Jeudi 30 mars 2023
La séance est ouverte à quatorze heures dix.
(Présidence de M. Guillaume Vuilletet, président de la commission)
La commission auditionne Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), M. Aurélien Daubaire, chef du département des prix à la consommation et des enquêtes ménages, de M. Jean-Baptiste Herbet, directeur interrégional Antilles-Guyane et M. Loup Wolff, directeur interrégional La Réunion-Mayotte de l'Insee.
Nous reprenons les auditions de la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.
Dans un premier temps, nous allons entendre les représentants de l'Insee, présents à Paris et en visioconférence : Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales, M. Aurélien Daubaire, chef du département des prix à la consommation et des enquêtes ménages, M. Jean-Baptiste Herbet, directeur interrégional Antilles-Guyane et M. Loup Wolff, directeur interrégional La Réunion-Mayotte.
Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Christel Colin, M. Aurélien Daubaire, M. Jean-Baptiste Herbet et M. Loup Wolff prêtent serment).
Je vous remercie de nous avoir conviés à cette audition.
L'Insee est chargé de produire et diffuser des statistiques sur les cinq départements et régions d'outre-mer comme sur l'ensemble des régions et départements de France métropolitaine. Pour ces collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution, l'Insee a les mêmes obligations que pour la France métropolitaine.
Sur les collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution, ainsi que pour la Nouvelle-Calédonie, les obligations juridiques explicites de l'Insee en matière de statistiques concernent la réalisation du recensement de la population et le calcul des populations légales et, en ce qui concerne Saint-Martin, les règlements statistiques européens, lesquels couvrent le territoire économique européen composé de la France métropolitaine et des six régions ultrapériphériques françaises, les cinq départements et régions d'outre-mer (DROM) et Saint-Martin.
L'Insee produit des statistiques sur les revenus, la consommation et les prix à la consommation pour chacun des DROM. De manière générale, l'Insee déploie les mêmes outils et protocoles pour les DROM que pour la France métropolitaine, dans la mesure du possible. Pour établir ces statistiques, l'Insee s'appuie d'une part sur des enquêtes par sondage réalisées directement auprès d'un échantillon de personnes ou d'entreprises, et d'autre part sur l'exploitation de données administratives, données de gestion dont l'objectif premier n'est pas la statistique, par exemple les données fiscales ou portant sur les prestations sociales, mais qui peuvent être utilisées pour établir des statistiques.
Certaines adaptations sont toutefois nécessaires. Ainsi, les DROM, notamment Mayotte, sont parfois absents de certaines sources administratives. Aussi, certaines sources administratives sont de moindre qualité dans les DROM en termes d'exhaustivité (il peut manquer des personnes), de traits d'identité (noms, prénoms, date et lieu de naissance incomplets) ou d'adressage (adresses manquantes ou incomplètes). C'est par exemple le cas pour les sources fiscales utilisées pour établir les statistiques sur les revenus des ménages et la pauvreté, et le dispositif d'observation est donc différent entre la métropole et les DROM.
Il faut souligner que l'Insee produit des statistiques dans les DROM qui n'ont pas d'équivalent dans les régions de l'Hexagone. Ainsi, des indices des prix à la consommation, servant à mesurer l'inflation, sont calculés et diffusés chaque mois pour chaque DROM, en tenant compte des spécificités des structures de consommation locales, ce qui n'est le cas pour aucune autre région de France. En outre, des enquêtes de comparaison spatiale des niveaux de prix y sont réalisées tous les cinq à six ans ; nous y reviendrons en détail.
De plus, des comptes économiques régionaux plus élaborés que dans les autres régions sont établis dans les départements d'outre-mer (DOM), ainsi que des comptes rapides. Enfin, en matière d'enquêtes auprès des ménages, un accord-cadre entre l'Insee et la direction générale des outre-mer prévoit, avec des financements à l'appui, des extensions d'échantillons pour une enquête nationale par an, comme l'enquête Budget des familles ou l'enquête Santé. Grâce à ces extensions d'échantillon, il est possible de diffuser les résultats de ces enquêtes pour chaque DROM, ce qui n'est pas le cas dans les autres régions.
Après cette introduction, nous souhaitons vous présenter des éléments sur les revenus et les prix à la consommation dans les départements et régions d'outre-mer. Nous pourrons bien sûr détailler certains points en fonction de vos questions. Les documents que nous vous transmettrons par ailleurs comprennent davantage de détails sur les chiffres et des références de publications.
Les habitants des DROM ont globalement un niveau de vie plus faible qu'en métropole et les inégalités y sont plus marquées, surtout en Guyane et bien plus encore à Mayotte. Selon l'enquête Budget de famille de 2017 qui permet une comparaison entre les différents DROM et la métropole, le niveau de vie médian, qui partage la population en deux parties égales, se situe en Martinique et en Guadeloupe respectivement à 1 360 et 1 310 euros mensuels, soit 20 % et 23 % de moins que le niveau de vie médian en France métropolitaine (1 700 euros par mois).
Celui de La Réunion (1 160 euros mensuels) est inférieur d'un tiers au niveau de vie médian de métropole et celui de la Guyane de moitié. À Mayotte (260 euros), il ne représente qu'un sixième de la valeur métropolitaine. Ces niveaux incluent l'ensemble des revenus, y compris les prestations et les prélèvements directs en sont déduits.
Le niveau des revenus plus faible qu'en métropole va de pair avec un taux de pauvreté monétaire plus élevé. Pour rappel, le taux de pauvreté est la proportion d'individus dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian. Calculé en référence au seuil national – le seuil calculé pour l'ensemble de la France–, le taux de pauvreté monétaire est de 34 % en Guadeloupe, 33 % en Martinique, 42 % à La Réunion, 53 % en Guyane, 77 % à Mayotte contre 14 % en métropole. On peut aussi utiliser des seuils locaux, par territoire, ce qui conduit à des taux inférieurs.
À ce niveau de revenu plus faible dans les DROM correspond également un niveau de consommation plus faible par ménage : aux Antilles, en Guyane et à La Réunion, les dépenses de consommation par ménage sont inférieures d'environ 15 % à la métropole et de 50 % à Mayotte.
Quand on regarde la structure de la consommation des ménages dans les DROM, les quatre principaux postes de dépenses sont les suivants :
– les transports, au sens large, liées à l'utilisation des véhicules automobiles comme au transport aérien (18 à 20 % des dépenses, soit un peu plus qu'en métropole, où ils représentent 16 %) ;
– les produits alimentaires (16 à 17 %, proche de la moyenne de métropole, sauf à Mayotte, où l'alimentation pèse pour 25 % du budget des ménages) ;
– le logement (14 à 15 %, proche de la métropole, sauf en Guyane, où il pèse 19 %) ;
– les biens et services divers comme les assurances, les coiffeurs (15 à 16 %, proche de la métropole, sauf en Guyane où leur part est inférieure).
Je vais à présent vous présenter les statistiques dont nous disposons sur l'inflation et sur le niveau des prix dans les DROM.
L'indice des prix à la consommation est le principal indicateur produit pour mesurer l'inflation, c'est-à-dire l'évolution des prix à l'étiquette. Il porte sur l'ensemble des biens et services achetés par les ménages, toutes taxes comprises. Il est calculé chaque mois, y compris pour chaque DROM.
L'inflation a fortement augmenté depuis un an et demi. En métropole, sur douze mois (de février 2022 à février 2023), les prix ont progressé de 6,3 %. Ils se sont appréciés un peu moins dans les DROM, mais l'inflation y est tout de même élevée. Sur un an, elle s'établit à 3,7 % en Guyane ; 4,2 % à La Réunion ; 4,4 % en Martinique ; 4,8 % en Guadeloupe et 5,9 % à Mayotte.
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Le prix des produits alimentaires a augmenté davantage que celui des autres produits : environ 12 % en un an à Mayotte comme en Martinique, 10,4 % en Guadeloupe, 8,6 % en Guyane et 7,2 % à La Réunion.
L'Insee effectue également des enquêtes de comparaison spatiale des prix, qui mesurent tous les cinq ou six ans l'écart de niveau des prix entre chaque DROM et la métropole. Les résultats disponibles à ce jour sont ceux de 2015. Nous avons réalisé la dernière édition de l'enquête en 2022 sur le terrain, car elle avait été reportée du fait de la crise sanitaire. Les résultats sont attendus au troisième trimestre 2023.
Le principe consiste à mesurer les écarts de prix pour des produits comparables, selon les mêmes principes que la mesure des parités de pouvoir d'achat entre différents pays. D'abord, nous faisons des relevés de prix sur chaque territoire, dans les DROM et en métropole, dans tout type de point de vente. Ensuite, nous calculons le prix moyen de chaque produit dans le DROM et en métropole et nous agrégeons l'ensemble des produits en pondérant selon la structure de consommation de la métropole : cela donne un écart de prix pour le panier de consommation d'un habitant métropolitain. Nous agrégeons également l'ensemble des produits en pondérant selon la structure de consommation dans le DROM ; cela donne un écart de prix pour le panier de consommation moyen. Enfin, nous faisons la moyenne entre les deux approches – qui sont toutes les deux diffusées – afin d'obtenir une mesure d'écart de prix non normative, c'est-à-dire sans faire d'hypothèse sur ce que devrait être le panier de consommation.
En 2015, les écarts de prix en moyenne sur l'ensemble des produits vont de 7 % environ à Mayotte et à La Réunion, à 12 % et plus en Guyane et aux Antilles. Pour le panier de consommation métropolitain, l'écart est encore plus élevé : de près de 11 % à La Réunion jusqu'à plus de 17 % en Martinique pour un ménage qui consommerait comme en métropole.
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Pour les produits alimentaires, les écarts sont particulièrement élevés, d'autant plus si l'on se concentre sur l'écart de prix pour le panier de consommation métropolitain : de + 37 % à La Réunion à près de 48 % en Martinique en 2015.
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Des chiffres détaillés sont disponibles dans les documents qui vous ont été diffusés et encore plus sur le site de l'Insee.
Vous comparez les DROM et les collectivités d'outre-mer (COM) à l'Hexagone. Comment faites-vous pour comparer une région avec un pays ? Comment est-ce possible ?
Pour les écarts de prix, nous effectuons 4 000 à 7 000 relevés de prix dans chaque DROM et COM, mais aussi sur l'ensemble du territoire de la France métropolitaine, continent et Corse.
Il faut comparer ce qui est comparable, ce que vous ne faites pas. La région Martinique ou la région Guyane ne correspondent pas à la France hexagonale. Pour pouvoir comparer, il faut disposer de caractéristiques identiques, ce qui n'est pas le cas. La région Île-de-France n'a rien à voir avec la région Martinique, par exemple.
Dans notre pays, seules deux régions sont contributrices nettes : la région Île-de-France et la région Auvergne-Rhône-Alpes. Une forme de biais statistique semble donc quand même apparaître. Par ailleurs, j'espère que nous obtiendrons les données 2023 avant la fin de notre commission d'enquête car, la référence de 2015 est trop ancienne.
Lorsque nous regardons la situation des niveaux de prix au sein de l'Hexagone, nous établissons une distinction entre l'Île-de-France et la « France de province », pour distinguer la situation particulière de l'Île-de-France. Nous le faisons également parce que les écarts de prix sont plus marqués entre l'Île-de-France et le reste des régions hexagonales qu'entre ces régions hexagonales. La Corse constitue enfin une situation particulière, notamment en raison de son caractère insulaire.
Ces comparaisons mettent en regard des régions ayant des caractéristiques différentes, mais l'idée consiste bien à montrer les prix auxquels sont exposés les consommateurs des différentes régions, en fonction des paniers de consommation qui sont différents et dont nous tenons compte. Par ailleurs, le volume des relevés de prix mobilisés pour établir les niveaux de prix du côté de l'Hexagone est à la mesure de la taille de la consommation et de l'ensemble que l'on souhaite étudier.
Il est essentiel d'avoir des statistiques pour objectiver la réalité de la vie dans les territoires. Mais la fiabilité des statistiques l'est encore plus. Vous indiquez appliquer les mêmes formats de fonctionnement, alors que, de votre propre aveu, les sources administratives sont parfois absentes des DROM. Alors même que vous reconnaissez les singularités des territoires, vous appliquez les mêmes méthodes.
Nous appliquons les mêmes méthodes dans la mesure du possible. Les calculs des indices de prix à la consommation ou la méthodologie des enquêtes de comparaison spatiale de prix se fondent également sur des recommandations internationales. Il n'y a pas lieu de faire les choses différemment sur les méthodes de calcul.
Il en va autrement sur la structure de la consommation, pour laquelle il est essentiel de tenir compte des spécificités des territoires. Par exemple, pour le calcul des indices de prix à la consommation ou pour les enquêtes de comparaison spatiale des prix, nous tenons naturellement compte des différences dans la structure de consommation et du poids des différents achats, qui varient en fonction des territoires. Nous tenons également compte de la diversité des parts des différents types de points de vente. De même, les prix suivis dépendent des territoires. Par exemple, dans le panier aux Antilles, on trouve de la farine de manioc ou des produits qui ne figurent pas dans les paniers métropolitains. Il est essentiel de produire des statistiques qui correspondent bien à la réalité des territoires.
En résumé, cela ne veut pas dire que nous n'appliquons pas la même méthode. Simplement, elle s'adapte aux territoires, en tenant compte de la spécificité des structures de consommation, des produits et des formes de vente.
Quand vous comparez l'inflation dans nos territoires et en France, il s'agit de l'inflation conjoncturelle. Mais il faut savoir que dans nos territoires, il existe également une inflation structurelle : nos coûts de vie sont historiquement supérieurs à l'augmentation conjoncturelle. Ainsi, dans la fiabilité des sources et des méthodes utilisées pour effectuer des comparaisons, il faut que les analyses soient plus précises et pragmatiques. Comparer l'inflation en France hexagonale et en Martinique n'a pas de valeur pour moi, puisque, structurellement, les prix en Martinique sont supérieurs de 40 %, auxquels il faut ajouter l'inflation conjoncturelle. La France n'a pas d'inflation structurelle, puisqu'elle ne subit pas de coûts liés à son éloignement, son insularité ou l'exiguïté de son marché intérieur. À quel moment nos singularités structurelles sont-elles prises en compte dans vos statistiques ?
Les tableaux de la page 20 du document que vous nous avez fourni ci-après correspondent-ils à ce type d'exercice ?
Ces documents font en effet état de ces deux éléments. Je pense d'une part à l'écart en niveau de prix en euro pour un produit donné, qui coûte plus cher en outre-mer que dans l'Hexagone. Ces écarts sont notablement très élevés pour les produits alimentaires. D'autre part, chaque mois, nous mesurons l'évolution des prix en pourcentage, pour l'Hexagone, pour chaque outre-mer et pour la France entière. Non seulement les prix sont structurellement plus élevés en outre-mer, mais nous avons également enregistré une hausse des prix conjoncturelle depuis un an et demi.
Les organismes que nous avons auditionnés jusqu'à présent nous ont tous indiqué que l'Insee pourrait répondre à certaines questions, notamment sur les structures des prix et leur évolution, les accumulations de marge et l'existence d'abus éventuels. Vous comprenez donc nos attentes.
Lorsque vous effectuez vos statistiques, regardez-vous la réalité des prix et du coût de la vie à l'intérieur même d'un territoire dit d'outre-mer ? Par exemple en Guyane, on dénombre huit communes isolées sur vingt-deux. Le bidon de gaz coûte 25 euros lorsqu'il arrive sur l'île de Cayenne, mais son prix passe à 100 euros à Saül. Disposez-vous de ces éléments, qui sont essentiels ? En effet, le coût de la vie n'est pas le même sur le littoral et à l'intérieur des terres. Il s'agit là d'un véritable problème.
Vous arrive-t-il de vous remettre en cause sur la fiabilité des informations que vous transmettez ? Une évaluation de vos pratiques et de vos méthodes est-elle réalisée, pour mieux vous adapter aux singularités de nos territoires ?
Ensuite, les taux de marge individualisés par entreprise donnent le sentiment d'une absence d'exagération. Cependant, les intermédiaires peuvent être au nombre de quatorze dans ces territoires, quand ils se limitent généralement à trois en France, dans le secteur de la grande distribution. De plus, ces intermédiaires sont fréquemment les filiales des mêmes entreprises. Dès lors, il s'agit de facto d'oligopoles et de monopoles.
Lorsque nous avons auditionné l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom) ce matin, ses représentants nous ont indiqué que l'Insee était capable de remonter l'actionnariat de ces entreprises. Avez-vous effectué ce travail ? Nous voulons en effet caractériser les oligopoles et les monopoles.
Comme vous l'aurez compris, nous nous interrogeons sur une « génétique » des prix assez complexe.
Les statistiques de prix que nous avons présentées comportent deux volets : une partie structurelle et une partie conjoncturelle, c'est-à-dire les écarts des niveaux de prix d'une part, et les écarts des évolutions de prix d'autre part. Nous nous intéressons aux prix à la consommation ; ces statistiques ne décomposent pas le mécanisme de formation des prix que vous avez évoqué. Par conséquent, nous n'avons pas mené de travaux détaillés pour décomposer les mécanismes de formation des prix au niveau national.
Ensuite, nous remettons en cause nos pratiques, de manière régulière. Nous sommes à l'écoute des utilisateurs pour assurer la meilleure pertinence des statistiques. Cependant, un certain nombre de productions statistiques sont cadrées. C'est le cas du calcul de l'inflation et de l'établissement des indices de prix à la consommation, qui répondent à des normes internationales et européennes, que l'Insee doit respecter afin d'assurer leur comparabilité. Par exemple, l'inflation étant scrutée par la Banque centrale européenne, les statistiques produites doivent obéir à des règles communes en Europe.
Nous essayons néanmoins de tenir compte des caractéristiques des territoires, et des évolutions, notamment des produits consommés, des formes de vente ou du développement du commerce sur internet. Les statistiques que nous produisons ne sont pas figées et nous nous adaptons pour être au plus près des évolutions de l'économie et de la société.
Ce sujet remonte régulièrement au sein des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR). Cette question est importante, notamment dans la période actuelle. Malheureusement, nous ne sommes pas équipés aujourd'hui pour répondre à ces enjeux. Depuis un certain temps, j'essaye de voir ce qui peut être fait au niveau local et national à ce sujet, mais nous butons sur une difficulté liée au fait que, sur certaines étapes de la formation de ces prix (le fret et la distribution notamment), le cadre est quasi monopolistique. Dès lors, ces informations ne sont plus d'ordre statistique, mais des informations liées au secret statistique des entreprises. Il nous est donc très difficile d'obtenir les informations qui nous permettraient d'effectuer le travail évoqué par M. le rapporteur.
Il existe également des OPMR aux Antilles et en Guyane, qui travaillent sur ce sujet, mais ils n'ont pas creusé ces questions de monopole ou d'oligopole pour le moment. Ils travaillent essentiellement à la mise en place de boucliers qualité-prix (BQP) et à la liste de produits qui seraient intégrés dans ces BQP.
S'agissant de l'indice des prix en Guyane, 90 % de la population guyanaise habite sur le littoral. C'est donc là que la plupart des consommations sont réalisées. Il ne serait donc pas complètement aberrant que les points de vente se concentrent sur la Guyane côtière. Je rappelle que nous effectuons environ 4 000 relevés par mois pour analyser les prix en Guyane.
J'avoue être de plus en plus inquiet lorsque je vous entends. Les normes européennes s'imposent à nos territoires en termes de méthodologie, mais nos réalités sont totalement singulières. S'il faut des normes européennes permettant les comparaisons, comment mesurer de manière comparable des choses qui ont des caractéristiques différentes ? Si vous êtes des exécutants en matière statistique, des propositions seraient malgré tout bienvenues en amont.
Ensuite, j'entends parler des OMPR, de l'Insee, de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom), des directions de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Deets), de l'Autorité de la concurrence ; mais aucune coordination n'est assurée entre ces structures. Chacune d'entre elles est impuissante face à un phénomène qui ne cesse de se développer et de se consolider ; aucune n'est capable d'avoir une vision claire et globale et personne ne propose de solution pour y remédier de façon coordonnés.
Face à cette difficulté, comment allez-vous faire pour modifier les pratiques, qui nous conduisent à tourner en rond ? En effet, la fiabilité de vos données est contestable. Pire encore, aucune proposition n'est formulée. Pourtant, la situation actuelle atteste bien de la consolidation des monopoles, aussi bien verticalement qu'horizontalement, au moment même où le niveau de vie diminue.
À ce sujet, je vous invite à ne pas vous limiter aux éléments de prix, qui sont un déterminant parmi d'autres, au même titre que les revenus, la formation des prix ou le sous-financement des collectivités, qui recouvre aussi la question de l'investissement public. Ces quatre phénomènes, lorsqu'ils s'associent, mènent à la catastrophe.
Quelles propositions ou quelles demandes l'Insee a-t-il effectué auprès du gouvernement ou du législateur en termes de coordination, d'initiative ou de moyens, face à ces problèmes, qui ne sont d'ailleurs pas nouveaux ?
Certains opérateurs refusent de transmettre leurs marges, ce qui est inadmissible. À La Réunion, de nombreux rapprochements se sont opérés dans le secteur de la grande distribution. Je pense notamment au rachat de Vindémia par le Groupe Bernard Hayot (GBH). Pouvez-vous nous dire si cela a impacté les prix d'une manière ou d'une autre ?
Ensuite, l'inflation ne va pas décélérer, selon de nombreux spécialistes. Il est vrai qu'elle est moins élevée à La Réunion que dans l'hexagone, mais elle s'applique sur des prix plus élevés. De plus, chez nous, quand le prix n'augmente pas, les volumes ou les contenus diminuent. Dans ce cadre, un blocage des prix de manière temporaire ne pourrait-il pas constituer une solution, d'autant plus que le code du commerce le permet ?
Enfin, ne serait-il pas pertinent de comparer les tickets de caisse dans le temps, afin d'assurer une plus grande transparence ?
Je suis désolée, mais je ne peux vous laisser dire que les statistiques que nous établissons ont un niveau de fiabilité contestable. Nous mesurons en effet l'évolution des prix de manière spécifique dans les DROM, territoire par territoire, alors que cela n'est fait dans aucune autre région de métropole. En outre, la mesure des écarts de prix applique une méthodologie qui est la même que celle appliquée pour comparer les niveaux de prix entre différents pays.
Les méthodes visent à permettre des comparaisons pertinentes pour l'analyse des phénomènes que nous souhaitons éclairer. Nous sommes ouverts aux adaptations, mais nous agissons de la meilleure manière possible, compte tenu des méthodes disponibles et de la spécificité des territoires. Ensuite, je sais que des initiatives sont prises pour coordonner les travaux entre différents organismes sur les territoires. Nos collègues ultramarins pourront peut-être apporter plus de précisions à ce sujet.
Plus généralement, sur la question des moyens et de l'initiative des enquêtes, l'Insee et plus globalement le service de la statistique publique, établit un certain nombre de statistiques en réponse à des règlements européens (comptes nationaux, indice des prix à la consommation, l'enquête Emploi). Le reste de notre activité dépend de la demande qui nous est adressée. Elle vient pour l'essentiel d'une instance de concertation, le Conseil national de l'information statistique, qui est le lieu d'échange entre les producteurs de la statistique publique et les utilisateurs. Ce conseil rassemble des représentants de la représentation nationale, des utilisateurs, des associations, des syndicats et des organisations professionnelles. Il s'agit là d'un des vecteurs par lesquels les demandes sont remontées.
S'agissant des moyens, je tiens à rappeler que nous faisons au mieux avec les moyens dont nous disposons. De fait, la proportion des moyens de l'Insee consacrés aux DROM est largement supérieure à leur poids dans la population ou dans l'économie. Nous pourrons d'ailleurs vous fournir des chiffres si vous n'êtes pas convaincus.
La mesure de l'évolution des prix par les tickets de caisse constitue effectivement une technique nouvelle, qui a été rendue possible par la loi pour une République numérique. Dans l'Hexagone, nous utilisons par exemple chaque mois les données de caisse transmises par les distributeurs pour mesurer l'indice des prix. Nous pensons l'utiliser d'ici quelque temps dans le champ des DROM. Sachez par ailleurs que l'enquête de comparaison spatiale du niveau des prix réalisée en 2022 utilise pour la première fois ces données. Cependant, les relevés de prix sur le terrain conservent leur pertinence pour couvrir l'ensemble des formes de vente.
Enfin, le blocage des prix relève d'une question de politique publique sur laquelle l'Insee n'a pas d'avis ni de recommandation.
Nous aurons l'occasion d'auditionner d'autres interlocuteurs, auxquels nous pourrons demander ce qu'ils comptent faire.
Vous avancez que l'inflation touche moins La Réunion que la France hexagonale sur les services, les produits alimentaires, les produits manufacturés, l'énergie, etc. Pouvez-vous affirmer et même jurer devant cette commission d'enquête que ces chiffres révèlent la vérité en matière de données et de méthodologie d'enquête ? La loi de juillet 2008 vous reconnaît une indépendance totale vis-à-vis du gouvernement, mais est-ce vraiment le cas ?
Il nous a été dit et redit que seul l'Insee pouvait répondre à nos questions sur les marges. Je crains malheureusement que nous achevions cette commission d'enquête sans pouvoir connaître cette réponse, pourtant essentielle si nous voulons formuler des propositions. Comment sont-elles constituées ? Y a-t-il abus ? Si vous n'êtes pas capables de le faire, expliquez-nous pourquoi. Les élus ou parlementaires peuvent-ils le demander ? Sommes-nous obligés de passer par le conseil national de la statistique ?
Enfin, l'intégralité de la population guyanaise ne se concentre pas sur le littoral. Des communes de l'intérieur croissent en outre de manière importante ; des communes qui avaient 1 000 à 2 000 habitants il y a dix ans en ont aujourd'hui 10 000. Là encore, qui pourrait effectuer la commande pour réaliser des statistiques de prix concernant ces populations ?
Je confirme qu'un grand nombre de nos interlocuteurs nous ont indiqué que l'Insee pourrait répondre à nos questions. Cependant, rien ne nous empêche de convoquer à nouveau quelqu'un si nous le jugeons nécessaire.
Je confirme les chiffres que nous avons évoqués initialement concernant La Réunion, qui sont obtenus à partir d'une méthodologie sérieuse. De février 2022 à février 2023, La Réunion a connu une inflation de 3,7 % d'inflation dont 7 % sur les produits alimentaires. Cette inflation vient s'ajouter à des niveaux des prix initiaux élevés par rapport à l'Hexagone. À La Réunion, le panier de biens et de services d'un ménage qui consommerait comme un ménage de l'Hexagone est 37 % plus élevé pour les produits alimentaires, selon les données de 2015.
La multiplication des intermédiaires a-t-elle une incidence sur vos analyses ? Avez-vous demandé des éléments relatifs aux écarts et aux marges pratiqués par ces intermédiaires ? Si tel est le cas, vous êtes-vous heurtés, de la part de ces intermédiaires, au sacro-saint principe de la non-communication des données commerciales ? Qui décide du calendrier d'actualisation des statistiques ? Cela se fait-il au niveau régional ou national ?
Au niveau national, nous n'avons pas demandé d'éléments aux intermédiaires. Si l'on fait l'hypothèse que la multiplication des intermédiaires constitue une des explications de l'écart important des niveaux de prix entre les DROM et la métropole, les mesures des écarts que nous réalisons l'illustrent en partie. En revanche, cela n'a pas d'incidence sur la manière dont nous mesurons les prix en bout de chaîne.
Pour la production des indices de prix à la consommation au niveau national, les calendriers sont très normés. Ils sont annoncés à l'avance, publiés, et dépendent des dates qui nous sont demandées au niveau européen. Ces éléments sont donc extrêmement encadrés de ce point de vue. Je laisserai mes collègues répondre pour les indices régionaux. En revanche, aucun calendrier figé ne s'impose à nous pour l'enquête de comparaison spatiale des prix.
L'enquête de comparaison spatiale des prix est menée tous les cinq à six ans et non de manière annuelle, dans la mesure où nous mesurons la dimension structurelle des prix. En outre, ces données sont également utilisées pour la mesure des parités de pouvoir d'achat au niveau international, qui répondent à un règlement européen. Néanmoins, l'évolution des prix de chaque grand produit est bien mesurée tous les mois, dans le cadre de l'indice des prix à la consommation.
Est-il possible de disposer des données de l'enquête de comparaison spatiale des prix menée en 2022 ?
Les données de cette enquête sont en cours de traitement et nous ne pouvons donc pas encore vous transmettre les résultats. Mais nous pourrons échanger avec le secrétariat de la commission au début du mois de juin, pour voir ce qu'il sera possible de diffuser, en fonction de l'avancée des travaux. Pour le moment, la diffusion des résultats est prévue pour la mi-juillet 2023. Notre objectif consiste à transmettre des données stabilisées.
Nous vous solliciterons à la fin du mois de mai. Je tiens à vous sensibiliser sur le caractère crucial de ces informations pour nous.
Je souhaite vous fournir quelques éléments d'explication concernant la multiplication des intermédiaires. Contrairement à ce qui a pu être dit, nos services travaillent en étroite collaboration avec les OPMR, la Deets et l'Iedom.
Ensuite, la direction régionale de l'Insee à La Réunion et Mayotte a bien demandé des données sur les marges et donc sur le prix des biens importés aux différentes phases de leur vie. Malheureusement, le secret des affaires nous a été opposé sur ces sujets. Nous sommes confrontés à la question de la confidentialité des données, notamment sur les phases de fret voire de distribution, ce que nous déplorons tous.
Enfin, en matière de calendrier d'actualisation statistique, une partie de notre activité est déterminée par les actions nationales et les actions coordonnées entre le niveau régional et le niveau national. Nous conservons néanmoins un volet de ressources disponibles pour travailler sur les sujets purement régionaux. Nous disposons ainsi d'une convention pluriannuelle de travail avec l'OPMR, qui a donné lieu à plusieurs séries d'études en particulier à La Réunion, par exemple sur la pauvreté ou les contrats courts. Les travaux spécifiques sont donc possibles, en fonction des ressources que nous avons à notre disposition.
Dans quelle mesure les élus peuvent-ils effectuer des commandes précises pour disposer d'éléments statistiques qui correspondent à nos réalités, au-delà de ce que vous produisez déjà ? Manifestement, vous n'arrivez pas à répondre à toutes les questions.
L'Insee dépend du ministère de l'Économie et j'imagine que nous, en tant que législateurs, sommes censés interroger Bercy afin d'intégrer nos problématiques aux programmes de travail.
Le programme de travail de la statistique publique résulte d'une somme de composantes. Une partie, plus contrainte, répond à des règlements européens et une autre partie est plus nationale, donc plus ouverte. Au sein de cette dernière, nous nous efforçons de prendre en compte les demandes qui nous sont faites. Je précise néanmoins que le programme de travail de l'Insee relève de sa propre responsabilité ; il n'est pas validé par Bercy par exemple. Nous sommes à l'écoute des demandes qui peuvent être transmises par l'ensemble des acteurs, qu'il faut faire cohabiter avec la nécessaire priorisation de nos travaux.
Comme je l'ai déjà indiqué, le Conseil national de l'information statistique constitue un canal naturel de transmission des demandes. J'ajoute que des groupes de travail sont régulièrement lancés pour creuser telle ou telle problématique. Par exemple, un groupe de travail est actuellement à l'œuvre sur la question des discriminations, de la même manière que d'autres groupes de travail se sont déjà réunis pour traiter des questions de logement, de pauvreté ou d'inégalité.
Pour répondre à l'intervention de M. Naillet, nous observons parfois des pratiques de baisse des volumes pour maintenir un niveau de prix, mais nous en prenons compte pour mesurer l'indice des prix.
Ensuite, il n'est pas prévu à ce jour d'avoir des statistiques spécifiques pour la Guyane de l'intérieur. Nos statistiques, dont le coût n'est pas négligeable pour l'Insee, s'effectuent sur l'ensemble de la Guyane.
Je tiens à présent à vous poser certaines des questions confiées par ma collègue Estelle Youssouffa, députée de Mayotte. Le recensement à Mayotte s'effectue sur le modèle national depuis 2021. Quel retour d'expérience avez-vous sur la méthode utilisée avant 2021, ses forces et ses faiblesses ? Ensuite, l'Insee dispose-t-il de données sur l'évolution du coût du fret maritime et aérien à Mayotte, notamment sur les produits alimentaires ? Je vous transmettrai par écrit ses autres questions.
Pour ma part, je suis très surpris par les tableaux relatifs aux différentiels de prix sur le logement, en page 18 de vos documents. Il m'avait en effet été indiqué que les prix du logement à Fort-de-France étaient semblables à ceux de Lyon. Peut-être est-ce dû à l'ancienneté de vos données ? Ensuite, disposez-vous de moyens pour cerner l'économie informelle ? Quelle est son influence sur le coût de la vie et la structure des dépenses ? J'ai en effet le sentiment que la réalité tangible d'une partie de la population passe parfois sous les radars.
Depuis 2021, nous collectons effectivement le recensement à Mayotte de la même manière qu'ailleurs en France, via les enquêtes annuelles de recensement, c'est-à-dire tous les ans sur un cinquième du territoire. Cette méthodologie est en rupture avec celle qui prévalait au préalable, notamment pour le dernier recensement général de Mayotte, qui a eu lieu en 2017. Cette rupture de méthode est issue de la loi pour l'égalité réelle en outre-mer qui a fait rentrer Mayotte dans le régime commun des recensements en France.
Ce changement de méthodologie se traduit par une période d'évolution du dispositif, qui nécessitera un temps supplémentaire pour obtenir des données actualisées. Si l'on avait continué avec l'ancienne méthodologie, nous aurions pu espérer obtenir une actualisation des données de recensement en 2023. Compte tenu de la modification, les premiers résultats seront disponibles à la fin de l'année 2025 ou au début de l'année 2026. Ce changement de méthode présente néanmoins plusieurs intérêts et à partir de 2026, nous bénéficierons de chiffres actualisés tous les ans, contre tous les cinq ans auparavant.
Ensuite, nous ne disposons pas d'informations au sujet du fret maritime et aérien. Nous sommes conscients que cette donnée est essentielle, mais nous n'y avons malheureusement pas accès.
Enfin, il existe effectivement une enquête spécifique sur les entreprises mahoraises du secteur informel. Nous avons réactualisé en 2021 une enquête précédente (2015), dont les résultats seront bientôt publics. Les ordres de grandeur sont sensiblement les mêmes que ceux que l'on avait observés en 2015 : à Mayotte, le secteur informel est important en nombre d'unités productives, mais leur part dans la valeur ajoutée est très faible (9 %), compte tenu de la petite taille de ces activités. Par ailleurs, ce travail n'est pas à ce jour effectué à La Réunion.
L'Institut d'émission des départements d'outre-mer (Iedom) et l'Institut d'émission outre-mer (Ieom) ont effectué une estimation fondée sur la rotation monétaire, dont les résultats sont forts différents, puisqu'ils affichent un taux de 22 %.
Nous avons eu l'occasion d'échanger sur ce sujet avec l'Iedom pour La Réunion et Mayotte. La circulation du liquide dans l'économie peut effectivement être un signe de l'intensité du secteur informel. Cependant, ce signe est ambigu, puisqu'il est à la fois lié à l'économie informelle en elle-même, mais aussi potentiellement aux comportements des habitants, qui peuvent privilégier le liquide par rapport aux paiements dématérialisés. Cet indice est intéressant, mais cette donnée n'est pas suffisante pour chiffrer la réalité de ce phénomène.
Selon le concept de l'enquête de comparaison spatiale des prix, les prix des logements sont quelques pourcents au-dessus ou en dessous de zéro en fonction des DROM. En ce sens, le logement comprend les loyers, l'eau, l'électricité et une partie des charges d'entretien du logement. Les publications les plus détaillées indiquent que les prix des loyers en secteur libre dans les DROM en 2015 étaient plus élevés qu'en métropole : 20 % plus élevés en Guadeloupe et en Guyane et 10 % plus élevés à la Martinique et à La Réunion. En revanche, les prix du secteur social étaient proches de la moyenne de la France métropolitaine, sauf en Martinique (loyers 15 % plus faibles que dans l'Hexagone). Les prix des services d'eau, d'électricité et d'assainissement étaient inférieurs à ceux de l'Hexagone, mais les ceux des réparations et de l'entretien courant étaient plus élevés aux Antilles et en Guyane et moins chers à La Réunion.
Selon les données de l'Observatoire des finances des collectivités territoriales, il est apparu que les collectivités territoriales de Guyane ne pourraient manifestement jamais avoir structurellement les moyens de fonctionner.
Les élus de Guyane demandent depuis très longtemps l'établissement d'un recensement annuel, compte tenu de la croissance démographique exponentielle de notre territoire, en grande partie liée aux flux migratoires et aux taux de natalité. En effet, les collectivités doivent assumer les coûts supplémentaires associés à cette croissance, par exemple les coûts de construction des établissements scolaires. À Saint-Laurent-du-Maroni, une école doit être construite tous les ans.
Je souhaiterais savoir quand l'Insee nous permettra d'obtenir un recensement annuel. En effet, si les Mahorais ont demandé un tel recensement, c'est bien pour recevoir des dotations en regard. En Guyane, l'Insee a reconnu que dans la commune de Macouria, le village de Sablance n'a pas été pris en compte. Je précise que le village de Sablance est un squat de 5 000 à 6 000 personnes, dont les enfants vont à l'école, utilisent les transports.
Lorsque nous avons conduit la commission d'enquête sur les politiques publiques en Seine-Saint-Denis, nous avons pris en compte ces éléments, cette réalité. Ce département est censé rassembler 1 million d'habitants, mais il y en a en réalité 1,3 million.
La demande d'un recensement annuel a été portée par les élus guyanais à la commission nationale d'évaluation du recensement de la population. Un groupe de travail a examiné ce qui pouvait être réalisé et des réponses ont été apportées. Les enquêtes annuelles de recensement sont réalisées tous les ans, comme sur l'ensemble du territoire français.
Ensuite, la démographie spécifique de la Guyane est telle que cette méthode de recensement actualise un chiffre sur une année de référence, avec trois ans de décalage. En conséquence, trois ans de croissance de la population ne sont pas intégrés à l'instant t, mais cela ne relève pas de l'Insee : l'Insee calcule pour l'ensemble du territoire français des données qui permettent de comprendre la structuration de la population et la sociologie des territoires. Mais nous ne pouvons pas modifier pour un département la date de communication ou la date de référence du recensement.
En revanche, il doit être possible, sur un vecteur législatif, que les dotations globales en Guyane soient ajustées en fonction d'une estimation de l'évolution de la population. Mais une fois, encore, cela ne relève pas du ressort de l'Insee.
S'agissant de Sablance et de ces quartiers d'habitat informels, nous avons adapté les méthodes de recensement pour pouvoir mieux les prendre en compte. Lorsque nous identifions des quartiers d'habitat informels, nous recensons de manière exhaustive la partie de ces quartiers qui doit être recensée lors de l'année en question. Ces recensements sont effectués avec les communes, qui embauchent les agents recenseurs, lesquels sont formés par l'Insee, au même titre que les coordinateurs communaux. Ces agents recenseurs réalisent les recensements dans ces zones, sous l'autorité de la commune.
En résumé, je pense que l'Insee a apporté une réponse à la question posée par les élus guyanais.
Je ne peux pas laisser dire cela. Les communes recrutent, l'Insee forme, mais il indique également les lieux où il faut aller. Par conséquent, les collectivités se plaignent, car l'Insee ne suit pas les recommandations des personnes qui connaissent le terrain. Il s'agit là d'un grave problème.
En cinq ans, nous couvrons l'ensemble des quartiers du territoire. Nous ne pouvons pas changer chaque année les quartiers sur lesquels nous enquêtons.
Compte tenu de la définition des zones de collecte, les petites communes sont recensées une fois tous les cinq ans. Nous disposons en outre de données pour pouvoir extrapoler les zones qui ne sont pas couvertes.
Au sein de l'Insee, des échanges importants sont intervenus avec les élus guyanais, qui nous ont fait part de leurs préoccupations. L'Insee a bien indiqué les adaptations qui pouvaient être apportées, notamment pour le recensement exhaustif de zones d'habitat informel en forte croissance. Il s'agit bien là d'une adaptation locale de la méthode employée sur l'ensemble du territoire.
En revanche, la demande initiale d'un recensement exhaustif chaque année semblait hors de portée et hors de nos moyens. Il nous semblait préférable de proposer des adaptations tenant compte des réalités locales guyanaises, comme il en existe à Mayotte, plutôt que d'aller vers un modèle qui aurait par ailleurs nécessité un véhicule législatif.
Compte tenu des délais, les questions que je m'apprête à poser ne pourront pas être traitées oralement dans le cadre de cette séance. Cependant, j'attends de votre part des réponses écrites précises.
Pourquoi l'Insee ne systématise pas le recours à des chercheurs spécialistes de ces territoires dans ses grandes enquêtes, puisqu'elle manque de moyens ? Pourquoi l'Insee n'oblige-t-il pas systématiquement et automatiquement dans ses enquêtes la prise en compte du caractère spécifique des territoires ultramarins ?
Pour pouvoir comparer de manière robuste les niveaux de vie des populations, il faut disposer des séries de revenus par habitant en parité de pouvoir d'achat. L'Insee a-t-il calculé ce type d'indicateurs pour les outre-mer et l'Hexagone ? La même question se porte sur les indices de concentration des revenus de type Gini avant et après impôts. Êtes-vous parvenus à identifier des mécanismes, structurels ou conjoncturels, contribuant au renchérissement du coût de la vie dans les territoires ultramarins ?
Pour les territoires où vous êtes compétents, pouvez-vous nous fournir des statistiques harmonisées concernant le nombre de chômeurs, leur indemnisation, le nombre de bénéficiaires des différents revenus sociaux et des montants moyens (revenu de solidarité active, allocation aux adultes handicapés, revenu de solidarité spécifique aux DOM), le nombre et les montants des allocations familiales versées pour la dernière année disponible et les évolutions sur les dernières années ? Pouvez-vous nous fournir, au fur et à mesure de vos travaux, toutes les données utiles concernant les résultats de l'enquête de comparaison spatiale sur les niveaux de prix à la consommation actuellement en cours ?
Je ne vous juge pas, mais j'essaye d'avoir une analyse la plus fiable et la plus transparente du niveau d'activité et d'efficience de votre mission. Je ne remets pas en cause le niveau de fiabilité entre zéro et cent, mais je dis simplement qu'une amélioration de la fiabilité doit être mise en œuvre. À titre d'exemple, quand un produit est vendu 10 euros en France, il est vendu 14 euros en Martinique ou en Guadeloupe, compte tenu des effets de l'inflation structurelle de 40 %. Cette augmentation a été banalisée, mais elle doit absolument être prise en compte pour l'objectivité de vos statistiques, au-delà de l'inflation conjoncturelle.
Vous avez évoqué la surpondération des moyens dans nos territoires. Je souhaite obtenir la preuve de ce que vous avancez, pour une raison très simple : j'observe tellement peu d'études et de statistiques concernant nos territoires par rapport à la France hexagonale que j'ai du mal à entendre que plus de moyens y sont affectés.
Ensuite, vous indiquez être en coordination avec les autres structures de l'État au sujet des marges. De notre côté, nous tournons en rond. Quand je réalise un état factuel de la situation, j'observe que rien n'a changé en 2023 pour les problématiques sur lesquelles vous butez, c'est-à-dire la confidentialité de certaines informations, malgré l'existence de ces structures administratives. Ceci revient à discréditer l'État dans sa capacité de contrôle de ces oligopoles et de ces monopoles, dont nous savons qu'ils se consolident.
De quelles prérogatives avez-vous besoin pour que nous, parlementaires, nous puissions travailler afin d'apporter des réponses ? En effet, ces faiblesses nous décrédibilisent tous et affectent la dignité de nos populations. Dans le domaine de l'informel, j'aimerais obtenir des précisions sur l'autoconsommation et le « système D ».
Enfin, je le redis : la fiabilité d'une comparaison n'a de sens que si les paramètres choisis le sont, toutes choses égales par ailleurs. Vous ne prenez pas en compte la réalité sociodémographique.
Madame, Messieurs, je vous remercie. Vous comprenez de nos échanges la nécessité pour notre commission d'enquête de disposer d'éléments statistiques. Nous comptons sur l'Insee afin qu'elle nous fournisse ces données. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours et aux questions évoquées par M. le rapporteur ou moi-même aujourd'hui.
Pourrez-vous nous transmettre ces questions par écrit ? En effet, certaines d'entre elles nécessitent de nombreux chiffres.
La commission auditionne Mme Laurence Mouysset, vice-présidente de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France et de la chambre territoriale des comptes de Saint-Pierre-et-Miquelon, présidente de l'observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) de Saint-Pierre-et-Miquelon M. Guillaume-Armand Grasset, directeur des politiques publiques et Mme Ludivine Quédinet, cheffe du pôle coordination des politiques publiques au sein de la préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Nous poursuivons nos auditions en entendant par visioconférence les représentants de l'Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) de Saint-Pierre-et-Miquelon. Les OPMR ont pour mission d'analyser le niveau et la structure des prix et des revenus et de fournir aux pouvoirs publics une information régulière sur leur évolution.
Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Je vous informe que j'assiste également à cette audition.
(Mme Laurence Mouysset, Mme Ludivine Quédinet et M. Guillaume-Armand Grasset prêtent serment).
En tant que présidente de l'Observatoire des prix, des marges et des revenus de Saint-Pierre-et-Miquelon, il m'appartient de vous présenter les différentes actions conduites par notre OPMR, le plus petit des observatoires. Il concerne un territoire de moins de 6 000 habitants, qui s'étend sur 242 kilomètres carrés, particulièrement éloigné de la métropole. En tant que présidente, je travaille essentiellement par visioconférence et, depuis ma prise de fonction, je ne me suis rendue qu'une seule fois sur le territoire, en 2019.
La question du pouvoir d'achat est de plus en plus prégnante. Elle est essentielle pour l'ensemble de nos concitoyens, en particulier dans les territoires éloignés de la métropole comme Saint-Pierre-et-Miquelon, lesquels doivent faire à des coûts supplémentaires liés aux frais d'acheminement et de stockage.
Dans les collectivités territoriales relevant de l'article 73 de la Constitution, un OPMR a été créé. Il a pour objectif d'analyser le niveau et la structure des prix, des marges et des revenus. Il doit également fournir aux pouvoirs publics une information régulière sur leur évolution. Les articles L. 910-1 A à L. 910-1 J du code de commerce en déterminent précisément la sphère d'intervention.
Chaque OPMR est présidé par un membre du corps des magistrats des juridictions financières. J'ai été nommée par arrêté du premier président de la Cour des comptes le 3 juin 2019, pour une durée de cinq ans. Il s'agit donc d'une mission que je m'efforce de remplir parmi d'autres, puisque je suis par ailleurs vice-présidente de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France et de la chambre territoriale des comptes de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Quelles sont les particularités du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon en termes de coût de la vie et de régulation des marchés de l'acheminement et de la distribution ?
Ce territoire est marqué par son éloignement et il ne peut donc être essentiellement desservi que par la voie maritime. Il dépend également de la situation du dollar canadien, puisque beaucoup de produits distribués sur Saint-Pierre-et-Miquelon proviennent du Canada. Par le passé, le territoire a donc subi une inflation importée par ce biais, mais ce phénomène tend à se tasser. Enfin, compte tenu du faible nombre d'habitants, le marché est relativement étroit et parfois peu intéressant pour des grands groupes internationaux.
L'acheminement des marchandises par voie maritime s'effectue par une liaison faisant l'objet d'une concession de service public de l'État, à des conditions tarifaires fixées dans le cadre de cette concession.
L'évolution des prix à la consommation est plus élevée qu'en métropole, de l'ordre de 9 % en 2022, ce qui pèse sur le pouvoir d'achat des consommateurs.
Une des missions fixées à l'OPMR est d'émettre un avis facultatif éclairant les pouvoirs publics sur la politique économique et de cohésion sociale. Sur quelles problématiques avez-vous émis des avis ?
Depuis que j'ai pris la présidence de l'OPMR, celui-ci ne rend au préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon qu'un avis par an, portant sur le dispositif de bouclier qualité-prix (BQP). Il n'y a pas eu d'avis sur la politique économique ou de cohésion sociale.
Je confirme ces propos, étant en poste depuis 2011.
Quelle est la liaison faisant l'objet d'une concession de service public ? Êtes-vous en mesure de nous donner la répartition entre les produits issus du marché nord-américain et ceux provenant de l'Europe ?
Nous ne disposons pas de la répartition exacte, mais nous estimons qu'elle serait, en volume, pour moitié d'origine nord-américaine et pour moitié d'origine européenne. En valeur, cette répartition diffère, les produits de meilleure qualité venant plutôt d'Europe et les produits moins chers d'Amérique du Nord.
La concession de service public concerne l'approvisionnement entre le port canadien d'Halifax et le port de Saint-Pierre.
Absolument.
Dans d'autres territoires ultramarins, l'approvisionnement par le lointain à pour causes des exigences de normes, lesquelles renchérissent ainsi les prix. Est-ce aussi le cas pour Saint-Pierre-et-Miquelon ?
L'équivalence des normes avec le Canada fait effectivement partie des difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Cependant, nous sommes moins concernés par ce phénomène dans la mesure où il existe plus de normes équivalentes entre le Canada et l'Europe qu'avec d'autres territoires.
Vous faites partie d'un territoire d'outre-mer disposant de zones d'approvisionnement relativement proches. Comment expliquez-vous malgré tout l'inflation à Saint-Pierre-et-Miquelon ?
Les difficultés liées au transport maritime sont prégnantes. Bien que nous soyons géographiquement moins loin, je ne suis pas sûre que nous soyons les plus proches en termes de temps de trajet. Si la marchandise transite obligatoirement par le Canada, elle ne vient pas nécessairement directement de métropole. Les marchandises transitent par exemple régulièrement par d'autres trajectoires comme par Carthagène et arrivent plusieurs mois plus tard sur l'archipel, parfois déjà périmés. Ces contraintes sont subies par les commerçants, qui les répercutent ensuite sur les consommateurs par les prix.
Il convient d'ajouter le phénomène d'inflation importée en provenance du Canada, ce pays ayant fréquemment une inflation plus élevée qu'en métropole.
Comment sont organisés les accords entre le Canada et Saint-Pierre-et-Miquelon, notamment en matière d'approvisionnement ?
Je n'ai pas connaissance d'accords diplomatiques. Les commerçants et les importateurs négocient leurs propres accords avec leurs fournisseurs, qu'ils soient canadiens ou métropolitains.
Non. Simplement, nous ne menons pas de négociation spécifique en tant qu'État avec le Canada sur ce sujet.
Il existe pourtant bien un système de dédouanement et une vérification des produits importés du Canada, n'est-ce pas ?
Il existe bien un système de dédouanement et de vérification des produits à l'importation. Le droit français s'applique ; il n'existe pas d'accord spécifique avec le Canada.
Le droit français est pourtant différent du droit canadien. N'y a-t-il, au-delà des relations commerciales, aucun accord formel, politique ou diplomatique, entre ces deux territoires ?
Une coopération régionale existe bien, mais il n'existe pas d'accord en matière de normes. Il n'existe pas de dérogation particulière pour faire rentrer des produits canadiens qui ne correspondraient pas aux exigences de sécurité françaises, même si celle-ci est demandée par certains professionnels.
Si votre question porte sur le transit, l'immense majorité des produits passent par le Canada. Quelques affrètements aériens interviennent à certaines périodes de l'année pour des produits frais, mais ils sont épisodiques.
En revanche, des produits originaires de métropole transitent par le Canada. Tous les produits importés ne sont pas forcément originaires du Canada.
Le commerce électronique ou e-commerce se développe-t-il chez vous ? Permet-il de satisfaire davantage les besoins des consommateurs au-delà de l'offre de produits importés par les magasins du territoire ? Quel en est le coût ?
Il faut distinguer les importateurs commerciaux, qui reçoivent les produits par bateau, de l' e-commerce, qui concerne les particuliers qui se font surtout livrer par avion pour leur propre consommation. La Poste reçoit beaucoup de colis.
Nous ne disposons pas de chiffres précis sur le développement de l' e-commerce. Les coûts sont très variables selon les conditions des sites internet : certains ne desservant tout simplement pas Saint-Pierre-et-Miquelon, d'autres ont des tarifs spécifiques.
Certains sites internet livrent à Saint-Pierre-et-Miquelon en hors taxe. Des taxes sont donc ensuite appliquées à l'arrivée sur le territoire, mais cela reste intéressant pour le consommateur, y compris en prenant en compte le transport. Dans le cas contraire, qui concerne beaucoup de sites internet, il faut payer à nouveau la TVA et la taxe à l'entrée sur le territoire, ce qui fait vite augmenter le prix de la marchandise. Pour les enseignes qui ne livrent pas directement, les consommateurs cherchent un autre point de livraison en métropole, puis font ensuite acheminer le colis sur l'archipel. Les coûts s'en trouvent donc augmentés, la taxe étant payée sur la taxe sur la valeur ajoutée.
Le thème de cette commission d'enquête consiste à déterminer les causes de l'impact des prix sur les conditions de vie en outre-mer et à étudier les solutions qui peuvent y être apportées. L' e-commerce pose souvent une menace pour les commerces locaux. Cela est-il également le cas à Saint-Pierre-et-Miquelon ?
Il existe bien un sujet de la concurrence par l' e-commerce pour un certain nombre de produits. La question concerne ici non seulement le prix, mais également la disponibilité du produit véritablement souhaité par le consommateur. Mais nous ne l'avons pas précisément mesuré.
Avez-vous les moyens d'exercer votre mission en tant qu'OPMR ? Disposez-vous d'éléments statistiques sur la question des marges et des revenus ? Qu'entendez-vous faire pour conduire un diagnostic précis de la formation des prix, de manière à identifier les causes de l'augmentation du coût de la vie ? Réfléchissez-vous à des solutions pour y remédier ?
L'OPMR dispose de moyens humains limités. Je peux compter sur l'appui du pôle de coordination des politiques publiques de la direction des politiques publiques interministérielle. Trois personnes de la préfecture m'accompagnent dans l'office de présidence de cet observatoire. Ce service effectue également les relevés des prix et publie l'indice des prix à la consommation des ménages sur l'archipel.
Ensuite, nous avons lancé plusieurs types d'études depuis 2019. En 2022, nous avons engagé différents types d'étude, notamment grâce à l'appui d'un cabinet d'études extérieur, le cabinet DME, qui nous a permis de travailler sur les marges et la décomposition des prix. Les travaux de ce cabinet ont permis d'évaluer l'incidence des prix à l'importation et des marges dans la formation des prix à la consommation. Cette étude, présentée à l'Observatoire au cours de l'année 2022, nous a permis de tirer un certain nombre d'enseignements. Tout d'abord, l'inflation importée ne suffit pas à elle seule à expliquer la hausse des prix à la consommation. Ensuite, l'étude a souligné que les taux de marge avaient bien eu tendance à augmenter et que cette augmentation était en partie responsable de la hausse des prix. Les taux de marges commerciales sont en moyenne dans la norme de la métropole, mis à part l'agroalimentaire.
Par ailleurs, nous avons réalisé des études sur des portraits de consommateurs et de commerçants. Une enquête est actuellement en cours sur la comparaison spatiale des prix entre la métropole et l'archipel, dont les résultats sont attendus à la fin du premier semestre 2023. Cette étude est portée par l'Insee et concerne 444 produits relevés sur l'archipel, qui intégreront l'enquête sur les prix des biens et services marchands. L'objectif consiste ici à comparer les prix pratiqués à Saint-Pierre-et-Miquelon par rapport à d'autres territoires d'outre-mer.
Nous attendons de ces études qu'elles nous fournissent une image éclairée pour développer des plans d'action contre la vie chère. Ces études, qui ont été engagées sur la période 2021-2022, pourront vous être communiquées si vous le souhaitez.
Nous vous remercions de bien vouloir nous les faire parvenir.
Ensuite, en tant qu'OPMR, vous avez l'obligation de publier annuellement des données relatives au niveau et à la structure des coûts de passage portuaire. Disposez-vous de ces données ? Pourquoi ces données ne sont-elles pas publiées, alors qu'elles permettent de mieux comprendre ce point structurant de l'activité économique de Saint-Pierre-et-Miquelon ?
Chaque OPMR doit effectivement publier chaque année de telles données. À Saint-Pierre-et-Miquelon, l'essentiel de l'approvisionnement s'effectue par voie maritime et est régi par une concession de service public. Depuis le 9 janvier 2019, les tarifs n'avaient pas été revus. C'est la raison pour laquelle il ne nous avait pas paru indispensable de publier ces données. En revanche, un arrêté préfectoral du 30 juin 2022 a fixé le tarif général pour l'entrée ou la sortie des navires selon le volume du navire. Nous tenons cet arrêté à votre disposition et nous ferons le nécessaire pour que le consommateur puisse avoir une information la plus complète possible sur le niveau et la structure des coûts de passage portuaire.
Je précise que ces modifications tarifaires n'ont pas impacté la grille tarifaire de la concession de service public. Elles n'ont pas de répercussions directes sur le coût à l'importation des marchandises.
Est-il légitime de parler d'oligopole ou de monopole sur un territoire comme le vôtre ? Ensuite, pourquoi une seule enseigne a-t-elle participé au BQP ? Vous indiquez par ailleurs avoir proposé aux autres enseignes d'y participer. Quelle a été leur réponse ? En outre, dans le relevé de conclusion que vous avez transmis, il est indiqué que pour 60 % des consommateurs, les produits du BQP ne correspondent pas totalement à leurs attentes. Comment l'avez-vous déterminé ? Savez-vous quelles sont leurs attentes ? Comment y remédier ?
Vous avez raison : malheureusement, une seule enseigne participe au dispositif du BQP. Il s'agit du centre commercial Marcel Dagort, qui est depuis peu passé sous pavillon Super U. Dans les années qui ont suivi le développement du dispositif, cette enseigne a intégré le BQP, puis a été rejointe par une autre enseigne, située sur la partie haute de l'île, la commune de Miquelon.
Cet autre distributeur a ainsi accepté de participer, mais sur un dispositif allégé, c'est-à-dire sur seize produits à un prix global maximum de 45 euros, contre une cinquantaine pour le distributeur de Saint-Pierre. Malheureusement, dès 2017, cette deuxième enseigne n'a pas souhaité poursuivre ce dispositif. En effet, les commerçants ayant un débit plus limité ne souhaitent pas s'engager dans le dispositif du BQP, même avec un dispositif allégé, car ils craignent, en cas de rupture sur un produit, de ne pas pouvoir le remplacer par un produit équivalent. D'autres difficultés sont liées à l'acheminement des produits : parfois, certains petits commerçants ne parviennent pas à récupérer la marchandise dans un délai raisonnable. Dans d'autres cas, les produits arrivent périmés, ou n'arrivent jamais, car ils sont détournés et envoyés ailleurs.
L'avis rendu à ce sujet par l'OPMR au préfet fin 2022 lui demandait de continuer à améliorer, avec l'enseigne participante, la qualité des produits et leur prix, mais également de tenter de proposer le dispositif à d'autres commerçants. Malheureusement, si l'arrêté du 10 mars 2023 fixant les accords annuels de modération de prix sur les produits de grande consommation a bien atteint son objectif vis-à-vis du premier participant, force est de constater que le dispositif ne comprend à nouveau qu'une seule enseigne. Les petits commerçants ne s'engagent pas pour l'instant dans ce dispositif de lutte contre la vie chère, ce que je regrette.
Enfin, Mme Quédinet a diligenté un questionnaire sur la connaissance du dispositif BQP par les consommateurs. Nombre d'entre eux connaissent effectivement le dispositif, mais souhaitent que la liste des produits soit complétée par des produits biologiques ou bio et des produits frais. Sur les cinquante-cinq produits sur lesquels porte l'accord signé au début du mois de mars, on dénombre seulement sept produits frais et deux produits bio (oignons et pâte à tartiner). Ainsi, si les consommateurs, en période de forte tension inflationniste, se tournent vers ce dispositif – par ailleurs récemment fortement scruté au niveau national –, il est difficile de l'étendre à d'avantage de produits, puisque seule une enseigne y participe.
S'agissant des accords BQP, comme chaque année, nous sommes allés voir l'ensemble des commerçants. L'un d'entre eux, à Miquelon, avait l'intention de participer au dispositif, mais cela n'a pas pu se faire au dernier moment. Si la circulaire avait pu être disponible plus tôt, nous aurions sans doute pu le convaincre. Néanmoins, nous sommes confiants pour l'année prochaine.
Par ailleurs, il convient de préciser que 66 % des consommateurs ont répondu à l'enquête de satisfaction. Ils indiquent que le BQP ne correspond pas totalement à leurs attentes, ce qui signifie malgré tout que le taux de satisfaction est plutôt bon. De manière générale, le BQP semble néanmoins adapté aux consommateurs, puisque les 55 produits de cette liste représentent plus de 5,5 % du chiffre d'affaires de la plus grande enseigne de l'île.
En tant qu'OPMR, quelles préconisations pouvez-vous effectuer pour augmenter le pouvoir d'achat des populations de votre territoire ?
Hormis le BQP, je ne peux pas actionner de leviers supplémentaires. En revanche, nous pouvons tirer des enseignements du dispositif mis en place au titre de la lutte contre la vie chère et de la conférence sur le pouvoir d'achat.
L'OPMR est partie prenante de la discussion qui a précédé la charte relative à un accord en faveur de pouvoir d'achat, mais les engagements qu'elle contient visent aussi d'autres acteurs. Cette charte comporte en effet des engagements forts pris par l'État, au titre de l'aide au fuel, ainsi que par la collectivité territoriale. De manière combinée, les aides de l'État et de la collectivité territoriale s'élèvent ainsi à 750 000 euros. En outre, un accroissement de l'aide alimentaire (50 000 euros) a été rendu possible à destination de 660 bénéficiaires. Les conditions d'accès à cette aide ont de plus été assouplies et ont permis d'ouvrir l'aide au chauffage (qui était jusque-là réservée aux plus de 60 ans), dès lors que les plafonds de ressources étaient respectés. La collectivité territoriale a également délibéré en faveur d'un gel des loyers des logements d'habitation soumis au droit privé jusqu'au 30 juin 2023.
Enfin, le préfet envisage d'engager une étude détaillée sur la structuration des prix, en complément de celle réalisée dans le cadre de l'OPMR. Cette étude, portée par l'État et la collectivité territoriale, impliquera également le cabinet DME. Elle s'attachera à comprendre les différents postes de coût et permettra de proposer des solutions pour lutter contre l'inflation (évaluation des prix sur l'ensemble de la chaîne logistique et les marges applicables). Un cahier des charges est en cours de rédaction.
Cette étude présente l'avantage d'être menée conjointement avec la collectivité territoriale. En conséquence, le cabinet aura accès à un plus grand nombre de données douanières. Nous espérons donc que les résultats nous fourniront plus de pistes d'intervention pour l'avenir.
Enfin, sous couvert de confidentialité, des commerçants dénoncent des manœuvres dont ils font l'objet de la part de leurs fournisseurs, qui les contraignent à effectuer des achats à des prix plus élevés en contrepartie de dates limite de consommation plus tardives, parfois pour des produits de qualité similaire. En outre, ils doivent régler les marchandises dès l'achat, malgré les délais d'approvisionnement, ce qui les contraint à des sorties de trésorerie élevées avant de pouvoir commencer à récupérer de l'argent lors de la vente de la marchandise.
Concernant le suivi de la concession de service public, nous nous apprêtons à lancer une étude sur les coûts d'acheminement et les circuits utilisés avant que les produits n'arrivent à Halifax.
Oui, l'étude permettra de distinguer la marchandise canadienne de la marchandise originaire d'Europe. Il s'agit de voir si le circuit logistique peut être amélioré.
Mesdames, Monsieur, je vous remercie de votre contribution. Nous comptons sur vous pour répondre par écrit aux questions complémentaires qui vous ont été adressées par le rapporteur.
La commission auditionne M. Patrick Plantard, président de section des chambres régionales et territoriales des comptes, président des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, M. Sylvain Beaubois, responsable étude, information, observation et évaluation à la préfecture de Guyane, chargé du secrétariat de l'OPMR de Guyane, Mme Laurence Gola de Monchy, secrétaire générale de la préfecture de la Martinique, et M. Marc Solinhac, chef de bureau de la réglementation économique à la préfecture de la Martinique, chargés du secrétariat de l'OPMR de la Martinique.
Nous achevons nos auditions en entendant les représentants des cinq observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Les OPMR ont pour mission d'analyser le niveau et la structure des prix et des revenus, et de fournir aux pouvoirs publics une information régulière sur leur évolution.
Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Patrick Plantard, M. Sylvain Beaubois, Mme Laurence Gola de Monchy et M. Marc Solinhac prêtent serment).
Les OMPR ont été initialement créés en tant qu'observatoires des prix et des revenus (OPR) en 2000, sous la présidence du préfet. En 2009, après la crise sociale en Guyane, qui s'est ensuite étendue à la Guadeloupe, à la Martinique et à la Réunion, se sont tenus des États généraux de l'outre-mer, lesquels ont placé les OPR sous la présidence jugée plus neutre d'un magistrat président de la Chambre régionale des comptes.
À l'époque, trois magistrats avaient été désignés aux Antilles et en Guyane, soit un pour chaque territoire, les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy étant rattachées à la Guadeloupe. En 2012, les marges ont été prises en comptes, les observatoires devenant alors les OPMR. En 2016, un décret a créé des observatoires pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, mais ce n'est qu'en 2019 qu'ils ont été installés. Ils sont depuis en sommeil.
Les OPMR ont pour objet d'analyser le niveau et la structure des prix, des marges et des revenus sur chacun dans cinq territoires et de fournir ainsi aux pouvoirs publics et à la population une information régulière sur leur évolution. Cette information passe par un avis rendu dans le cadre du bouclier qualité-prix (BQP), qui précède les négociations menées par la préfecture auxquelles l'OPMR ne participe pas selon les textes.
L'OPMR est censé publier des données portant sur les niveaux et la structure des coûts de passage portuaire. Dans les faits, ces publications ne sont pas intervenues, car nous n'avons pas accès à ces informations. Nous sommes régulièrement confrontés au refus des différents opérateurs économiques, qui ne veulent pas nous communiquer ces informations. L'OPMR est cependant informé de toutes réglementations sur les marchés ou l'encadrement des prix, notamment celui des carburants et des bouteilles de gaz.
L'OPMR peut également publier des rapports thématiques, soit à la demande de son président, soit à la demande de ses membres. Ces derniers sont les parlementaires, les présidents de collectivités, les représentants de l'État (directeurs des finances publiques, directeur de la deets, de l'Insee et de l'Iedom), les présidents de comité économique et social, des représentants des organisations syndicales (patronales et salariés) et des personnes qualifiées.
L'OPMR se réunit au moins une fois par an lors de sa plénière ; mais en règle générale, nous nous réunissons trois ou quatre fois dans l'année en fonction des besoins. Actuellement, les réunions sont plus nombreuses en Martinique et en Guadeloupe qu'en Guyane, compte tenu des distances et des contraintes de déplacement. Aucune réunion ne s'est tenue depuis deux ans à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. J'assure la présidence des cinq OPMR et chaque préfecture met à disposition un équivalent temps plein (ETP), qui assure le secrétariat de l'OPMR. Généralement l'agent en question est aussi celui qui organise des débats dans le cadre des négociations annuelles pour le BQP. Suivant les territoires, le budget de l'OPMR est environ de 50 000 euros et il est géré par chaque préfecture.
Pourquoi avoir fait le choix d'un même et unique président pour ces cinq territoires singulièrement différents ?
Chaque président d'OPMR est nommé par le président de la Cour des comptes sur proposition du président de la chambre régionale des comptes. Il existe cinq chambres, une par territoire, sur le même modèle que les OPMR. Nous sommes donc dix magistrats pour l'ensemble de ces territoires. Initialement, il y a avait trois présidents : un pour la Martinique, un pour la Guadeloupe et un pour la Guyane. Ensuite, un autre président de chambre a choisi de confier l'ensemble des OPMR à un seul magistrat ; puis ceux-ci ont été dédiés au président de section, qui fait aussi office de vice-président de la chambre. L'objectif recherché ici était la spécialisation de ce magistrat, qui peut avoir une expérience sur les cinq territoires. En contrepartie, cette présidence me mobilise beaucoup, compte tenu des tâches qui me sont par ailleurs assignées. Je fais cela sur mes loisirs, en quelque sorte.
On peut le formuler de cette manière.
Le paradoxe est le suivant : l'OPMR est censé se nourrir d'informations, mais selon ce que vous nous avez indiqué, vous n'avez pas accès aux informations relatives aux marges et aux revenus. Que faites-vous pour y remédier ?
Les OPMR ont tenté de passer des marchés pour mesurer les marges des différents opérateurs de la chaîne de formation des prix. Mais à chaque fois, nous avons au mieux réussi à passer un seul marché. Cette année, nous avons ainsi tenté d'en faire de même, sous la houlette de l'OPMR de Martinique. Concrètement, la préfecture a mis des moyens à disposition pour passer ce marché, afin d'analyser les marges entre les sorties d'usine et les ventes chez les commerçants. Malheureusement, le secret des affaires nous a été opposé, comme cela avait été le cas pour mes prédécesseurs. Il nous a été rétorqué que nous n'étions pas habilités à accéder à ces données. Nous avons donc dû abandonner, en sachant que nous avions également regroupé l'OPMR de Guadeloupe et celui de Guyane dans cette opération, compte tenu de nos contraintes budgétaires.
Je lis dans vos propos un aveu d'impuissance pour un outil ne disposant pas de moyens à la hauteur d'un périmètre géographique immense. Concrètement, vous avez abandonné, alors que la mission de l'État devrait se poursuivre. Ces marchés que vous avez tenté de nouer étaient-ils passés avec l'Insee ou avec un prestataire privé ?
A l'instar de l'OPMR de la Réunion, pourquoi n'avez-vous pas établi un conventionnement avec l'Insee, afin qu'il puisse mener ces analyses, notamment sur l'accumulation des marges à travers l'actionnariat des entreprises et connaître les oligopoles et les monopoles en présence ? Enfin, en dehors de l'impuissance affichée, quelles propositions formulez-vous pour que les parlementaires puissent se saisir de ce sujet et régler définitivement les problèmes que vous évoquez ?
Si nous voulons faire réaliser une étude spécifique payante par l'Insee, il convient d'abord d'établir un cahier des charges et ensuite obtenir le budget nécessaire pour financer l'opération. Aujourd'hui, nous nous heurtons au même problème : nous manquons de moyens humains pour rédiger un cahier des charges et assurer le suivi. Nous n'avons pas forcément les moyens, ni en termes de temps, ni en termes de budget. Nous pourrions faire plus si nous disposions d'un ETP à temps plein associé à un budget spécifique.
Avez-vous fait remonter les besoins en moyens ? À qui ? Pouvons-nous avoir les traces de ces remontées à vos supérieurs, de manière à voir dans quelle mesure nous pouvons intervenir ? Au-delà de la question des moyens, l'outil est aujourd'hui sans objet. Néanmoins, pouvez-vous nous fournir des préconisations ?
Les études fournies par l'Insee ou l'Iedom sont de bonne qualité concernant l'évolution des prix sur notre territoire. En revanche, la question est beaucoup plus compliquée pour les marges. Par ailleurs, je n'ai pas effectué de remontées particulières pour le moment.
Avez-vous été conduits à donner un avis sur la constitution du nouveau BQP+ ? En tant que magistrat de la chambre régionale des comptes, vous avez une connaissance aiguë des économies sur lesquelles vous travaillez. Vous est-il arrivé de saisir l'Autorité de la concurrence sur telle ou telle situation ?
Je n'ai jamais saisi l'Autorité de la concurrence et aucun de mes prédécesseurs ne l'a fait, à ma connaissance. L'OPMR a été associé au BQP+, avec des degrés de participation différents selon les préfectures. En Martinique, la participation est assez importante, mais elle l'est beaucoup moins en Guyane. En Guadeloupe, cela dépend des intervenants. Normalement, les discussions du BQP+ sont confiées à l'État : les textes ne prévoient pas que le président de l'OPMR soit présent. Le préfet ou son représentant peuvent néanmoins inviter le président à participer aux réunions, qui sont longues et difficiles. Enfin, les contraintes de déplacement, notamment en Guyane, limitent de facto les participations.
Puisque vous êtes magistrat, pouvez-vous nous indiquer quels outils juridiques peuvent permettre de nous intéresser à la structure financière des prix ? N'existe-t-il pas un moyen d'obliger les entreprises à fournir ces informations ? En effet, nous avons vraiment besoin de savoir ce qui se passe, compte tenu des conséquences sur nos populations.
Ensuite, je ne comprends pas que l'on ne puisse pas financer votre déplacement pour participer aux réunions en Guyane. Encore une fois, la Guyane est le dernier territoire considéré. M. Beaubois, pouvez-vous nous expliquer pourquoi la préfecture de Guyane n'arrive pas à débloquer les fonds ?
En Guyane, notre budget est limité et ne nous permet pas forcément de faire venir le président de l'OPMR de manière très régulière. Cependant, la vice-présidente de l'OPMR, représentante des associations de consommateurs, Madame Monique Guard, participe aux réunions. Les outils de visioconférence pourraient nous permettre de faire mieux.
Je tiens à revenir sur un point qui me paraît paradoxal. L'OPMR n'a pas accès à l'information, mais il a le pouvoir de saisir l'Autorité de la concurrence. Pourtant, cela n'a jamais été fait. Comment expliquez-vous cette situation ?
L'Autorité de la concurrence peut uniquement être saisie sur des cas concrets, pas sur un accès général. Or dans le cas d'espèce, il faudrait la saisir sur l'ensemble des opérateurs de la chaîne, ce qui paraît difficile. En outre, j'ignore si l'Autorité de la concurrence aurait les moyens de nous fournir les agents nécessaires pour mener à bien cette mission. J'ajoute que l'OPMR ne dispose pas de moyens de coercition : la loi ne prévoit pas que l'on exige la transmission de ces données. En revanche, l'Autorité de la concurrence peut le faire ; elle a d'ailleurs produit un rapport très complet sur les marges en 2019, sur lequel l'OPMR s'appuie d'ailleurs.
J'entends bien. En revanche la loi prévoit que, dans le cadre de la négociation du BQP, les préfets doivent saisir les OPMR concernés et recevoir leur avis. J'imagine donc que vous avez produit un avis sur chacun des BQP.
Tout à fait. L'avis sur la Martinique a été signé et publié. Ceux de la Guyane et de la Guadeloupe seront signés dans les prochains jours. Dans ces domaines, je dispose de toutes les informations. Mais le BQP ne porte pas sur les marges. Il concerne un panier de produits qui est arrêté chaque année par la préfecture et les distributeurs. Les services de l'État vérifient ensuite que les prix sur lesquels se sont engagés les distributeurs sont bien mis en œuvre. Pour ma part, je reçois le compte-rendu de chacun des services qui effectuent les contrôles et je peux émettre un avis à la lumière des statistiques qui me sont fournies.
Cela signifie donc que le gain de pouvoir d'achat rendu possible par le BQP donne une indication sur une partie des marges des distributeurs. Avez-vous une idée de la réduction des prix engendrée par le BQP ?
Je laisse la préfecture de la Martinique répondre sur ce sujet.
Nous menons actuellement la renégociation du BQP, ayant reçu la circulaire de notre ministère il y a quelques jours. Nous travaillons de manière étroite avec M. Plantard, que nous faisons venir régulièrement. Nous estimons en effet qu'il est important que le président de l'OPMR soit présent pour valider les travaux que nous réalisons avec l'ensemble de la chaîne de distribution de la Martinique.
Le ministre des outre-mer avait demandé qu'un bouclier renforcé soir mis en œuvre. Nous avons travaillé près de quatre mois sur ce dossier, en réunissant l'ensemble des distributeurs de l'île, les grossistes, les transitaires, le grand port et la CMA CGM. Notre objectif consiste à proposer un panier-type de produits de première nécessité, mais également des produits de qualité. Nous souhaitons mettre en œuvre des produits pour les plus nécessiteux.
À la Martinique, il existe trois types de paniers :
– un panier de 134 produits pour les grandes surfaces, à 390 euros ;
– un panier de 72 produits pour les moyennes surfaces, à 260 euros ;
– un panier de 35 produits pour les supérettes, à 110 euros.
Nous avons réussi à calculer la baisse octroyée dans le cadre de ce BQP élargi : les prix ont baissé de 4 %. Dans le cadre de ce BQP, nous avions intégré une clause de revoyure. Nous avons commencé les discussions il y a quelques jours et nous attendons les retours des distributeurs. En outre, la circulaire nous demande de mettre en œuvre un BQP pour les services.
La connexion avec Mme Laurence Gola de Monchy est interrompue.
Faute de moyens, il a été décidé de manière unilatérale de s'affranchir du mode de fonctionnement normal pour la Guyane et tout le monde semble s'en accommoder. J'y vois malgré tout un vrai problème en Guyane, sous couvert de manque de moyens. Cela n'est pas sérieux. Si j'ai bien compris, chaque OPMR disposait initialement d'un magistrat. Aujourd'hui, M. Plantard, vous êtes président de cinq OPMR.
Il n'y a pas moins de moyens en Guyane que sur les autres territoires, mais nous avons adapté notre manière de travailler à la géographie du territoire. Nous rencontrons par ailleurs la même difficulté pour les chambres régionales des comptes : elles sont au nombre de cinq, mais tous les magistrats sont basés aux Abymes, à côté de Pointe-à-Pitre. De fait, il nous est plus facile de nous déplacer en Guadeloupe ou d'aller en Martinique, à une demi-heure de vol, que d'aller en Guyane. Nous compensons nos moindres déplacements par des visioconférences et des appels. Malheureusement, cela ne revient pas au même. Je me rends six à sept fois par an en Martinique, mais seulement une ou deux fois en Guyane.
Vous n'avez pas répondu à l'une de mes questions. Pouvez-vous nous faire parvenir les traces des demandes de moyens que vous avez effectuées pour marquer l'impossibilité d'exercer votre mission sur les cinq OPMR ? Ensuite, quels sont les rapports d'analyse que vous pouvez nous faire parvenir pour chaque OPMR ? Nous souhaiterions savoir de quels sujets nous pouvons parler.
Ensuite, l'activité des cinq OPMR que vous dirigez ne fait l'objet d'aucun site internet ou d'un récapitulatif accessible aux citoyens. En outre, notre demande de documentation sur les activités de l'OPMR de Martinique n'a pas reçu de réponse. Pourquoi ne pas publier le rapport annuel et les rapports particuliers que vous adoptez ?
De plus, chaque OPMR a l'obligation de publier annuellement des données relatives au niveau et à la structure des coûts de passage portuaire. Disposez-vous de ces données ? Pourquoi ne sont-elles pas non plus publiées ?
Enfin, l'Autorité de la concurrence déplore un manque de saisine de la part des OPMR. De votre côté, vous avez reconnu ne pas l'avoir saisie. Chaque outil d'État est censé remplir sa part de mission pour éviter que les oligopoles et les monopoles se développent, ce qui est malheureusement le cas actuellement. Or je pense que vous disposez malgré tout d'un minimum d'accès aux informations vous permettant d'avoir des indications sur les positions dominantes dans le transport maritime ou dans d'autres domaines de la vie économique. Pourquoi, sur cette base minimale, ne saisissez-vous pas l'Autorité de la concurrence qui a toutes les prérogatives pour accéder aux informations nécessaires au contrôle ?
Il n'existe pas de site internet dédié aux OPMR. Le site est normalement hébergé sur la page de chaque préfecture. La Martinique est le territoire qui met le plus en ligne les avis. En Guyane, nous avons passé l'année dernière un marché pour disposer d'un site permettant de mettre en ligne les avis de l'OPMR, ainsi que les prix arrêtés dans le cadre du BQP. Les distributeurs fourniront les prix censés être appliqués et les consommateurs pourront confirmer ou infirmer en ligne la réalité des prix en fonction de leurs constatations. Si ce site pilote donne satisfaction en Guyane, je proposerai de mettre le même produit en place dans les autres OPMR.
Enfin, la saisine de l'Autorité de la concurrence n'a jamais été effectuée par mes prédécesseurs ni par moi-même. Je retiens que je pourrai l'envisager.
Vous nous avez indiqué que vous exercez cette mission à titre quasi bénévole et que l'OPMR manque de moyens en rapport avec son périmètre géographique. De plus, vous fonctionnez avec l'aide des préfectures, alors qu'il me semble que l'OPMR doit être un outil indépendant. Qu'avez-vous à nous dire dans ce domaine ?
À la Martinique, vous avis figurent sur le site de la préfecture, mais en revanche, vous ne participez pas à la phase de négociation entre le préfet et les grands distributeurs. Sauf erreur de ma part, un autre mode de fonctionnement a été mis en place à la Réunion, où une délégation de l'OPMR participe à la négociation des prix.
Les textes ne prévoient pas que le président de l'OPMR participe à ces négociations. Toutefois, les préfectures peuvent inviter le président ou les vice-présidents de l'OPMR. Pour ma part, je dispose de trois vice-présidents. Le vice-président de la Martinique est un personnel qualifié, journaliste de profession. En Guyane, la vice-présidente est en place depuis la création ; elle est présidente d'une association de consommateurs. En Guadeloupe, mon vice-président est représentant des petites entreprises ; il est propriétaire de trois supermarchés. Ce dernier participe aux négociations et je dispose donc des informations même si je n'y participe pas.
En Martinique, je suis invité régulièrement par la préfecture aux négociations du BQP et BQP+. En Guyane, la préfecture est moins proactive sur le sujet. À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, je ne dispose plus de secrétaire, mais je lutte pour en avoir un à nouveau. Enfin, à Saint-Barthélemy, la question des prix ne se pose pas forcément comme dans les autres territoires, même si les habitants sont confrontés à des problématiques de logement.
Je transmets la parole à la secrétaire générale de la préfecture de la Martinique, dont l'intervention a précédemment été interrompue par un problème technique.
Nous avons recommencé les négociations avec les distributeurs et le dialogue est assez difficile pour maintenir le panier avec des produits de qualité. Nous poursuivons nos travaux afin de pouvoir signer l'arrêté du BQP 2023 avant le 30 avril, conformément à la circulaire du ministère des outre-mer.
Je tiens à évoquer à nouveau l'exemple de la Réunion, où le président de l'OPMR s'inscrit dans une dynamique très différente.
Par ailleurs, il n'existe finalement pas de coordination entre les différents outils d'État qui doivent pourtant servir les populations et la démocratie économique. Transmettez-nous vos rapports, mais indiquez-nous également ce qui vous fait défaut. Je déplore que les cinq OPMR dont vous avez la charge se retrouvent vidés, incapables et totalement impuissants. Cette décrédibilisation de l'État est inacceptable. Il est donc nécessaire de mettre en place des initiatives, d'autant plus que d'autres OPMR fonctionnent ailleurs, même lorsqu'ils manquent de moyens. Je pense encore une fois à la Réunion.
La mission de service public que l'OPMR doit assumer ne peut pas être affectée par des manquements aussi importants et une telle inactivité, au détriment de l'intérêt général. Dans nos territoires, la situation est catastrophique en termes de pauvreté et de précarité.
Je vous invite sincèrement à trouver les voies et moyens pour saisir les autorités ou permettre à d'autres de faire en sorte que cet outil puisse véritablement fonctionner. Il n'est pas normal que l'État, à travers les OPMR, soit absent des problématiques de marge et de revenu dans nos territoires.
Je vous ferai suivre l'ensemble des documents qui sont à ma disposition.
Madame, Messieurs, je vous remercie de vous être rendus disponibles. Je m'associe aux demandes du rapporteur sur la fourniture de ces documents, ne serait-ce pour que nous puissions nous-mêmes souligner le caractère anormal de la situation et le manque de moyens dont vous souffrez. Nous souhaiterions enfin que vous nous adressiez les liens internet qui ont été évoqués précédemment.
Je clos formellement cette audition. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête et en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours pour préparer cette audition.
Nos auditions reprendront jeudi 6 avril prochain.
La séance s'achève à dix-huit heures.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Frantz Gumbs, M. Johnny Hajjar, M. Philippe Naillet, Mme Maud Petit, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Guillaume Vuilletet.
Excusés. – M. Perceval Gaillard, M. Philippe Gosselin, M. Mansour Kamardine, M. Nicolas Metzdorf, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Claire Pitollat, M. Mikaele Seo, Mme Estelle Youssouffa.
Assistaient également à la réunion. – M. Jean-Victor Castor, M. Jiovanny William.