Beaucoup de choses ayant été dites, j'insisterai sur les singularités des Fazsoi et de leur environnement régional, avant de vous livrer quelques réflexions sur le recours aux forces armées dans la gestion des risques naturels.
Les Fazsoi, contrairement aux FAA et aux FAG, sont la seule puissance militaire permanente de leur région. Nous sommes avant tout une force de souveraineté, chargée de protéger nos concitoyens, nos intérêts et nos territoires de La Réunion, de Mayotte et des Terres australes et antarctiques françaises (Taaf), ainsi que les zones maritimes associées.
J'ai pour interlocuteurs le préfet de Mayotte, le sous-préfet chargé de la lutte contre l'immigration clandestine et le préfet honoraire chargé de la gestion de la crise de l'eau, ainsi que le préfet de zone à La Réunion et la préfète administratrice supérieure des Taaf. Ces territoires comptent 1,2 million d'habitants et sont au centre d'une zone économique exclusive (ZEE) de 2,8 millions de kilomètres carrés.
Par bien des aspects, les Fazsoi sont une force de présence qui rayonne et contribue à la stabilité régionale ainsi qu'à la prévention des crises, dans la mesure où nous sommes confrontés aux mêmes menaces et aux mêmes risques. Nous avons pour partenaires peu ou prou les pays de la SADC – Communauté de développement d'Afrique australe –, à l'exception de la république démocratique du Congo et de l'Angola. Ces pays représentent une superficie cumulée de 24 millions de kilomètres carrés et 45 000 de nos ressortissants y vivent.
Les Fazsoi sont une force interarmées placée sous le commandement du chef d'état-major des armées (Cema). Sa direction et ses services rassemblent environ 2 000 militaires et civils de la défense, dont des membres de la réserve opérationnelle. J'en suis le commandant supérieur. Je suis aussi commandant de la base de défense de La Réunion-Mayotte.
Par ailleurs, je suis officier général de zone de défense et de sécurité, conformément à l'instruction ministérielle 101. Cela signifie que je suis l'autorité interarmées de coordination et que, en cas de crise, j'exerce le contrôle opérationnel des deux régiments du service militaire adapté (SMA) de La Réunion et de Mayotte, respectivement basés à Terre-Sainte et à Combani.
En bref, les Fazsoi, comme les autres forces armées, sont un condensé d'armée sans être une administration déconcentrée. Les décisions que je prends, notamment celles relatives aux demandes de concours de l'autorité civile, sont approuvées par le Cema à Paris.
Nos missions sont structurées et les priorités établies selon notre contrat opérationnel : défense militaire ; partenariats opérationnels ; opérations d'évacuation de nos ressortissants dans la zone de responsabilité permanente ; appui aux autorités civiles. Cette dernière mission se déploie dans le domaine de la sécurité publique – par exemple la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte dans le cadre du plan interministériel Shikandra – et dans celui de la sécurité civile – par exemple la gestion des conséquences du cyclone Belal à La Réunion ou de la crise hydrique à Mayotte, dans le cadre de l'opération Maji. Nous pouvons également offrir un appui aux autorités civiles étrangères, à leur demande, comme nous l'avons fait à Madagascar après le passage du cyclone Batsirai en 2022.
Nos forces armées outre-mer ont pour principe d'être en mesure d'encaisser le premier choc en attendant l'envoi de renforts de l'Hexagone, tels que les unités des formations militaires de la sécurité civile (Formisc) envoyées après le passage du cyclone Belal, ou de renforts régionaux issus des forces françaises stationnées à Djibouti ou de celles stationnées aux Émirats arabes unis. Par ailleurs, nous nous inscrivons dans le cadre d'une solidarité entre La Réunion et Mayotte. Nos outre-mer fonctionnent comme un système de points d'appui à l'échelle du monde, permettant la projection d'unités à haute valeur ou à haute quantité depuis l'Hexagone.
J'en viens à notre singularité régionale, qui permet d'établir des priorités au sein des missions des Fazsoi. Nous sommes à la charnière entre l'Indo-Pacifique et l'Afrique, avec une fenêtre sur l'Antarctique.
La zone Sud de l'Océan indien n'est plus à la périphérie des enjeux du monde, pour au moins quatre raisons : nos territoires font l'objet d'une contestation politique – les îles Éparses par Madagascar, Mayotte par les Comores, Tromelin par Maurice – instrumentalisée par nos compétiteurs, notamment les Russes ; une compétition militaire est à l'œuvre dans cette zone, au sein de laquelle la Chine, avec l'Inde et la Russie à sa suite, déploie une stratégie de points d'appui ; d'importants flux stratégiques transitent par la région – 11 000 navires circulent chaque année entre le cap de Bonne Espérance et le détroit de Malacca, 30 % de la production mondiale de pétrole transite par le canal du Mozambique – et ont augmenté de 40 % depuis le 15 décembre dernier en raison des tensions en mer Rouge ; les menaces – terrorisme et activités illicites – et les risques – cyclones, séismes, pandémies, stress hydrique – s'additionnent.
Dans cet environnement, les Fazsoi protègent les Français contre les dangers du monde et contre les dangers du quotidien, notamment les risques naturels, à la croisée de quatre enjeux : la souveraineté, la stabilité régionale, la prospérité et l'influence.
Le recours aux forces armées dans la gestion des risques naturels procède le plus souvent d'une demande de concours émise par l'autorité civile. Il est régi par la règle des quatre i et peut inclure, outre des moyens logistiques, une aide médicale. Le recours aux forces armées n'est pas systématique mais il est fréquent.
Il est essentiel que la demande de concours respecte le principe de l'effet à obtenir tel qu'exprimé par l'autorité civile. Il est regrettable que nous recevions des demandes de moyens ou d'effectifs, parfois assorties d'une définition des modes d'action, laquelle est une prérogative de l'autorité militaire.
Je souligne à mon tour la qualité de « l'équipe France » outre-mer. Je la constate sur le territoire national, dans mon travail quotidien avec les préfets, comme dans notre environnement proche avec les ambassadeurs et attachés de défense. Notre dialogue civilo-militaire est permanent. Fondé sur la confiance, il facilite, le moment venu, les décisions de niveau stratégique des armées.
À la lumière de la gestion de la crise de l'eau à Mayotte et des conséquences du cyclone Belal à La Réunion, les conditions de notre réussite sont les suivants : l'entraînement, au sein de la force et dans la chaîne civilo-militaire de gestion des crises par le biais du centre opérationnel départemental ; l'autonomie initiale sur l'essentiel – les vivres, l'eau, l'énergie –, d'autant plus efficace qu'elle est assurée localement, grâce au maillage du territoire ; le suivi météorologique, qui bénéficie des progrès de Météo-France, dont les prévisions d'une rare précision permettent d'enchaîner les postures et les stades d'alerte avec acuité, ce qui est rassurant pour nos concitoyens et nos familles ; la diffusion de l'information, qui repose sur la redondance des communications, ce qui permet d'informer les citoyens, les familles et la force déployée localement, et de recueillir les retours d'information et d'évaluation.
Nous contribuons ensuite au retour à la vie normale. Pour améliorer la résilience, nous accueillons les renforts. Nos missions vont du soutien logistique et sanitaire à l'évaluation et à la reconnaissance des dégâts en passant par l'appui à la mobilité, notamment sur les axes de circulation. Nous venons d'achever, avec le préfet de La Réunion, le retour d'expérience du cyclone Belal. C'est ce qui nous permet de progresser.
S'agissant des moyens, qu'il s'agisse du cyclone Belal ou de la crise hydrique à Mayotte, la gestion dynamique des renforts et des capacités a très bien fonctionné. Nous sommes capables d'encaisser les premiers chocs en attendant les renforts. Ces mécanismes sont travaillés et planifiés, donc fluides et rapides. À mes yeux, il n'est ni raisonnable ni souhaitable d'entretenir outre-mer des capacités permanentes destinées à n'être utilisées qu'une ou deux fois par an.
S'agissant de l'évolution de la fréquence et de l'intensité des risques naturels, par exemple sous l'effet du réchauffement climatique, la question est posée mais nous n'identifions pas ici de tendance à ce jour. Ce qui change la donne, c'est la simultanéité des risques et des menaces, qui se cumulent dans un environnement géopolitique en pleine mutation.