l'ouragan Irma, il a ainsi été décidé au niveau interministériel d'arrêter la lutte contre l'orpaillage illégal et de réduire la protection des zones de pêche. Néanmoins, cette bascule des forces ne permet pas de retirer, au coup de sifflet, les 400 militaires déployés sur un territoire qui fait la taille du Portugal ou de l'Autriche – 84 000 mètres carrés ; il faut parfois trois jours de pirogue pour déployer le personnel. Ces bascules de force doivent donc être intégrées dans le dispositif, dans la mesure où elles contraignent ma capacité à mettre à disposition autant de personnels que je voudrais.
La Guyane est le seul outre-mer, à l'exception de la terre Adélie, qui possède des frontières terrestres. Les questions de coopération avec le Brésil et le Suriname constituent des enjeux très importants pour nous.
Le retour d'expérience (Retex) que je retire d'Irma s'articule en trois volets : anticipation, réactivité, efficacité.
La mission des forces armées des outre-mer est d'absorber e premier choc, de mener les premières études d'impact, de dresser un état de la situation et de l'environnement, et d'aider à concevoir un plan d'ensemble grâce aux moyens dont les militaires disposent – hélicoptères, approches satellitaires, drones, personnes sur le terrain à même d'agir dans des milieux peut-être devenus hostiles car tout a été détruit. Tout cela doit être fait avec réactivité, dès le départ, pour nous permettre de préciser les besoins à venir. Il nous arrive aussi régulièrement de prépositionner un ensemble de moyens.
La réactivité constitue le cœur des missions des militaires. Il y a toujours des personnes en alerte, capables de se déployer en fonction des besoins. De là résulte la belle efficacité de nos opérations, qu'il s'agisse de rétablir la situation dans un territoire ou une zone, d'aider à la reconstruction et à la reprise du fonctionnement normal du pays, ou d'appuyer les forces de sécurité dans la lutte contre le pillage et les incivilités.
J'ai également des exemples récents de phénomènes liés à la nature, même si la nature a été en l'occurrence un peu provoquée. Une mine illégale s'est ainsi effondrée au Suriname. En quelques heures, le préfet et moi avons pu, grâce à un avion militaire, réunir les forces de la sécurité civile et les déployer sur le site – il y avait des vies humaines en jeu. Nous avons pu dresser un bilan, voir s'il était possible de déblayer, et le faire rapidement du côté du Suriname, particulièrement exposé aux glissements de terrain, en lien avec l'activité minière. Nous devons être capables d'agir ainsi et nous le faisons très régulièrement.
En matière de risque naturel, la situation de la Guyane fait exception au sein de l'arc caribéen. Si l'on a établi le centre spatial à Kourou, c'est parce que la Guyane échappe à la plupart des risques naturels, cycloniques ou sismiques. Les seuls risques auxquels nous sommes confrontés sont les feux de forêt, qui demeurent relativement maîtrisés – nous en avons très peu par an –, et les inondations à venir, quoique la Guyane soit moins concernée que les pays alentour. On estime que dans vingt, trente ou quarante ans, le Guyana, en particulier, et le Suriname pourraient connaître des phénomènes d'inondation très importants et réguliers – Georgetown, la capitale du Guyana, est notamment installée au-dessous du niveau de la mer.
La géographie commande. La question, en Guyane, c'est la tyrannie des distances : nous devons mobiliser très rapidement nos moyens pour nous déployer, en cas d'éboulements ou de problèmes de terrain au fin fond de la Guyane, car le territoire est recouvert à 98 % par la forêt amazonienne. Nous sommes également en mesure d'agréger des moyens à destination des Antilles, grâce à notre système d'alerte.
Comment mieux intervenir ? Je considère qu'il y a deux niveaux : celui de la crise et de la préparation à court terme qu'elle implique, d'une part, et celui de l'anticipation, d'autre part.
La préparation de la crise à court terme relève de la logique interministérielle : c'est le préfet qui commande, avec l'appui d'une cellule de crise interministérielle si les événements sont d'une ampleur majeure. Nous nous entraînons à des exercices spécifiques et nous vérifions que nous sommes en mesure de faire face aux risques naturels les plus probables.
Vous connaissez sans doute la règle des quatre i, selon laquelle les forces armées sont employées lorsque les moyens civils sont soit insuffisants, soit inexistants, soit inadaptés, soit indisponibles. Nous nous enquérons des effets à obtenir et nous mettons en place le dispositif le plus adéquat pour y parvenir, avec des moyens et des capacités qui, n'étant pas destinés à un tel emploi, nécessitent des savoir-faire particuliers.
L'anticipation des crises recouvre tout d'abord des questions d'arbitrage budgétaire entre le ministère de la défense et celui du ministère de l'intérieur, dont relève la sécurité civile. C'est la représentation nationale qui en décide lors des lois de finances ; les forces armées n'ont pas de prise là-dessus.
En revanche, il nous appartient de développer les moyens duaux dont nous disposons. Notre principal sujet demeure néanmoins la réponse à la crise, quand elle se présente. En termes capacitaires, nos moyens sont naturellement conçus pour des missions hautes du spectre ; ils ne sont donc pas toujours les plus adaptés pour gérer les crises liées aux risques naturels.
Comme l'a montré le Retex d'Ukraine, les forces armées peuvent également agir avant la crise en aidant à construire la résilience. Nous avons là un rôle permanent : contribuer à forger la force morale de nos concitoyens, leur aptitude à faire corps ensemble et à s'insérer dans des dispositifs structurés et hiérarchisés, à même de permettre à la population d'agir collectivement pour s'entraider. Cela passe notamment par le développement de liens avec la jeunesse, grâce à plusieurs initiatives telles que les classes de défense ou la réserve. Il est très important d'avoir en tête que le premier enjeu, face aux risques naturels, est notre capacité à travailler ensemble, qui se construit au quotidien.
Plus généralement, nous aidons à développer l'organisation de crise de l'État – au-delà des structures préexistantes liées à la division en communes, départements et régions – ; nous mettons en œuvre la logique d'îlotage ; et nous développons des capacités reposant sur les énergies renouvelables, en installant très loin des structures à même de produire de l'eau potable, ou de l'énergie électrique, lorsque tout le réseau électrique tombe. Cela contribue à la résilience de nos dispositifs et nous aide à nous déployer pour soutenir la reconstruction.
De même, des initiatives – je pense notamment à Guyane connectée – visent à étendre les connexions jusqu'aux communes les plus éloignées grâce à des liaisons satellites. Cela nous permet de maintenir le lien en cas de coup dur, et ainsi de connaître la situation et pouvoir aider.
En conclusion, je tiens à souligner la nécessité d'établir un dialogue avec les structures interministérielles sur les effets que nous devons obtenir et les délais de réponse. Les forces armées ont, en outre-mer, un rôle central de surveillance, et donc de connaissance, d'anticipation et d'analyse de la zone.
Le lien avec les forces armées avoisinantes est également très important, puisqu'il nous permet de bénéficier des moyens spécifiques qu'elles possèdent. En tant que forces d'outre-mer, nous sommes à la pointe de l'éventail : grâce à nos capacités aéroportuaires, nous sommes en mesure de réunir des moyens avant la crise afin de les redistribuer, et de maîtriser une chaîne logistique – ce qui constitue l'enjeu majeur de telles crises.
Notre dispositif outre-mer est donc essentiel dans la lutte contre les risques naturels. La jeunesse, l'entraînement avec la réserve et le développement des forces morales le sont tout autant.
Le ministère des armées a mis en place en 2022, une stratégie climat et défense. Au sein de celle-ci, les forces armées travaillent à accroître leur résilience pour être en mesure d'agir quand tout s'est effondré, mais aussi à développer l'accompagnement qu'elles apportent face aux risques naturels majeurs.
La zone Caraïbe, et les Antilles en particulier, concentrent les principaux risques de catastrophes naturelles majeures – cyclones, séismes, éruptions volcaniques, tsunamis – dans un environnement archipélagique étendu et morcelé qui freine la mobilité à l'intérieur du théâtre.
La zone se caractérise par l'imbrication et la dispersion des espaces nationaux. Elle comprend une multitude d'États insulaires, totalement tributaires de leurs infrastructures portuaires et aéroportuaires ; ils disposent de modèles économiques limités, de capacités d'intervention réduites, de capacités de résilience très faibles, et sont, de surcroît, presque tous confrontés à une très forte insécurité.
Dans ce contexte, les forces armées aux Antilles sont une force de souveraineté interarmées à dominante maritime, stationnée en Martinique et en Guadeloupe. Elles exercent leurs activités dans l'ensemble de la zone de responsabilité permanente (ZRP) Amérique latine-Caraïbes, en lien étroit avec les forces armées en Guyane, et offrent un point d'appui permettant d'intervenir dans cette zone qui ne présente pas aujourd'hui de menace militaire.
Mes missions comportent : la protection du territoire national et des populations ; le maintien de notre souveraineté ; la préservation de nos ressources dans les zones sous juridiction française ; la lutte contre le trafic illicite en mer – en particulier contre les narcotrafics ; le développement des partenariats militaires avec les États de la région en vue de contribuer à la stabilité de la zone, d'y asseoir notre présence et d'assurer le rayonnement de notre pays.
Enfin, en réponse à une catastrophe naturelle, je dois être en mesure de conduire une opération de secours d'urgence sur le territoire national, ou d'y participer, de l'appuyer, en soutien à l'État. Je dois pouvoir agir en autonomie, dans l'attente de l'acheminement des renforts nécessaires depuis la métropole. Je dois également être capable de conduire et appuyer une opération militaire limitée dans la zone, si un État voisin est confronté à une catastrophe naturelle ou s'il est nécessaire de venir en aide à la population et à nos ressortissants. La situation chaotique à Haïti, par exemple, nécessite un suivi particulier ; nous préparons une éventuelle évacuation de nos ressortissants.
Pour remplir ces missions, je dispose d'unités opérationnelles, d'organismes de soutien et de support, et d'un état-major interarmées. Les unités opérationnelles comptent cinq navires, quatre frégates de surveillance, deux patrouilleurs, un bâtiment de soutien – un couteau suisse, qui a de grandes capacités logistiques – et le trente-troisième régiment d'infanterie de marine, structuré autour de quatre compagnies, dont une de réserve.
S'agissant des organismes de soutien, les forces armées aux Antilles, comme les autres forces armées outre-mer, sont un modèle réduit du ministère des armées : elles comprennent toutes les composantes du ministère – service de communication, direction du commissariat, logistique, service des essences, service des munitions –, et disposent d'une unicité de commandement qui offre des leviers intéressants et une grande autonomie. Avec 1 350 personnes, dont 250 civils, c'est une petite force, calibrée aux justes besoins.
Il y a également, en Martinique et en Guadeloupe, deux régiments du service militaire adapté (RSMA), qui se trouvent dans le giron du ministère des outre-mer, mais peuvent être placés sous mon commandement en cas de besoin.
Les forces armées peuvent être mobilisées par l'État, en l'occurrence par le préfet de la Martinique – il y a plusieurs préfets dans la zone : un en Martinique, un en Guadeloupe et un à Saint-Martin. Cette mobilisation s'opère notamment par des réquisitions ou des demandes de concours. Pour la préparer et l'organiser, nous avons élaboré un plan Catnat – catastrophes naturelles –, qui prévoit différentes situations et différents modes d'action, en s'appuyant sur des Retex.
Pour que vous compreniez mieux en quoi consiste notre contribution lorsqu'une catastrophe survient, imaginons situation classique : l'arrivée d'un cyclone. Il y a d'abord une phase de détection, de suivi météorologique autonome ; quand un cyclone se forme au-dessus de l'Atlantique, à partir d'une perturbation qui vient d'Afrique, nous disposons d'un préavis de l'ordre de cinq à six jours. Très rapidement, nous sommes capables, à l'aide de modèles météorologiques, en lien avec Météo-France, de juger de la trajectoire, de l'évolution et de l'intensité du phénomène cyclonique.
Après cette phase d'appréciation, s'il se confirme que le cyclone va toucher l'une de nos îles, nous prenons nos dispositions pour mobiliser nos moyens d'intervention, adapter notre organisation, mettre en alerte des renforts humains et matériels, déjà identifiés, en métropole ou en Guyane, et éventuellement en faire acheminer une partie avant le passage du cyclone, selon l'évaluation de la gravité du phénomène.
Nous mettons en sécurité tous nos moyens, notamment ceux de la base navale – nos pontons, nos petites embarcations. Il y a également une phase de mise en sécurité des familles des militaires, l'îlotage, que le général Le Bouil a évoqué. Cette organisation ad hoc consiste à prendre en charge et mettre en sécurité les familles des militaires pour permettre à ceux-ci de ne plus s'en préoccuper sur le terrain.
Dans les douze heures qui précèdent le passage du cyclone, nous déploierons des équipes de reconnaissance sur des sites déjà identifiés, répartis sur l'ensemble du territoire de la Martinique. Sur place, ces équipes se confineront pour absorber le passage du cyclone, comme toute la population. Une fois le pic du cyclone passé, elles reprendront contact avec nous et évolueront autour de leur position pour évaluer les dégâts. La préfecture et nous-mêmes bénéficierons ainsi, très rapidement, d'une vision exhaustive de la situation sur le terrain, même si les systèmes de communication habituels, notamment téléphoniques, deviennent inopérants. On évaluera l'état des axes de circulation, les dégâts, et l'on identifiera les éventuelles situations critiques.
Très rapidement, en fonction des résultats de cette évaluation et des instructions de la préfecture, nous serons capables de déployer des équipes d'intervention disposant de moyens plus lourds – déblaiement, aide majeure – pour dégager les axes et porter secours à la population.
Une fois l'urgence passée, selon la gravité de la situation, les armées continueront de contribuer à la gestion de la crise : elles identifieront les zones peu accessibles à la circulation ; elles rétabliront les points d'entrée terrestres et maritimes qui ont été détériorés ; elles participeront à la mise en place d'un flux logistique permettant d'acheminer du personnel, des moyens et du fret sur la zone de secours ; elles mettront à disposition du personnel doté de qualifications spécifiques pour renforcer les moyens d'intervention ; elles déploieront des moyens pour sécuriser ou circonscrire une zone, face aux éventuels problèmes de pillages, et pour apporter un appui logistique et de transport.
Voilà une opération type. Nous nous entraînons à ce genre de situations, en lien étroit avec les autorités civiles, comme avec nos partenaires et alliés dans la région. Nous mènerons par exemple au cours des prochains mois un exercice majeur, qui impliquera 2 500 personnes et plusieurs pays, sur le passage d'un cyclone sur tout l'arc caribéen. Nous nous entraînons aussi avec toutes les ONG, en particulier la Croix-Rouge, ainsi qu'avec les organisations régionales.
Afin d'être réactifs et efficaces dans le soutien à nos populations, les facteurs de succès résident notamment dans la coordination avec les autorités civiles, voire dans une imbrication civilo-militaire. Celle-ci repose sur l'établissement de liens de confiance forts avec tous les services de l'État et sur une connaissance mutuelle fine. Outre-mer, nous avons la chance de travailler dans une très grande proximité avec les autorités civiles, que nous voyons quotidiennement pour traiter tous les sujets qui nous occupent.
Cela suppose également une très grande fluidité logistique, qui elle-même exige une grande préparation. Il faut parfaitement maîtriser les capacités dont l'État dispose en propre et connaître parfaitement nos points d'appui, depuis les points d'entrée tels que les aéroports et les ports jusqu'aux terrains de dégagement. Il faut identifier avec nos partenaires de la région les moyens de transport et de mobilité qu'ils pourraient nous apporter.
Cela repose aussi sur une parfaite connaissance du paysage local et régional, notamment des organisations régionales et des ONG œuvrant dans le domaine humanitaire. Nous avons avec la Croix-Rouge un partenariat fort.
Notre efficacité repose enfin sur des entraînements et sur des sensibilisations régulières. Compte tenu de l'environnement des Antilles françaises que j'ai décrit, la mission de réponse aux catastrophes naturelles est au cœur de notre présence, de nos missions d'appui et de soutien à notre population et aux populations qui nous environnent.
Beaucoup de choses ayant été dites, j'insisterai sur les singularités des Fazsoi et de leur environnement régional, avant de vous livrer quelques réflexions sur le recours aux forces armées dans la gestion des risques naturels.
Les Fazsoi, contrairement aux FAA et aux FAG, sont la seule puissance militaire permanente de leur région. Nous sommes avant tout une force de souveraineté, chargée de protéger nos concitoyens, nos intérêts et nos territoires de La Réunion, de Mayotte et des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf), ainsi que les zones maritimes associées.
J'ai pour interlocuteurs le préfet de Mayotte, le sous-préfet chargé de la lutte contre l'immigration clandestine et le préfet honoraire chargé de la gestion de la crise de l'eau, ainsi que le préfet de zone à La Réunion et la préfète administratrice supérieure des Taaf. Ces territoires comptent 1,2 million d'habitants et sont au centre d'une zone économique exclusive (ZEE) de 2,8 millions de kilomètres carrés.
Par bien des aspects, les Fazsoi sont une force de présence qui rayonne et contribue à la stabilité régionale ainsi qu'à la prévention des crises, dans la mesure où nous sommes confrontés aux mêmes menaces et aux mêmes risques. Nous avons pour partenaires peu ou prou les pays de la SADC – Communauté de développement d'Afrique australe –, à l'exception de la république démocratique du Congo et de l'Angola. Ces pays représentent une superficie cumulée de 24 millions de kilomètres carrés et 45 000 de nos ressortissants y vivent.
Les Fazsoi sont une force interarmées placée sous le commandement du chef d'état-major des armées (Cema). Sa direction et ses services rassemblent environ 2 000 militaires et civils de la défense, dont des membres de la réserve opérationnelle. J'en suis le commandant supérieur. Je suis aussi commandant de la base de défense de La Réunion-Mayotte.
Par ailleurs, je suis officier général de zone de défense et de sécurité, conformément à l'instruction ministérielle 101. Cela signifie que je suis l'autorité interarmées de coordination et que, en cas de crise, j'exerce le contrôle opérationnel des deux régiments du service militaire adapté (SMA) de La Réunion et de Mayotte, respectivement basés à Terre-Sainte et à Combani.
En bref, les Fazsoi, comme les autres forces armées, sont un condensé d'armée sans être une administration déconcentrée. Les décisions que je prends, notamment celles relatives aux demandes de concours de l'autorité civile, sont approuvées par le Cema à Paris.
Nos missions sont structurées et les priorités établies selon notre contrat opérationnel : défense militaire ; partenariats opérationnels ; opérations d'évacuation de nos ressortissants dans la zone de responsabilité permanente ; appui aux autorités civiles. Cette dernière mission se déploie dans le domaine de la sécurité publique – par exemple la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte dans le cadre du plan interministériel Shikandra – et dans celui de la sécurité civile – par exemple la gestion des conséquences du cyclone Belal à La Réunion ou de la crise hydrique à Mayotte, dans le cadre de l'opération Maji. Nous pouvons également offrir un appui aux autorités civiles étrangères, à leur demande, comme nous l'avons fait à Madagascar après le passage du cyclone Batsirai en 2022.
Nos forces armées outre-mer ont pour principe d'être en mesure d'encaisser le premier choc en attendant l'envoi de renforts de l'Hexagone, tels que les unités des formations militaires de la sécurité civile (Formisc) envoyées après le passage du cyclone Belal, ou de renforts régionaux issus des forces françaises stationnées à Djibouti ou de celles stationnées aux Émirats arabes unis. Par ailleurs, nous nous inscrivons dans le cadre d'une solidarité entre La Réunion et Mayotte. Nos outre-mer fonctionnent comme un système de points d'appui à l'échelle du monde, permettant la projection d'unités à haute valeur ou à haute quantité depuis l'Hexagone.
J'en viens à notre singularité régionale, qui permet d'établir des priorités au sein des missions des Fazsoi. Nous sommes à la charnière entre l'Indo-Pacifique et l'Afrique, avec une fenêtre sur l'Antarctique.
La zone Sud de l'Océan indien n'est plus à la périphérie des enjeux du monde, pour au moins quatre raisons : nos territoires font l'objet d'une contestation politique – les îles Éparses par Madagascar, Mayotte par les Comores, Tromelin par Maurice – instrumentalisée par nos compétiteurs, notamment les Russes ; une compétition militaire est à l'œuvre dans cette zone, au sein de laquelle la Chine, avec l'Inde et la Russie à sa suite, déploie une stratégie de points d'appui ; d'importants flux stratégiques transitent par la région – 11 000 navires circulent chaque année entre le cap de Bonne Espérance et le détroit de Malacca, 30 % de la production mondiale de pétrole transite par le canal du Mozambique – et ont augmenté de 40 % depuis le 15 décembre dernier en raison des tensions en mer Rouge ; les menaces – terrorisme et activités illicites – et les risques – cyclones, séismes, pandémies, stress hydrique – s'additionnent.
Dans cet environnement, les Fazsoi protègent les Français contre les dangers du monde et contre les dangers du quotidien, notamment les risques naturels, à la croisée de quatre enjeux : la souveraineté, la stabilité régionale, la prospérité et l'influence.
Le recours aux forces armées dans la gestion des risques naturels procède le plus souvent d'une demande de concours émise par l'autorité civile. Il est régi par la règle des quatre i et peut inclure, outre des moyens logistiques, une aide médicale. Le recours aux forces armées n'est pas systématique mais il est fréquent.
Il est essentiel que la demande de concours respecte le principe de l'effet à obtenir tel qu'exprimé par l'autorité civile. Il est regrettable que nous recevions des demandes de moyens ou d'effectifs, parfois assorties d'une définition des modes d'action, laquelle est une prérogative de l'autorité militaire.
Je souligne à mon tour la qualité de « l'équipe France » outre-mer. Je la constate sur le territoire national, dans mon travail quotidien avec les préfets, comme dans notre environnement proche avec les ambassadeurs et attachés de défense. Notre dialogue civilo-militaire est permanent. Fondé sur la confiance, il facilite, le moment venu, les décisions de niveau stratégique des armées.
À la lumière de la gestion de la crise de l'eau à Mayotte et des conséquences du cyclone Belal à La Réunion, les conditions de notre réussite sont les suivants : l'entraînement, au sein de la force et dans la chaîne civilo-militaire de gestion des crises par le biais du centre opérationnel départemental ; l'autonomie initiale sur l'essentiel – les vivres, l'eau, l'énergie –, d'autant plus efficace qu'elle est assurée localement, grâce au maillage du territoire ; le suivi météorologique, qui bénéficie des progrès de Météo-France, dont les prévisions d'une rare précision permettent d'enchaîner les postures et les stades d'alerte avec acuité, ce qui est rassurant pour nos concitoyens et nos familles ; la diffusion de l'information, qui repose sur la redondance des communications, ce qui permet d'informer les citoyens, les familles et la force déployée localement, et de recueillir les retours d'information et d'évaluation.
Nous contribuons ensuite au retour à la vie normale. Pour améliorer la résilience, nous accueillons les renforts. Nos missions vont du soutien logistique et sanitaire à l'évaluation et à la reconnaissance des dégâts en passant par l'appui à la mobilité, notamment sur les axes de circulation. Nous venons d'achever, avec le préfet de La Réunion, le retour d'expérience du cyclone Belal. C'est ce qui nous permet de progresser.
S'agissant des moyens, qu'il s'agisse du cyclone Belal ou de la crise hydrique à Mayotte, la gestion dynamique des renforts et des capacités a très bien fonctionné. Nous sommes capables d'encaisser les premiers chocs en attendant les renforts. Ces mécanismes sont travaillés et planifiés, donc fluides et rapides. À mes yeux, il n'est ni raisonnable ni souhaitable d'entretenir outre-mer des capacités permanentes destinées à n'être utilisées qu'une ou deux fois par an.
S'agissant de l'évolution de la fréquence et de l'intensité des risques naturels, par exemple sous l'effet du réchauffement climatique, la question est posée mais nous n'identifions pas ici de tendance à ce jour. Ce qui change la donne, c'est la simultanéité des risques et des menaces, qui se cumulent dans un environnement géopolitique en pleine mutation.
Merci de ces premières réponses. J'apprécie tout particulièrement l'indication selon laquelle les demandes de concours doivent respecter le principe d'effet à obtenir et ne pas être des demandes de moyens. Je vois bien à quoi vous faites référence ! Il importe de satisfaire l'exigence de sauver des populations et d'assurer la résilience du territoire, non de s'attacher à une représentation prouvant que l'on a fait ce qu'il fallait, si tant est que l'on puisse toujours définir ce qu'il fallait faire.
Comment intégrez-vous les évolutions à venir ? Il ne faut certes pas se contenter de vous demander des moyens, mais il faut quand même que vous les ayez. Comment le changement climatique et les modifications de notre environnement pèseront-ils sur les risques naturels ? Sans préjudice de la diversité de vos situations respectives, je prendrai l'exemple de la découverte d'un volcan sous-marin au large de Mayotte. Comment l'armée, qui répond au premier choc et demeure la seule force organisée lorsque tout est désorganisé, intègre-t-elle une évolution de cet ordre dans ses plans ?
Comment anticipez-vous la survenue d'un aléa climatique ? D'après les experts de Météo France que nous avons auditionnés, leur fréquence n'a pas changé de façon significative. En revanche, leur intensité a augmenté, et avec elle le cumul des désordres qu'ils provoquent. Par exemple, un aléa cyclonique peut provoquer une pollution, et un glissement de terrain la disparition de mangroves, qui à son tour augmente le risque de submersion.
Projeter des renforts est, dites-vous, préférable à l'entretien de forces permanentes. Comment assurez-vous votre propre résilience ? Les troupes prépositionnées ou sur place, avec leurs équipements, ont entre les mains la réponse du territoire. Il importe qu'elles soient en état de l'assurer.
Outre-mer, notamment en Guyane et à Mayotte, une part de la population relève d'une zone grise faute d'existence légale. On en connaît l'existence plus que la réalité. Comment intégrez-vous cet état de fait dans vos plans d'action ? Intervenir ou même savoir où intervenir n'est pas toujours simple dans des zones d'habitat illégal ou de campements provisoires.
Comment intégrez-vous les régiments du service militaire adapté dans la gestion des aléas climatiques ? Chacun connaît leur rôle en matière d'intégration, à tel point qu'ils attirent même des jeunes sans difficulté particulière, qui en voient la mention sur leur curriculum vitae comme un gage d'accès à l'emploi, ce qui prouve que ce dispositif fonctionne très bien.
S'agissant de la question sécuritaire, chaque territoire d'outre-mer représenté dans cette table ronde s'inscrit dans un environnement régional complexe, qu'illustre le voisinage du Suriname pour la Guyane, celui de Haïti pour les Antilles et celui du canal du Mozambique pour La Réunion et Mayotte. Ces désordres peuvent avoir d'importantes conséquences sécuritaires si un aléa se produit. Comment envisagez-vous ces questions ?
Si la Guyane présente une proportion élevée de population étrangère et d'habitat informel, elle subit peu de catastrophes naturelles par comparaison avec les Antilles et La Réunion. Nous intervenons pour des événements ponctuels, tels que des glissements ou des affaissements de terrain. Nous commençons par aider les gens sans leur demander leur carte d'identité, puis nous assurons une bonne coordination avec les services des mairies et de la préfecture pour aider les personnes dans la durée, et notamment leur permettre de retrouver un habitat.
Le RSMA a des savoir-faire particuliers. Nous formons les recrues à la conduite d'engins spécifiques. Le contrat opérationnel liant le commandement supérieur et le RSMA prévoit un engagement en cas de catastrophe naturelle. Même si le RSMA dépend du ministère des outre-mer, toute saisine du RSMA au titre d'une demande de concours est soumise à l'autorité militaire.
Les aléas climatiques étant modérés en Guyane, le RSMA peut être déployé à l'extérieur de nos frontières. Tel a été le cas lors du passage du cyclone Irma. Dans ce cas, la préparation personnelle, opérationnelle et administrative des membres du RSMA n'est pas simple. Certains n'ont pas de passeport, ce qui est indispensable pour se rendre à Haïti par exemple ; tous ne satisfont pas entièrement aux normes médicales d'aptitude Sigycop au niveau nécessaire pour être déployé pendant plusieurs semaines dans un environnement hostile ou non confortable. Si les cadres du RSMA sont naturellement corvéables à merci, tel n'est pas le cas des jeunes qui y sont recrutés. Par ailleurs, les déployer en mission pour trois semaines a un impact direct sur leur formation professionnelle et donc sur la réussite de leur insertion à l'issue. Il faut bien avoir en tête qu'une telle action n'est pas neutre du tout pour eux.
S'agissant des moyens dont nous disposons pour affronter le changement climatique, nous bénéficions du développement de satellites et de drones de surveillance. Dans le cadre de la stratégie climat et défense, les armées innovent pour améliorer leur autonomie en cas d'aléa climatique et continuer à porter secours.
Le changement climatique fait l'objet de réflexions, centrées sur la façon de nous y adapter. Les Antilles sont concernées par la submersion consécutive à un tsunami et par le risque sismique.
Concrètement, nous réfléchissons à l'adaptation des infrastructures que nous devons rénover ou construire dans les cinq, dix ou quinze prochaines années. S'agissant des infrastructures portuaires, nous prévoyons de relever les quais et de remplacer les quais flottants par des quais en dur. Tous les bâtiments que nous construisons sont aux normes parasismiques. Tout cela a un coût qui n'est pas négligeable.
S'agissant de l'engagement du RSMA, je l'ai expérimenté lorsqu'un ouragan a frappé la Guadeloupe et Saint-Martin en octobre dernier, touchant particulièrement l'île de La Désirade. Le RSMA offre des bras et des cadres – environ 150 par régiment. Ses recrues sont formées à la conduite d'engins de chantier. Leurs capacités présentent un réel intérêt.
Aux Antilles, ils sont structurés et organisés pour répondre aux crises sous contrôle opérationnel. Ils ont un petit centre de commandement et se forment aux missions de reconnaissance et d'évaluation. Ils représentent un solide point d'appui, notamment en Guadeloupe où les effectifs des FAA sont de l'ordre de la centaine. Le RSMA, qui compte 170 cadres, est un élément important en cas de catastrophe naturelle dans cette zone.
S'agissant de la question sécuritaire, peu de temps après le passage du cyclone Irma, des pillages ont eu lieu à Saint-Martin, où de nombreuses armes circulent et où sévissent des gangs et de véritables organisations criminelles. Nous nous sommes préoccupés d'emblée de la protection des militaires envoyés en intervention et de l'aide à la sécurisation en appui des forces de sécurité intérieure. C'est un aspect dont nous nous préoccupons systématiquement en cas de catastrophe naturelle. Nous y sommes préparés. Notre présence a un effet dissuasif.
Nous travaillons à l'amélioration des infrastructures, notamment aux îles Éparses, particulièrement exposées au réchauffement climatique et hébergeant de surcroît une réserve naturelle nationale.
Dans le cadre de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, la France de l'Océan indien a vocation à constituer un point d'appui de niveau stratégique en matière portuaire, aéroportuaire, de stationnement et de connectivité. Les évolutions permises par la LPM 2024-2030 m'aideront à accueillir des capacités rares dans ces quatre domaines, envoyées en renforts selon la logique que j'ai indiquée préalablement.
En 2028, je bénéficierai d'un détachement de l'aviation légère de l'armée de terre composé de deux hélicoptères ; il sera probablement stationné la majorité du temps à La Réunion mais sera capable, le moment venu, de se projeter à Mayotte. Ce sont des aéronefs de mobilité tactique, qui permettent l'évaluation et la reconnaissance après un sinistre, l'accès à des zones isolées et l'évacuation sanitaire le cas échéant.
S'agissant de la manière d'organiser la résilience, lorsque nous entrons dans la phase d'alerte, dans les cinq jours qui précèdent l'arrivée du cyclone à proximité des terres habitées, nous sommes dans l'obligation de faire prendre la mer à nos bâtiments pour aller vers des horizons couverts. Pour Belal, les cinq bâtiments des Fazsoi sont allés s'abriter le long des côtes malgaches. Nous agissons de même pour les aéronefs : les deux avions de transport tactique, les Casa, sont partis sur l'aéroport de Dzaoudzi à Mayotte, laissant le temps au cyclone de passer. Cette première précaution est déclinée également pour les forces terrestres.
Distribuer la force nous permet en outre d'assurer la redondance. Nos détachements sont constitués avec une autonomie initiale sur tous les sites, par exemple concernant la capacité de tronçonnage. Cette redondance existe également sur les postes de commandement. En fonction de la trajectoire du cyclone, j'ai prépositionné un poste de commandement au nord de l'île de La Réunion avec une réplique au sud ; j'étais capable de reprendre également le commandement à partir de Mayotte. C'est ce que j'appelle du multisite ou du maillage. C'est ainsi que nous préservons un tant soit peu nos moyens, en attendant les renforts de l'Hexagone si cela s'avérait nécessaire.
Vous posez la question des populations en situation irrégulière. Quand nous intervenons sur le territoire national lors de situations de crise, nous avons deux lignes rouges : d'une part, nous ne faisons pas de maintien de l'ordre et, d'autre part, je n'ai pas la légitimité pour désigner les ayants droit, par exemple dans la distribution de l'eau potable. Cela relève non pas des forces armées mais de la préfecture et des forces de sécurité intérieure dans le premier cas, et des centres communaux d'action sociale dans le deuxième. C'est à eux de prendre leurs responsabilités ; pour ma part, j'apporte un appui logistique. Le principe d'humanité nous amènerait évidemment à sauver des vies en mer ou à porter assistance à une personne en danger, par exemple dans le cadre tragique du trafic humain qui s'opère au large de Mayotte.
S'agissant du RSMA, les deux régiments de Mayotte et de La Réunion passent sous mon contrôle opérationnel en cas de crise car je suis tout à la fois l'autorité interarmées de coordination et l'officier général de la zone de défense et de sécurité Sud. C'est intéressant car ils disposent de moyens spécialisés dans le déblaiement, le génie lourd, le génie travaux, ainsi que de savoir-faire professionnels en électricité, en tuyauterie, en canalisation, qui peuvent participer au retour à la normale.
Outre sa force de frappe, car ce sont des régiments importants, le deuxième grand intérêt du SMA réside dans la connaissance intime qu'ont nos volontaires des territoires et de leurs habitants. Ils sont nos meilleurs médiateurs pour évaluer les conséquences des crises, notamment lorsqu'elles sont de nature pandémique. Ainsi, lors de l'épidémie de chikungunya, ce sont eux qui allaient au contact des habitants dans les territoires les plus reculés. Dans ces missions de sensibilisation, d'évaluation mais également d'action, ils sont nos meilleurs ambassadeurs.
Enfin, la lutte contre les désordres, la déstabilisation des compétiteurs ou les menaces de type militaire ou paramilitaire est la spécificité et la priorité des armées. Dans le dialogue civilo-militaire que je mène à Mayotte ou à La Réunion, la force de la défense militaire consiste à assurer la sécurisation au large plutôt que sur le territoire national. Nous luttons contre les trafics susceptibles de déstabiliser en profondeur nos territoires, comme le trafic humain ou encore le narcotrafic. Ce dernier n'est pas aussi important que dans les Antilles mais nous avons tout de même saisi 7 tonnes de drogues dures – héroïne, cocaïne, méthamphétamine – en 2023 dans la zone de responsabilité des Fazsoi. Je pense aussi à la défense contre des menaces au large, par exemple l'islam radical au Cabo Delgado, et à notre contribution à la mission européenne de formation de la QRF (Quick Reaction Force), la force de réaction rapide au Mozambique. Si l'on n'y prend pas garde, la collusion entre le financement de la drogue et la détresse humaine de l'immigration en provenance d'Afrique continentale, qui ne passe pas très loin des centres de l'État islamique au Mozambique, pourrait entraîner une déflagration qui déstabiliserait profondément nos sociétés. Nos missions de sécurisation au large ne pourraient être accomplies par nul autre service de l'État en primo-intervenant.
Notre contribution à la gestion des risques naturels sur le territoire national se fait sur demande de concours mais elle peut nous amener à renoncer ponctuellement à certaines de nos missions – pour le RSMA, il s'agit d'un renoncement à l'engagement de volontaires stagiaires. C'est le dialogue civilo-militaire qui permet d'établir des priorités et d'éclairer les décisions de niveau stratégique pour l'emploi des armées.
Monsieur le général Le Bouil, comment s'organisent les opérations lorsqu'une menace est identifiée ? À quel moment le préfet vous laisse-t-il la main et quand êtes-vous prêt à intervenir pour apporter du secours ?
Par ailleurs, monsieur le contre-amiral, pourriez-vous dresser un bilan rapide d'Irma ? Existe-t-il des points de faiblesse qu'il conviendrait d'améliorer si d'aventure la situation devait se reproduire ?
Je pose la même question au général Giraud concernant le cyclone Belal.
Les forces armées interviennent nécessairement à l'issue d'une demande de concours ou de réquisition de l'autorité civile sur le territoire national. C'est l'instruction interministérielle n° 10 100, relative à l'engagement des armées sur le territoire national lorsqu'elles interviennent sur réquisition de l'autorité civile, qui s'applique. Je n'agis que sur demande et dans le cadre défini par le préfet pour répondre à la crise.
Concrètement, le préfet me fixe des effets et, pour les atteindre, j'ai une autonomie concernant le personnel. La chaîne de commandement militaire reste entièrement dédiée, jusqu'au dernier soldat, et dépend de moi sur le terrain. Il y a une coordination à chaque échelon avec les forces de sécurité intérieure, les gendarmes, la sécurité civile et les ONG. Cette chaîne militaire est communiquée dès que possible, de préférence avant la crise. Lorsqu'il s'agit de prépositionner des forces, de mener des missions de surveillance et d'alerte ou de déplacer des moyens avant que la crise arrive, afin de pouvoir répondre une fois qu'elle est passée, cela se fait en dialogue avec l'autorité préfectorale mais, le plus souvent, nous agissons de notre propre initiative, dans le cadre de la chaîne militaire, avec l'état-major des armées. En tant qu'autorité militaire, j'ai la main sur mes soldats et je m'assure qu'ils interviennent conformément à leur entraînement, dans un dispositif hiérarchique et avec des principes qui garantissent la bonne façon de travailler.
J'ajouterai que la relation civilo-militaire est très fluide. Lors du dernier passage d'un cyclone, dès que l'on a senti qu'il pouvait toucher les îles, un dialogue très informel s'est établi entre le préfet et moi, par téléphone ou par la messagerie WhatsApp, pour évaluer la situation. J'ai déployé des moyens sans attendre de réquisition du préfet, parce que j'avais mes propres contraintes – disponibilité des avions, possibilité de se poser à Saint-Martin... Un cadre est décrit dans l'instruction mais, dans la réalité, les choses sont plus souples, plus fluides. Cela permet d'être très réactif. C'est d'ailleurs la force des armées.
Si Irma est la catastrophe de référence, il faut rappeler que les ouragans José et Maria, de catégorie 4 et 5, sont passés dans les jours qui ont suivi Irma. C'est le modèle de l'engagement : sept semaines, 1 700 militaires, un bâtiment amphibie venu de métropole, deux avions A400M, deux avions Casa, sept hélicoptères de manœuvre, des avions de patrouille maritime, des centaines, voire des milliers de tonnes de nourriture distribuées.
Cela nous a permis de mettre en évidence certaines faiblesses logistiques en Guadeloupe. Ce n'est pas une surprise : les décisions prises à partir de 2012 y ont pratiquement conduit à la fermeture de notre emprise aérienne. Quand nous avons voulu utiliser ces sites pour faire des manœuvres logistiques, ils n'étaient plus totalement disponibles. Ce problème ayant été identifié, nous préparons la recréation d'un pôle aéronautique en Guadeloupe.
Cela a également mis en évidence le besoin de préidentifier des renforts – plus d'une centaine de personnes ainsi que des moyens précis – lorsque débute la période cyclonique.
Autre point notable, les infrastructures portuaires à Saint-Martin étaient inaccessibles. Il a donc fallu utiliser des moyens amphibies pour intervenir, déployer les moyens de déblaiement ainsi que les troupes. Or nous n'avons pas de moyens amphibies : ils sont en métropole. À la suite du désarmement du dernier des bâtiments de transport léger (Batral), je suis dans l'incapacité de mener une petite opération amphibie de débarquement de troupes ou de matériel. En raison de cette lacune, nous dépendons de la métropole.
Même s'il faut toujours rester très humble face aux risques naturels et aux événements violents, force est de constater que la gestion à La Réunion de Belal peut être considérée comme un succès collectif, interministériel. Comme mon camarade des Antilles, je parlerai d'équipe France, celle présente dans nos outre-mer mais également dans les pays proches. Le rôle du préfet de zone, Jérôme Filippini, a également été souligné.
Je parle d'un succès car le retour à la normale à La Réunion a pris moins d'une semaine, rentrée des classes oblige. Le rétablissement de la totalité des services de l'État, des services d'eau et d'électricité ainsi que le retour à l'école ont pris moins d'une semaine, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, en phase de préparation, l'entraînement interne des forces armées et l'entraînement intégré avec la préfecture – l'exercice Cyclonex, traditionnellement effectué avant la saison des cyclones, fin octobre ou début novembre – jouent un rôle fondamental. Ensuite, la précision des prévisions de Météo-France a permis de cadencer les informations du préfet à la population et de prendre les mesures conservatoires à temps. Ainsi, pour la force, cela a permis de dérouter des bâtiments et des aéronefs vers l'étranger proche. De même, le respect strict du confinement pendant les phases les plus violentes – l'alerte violette – a permis de ne déplorer aucun suraccident.
La phase de la résilience est celle de l'accueil des renforts de l'Hexagone. Des renforts sont arrivés le lendemain matin en provenance de Mayotte – le Sdis (service départemental d'incendie et de secours) 976 et les Formisc de Mayotte – puis, dans la soirée, de l'Hexagone avec les flux de MRTT ( Multi Role Tanker Transport, avion multirôle de transport et de ravitaillement), une compagnie entière d'unités de sécurité civile, plus de 20 tonnes de matériel acheminé par transport militaire A400M. Tous ces facteurs ont joué un rôle clé dans le retour à la normale.
Tout cela contribue à une forme d'expérience qui est transmise au sein de la population dès l'école, avec des réflexes et une grande discipline dans la gestion générale de ce risque. C'est donc plutôt un succès mais nous devons rester humbles parce que Belal n'est pas Irma, ni Batsirai. Force est de constater toutefois que cela a été extrêmement bien géré, comme l'ont souligné nos autorités civiles, dont M. Darmanin, venu le lendemain du cyclone.
Je tiens à saluer la modestie qui caractérise tous les militaires. Nous avons pu constater que cette coordination a bien fonctionné car le même phénomène a causé bien plus de dégâts à Maurice qu'à La Réunion. Cela souligne que les événements ont été gérés de manière très professionnelle.
La capacité des armées à répondre à une catastrophe naturelle est au cœur de nos missions et justifie en bonne partie la présence d'une force aux Antilles. Tout est mis en œuvre ici, les retours d'expérience sont tirés, pour pouvoir être le plus réactif possible en soutien à la population ; c'est tout à fait normal. Dans une situation insulaire éparpillée, on a besoin des forces armées en cas de coup dur.
C'est vrai aussi pour les autres États. La France a une capacité de rayonnement : à chaque fois qu'il se produit une catastrophe naturelle, notre pays est le premier à apporter une aide, grâce aux moyens des forces armées aux Antilles – ce fut le cas en Colombie, lors de l'éruption volcanique à Saint-Vincent ou encore en Haïti.
Nous avons la conviction, au sein de la commission que j'ai l'honneur de présider, que vous faites la fierté française dans ces régions. C'est la raison pour laquelle je me permets, au nom de cette même commission, de vous transmettre notre gratitude à vous, les premiers chefs, mais également à tous ceux qui sont sous vos autorités respectives, jusqu'aux derniers soldats du rang.
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la table ronde « La recherche en sciences humaines et les risques naturels » réunissant : M. Matthieu Péroche, maître de conférence en géographie, Université de Montpellier 3 ; Mme Maud Devès, chercheuse, Université Paris cité ; M. Samuel Étienne, directeur d'études, École pratique des hautes études (EPHE)-Université PSL.
Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête par une table ronde rassemblant trois universitaires.
Mme Maud Devès, maîtresse de conférences à l'université Paris Cité, aborde l'objet de ses recherches – les catastrophes et les risques de catastrophe – à l'aune d'une double formation en géophysique et en psychologie.
M. Samuel Étienne, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (EPHE), a beaucoup étudié les paysages volcaniques, notamment littoraux, et les interactions entre les roches et la flore. Il consacre désormais sa recherche à l'étude des fanzines, en particulier scientifiques, et aux formes éditoriales du dialogue entre sciences de la nature et art.
Enfin, M. Matthieu Péroche est maître de conférences en géographie à l'université Paul Valéry-Montpellier 3, une université active sur les thématiques qui nous intéressent puisque nous avons déjà auditionné ses collègues, Mme Stéphanie Defossez et M. Tony Rey. Les travaux de M. Péroche reposent notamment sur une approche géographique intégrée de la gestion des crises, en particulier des tsunamis, à l'interface des connaissances entre les domaines scientifique et opérationnel.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale ; l'enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour une courte intervention liminaire, avant que nous ne poursuivions nos échanges sous la forme de questions-réponses. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Mme Maud Devès, M. Samuel Étienne et M. Matthieu Péroche prêtent successivement serment.)
Les questions que vous m'avez adressées étant vastes et fort complexes, je m'efforcerai surtout d'ouvrir des pistes de réflexion. Je remercie tout d'abord pour leur aide mes collègues du Crisis-Lab de Sciences Po, de l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP), du Centre de recherches psychanalyse, médecine et société (CRPMS), du Centre des politiques de la terre et du laboratoire PHEEAC – pouvoirs, histoire, esclavage, environnement Atlantique, Caraïbe – de l'université des Antilles.
En France, il existe en effet une communauté de recherche très active sur l'étude des catastrophes, des risques et des crises, dont une partie travaille sur les risques liés aux phénomènes naturels. Certains chercheurs, dont je suis, s'intéressent plus particulièrement aux territoires ultramarins : après un doctorat en géophysique et une formation en psychologie, j'ai rejoint l'université Paris Cité pour occuper un poste interdisciplinaire. J'ai principalement travaillé aux Antilles et à Mayotte.
Les questions soulevées par la gestion des risques suscitent de fortes résonances, que ces derniers soient ou non liés à des phénomènes naturels, qu'ils concernent la métropole ou les territoires ultramarins. Il semble difficile d'étudier les risques naturels sans considérer les autres risques pesant sur un territoire ou d'examiner les risques dans les outre-mer indépendamment de leur gestion dans l'Hexagone. De nombreuses études soulignent néanmoins les défis particuliers auxquels sont confrontés les outre-mer – la superposition de nombreux aléas, l'existence de vulnérabilités exacerbées, des controverses très présentes, des contraintes liées à l'éloignement et à l'insularité. Comme le souligne le Cadre d'action de Sendai, la réduction des risques de catastrophe réside pour une grande part dans l'emboîtement des échelles de gouvernance, qui implique une grande diversité d'acteurs aux priorités parfois contrastées. C'est particulièrement le cas des risques majeurs, susceptibles d'affecter toutes les composantes d'un territoire, et qui nécessitent de mobiliser les échelons territoriaux, zonaux et nationaux ainsi que les compétences de multiples ministères.
S'agissant des apports de la recherche en sciences humaines et sociales (SHS), s'il fallait ne retenir que deux choses, la première serait que les catastrophes naturelles à proprement parler n'existent pas – ce sont des facteurs humains, politiques, sociaux, organisationnels, structurels qui font la catastrophe – et la seconde qu'améliorer le suivi et la prévision des phénomènes dangereux est essentiel mais que cela ne suffit pas à réduire le risque. Il n'est pas suffisant que des scientifiques sachent, encore faut-il que la connaissance produite sorte des laboratoires et des instituts, et qu'elle soit partagée de manière utile et efficace avec tous les acteurs de la chaîne du risque – autorités administratives et politiques, élus, habitants, médias, etc.
L'information et la sensibilisation aux risques sont la plupart du temps assurées de manière descendante par des experts formés aux sciences naturelles, alors qu'il faudrait plutôt commencer par comprendre les défis que les communautés doivent relever. L'enjeu est donc de développer, outre l'expertise en sciences naturelles, une expertise en sciences humaines et sociales au service des politiques publiques de réduction des risques.
Les apports des SHS sont multiples : ils concernent aussi bien l'avant que le pendant et l'après-catastrophe, sur laquelle ma collègue Annabelle Moatty s'exprimera bientôt. Je m'attacherai pour ma part à la prévention, la préparation et la gestion de crise, qui sont autant de moments clés pour créer les conditions de résilience de l'après-crise.
Concernant la mémoire et l'expérience des événements passés, les études montrent que les personnes et les groupes ayant déjà vécu une catastrophe ont tendance à développer une culture du risque qui les prépare à mieux faire face à un événement futur. Ce résultat est pourtant à nuancer : la mémoire se construit souvent sur la base d'événements singuliers dont rien ne dit qu'ils soient de bons prototypes des événements à venir. En Martinique, par exemple, la perception du risque volcanique est biaisée par la mémoire de l'éruption de 1902. Rien ne dit que la prochaine éruption lui ressemblera : elle pourrait toucher des communes qui n'avaient pas été affectées à l'époque. D'ailleurs, en la nommant régulièrement la « catastrophe de Saint-Pierre », on oblitère le fait que d'autres communes avaient été gravement touchées.
Les risques majeurs correspondent à des événements peu fréquents : le dernier en date a davantage de chances de marquer les esprits mais le prendre pour référence peut conduire à mésestimer ou à sous-évaluer le risque.
Une autre limite de cette culture du risque est liée à la diversité des aléas présents en outre-mer. Aux Antilles, par exemple, du fait de la récurrence de ces événements, le risque de cyclone est bien connu de l'ensemble de la population, qui sait en général quel comportement adopter pour se protéger. Si le risque sismique est également très présent dans les esprits, les anciennes générations ont été moins bien formées que les nouvelles. Quant à Mayotte, elle vient de se redécouvrir une histoire volcanique. D'une manière générale, la culture du risque est très inégalement partagée selon les territoires, les aléas et les catégories de population considérés.
Les médias jouent un rôle différent avant, pendant ou après la catastrophe. On sait que les populations se mobilisent peu ou tardivement si l'événement est perçu comme ayant très peu de risque de se produire ou comme étant d'une intensité telle qu'il serait impossible s'y préparer. Or les recherches en sciences sociales montrent que, dans les pays occidentaux, la perception des catastrophes est très fortement influencée par les représentations qui circulent dans les médias. Pourtant, les journalistes ne sont pas formés à la question des risques : ils tendent à ne couvrir que les phases d'urgence et à reproduire des mythes que les sciences humaines et sociales ont déconstruits depuis longtemps.
Il en va ainsi du mythe selon lequel la population sinistrée serait paniquée, sidérée, en proie au chaos et incapable de se secourir par elle-même. Toutes les études montrent au contraire que, lors d'une catastrophe, les personnes tendent plutôt à adopter des comportements responsables et que des organisations ad hoc émergent, qui assurent secours, entraide et contrôle social. Évidemment, celles et ceux qui viennent de subir un séisme de magnitude 8 et ont vu périr leurs proches ne sont pas dans leur état normal, et une population qui se trouve brutalement sans ressources cherchera à se ravitailler dans les magasins avoisinants, mais la question qui se pose n'est pas celle de l'ordre public.
Ce mythe de la panique qui engendrerait le chaos conduit à adopter des discours rassuristes, qui alimentent la défiance. Ces propos peuvent même mener à une mauvaise appréciation des ressources à mobiliser, comme cela s'est produit aux États-Unis lors de l'ouragan Katrina. Les populations réclament non d'être rassurées mais d'être informées avec transparence, précision, simplicité, compassion et cohérence. Elles ont aussi besoin d'être accompagnées dans les démarches qu'elles entreprennent spontanément.
On sait que la radio, la télévision et la presse quotidienne sont très suivies par les populations en période de crise. Ces médias constituent un espace essentiel de partage d'expérience et de débat, qui permet de restaurer le sentiment d'appartenance au collectif et de faire émerger des pistes de solutions communes. Aux Antilles, pendant la saison cyclonique, les radios jouent un rôle très important, en ouvrant leurs antennes à la population, qui peut s'y exprimer librement.
Pour ce qui est de la diffusion des messages d'information aux populations, le déploiement de FR-Alert est un progrès indéniable. Il conviendrait cependant qu'il soit utilisé de manière ascendante ou horizontale, comme d'ailleurs les réseaux sociaux, afin d'échanger, de partager des informations et de faire remonter des données aux autorités. Souvent, la population sinistrée connaît mieux la situation sur place, notamment les zones les plus touchées ou les personnes bloquées dans les habitations. Des initiatives comme celles des volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (Visov) sont intéressantes.
Réussir à envoyer un message d'alerte de manière efficace n'est pas le seul défi : il faut aussi s'assurer que l'information a été comprise et qu'elle soit acceptée. Cela dépend beaucoup de ce qui a été mis en place en amont de la phase d'urgence. Les recherches montrent que l'information est d'autant mieux intégrée qu'elle correspond à ce qui est connu antérieurement, d'où l'importance du travail de sensibilisation et de prévention.
Pour que l'information circule efficacement en temps de crise, il est déterminant d'avoir su établir une relation de confiance avec la population. L'information est en effet jaugée à l'aune de la crédibilité et de la légitimité que l'on attribue à celui qui la transmet. Si l'énonciateur du message est perçu comme fiable, il devient possible de faire passer des messages, même complexes. De ce point de vue, il est intéressant d'associer des personnalités locales, capables de traduire et d'expliquer. La population a aussi besoin de sentir que les décisions sont prises sur le fondement de valeurs et de préoccupations partagées. La confiance a une fâcheuse tendance à migrer d'un domaine à l'autre : la crise de la Soufrière, en 1976, ou le scandale du chlordécone sont autant de coups qui lui sont portés.
Concernant les liens entre recherche académique, expertise et décision, faire de la recherche n'est pas la même chose qu'intervenir comme expert dans un processus d'aide à la décision : les contraintes et les attendus sont différents. On observe souvent des incompréhensions entre chercheurs et opérationnels car ils n'appartiennent pas au même monde et chacun méconnaît le métier de l'autre. Cette absence d'interconnaissance pose des problèmes lors d'une crise, notamment dans le cas d'événements peu fréquents, où la robustesse de l'interface entre expertise et décision n'a pas été éprouvée. Elle pose également des problèmes en amont de la crise, lorsque le transfert des connaissances académiques tarde à se faire, par exemple pour améliorer les plans de prévention des risques.
Afin d'améliorer la coopération, il faut s'appuyer sur des experts ayant un pied dans la recherche et menant une forme de recherche-action, à visée opérationnelle, comme sur des opérationnels engagés dans une démarche réflexive. Il importe aussi d'ouvrir les lieux de la gestion de crise aux chercheurs, qui ont l'avantage d'être des observateurs neutres, au long cours, des processus décisionnels, et qui peuvent aider à désiloter l'analyse et les retours d'expérience.
Il a aussi été montré qu'au-delà de l'expertise, la coordination entre les acteurs à différents échelons est primordiale. Elle doit se construire en amont de la catastrophe. Il est ainsi important d'associer les acteurs locaux – maires, associations – à la phase de prévention et de préparation. Seul un travail au long cours peut permettre de construire les conditions de la confiance et de l'agilité.
Les crises liées aux risques majeurs sont par essence complexes. Toutes les compétences sont à réunir autour de la table car les problèmes sont énormes – déplacements massifs de populations, approvisionnement en vivres et eau potable de régions géographiquement éloignées, gestion de déchets produits de manière soudaine et en quantité massive, impact sur les infrastructures critiques, risques technologiques engendrés par un événement naturel (Natech), pollution environnementale, impact sur la santé physique et mentale des habitants, qui se compte non en mois ou années mais en décennies. Dans certains pays, la réduction des risques de catastrophe est du ressort d'agences interministérielles. En France, où nous marchons sur plusieurs pattes, la capacité à se synchroniser est essentielle.
La mise à jour du plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) Volcans en Martinique fournit un bon exemple d'une démarche concertée avec l'ensemble des parties, dans laquelle le préfet s'est assuré de la participation de tous. S'il demeure un plan d'intervention, il préfigure toutefois par sa production une gouvernance élargie de la crise le moment venu. Nous menons actuellement des travaux avec la sécurité civile sur la préparation et l'anticipation d'une crise volcanique majeure en outre-mer, et instaurons une démarche de coconstruction avec le niveau national, zonal et territorial. Ce travail de coordination est nécessaire mais il prend du temps, un temps que nos institutions ne nous accordent pas toujours et qui n'est pas valorisé dans le curriculum des chercheurs.
En tant que géographe géomorphologue, j'ai davantage étudié l'aléa naturel, c'est-à-dire le danger potentiel, que sa gestion par le pouvoir politique ou les autorités locales. Je partage toutefois les propos de Maud Devès. J'évoquerai essentiellement la Polynésie française, ayant été maître de conférences à l'université de Polynésie française entre 2008 et 2012 avant de poursuivre des travaux liés aux aléas naturels et aux risques littoraux. Depuis cinq ans, je travaille sur la médiation scientifique, qui peut avoir un lien avec la culture du risque.
Dans la dernière décennie, la recherche en sciences humaines et sociales a réalisé des progrès importants dans la caractérisation des aléas naturels, notamment d'origine marine – cyclones, houle cyclonique, tsunami – en Polynésie française. Un nouveau contrat de plan État-région (CPER) entre l'État et le pays a été signé en 2012 ; des programmes de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ont été menés, notamment sous la coordination de Virginie Duvat de l'université de La Rochelle, ainsi que plusieurs thèses de doctorat. La caractérisation physique recouvre l'étude de la nature et de la fréquence des événements passés à la lumière des archives sédimentaires afin d'identifier des événements sur un temps plus long et souvent plus pertinent que les archives humaines, écrites ou orales. Cette analyse fournit une connaissance statistique des événements sur le long terme et permet de les confronter à la mémoire collective.
Dans les outre-mer insulaires, la recherche et les actions publiques se sont souvent focalisées sur la bande littorale, exposée à différents types de risques aigus – cyclones tropicaux, tsunamis – ou de risques chroniques comme l'érosion, responsable du recul du trait de côte, au détriment des terres intérieures. Les risques hydrologiques auxquels les vallées sont confrontées, notamment les crues éclairs, sont parfois mal appréhendés.
Pour ce qui est de la gestion des risques naturels dans les outre-mer, je vous renvoie aux travaux en droit de l'environnement de Lucile Stahl, en particulier ses articles sur les défis présents et à venir des plans de prévention des risques naturels (PPRN) polynésiens.
Concernant la mémoire et la culture du risque, on peut citer le travail post-doctoral sur l'atoll d'Anaa, situé dans l'archipel des Tuamotu, que Rémy Canavesio a mené entre 2013 et 2014 dans le cadre du laboratoire d'excellence « Corail ». Partant de legs géologiques présents sur la barrière corallienne de l'atoll, en l'occurrence, de gros blocs de corail arrachés aux récifs par un ou plusieurs événements extrêmes, il a recherché les traces de ces événements dans la mémoire collective où il restait un signalement, sans datation précise. Il a ainsi conduit un travail d'enquête auprès de la population Pa'umotu, notamment des plus anciens, dont il a recoupé les résultats avec les données de la marine – archives photographiques, relevés de positions de bateaux – et des datations isotopiques des blocs rocheux. La combinaison des approches physique, naturaliste et de sciences humaines et sociales a permis de dater scientifiquement l'événement à 1906, ce qui n'était que présumé.
J'insiste sur la nécessité de ne pas mener des recherches qui découplent les approches de SHS, naturaliste ou physique. On ne peut pas parvenir à comprendre, ni à gérer efficacement les risques naturels si l'on obère l'une de ces deux dimensions. Ce n'est pas un hasard si la géographie s'affirme comme la discipline la mieux à même de faire dialoguer les spécialistes des SHS et ceux des aléas naturels.
S'agissant des médias et de la diffusion des messages d'information, j'ai observé des pratiques assez proches dans différents États du Pacifique où j'ai mené des recherches – Hawaï, îles Samoa, îles Fidji, Polynésie française – et en métropole, lorsque j'ai étudié la submersion marine dans le marais de Dol, près du mont Saint-Michel. En France, si je grossis le trait, le politique a une vision infantilisante de la population vivant dans les zones à risque : lors de mes travaux dans le pays de Saint-Malo et la baie du mont Saint-Michel, j'ai plusieurs fois entendu dire qu'il ne fallait pas inquiéter la population. Or développer une culture du risque, c'est éviter la politique de l'autruche : il faut informer la population, lui faire prendre conscience qu'un danger existe. Celui-ci n'est pas présent au quotidien mais s'il survient, il faut connaître les bons comportements et les réflexes à adopter.
Certaines bonnes pratiques que j'ai pu observer à Hawaï pourraient être déployées dans les territoires d'outre-mer où il existe un risque de tsunami. Sur l'île hawaïenne de Big Island, qui a été frappée par un tsunami meurtrier en 1960, des panneaux de signalisation matérialisent la partie du territoire exposée au risque de submersion. Ces signaux ne sont pas anxiogènes mais ils permettent à la population de savoir ce qu'elle doit faire si les sirènes retentissent. Matérialiser les zones à risque dans l'espace par des signaux, des pointillés ou des indications sur les bâtiments serait une première étape de développement d'une culture du risque non anxiogène.
Depuis cinq ans, j'ai réorienté mes travaux scientifiques vers des formes de médiation scientifique alternatives, pour trouver de nouvelles façons de diffuser une culture du risque. Ces nouvelles voies consistent à dédramatiser l'aléa, par des actions impliquant les arts visuels – conférences performées, expositions d'art contemporain, production de supports écrits rudimentaires comme les fanzines par tous, des plus jeunes aux plus anciens.
Pour ce qui est du lien entre recherche académique, experts et décideurs, la Polynésie française connaît un problème structurel lié à l'étroitesse du spectre de recherche académique du fait du nombre limité de chercheurs ou d'enseignants-chercheurs présents dans le territoire. Toutes les disciplines ne peuvent être représentées, et, lorsqu'elles le sont, un isolement géographique des chercheurs limite leur capacité d'action. L'écologie corallienne en constitue une exception car les laboratoires polynésiens, notamment le Centre de recherche insulaire et observatoire de l'environnement (Criobe), positionnent la Polynésie comme un centre d'excellence mondial dans le domaine.
Palliant une partie de ce problème structurel, les travaux menés par des chercheurs métropolitains sont parfois déconnectés des acteurs locaux. La diffusion des recherches auprès des experts et des décideurs est insuffisante, voire inexistante. Il existe aussi un décalage entre une recherche fondamentale dont la valorisation et la diffusion s'effectuent de plus en plus à l'échelle internationale, en anglais, et une demande locale de connaissances scientifiques immédiatement accessibles, en français ou dans les langues régionales – pa'umotu, marquisien, etc. S'y ajoute le turnover des experts et, parfois, des représentants de l'État, si bien qu'il est souvent difficile, pour ne pas dire décourageant, de s'impliquer.
Pour résoudre ce problème, la coopération interétatique à l'échelle du Pacifique Sud est prometteuse. Des expériences ont été menées lors des crises afin d'impliquer des équipes de chercheurs d'Australie, de Nouvelle-Zélande, des Samoa, des Fidji ou de Polynésie, mandatées par l'Unesco.
S'agissant de l'acceptabilité des politiques de prévention des risques, la Polynésie est compétente depuis 2001 pour adopter les PPRN, en application des règles locales du code de l'aménagement de la Polynésie française. En 2018, quarante-huit PPRN ont été prescrits, mais seulement deux plans ont été adoptés, pour les communes de Punaauia sur l'île de Tahiti et de Rurutu dans les îles Australes, quand la Polynésie française compte soixante-seize îles habitées. L'État reste néanmoins compétent pour la gestion de l'urgence et des situations de crise en matière de risques naturels.
L'adoption des PPRN se heurte toutefois à trois écueils spécifiques à la Polynésie. Se pose d'abord le problème du foncier et de l'indivision, ce que l'on l'appelle les « affaires de terre » c'est-à-dire les successions non liquidées sur plusieurs générations découlant des normes pré-européennes. Le PPRN peut ajouter une couche supplémentaire de frustrations à cette source de tensions. Dans les atolls, la ressource foncière est par ailleurs limitée.
Le deuxième écueil est l'absence de dispositifs financiers associés au PPRN : en l'état actuel du droit polynésien, seule la planification préventive des risques est envisagée. Si la volonté d'assurer ainsi la sécurité des biens et des personnes est louable, l'absence de tout dispositif financier pérenne fragilise l'édifice et crée un déséquilibre entre la recherche de la sécurité et les contraintes qui pèsent sur les individus.
Enfin, on constate une méfiance des acteurs locaux à l'égard des plans de prévention des risques naturels, qui repose en partie sur les décisions prises en 2017 par le tribunal administratif de Papeete à la suite de la contestation du PPRN de Punaauia. Les populations ont eu le sentiment que les PPRN figeaient l'occupation de l'espace et contraignaient tout projet de développement futur, indépendamment d'éventuelles solutions géotechniques. Dans les faits, les conseils municipaux n'adoptent pas les plans – leur avis n'est que consultatif – et le pays ne mobilise pas les outils juridiques du code de l'aménagement pour anticiper l'application des PPRN en cours, alors que l'urgence le justifierait. On trouve toutefois, à Fakarava et à Rangiroa, des plans généraux d'aménagement comportant des zones de recul : ces solutions locales traduisent la conscience que ces communes ont du danger.
Enfin, le fonds Barnier n'est pas applicable à la Polynésie française, du fait du statut d'autonomie qui la régit. L'extension de son champ d'application à ce pays d'outre-mer n'est pas non plus à l'ordre du jour.
J'avais préparé une brève présentation de mon parcours mais je comptais répondre à des questions plutôt que faire un exposé comme mes collègues. Les leurs étaient de qualité et je suis d'accord avec leurs propos, très complémentaires.
Mon parcours m'a conduit à passer quatre années aux Antilles, et plus particulièrement à la Martinique – où j'ai réalisé une thèse sur la prévention et la gestion des risques de tsunami. J'ai également eu la possibilité de faire un post-doctorat en Guadeloupe, où j'ai mené des recherches dans le cadre du projet C3AF (changement climatique et conséquences sur les Antilles françaises), auquel participe l'université des Antilles. J'ai ensuite été titularisé en 2017 à l'université de Montpellier 3, où j'ai pu poursuivre mes recherches sur les Antilles – et notamment Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Ces recherches s'inscrivent dans le projet Tirex, financé par l'ANR et destiné à analyser les effets des ouragans et de la saison cyclonique 2017.
J'ai également travaillé sur le risque de tsunami à Mayotte, tout d'abord dans le cadre d'un mémoire de master 2 puis à travers le projet Evactsu-Mayotte, qui a été financé par la délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer (Dirmom), le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et la préfecture de Mayotte.
Depuis le début de mes recherches, notamment dans le domaine de la recherche-action, j'ai toujours veillé à produire des résultats à visée opérationnelle, en collaboration avec les acteurs locaux – qu'il s'agisse des collectivités territoriales ou des services déconcentrés de l'État. Ces contributions ont enrichi les plans Orsec et les plans communaux de sauvegarde (PCS) de nombreuses communes aux Antilles françaises, notamment en y intégrant des volets relatifs aux tsunamis. Cela a également permis de diffuser des informations auprès du grand public dans un but préventif, via des plateformes web qui intègrent notamment des outils de cartographie.
Ce travail conduit principalement sur les tsunamis est inédit et il a été réalisé selon des protocoles standardisés, validés par plusieurs services de l'État, avec soixante communes et collectivités littorales des Antilles françaises, en lien avec les acteurs locaux et grâce à une démarche participative associant différents publics.
Les résultats de ce travail mené dans le cadre du projet Exploit (exploitation et transfert vers les collectivités des Antilles françaises d'une méthode de planification des évacuations en cas d'alerte tsunami) contribuent au fait que certaines communes des Antilles françaises ont obtenu la certification « Tsunami ready » délivrée par l'Unesco. Cela a été par exemple le cas pour la commune de Deshaies en Guadeloupe en 2023. Il lui a fallu se conformer à douze indicateurs pour prétendre obtenir cette reconnaissance internationale.
La carte et l'analyse spatiale ont toujours été des outils centraux dans mes travaux. Ils sont utilisés comme supports graphiques pour l'aide à la décision mais aussi en tant qu'outils de prévention.
J'attache aussi une importance particulière à communiquer les résultats de ces travaux au grand public. Je tâche également de conserver une approche régionale, ce qui n'est pas forcément habituel dans certains territoires, notamment les Antilles.
Je suis actuellement chargé d'un projet de recherche dénommé « SAFE Saint-Bart », destiné à renforcer la résilience de Saint-Barthélemy face aux risques majeurs. Ce projet ambitieux vise à utiliser les connaissances scientifiques issues des derniers retours d'expérience pour élaborer des outils et protocoles de prévention coconstruits avec et pour les autorités et la population. Pour le mener à bien, nous avons monté un partenariat public-privé afin de s'assurer du caractère opérationnel des résultats scientifiques, mais aussi de garantir une meilleure appropriation de ces derniers.
Au cours de cette audition, je m'attacherai à compléter les contributions de mes collègues avec un regard portant plus spécifiquement sur les aléas sismiques et les tsunamis. J'ai préparé des réponses aux questions écrites qui nous ont été adressées.
Lors des auditions, il a été dit de manière récurrente qu'il était fondamental que les populations soient associées à la gestion des risques.
Je perçois une forme de paradoxe.
Vous dites d'un côté que l'on doit bâtir la confiance entre les autorités et la population pour que les décisions soient comprises. Vous souhaitez à cet égard que l'on s'appuie davantage sur une forme d'expertise locale. Sur ce point, comment entendez-vous mieux intégrer le savoir traditionnel dans vos recherches ? Je n'aime pas beaucoup cette expression, car elle relève d'une certaine manière d'une ethnologie au rabais. Mais, de fait, il fut un temps où les populations locales savaient s'organiser différemment face aux aléas naturels.
Quel a été selon vous l'ampleur des effets de la crise sanitaire sur le niveau de confiance ? On a vu dans la plupart des collectivités d'outre-mer qu'il y avait eu un problème de confiance. Est-ce un effet du scandale du chlordécone, avec le sentiment qu'on allait de nouveau être empoisonné par les autorités ? Ou bien s'agit-il d'une crise spécifique ? Quels seront ses effets à long terme ?
D'un autre côté, nous parlons de l'élaboration des PPRN. Vous avez évoqué le projet « Safe Saint-Bart ». On aurait aussi pu aborder cette question à Saint-Martin, où la première mouture du nouveau PPRN – élaboré à la suite de l'ouragan Irma qui avait fait onze morts – a été accueillie par des émeutes. La deuxième version a été élaborée dans le cadre d'une concertation tout à fait remarquable. Mais je dois avouer ne pas avoir été totalement convaincu par la réponse qui m'a été donnée sur l'évolution du contenu du PPRN.
N'y a-t-il pas une forme de hiatus – pour ne pas dire de contradiction – entre la réalité de la prise en compte du risque et une forme de realpolitik qui consiste à trouver des aménagements ?
M. Étienne a indiqué qu'il n'y avait pas eu d'accompagnement financier des PPRN. Entendez-vous par là que l'on n'a pas prévu une forme d'indemnisation pour ceux dont les habitations ou les droits à construire seraient affectés ?
Cette commission d'enquête a une histoire. Elle a été voulue, dans des conditions parfois un peu baroques, par M. Nilor, collègue de la Martinique. Nous avons entendu le président de l'université populaire de la Martinique il y a peu. Il avait un avis très argumenté sur ce qu'il convenait de faire – on peut, comme moi, ne pas être entièrement d'accord avec lui. Le processus légitime de consultation des acteurs locaux ne se heurte-t-il pas à un moment donné à l'expertise scientifique ? Comment faire face à ce qui peut apparaître comme un hiatus ?
Vous avez abordé la crise de la covid. Pour ma part, je suis plutôt spécialiste des crises liées aux phénomènes naturels. Mais il me semble évident que cette crise sanitaire peut agir comme un révélateur de problèmes qui se poseront en cas de futures crises dans d'autres domaines, en particulier aux Antilles.
Comme je l'ai indiqué précédemment, la confiance migre et la gestion d'une crise n'intervient pas dans un territoire qui serait neutre, dépouillé de ses différents problèmes. Tel est précisément l'enjeu du travail à mener en amont, en faisant participer les élus locaux et les associations pour en quelque sorte déminer tous les sujets qui pourraient cristalliser des tensions et réactiver des conflits en situation de crise.
Pour autant, associer ces différents partenaires n'est pas toujours évident. Cela prend du temps et suppose d'avoir la curiosité d'aller travailler avec eux. Tout le monde ne le fait pas. Je pense que c'est une démarche vertueuse et qu'il faut veiller à le faire. Les chercheurs en sciences humaines et sociales ont souvent l'habitude de travailler avec des partenaires venant de différents horizons. Il reste beaucoup à faire pour créer des coopérations ou les renforcer, en associant ces chercheurs, les services de l'État et tous les partenaires locaux.
Selon moi, il n'y a pas de hiatus entre savoir académique et savoir local, mais une forme de complémentarité. Ce qui est important pour les chercheurs en sciences humaines et sociales, c'est de comprendre les préoccupations des habitants, lesquels peuvent avoir un savoir qu'il ne faut pas dénigrer. Il complète mais ne remplace pas le savoir académique classique et l'expertise technique de pointe dont nous avons besoin. Il faut réussir à faire dialoguer ces deux savoirs.
Le savoir vernaculaire est en effet complémentaire du savoir scientifique, même lorsque l'on travaille sur des aléas naturels.
J'ai par exemple travaillé avec un collègue sur les submersions marines en essayant d'identifier des évènements passés, notamment lorsqu'ils ont laissé un legs sédimentaire particulier – avec un amas de blocs rocheux coralliens que l'on trouve sur les platiers et qui sert parfois d'amer pour les navigateurs. Un certain nombre de champs de blocs de corail ont été identifiés sur l'île de Vanua Levu, au nord des Fidji, mais on ne savait pas s'ils résultaient d'un tsunami ou d'un cyclone. Nous avons mené une enquête sur la toponymie avec des étudiants locaux et le nom qui avait été donné par la mémoire collective à l'un de ces champs était « les pierres des grands vents », ce qui indique qu'un cyclone en était à l'origine. Les enquêtes de terrain auprès de la population et les savoirs vernaculaires sont bien intégrés à nos recherches et permettent parfois de confirmer des hypothèses scientifiques.
J'ai effectivement évoqué le problème de l'indemnisation dans le cadre des PPRN en Polynésie française. C'est une question particulière, liée au droit polynésien – la Polynésie est un pays d'outre-mer qui a ses propres lois et sa propre assemblée. Il y a certes des points communs avec les PPRN en métropole ou dans les autres collectivités d'outre-mer : si un PPRN impose une servitude, cela ne donne pas lieu à indemnisation. Mais la différence réside dans le fait qu'il n'y a pas d'indemnisation en cas d'expropriation du fait d'une exposition à des risques majeurs naturels. C'est un problème. Le fonds Barnier, qui pourrait servir à financer ces indemnisations, n'est pas mobilisé en Polynésie française.
À la suite d'une saison cyclonique 1982-1983 avec des dégâts humains et sur les infrastructures particulièrement catastrophiques, un fonds spécial territorial a été créé. Il repose sur une forme de solidarité territoriale mais ne comporte pas de mécanisme assurantiel. Sur les limites du PPRN en Polynésie française, je vous renvoie au rapport d'information n° 122 sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer, publié par le Sénat le 14 novembre 2019.
Le rapporteur a posé plusieurs questions relatives à la crise sanitaire. J'ai peu travaillé sur ce volet, étant spécialiste des risques d'origine naturelle.
En ce qui concerne la complémentarité des savoirs académiques et des savoirs locaux, il est évident que la population a un certain nombre de connaissances qu'il est bon de valoriser – notamment pour favoriser la transmission des connaissances entre les différentes populations. Vous avez indiqué dans une question écrite que ceux qui sont installés de longue date ont une culture du risque plus importante que les personnes de passage ou les nouveaux arrivants. C'est une hypothèse. Mais il est également important de motiver les populations qui disposent d'une telle connaissance pour qu'elles la partagent avec le plus grand nombre. C'est précisément l'une des actions menées dans le cadre du projet « Safe Saint-Bart ». Il s'agit de faire un état des lieux des connaissances des habitants de l'île pour essayer de construire sur la plateforme du projet un lieu de mémoire des catastrophes passées, où les personnes pourront apporter leur témoignage, notamment à travers des photographies commentées. Il est également envisagé d'organiser des expositions temporaires, afin d'utiliser les connaissances locales pour assurer une transmission des savoirs sur les risques.
Ma question portait sur la confiance et sur le moment où elle peut être rompue. C'est une mécanique complexe, que vous avez bien décrite.
Je suis bien conscient des problèmes liés au droit des successions en Polynésie, puisque j'ai été rapporteur du projet de loi relatif à la Polynésie française. L'expérimentation du dispositif dérogatoire de partage par souches et la mise en place du tribunal foncier devaient apporter des améliorations, même s'il n'y a pas de solution miracle en la matière.
S'agissant de l'appropriation de la culture du risque, pourriez-vous revenir sur la question du PPRN ? Encore une fois, il y a une forme de hiatus. Face à un risque incertain, les gens subissent une diminution de leur droit à construire et une perte patrimoniale. On a le sentiment qu'un arbitrage s'opère. Il sera d'autant plus raisonnable que la culture du risque imprégnera l'ensemble de la communauté, qu'il s'agisse des élus aussi bien que de la population et des acteurs économiques. Quel est l'état des lieux selon vous ?
J'ai été marqué par ce qui nous a été dit sur la remise en cause de l'actualisation du PPRN à Saint-Martin et la difficulté à faire adopter ces documents, M. Étienne ayant indiqué que seulement deux de ces plans ont été adoptés en Polynésie.
Vous allez auditionner prochainement des collègues qui ont travaillé spécifiquement sur les PPRN, notamment à Saint-Martin. Pour ma part, j'ai davantage étudié l'organisation de la gestion de crise et beaucoup moins ce type de documents. Il m'est donc difficile de répondre à une question aussi précise.
Un petit commentaire : j'ai observé dans beaucoup de cas que les populations ne savaient pas ce qu'était un PPRN et n'avaient pas connaissance des documents disponibles à l'échelle du département. Annabelle Moatty et Delphine Grancher seront plus à même de répondre à vos questions, mais mieux faire connaître les documents qui existent est aussi un enjeu.
J'ai beaucoup apprécié vos interventions très documentées et pertinentes.
Élu de Saint-Marin, j'ai vécu le cyclone Irma. Tant que l'on n'a pas assisté à un tel événement, on ne sait pas vraiment ce que c'est.
On a beaucoup insisté sur l'importance de la relation de confiance entre la population et ceux qui décident des mesures de prévention, d'alerte et d'urgence. Mme Devès a dit très clairement qu'il fallait associer des personnalités locales à la transmission de l'information, afin qu'elle soit mieux comprise. C'est d'autant plus nécessaire que, dans certains territoires, les langues parlées diffèrent de la langue officielle.
Le concept de culture du risque comporte quand même une faiblesse lorsqu'une proportion relativement importante des habitants se sont installés récemment. Ce sont souvent des fonctionnaires, des entrepreneurs ou des salariés, venus pour une mission précise pour un temps donné et qui n'ont pas vocation à rester de quinze à trente ans sur place. Ils n'ont jamais vécu une grosse crise et n'ont pas mesuré l'ampleur du danger.
J'ajoute que, dans les îles des Caraïbes, on compte beaucoup de marins qui exploitent des petits voiliers pour organiser des excursions, et qui vivent parfois dans ces bateaux. D'autres sont seulement de passage et certains d'entre eux ne sont même pas assurés. Comment peut-on faire face à ce phénomène, qui fait qu'un nombre important de personnes n'a pas intégré la culture du risque ?
Le rapporteur a relevé que la première actualisation du PPRN a été très mal vécue par la population de Saint-Martin et a débouché sur une révolte et des émeutes. La deuxième a fait l'objet d'une très large concertation et ce document a fini par être accepté. L'île étant petite, si vous demandez à 3 000 personnes de quitter la zone côtière, vous ne disposez pas des réserves foncières nécessaires pour les reloger – sans parler du fait qu'une telle décision entraîne un profond sentiment de dépossession pour des gens qui vivent là depuis plusieurs générations.
Par ailleurs, l'analyse a posteriori des dégâts liés au cyclone Irma montre que ces derniers ont été causés bien davantage par le vent – qui a soufflé les toits – que par le phénomène de submersion. Ce dernier est indéniable, mais une fois que la mer s'est retirée, les dégâts n'étaient pas aussi importants. Le vent est responsable des effets les plus catastrophiques. Lorsqu'il atteint 250 ou 300 kilomètres par heure, très peu de choses résistent.
Tout cela explique selon moi la modification de l'approche retenue pour actualiser le PPRN.
Vous avez eu parfaitement raison de mettre l'accent sur la situation particulière des touristes et des nouveaux arrivants ainsi que sur leur nécessaire information. Cette question avait déjà été identifiée à la suite de la tempête Xynthia, qui avait touché beaucoup de résidences secondaires. On peut aussi avoir à faire face à un tourisme de catastrophe, avec par exemple des gens qui vont observer le spectacle d'une éruption à La Réunion.
Il faut assurer la sécurité de ces populations et cela suppose de développer des campagnes de sensibilisation adaptées.
À Mayotte, un nouveau risque inconnu de la population est apparu avec la naissance du volcan Fani Maoré. Il faut commencer une éducation à partir de zéro. Avec ma doctorante, nous travaillons dans les écoles de Mayotte et un énorme travail reste à réaliser pour que les enfants prennent conscience de l'existence de ce volcan sous-marin, qui n'apparaît qu'à travers les discours des experts à la télévision.
Ces différents points constituent donc un enjeu d'éducation.
Vous avez aussi souligné la vulnérabilité propre au milieu insulaire. En cas d'évacuation, c'est en effet l'ensemble du territoire qui est affecté, car les zones qui doivent accueillir les populations ne disposent pas forcément des infrastructures adaptées. Ces aspects sont très spécifiques aux zones insulaires. C'est la raison pour laquelle on estime qu'en cas d'éruption majeure on devrait passer tout de suite à une gestion de crise assurée au niveau national.
Le turnover important au sein des administrations nécessite une appropriation des connaissances scientifiques par des personnes qui restent longtemps dans les territoires concernés, notamment au sein du tissu associatif. Il faut organiser une collaboration étroite et à long terme avec des scientifiques qui conservent la mémoire des travaux menés et transmettent les connaissances.
Outre les personnes qui habitent sur des bateaux, on compte de très nombreux saisonniers dans l'hôtellerie et la restauration à Saint-Barthélemy. Un travail d'information doit être réalisé pour eux, en s'appuyant sur des supports qui correspondent à leurs attentes. Nous allons le réaliser à Saint-Barthélemy, en lien notamment avec la chambre économique multiprofessionnelle ainsi qu'avec les associations d'hôteliers et de restaurateurs. Dans un premier temps, il s'agira d'évaluer leurs besoins. C'est un travail de longue haleine, qui exige que la communauté scientifique s'investisse fortement.
Comme l'a très justement dit Maud Devès, la recherche universitaire n'est absolument pas valorisée par les administrations. Cela peut constituer un frein pour de nombreux chercheurs, qui hésiteront à s'investir. J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'un point sur lequel il conviendrait d'agir.
Enfin, qu'il me soit permis d'évoquer le partage de l'expérience dans les territoires d'outre-mer.
Avec l'état-major interministériel de zone Antilles et les différents PC de Guadeloupe, un travail extraordinaire a été menée pour que la commune de Deshaies obtienne la certification « Tsunami ready », reconnaissance internationale qui suppose de remplir des critères nombreux et difficiles. La signalétique évoquée par M. Étienne en fait partie et un investissement local très important a été consenti. Avec le lieutenant-colonel Nisslé, qui commandait alors cet état-major, nous avons écrit de nombreux courriers pour partager cette expérience avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et différents ministères. Nous n'avons jamais reçu de réponse ou de marque d'intérêt. Il est vraiment dommage de constater qu'il y a aussi peu de répondant.
Les messages sont bien reçus. Je vous remercie pour vos excellentes interventions, qui nous ont beaucoup éclairés sur ces aspects scientifiques de la recherche mais aussi sur la nécessité d'un meilleur dialogue entre la recherche et les institutions publiques.
Il n'est pas interdit de nous faire des suggestions et nous serions heureux de recevoir vos contributions écrites.
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de syndicats de la table ronde « syndicats de Météo-France » : Syndicat national des ingénieurs et techniciens de la météorologie (SNITM-FO), M. Serge Taboulot, membre de la commission exécutive ; Solidaires-Météo, MM. Camille Cordeau, prévisionniste, direction Antilles-Guyane Centre météorologique du Raizet, Guadeloupe et Tarik Kriat, prévisionniste-cyclone à la DIROI au centre météorologique de la Réunion, au Chaudron à Sainte-Clotilde.
Nous poursuivons nos travaux avec les syndicats de Météo-France. Lors de précédentes tables rondes territoriales, nous avons en effet constaté le rôle crucial de cet organisme et des réseaux météorologiques environnants pour informer les responsables politiques et administratifs des risques de survenance d'un phénomène naturel majeur dans les outre-mer. Le rapport spécial de la commission des finances sur le programme 159 Expertise, information géographique et météorologie pour 2024 indique qu'entre 2014 et 2023, le plafond d'emplois de Météo-France est passé de 3 243 à 2 614 équivalents temps plein travaillés (ETPT). L'actualité de l'organisme est par ailleurs marquée par plusieurs préavis de grève dirigés contre une réorganisation qui, selon les syndicats, serait susceptible d'avoir un impact négatif sur l'information donnée au grand public et la sécurité des personnes et des biens. Sans entrer dans les détails, nous nous interrogerons sur les éventuelles conséquences de cette réorganisation pour les directions interrégionales outre-mer de Météo-France.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Serge Taboulot, Camille Cordeau, et Tarik Kriat prêtent successivement serment.)
Merci, monsieur le président, d'inviter la représentation du personnel de Météo-France. Les éclairages que nous souhaitons apporter s'écarteront sans doute un peu de la très belle présentation que notre collègue Mme Sophie Martinoni-Lapierre, directrice de la climatologie et des services climatiques, vous a faite il y a quelques semaines. Notre perspective diffère un peu de la sienne.
La première question que vous nous avez transmise concernait l'évolution du budget et des effectifs de Météo-France dans les quatre directions interrégionales outre-mer : Antilles-Guyane, La Réunion-océan Indien, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie. Météo-France n'a pas de document qui présente directement le budget des services outre-mer. Sophie Martinoni-Lapierre a toutefois apporté une réponse claire à ce sujet. Je m'en tiendrai à une approche centrée sur les effectifs plutôt que sur le budget – mon expérience d'élu du personnel au conseil d'administration m'a d'ailleurs appris que les deux sujets se recoupaient, les effectifs représentant 75 % du budget de Météo-France.
Dans les quatre directions outre-mer, auxquelles j'ajouterai Saint-Pierre-et-Miquelon et les terres australes, les effectifs théoriques sont passés de 397 en 2009 à 299 en 2024. C'est ce que nous appelons le tableau de répartition optimale des effectifs disponibles, le mot « disponibles » étant lourd de sens. Cent personnes de moins outre-mer, soit une baisse de 25 % de l'effectif total en quinze ans : les chiffres parlent d'eux-mêmes.
On me répondra qu'à Météo-France, beaucoup de tâches s'automatisent. Mais, si on a amené outre-mer de nouveaux outils de production – comme Météofactory, Métronome, de nouvelles stations automatisées, des satellites de troisième génération, le modèle de prévision Arome, qui permet notamment d'affiner les prévisions de surcote marine – rien en revanche n'a été automatisé. Ces outils sont complémentaires de l'expertise humaine, mais la production elle-même n'a pas été automatisée.
Les 25 % de personnels en moins correspondent donc à des gains de productivité purs et durs, obtenus en particulier par la réorganisation des équipes opérationnelles chargées des prévisions. Avec moins de monde, les agents outre-mer ont pourtant réussi beaucoup de choses, comme l'a bien montré Sophie Martinoni-Lapierre. Ils ont harmonisé la vigilance à quatre couleurs, du vert au rouge, entre les différentes directions outre-mer, pour que le code soit mieux compris par la population – la culture du risque est en effet une des préoccupations majeures des agents de Météo-France. Nous avons aussi intégré la vigilance vagues-submersion et prendrons bientôt en compte les risques émergents, comme les canicules et les feux de forêt. Et il nous faut absolument nous améliorer dans le risque torrentiel, majeur dans de nombreux territoires outre-mer.
Quelles missions ont été touchées par ces réductions d'effectifs ? Le support administratif s'est bien sûr réduit comme peau de chagrin, mais du point de vue qui vous intéresse, celui de la gestion des risques, ce sont les services opérationnels de prévision qui ont le plus trinqué. Il faut avoir en tête qu'un poste permanent à Météo-France correspond en réalité à sept personnes puisque nos services fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l'année. Créer un poste de chef prévisionniste, aux Antilles par exemple, revient ainsi à embaucher sept ingénieurs. C'est en nous adaptant, en supprimant des postes de nuit, en instaurant un système de permanences que nous avons tant bien que mal répondu à l'injonction de baisser les effectifs de 25 % dans l'ensemble des services outre-mer.
Autre domaine où le bât blesse : la maintenance des instruments de mesure. Des investissements considérables ont été faits ces dernières années dans des stations automatiques, des radars hydro-météorologiques, des bouées. Mais les effectifs chargés de la maintenance, s'ils n'ont pas baissé, n'ont pas augmenté non plus. Il y a beaucoup plus d'instruments, mais pas plus techniciens supérieurs en instrumentation. Ces services aussi ont donc subi une forte pression de productivité.
Je ne suis pas du tout d'accord avec la vision de notre directrice sur l'efficience d'un secours opérationnel que s'apporteraient les services outre-mer entre eux. Elle prenait la Nouvelle-Calédonie et Tahiti comme exemple. Or les services opérationnels s'occupent prioritairement de la vigilance, non seulement de la vigilance orange mais aussi des petites vigilances du quotidien, dont la gradation contribue beaucoup à la crédibilité des alertes de Météo-France. Demander à un prévisionniste de Nouvelle-Calédonie de s'occuper de la vigilance vagues-submersion pour une île polynésienne située à plusieurs milliers de kilomètres où il n'a jamais mis les pieds est une énorme bêtise. Cette orientation n'a pas de sens. Beaucoup de nos services fonctionnent en archipels et le travail de vigilance n'est clairement pas le même selon qu'on est au Nord, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, ou plus au Sud, aux Saintes. Les phénomènes peuvent être simultanés, mais différents, et se produire hors saison, mais tant pis : les prévisionnistes doivent tout de même se débrouiller pour faire tourner les services avec parfois moitié moins de monde !
Quelles sont les voies d'amélioration ? Météo-France a décidé de créer douze équivalents temps plein chargés d'étudier dans l'ensemble de l'outre-mer, mais à l'échelle régionale, selon une maille fine, les effets du changement climatique afin de savoir à quelles évolutions nous attendre, en particulier pour les risques naturels. On ne peut que s'en féliciter. Mais ces collègues, complémentaires plutôt que supplémentaires, seront pour la plupart des chercheurs basés en métropole. Ils resteront entre chercheurs, dans notre site toulousain. Seuls deux postes sont créés en outre-mer, sur le terrain : l'un à La Réunion et l'autre en Polynésie. En cas d'erreur de casting, nous craignons d'ailleurs que ces futurs collègues ne se trouvent un peu isolés et démunis.
En tant que représentant du SNITM-FO, mais aussi que président de l'Institut des risques majeurs, je vois deux domaines de compétences à améliorer pour Météo-France.
Le premier recouvre toutes les questions liées à l'eau. Le risque torrentiel, pourtant loin d'être mineur, fait figure de parent pauvre outre-mer, en comparaison des risques cycloniques et de vagues-submersion. Le syndicat FO y voit d'ailleurs une question d'égalité entre les territoires. Généralisé depuis trois ans en métropole, le système des avertissements de pluies intenses à l'échelle communale (Apic) est encore balbutiant outre-mer, voire parfois inexistant. Il faut donc améliorer la couverture des départements d'outre-mer en équipements de mesure, notamment en radars hydro-météorologiques. Les investissements dans ces équipements progressent, comme à Tahiti, mais certains territoires ne sont pas encore bien pourvus. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l'achat des matériels reste bien plus facile à financer que leur exploitation. Il faut à peu près un équivalent temps plein pour assurer le fonctionnement et la maintenance d'un radar. Les 2 millions que coûte un radar, on les trouve ; le collègue technicien, jamais !
Second domaine à investir : la culture du risque. Avec des équipes restreintes et des marges de manœuvre limitées, Météo-France tend à fonctionner en vase clos : les moyens d'aller au-devant du public nous manquent. Nous pourrions faire un peu plus pour les Journées nationales de la résilience par exemple, ou pour l'amélioration des plans Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile). Bien sûr, Météo-France fait son travail dans les situations d'urgence, mais elle pourrait contribuer davantage au développement d'une culture du risque.
Je profite de la question qui portait sur le turnover pour revenir sur le problème plus global des ressources humaines. La position de Météo-France est assez délicate, pour trois raisons. La première tient à la pyramide des âges, qui est détestable. Je suis parmi les premiers d'une grande vague de départs à la retraite. La moyenne d'âge à Météo-France est de 50 ans : faites le calcul, dans quinze ans, il n'y aura pratiquement plus aucun ancien. La deuxième raison tient à l'attractivité des postes, qui a considérablement diminué avec la dévalorisation du point d'indice de la fonction publique et un régime indemnitaire très défavorable par rapport aux corps comparables. La troisième tient à la politique de recrutement de la direction des ressources humaines : une personne sur deux est recrutée non comme fonctionnaire, mais comme contractuel. Ce n'est pas un problème pour les compétences, mais quelle visibilité peuvent avoir ces recrues sur leur parcours au sein de Météo-France puisque, en général, cela s'arrête au bout de six ans ? L'outre-mer souffre de ces mêmes problèmes, mais l'image de Météo-France Outre-mer reste très bonne interne.
Le vrai point noir, ce sont les équipes de maintenance. Le métier de TSI, technicien supérieur instruments et installations, est très peu valorisé au sein de l'établissement si bien que, six ans après leur recrutement, la moitié des TSI sont partis. Leurs salaires sont nuls – 1,1 Smic en début de carrière – et ils ne gagneront pas loin du double en passant un concours pour entrer dans l'aviation civile, qui est un de nos services cousins. Le service de maintenance est vraiment le parent pauvre des services de Météo-France.
Enfin, sur le retour d'expérience des grands événements qu'a connus l'outre-mer, je suis globalement en phase avec ce qu'a dit la directrice. L'état de l'art, en prévision, fait que, notamment grâce aux nouveaux modèles, le risque de loupés, en particulier sur les phénomènes cycloniques, devient très faible. Cela ne nous permet pas de prévoir la trajectoire d'un cyclone au kilomètre près, il faut le dire, mais cela nous évite d'être surpris. Les progrès à réaliser portent plutôt sur la vigilance du quotidien, sur les situations hors saison, un peu délicates, qui touchent par exemple les îles du Nord aux Antilles. Ces petites vigilances, c'est ce qui fait qu'en cas de grande catastrophe, Météo-France reste crédible.
Les grèves que vous avez évoquées ont été motivées par la mise en service à l'automne dernier en métropole du programme « 3P » : programme, prévision, production. Il aboutit à une espèce de Météo-France à deux vitesses, avec d'un côté des prévisions totalement automatisées, que vous trouvez sur votre smartphone par exemple, sans capacité pour l'expertise de revenir en arrière, et de l'autre la vigilance, qui, elle, est de la vraie expertise. Entre ces deux prévisions, il peut y avoir des incohérences complètes : les prévisions automatisées peuvent annoncer des vents à 90 kilomètres heure en rafale quand les prévisions expertisées annoncent 130. C'est possible ! L'extension du programme 3P à l'outre-mer est prévue pour 2025 ou 2026 : à quand alors des prévisions de Météo-France sur smartphone qui ne font pas état d'une alerte cyclonique ? Je l'ignore, mais, en tant que spécialiste des risques, je vous conseille de poser la question à la direction de Météo-France. Je conclus mes propos sur ce point, qui est le plus important.
Je suis particulièrement sensible à votre dernière remarque. Nous poserons la question à la direction.
Si nous avons choisi de vous inviter, alors que l'exposé de la directrice de la climatologie avait été assez complet, c'est bien car il nous semblait important d'entendre ceux qui font Météo-France au quotidien.
Au nom de l'organisation syndicale Solidaires-Météo, je vous remercie pour votre invitation qui nous permet de faire entendre notre voix auprès des représentantes et des représentants du peuple français à l'Assemblée nationale, plus particulièrement ceux de l'outre-mer. Nous sommes solidaires de l'importante mobilisation en cours, qui illustre la grande souffrance de nos collègues, bien que ce mouvement ne touche pas, pour l'instant, les directions de l'outre-mer.
En avril 2018, nous avons eu l'honneur de nous entretenir, à notre demande, avec une délégation sénatoriale en Guadeloupe – déjà avec nos camarades de Force ouvrière. Après la catastrophe du passage de l'ouragan Irma sur Saint-Martin, le Sénat avait décidé de créer une mission sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer. Météo-France et d'autres organismes d'État avaient bien évidemment été auditionnés. Les recommandations de la délégation ont été sans équivoque : veiller au maintien des moyens et capacités d'exercice des missions outre-mer ; renforcer les moyens de surveillance des phénomènes météorologiques ; procéder à un rattrapage massif dans les territoires totalement démunis comme Mayotte et les îles Wallis-et-Futuna. En 2021, un rapport sur Météo-France a aussi été remis par le sénateur Vincent Capo-Canellas. Il y recommandait notamment d'améliorer la prévision des phénomènes extrêmes et d'engager des actions très volontaristes pour l'adaptation au changement climatique.
Vous nous avez invités au titre de notre fonction syndicale, mais nous espérons que notre rôle opérationnel dans la chaîne de prévision de Météo-France en outre-mer permettra d'ajouter une réelle plus-value à vos travaux. J'appartiens au secrétariat du syndicat Solidaires-Météo, adhérent à l'Union syndicale Solidaires. J'ai été élu fin 2022 comme représentant du personnel au comité social d'administration de l'établissement public (CSA-EP) de Météo-France. Je siège également au CSA de la direction interrégionale Antilles-Guyane. Originaire de la Guadeloupe par mon père, je suis prévisionniste au Raizet depuis plus d'une dizaine d'années. À titre anecdotique, j'ai vécu enfant le cyclone Hugo en 1989 – sans que cela ait créé une passion particulière à l'époque. En tant que prévisionniste posté en Guadeloupe, j'ai pu suivre en 2017 en temps réel la dévastation des ouragans Irma et Maria, respectivement sur Saint-Martin et La Dominique.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous exprimer sur ces sujets qui nous concernent particulièrement.
Depuis un peu plus de huit ans, je suis prévisionniste cyclone amont au sein du centre météorologique régional spécialisé cyclones de La Réunion, qui dépend de la direction interrégionale océan Indien. Mes fonctions m'ont amené à travailler sur les différents risques naturels météorologiques pour les territoires de La Réunion, de Mayotte et, plus globalement, de l'océan Indien. Je suis également représentant au comité social d'administration, au niveau de la direction interrégionale et au niveau national.
J'aimerais compléter les diagnostics qui ont été faits sur les baisses d'effectifs ces dernières années. Dans les services d'outre-mer, elles ont été comparables à celles observées au niveau national : entre 20 % et 30 % sur une dizaine d'années, soit plusieurs dizaines d'agents par direction interrégionale, ce qui est important. En plus des suppressions de postes administratifs, nous avons vu disparaître les postes dédiés aux activités commerciales et de communication des directions interrégionales des Antilles et de l'océan Indien, qui ont été supprimées. Les suppressions d'effectifs au niveau national ont également eu des conséquences outre-mer, car nous ne sommes pas totalement indépendants : les directions interrégionales ne disposent pas des moyens pour monter des projets de grande envergure et dépendent du soutien national. Nous avons donc souffert des suppressions d'effectifs au niveau central, et des difficultés de recrutement pour les grands projets informatiques de ces dernières années.
Autre conséquence de choix budgétaires, les sites internet déployés au cours des dernières années dans les directions outre-mer n'offrent pas des prestations à la hauteur de tous les enjeux. M. Taboulot évoquait le risque d'incohérence entre les prévisions affichées par ces sites et les alertes cycloniques : c'est malheureusement déjà une possibilité à La Réunion. Nous observons également des différences entre les services rendus pour les départements hexagonaux et ceux d'outre-mer. L'application Météo-France, par exemple, n'offre pas les mêmes fonctionnalités de notification.
Enfin, même si tous les services n'ont pas connu de baisses d'effectifs drastiques, l'absence de recrutement sur de nouveaux axes importants se fait sentir et nous empêche d'être ambitieux. Ainsi, dans le domaine de la communication, Météo-France a certes pris le tournant des réseaux sociaux, mais sans moyens spécifiques, ce qui ajoute de nouvelles tâches aux postes existants, qui avaient bien d'autres activités.
Plus globalement, les métiers d'expertise des prévisionnistes et climatologues sont devenus de plus en plus difficiles à mesure de l'arrivée des nouvelles données qu'a évoquées M. Taboulot. Ces données plus complexes, souvent plus pertinentes, exigent aussi une plus grande expertise, car une même source de données utilisée pour une prévision météorologique peut, par exemple, être excellente un jour et très mauvaise le lendemain. Cela demande de pouvoir prendre beaucoup plus de recul, ce qui devient très difficile en l'absence d'effectifs supplémentaires dans les services.
Quant à la couverture radar, elle est encore très insuffisante en outre-mer. C'est, notamment le cas dans le département de Mayotte, qui n'est toujours pas couvert, mais aussi en Polynésie française et ailleurs. Ce manque limite la capacité des services météorologiques à apporter l'information la plus pertinente et la plus rapide possible aux services de sécurité.
Merci pour ces témoignages. Nous souhaitions vous entendre car nous savions, lors de l'audition de la directrice de la climatologie et des services climatiques, que des mouvements sociaux étaient en cours.
J'ai trois questions. Tout d'abord, pouvez-vous revenir sur le risque de hiatus ou de contradiction qui peut se produire entre des informations incohérentes – ou, pour le dire plus pudiquement, « diversifiées » – relatives aux aléas climatiques, et en particulier aux cyclones ?
Ma deuxième question porte sur la réputation qu'a Météo-France d'être un service d'excellence dont les prévisions, avec une maille d'une précision d'une dizaine de kilomètres, voire cinq, permettent d'adapter en permanence le déploiement des moyens humains et l'acheminement des secours, des provisions et des moyens techniques vers les secteurs sinistrés en cas d'ouragan ou autres phénomènes climatiques. Considérez-vous que vous êtes encore en mesure d'assurer cette qualité de service ? L'augmentation du maillage, souhaitée par tous, vous paraît-elle réalisable compte tenu des contraintes que vous décrivez ?
Enfin, l'automatisation des processus et du matériel exige parfois une plus grande technicité, ou en tout cas de nouvelles compétences. Par ailleurs, je suis surpris d'apprendre qu'au moment où l'on cherche à valoriser la culture du risque, il n'y ait plus de direction de la communication outre-mer. Pensez-vous que la situation actuelle permette d'appréhender les nouvelles compétences nécessaires au déploiement du nouveau matériel et des nouvelles pratiques dans le domaine des réseaux sociaux et de la communication ?
Le risque de hiatus entre nos moyens de diffusion automatisés et l'expertise des cas de vigilance, déjà effectif en métropole avec le projet 3P, est, comme l'a dit M. Kriat, déjà possible outre-mer mais il n'y est pas prégnant car, compte tenu de la culture du risque dans ces régions, dès que se présentent de forts niveaux de vigilance et que l'enjeu est important, la communication se fait en direct, par l'intermédiaire des préfectures et des services de protection civile. Mais, à l'ère où tout passe par des smartphones, il finira par devenir visible, comme cela a été le cas en France métropolitaine pas plus tard qu'en décembre dernier à l'occasion d'un épisode de neige dans l'Ouest parisien. J'insiste donc lourdement pour que la question soit posée par écrit à la direction de Météo-France.
Cette situation est la conséquence d'une erreur majeure de stratégie, commise, en réponse au programme Action publique 2022, par la direction générale précédente. Celle-ci a décidé d'automatiser notre cœur de métier pour gagner sept à huit postes permanents, ce qui, après application du fameux facteur 7, correspond à cinquante ou soixante postes au total. C'est une énorme imbécillité. Nos collègues de Météo-France sont sidérés, dégoûtés qu'on ait consciemment foncé dans le mur. Plus personne ne comprend où l'on va et il règne une démotivation générale dont j'espère qu'elle ne gagnera pas l'outre-mer.
Monsieur le rapporteur, votre inquiétude quant à la gestion d'un épisode cyclonique par l'établissement n'est pas encore justifiée à ce jour. Les modèles à mailles fines, dont le modèle Arome, font l'objet de retours plutôt bons, voire très bons, pour les situations cycloniques. L'inquiétude porterait plutôt, comme l'a dit tout à l'heure Serge Taboulot, sur les autres situations sujettes à conséquences. Le hasard fait que, pas plus tard que ce week-end, sur l'archipel de la Guadeloupe, le modèle Arome n'a pas fourni les retours attendus. Dans cette saison plutôt sèche dans la Caraïbe, appelée carême, nous venons d'essuyer un épisode de pluies assez importantes. Les prévisions numériques du modèle, qui donne satisfaction pour les systèmes cycloniques faibles, n'ont en l'espèce clairement pas été bonnes.
La direction fait donc les louanges d'un modèle qui, en effet, est peut-être meilleur que le National Hurricane Center (NHC) de Miami pour les systèmes cycloniques faibles, mais dont les résultats sont moins bons pour des événements non cycloniques soulevant néanmoins des enjeux. Ainsi, même s'ils n'ont heureusement pas fait de victimes, les 150 millimètres de précipitations qui sont tombés en quelques heures sur une commune de la Guadeloupe ont eu des conséquences très importantes.
Sur le plan de la communication, nous sommes, à Météo-France, dépassés par des comptes privés. Pour communiquer sur les réseaux sociaux, la direction interrégionale Antilles-Guyane dispose d'un seul compte Facebook pour trois territoires qui vont de la Guyane à la Guadeloupe, cette dernière gérant aussi la communication pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Sur Twitter, nous n'avons qu'un simple renvoi automatique aux sites internet des différents territoires, de telle sorte que, lorsqu'un usager fait une remarque par ce canal, Météo-France ne lui répond pas. Nous sommes donc progressivement dépassés par des passionnés qui, dans le meilleur des cas, sont bienveillants et ne font pas de mauvaise presse à l'établissement, mais dans d'autres cas peuvent être plus agressifs. Sur les réseaux sociaux comme WhatsApp, la vigilance est même annoncée par des acteurs extérieurs qui parfois ne font même pas mention de Météo-France.
Le risque d'incohérence que j'évoquais à propos des cyclones existe spécifiquement pour les prévisions à plus de trois jours, qui reposent certes sur l'un des meilleurs modèles dont nous disposons, mais qui sont toutefois émises automatiquement, sans être contrôlées ou expertisées par des prévisionnistes. Si la donnée prise comme référence n'est pas la bonne, il y a incohérence. Nous avons déjà observé ce phénomène voilà longtemps pour une prévision à six jours. Il faut pouvoir gérer cette incohérence dans notre communication. Cela ne concerne certes que les prévisions à trois jours, mais compte tenu des différents projets lancés par Météo-France, on peut craindre que ce genre de situation ne se produise à moyen terme pour des prévisions à plus courte échéance.
Le coup de rabot budgétaire de 11,2 millions d'euros récemment annoncé pour le programme budgétaire 159, qui regroupe Météo-France, l'IGN (Institut national de l'information géographique et forestière) et le Cerema (Centre d'études et d'expertises sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), devrait représenter une coupe de 4 à 5 millions pour Météo-France, soit l'équivalent de deux radars, d'une dizaine de bouées d'observation, de quelques centaines des stations automatisées que nous nous efforçons de développer ou d'une dizaine, voire plusieurs dizaines de non-embauches – à ce stade, personne n'en sait rien. Dans un contexte où le moral général est très mauvais, du fait des projets d'automatisation 3P, cette perspective représente un stress supplémentaire, et peut-être même une faiblesse d'attractivité pour l'établissement.
Messieurs, je vous remercie de cet autre éclairage que vous nous avez donné sur la situation de Météo-France, cet établissement national que nous chérissons tous et dont il est toujours intéressant pour nous, partout où nous sommes, de recevoir des informations. Vous pourrez envoyer tout complément qui vous semblerait utile au secrétariat de la commission d'enquête.
La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la table ronde « Polynésie française – Volet État », réunissant : Haut-commissariat de la République, Mme Emilia Havez, directrice de cabinet ; Direction de la protection civile rattachée au cabinet du Haut-commissaire, direction de la défense et de la protection civile en charge des services d'incendie et de secours, M. Cédric Rigollet, directeur adjoint de la protection civile ; Météo-France Polynésie française : MM. Alain Soulan, directeur général-adjoint et Philippe Frayssinet, directeur interrégional ; Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) : M. Jean-Marc Mompelat, directeur délégué à l'outre-mer, direction des actions territoriales.
Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions territoriales avec une table ronde consacrée à la Polynésie française. Nous accueillons, en visioconférence, Mme Emilia Havez, directrice du cabinet du haut-commissaire de la République en Polynésie française, M. Cédric Rigollet, directeur adjoint de la protection civile, M. Alain Soulan, directeur général adjoint de MétéoFrance, M. Philippe Frayssinet, directeur interrégional de Météo-France pour la Polynésie française, et M. Jean-Marc Mompelat, directeur des actions territoriales et délégué à l'outre-mer du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Cette table-ronde, ouverte à la presse, est retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale.
Madame, messieurs, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Avant de vous donner la parole pour une courte intervention liminaire, je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Mme Emilia Havez, M. Alain Soulan et M. Cédric Rigollet prêtent successivement serment.)
La Polynésie française est assez fortement exposée aux risques et à certaines vulnérabilités. Je pense non seulement aux tsunamis, aux cyclones et aux dépressions tropicales, mais également aux houles cycloniques, pendant la saison chaude, et australes, lorsque les températures sont plus fraîches. De manière plus habituelle, nous sommes aussi régulièrement confrontés à des inondations dues à des épisodes de pluies intenses. Les risques volcaniques et sismiques sont plus faibles.
La Polynésie française est constituée d'archipels dont l'histoire et la géologie sont très différentes. L'exposition aux risques se caractérise donc par une certaine diversité. Les atolls, qui sont des îles basses, sont plutôt concernés par des risques de submersion marine, de houle et de montée des eaux, à l'instar de toutes les îles du Pacifique. Les îles plus hautes, où se concentrent les infrastructures, notamment portuaires et aéroportuaires, ainsi que la grande majorité de la population – 75 % des Polynésiens vivent à Tahiti et Moorea –, présentent aussi des fragilités majeures, puisqu'elles sont également exposées à des risques de submersion des installations et de tsunamis.
J'en viens aux fragilités liées aux structures, notamment à la production d'électricité. L'organisation des réseaux nous expose à des risques de blackout électrique, en particulier à Tahiti. Nous avons encore pu le constater récemment : le blackout survenu à la fin de l'année 2023 a eu des effets en série sur les télécommunications, l'eau potable et beaucoup d'autres réseaux.
Bien qu'on en parle peu, le risque industriel existe également en Polynésie française. Si la prise en compte et la prévention de ce risque sont encore balbutiantes, nous sommes bien conscients qu'un événement naturel majeur pourrait avoir un effet domino sur les installations industrielles, que ce soit dans les ports ou dans les vallées où elles se concentrent, comme à Tahiti. En l'espèce, le cadre juridique est différent de celui qui prévaut en métropole : ainsi, la directive Seveso n'est pas applicable en Polynésie française.
Le colonel Rigollet vous parlera des risques plus classiques d'incendie.
Après les grands feux de 2022 et dans le cadre du plan Macron pour renforcer les moyens de prévention et de lutte contre les incendies, nous nous sommes efforcés de renforcer notre capacité de lutte contre les incendies. Ces derniers touchent la Polynésie de manière aiguë à certaines périodes, en particulier dans deux archipels – les Marquises, au nord, et les Australes, au sud – qui, compte tenu des conditions climatiques, ont connu ces dernières années une sécheresse particulièrement intense. Ces territoires sont, par ailleurs, isolés et faiblement dotés en moyens de lutte contre les incendies. La forêt polynésienne présente des fragilités la prédisposant à ce risque, y compris dans l'archipel de la Société. Compte tenu des moyens dont nous disposons, nous poursuivons une stratégie plutôt défensive, qui vise à protéger la population et les infrastructures plus que la forêt elle-même.
Je n'ai pas participé aux précédentes auditions de votre commission d'enquête, mais je sais que vous avez déjà entendu – ou que vous prévoyez d'entendre – les autres directeurs interrégionaux de Météo-France dans les outre-mer ainsi que la directrice de la climatologie et des services climatiques. Je veux vous faire part de l'attachement de Météo-France à assurer sa mission relative aux risques naturels majeurs, notamment dans les outre-mer, d'autant que le changement climatique rendra ces risques encore plus prégnants. Nous souhaitons développer des services climatiques dans les collectivités d'outre-mer afin de permettre aux acteurs concernés de mieux s'adapter à ces évolutions. Nous avons préparé des réponses au questionnaire que vous nous avez transmis ; nous vous les enverrons après cette table ronde, éventuellement enrichies d'éléments développés au cours de nos échanges.
(M. Philippe Frayssinet prête serment.)
Le premier phénomène naturel météorologique susceptible de toucher la Polynésie est évidemment celui des cyclones. Ces derniers y sont peu fréquents par rapport à d'autres bassins cycloniques mais tout aussi dévastateurs. Comme ailleurs, les phénomènes associés à un cyclone sont d'abord le vent – c'est même l'élément qui permet de définir un cyclone –, puis la houle et la submersion marine qu'elle entraîne, ainsi que les pluies diluviennes provoquant des inondations.
Au cours des cinquante dernières années, quelque cinquante phénomènes cycloniques ont touché la Polynésie – je vous disais qu'ils étaient moins fréquents que dans d'autres bassins. Vingt-trois de ces phénomènes peuvent être qualifiés de cyclones, avec des vents moyens à plus de 118 kilomètres par heure mesurés pendant dix minutes au centre de la dépression. Les autres sont des dépressions tropicales, fortes ou modérées.
Ces phénomènes sont très liés aux épisodes El Niño dans le Pacifique : c'est ainsi que les années 1983, 1997 et 1998 ont été marquées par une activité cyclonique particulièrement élevée. Cette année encore, nous connaissons un phénomène El Niño et la dépression Nat est passée juste à côté de chez nous.
Nous avons encore en mémoire le cyclone Orama, en 1983 – une année El Niño, donc –, avec des vents qui ont dépassé les 200 kilomètres par heure. Le vent moyen était de 228 kilomètres par heure mais nous avons mesuré des rafales de plus de 280 kilomètres par heure. On comprend que les dégâts aient été importants ! Le dernier cyclone ayant touché la Polynésie a été Oli, en 2010 – encore une année El Niño –, avec des vents moyens approchant les 200 kilomètres par heure et des rafales de 260 kilomètres par heure.
Au-delà des cyclones, certains événements météorologiques peuvent affecter fortement le territoire. Au cours des deux dernières années, nous avons ainsi connu des épisodes de forte houle et de forte pluie. En juillet 2022, à Rapa, dans l'archipel des Australes, la houle a dépassé cinq ou six mètres, avec des déferlantes hautes de plus de huit mètres ; elle était très énergétique puisque sa période était supérieure à seize secondes. En mai 2023, à Teahupo'o, où se dérouleront les épreuves de surf lors des Jeux olympiques de 2024, plus de 200 millimètres de pluie – c'est-à-dire plus de 200 litres au mètre carré – sont tombés en trois heures, ce qui a causé des dégâts importants : de nombreuses maisons ont été inondées et des routes ont été coupées.
(M. Jean-Marc Mompelat prête serment.)
La direction des actions territoriales regroupe l'ensemble des implantations régionales du BRGM en France métropolitaine et outre-mer.
J'ai moi-même été, il y a une vingtaine d'années, en poste en Polynésie française, dans le cadre du programme « Aléas, risques naturels, aménagement et information » (Arai), qui s'est déroulé de 2002 à 2006, à la suite de glissements de terrain et de coulées de boue ayant causé une vingtaine de morts dans les îles de la Société en 1998, et qui était le premier du genre. En 2001, le pays avait voté la transposition en Polynésie du dispositif des plans de prévention des risques (PPR) et mandaté le BRGM pour procéder à des études amont sur la connaissance des phénomènes géologiques et des autres aléas tels que les tsunamis ou la houle. Nous avons alors commencé à réaliser les premières cartographies à visée réglementaire. Au terme de notre programme, nous avions établi quarante-deux projets de PPR ; or, une vingtaine d'années plus tard, seuls trois ou quatre de ces documents – je n'ai pas les chiffres précis en tête – ont été approuvés. On ne peut donc pas dire que cela soit une grande réussite ! En outre, si j'en crois les échanges que nous avons régulièrement avec les autorités du pays, il s'avère assez difficile de mettre en œuvre ces PPR et de prendre en compte ces phénomènes dans l'aménagement du territoire et la construction.
Parmi les risques auxquels la Polynésie est exposée, il faut insister sur les mouvements de terrain, qui concernent aussi d'autres régions d'outre-mer. Ce risque n'est pas forcément le plus élevé, mais c'est sans doute celui qui représente la plus forte contrainte en matière d'aménagement du territoire. La construction dans les zones très pentues des îles polynésiennes – en dehors des îles basses des Tuamotu – pose problème. Il y a finalement assez peu de possibilités de construction, entre le littoral déjà très occupé et les zones de relief qui arrivent très rapidement.
Le BRGM n'a d'implantation pérenne ni en Nouvelle-Calédonie, ni en Polynésie française. Nous intervenons dans ces collectivités lorsque ces dernières nous sollicitent, dans le cadre de conventions. Nous avons ainsi mené trois programmes Arai dans les années 2000, puis des expertises plus ponctuelles pour le compte du pays, ainsi que la révision du PPR de Punaauia en 2015.
Merci pour vos exposés, qui illustrent les aléas très nombreux et divers auxquels la Polynésie est sujette. J'ai eu le privilège de m'y rendre il y a quelques années : on m'avait alors présenté un projet de maison conçue pour résister aux ouragans et aux tsunamis. Il s'agit là d'une forme de résilience. Considérez-vous que la gestion des risques permet une résilience rapide des territoires ? Est-il possible de rétablir l'électricité facilement ? Dispose-t-on des moyens et des équipements nécessaires pour rétablir la production d'eau ? Existe-t-il des zones refuges suffisamment réparties dans les soixante-quinze îles habitées de l'archipel polynésien ? Au vu de l'immensité du territoire, il est certes peu probable que le même aléa touche l'ensemble de la Polynésie en même temps.
Vous avez évoqué les risques susceptibles d'entraîner un effet domino, auxquels je suis moi-même très sensible. Vous avez mentionné le risque industriel ; je pense également à la gestion des déchets, de manière générale, qui peut poser problème en cas de submersion, de pluies importantes ou de glissement de terrain.
J'aimerais aussi vous interroger sur les modalités de la coopération avec les États voisins. Qu'est-il prévu pour gérer les risques et mutualiser les moyens d'intervention en cas d'aléa ?
Enfin, pensez-vous que le réchauffement climatique entraîne une augmentation ou une accélération de ces aléas ?
S'agissant de la coopération avec les États voisins, la Polynésie française travaille dans plusieurs directions. Nous échangeons beaucoup avec les autres territoires français du Pacifique que sont la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. Par ailleurs, un dispositif de coopération dans la zone Pacifique est mis en œuvre sur le fondement de l'accord « Franz » signé en 1992 par la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ; en cas de catastrophe naturelle dans la région, il permet de déployer une aide humanitaire « HADR » (Humanitarian Assistance and Disaster Relief) dans un cadre diplomatique. Ainsi, les moyens de la France ont été récemment mobilisés au Vanuatu. Nous avons donc en Polynésie du matériel permettant d'apporter une aide humanitaire aux pays de la zone en cas de déclenchement du mécanisme « Franz ». Ce dernier, très structurant, permet des échanges réguliers avec les États membres de l'accord, puisque nous nous réunissons tous les ans. L'État est responsable de la gestion des stocks de matériel et mène une réflexion sur l'accompagnement humain nécessaire ; cette mission est partagée entre les services du haut-commissariat, notamment la direction de la protection civile, et les forces armées présentes en Polynésie française, puisque l'aide humanitaire est acheminée et éventuellement déployée par des moyens militaires.
Je laisserai le colonel Rigollet répondre à vos questions sur la résilience et l'impact du changement climatique.
Vous avez demandé si nous considérions la gestion des risques naturels dans sa globalité. Nous avons évoqué une réflexion balbutiante sur le risque industriel à l'échelle de la Polynésie française. Par ailleurs, et bien que cette réflexion globale demeure malheureusement insuffisante, la question des tsunamis est désormais prise en compte par une ou deux communes, tandis qu'une convention entre l'État et le pays vise à développer la mise en place d'abris de survie contre le risque cyclonique, en particulier dans les Tuamotu, de sorte que près de 96 % de la population pourrait être mise en sécurité en cas d'aléa de cette nature dans les atolls, c'est-à-dire dans les îles les plus basses.
Il manque peut-être en Polynésie un continuum de gestion du risque naturel comme il en existe dans l'Hexagone. Cette lacune s'explique d'abord par un partage des compétences pas toujours très clair entre l'État, le pays et les collectivités. Elle est aussi liée à une approche un peu fataliste des conséquences des événements naturels sur les territoires. Différents facteurs empêchent donc la mise en place d'un continuum complet, y compris dans la réponse opérationnelle apportée en cas de catastrophe. Ainsi, les services d'incendie et de secours sont encore organisés à l'échelle communale, ce qui entraîne des difficultés majeures lorsqu'il convient de mutualiser une intervention au profit de plusieurs communes. L'État reste le gestionnaire en cas de crise ; le découplage entre le pays, responsable de la prévention, et l'État, organisateur de la réponse opérationnelle, ne facilite pas le pilotage des événements.
En dépit de l'ensemble des problèmes que nous avons évoqués, nous mesurons une capacité élevée de résilience dans le territoire, car les acteurs sont rompus à la gestion de ces situations. La résilience de la Polynésie est donc supérieure à celle du territoire hexagonal, même si la prévention en matière de risques naturels souffre de nombreux manques. Un événement naturel majeur menacerait néanmoins cette faculté de résilience, en raison des grandes fragilités de l'habitat et des infrastructures en Polynésie française ainsi que des limites du peuple polynésien à faire face à de longues difficultés en raison de l'isolement géographique.
Nous disposons d'un lot du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), qui a vocation à être armé par la Croix-Rouge et à être projeté au bénéfice des pays du Pacifique, voire à être utilisé dans le territoire en cas de catastrophe majeure. Si le lot Franz est à la main du haut-commissaire, celui du MEAE dépend plutôt du centre de crise du ministère.
La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) a conduit, en partenariat avec Météo-France, une analyse des défis que représente le changement climatique, qui a abouti à la rédaction d'un rapport et d'une feuille de route. Dans ce cadre, nous avons commencé à dresser la liste des points sur lesquels nous avons avancé. Nous avons mené un travail prospectif destiné à évaluer l'évolution de la situation dans les cinquante prochaines années et l'impact du changement climatique sur les risques naturels en Polynésie.
Il est peu probable que l'ensemble de l'archipel polynésien soit touché en même temps par un événement majeur, configuration qui facilite la gestion de crise.
Lors de la crise de 2018, les moyens locaux avaient été dépassés ; nous avons procédé à de nombreuses expertises, à la demande de l'État, pour définir les périmètres des zones à évacuer. Depuis cette date, les moyens propres de la Polynésie, qu'ils proviennent du pays, de l'État ou du secteur privé, pour effectuer ces expertises ont évolué ; néanmoins, les moyens locaux pourraient être dépassés si nous devions affronter une crise majeure comme celle que vient de connaître La Réunion, où le volume d'expertises annuel a dû être accompli en deux semaines. Nous n'avons pas de dispositifs permettant de faire face à ce type de situations, certes rares mais qui se sont déjà produites.
Météo-France a noué de nombreuses coopérations internationales, par exemple avec le programme régional océanien de l'environnement (PROE), qui s'appuie sur un conseil météorologique du Pacifique (PMC), créé en 2010, auquel nous participons régulièrement – cette instance réunit tous les deux ans les services météorologiques du Pacifique Sud. En outre, nous siégeons évidemment à l'Organisation météorologique mondiale (OMM) : notre zone correspond à la cinquième région de l'Organisation, celle-ci gérant les centres météorologiques régionaux spécialisés (CMRS) dans la prévision cyclonique. En ce qui nous concerne, nous sommes en lien avec le CMRS des Fidji, qui a notamment la responsabilité de nommer les dépressions tropicales. Nous tenons des réunions avec ces différentes instances, aussi bien pour traiter de questions opérationnelles comme la gestion cyclonique que pour réaliser des études et des formations sur le changement climatique.
Ce dernier affecte évidemment les aléas naturels. Les cyclones n'ont pas véritablement augmenté ces dernières années – même si l'étude des diverses intensités des événements nous conduirait à nuancer ce constat –, mais la montée des températures et du niveau de l'eau ainsi que la baisse des précipitations sont, elles, avérées. Depuis cinquante ans, les températures croissent de 0,3 degré Celsius par décennie ; le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) table sur une progression de 1,4 à 3,1 degrés Celsius d'ici à 2100 : une hausse aussi forte pourrait entraîner, au-delà de l'inconfort dû à la forte humidité de l'air en Polynésie, une augmentation des feux de végétation. Le Giec prévoit également une diminution des précipitations, qui pose le problème de la gestion des ressources en eau. Les risques de submersion marine seront, eux aussi, plus élevés : les atolls seront plus vulnérables, notamment à la salinisation et à la contamination des nappes phréatiques, donc à des problèmes de sécurité alimentaire et sanitaire. La submersion marine menace également les activités proches du littoral, par exemple celle de l'aéroport de Tahiti, limitrophe de l'Océan.
La table ronde est suspendue de dix-neuf heures quarante à dix-neuf heures cinquante.
Les services de l'État sont témoins, aux côtés des maires, des conséquences déjà concrètes du changement climatique pour les populations, notamment dans les atolls. Nous accompagnons les habitants dont certaines terres cultivables cessent de l'être à cause de la montée des eaux ; celle-ci est contenue par la construction de digues, mais il arrive que des gens doivent déplacer un village entier d'un endroit à l'autre, le premier lieu n'étant plus habitable. La montée des eaux n'est pas le seul symptôme du changement climatique mais il en est le plus visible et le plus concret ; il pose d'immenses problèmes aux habitants et à leurs élus.
Dans ce contexte, l'État accompagne les projets d'équipements et a déployé un plan de constructions d'abris – une trentaine d'abris sont d'ores et déjà opérationnels dans les îles – qui doit s'achever en 2026, date à laquelle une cinquantaine d'abris auront été érigés. L'objectif est que l'ensemble de la population d'une île puisse se réfugier dans l'un de ces abris. Ces derniers doivent par ailleurs être des lieux de vie en dehors des moments de crise ; ils sont, selon les îles, un centre de secours occupé par les pompiers, une infirmerie, une école ou une mairie. Ces services publics, qui apportent une aide quotidienne à la population, peuvent devenir un refuge pour cette dernière en cas d'événement majeur.
Compte tenu des difficultés que posent les aléas dans l'aménagement des constructions – qui est une compétence du pays –, il me semble nécessaire d'actualiser le corpus de nos connaissances en la matière, car celui-ci date, malgré quelques toilettages, de plus d'une vingtaine d'années. Les acteurs locaux ont besoin des nouvelles techniques et méthodologies, dont bénéficient déjà d'autres territoires d'outre-mer, pour affiner leurs connaissances et mieux prendre en compte les évolutions liées au changement climatique. Il y a également lieu de revoir l'utilisation des cartes des aléas. Nous touchons sans doute aux limites d'une transposition littérale en Polynésie française du dispositif du PPR déployé en métropole et dans les départements et régions d'outre-mer (Drom) ; notre territoire n'étant sans doute pas adapté à ce type de documents, il convient d'ajuster l'approche réglementaire aux réalités socioculturelles et socio-économiques polynésiennes.
Vous avez, les uns et les autres, décrit des situations dans lesquelles le bon sens et l'aspect pratique prévalent, mais notre pays aime la planification et les documents qui la traduisent ; ces derniers déterminent les endroits constructibles et servent de base aux demandes d'indemnisation adressées à l'administration ou aux assurances. Vous avez mentionné à plusieurs reprises l'existence d'un problème de répartition des compétences, notamment dans la gestion des crises, leur prévention étant de la responsabilité du pays quand leur traitement échoit à l'État. Pourriez-vous revenir sur le sujet ?
Nous aimerions connaître la feuille de route que vous avez évoquée. Comment l'articulez-vous avec l'absence de plan relatif aux catastrophes naturelles dans le territoire et avec la gestion des plans de prévention des risques naturels (PPRN) ? Ces derniers sont, comme l'ont montré de précédentes auditions, sensibles, car ils délimitent les zones constructibles de celles qui ne le sont pas et ils prévoient le déménagement de certains logements en dehors des zones à risque. Comment ces documents et ceux révisant les cartes sont-ils produits ? Cette question se pose avec d'autant plus d'acuité qu'une forte contrainte pèse sur le foncier ; j'avais d'ailleurs déposé il y a quelques années une proposition de loi visant à faciliter la gestion et la sortie de l'indivision successorale, devenue la loi du 26 juillet 2019 relative à la Polynésie française, dans le but d'atténuer la grande complexité de la titrisation et de la répartition du foncier dans ces territoires. Où en êtes-vous dans cette tâche de gestion administrative ?
La répartition des compétences entre les communes, le pays et l'État n'est pas précise en matière de gestion des risques ; cela conduit chaque acteur à revendiquer ou, au contraire, à se défausser de ses responsabilités. Cette situation pose problème pour la prévention des risques naturels. Nous pourrons vous transmettre par écrit des éléments supplémentaires, liés à l'ordonnance du 15 février 2006 portant actualisation et adaptation du droit applicable en matière de sécurité civile en Polynésie française.
Dans le domaine de la planification, la cartographie des risques n'existe pas, quelle que soit la nature de ces derniers. Le schéma d'analyse et de couverture des risques applicable en Polynésie, que le code général des collectivités territoriales détaille, n'a jamais été décliné, non par manque de volonté ou de capacité mais de gouvernance. En effet, l'absence de gouvernance partagée et reconnue emportant l'adhésion des acteurs empêche l'établissement d'une cartographie et la définition d'une méthode de couverture des risques ; au-delà de la gouvernance se pose également la question des moyens dédiés, notamment humains et financiers. Voilà pourquoi il est actuellement compliqué de produire des documents opposables.
En 2022, le gouvernement de la Polynésie a complètement refondé les PPRN, puisque seuls trois plans avaient été établis sur un total de quarante-huit communes. Le gouvernement a dressé le même constat que M. Mompelat, à savoir que la transposition littérale des plans de l'Hexagone en Polynésie n'était pas adaptée, notamment pour l'indivision et la gestion des sols. Le système a été remplacé par celui de la gestion des risques naturels, qui impose, comme les PPRN, certaines restrictions et qui repose sur une cartographie des risques : outre la présentation de la situation actuelle, celle-ci devra également intégrer une dimension prospective prenant en compte les effets du changement climatique. Les membres du gouvernement pourront vous répondre sur le sujet. Nous avons été saisis de ce changement de réglementation, auquel nous avons pu apporter quelques modifications.
Nous pourrons évidemment vous transmettre la feuille de route, qui concerne tous les territoires et qui est déjà mise en œuvre. Pilotée par le directeur de la DGSCGC du ministère de l'intérieur et des outre-mer, elle a fait l'objet de remarques de notre part visant à intégrer le caractère particulier et singulier de la Polynésie. La feuille de route insiste sur la nécessité de travailler sur la planification, mais nous avons souligné la difficulté que représentaient les lacunes de gouvernance : établir des plans est une chose, parvenir à une prise de conscience et à un engagement politique en est une autre. Notre fragilité réside dans notre incapacité à apporter une réponse opérationnelle à la hauteur des enjeux. Depuis la fin des années 1990, le modèle de sécurité civile du territoire hexagonal a été profondément réformé ; ce processus est permanent afin d'adapter les dispositifs à l'évolution des défis, mais cette démarche est absente du Pacifique Sud, ce qui provoque de grandes difficultés en matière de déploiement opérationnel lors d'événements importants. Nous avons encouragé le haut-commissaire à rassembler les différentes parties prenantes et nous avons installé un comité polynésien de la sécurité civile, instance pour le moment informelle qui regroupe les maires des communes de Tahiti et de Moorea, le gouvernement, le pays et les représentants de l'État pour tenter, sur ce sujet mais également sur d'autres comme celui de la centralisation des appels de secours, d'avancer sur ces questions importantes qui touchent notamment aux actions curatives à conduire après la crise. Il faut à la fois travailler sur la prévention des risques et sur la réponse opérationnelle aux événements majeurs : le modèle actuel n'investit pas suffisamment le volet préventif.
La collaboration entre l'État, le pays et Météo-France va se déployer dans le cadre du contrat de développement et de transformation pour les années 2024 à 2027 : ce document prévoit l'installation d'un radar météorologique à Tahiti, attendu depuis une trentaine d'années puisque ce territoire est l'un des derniers d'outre-mer à ne pas en posséder. Nous espérons bénéficier en 2027 de cet outil, incomparable pour la prévision des fortes pluies.
Nous remercions chacun d'entre vous pour votre disponibilité malgré le décalage horaire et pour la qualité de nos échanges sur ces questions majeures.
La séance est levée à vingt heures cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer
Réunion du lundi 11 mars 2024 à 15 heures
Présents. - M. Frantz Gumbs, M. Mansour Kamardine, Mme Cécile Rilhac, M. Guillaume Vuilletet.