Merci, monsieur le président, d'inviter la représentation du personnel de Météo-France. Les éclairages que nous souhaitons apporter s'écarteront sans doute un peu de la très belle présentation que notre collègue Mme Sophie Martinoni-Lapierre, directrice de la climatologie et des services climatiques, vous a faite il y a quelques semaines. Notre perspective diffère un peu de la sienne.
La première question que vous nous avez transmise concernait l'évolution du budget et des effectifs de Météo-France dans les quatre directions interrégionales outre-mer : Antilles-Guyane, La Réunion-océan Indien, Polynésie française, Nouvelle-Calédonie. Météo-France n'a pas de document qui présente directement le budget des services outre-mer. Sophie Martinoni-Lapierre a toutefois apporté une réponse claire à ce sujet. Je m'en tiendrai à une approche centrée sur les effectifs plutôt que sur le budget – mon expérience d'élu du personnel au conseil d'administration m'a d'ailleurs appris que les deux sujets se recoupaient, les effectifs représentant 75 % du budget de Météo-France.
Dans les quatre directions outre-mer, auxquelles j'ajouterai Saint-Pierre-et-Miquelon et les terres australes, les effectifs théoriques sont passés de 397 en 2009 à 299 en 2024. C'est ce que nous appelons le tableau de répartition optimale des effectifs disponibles, le mot « disponibles » étant lourd de sens. Cent personnes de moins outre-mer, soit une baisse de 25 % de l'effectif total en quinze ans : les chiffres parlent d'eux-mêmes.
On me répondra qu'à Météo-France, beaucoup de tâches s'automatisent. Mais, si on a amené outre-mer de nouveaux outils de production – comme Météofactory, Métronome, de nouvelles stations automatisées, des satellites de troisième génération, le modèle de prévision Arome, qui permet notamment d'affiner les prévisions de surcote marine – rien en revanche n'a été automatisé. Ces outils sont complémentaires de l'expertise humaine, mais la production elle-même n'a pas été automatisée.
Les 25 % de personnels en moins correspondent donc à des gains de productivité purs et durs, obtenus en particulier par la réorganisation des équipes opérationnelles chargées des prévisions. Avec moins de monde, les agents outre-mer ont pourtant réussi beaucoup de choses, comme l'a bien montré Sophie Martinoni-Lapierre. Ils ont harmonisé la vigilance à quatre couleurs, du vert au rouge, entre les différentes directions outre-mer, pour que le code soit mieux compris par la population – la culture du risque est en effet une des préoccupations majeures des agents de Météo-France. Nous avons aussi intégré la vigilance vagues-submersion et prendrons bientôt en compte les risques émergents, comme les canicules et les feux de forêt. Et il nous faut absolument nous améliorer dans le risque torrentiel, majeur dans de nombreux territoires outre-mer.
Quelles missions ont été touchées par ces réductions d'effectifs ? Le support administratif s'est bien sûr réduit comme peau de chagrin, mais du point de vue qui vous intéresse, celui de la gestion des risques, ce sont les services opérationnels de prévision qui ont le plus trinqué. Il faut avoir en tête qu'un poste permanent à Météo-France correspond en réalité à sept personnes puisque nos services fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l'année. Créer un poste de chef prévisionniste, aux Antilles par exemple, revient ainsi à embaucher sept ingénieurs. C'est en nous adaptant, en supprimant des postes de nuit, en instaurant un système de permanences que nous avons tant bien que mal répondu à l'injonction de baisser les effectifs de 25 % dans l'ensemble des services outre-mer.
Autre domaine où le bât blesse : la maintenance des instruments de mesure. Des investissements considérables ont été faits ces dernières années dans des stations automatiques, des radars hydro-météorologiques, des bouées. Mais les effectifs chargés de la maintenance, s'ils n'ont pas baissé, n'ont pas augmenté non plus. Il y a beaucoup plus d'instruments, mais pas plus techniciens supérieurs en instrumentation. Ces services aussi ont donc subi une forte pression de productivité.
Je ne suis pas du tout d'accord avec la vision de notre directrice sur l'efficience d'un secours opérationnel que s'apporteraient les services outre-mer entre eux. Elle prenait la Nouvelle-Calédonie et Tahiti comme exemple. Or les services opérationnels s'occupent prioritairement de la vigilance, non seulement de la vigilance orange mais aussi des petites vigilances du quotidien, dont la gradation contribue beaucoup à la crédibilité des alertes de Météo-France. Demander à un prévisionniste de Nouvelle-Calédonie de s'occuper de la vigilance vagues-submersion pour une île polynésienne située à plusieurs milliers de kilomètres où il n'a jamais mis les pieds est une énorme bêtise. Cette orientation n'a pas de sens. Beaucoup de nos services fonctionnent en archipels et le travail de vigilance n'est clairement pas le même selon qu'on est au Nord, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, ou plus au Sud, aux Saintes. Les phénomènes peuvent être simultanés, mais différents, et se produire hors saison, mais tant pis : les prévisionnistes doivent tout de même se débrouiller pour faire tourner les services avec parfois moitié moins de monde !
Quelles sont les voies d'amélioration ? Météo-France a décidé de créer douze équivalents temps plein chargés d'étudier dans l'ensemble de l'outre-mer, mais à l'échelle régionale, selon une maille fine, les effets du changement climatique afin de savoir à quelles évolutions nous attendre, en particulier pour les risques naturels. On ne peut que s'en féliciter. Mais ces collègues, complémentaires plutôt que supplémentaires, seront pour la plupart des chercheurs basés en métropole. Ils resteront entre chercheurs, dans notre site toulousain. Seuls deux postes sont créés en outre-mer, sur le terrain : l'un à La Réunion et l'autre en Polynésie. En cas d'erreur de casting, nous craignons d'ailleurs que ces futurs collègues ne se trouvent un peu isolés et démunis.
En tant que représentant du SNITM-FO, mais aussi que président de l'Institut des risques majeurs, je vois deux domaines de compétences à améliorer pour Météo-France.
Le premier recouvre toutes les questions liées à l'eau. Le risque torrentiel, pourtant loin d'être mineur, fait figure de parent pauvre outre-mer, en comparaison des risques cycloniques et de vagues-submersion. Le syndicat FO y voit d'ailleurs une question d'égalité entre les territoires. Généralisé depuis trois ans en métropole, le système des avertissements de pluies intenses à l'échelle communale (Apic) est encore balbutiant outre-mer, voire parfois inexistant. Il faut donc améliorer la couverture des départements d'outre-mer en équipements de mesure, notamment en radars hydro-météorologiques. Les investissements dans ces équipements progressent, comme à Tahiti, mais certains territoires ne sont pas encore bien pourvus. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l'achat des matériels reste bien plus facile à financer que leur exploitation. Il faut à peu près un équivalent temps plein pour assurer le fonctionnement et la maintenance d'un radar. Les 2 millions que coûte un radar, on les trouve ; le collègue technicien, jamais !
Second domaine à investir : la culture du risque. Avec des équipes restreintes et des marges de manœuvre limitées, Météo-France tend à fonctionner en vase clos : les moyens d'aller au-devant du public nous manquent. Nous pourrions faire un peu plus pour les Journées nationales de la résilience par exemple, ou pour l'amélioration des plans Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile). Bien sûr, Météo-France fait son travail dans les situations d'urgence, mais elle pourrait contribuer davantage au développement d'une culture du risque.
Je profite de la question qui portait sur le turnover pour revenir sur le problème plus global des ressources humaines. La position de Météo-France est assez délicate, pour trois raisons. La première tient à la pyramide des âges, qui est détestable. Je suis parmi les premiers d'une grande vague de départs à la retraite. La moyenne d'âge à Météo-France est de 50 ans : faites le calcul, dans quinze ans, il n'y aura pratiquement plus aucun ancien. La deuxième raison tient à l'attractivité des postes, qui a considérablement diminué avec la dévalorisation du point d'indice de la fonction publique et un régime indemnitaire très défavorable par rapport aux corps comparables. La troisième tient à la politique de recrutement de la direction des ressources humaines : une personne sur deux est recrutée non comme fonctionnaire, mais comme contractuel. Ce n'est pas un problème pour les compétences, mais quelle visibilité peuvent avoir ces recrues sur leur parcours au sein de Météo-France puisque, en général, cela s'arrête au bout de six ans ? L'outre-mer souffre de ces mêmes problèmes, mais l'image de Météo-France Outre-mer reste très bonne interne.
Le vrai point noir, ce sont les équipes de maintenance. Le métier de TSI, technicien supérieur instruments et installations, est très peu valorisé au sein de l'établissement si bien que, six ans après leur recrutement, la moitié des TSI sont partis. Leurs salaires sont nuls – 1,1 Smic en début de carrière – et ils ne gagneront pas loin du double en passant un concours pour entrer dans l'aviation civile, qui est un de nos services cousins. Le service de maintenance est vraiment le parent pauvre des services de Météo-France.
Enfin, sur le retour d'expérience des grands événements qu'a connus l'outre-mer, je suis globalement en phase avec ce qu'a dit la directrice. L'état de l'art, en prévision, fait que, notamment grâce aux nouveaux modèles, le risque de loupés, en particulier sur les phénomènes cycloniques, devient très faible. Cela ne nous permet pas de prévoir la trajectoire d'un cyclone au kilomètre près, il faut le dire, mais cela nous évite d'être surpris. Les progrès à réaliser portent plutôt sur la vigilance du quotidien, sur les situations hors saison, un peu délicates, qui touchent par exemple les îles du Nord aux Antilles. Ces petites vigilances, c'est ce qui fait qu'en cas de grande catastrophe, Météo-France reste crédible.
Les grèves que vous avez évoquées ont été motivées par la mise en service à l'automne dernier en métropole du programme « 3P » : programme, prévision, production. Il aboutit à une espèce de Météo-France à deux vitesses, avec d'un côté des prévisions totalement automatisées, que vous trouvez sur votre smartphone par exemple, sans capacité pour l'expertise de revenir en arrière, et de l'autre la vigilance, qui, elle, est de la vraie expertise. Entre ces deux prévisions, il peut y avoir des incohérences complètes : les prévisions automatisées peuvent annoncer des vents à 90 kilomètres heure en rafale quand les prévisions expertisées annoncent 130. C'est possible ! L'extension du programme 3P à l'outre-mer est prévue pour 2025 ou 2026 : à quand alors des prévisions de Météo-France sur smartphone qui ne font pas état d'une alerte cyclonique ? Je l'ignore, mais, en tant que spécialiste des risques, je vous conseille de poser la question à la direction de Météo-France. Je conclus mes propos sur ce point, qui est le plus important.