Le sujet des risques naturels est très important pour les forces armées en outre-mer, en particulier en Guyane. Je présenterai tout d'abord les missions générales des FAG, puis la construction spécifique de notre outil de défense et la façon dont nous traitons la question des risques naturels. En conclusion, j'exposerai quelques réflexions sur les progrès possibles en la matière, en ce qui nous concerne comme au niveau interministériel.
Les missions des FAG sont celles des forces armées en général, avec un point d'application particulier, la Guyane et les Antilles. Notre mission est en effet toujours la même, y compris outre-mer : protéger la population ; protéger le territoire français ; défendre les intérêts français ; participer à l'édification d'un monde plus sûr, notamment au moyen d'une approche multilatérale et par la construction de partenariats régionaux ; développer, dans notre population, une force morale et une capacité à travailler ensemble pour faire face aux crises qui touchent la nation.
Notre outil de défense, qu'il s'agisse du personnel ou du matériel, est façonné, en particulier outre-mer, pour réaliser des opérations du haut du spectre, c'est-à-dire les missions d'engagement de haute intensité que seules les armées savent et peuvent mener, dans des conditions extrêmes et face à des adversaires qui font peser des menaces dans tous les champs de la conflictualité. C'est à cette fin que notre personnel est formé et que nous demandons et obtenons du matériel.
Pour vous donner une image, les forces armées sont des sportifs de haut niveau. Nous devons en permanence œuvrer à maintenir leur excellence afin de surclasser nos adversaires. Cela suppose de développer des savoir-faire collectifs et individuels et des matériels dotés de technologies d'avant-garde. Il en résulte à la fois des avantages et des contraintes quand il s'agit d'employer les forces armées pour répondre aux risques naturels.
Les armées sont faites pour s'exprimer dans le chaos. Là, nous devons être capables d'agir de façon coordonnée et performante ; c'est le cœur de notre métier. Par essence, les militaires constituent le dernier rempart quand le fonctionnement normal des pouvoirs publics n'est plus possible. C'est souvent le cas à la suite de phénomènes naturels de grande ampleur, tels que les cyclones, les inondations, les affaissements ou glissements de terrain, les feux violents… Menacées, les structures ordinaires de l'État sont incapables de remplir correctement leurs missions, et l'on fait alors appel aux moyens des armées. Ces moyens ne sont néanmoins pas conçus pour un tel emploi, mais pour les missions spécifiques que j'ai évoquées précédemment.
Ma première mission, et celle de mes camarades, est bien de protéger la France et les Français. Lorsque des risques naturels mettent en danger la population et les territoires, je mets évidemment mes capacités et mon savoir-faire au service des structures de gestion de crise.
Je tiens à souligner que la participation des armées fait alors l'objet d'un arbitrage au niveau interministériel. Il est en effet impératif de mesurer les conséquences que l'intervention des forces armées au titre du traitement des risques naturels aura sur leurs missions permanentes, à la fois en termes de personnel et de matériel.
C'est pourquoi, d'après nous, la question est davantage celle des résultats recherchés que celle des moyens. : Qu'attendent de nous, sur le terrain, le préfet et la cellule de crise ? Très concrètement, est-il plus rapide et efficace d'envoyer, à partir de Cayenne, une section de militaires, dans un Casa CN-235, qui arrivera en douze heures ? Ou, depuis la métropole, une compagnie, dans un Airbus A400M Atlas, en trente-six heures ? Ou un régiment, dans un bâtiment de la marine nationale, en dix jours ? Ou encore en envoyer un mixte, ou cadencer les efforts ?
Pour répondre, nous devons savoir quels effets nous souhaitons obtenir sur le terrain, et à quelle échéance. C'est ainsi que nous pouvons, nous militaires, rendre le meilleur service tout en maintenant nos participations au titre de nos missions permanentes.
Les FAG comptent 2 200 militaires des trois armées et 200 civils de la défense, avec un commandement interarmées terre–air-mer qui couvre aussi l'influence, le cyber et l'espace.
Notre première mission est la protection du centre spatial guyanais, le port spatial européen, qui constitue un enjeu majeur d'accès souverain à l'espace pour la France. J'exerce une protection à 360 degrés face à toutes sortes de menaces, tout au long de l'année – en renforçant la présence sur le terrain durant les périodes de tir – et sur une surface qui représente les deux tiers de la Martinique.
Vient ensuite la mission Harpie, qui constitue le volet répressif de la lutte contre l'orpaillage illégal, laquelle comprend également des volets diplomatique, social et économique. Dans ce cadre, je fournis des personnels et des moyens au préfet et au procureur de la République, afin d'appuyer les forces de sécurité intérieure dans la lutte contre l'orpaillage en forêt.
J'ai donc 400 militaires qui dorment en forêt chaque nuit. Parmi les 700 militaires présents sur quatre mois, certains passent, sur 120 jours de mission, 110 jours en forêt amazonienne. Autant vous dire que ce n'est pas un sport de masse : il faut une préparation mentale et physique exceptionnelle, ainsi que des règles de comportement et d'exercice de la force, en appui aux gendarmes, extrêmement exigeantes, avec énormément de rigueur et de savoir-faire. Nous faisons face à des orpailleurs illégaux, des réseaux de trafic et des organisations transnationales qui nous mettent au défi. Il y a là des enjeux environnementaux et sociaux.
Nous intervenons également dans la lutte contre la pêche illicite, en menant des opérations très techniques contre des bateaux venus du Brésil, du Suriname ou du Venezuela pour piller nos eaux. Les filets mis en place ont parfois une taille dix fois supérieure aux normes européennes. Nous les saisissons et nous capturons les bateaux qui tentent de se soustraire à nos contrôles et se montrent parfois très violents. Nous avons alors des commandos à la mer, prêts à agir, dans le cadre d'une police administrative, pour faire cesser les actions de pillage de nos ressources halieutiques.
Si je dois intervenir à l'occasion d'un phénomène naturel majeur, cela implique de retirer des forces des missions permanentes. Lors de l'ouragan Irma, il a ainsi été décidé au niveau interministériel d'arrêter la lutte contre l'orpaillage illégal et de réduire la protection des zones de pêche. Néanmoins, cette bascule des forces ne permet pas de retirer, au coup de sifflet, les 400 militaires déployés sur un territoire qui fait la taille du Portugal ou de l'Autriche – 84 000 mètres carrés ; il faut parfois trois jours de pirogue pour déployer le personnel. Ces bascules de force doivent donc être intégrées dans le dispositif, dans la mesure où elles contraignent ma capacité à mettre à disposition autant de personnels que je voudrais.
La Guyane est le seul outre-mer, à l'exception de la terre Adélie, qui possède des frontières terrestres. Les questions de coopération avec le Brésil et le Suriname constituent des enjeux très importants pour nous.
Le retour d'expérience (Retex) que je retire d'Irma s'articule en trois volets : anticipation, réactivité, efficacité.
La mission des forces armées des outre-mer est d'absorber e premier choc, de mener les premières études d'impact, de dresser un état de la situation et de l'environnement, et d'aider à concevoir un plan d'ensemble grâce aux moyens dont les militaires disposent – hélicoptères, approches satellitaires, drones, personnes sur le terrain à même d'agir dans des milieux peut-être devenus hostiles car tout a été détruit. Tout cela doit être fait avec réactivité, dès le départ, pour nous permettre de préciser les besoins à venir. Il nous arrive aussi régulièrement de prépositionner un ensemble de moyens.
La réactivité constitue le cœur des missions des militaires. Il y a toujours des personnes en alerte, capables de se déployer en fonction des besoins. De là résulte la belle efficacité de nos opérations, qu'il s'agisse de rétablir la situation dans un territoire ou une zone, d'aider à la reconstruction et à la reprise du fonctionnement normal du pays, ou d'appuyer les forces de sécurité dans la lutte contre le pillage et les incivilités.
J'ai également des exemples récents de phénomènes liés à la nature, même si la nature a été en l'occurrence un peu provoquée. Une mine illégale s'est ainsi effondrée au Suriname. En quelques heures, le préfet et moi avons pu, grâce à un avion militaire, réunir les forces de la sécurité civile et les déployer sur le site – il y avait des vies humaines en jeu. Nous avons pu dresser un bilan, voir s'il était possible de déblayer, et le faire rapidement du côté du Suriname, particulièrement exposé aux glissements de terrain, en lien avec l'activité minière. Nous devons être capables d'agir ainsi et nous le faisons très régulièrement.
En matière de risque naturel, la situation de la Guyane fait exception au sein de l'arc caribéen. Si l'on a établi le centre spatial à Kourou, c'est parce que la Guyane échappe à la plupart des risques naturels, cycloniques ou sismiques. Les seuls risques auxquels nous sommes confrontés sont les feux de forêt, qui demeurent relativement maîtrisés – nous en avons très peu par an –, et les inondations à venir, quoique la Guyane soit moins concernée que les pays alentour. On estime que dans vingt, trente ou quarante ans, le Guyana, en particulier, et le Suriname pourraient connaître des phénomènes d'inondation très importants et réguliers – Georgetown, la capitale du Guyana, est notamment installée au-dessous du niveau de la mer.
La géographie commande. La question, en Guyane, c'est la tyrannie des distances : nous devons mobiliser très rapidement nos moyens pour nous déployer, en cas d'éboulements ou de problèmes de terrain au fin fond de la Guyane, car le territoire est recouvert à 98 % par la forêt amazonienne. Nous sommes également en mesure d'agréger des moyens à destination des Antilles, grâce à notre système d'alerte.
Comment mieux intervenir ? Je considère qu'il y a deux niveaux : celui de la crise et de la préparation à court terme qu'elle implique, d'une part, et celui de l'anticipation, d'autre part.
La préparation de la crise à court terme relève de la logique interministérielle : c'est le préfet qui commande, avec l'appui d'une cellule de crise interministérielle si les événements sont d'une ampleur majeure. Nous nous entraînons à des exercices spécifiques et nous vérifions que nous sommes en mesure de faire face aux risques naturels les plus probables.
Vous connaissez sans doute la règle des quatre i, selon laquelle les forces armées sont employées lorsque les moyens civils sont soit insuffisants, soit inexistants, soit inadaptés, soit indisponibles. Nous nous enquérons des effets à obtenir et nous mettons en place le dispositif le plus adéquat pour y parvenir, avec des moyens et des capacités qui, n'étant pas destinés à un tel emploi, nécessitent des savoir-faire particuliers.
L'anticipation des crises recouvre tout d'abord des questions d'arbitrage budgétaire entre le ministère de la défense et celui du ministère de l'intérieur, dont relève la sécurité civile. C'est la représentation nationale qui en décide lors des lois de finances ; les forces armées n'ont pas de prise là-dessus.
En revanche, il nous appartient de développer les moyens duaux dont nous disposons. Notre principal sujet demeure néanmoins la réponse à la crise, quand elle se présente. En termes capacitaires, nos moyens sont naturellement conçus pour des missions hautes du spectre ; ils ne sont donc pas toujours les plus adaptés pour gérer les crises liées aux risques naturels.
Comme l'a montré le Retex d'Ukraine, les forces armées peuvent également agir avant la crise en aidant à construire la résilience. Nous avons là un rôle permanent : contribuer à forger la force morale de nos concitoyens, leur aptitude à faire corps ensemble et à s'insérer dans des dispositifs structurés et hiérarchisés, à même de permettre à la population d'agir collectivement pour s'entraider. Cela passe notamment par le développement de liens avec la jeunesse, grâce à plusieurs initiatives telles que les classes de défense ou la réserve. Il est très important d'avoir en tête que le premier enjeu, face aux risques naturels, est notre capacité à travailler ensemble, qui se construit au quotidien.
Plus généralement, nous aidons à développer l'organisation de crise de l'État – au-delà des structures préexistantes liées à la division en communes, départements et régions – ; nous mettons en œuvre la logique d'îlotage ; et nous développons des capacités reposant sur les énergies renouvelables, en installant très loin des structures à même de produire de l'eau potable, ou de l'énergie électrique, lorsque tout le réseau électrique tombe. Cela contribue à la résilience de nos dispositifs et nous aide à nous déployer pour soutenir la reconstruction.
De même, des initiatives – je pense notamment à Guyane connectée – visent à étendre les connexions jusqu'aux communes les plus éloignées grâce à des liaisons satellites. Cela nous permet de maintenir le lien en cas de coup dur, et ainsi de connaître la situation et pouvoir aider.
En conclusion, je tiens à souligner la nécessité d'établir un dialogue avec les structures interministérielles sur les effets que nous devons obtenir et les délais de réponse. Les forces armées ont, en outre-mer, un rôle central de surveillance, et donc de connaissance, d'anticipation et d'analyse de la zone.
Le lien avec les forces armées avoisinantes est également très important, puisqu'il nous permet de bénéficier des moyens spécifiques qu'elles possèdent. En tant que forces d'outre-mer, nous sommes à la pointe de l'éventail : grâce à nos capacités aéroportuaires, nous sommes en mesure de réunir des moyens avant la crise afin de les redistribuer, et de maîtriser une chaîne logistique – ce qui constitue l'enjeu majeur de telles crises.
Notre dispositif outre-mer est donc essentiel dans la lutte contre les risques naturels. La jeunesse, l'entraînement avec la réserve et le développement des forces morales le sont tout autant.
Le ministère des armées a mis en place en 2022, une stratégie climat et défense. Au sein de celle-ci, les forces armées travaillent à accroître leur résilience pour être en mesure d'agir quand tout s'est effondré, mais aussi à développer l'accompagnement qu'elles apportent face aux risques naturels majeurs.