La séance est ouverte à neuf heures trente.
(Mme Isabelle Rauch, Présidente)
La commission examine la proposition de loi visant à instituer dans les écoles et collèges publics le port d'une tenue uniforme aux couleurs de l'établissement scolaire (n° 254) (M. Roger Chudeau, rapporteur).
Mes chers collègues, je voudrais vous convier à prendre un peu de recul et de hauteur avec l'objet premier de cette proposition de loi : l'obligation du port d'une tenue uniforme aux couleurs de l'établissement scolaire pour nos écoliers et collégiens de l'enseignement public.
La IIIe République a voulu une école publique et laïque, une instruction obligatoire et gratuite, dispensant un enseignement de nature scientifique, dans une visée émancipatrice et progressiste inspirée des universaux des Lumières. Marque du génie politique de nos prédécesseurs, l'école publique a conforté, fortifié et installé définitivement l'idée républicaine dans l'esprit et le cœur du peuple français.
Notre système éducatif a relevé au long du XXe siècle tous les défis auxquels fut confrontée la nation : élévation continue du niveau d'instruction des Français, accompagnement des progrès scientifiques et techniques, mobilité sociale par le mérite scolaire, transmission des valeurs fondatrices de notre civilisation. Des historiens tels que Pierre Nora, Fernand Braudel ou Pierre Chaunu l'ont abondamment documenté : c'est largement grâce à notre système éducatif, à l'époque l'un des meilleurs au monde, que notre pays a pu traverser les immenses épreuves des deux conflits mondiaux et leurs conséquences sociales, économiques, politiques, géopolitiques, et s'en relever.
Ce que nous sommes aujourd'hui, nous le devons à l'école de la République. Elle est littéralement un bien commun, non seulement parce que tous les Français lui confient l'éducation de la chair de leur chair, mais aussi parce qu'elle est au sens propre une institution qui permet le « vivre ensemble » cher à Renan et qui fait de nous une nation.
À ce titre, l'école est un espace aussi sacré que celui où nous avons l'honneur de siéger. Ce sanctuaire doit être protégé des entreprises centrifuges qui le menacent, au même titre que notre cohésion sociale et nationale. La marchandisation généralisée des échanges entre les humains, l'omniprésence d'une vision du monde centrée sur l'individu, considéré comme le consommateur-roi au sein d'un marché mondialisé, produisent des effets délétères sur les comportements individuels. Ceci trouve évidemment sa traduction dans nos écoles : omniprésence des réseaux sociaux et de leur cortège de désinformation, de propagande, de harcèlement, de tentatives commerciales, politiques et religieuses d'influencer nos enfants ; dictature de la mode, du soft power anglo-saxon, de l'émotion, de l'immédiateté. Nos enfants sont une pâte bien malléable pour les Gafam, les géants du numérique, et tous les vecteurs de l'individualisme, de l'égocentrisme et du narcissisme.
Les professeurs témoignent régulièrement des difficultés de concentration des élèves, des tensions et rivalités liées à des questions vestimentaires ou de style de vie, conduisant parfois à des harcèlements ou des violences. L'éparpillement mental, moral et social des élèves est tel qu'il devient difficile de parler de classe, de faire la classe, d'enseigner.
À l'inverse, comme en réaction au confusionnisme généralisé, une idéologie politico-religieuse prend pied peu à peu jusqu'au sein de l'institution scolaire. Dans les territoires perdus de la République, dans les « territoires conquis de l'islamisme » décrits de manière saisissante par Bernard Rougier, l'islamisme radical étend son emprise. Cette idéologie est de nature intrinsèquement totalitaire, comme l'admettent la plupart des politologues. La montée de l'islamisme dans nos établissements scolaires n'est pas un phantasme. Ceux qui la décrivent, ce sont les personnels de l'Éducation nationale, l'institution scolaire elle-même, nos organes de sécurité intérieure dans des notes toutes récentes, ou le Président de la République dans son discours des Mureaux sur le séparatisme. L'école est devenue une citadelle assiégée.
L'école de la République, naguère fière institution nationale, unanimement respectée pour sa rigueur, mais aussi pour son sens de la justice et du mérite, notre école, socle et pilier de notre société, est en voie de déclassement et ce processus semble s'accélérer. Ai-je besoin d'entamer la triste litanie de nos médiocrités scolaires ? Pisa (programme international pour le suivi des acquis des élèves), Pirls (programme international de recherche en lecture scolaire), Timss (tendances dans l'étude des mathématiques et des sciences), Cedre (Collectif de l'enseignement à distance responsable et engagé), JDC (journée défense et citoyenneté) : tels sont les acronymes qui, session de tests après session de tests, signent la descente aux enfers de notre système éducatif. Dans les comparaisons internationales, nous sommes classés à des rangs médiocres, parfois même en queue de peloton. Les JDC font état d'un taux d'illettrisme de 11 % chez nos jeunes âgés de 17 ans, et 25 % d'entre eux éprouvent, comme on dit pudiquement, des « difficultés de lecture ». Dans le document budgétaire de la mission Enseignement scolaire pour 2023, il est indiqué au détour d'une phrase, que la moitié des élèves entrant au collège ne maîtrisent pas la lecture fluide, ce qu'ont confirmé les représentants de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance devant la mission d'information chargée de dresser un panorama et un bilan de l'éducation prioritaire.
Il n'est pas ici question de se complaire dans des prédictions déclinistes ou catastrophistes, mais simplement de vous convier à un exercice de lucidité. Convenons-en, la maison brûle et nous regardons ailleurs.
Le temps de la refondation de notre école est donc venu. C'est précisément ce à quoi prétend contribuer, modestement mais résolument, la proposition de loi (PPL) que je soumets à votre examen – une simple pierre apportée à l'édifice.
Cette PPL est toute simple. Sa portée cependant devrait être inversement proportionnelle à sa concision. Son article unique vise à instaurer une tenue uniforme d'établissement pour tous les écoliers et collégiens de l'enseignement public. Il s'agirait d'une obligation légale, pour le temps scolaire. Chaque conseil d'école ou chaque conseil d'administration de collège arrêterait lui-même la coupe, la couleur, l'aspect de la tenue d'établissement – une tenue d'été, une tenue d'hiver et une tenue de sport. La loi entrerait en application à la prochaine rentrée pour permettre aux écoles, aux collèges et aux familles de prendre leurs dispositions.
Le signal envoyé est symbolique et connaît une déclinaison pratique. L'école de la République ne connaît que des élèves. Les distinctions sociales, de fortune et de culture que manifestent les tenues civiles, comme des marqueurs sociaux et culturels, sont effacées symboliquement et pratiquement. Lorsqu'un enfant franchit le seuil de son école, il change de statut : il devient un élève et il en revêt la tenue.
Cette tenue, partout où elle est déjà portée, en France ou à l'étranger, est un motif de fierté pour les élèves, car elle les identifie à l'institution qui les éduque. C'en est fini des rivalités entre marques de vêtements ou de chaussures, des petits rackets et des tentatives d'imposer des tenues de facture religieuse dans nos collèges publics. L'école redevient visuellement et symboliquement le sanctuaire républicain du savoir, du travail scolaire, de la construction de l'intelligence et de l'autonomie de l'élève qu'elle doit être.
Il n'est donc pas indifférent que le texte que nous examinons soit une proposition et non un projet de loi. Symboliquement, la représentation nationale a ici l'occasion de montrer que le peuple français n'entend pas laisser son école glisser sur la pente du déclassement.
Certes, cette PPL ne saurait régler à elle seule les immenses problèmes qui affectent aujourd'hui l'école. Il s'agit d'un signal politique destiné à faire pièce aux forces centrifuges qui abîment l'école et à montrer notre volonté de sanctuariser l'école de la République. Jean Zay n'écrivait-il pas, dans sa circulaire du 31 décembre 1936, que « les écoles doivent rester l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » ?
Je veux croire que, sur ce texte, une majorité est possible. La question de l'uniforme scolaire a déjà été soulevée par diverses majorités, en 2003, en 2013 et en 2017. Récemment encore, le ministre Blanquer évoquait une tenue vestimentaire « républicaine ». Les Républicains ont déposé nombre de propositions de loi sur cette question, et je me suis inspiré de leur travail. Il semble même que le groupe Renaissance s'interroge ces derniers temps. Le ministre, enfin, a indiqué être prêt à « y réfléchir » devant notre commission.
Cette obligation semble scolairement, socialement et politiquement acceptable. Elle est, du reste, attendue par 63 % de nos compatriotes.
Au-delà de nos différences et de nos divergences, je vous invite à adopter cette proposition de loi et à faire aujourd'hui un choix éclairé, entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, pour que vive l'école de la République.
Monsieur le rapporteur, nous ne sommes guère étonnés de votre proposition, puisque cette mesure figurait dans le programme présidentiel de Marine Le Pen, tout comme la définition législative du contenu des enseignements, la suppression des enseignements de langue et de culture d'origine, ou encore celle des discriminations positives.
Ce texte pose plusieurs problèmes, à commencer par celui de la généralisation. Même là où la tradition de la tenue scolaire est solidement ancrée, elle n'est jamais généralisée. Ainsi, seuls 22 % des établissements publics des États-Unis, et un tiers en Martinique, l'imposent.
Par ailleurs, la tenue réglementaire serait financée par les familles. Or, dans vos amendements au projet de loi de finances, vous réclamiez un abondement de 5 millions pour l'adoption de l'uniforme.
Surtout, cette proposition de loi s'appuie sur une certaine pensée magique, sur des intuitions et non sur des études, totalement absentes de votre argumentaire, ni des constats reproductibles.
L'uniforme permettrait d'éliminer les marqueurs sociaux et le harcèlement ? Peut-être, mais à condition d'interdire aussi les bijoux, les montres, les chaussures, sacs à dos et trousses de marque – voire certaines coupes de cheveux : relisons Les Cahiers d'Esther pour comprendre combien elles peuvent marquer la différence, à Paris, entre les élèves du public et ceux du privé.
Si nous admettons la capacité des jeunes à détourner les règles pour inventer de nouveaux marqueurs sociaux, ne faut-il pas plutôt faire le pari de l'éducation pour faire accepter les différences et développer la tolérance ? C'est bien en s'attaquant aux problèmes par leurs racines, et non en les effaçant simplement, que nous luttons concrètement contre les inégalités depuis plus de cinq ans : pensons ici aux dispositifs Petits déjeuners gratuits, Devoirs faits ou Vacances apprenantes, ou encore au dédoublement des classes de CP et CE1 en zone REP (réseau d'éducation prioritaire) et REP+.
L'uniforme renforcerait le sentiment d'appartenance à l'établissement ? Soyons honnêtes : il ne renforcera pas grand-chose si l'élève étudie dans un établissement qui cumule les difficultés, comme l'absence de mixité sociale, une réussite plus faible aux examens ou le non-remplacement des enseignants absents.
Surtout, prenons garde à ne pas créer de nouvelles formes de distinction sociale, non pas à l'intérieur de l'école mais à l'extérieur, en identifiant facilement dans l'espace public l'établissement auquel appartient l'élève. L'uniforme, dès lors, ne favoriserait plus l'homogénéisation, mais créerait au contraire de nouvelles discriminations entre élèves provenant d'écoles et collèges jouissant d'une plus ou moins bonne image.
L'uniforme serait la réponse aux atteintes à la laïcité ? C'est vrai, en novembre, 353 signalements ont été recensés en France, dont 137 concernaient des signes ou des tenues, soit un cas pour 87 000 élèves. Est-ce une justification pour imposer l'uniforme à tous ? Ce dernier ne consiste-t-il pas surtout à jeter un voile pudique sur un phénomène que nous devons pouvoir identifier facilement et combattre par la formation du personnel et la gradation des sanctions, plutôt que de lui permettre de prospérer en silence ?
Quant à l'uniforme comme pierre angulaire du renforcement de la discipline et de l'esprit patriotique, relisons Renan : ce qui fait nation, c'est le désir de vivre ensemble et de faire prospérer l'héritage que nous avons reçu. Or, le tissu commun ne fait pas partie de la tradition nationale ou de l'héritage de nos pères.
Pour être juste, le port d'une tenue réglementée semble entraîner quelques effets positifs sur l'assiduité des élèves, par exemple, ou la diminution du stress matinal lorsque parents et enfants ne sont pas d'accord sur la manière de s'habiller. Mais le débat sur l'uniforme doit reposer sur un travail sérieux, qui mesurerait par exemple ses effets sur l'épanouissement de la personnalité des jeunes, plutôt que se fonder sur des idées reçues et une seule audition.
Sans aucune preuve pour affirmer que l'uniforme contribue à faire de l'école un creuset de la République et de la citoyenneté, nous nous opposerons donc à cette proposition de loi.
Le port d'une tenue uniforme dans les écoles et les collèges est une proposition de bon sens, que la France a toujours su défendre au fil du temps et pour tous. En 2003, l'ancien ministre de l'Éducation nationale Xavier Darcos relançait le débat sur la tenue scolaire et suggérait déjà son retour dans nos établissements, notamment pour supprimer les différences visibles de niveau social ou de fortune. Par manque de courage politique, cette proposition n'a jamais abouti. Toutefois, en 2020, un sondage BVA révélait que 63 % des Français, toutes sensibilités politiques confondues, étaient favorables au retour de l'uniforme sur le temps scolaire dans nos établissements publics.
Le premier argument est quasiment toujours le même : lutter contre les inégalités sociales. En refusant de soutenir cette proposition de loi, la NUPES se fourvoie et refuse d'abord de défendre les plus modestes. En effet, l'existence de marqueurs sociaux qui distinguent les élèves entre eux et révèlent les différences de niveaux de fortune de leurs parents contrarie une ambition républicaine fondamentale que vous avez oubliée : l'égalité des chances.
Dans la vie scolaire, les tenues vestimentaires provoquent souvent jalousies et rivalités, et peuvent conduire à des tensions, des violences ou du harcèlement entre les élèves. Le port d'une tenue uniforme aux couleurs de l'établissement permet de faire cesser cette course aux marques coûteuses génératrice de tensions. Elle fait d'ailleurs ses preuves en dehors de l'Hexagone, comme en Martinique, où l'uniforme a été adopté dans l'ensemble des écoles, collèges et lycées, au nom de l'égalité entre les élèves.
L'uniforme permet aussi de lutter contre le communautarisme islamiste. C'est peut-être cette réalité qui fait hurler les islamo-gauchistes. La multiplication inquiétante dans les établissements publics de tenues à caractère religieux, notamment des abayas, légitime la réinstauration de la tenue uniforme obligatoire à l'école et au collège. Chaque jour, la République laïque recule. Sur le seul mois de novembre, 353 atteintes à la laïcité ont été signalées, dont 40 % par le port de vêtements ou de signes religieux. Les professeurs et les équipes pédagogiques ont le sentiment d'être abandonnés par le Gouvernement, et ne savent plus comment s'armer face à un repli communautaire qui gagne du terrain. Un flou législatif ainsi qu'une certaine passivité des pouvoirs publics subsistent dans notre pays, dont certains profitent pour introduire des tenues religieuses jugées confuses, mais clairement islamistes, à l'école. L'instauration d'une tenue uniforme dans nos écoles et nos collèges enverrait un message clair : le fondamentalisme islamique n'a pas sa place dans l'école de la République.
Dans de nombreux pays, l'uniforme a surtout permis de développer et de maintenir un sentiment d'appartenance à son établissement et à la communauté d'élèves. Au Royaume-Uni, 80 % des élèves du primaire le portent, et 98 % dans le secondaire. Respect envers l'établissement, sens du collectif, cohésion du groupe : les effets vertueux d'un code vestimentaire sont nombreux. Rassembler est le maître-mot de cette proposition de loi.
Enfin, à ceux qui invoqueraient l'argument financier, un raisonnement simple permet de dire que l'achat d'une seule et même tenue pour le temps scolaire remplace au moins cinq tenues vestimentaires qui sont à la charge des parents.
Oui, l'uniforme est la vraie tenue républicaine et les députés du Rassemblement national seront fiers de défendre cette proposition de loi lors de leur niche parlementaire du 12 janvier.
Alors que les coupures d'électricité menacent de fermeture nos écoles et que partout les enseignants ou les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) manquent, alors que les Français sont durement frappés par l'envolée des prix, la stagnation des salaires et le développement de la pauvreté, le Rassemblement national fait de l'uniforme à l'école sa priorité.
Sa proposition de loi est d'abord une atteinte au principe républicain fondamental de gratuité scolaire. En subordonnant l'accès à l'école à l'achat d'un uniforme, le Rassemblement national rendrait cet accès payant. Cette proposition de loi stigmatise donc les familles les plus modestes et aggraverait leurs difficultés. Antipauvres, cette proposition de loi ne vise nullement à abolir les distinctions sociales mais les exacerbe en proposant l'instauration d'un uniforme d'établissement différent d'une école à une autre. Elle développe une logique de marque, de distinction et de concurrence renvoyant au modèle d'école-marché qu'Emmanuel Macron s'efforce de développer depuis près de six ans.
Cette proposition de loi traduit le souci de rendre visible à travers l'uniforme une hiérarchie entre établissements huppés et populaires. Elle émane de menteurs qui feignent d'un côté de déplorer l'existence de « marqueurs sociaux qui distinguent les élèves entre eux et révèlent les différences de niveau de fortune de leurs parents » mais, de l'autre, votent en cadence contre le Smic à 1 600 euros et le rétablissement de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Son véritable objet est ailleurs : cette proposition de loi vise les jeunes femmes et les musulmans, que le Rassemblement national juge trop, trop peu, en tout cas toujours mal habillés. Ce texte, qui disserte sur le « caractère » des vêtements et veut créer des dizaines de milliers de comités Théodule pour en fixer le tissu, la coupe et la couleur, fait du Rassemblement national, à la vocation politique de police du vêtement, le parti des tartuffes de la laïcité, ignorants des avertissements d'Aristide Briand quant aux effets de l'ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs en matière vestimentaire.
Enfin, cette proposition de loi est dangereuse pour notre pays. Son objectif est d'abolir les distinctions culturelles dans les établissements scolaires : le Rassemblement national ne veut pas seulement des uniformes à l'école, mais toute une société uniformisée ! Pour nous, l'école est le lieu de la rencontre et de la découverte de l'autre. L'école publique est le lieu où se retrouvent tous les enfants de toutes les cultures qui font la richesse de la France. C'est en cela qu'elle est le creuset de notre République, un lieu d'émancipation individuelle et collective où chacune et chacun se construit en être libre et autonome. Là où vous rêvez d'une école produisant des êtres uniformes, nous aspirons à ce qu'elle élève des singularités. C'est tout ce qui nous sépare, et c'est pourquoi nous voterons contre cette proposition de l'extrême droite.
L'école est un lieu sacré de notre République, un lieu de transmission et de socialisation. Elle a besoin d'un cadre qui y maintienne l'ordre, l'autorité mais aussi la confiance. Car pour s'épanouir à l'école, nos enfants ont besoin d'avoir confiance – en le système scolaire, en leur établissement, en leurs encadrants mais aussi et surtout en eux et en leurs camarades.
Depuis plusieurs années, cette confiance a été fragilisée, d'abord par une politique hasardeuse de l'ducation nationale et un enchaînement de réformes incompréhensibles pour les enseignants, les élèves et leurs parents. Ensuite, l'égalité, le respect et le collectif ont été mis à mal, en particulier le respect de l'interdiction du port de signes ou tenues ostentatoires. Au mois d'octobre 2022, nous répertoriions 720 atteintes. Ces déviances pourraient être évitées en partie grâce au port d'une tenue uniforme.
Le groupe Les Républicains y est depuis longtemps favorable. Dès 2018, j'ai moi-même déposé un texte visant à instaurer une tenue uniforme dans les établissements scolaires, et plusieurs de mes collègues ont encore récemment déposé des propositions similaires.
L'instauration d'une tenue unique permet d'abord d'effacer les inégalités sociales en replaçant tous les élèves sur un pied d'égalité, sans distinction de marque, de style ni de moyens financiers. Lorsque nous étions jeunes, il était plus facile de déterminer l'aisance financière de nos camarades que leur religion. Il faut gommer ces différences. Le port d'une tenue uniforme favoriserait une meilleure intégration des élèves, qui n'auraient plus à se définir en fonction des vêtements qu'ils portent et des signes ostentatoires véhiculés, religieux ou non.
Le port de l'uniforme combat aussi le règne de l'apparence chez les jeunes. À l'ère des réseaux sociaux, ils se libéreraient ainsi du regard des autres et se consacreraient plus facilement à leur apprentissage. L'uniforme instaure une rigueur et impose sans force les préceptes de l'éducation scolaire. C'est un outil pédagogique qui conditionne l'élève au travail, au devoir, à la discipline, à la hiérarchie et à la réussite, et crée l'atmosphère adéquate.
L'uniforme permet également de valoriser l'image de l'établissement et de créer un sentiment d'appartenance. L'élève identifie son lieu de scolarisation comme un lieu à part, dans lequel il peut s'impliquer et s'engager. L'uniforme crée une communauté propre à l'établissement. Il garantit l'unité et crée une sorte de nouvelle famille pour les élèves, dans laquelle chacun peut être lui-même, sans être jugé. À l'image des associations sportives où chacun défend son maillot, la fierté d'appartenir à cette communauté galvaniserait les jeunes.
Si ce texte défend avant tout le principe de la laïcité à l'école, les raisons de le soutenir vont bien au-delà. Dans de nombreux pays, le port de l'uniforme apporte égalité, appartenance et esprit d'équipe. Certains établissements, en métropole comme outre-mer, l'ont déjà adopté. L'opinion publique, au-delà des clivages politiques et des classes sociales, y est de plus en plus favorable. Engageons-nous enfin sur ce terrain, en laissant toute la liberté aux établissements de définir les modalités – sans oublier d'inclure dans cette discussion les élèves, qui doivent voir cette évolution comme une opportunité et non comme une contrainte.
De façon transpartisane, nous pouvons ici tendre au retour de l'ordre, de la sécurité, du respect de la laïcité et de l'égalité à l'école. Le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte.
Présenter ce texte à l'occasion de votre première niche parlementaire est un choix intéressant : il révèle que votre priorité pour l'école consiste à légiférer sur le style vestimentaire des élèves, dans un objectif certes louable d'atténuer les différences et les inégalités pour les enfants.
Si, en apparence, l'uniforme paraît à même de gommer les inégalités fondées sur l'allure ou les vêtements, il n'émane des différentes études aucun consensus sur sa réelle efficacité, s'agissant tant des résultats scolaires que du comportement ou du sentiment d'appartenance à l'institution scolaire. C'est pour cette raison que les pays dans lesquels des enfants portent l'uniforme ne l'ont généralement pas inscrit comme une obligation dans la loi. Il apparaît plus sage de laisser les établissements et les parents d'élèves apprécier l'utilité de cette mesure pour les enfants.
Derrière cette fausse révolution vestimentaire, vous cachez votre manque de volonté pour renforcer notre école, là où notre majorité agit depuis plus de cinq ans pour la remettre sur les rails : priorité donnée aux savoirs fondamentaux, limite de vingt-quatre élèves par classe en primaire, dédoublement des classes, prime pour les enseignants en zone prioritaire ou, plus récemment, revalorisation salariale afin qu'aucun professeur ne soit recruté pour un salaire inférieur à 2 000 euros net. Les chantiers restent encore nombreux, notamment en matière de mixité sociale. Je note au passage que nos amis britanniques, qui ont généralisé l'uniforme depuis bien longtemps, ne sauraient être des exemples en matière de mixité ou d'égalité. Cela montre que les mesures cosmétiques ne peuvent pas tout résoudre.
Enfin, cette proposition est révélatrice de vos ambitions politiques. L'apparente simplicité de votre mesure masque de nombreuses questions relatives à sa mise en œuvre, et notamment à son financement. Vous indiquez que ce nouveau coût devrait être à la charge des familles. Alors que votre parti se présente en défenseur du pouvoir d'achat et des plus fragiles, je suis certaine que ces derniers apprécieront ces dépenses supplémentaires. Nous nous interrogeons également sur la volonté d'égalité que vous affichez. L'expérimentation menée à Provins a montré que s'il était possible de fournir des vêtements à faible coût, la question de leur qualité ne saurait être occultée. Je ne saurais imaginer votre groupe en chantre du made in China au détriment du fabriqué en France, dans le but de garantir que ces vêtements soient abordables.
Enfin, s'agissant de l'acceptation d'une telle mesure par les parents ou les élèves, l'expérimentation menée à Provins a également démontré qu'il était plus facile d'acquiescer à une proposition que de l'appliquer.
Jugeant votre proposition hâtive, impréparée et révélatrice de votre volonté de cliver une population française qui a bien besoin d'unité plutôt que de trouver des solutions efficaces pour l'école, notre groupe votera contre ce texte.
Cette proposition de loi vise à abolir les distinctions sociales et culturelles. Nous y sommes opposés. Nous défendons le respect des différences culturelles de la population, et non leur abolition.
Vous écrivez dans votre exposé des motifs : « L'école ne connaît que des élèves, sans que soient prises en compte ni considérées leur origine sociale ou culturelle ». Nous ne partageons pas ce point de vue. Selon nous, l'école accueille des individus de provenances sociales et culturelles diverses. Elle constitue à ce titre un lieu privilégié pour apprendre à respecter l'autre dans sa différence, à accueillir la pluralité, à maintenir des rapports égalitaires et à rejeter toute forme d'exclusion. Il ne s'agit donc en rien de gommer les distinctions mais, au contraire, de prendre en considération les divers comportements, croyances, coutumes, pratiques et langues ainsi que les différences d'ordre physique qui existent entre des individus et des groupes culturels afin de favoriser le respect et la compréhension mutuels, l'acceptation et l'inclusion sociale.
Nous ne nous faisons aucune illusion sur votre réel objectif. Pour notre part, nous n'entendons pas lutter contre les différences, mais contre les discriminations sociales, qui se reproduisent parfois dans les classes et les cours de récréation. En effet, la tenue vestimentaire tout comme le matériel scolaire, les manteaux, les chaussures ou les lunettes sont autant de signes de distinction sociale qui peuvent être facteurs de discrimination ou de harcèlement. C'est pourquoi nous demandons à chaque rentrée la réévaluation des bourses scolaires, en soutien aux familles précaires, et avons proposé, avec la NUPES, la gratuité des fournitures scolaires en 2022.
Votre PPL propose un uniforme aux couleurs des établissements et à la charge des familles. Nous y sommes également opposés. Ce modèle inspiré des écoles privées et américaines ne correspond pas à celui de l'école républicaine française qui, dans un objectif d'égalité, assure un enseignement au contenu et aux conditions identiques sur l'ensemble du territoire. Une tenue différente par établissement irait à l'encontre de ces principes. De plus, nous déplorons la dynamique compétitive engendrée par ces blasons scolaires et l'accroissement des inégalités entre établissements qu'elle induit.
Enfin, la PPL n'engendrant aucun coût pour l'État, nous comprenons que la charge de l'uniforme reviendrait aux familles. Or, comme dans les écoles où l'uniforme existe, cela s'élèverait probablement à plusieurs centaines d'euros. Cette proposition est inacceptable dans le contexte de crise du pouvoir d'achat. Elle ne règlerait en rien les inégalités sociales, bien au contraire.
Alors que l'école est à nouveau considérée comme une variable d'ajustement, en pleine crise du pouvoir d'achat, face à la perte d'attractivité de la profession d'enseignant, au manque criant de personnel scolaire, à la perte de confiance de la communauté éducative, ce débat ne nous semble pas prioritaire. Nous préférerions travailler à une véritable refondation du service public de l'éducation.
Cette proposition n'est pas nouvelle. Depuis deux décennies, la question du port de l'uniforme ou d'une tenue scolaire obligatoire à l'école et au collège resurgit chaque année, tant au Parlement que dans la sphère médiatique. La tenue uniforme n'a jamais été imposée en France, contrairement à ce qui a été dit. Seule la blouse fut obligatoire jusqu'en 1968, mais davantage pour préserver la propreté des vêtements que pour garantir une uniformité vestimentaire dans les classes. L'arrivée des pointes Bic l'a rendue inutile !
Ce n'est pas l'idée d'une tenue scolaire qui nous est proposée, mais l'obligation pour toutes les écoles et tous les collèges d'adopter du jour au lendemain une tenue par établissement. Or chaque directeur d'école ou de collège a déjà la possibilité de le faire. Certains responsables d'établissements, en concertation avec le corps enseignant, ont déjà pris cette décision, outre-mer ou en métropole.
Le groupe Horizons défend avant tout la liberté de choix des directeurs d'établissement, qui existe déjà mais qui n'est peut-être pas toujours bien connue. Des actions pour mettre en avant ces expériences et le ressenti des élèves, des parents et des enseignants concernés seraient à étudier. Nous ne sommes pas non plus opposés à des initiatives locales ou des expérimentations décidées en concertation avec les familles, les enseignants et les collectivités.
Nous ne contestons pas que l'adoption d'une tenue scolaire contribue à diminuer les distinctions sociales et culturelles, mais elle ne les enraye pas. Les téléphones portables, les montres ou les sacs sont des marqueurs sociaux au moins aussi forts, qui gommeraient les effets attendus de l'uniforme.
La tenue scolaire obligatoire n'effacera pas non plus les tenues dites religieuses. Elle ne fera qu'entraîner mécaniquement la création d'écoles hors contrat, et donc hors contrôle.
Et il y a aussi la question du coût : qui va payer ? En période d'inflation, les parents ne peuvent se voir infliger une telle dépense supplémentaire. Les collectivités non plus, dans un contexte de grande tension budgétaire. La prime de rentrée scolaire doit-elle uniquement servir cet objectif ?
Vous évoquez le rôle fédérateur de l'uniforme. Or le sentiment d'appartenance s'appuie sur les progrès pédagogiques. Un projet de solidarité peut fédérer une classe ou un établissement bien plus qu'un uniforme. Les professeurs doivent avoir le pouvoir d'être les vrais moteurs de la réussite scolaire, leurs initiatives doivent être mieux reconnues : voilà un réel enjeu de réforme.
Vous avez évoqué les intrusions dans les écoles, mais un uniforme, qui se vole ou s'emprunte facilement, ne résoudrait rien.
Enfin, l'objectif d'une proposition visant nos établissements scolaires ne peut être uniquement l'abolition des distinctions sociales et culturelles : cela doit rester l'amélioration du cadre d'apprentissage de tout élève.
Bref votre proposition de loi est prématurée et inaboutie. Elle ne résoudra en rien les problèmes de l'école républicaine et nécessiterait un débat à chaque niveau. Le groupe Horizons ne la votera pas.
Pour le groupe écologiste, cette proposition n'est pas prématurée. C'est simplement une mesure stigmatisante, qui cherche, sous couvert d'égalité et de justice sociale, à imposer aux jeunes – et surtout aux jeunes femmes – une manière de s'habiller.
Nous ne sommes pas en faveur d'une laïcité de contrôle, mais d'une laïcité de liberté. Vous voulez uniformiser la jeunesse, vous voulez atténuer ses droits. Toutes ces réformes qui touchent la jeunesse se font pour la plupart contre cette dernière. Ce que la jeunesse réclame, c'est une société qui l'écoute et qui lui permette de construire son avenir, en respectant ses choix individuels, qu'il s'agisse de ses vêtements ou de son orientation. Nous ne voulons pas d'une société où la loi dit aux jeunes comment s'habiller et où des algorithmes décident de leur avenir professionnel. Nous voulons une société du choix et de la volonté personnelle.
Cette proposition de loi se présente comme un moyen de remédier à l'inégalité sociale, mais ce n'est rien d'autre qu'une mesure décorative – cachez-moi cette fracture sociale que je ne saurais voir !
L'enjeu est tout autre. Pour nous, l'école doit être le lieu de la gratuité. Nous avons déposé une proposition de loi sur ce sujet avec la NUPES : la gratuité ne dépend pas tant des vêtements que portent les enfants que de l'accès aux sorties scolaires, à la cantine, aux fournitures. Il est déjà difficile pour certaines familles d'acquérir les cahiers et stylos de la rentrée scolaire, sans parler des calculatrices de collège et autres équipements indispensables. Pour lutter contre la fracture sociale à l'école, il y a bien d'autres moyens que l'uniforme.
Enfin, cette proposition de loi cherche à valoriser non pas l'école de la République mais des écoles, ayant chacune ses couleurs et sa communauté, opposées les unes aux autres. Ne trouvez-vous pas que les différences entre nos établissements scolaires sont déjà exacerbées ? Les parents cherchent par tous les moyens à en éviter certains, par une sorte de crainte largement montée en épingle. Nous devons lutter pour que tous les enfants de tous les quartiers puissent se retrouver dans leur établissement scolaire de proximité, afin de construire ensemble la République.
Revoilà l'une des arlésiennes du débat sur l'école : l'uniforme lutterait contre les inégalités, mettrait fin aux discriminations liées aux apparences, imposerait de manière ferme et définitive la laïcité dans les établissements, serait enfin l'outil magique pour renouer avec la discipline et la rigueur dans les écoles, mettant fin à des années de laxisme et de pédagogisme éloignant nos chers enfants des vraies valeurs et de l'apprentissage.
Depuis le début de la législature, trois propositions de loi ont été déposées : par le nouveau chef des Républicain Éric Ciotti, par la non-inscrite Emmanuelle Ménard et par le Rassemblement national. Je n'ai aucune confiance dans un groupe politique qui prône la fin de l'école gratuite pour les enfants de personnes étrangères afin de régler les problèmes à l'école, qui suggère de mettre des gamins qui ne seraient prétendument pas faits pour l'école au travail dès 14 ans, ou qui insulte depuis des dizaines d'années l'Éducation nationale, qualifiée de repaire de gauchistes en proie au pédagogisme.
Vous poussez des cris d'orfraie à la moindre mention de l'enseignement d'une langue étrangère à l'école primaire, ou, pire, de l'éducation sexuelle. Vous préférez voir dans l'uniforme une solution miracle, masquant les inégalités au lieu de les combattre. Mais, pour une raison mystérieuse, vous vous arrêtez à l'école publique : pourquoi ne pas aussi l'imposer à l'école privée sous contrat, alors que cette dernière, de moins en moins mixte et pourtant financée à 75 % par l'argent public, perpétue les inégalités ?
La question de l'uniforme, posée dans une démarche globale de lutte contre les inégalités scolaires, pourrait présenter un intérêt. Cependant, son instrumentalisation empêche de l'aborder sereinement.
Le groupe GDR, lui, a bataillé pour augmenter dans le projet de loi de finances les crédits de l'Éducation nationale. Nous avons déposé des propositions de loi pour revaloriser la situation des professeurs, pour réformer l'orientation des élèves et mettre fin à l'injustice de Parcoursup. Nous avons multiplié les événements pour donner l'alerte sur la situation des lycées professionnels et de ses élèves, en majorité issus des classes populaires. Nous nous sommes mobilisés avec la NUPES sur la question des AESH et de la réforme de la carte scolaire. C'est un projet global pour l'école que nous dessinons, luttant réellement contre la reproduction sociale et le mythe de la méritocratie entretenu depuis des années pour justifier les inégalités.
Les inégalités de performance se traduisent dès le primaire et s'approfondissent par la suite. Les élèves dont les parents appartiennent aux catégories socioprofessionnelles les moins favorisées sortent plus souvent du système éducatif sans diplôme. Parmi les élèves entrés en sixième en 2007, 19 % des enfants d'ouvriers non qualifiés n'ont pas obtenu de diplôme du secondaire dix ans plus tard ; 38 % des enfants de parents sans emploi sont dans ce cas, mais seulement 4 % des enfants de cadres, professions libérales et chefs d'entreprise.
Voilà ce qui devrait mobiliser toute notre énergie. Nous ne voterons pas cette proposition de loi car elle s'inscrit dans un discours qui ne nous paraît pas bénéfique pour les enfants de ce pays.
Cette proposition de loi, je l'ai dit, n'a jamais eu ni l'ambition ni la prétention de régler l'ensemble des problèmes auxquels se trouve confrontée l'école publique. Nous souhaitons seulement apporter une pierre à sa reconstruction.
Vous estimez qu'elle serait un écran de fumée destiné à masquer les problèmes réels de l'école. Je les ai pourtant exposés par le détail, et j'ai vu certains d'entre vous ricaner devant le panorama que je dressais, hélas dramatique. Le Rassemblement national a du reste mis à l'ordre du jour un débat sur l'état de l'école de la République, qui aura lieu le 10 janvier prochain. Il ne tenait qu'à vous d'en faire autant.
Monsieur Marion, plusieurs études étayent mes propos. Je vous invite à consulter l'étude sur la réduction des faits de violence dans les établissements américains où l'uniforme est porté, publiée par Seunghee Han en 2010, celle de l'Association nationale des directeurs du second degré des États-Unis qui conclut au rôle de l'uniforme dans le renforcement du sentiment d'appartenance à l'établissement, ou encore l'article de John Huss, paru en 2007, sur les corrélations entre les résultats des élèves et le port de l'uniforme.
Plusieurs orateurs, partageant une vision libérale, suggèrent qu'il suffirait de laisser les établissements libres de choisir l'uniforme. Mais le but n'est pas d'ouvrir un nouveau droit, ou de constater qu'il existe, mais d'imposer un nouveau devoir. Dans le cadre de ses responsabilités régaliennes, l'État est chargé de l'action éducatrice. Or cette dernière est menacée dans ses fondements, à des degrés différents, par le marché et par l'islamisme. Nous avons déposé ce texte, mais il aurait été préférable que le ministre Ndiaye lui-même prenne les devants, puisqu'il avait témoigné son intérêt pour la question.
Sur la question du coût, on entend des choses étranges. Il n'appartient pas à l'État d'habiller les enfants. À chaque rentrée scolaire, il faut renouveler la garde-robe des enfants, et ces derniers ont envie de la dernière tenue à la mode – c'est normal, dans tous les milieux, et tout le monde a envie de faire plaisir à ses enfants. Or l'uniforme coûte beaucoup moins cher que des tenues de marque : selon le proviseur du lycée Schœlcher, en Martinique, le coût moyen d'un tee-shirt est de 8 euros, 10 euros s'il est floqué, sans comparaison avec un tee-shirt de marque. Lors de son audition, conjointe avec celle de la direction académique des services de l'Éducation nationale (Dasen) de Martinique, nous avons appris que la demande de porter un uniforme émanait des collégiens qui, arrivant au lycée, craignaient d'être stigmatisés en raison de leur tenue civile. Les familles du second degré ont plébiscité ce choix, généralisé à 98 % des lycées. Enfin, le proviseur a fait valoir l'effet de l'uniforme sur la diminution du nombre d'intrusions.
Monsieur Vannier, le conseil d'école ou le conseil d'administration du collège ne sont pas un comité Théodule. Ce sont les institutions de l'école de la République. Ils sont compétents pour prendre des décisions dans ce domaine.
L'argument d'une concurrence entre établissements est tout aussi spécieux. Les élèves du public sont affectés par l'administration dans leur collège, en fonction de découpages territoriaux. Je n'ai jamais entendu parler de batailles rangées entre écoles. Les conflits entre bandes rivales qui existent sont de nature ethnique ou relèvent de luttes de territoire liées à des trafics : cela n'a rien à voir avec l'école, et j'ai du mal à croire que vous imaginiez des émeutes entre écoliers pour défendre leur uniforme.
Monsieur Minot a raison d'affirmer que le port de l'uniforme signe l'entrée dans une nouvelle famille, celle de la communauté éducative – notion bien établie. Il me paraît normal d'être fier d'appartenir à sa communauté éducative. À ce propos, quelques-uns ont osé dire que le port de l'uniforme stigmatiserait les élèves de REP. Je trouve ce propos absolument honteux. Je crois au contraire que, dans les quartiers difficiles, porter la tenue de son école publique, la seule institution de la République encore présente, remplirait l'élève de fierté et le soustrairait à l'influence des bandes et des caïdats de toute nature.
S'agissant de l'argument financier, il ne revient ni à l'État ni aux collectivités territoriales d'habiller les enfants. Le coût moyen d'un trousseau devrait être abordable. Le collège pourra procéder à des achats groupés par le biais d'une association. C'est une pratique courante et les familles ne s'en plaignent pas, car l'uniforme est moins coûteux que la tenue civile.
Quelques-uns d'entre vous affirment enfin que l'école ne devrait pas effacer les différences culturelles et sociales entre les élèves. Nos positions sont diamétralement opposées, et c'est vous qui avez tort. Depuis Jules Ferry, l'école a précisément pour objectif de gommer l'influence de la famille et de l'Église. Relisez les lois scolaires, relisez Aristide Briand, rapporteur de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, affirmant que la République se construit contre l'Église ! Comme l'a expliqué Jules Ferry, l'école publique avait pour but de soustraire les enfants, et notamment les jeunes filles, de l'influence de la famille, elle-même étant supposée être sous l'influence de l'Église. Ce sont des faits historiques, pas une interprétation.
L'ambition de l'école publique en France a donc toujours été de gommer les différences sociales, culturelles, de religion ou d'opinion véhiculées par les familles au bénéfice des apprentissages, de la construction de l'élève. Notez d'ailleurs que nous parlons d'élèves et non d'écoliers, comme en allemand ou en anglais par exemple : nous voulons les élever, les grandir. Chez nous, l'éducation est nationale. Ce n'est pas indifférent. Dans les pays voisins, l'instruction peut être gérée par l'État, mais elle n'a pas cette ambition. Il y a chez nous une responsabilité de l'État, de la société, qui se fixent l'ambition assez colossale de fabriquer des citoyens éclairés, libres et autonomes. Cela passe par la négation de tout ce qui peut les opposer en tant qu'enfants de telle ou telle famille. C'est la philosophie même de l'enseignement public, et je regrette d'avoir à la rappeler à des gens qui font profession de le défendre.
Madame Carel, vous dites que l'uniforme pourrait pousser les parents, notamment de confession musulmane, à créer des écoles « hors contrat, et donc hors contrôle ». Mais il n'y a plus d'école hors contrôle dans notre pays, puisque les écoles hors contrat sont sévèrement contrôlées par l'État. C'était le but de la loi « séparatisme » de 2021. Depuis, les nouvelles écoles confessionnelles ne se sont pas multipliées. D'ailleurs, le rapport entre le fait de porter un uniforme d'établissement et d'ouvrir une école confessionnelle m'échappe un peu.
S'agissant de la laïcité de liberté et de la laïcité de contrôle, tout nous oppose. La première est surtout la liberté pour les islamistes de faire de l'entrisme dans nos établissements et de les déstabiliser. Ma vision de la laïcité est plus dure et plus républicaine : nous devons faire obstacle à l'introduction dans nos écoles de toute menée religieuse ou politique – aujourd'hui, de l'islamisme ; autrefois, de l'Église catholique. Aujourd'hui, un religieux en tenue ecclésiastique ne peut plus enseigner dans une école publique et il doit être interdit à tous, élève ou parent, d'entrer dans un établissement public vêtu de vêtements religieux. Ces positions sont inconciliables.
Vous voulez par ailleurs protéger les choix individuels des jeunes, comme si la jeunesse était un concept solide. Mais il y a mille jeunesses ! Elle se fractionne par exemple entre les différents partis représentés ici. La jeunesse n'est pas un concept opératoire, et votre invitation à respecter les choix individuels des jeunes me fait penser à la formule publicitaire de McDonald's : « Venez comme vous êtes ». Non, on n'entre pas à l'école comme on est ! Quand on franchit le seuil de l'école, on devient symboliquement un citoyen, un adulte, parce qu'on reçoit l'enseignement que dispensent des agents de l'État.
Enfin, et même si je ne vois pas bien le rapport avec l'uniforme, je me désole que le parti communiste conduise la charge de la gauche contre la méritocratie, lui qui était autrefois le parti de l'avant-garde, de l'aristocratie du prolétariat. Vous ne voulez plus ni d'aristocratie du prolétariat ni de méritocratie. Vous avez beaucoup changé.
La méritocratie est un des marqueurs de l'école de la République. Lisez Charles Péguy, les écrits du Conseil national de la Résistance de 1944 ou le plan Langevin-Wallon ! Vous apprendrez, si vous ne le connaissez pas déjà, le principe de justice que les Résistants voulaient défendre au sortir de la guerre : quelles que soient leurs origines sociales, les enfants devaient pouvoir accéder, par leur mérite, aux plus hauts emplois et fonctions de la République et de l'entreprise.
Si nous partageons tous l'objectif de mettre fin aux discriminations sociales, cela mérite cependant un débat éclairé de notre assemblée. Pour cela, il aurait fallu auditionner toutes les parties prenantes, ce qui n'a pas été fait : les personnels de l'Éducation nationale ou les représentants des parents d'élèves, notamment, n'ont pas été entendus.
Personne ne nie que, dans quelques établissements, des élèves ont porté des vêtements à caractère religieux, allant à l'encontre de la loi ou la contournant. La loi leur a été systématiquement rappelée. Il est préférable de faire de la pédagogie auprès des élèves et des parents, avec la communauté éducative, pour sensibiliser à cette question, en rappelant à chaque fois les tenues autorisées ou non à l'école.
Outre qu'elle devrait être débattue, travaillée, la mesure du port de l'uniforme à l'école ne devrait pas être politico-politicienne, ni viser à stigmatiser une partie de la population française. En adoptant la proposition de loi dans sa rédaction actuelle, ce que je ne souhaite aucunement, nous ne résoudrions rien. Travaillons plutôt les sujets de laïcité, de discrimination sociale ou de réussite scolaire pour tous.
Le port de l'uniforme n'est pas la solution magique qui permettra de faire disparaître les inégalités scolaires, le harcèlement ou les atteintes à la liberté : il faut agir à la racine, en renforçant notamment les mesures prises depuis 2017.
Par ailleurs, votre proposition de loi ne dit rien du financement de cette mesure. Le coût supplémentaire sera donc supporté par les parents : en vertu de quelle logique ? Quel coût moyen, par enfant et par année, cela représente-t-il ?
Selon le ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse, l'uniforme n'apporte rien en matière de résultats scolaires. On nous propose une nouvelle loi, mais pour quoi faire ? Ce n'est pas comme si notre agenda n'était pas surchargé !
Une loi qui concerne les élèves doit toujours avoir pour objet d'améliorer leurs apprentissages et leur bien-être. Contrairement à ce qu'a dit le rapporteur, toutes les études démontrent que le port de l'uniforme ne répond en rien à ces objectifs. L'uniforme n'atténue pas les inégalités sociales – les fournitures scolaires de marque sont aussi des signes de distinction visibles dans les écoles et les collèges.
L'uniforme contraint aussi la construction de l'identité personnelle, pour les jeunes filles comme pour les jeunes garçons, dont nous ne souhaitons pas forcément qu'ils se conforment à la vision du « costard cravate » de M. Ciotti.
Enfin, il ne crée pas non plus un sentiment d'appartenance à une communauté scolaire car il ne fait pas partie de notre culture commune nationale.
Nous sommes favorables à des moyens pour construire une école de l'égalité. Mais un truc qui ne sert à rien et qui coûte de l'argent aux parents, aux collectivités ou à l'État, pour nous, c'est non.
Enfin, pourquoi vous concentrez-vous sur les écoles publiques, qui sont laïques, non sur les écoles privées confessionnelles, qui sont d'ailleurs subventionnées par l'État ?
Le harcèlement scolaire est un fléau qu'il nous faut combattre. Les statistiques sont inquiétantes : plus d'un jeune Français sur dix subirait une forme de harcèlement scolaire, soit plus de 750 000 enfants chaque année. La liste de ceux qui mettent fin à leur jour pour de telles raisons est bien trop longue. Cette réalité insoutenable n'a pas sa place au sein de l'école de la République.
Le port d'une tenue uniforme permettrait de prévenir certaines situations de harcèlement scolaire. Cet aspect est pourtant peu évoqué dans le rapport. Avez-vous eu des retours d'expérience à ce sujet de la part des établissements qui imposent déjà le port de l'uniforme ? Et pourquoi limitez-vous cette obligation aux écoles et aux collèges, alors que des problèmes plus importants peuvent se poser dans les lycées ?
Monsieur le rapporteur, vous souhaitez rendre obligatoire le port d'une tenue uniforme dans les écoles et les collèges sur le temps scolaire. Il est illusoire de considérer que les élèves la porteraient uniquement au sein des établissements : ils en seraient aussi vêtus lors des trajets entre le domicile et l'école comme dans le temps périscolaire.
Des bagarres, parfois très violentes, peuvent éclater entre collégiens et lycéens. Je les ai vécues en tant qu'enseignante puis chef d'établissement dans deux départements différents. En estampillant les élèves du logo d'un établissement précis, ces tenues pourraient accentuer, voire créer des rivalités entre établissements. Les élèves porteurs de ces tenues risquent de plus d'être pris pour cible et de subir insultes, racket et autres formes d'agressions inacceptables, car ils seront plus faciles à repérer dans l'espace public.
Un chef d'établissement que vous avez auditionné explique que la tenue uniforme permet de mieux détecter les intrusions, et donc de mieux sécuriser les locaux. Aux États-Unis, certains directeurs d'établissement considèrent en revanche que l'uniformisation des tenues de leurs étudiants a contribué à invisibiliser les membres de gangs, entraînant un rebond des violences au sein de leurs établissements. Comment ces écueils pourront-ils être évités en France ?
L'uniforme est la fausse bonne idée, simpliste, par laquelle le Front national voudrait faire croire qu'imposer une tenue vestimentaire permettrait de résoudre tous les maux de la Terre, toutes les difficultés de l'école. Vous voulez remédier aux problèmes de harcèlement, de laïcité, de classement Pisa, de mathématiques ? La solution magique, c'est l'uniforme – mais pas pour tous, pas pour les écoles privées ! Tout cela n'est pas sérieux. Monsieur le rapporteur, quelles études indiquent précisément que l'uniforme est une solution pour notre école ?
La question du port de l'uniforme à l'école reste un sujet délicat, on le voit aujourd'hui, mais revient régulièrement. Certains le défendent comme un outil qui favorise l'égalité et permet de lutter contre le harcèlement scolaire et le racket. Pour d'autres, il permettrait de régler la question sensible des tenues religieuses au collège et au lycée. D'autres encore, par manque de courage, préfèrent se cacher derrière des envolées philosophiques à la Tartuffe, pour masquer leur incapacité à régler les problèmes récurrents de l'école de la République.
Selon certains syndicats, ce sujet n'intéresse que le monde politique et ne serait jamais abordé dans les conseils d'administration. Qu'en pensent les directeurs d'écoles ?
La proposition de loi n'énonce que des principes très généraux. Après avoir affirmé que la tenue uniforme, par sa neutralité, vise à abolir les distinctions sociales ou culturelles à caractère vestimentaire dans les établissements, elle n'aborde pas les modalités pratiques d'application. Nos compatriotes auraient pourtant pu être sensibles au fait que ces tenues soient conçues et fabriquées en France. Est-ce votre intention ? Nos capacités de production sont-elles suffisantes ? Quel en serait le coût final ?
Enfin, cette tenue uniforme sera-t-elle unisexe ou genrée ? Toutes les filles n'ont pas envie d'être contraintes à porter des jupes, qui n'apparaissent pas comme un symbole de progrès social et ne sont par ailleurs pas adaptées aux trente minutes d'activité physique recommandées chaque jour à l'école primaire.
La question est simple : que peut-on faire pour renforcer l'intégration scolaire et l'efficacité de l'école, et lutter contre les atteintes à la laïcité ? Le groupe Les Républicains considère que le port de l'uniforme est bénéfique et soutient la proposition de loi.
La vacuité des arguments qui sont opposés est consternante, de même que la position de la gauche. Pour sortir le marché et les religions de l'école, il n'y a pas d'argument plus fort que l'uniforme. Les amendements de suppression qui ont été déposés sont des actes de capitulation pour notre école. En cas de doute, mieux vaut amender le texte ou mener des expérimentations ! Monsieur le rapporteur, êtes-vous prêt à soutenir les amendements que nous avons déposés en ce sens ?
Le port d'une tenue uniforme permettrait de créer une égalité sociale entre les élèves et de lutter contre le non-respect du principe de laïcité. Il touche par là à d'autres difficultés, comme le harcèlement scolaire, notamment, qui s'explique en partie par les différences sociales et les inégalités existant entre les élèves. Le port d'une tenue uniforme, parce qu'il crée un collectif, une identité commune, pourra gommer ces différences, donc l'isolement de certains. Ce n'est certes pas la réponse à tous les problèmes des établissements scolaires : c'est un début, une première étape importante, que nous devons soutenir afin que les élèves se sentent bien à l'école et retrouvent le goût d'apprendre.
S'agissant des auditions menées, j'ai été désigné rapporteur la semaine dernière : un délai bien court pour convoquer le ban et l'arrière-ban de l'Éducation nationale ! Nous avons néanmoins pu entendre les représentants de la Dasen de la Martinique, pour lesquels le port de l'uniforme est non seulement soutenu mais ardemment réclamé, notamment par les familles du second degré.
Prendre argument du manque de débat est un peu spécieux. Le débat a lieu maintenant, dans cette enceinte parlementaire. Il n'est ni bâclé ni improvisé : nous avons tout le temps pour évoquer les différents points de vue. Par ailleurs, la question a été soulevée à de nombreuses reprises depuis le début du XXe siècle : n'ayons pas l'air de la découvrir.
Il n'y aura pas de surcoût pour les familles : la tenue uniforme d'établissement, facile à remplacer et beaucoup moins chère, se substitue à la tenue civile que les parents achètent à la rentrée. Il s'agit donc d'une économie réelle pour la famille – c'est du moins ce qui nous a été rapporté de la Martinique.
Traiter de la fabrication des tenues n'est pas l'objet d'une proposition de loi. Naturellement, je souhaite que la tenue soit fabriquée en France. En Martinique, des dizaines de milliers d'élèves portent désormais un uniforme fabriqué sur place, ce qui a redynamisé l'économie locale. Il n'y a aucune raison pour que ces tenues soient fabriquées en Chine. Les professeurs et les représentants des parents qui siègent dans les conseils d'administration auront assez de bon sens pour faire travailler l'économie locale ou nationale.
La proposition de loi ne porte que sur les écoles et les collèges car elle cible l'instruction obligatoire, qui est de la responsabilité régalienne de l'État. Ce n'est pas le cas des lycées. À titre personnel, je suis favorable à l'extension de la mesure aux lycées, mais je pense préférable de laisser le temps au temps : lorsque les collégiens auront porté pendant quatre ans la tenue uniforme réglementaire, ils auront tout naturellement l'envie de demander à leur lycée d'adopter une tenue uniforme. Voyez que tout cela n'a rien d'autoritaire.
Quant à l'enseignement privé, il a un statut particulier. Légalement, nous ne pouvons pas y imposer le port d'une tenue uniforme, qui relève de son caractère propre : la question ne se pose donc pas.
Monsieur Arenas, le ministre ne s'est pas déclaré contre l'uniforme – nous pourrions relire les comptes rendus. Dans cette enceinte, il a expliqué qu'au retour d'un voyage aux Antilles, sa conception de l'uniforme avait évolué et qu'il était prêt à y réfléchir : il envisageait alors de créer une commission ad hoc. Renseignements pris, la commission n'est plus d'actualité ; le ministre a encore une fois changé d'avis.
Le port d'une tenue uniforme aux couleurs de l'établissement mettrait un terme à certaines situations de harcèlement scolaire liées au port de vêtements de marque par les élèves. Cet âge est impitoyable. Sur internet, certains élèves sont dénoncés pour le port de certaines tenues, harcelés, stigmatisés, voire visés par un effet de groupe conduisant à des violences collectives. Le port d'une tenue uniforme d'établissement, qui met tout le monde d'accord et qui introduit tous les élèves dans une même communauté éducative, est de nature à régler une partie de ce problème.
Le rapport mentionne qu'une partie des fonds scolaires seront utilisés pour contribuer à financer les tenues. On peut donc considérer qu'il y a un surcoût, et qu'il ne sera pas à la seule charge des familles.
Nous en venons à l'examen des amendements.
Article unique : Port obligatoire d'une tenue uniforme dans le temps scolaire par les élèves des écoles et des collèges publics
Amendements de suppression AC5 de M. Paul Vannier, AC13 de Mme Cécile Rilhac et AC15 de M. Jean-Claude Raux.
Nous nous opposons à l'obligation du port d'un uniforme scolaire dans les écoles et collèges publics.
D'abord, cela ne respecte pas le principe de gratuité scolaire : il serait absurde de faire peser cette nouvelle dépense sur les familles ou les collectivités locales, à l'heure où leurs budgets sont plus que jamais contraints.
Cette proposition peut ensuite exacerber la concurrence entre établissements, d'autant que le privé sous contrat n'y sera pas soumis – un comble pour une proposition de loi prétendument écrite au nom de l'égalité républicaine.
La troisième raison est politique et pédagogique. Comme souvent, cette proposition du Rassemblement national propose comme futur un retour vers le passé – en l'espèce un passé qui n'existe pas. Sur son blog, l'historien de l'éducation Claude Lelièvre parle de supercherie, notant que si de nombreux élèves portaient des blouses, plus ou moins disparates, il n'y a jamais eu d'uniforme dans le primaire public métropolitain.
Cet article unique est socialement injuste, pédagogiquement inutile et historiquement inepte : nous vous invitons à le supprimer.
Le code de l'éducation autorise les établissements à instaurer une tenue commune, voire un uniforme. Ceux qui souhaitent expérimenter le port d'une tenue uniforme à leurs couleurs – pour des raisons d'ailleurs différentes de celles qu'a évoquées M. le rapporteur – peuvent l'inscrire dans leur projet d'établissement.
Pour répondre aux préoccupations légitimes que sont la lutte contre les inégalités sociales ou le développement du sentiment d'appartenance, le port d'une tenue uniforme n'est ni spontané, ni plébiscité par les communautés éducatives. Les expériences menées à Troyes ou à Provins n'ont pas été probantes.
N'est-ce pas en partageant des moments communs emplis d'histoires différentes que nos enfants grandissent dans le respect des uns et des autres ? Les élèves ne s'enrichissent-ils pas alors de leurs différences sociales, culturelles, religieuses ou vestimentaires ?
Notre amendement vise donc à supprimer l'obligation que vous souhaitez instaurer par volonté de rendre notre école uniforme et d'y gommer les différences.
Les arguments d'autorité invoqués à l'appui de cette proposition de loi et la condescendance avec laquelle ils sont exposés sont désarmants. Sous le prétexte de réinstaurer l'égalité à l'école, elle tente de mettre sous le tapis l'appartenance sociale, ethnique, religieuse ou culturelle. Or effacer les différences, ce n'est ni déconstruire, ni réduire les inégalités qui en résultent, c'est regarder ailleurs pour éviter de se poser la question qui fâche : pourquoi notre école n'est-elle pas juste ?
L'uniforme n'est pas la panacée. En Angleterre, il ne gomme pas les différences, puisque le blason permet d'identifier tout établissement. Dans les lycées professionnels français, les élèves ne le plébisciteraient pas car ils connaissent déjà la hiérarchie et les préjugés dans leur propre cité scolaire.
Si l'uniforme propre à l'établissement peut être une source de fierté et d'appartenance pour certains élèves, il peut aussi conduire à en stigmatiser d'autres, notamment issus de quartiers prioritaires, et renforcer les marqueurs sociaux discriminatoires. Les vrais signes extérieurs de richesse se retrouvent aussi ailleurs, dans les chaussures ou le téléphone.
Le groupe écologiste s'alarme de cette tentative et s'oppose à la proposition de loi.
Madame la présidente, les fonds sociaux ne sont distribués qu'aux collégiens qui en ont besoin : il ne s'agit donc pas d'une charge supplémentaire.
Monsieur Walter, vous affirmez sans rire que la proposition de loi porte atteinte au principe de gratuité de l'école. Les vêtements portés par les écoliers et les collégiens ne sont pourtant pas gratuits ! Quand l'ont-ils jamais été ?
Vous écrivez dans votre exposé sommaire que « le Rassemblement national propose d'ajouter une dépense » aux frais engendrés par la rentrée scolaire. Cet argument est risible. Chacun sait que les familles investissent des sommes élevées dans les tenues que portent les enfants à la rentrée, à l'école comme au collège. Non seulement il faut renouveler la garde-robe parce qu'ils ont grandi, mais les enfants, très sensibles aux effets de mode, insistent pour avoir des vêtements et chaussures de marque, qui sont très onéreux. Faut-il que vous ayez perdu contact avec les réalités des classes populaires pour prétendre qu'une tenue uniforme serait plus onéreuse que des vêtements de marque !
Aux Antilles, où la tenue vestimentaire réglementée est largement répandue, à la demande des familles, le coût moyen d'un tee-shirt est de 8 euros, voire 10 euros lorsqu'il est floqué : c'est sans comparaison avec les marques. Loin d'ajouter une dépense, la proposition de loi soulage les finances de nombreuses familles.
Le vêtement est un marqueur social – votre groupe en fait d'ailleurs un marqueur politique dans l'hémicycle. Un vêtement n'est jamais neutre : il dit quelque chose sur celui qui le porte, notamment sur le plan social. Ne voyez-vous pas que les vêtements divisent les élèves et attisent les rivalités ? Qu'ils sont source de ressentiment, voire de violence ? La tenue uniforme d'établissement a pour but de gommer les différences, de ne plus désigner des enfants mais de transformer symboliquement l'enfant en élève.
Quant à la concurrence entre établissements, l'idée est complètement saugrenue. Les bagarres entre bandes d'élèves reposent toutes sur une appartenance ethnique ou sur des luttes de territoire. Elles n'opposent pas des écoliers ou des collégiens sur la base de leur établissement scolaire. Il n'y a pas de concurrence dans l'enseignement public, puisque les élèves sont affectés par l'autorité administrative selon des critères territoriaux.
Madame Rilhac, vous notez dans votre exposé sommaire que le ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse a changé d'avis, ce que chacun peut constater. Le groupe Renaissance lui-même a connu des débats assez tendus sur le sujet : je l'invite à poursuivre sa réflexion dans le bon sens.
Puisque rien ne s'oppose à ce qu'une école ou un collège décide d'adopter une tenue uniforme, il suffirait selon vous de laisser le temps faire son œuvre pour que la décision se généralise. Ce point de vue libéral ignore le fond du problème : notre système éducatif est en voie de déclassement. L'école va mal. Elle est soumise à la double pression du marché et, à un moindre degré, des islamistes, dans les territoires perdus de la République.
L'obligation du port d'une tenue réglementaire et uniforme d'établissement est un début de réponse à ces problèmes. Je n'ai jamais prétendu offrir une réponse universelle. Les enfants entrent aujourd'hui à l'école enveloppés dans la gangue de leur culture familiale. Jules Ferry avait rendu l'instruction obligatoire pour arracher les enfants, notamment les filles, à l'influence de leur famille et de l'Église catholique. Lisez le rapport d'Aristide Briand sur la loi concernant la séparation des Églises et de l'État, qui expose comment la République s'est construite contre l'Église.
Aujourd'hui, nos enfants sont exposés à la pseudo-culture, au salmigondis de la mode, du marché, des réseaux sociaux ou, pire encore, de la propagande de l'islamisme radical. En rendant obligatoire le port de l'uniforme, nous rétablissons le statut d'élève dans sa force et dans sa noblesse. Nous ne voulons pas que soient importés jusqu'au sein de notre école le fatras et le vacarme des luttes de mode, des marques ou des tenues religieuses. L'État, qui, aux termes de la Constitution, définit et conduit l'action éducatrice, a le devoir d'en protéger son école et les élèves. Il s'agit non d'étendre un droit mais d'instaurer un devoir, ce qui, pour des élèves, a une valeur éducative indéniable.
La proposition de loi n'est pas autoritaire ou rétrograde. Elle est novatrice, car notre pays n'a jamais connu l'obligation du port de l'uniforme pour tous les élèves. Elle est aussi très souple dans son application, puisqu'elle donne à chaque école ou collège le choix de la tenue réglementaire d'établissement. L'autonomie des établissements peut donc s'exercer, mais dans le cadre d'une loi protectrice de l'école de la République.
Monsieur Raux, votre exposé sommaire souffre de certaines contre-vérités et incohérences. Non la proposition de loi ne réintroduit pas l'uniforme à l'école, puisque cette obligation n'a jamais existé – la blouse est un vêtement de protection, non un uniforme. Elle est donc novatrice. Elle est une première réponse à la situation nouvelle dans laquelle se trouve notre école.
Vous écrivez que le texte entend « mettre sous le tapis l'appartenance sociale, ethnique, religieuse, culturelle » des élèves. Non, il veut seulement que les signes extérieurs d'appartenance soient effacés lorsque l'enfant, en entrant dans son école ou son collège, devient un élève. Il entre alors dans le sanctuaire du savoir et de la transmission – là où, selon Jean Zay, « les querelles des hommes ne pénètrent pas ». En revêtant sa tenue réglementaire, définie par l'établissement, il affiche symboliquement son adhésion et son respect pour l'institution qui l'éduque et enseigne.
L'écolier peut et doit être fier de son établissement. Vous osez affirmer que l'appartenance à un établissement d'éducation prioritaire serait stigmatisante. Par quelle inversion perverse des valeurs arrivez-vous à pareille affirmation ? L'élève de REP sera fier de son établissement, qui est souvent, dans son quartier, le seul service public, la seule institution qui porte à son fronton la devise de la République. Ne croyez-vous pas cela préférable à la loi des bandes et à la pression islamique, auxquelles les familles et les élèves désirent échapper ?
La conclusion de votre exposé sommaire laisse sans voix, tant elle est déplacée. Pensez-vous vraiment qu'empêcher le port des abayas et des qamis soit de « l'islamophobie nationaliste » ? C'est vraiment inepte.
Avis défavorable aux amendements de suppression.
Monsieur le rapporteur, vos arguments se fondent presque uniquement sur les propos des personnes que vous avez auditionnées venant de la Martinique. Mais ce qui motive le port de la tenue uniforme aux Antilles n'a rien à voir avec la défense de la laïcité ou la lutte contre l'islamisme, qui sont vos principales motivations. En outre, un exemple ne peut suffire à généraliser. Mon expérience comme chef d'établissement me permet de soutenir que l'uniforme est efficace en matière de sécurité et de lutte contre les inégalités sociales, mais celle de Mme Rilhac va à l'inverse de ce que j'ai vécu. C'est parce que les situations sont si diverses qu'il est difficile de concevoir une loi valable pour l'ensemble du territoire.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l'article unique est supprimé et les autres amendements tombent.
L'ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.
En conséquence, la discussion en séance publique se déroulera sur la base du texte initial.
La réunion est suspendue de onze heures quinze à onze heures vingt.
(Mme Fabienne Colboc, Vice-présidente)
La commission examine ensuite la proposition de résolution européenne relative à la proposition de législation européenne sur la liberté des médias (n° 601) (M. Emmanuel Pellerin, rapporteur).
Cette proposition de résolution européenne, dont M. Pellerin est le rapporteur pour notre commission, a été déposée le 7 décembre dernier en application de l'article 151-2 du Règlement. Elle a été présentée au nom de la commission des Affaires européennes par Mmes Le Grip et Mélin.
Cette proposition de résolution européenne est le fruit d'un travail transpartisan mené par Mmes Constance Le Grip et Joëlle Mélin au sein de la commission des Affaires européennes. J'ai moi-même mené une série d'auditions afin d'approfondir le projet de législation présenté par la Commission européenne le 16 septembre dernier. J'ai en particulier recueilli le point de vue des acteurs du monde des médias en entendant des représentants de l'Alliance de la presse d'information générale (Apig), de Médiamétrie, du Syndicat national des journalistes, de Reporters sans frontières (RSF) et des sociétés de l'audiovisuel public.
La Commission européenne a décidé, de façon inédite, d'intervenir dans un domaine sensible. Les traditions réglementaires des États membres sont en effet très différentes en matière de médias, notamment s'agissant des médias de service public, et l'initiative de la Commission se heurte déjà aux critiques de certains États, qui la contestent sur le fondement du principe de subsidiarité et de l'absence supposée de base légale.
Je tiens tout d'abord à saluer l'action de la présidente de notre commission, qui est intervenue auprès de la présidente Braun-Pivet pour que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour de la séance publique. Il sera examiné le mardi 17 janvier prochain.
La proposition de règlement de la Commission vise à établir un cadre commun entre les États membres et à mieux protéger le pluralisme et la liberté des médias en inscrivant dans le droit de l'Union européenne une série de principes et de règles.
Elle s'inscrit dans le cadre plus large du plan d'action pour la démocratie européenne présenté par la Commission il y a deux ans, qui vise à promouvoir des élections libres et équitables, à renforcer la liberté des médias et à lutter contre la désinformation.
Au-delà de son objectif d'amélioration du fonctionnement du marché intérieur, l'initiative de la Commission est motivée par un constat qui doit tous nous alarmer : la multiplication des atteintes à la liberté, à l'indépendance et au pluralisme des médias au sein de l'Union. Ces atteintes sont documentées par la Commission elle-même dans ses rapports annuels sur l'État de droit mais aussi par des associations, des ONG et des centres de recherche comme Reporters sans frontières ou le Centre pour le pluralisme et la liberté des médias de Florence.
La Commission s'inquiète du manque de transparence de la propriété des médias dans un certain nombre de pays de l'Union, et de l'augmentation significative des atteintes à la sécurité des journalistes, à l'indépendance et à l'impartialité des médias de service public. Elle souligne à ce propos des risques de politisation des nominations, mais aussi les révocations de dirigeants en République tchèque, en Slovaquie, à Chypre, à Malte et en Slovénie.
Je souhaite également relayer les préoccupations de la Commission, du Conseil de l'Europe et de Reporters sans frontières quant au développement des procédures judiciaires abusives, plus connues sous le nom de « poursuites-bâillons ». Ce sont le plus souvent des plaintes pour diffamation, qui constituent une forme de harcèlement contre les journalistes et visent à les intimider. La Commission cible particulièrement la Pologne, où les poursuites contre des journalistes sont souvent engagées par des responsables politiques ou des fonctionnaires. La Pologne a même été qualifiée par Reporters sans frontières de « pays des procédures-bâillons ». Cette ONG a également dénoncé la méconnaissance du droit à un procès équitable du journaliste polonais Tomasz Piatek, attaqué en justice par un proche du Premier ministre et condamné à l'issue d'une procédure méconnaissant les droits de la défense. La coalition contre les poursuites-bâillons en Europe, qui regroupe une trentaine d'associations dont RSF, Transparency International ou la Fédération européenne des journalistes, a décerné à la Pologne le prix du pays fournissant les conditions les plus favorables aux poursuites-bâillons pour les années 2021 et 2022.
Dans ces conditions, je salue l'initiative de la Commission européenne, qui rappelle à ces États que l'Union est d'abord une communauté de valeurs et de principes, lesquels n'ont pas vocation à être bafoués. Cette proposition de règlement vise ainsi à interdire aux États membres de s'immiscer dans les décisions éditoriales des médias, à protéger le secret des sources et l'intégrité physique des journalistes, à reconnaître la spécificité des médias de service public et à garantir leur indépendance.
J'entends les critiques de certains États membres, qui contestent la validité de la base juridique invoquée par la Commission européenne et dénoncent une violation supposée du principe de subsidiarité. J'ai notamment pris acte de l'adoption d'un avis motivé en subsidiarité par nos collègues sénateurs, que j'ai lu avec intérêt.
Si je juge ces critiques excessives, je m'interroge tout de même sur le choix de la Commission de recourir à un règlement plutôt qu'à une directive, le premier fixant des règles d'effet direct tandis que la seconde ne fixe que des objectifs à atteindre. Les États membres disposent de législations différentes et de traditions réglementaires diverses qu'ils souhaitent légitimement conserver. C'est le cas de la France, avec la loi de 1881 sur la liberté de la presse et la loi de 1986 relative à la liberté de communication. J'ai donc souhaité déposer un amendement qui reprend mon interrogation et regrette que la Commission n'ait pas mené une analyse plus approfondie sur la nature de l'instrument juridique à retenir.
J'entends également les critiques de mes collègues du Rassemblement national. Je tiens à ce propos à saluer la décision de notre collègue Joëlle Mélin de ne pas présenter d'avis en subsidiarité, par esprit de consensus. Je suis attaché comme elle au respect du principe de subsidiarité et du principe d'attribution des compétences de l'Union européenne, qui en l'occurrence ne me semblent pas violés.
Malgré ses aspects positifs, le texte de la Commission me paraît, en l'état, insuffisant. La proposition de résolution européenne que nous allons examiner appelle justement le Gouvernement à œuvrer à un renforcement de ses dispositions.
En premier lieu, je regrette l'absence de distinction entre les secteurs de la presse écrite et de l'audiovisuel, laquelle est fondamentale en droit français. La presse française s'inquiète à juste titre de son inclusion dans le champ de compétence du futur comité européen pour les services de médias, alors qu'elle n'est actuellement pas régulée par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). De plus, l'indépendance du futur comité n'est pas garantie puisque son secrétariat doit être assuré par la Commission. Il convient que ce comité dispose de ressources propres et soit pleinement indépendant.
Je regrette également le manque d'ambition de la Commission européenne sur le plan de la responsabilisation et du contrôle des plateformes numériques, avec lesquelles les médias entretiennent des relations compliquées. L'article 17 de la proposition de règlement leur impose simplement de « prendre toutes les mesures possibles » pour communiquer aux médias les motifs des décisions de suspension de leurs contenus avant que la suspension ne prenne effet. Il ne s'agit donc pas d'une obligation réelle et sanctionnée, le texte se bornant à demander aux plateformes de traiter les plaintes des entreprises de médias en priorité. Cet article doit être renforcé et j'espère que la France au sein du Conseil ainsi que les parlementaires européens travailleront en ce sens.
À l'heure du numérique, la question de la mesure de l'audience est complexe. Je suis heureux que la Commission européenne s'y soit intéressée : elle est d'une importance vitale pour les médias puisqu'elle conditionne en partie leurs ressources publicitaires. Cependant, nous devons appeler la Commission à aller plus loin en renforçant les obligations applicables aux plateformes en matière de communication des données aux médias et de transparence sur leur méthodologie. Je défendrai un amendement en ce sens.
Cette proposition de résolution, que je vous invite à adopter, me paraît équilibrée et consensuelle.
La présentation que Mme Mélin et moi allons faire des travaux de la commission des Affaires européennes ne taira pas nos divergences qui, sur certains points, sont importantes.
La proposition de législation européenne que nous avons examinée résulte d'inquiétudes que partagent de nombreux acteurs institutionnels, nationaux et européens. L'information est un bien public, ce qui suppose qu'elle soit libre, fiable, indépendante – notamment à l'endroit des financiers – et préservée des pressions, des ingérences et des manipulations.
Or les atteintes à l'indépendance et au pluralisme des médias sont de plus en plus nombreuses en Europe. Encore plus préoccupant, les journalistes ne sont pas en sécurité. Dans plusieurs pays de l'Union européenne, ils sont mis sous pression, espionnés, menacés, attaqués – parfois physiquement. Certains ont été assassinés, comme la Bulgare Victoria Marinova, la Maltaise Daphné Galizia, le Slovaque Jan Kuciak, le Néerlandais Peter de Vries.
Cette proposition vise également à répondre à d'autres préoccupations liées à la concentration du capital des fournisseurs de services de médias, aux difficultés d'articulation avec les très grandes plateformes en ligne et aux ingérences politiques ou financières européennes ou extra-européennes.
L'initiative législative de la Commission, utilisant un instrument juridique contraignant, me semble fort pertinente. La protection que nous devons aux journalistes et aux médias, la garantie de la préservation de l'État de droit, dont un fonctionnement libre et pluraliste des médias fait partie intégrante, la protection et la préservation des fondamentaux de la démocratie en Europe doivent être en tête de nos préoccupations politiques. Je suis donc favorable, avec le groupe Renaissance, au principe de cette initiative et lui apporte tout mon soutien.
En commission des Affaires européennes, nous avons renforcé et substantiellement enrichi le texte initial en confortant les garanties apportées à ce droit fondamental qu'est l'accès à une information libre et pluraliste de même qu'à l'exercice plein et entier du métier de journaliste.
Une convergence s'est fait jour, au cours de nos travaux, sur un certain nombre de constats. Nous avons notamment identifié plusieurs pistes d'amélioration, le texte n'étant pas aussi équilibré que nous le souhaitons. Nous insistons en particulier sur la nécessaire articulation du texte européen, quelle que soit la forme juridique contraignante qu'il prendra, avec les dispositifs nationaux – je pense à notre grande loi sur la presse de 1881 et à la loi de 1986 relative à la liberté de communication – mais aussi à la garantie de l'indépendance du futur comité européen pour les services de médias.
Je tiens également à souligner le caractère un peu particulier de l'exercice que Mme Le Grip et moi-même avons réalisé, ainsi que la qualité du travail transpartisan qui a été accompli.
Tous, sur le plan politique, national ou européen, nous partageons l'objectif de protéger nos médias et nos journalistes.
Au cours de nos travaux, nous avons entendu plusieurs interrogations sur le bien-fondé de l'intervention européenne en la matière. Cette proposition de règlement permet-elle de protéger réellement nos médias, leur indépendance et leur pluralisme ? Respecte-t-elle vraiment les compétences des États membres et ne remet-elle pas en cause des choix culturels et nationaux ayant prouvé leur efficacité ? Sur ce point, des doutes sont permis, aux dires des journalistes eux-mêmes. Lors de nos auditions, certains d'entre eux se sont étonnés des objectifs de la Commission européenne et craignent que ce texte ne parvienne pas à les protéger, voire qu'il fragilise leurs libertés.
Nous avons donc pris le risque d'adopter une législation européenne volontairement limitée, alors que notre droit de la presse et des médias est l'un des plus protecteurs d'Europe. Ses effets pourraient être contraires aux intentions politiques initiales, en France et dans d'autres États protecteurs. Dès lors, pourquoi changer d'échelon et passer d'une régulation nationale qui fonctionne bien à une réglementation européenne qui bouleverserait notre modèle ?
La Commission européenne use de son argument habituel : la question des médias est rattachée à celle du marché intérieur et il est nécessaire d'en harmoniser les règles et les pratiques ; les législations nationales des États membres sont fragmentées, ce qui soulève des problèmes pour les investisseurs et, de facto, n'est pas bon pour l'économie. Une telle logique ne saurait être appliquée aveuglément. Avec cette grille de lecture, l'Union serait compétente dans tous les domaines, en raison d'un rattachement, même infime, à des questions économiques, et elle ferait toujours mieux que les États membres.
Mais la question des médias ne relève ni de l'économie ni du marché intérieur, d'autant plus que tous les médias ne sont pas transfrontières. Les médias ne sont pas des entreprises comme les autres. Le pluralisme manifeste la diversité culturelle et linguistique de l'Union européenne. Ne laissons pas la Commission interférer brutalement dans un domaine qui recouvre des enjeux proprement nationaux, qui plus est dans le cadre d'un règlement très peu respectueux de la marge d'appréciation des États membres. Le choix d'une directive serait déjà préférable. Au regard de ses compétences limitées s'agissant des médias, la Commission devrait s'en tenir à l'adoption d'une recommandation.
Plusieurs avis motivés en subsidiarité ont d'ailleurs été adoptés pour contester la compétence de la Commission européenne, par le Bundesrat allemand, la Chambre des députés hongroise, le Parlement danois et, hier matin, le Sénat français. Le service juridique du Conseil de l'Union européenne a même été saisi par la présidence tchèque pour étudier la compétence de l'Union européenne et son avis sera rendu dans les jours à venir. Nous sentons bien une certaine hâte du gouvernement français autour de ce texte, la charrue ayant peut-être été mise avant les bœufs. Ne craignons pas de faire valoir l'argument du droit en brandissant le principe de subsidiarité face à une lecture très politique de la Commission qui risque de menacer notre souveraineté nationale.
Notre groupe partage donc les objectifs de la Commission européenne, mais un problème de méthode se pose : en laissant la Commission intervenir maintenant, nous perdons la possibilité de réglementer le champ de liberté et d'indépendance des médias. Dans l'esprit de compromis qui a guidé notre travail, nous avons fait néanmoins des concessions et souhaiterions donc en rester à un texte minimal.
Suite aux amendements adoptés en commission des Affaires européennes, je ne peux soutenir cette proposition mais j'attends beaucoup des amendements qui seront présentés au sein de cette commission.
Je précise que nous sommes soumis à des délais réglementaires. Si nous ne les avions pas respectés, cette proposition de résolution aurait été considérée comme adoptée, sans débat.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Des pressions inquiétantes s'exercent sur les médias dans certains États membres de l'Union européenne : insécurité des journalistes, ingérences publiques et privées, fortes menaces sur le pluralisme et la liberté. Cela se produit de surcroît dans le contexte de l'émergence de ces nouveaux acteurs que sont les grandes plateformes en ligne et d'une grande diversité entre les règles nationales des États membres.
Pour y répondre, la présidente de la Commission européenne a annoncé dans son discours sur l'état de l'Union du 15 septembre 2021 une proposition de règlement établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur. Présentée le 16 septembre 2022, elle vise à favoriser le bon fonctionnement du marché intérieur des médias et à mieux protéger le pluralisme et la liberté médiatiques.
Le Gouvernement et notre groupe politique l'ont saluée car elle permettra d'instaurer des garde-fous contre les ingérences politiques des pouvoirs publics et des acteurs privés dans les décisions éditoriales, et contre les pratiques de surveillance. Ainsi prévoit-elle des mesures tendant à protéger l'indépendance des rédacteurs et à divulguer les conflits d'intérêts. Elle insiste sur l'indépendance et le financement stable des médias de service public ainsi que sur la transparence de la propriété des médias et de l'attribution de la publicité d'État. Elle permettra également d'harmoniser les modalités de financement et de régulation des médias entre les États membres, ainsi que leurs relations avec les pouvoirs publics.
Notre commission des Affaires européennes s'est réunie le 7 décembre et a adopté une proposition de résolution européenne relative à la proposition de législation européenne sur la liberté des médias. Cette initiative de la Commission européenne a été présentée sur le fondement de l'article 114 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoyant l'harmonisation du marché unique de l'Union, notamment en matière de libre prestation de services. Cependant, le texte présente quelques difficultés techniques qui devront être adressées au Parlement européen par la procédure ordinaire.
Nous soulignons en particulier les problèmes d'articulation entre cette proposition de législation européenne et le droit français en matière de liberté de la presse, ou encore la nécessité d'examiner les questions de l'indépendance du comité européen pour les services de médias et de l'inclusion de la presse écrite dans son champ de compétence. Nous regrettons également que la proposition n'aille pas plus loin en matière de régulation des plateformes.
Malgré ces difficultés, et en gardant un œil attentif sur les améliorations possibles, nous saluons et voterons cette proposition de résolution européenne.
Tout le monde entend défendre la liberté de la presse, le pluralisme et la protection des sources des journalistes. Globalement, la situation n'est pas périlleuse dans notre pays, mais cela n'empêche pas de s'interroger sur la neutralité du service public, la concentration des médias ou la formation des journalistes, sans parler du droit voisin et du rôle de plus en plus envahissant des plateformes.
Cette proposition de résolution européenne répond-elle à ces préoccupations ? Non, mais nous voyons bien où l'Union européenne souhaite nous emmener : vers l'instauration d'un cadre commun pour l'ensemble des médias. Une fois encore, les frontières et les États la dérangent ; il faut de l'uniformité. Nous, nous préférons la souveraineté des nations au clonage.
Quelle est la légitimité de l'Union européenne pour légiférer en la matière ? Dans le domaine culturel, elle n'a aucune compétence et se doit de respecter le principe de subsidiarité, comme l'a bien compris l'Allemagne ou, chez nous, le Sénat. Dans un entretien accordé à Euractiv, Sabine Verheyen, la présidente de la commission de la culture et de l'éducation du Parlement européen – qui est loin d'être une eurosceptique – se déclare « profondément préoccupée par le remplacement de l'actuelle autorité de régulation des médias, le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (Erga), par un nouvel organe, le comité européen pour les services de médias, et par l'influence de la Commission européenne ». Elle refuse également l'idée d'imposer « des règles trop strictes au niveau européen ».
L'Europe met en avant les attaques physiques dont des journalistes ont hélas été victimes, de Malte aux Pays-Bas, mais un texte européen effraie-t-il pour autant les mafias ? L'Union européenne, par ailleurs, veut protéger les médias face aux menaces de déstabilisation et d'ingérence de certains États. En me demandant lesquels, c'est le Qatar qui m'est immédiatement venu à l'esprit ! Banco donc, mais avant de donner des leçons, il faut être irréprochable, y compris à la Commission…
Vous tenez autant que nous à l'exception culturelle française. Pourquoi devrions-nous être contraints d'abandonner nos règles nationales, au risque de mettre en danger les entreprises du secteur face à une réglementation plus que floue ? Le Sénat a admis qu'en se fondant uniquement sur l'article 114 du TFUE et en englobant tous les services de médias, y compris la presse écrite, la proposition de règlement postule l'existence d'un tel marché à l'échelle de l'Union européenne. Or nous savons que le marché des médias est essentiellement structuré sur une base nationale, régionale ou locale. Dès lors, cet article ne constitue pas une base juridique adéquate pour une réglementation garantissant la diversité des contenus et surtout la liberté éditoriale.
Le Sénat estime donc que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, dans sa rédaction actuelle, n'est pas conforme. Vous souhaitez la conforter, sans remettre en cause sa légitimité juridique et politique. Pour nous, il est impossible de la voter en l'état.
Nous avons l'opportunité de parler de ces sujets essentiels que sont le pluralisme et l'indépendance de l'information, la liberté de la presse, la protection des journalistes, la pérennité des financements du service public, la transparence de la propriété des médias.
Ce projet de règlement est donc crucial mais la proposition de résolution européenne que vous présentez ressemble à une immense occasion manquée. Nous, députés du pays des droits de l'homme, de la liberté de la presse et de la liberté d'expression, devrions assumer de demander le renforcement des dispositions anti-concentration des médias, de la transparence dans la propriété des médias, de la protection du financement de l'audiovisuel public et des journalistes – autant de principes certes présents dans la proposition de règlement mais insuffisamment précisés. Pire, votre résolution contribue à masquer des problèmes français, voire à protéger les errements du Gouvernement.
Sur la question de l'audiovisuel public, la proposition de règlement prévoit clairement un financement adéquat et stable des fournisseurs de médias de service public par les États membres afin qu'ils puissent remplir leur mission de service public, tout en rappelant l'importance de l'indépendance éditoriale. Que faites-vous ? Vous répondez qu'une telle exigence ne doit pas remettre en cause les prérogatives des États membres en matière de financement et de désignation des dirigeants de médias publics !
Je veux bien que l'on défende la souveraineté – nous le faisons face à certaines directives européennes – mais pas un affaiblissement des droits ! Mettre cette proposition de résolution à l'ordre du jour est gros comme une maison, l'année même où vous supprimez brutalement et sans nécessité la redevance de l'audiovisuel public, où tous les responsables des chaînes et antennes de l'audiovisuel public ont dit que c'était une folie, où tous les syndicats de journalistes du service public ont défilé dans la rue ! Cette suppression, applaudie des deux mains par le Rassemblement national, est un coup de grâce après des années de réduction du montant de la redevance et de plans sociaux. Son remplacement par une budgétisation constituerait une atteinte grave au principe d'indépendance de l'audiovisuel public. Bref, c'est vraiment « très gros » que nos deux rapporteures, macroniste et lepéniste, nous proposent de voter pour une résolution qui amoindrit des exigences européennes en matière d'audiovisuel public stable et indépendant. Si l'alinéa 29 n'est pas supprimé, nous ne pourrons pas voter en faveur de ce texte.
Par ailleurs, nous, députés français, devrions nous saisir de ce débat pour réfléchir à la situation dans laquelle se trouvent les médias et les droits des journalistes dans notre pays. Nous qui sommes tous d'accord pour dénoncer, la main sur le cœur, les entraves à la liberté d'expression dans certains pays de l'est européen, ne détournons pas le regard de nos propres responsabilités.
En France, des journalistes ont dû publier une tribune d'excuses au Président de la République pour avoir prétendument mal interprété ses propos.
En France, un journaliste a été poursuivi par la justice pour un reportage sur une action des faucheurs volontaires.
En France, des journalistes ont été violentés par la police dans des manifestations, si bien que la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe s'en est émue et a rappelé la nécessité de protéger les journalistes qui couvrent des rassemblements.
En France, des journalistes ont été victimes de censures préalables au nom du secret des affaires.
En France, des journalistes ont fait l'objet de procédures-bâillons de la part d'un industriel qui ne voulait pas qu'ils mettent en lumière ses pratiques contestables, notamment en Afrique.
En France enfin, nous assistons à un phénomène massif et préoccupant de concentration des médias.
L'article 21 de la proposition de règlement est consacré à la concentration des médias. Vous appelez à une clarification des critères d'évaluation, ce dont je me réjouis car nous aurions ainsi de quoi démanteler le groupe Bolloré et d'autres. Mais nous continuons à chercher en vain en quoi le Gouvernement et les députés macronistes contribuent à lutter contre cette concentration. Ne camouflons pas les turpitudes françaises, ayons une politique ambitieuse pour notre audiovisuel et nos médias publics !
Nous avons toujours dans notre besace une proposition de loi pour le financement de l'audiovisuel public et pour lutter contre la concentration dans les médias. Nous pourrons nous en saisir si la volonté vous vient d'appliquer réellement les grands principes proclamés. En attendant, nous ne voterons pas ce texte si, à l'issue de nos débats, il continue à manquer de ce que le pays des droits de l'homme et de la liberté de la presse pourrait dire à l'ensemble de l'Europe.
Cette proposition de résolution européenne résulte d'une proposition de la Commission récemment adoptée qui doit être examinée par le Parlement européen et les États membres pour aboutir à un projet de règlement applicable dans l'ensemble de l'Union.
Si les médias et la préservation du pluralisme ne constituent pas une compétence de l'Union, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, juridiquement contraignante depuis 2007, protège la liberté et le pluralisme. Parce qu'il s'agit de piliers essentiels de notre démocratie, le groupe Les Républicains soutient les objectifs généraux poursuivis par la Commission en faveur d'une loi européenne sur la liberté des médias, mais le principe de subsidiarité doit aussi s'appliquer. S'il faut rappeler les exigences de transparence et d'indépendance des médias, il est aussi vrai que la gouvernance, la mission de service public et le financement de l'audiovisuel public relèvent de la compétence des États membres.
Avec cette proposition de résolution européenne, nous nous félicitons de la protection de l'indépendance éditoriale et des sources journalistiques, de la transparence de la propriété des médias et de la publicité d'État, de la protection des contenus en ligne, et du droit pour l'utilisateur de personnaliser son offre de médias sur les appareils connectés et les interfaces.
Elle rappelle également la nécessité d'un financement stable et prévisible des médias de service public et de la régulation de la concentration des médias. Je rappelle à ce propos qu'il importe de maintenir dans notre pays un double niveau de contrôle des concentrations : d'une part, un contrôle de droit commun à travers l'Autorité de la concurrence ; d'autre part, un contrôle spécifique, sectoriel, à travers l'Arcom et la loi de 1986. Ce dispositif, qui ne s'applique qu'aux médias traditionnels – audiovisuel hertzien et presse écrite – est complètement obsolète et devrait être refondé, à l'heure où l'offre et les usages se sont largement reportés sur l'internet.
Face aux menaces contre la liberté et le pluralisme, à la concurrence des très grandes plateformes en ligne et des réseaux sociaux, aux tentatives d'ingérences politiques ou économiques, ce texte prévoit des garde-fous utiles communs, mais devra respecter le principe de subsidiarité et la compétence des États membres. En conséquence, nous voterons en faveur de cette proposition de résolution européenne modifiée par l'adoption d'un certain nombre d'amendements.
Selon l'Unesco, la liberté de la presse s'est détériorée pour 85 % de la population mondiale pendant les cinq dernières années. C'est notamment le cas dans les pays autoritaires – Russie, Chine ou Venezuela – mais également dans de grandes démocraties – États-Unis, Inde ou Mexique – où la liberté de la presse recule pour différentes raisons : l'argent, la corruption, des dirigeants autoritaires… Cela vaut également en Europe, où la montée de l'extrême droite, en Pologne ou en Hongrie, rogne la liberté des médias publics ou privés.
Dans ce contexte, ce règlement européen est le bienvenu. Il l'est d'autant plus que les commissaires chargés de l'élaborer ont su faire rapidement les bons constats. Ainsi, pour paraphraser Thierry Breton, les médias européens font face simultanément à une baisse de leurs recettes, à l'émergence des plateformes en ligne et à un conglomérat de règles nationales compliquant la libre circulation de l'information.
Le règlement présenté mi-septembre par la Commission s'inscrit dans la continuité de notre ambition pour protéger les médias européens. Après la création commune d'un droit voisin numérique, immense victoire des journalistes face aux plateformes que l'on doit au président Mignola, ce projet de règlement renforce encore la protection de nos médias.
En effet, il conforte les règles de transparence quant à la communication des États ou aux propriétaires de presse, mais aussi en matière de concentration, ce qui contribuera au renforcement des liens de confiance entre la presse et la population. Il conforte également le soutien aux journalistes en créant un fonds destiné à ceux qui, parmi eux, sont menacés, et en amplifiant la lutte contre les logiciels espions. Il affirme le soutien des États à l'endroit des médias du service public en leur garantissant un financement adéquat et stable. Il lutte également contre la puissance des Gafam en leur imposant de donner les raisons du retrait d'un article au média qui en est à l'origine. Nous devons toutefois aller plus loin en la matière tant l'inquiétude s'accroît à l'égard de ces géants du numérique, qui peuvent modifier des lignes éditoriales en sélectionnant des articles et en les mettant en avant ; en outre, ils aspirent les recettes des médias en captant les revenus publicitaires en ligne.
Pour toutes ces raisons, notre groupe soutient la proposition de résolution, qui soutient un texte européen pertinent tout en exprimant des réserves justifiées. Nous partageons les pistes d'amélioration qui ont été proposées. Nous devons en particulier nous montrer vigilants à propos du comité européen pour les services de médias et de son futur périmètre. L'Autorité de la concurrence sera-t-elle entendue sur les questions de concentration ? Comment l'indépendance de cette structure sera-t-elle garantie ? La presse écrite, dont les processus sont si particuliers, sera-t-elle exclue de la compétence de ce comité ? Autant de questions soulevées par cette proposition de résolution européenne qui ne devront pas rester sans réponse.
En 2022, cinq cent trente-trois journalistes sont en détention. Chaque année, Reporters sans frontières publie un nouveau record des exactions commises à leur endroit. Cinquante-sept d'entre eux ont perdu la vie, un nombre qui repart à la hausse. Soixante-cinq sont otages et quarante-neuf sont portés disparus.
Il est primordial de défendre la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias au sein de l'Union européenne. À l'heure des infox, de la montée des extrêmes et du repli sur soi, il est crucial que les citoyens européens puissent se forger des opinions éclairées et participer pleinement au débat démocratique grâce à une offre médiatique indépendante et pluraliste.
Ainsi, nous saluons l'initiative européenne visant à établir un cadre commun pour les services des médias dans le marché intérieur, tout en soulignant que la protection des valeurs démocratiques de l'Union européenne doit aller au-delà de cette approche.
Nous saluons cette proposition de résolution européenne qui soutient une initiative nécessaire, mais nous en regrettons le manque d'ambition, s'agissant notamment de la lutte contre la concentration des médias. Alors que le paysage médiatique est de plus en plus concentré, ce qui porte gravement atteinte aux principes de pluralisme et d'indépendance, elle devrait insister sur la nécessité de renforcer les règles anti-concentration.
Par exemple, il serait pertinent de demander plus de clarté sur les seuils prévus. Avec la NUPES, nous avons défendu le mois dernier une proposition de loi du groupe La France insoumise fixant des seuils ambitieux pour empêcher le regroupement de nos médias entre les mains d'un petit nombre d'hommes et de sociétés dont l'activité principale est souvent très éloignée du monde de l'information et de ses principes.
Elle manque aussi d'ambition s'agissant des fournisseurs de services de médias extérieurs à l'Union. À l'heure où la propagande russe est diffusée par les satellites Eutelsat, dans une époque caractérisée par des tensions internationales et des conflits géopolitiques allant croissant, la question de la coopération transfrontalière dans le domaine des chaînes et des services de médias sous l'influence ou le contrôle de pays tiers s'avère cruciale. Elle doit être traitée à l'échelon européen.
Comme le démontre l'affaire Eutelsat, ces médias peuvent causer de graves dommages en termes de désinformation et de propagande d'État, d'incitation à la haine et à la violence, ainsi que de déstabilisation des démocraties européennes. Il est nécessaire de muscler l'acte européen afin de donner à nos régulateurs les outils pour les sanctionner et les interdire.
Nous souhaitons que la proposition de résolution européenne demande l'amélioration, la clarification et le renforcement des dispositions de l'acte européen pour apporter des solutions efficaces aux problèmes que je viens d'évoquer. Le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels a fait des recommandations en ce sens, que nous vous invitons à suivre.
Surtout, l'alinéa 29 de la proposition de résolution nous pose un sérieux problème. Il s'inscrit dans la suite du débat sur le financement de l'audiovisuel public qui nous a opposés cet été. Il est essentiel de prévoir des garanties permettant d'assurer l'indépendance des médias publics.
Le sens d'un garde-fou, c'est de s'assurer, dans les marges de manœuvre accordées aux États membres, que les principes soient respectés. Souhaiter que ces garde-fous « ne remettent pas en cause les prérogatives des États membres en matière de financement et de désignation des dirigeants des médias publics », c'est nier leur sens même.
Nous l'avons constaté, ce sont ces garde-fous qui ont fait reculer le Gouvernement sur son choix de budgétiser le financement de l'audiovisuel public sans prévoir les garanties nécessaires. Parce que nous défendons haut et fort notre audiovisuel public, nous nous opposons fermement à cet alinéa.
Nous nous abstiendrons sur la proposition de résolution européenne.
Nos sociétés européennes sont médiatiques, et massivement. Les médias, par leur capacité d'informer, de diffuser et d'orienter, sont omniprésents dans notre quotidien. Liberté, indépendance et pluralité des sources d'information sont des principes précieux. Ils structurent nos démocraties et sont consubstantiels de l'identité européenne. Nous devons donc, ensemble, les préserver.
Le premier constat, que nous sommes nombreux à dresser, est que les médias, en bien des endroits de notre continent, voient leur nécessaire indépendance remise en cause, et subissent des attaques visant leur liberté et leur pluralité. Le manque de transparence et d'indépendance des autorités de régulation, les atteintes aux journalistes et les procédures judiciaires abusives sont autant de menaces pesant sur nos démocraties.
Depuis leur création, les institutions de l'Union se sont emparées de la défense de leur liberté, adoptant des directives. Il est regrettable qu'aucune n'ait abouti à la création d'un marché commun des médias. C'est ce qui nous est proposé aujourd'hui.
Le second constat que nous partageons est celui d'une transformation des médias et d'une évolution inédite de leur écosystème, en raison notamment du développement de plateformes en ligne et de la multiplication des services de vidéo à la demande, ainsi que des habitudes de diffusion en direct et de partage des vidéos. Cette évolution technique, ainsi que l'accélération du temps médiatique qu'elle induit, doivent être accompagnées par une évolution juridique adaptée.
Pour le groupe Horizons et apparentés, il est fondamental de permettre aux médias européens d'évoluer selon des règles similaires, pour favoriser la concurrence. C'est pourquoi la Commission européenne a opté pour un projet de règlement, dont l'application sera directe dans les législations des États membres. L'objectif clairement identifié est de les doter d'un socle minimal de principes communs. Ce texte leur permettra de parvenir à un marché commun de l'information, inexistant à l'heure actuelle.
Souvenons-nous que l'Union ne dispose que d'une compétence d'appui, et non directe, pour régir les médias. Bien que notre rapporteur juge l'état d'esprit de la Commission européenne rassurant s'agissant du respect des réglementations étatiques, gardons à l'esprit qu'il s'agit d'un acte inédit. Le choix de la Commission d'inscrire sa proposition de législation dans un règlement plutôt qu'une directive laisse perplexe certains parlements, notamment le suédois et l'irlandais, qui s'interrogent à ce sujet, ainsi que le Parlement européen.
Cependant, si des interrogations demeurent sur la forme, le fond de ce travail requiert notre pleine mobilisation, et plus encore dans le contexte du retour de la guerre à nos portes que nous connaissons depuis le 24 février dernier. En période de conflit et de tensions extérieures, nous devons être guidés par le souci d'avoir une véritable information et de défendre notre liberté.
Le droit européen ne nous semble plus adapté à l'évolution des médias, qu'ils soient publics ou privés. Les législations européennes précédemment adoptées, notamment la directive « services de médias audiovisuels », sont dépassées, ce qui risque de fragiliser nos sources d'information et leur qualité.
Par ailleurs, ce travail européen répond aux attentes de nos concitoyens, comme le démontrent les conclusions de la conférence sur l'avenir de l'Europe, close en mai 2022. Le groupe Horizons et apparentés accueille favorablement la présente proposition de résolution européenne, qui permet à l'Assemblée nationale de se saisir d'un sujet majeur à l'échelon européen.
Le groupe écologiste accueille très favorablement le projet d'acte européen sur la liberté des médias. Si l'Europe demeure l'un des continents les plus favorables à la liberté de la presse, cette dernière n'en a pas moins sérieusement été mise à mal au cours des dernières années, y compris en France.
Le travail des journalistes est consubstantiel de l'exercice démocratique. Nous saluons les dispositions du projet d'acte européen sur la liberté des médias qui améliorent la transparence actionnariale, car savoir qui possède quoi est déterminant pour comprendre d'où chacun s'exprime. Nous saluons aussi la volonté d'élever l'information au rang de bien public et celle d'offrir à chaque journal européen des garanties contre l'ingérence politique dans ses décisions éditoriales, la surveillance étatique et l'espionnage, à l'heure où de nombreux gouvernements maintiennent un flou sur leur éventuel usage de logiciels de surveillance à des fins civiles. Nous saluons aussi la garantie des droits de la presse vis-à-vis des plateformes numériques et la volonté de réaffirmer l'indépendance des audiovisuels publics s'agissant de leur financement et de la nomination de leurs dirigeants. Tout cela est fort utile.
Toutefois, c'est se gonfler d'orgueil que de penser qu'il y a deux Europe, l'Europe de la Hongrie, avec son projet illibéral – celui des régimes que vous soutenez, madame la rapporteure du Rassemblement national, qui réduit de façon notable et constante les droits de la presse et les libertés fondamentales – et l'Europe de la France, où tout irait bien. En France aussi, la liberté recule. Nous qui occupions il y a vingt ans la onzième place au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières sommes aujourd'hui à la trente-quatrième, conservée de justesse en dépit de la tentative d'instaurer l'an dernier l'interdiction de filmer les forces de l'ordre par le biais d'une disposition de la loi « sécurité globale », sanctionnée in extremis par le Conseil constitutionnel.
Dans notre pays, la semaine dernière, des journalistes ont été convoqués par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui a tenté de leur extorquer leurs sources. Dans notre pays, des journalistes sont régulièrement blessés par les forces de l'ordre tandis qu'ils couvrent des manifestations, ou cibles d'interpellations arbitraires, comme récemment certains journalistes de Reporterre. Dans notre pays, le niveau de concentration actionnariale des médias atteint des records. Ils sont détenus par une poignée d'industriels, parmi lesquels Vincent Bolloré, malheureusement fort souvent cité dans cette commission : on fabrique des candidats à l'élection présidentielle, on vide les rédactions pour en changer la ligne éditoriale, on supprime des contenus d'information au profit de talk-shows…
Nous avons besoin de parler d'une voix forte sur ce projet d'acte européen, sans éluder la situation française. De ce point de vue, le texte qui nous est proposé n'est pas suffisant. Certes, il salue la philosophie globale de la proposition de législation européenne, rappelle la nécessité de préserver les aides publiques à la presse et relève le risque de manque d'indépendance du comité européen pour les services de médias. Tout cela est fort bien. En revanche, il est muet sur les trop grandes marges de manœuvre laissées aux États membres dans l'interprétation du texte. Il n'incite pas à prendre des mesures concrètes contre la concentration des médias et s'accommode du flou sur l'exigence de transparence quant à leurs actionnaires. Il est muet sur les conditions de travail des journalistes et la préservation de leur travail, s'agissant notamment des enquêtes et de la réactivité des rédactions.
Pire : il cherche à amoindrir certains aspects de la proposition de législation européenne, s'agissant notamment de la séparation stricte entre actionnaires et rédaction ou du financement de l'audiovisuel public. Vous cherchez en fait à masquer les graves problèmes soulevés par la suppression de la redevance audiovisuelle que le Gouvernement a imposée en juillet dernier. Cette suppression d'une recette affectée éloigne de la réalité les valeurs d'indépendance des médias publics que nous défendons dans le monde entier. La budgétisation des moyens des services publics de l'audiovisuel que vous appelez de vos vœux entraînera, nous le savons, leur fragilisation.
Pour l'heure, il nous est difficile de voter cette proposition.
Je remercie notre rapporteur ainsi que les rapporteures de la commission des Affaires européennes pour le travail mené sur le projet d'acte européen pour la liberté des médias, présenté le 16 septembre par la Commission européenne. Le groupe GDR-NUPES souscrit à la plupart des dispositions de la proposition de résolution européenne, qui apporte plusieurs précisions utiles. Toutefois, des questions demeurent en suspens et un travail approfondi reste à mener en droit interne pour réduire les écueils et les dangers auxquels sont exposés les médias dans notre pays.
La première question est celle de savoir si l'Union a compétence pour intervenir dans le champ des médias. Quand bien même ces derniers ne relèvent pas de sa compétence directe, et nonobstant les nombreuses réserves que m'inspire le fonctionnement de la Commission européenne, il ne me semble ni scandaleux ni hors de propos que l'Union s'intéresse à leur régulation : l'indépendance et le pluralisme des médias sont des piliers essentiels de nos démocraties, garantis par l'Union européenne.
Par ailleurs, les questions relatives à leur interopérabilité et leur concentration relèvent du marché intérieur. Rien ne me semble donc justifier l'adoption d'un avis de subsidiarité. En revanche, je m'interroge, à la lecture du rapport, sur la pertinence du choix d'un règlement au lieu d'une simple directive.
Sur le fond, il y a du positif dans les orientations de la Commission, qu'il faudra toutefois consolider au Parlement européen. La proposition de résolution européenne, quant à elle, précise plusieurs points importants, notamment la responsabilité du directeur de la publication, qui doit demeurer effective dans notre droit, et l'exclusion de la presse du champ du futur comité européen pour les services de médias, dont il est crucial d'assurer l'indépendance vis-à-vis de la Commission.
Plusieurs dispositions sont absentes de la proposition de résolution européenne. Le groupe GDR-NUPES aimerait les y inscrire, pour ne pas passer à côté d'enjeux majeurs.
Il nous semble tout d'abord pertinent de mentionner le travail engagé par l'Union sur les procédures-bâillons, qui entravent la liberté et l'action des journalistes. Ces instrumentalisations du droit se multiplient. Elles méritent d'être spécifiquement mentionnées dans la proposition de résolution européenne.
Par ailleurs, les médias sont exposés au danger de l'hyper-concentration, verticale et horizontale. Nous avons eu l'occasion d'en débattre récemment avec une proposition de loi déposée par nos collègues de La France insoumise. Ce phénomène de concentration est un enjeu démocratique.
Plus généralement, nous devons nous interroger sur l'accaparement des médias par de grands groupes industriels et sur la difficulté, pour tout média indépendant, de survivre ou d'atteindre une large diffusion. Notre objectif ne peut pas être d'assurer la pluralité entre milliardaires.
Nos amendements m'offriront l'occasion de détailler nos propositions. Il me semble important que la proposition de résolution aborde frontalement ces sujets. Le groupe GDR-NUPES espère voter ce texte, ce qui suppose que ses amendements visant à lui donner plus de force rencontrent un écho favorable.
La présente proposition de résolution européenne a notamment pour objectif de garantir un droit effectif à l'information aux citoyens de l'Union, en imposant la mise en œuvre, au sein des États membres, de mesures relatives à l'indépendance des médias. De nombreuses menaces démontrent l'importance et la nécessité d'assurer aux médias une autonomie vis-à-vis de l'État et de leurs actionnaires.
La loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite loi « Bloche », a pris des dispositions en ce sens dès 2016. Elle offre aux journalistes la possibilité de faire valoir leur droit à l'opposition si un acte imposé par leur direction heurte leur conviction professionnelle. Compte tenu des nouvelles exigences proposées, il faudra déterminer si la loi « Bloche » suffit ou si de nouvelles mesures sont nécessaires pour assurer le respect de nos engagements européens. Disposons-nous, à ce jour, d'une évaluation satisfaisante sur ce point ?
Par ailleurs, la proposition de législation européenne traite sur un pied d'égalité la presse écrite et la presse audiovisuelle. En France, le droit et la régulation les distinguent. Ne pourrait-on pas inverser la perspective et chercher à être, en France, aussi exigeants avec la presse écrite que nous le sommes avec la presse audiovisuelle et les plateformes numériques ?
Ces géants que l'on appelle Gafam passent leur temps à nous rassurer, le cœur sur la main, à propos de leurs intentions. À les entendre, ils défendraient la liberté d'expression, garantiraient le libre accès à l'information et permettraient une forme de démocratie totale où chacun et chacune peut accéder directement aux espaces communs de la discussion publique.
Ces professions de foi cachent la réalité bien plus cynique d'un modèle économique fragile, condamné à une surenchère incessante pour tenter de rentabiliser une audience à l'attention volatile. Véritables secrets industriels, leurs algorithmes sont conçus pour engendrer l'addiction et valoriser les émotions, surtout les plus négatives, dont il est prouvé que ce sont celles génèrent le plus rapidement le plus gros volume d'interaction et d'engagement.
J'aimerais que nous nous saisissions, à l'occasion de ce débat, du sujet de la régulation des plateformes et des réseaux sociaux. L'exigence de transparence mentionnée à l'alinéa 35 de la proposition de résolution européenne, relatif à l'article 17 du projet de règlement de la Commission européenne, me semble nettement insuffisante.
Monsieur le rapporteur, ne pensez-vous pas qu'il faille créer, à l'échelon européen et national, une véritable autorité de régulation indépendante ? Cela me semble indispensable pour juger des abus, pour exiger des plateformes et des réseaux sociaux une transparence totale des décisions, une modification de leurs algorithmes pour en combattre les effets délétères et une contribution à la lutte contre les addictions qu'elles ont suscitées, et enfin pour leur retirer le droit arbitraire de juger des contenus et des médias qui doivent être mis à l'index ou au contraire promus.
C'est une question d'expérience historique. On ne demande pas aux entreprises de la malbouffe d'adopter une approche diététique dans la composition de leurs menus. En 2008, la grande crise des subprimes nous a appris à ne plus demander aux agences de notation de noter les produits financiers des banques dont elles sont clientes. Ne pensez-vous pas que se contenter d'une autorégulation de cette industrie, c'est nous condamner à en constater, impuissants, les dégâts croissants sur nos enfants, nos citoyens et notre démocratie ?
La proposition de résolution européenne déplore que certains États membres portent atteinte à l'indépendance et au pluralisme des médias – c'est ce qui motive la proposition de règlement de la Commission européenne. Mais ces atteintes et les menaces qu'elles induisent sont trop brièvement évoquées dans le rapport.
Monsieur le rapporteur, pouvez-vous présenter de façon un peu plus détaillée l'état des atteintes à la liberté des médias dans les États membres de l'Union, ou à tout le moins préciser le classement de la France en matière de concentration et de risques d'atteinte au pluralisme ? Par ailleurs, estimez-vous que ces atteintes pourraient motiver un recours aux mécanismes de conditionnalité des fonds européens au respect de l'État de droit ?
Si le projet d'acte européen sur la liberté des médias introduit des garanties contre l'ingérence du gouvernement dans les politiques et décisions éditoriales, la proposition de résolution européenne introduit un flou sur la protection des sources potentiellement préjudiciable aux journalistes. Alors que trois journalistes de Radio France et de Disclose ont été convoqués il y a quelques jours à la DGSI pour des soupçons d'atteinte au secret de la défense nationale, il est impératif de définir bien plus clairement dans le droit les cas de recours à ces possibilités. La protection des sources doit être absolue.
Dans une autre affaire, un journaliste a été condamné à une amende pour avoir couvert un événement de désobéissance civile. N'est-ce pas une atteinte à la liberté d'informer ?
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué les dispositions de lutte contre les procédures-bâillons. Seront-elles suffisantes ? Plus généralement, le texte est-il assez ambitieux pour assurer la protection des journalistes ?
Comme Quentin Bataillon, je regrette le manque d'ambition de la Commission européenne sur la régulation des plateformes. C'est pourquoi l'alinéa 35 de la proposition de résolution appelle la Commission à obliger les plateformes à rendre publics les motifs de retrait des contenus.
S'agissant de la question de la compétence de l'Union en matière de médias, soulevée par Philippe Ballard, il ne me semble pas que la Commission européenne souhaite une harmonisation totale des règles applicables. Elle ne fait que fixer des règles minimales, un socle de principes communs qui me semble tout à fait utile. Quant au fondement juridique de son intervention, il se trouve dans l'article 114 du TFUE, comme le démontre mon rapport. Dans l'attente de l'avis du service juridique du Conseil de l'Union européenne, je considère que les traités sont respectés.
Comme Sarah Legrain, qui a évoqué le financement de l'audiovisuel public, je m'interroge sur la budgétisation de ses ressources. Une solution a été trouvée, consistant à lui affecter une part de la TVA, ce qui ne figurait pas dans le projet initial du Gouvernement.
La question fondamentale de l'attribution de ressources pérennes aux sociétés de l'audiovisuel public pour leur donner une vision pluriannuelle demeure. Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, est revenue sur ce point lors d'une audition de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat. Nous l'évoquerons lors de la discussion des amendements relatifs à l'alinéa 29 de la proposition de résolution européenne.
Je souscris aux propos de Jean-Jacques Gaultier sur l'utilité des garde-fous prévus par la proposition de règlement de la Commission et salue la décision de son groupe de voter la proposition de résolution européenne.
S'agissant de la régulation des Gafam, évoquée par Laurent Esquenet-Goxes, le problème est qu'ils captent une part croissante des ressources publicitaires. J'espère que nous en débattrons dans le cadre des états généraux du droit à l'information.
S'agissant du comité européen pour les services de médias, j'estime moi aussi que son indépendance n'est pas assurée en l'état. Je suivrai attentivement les débats à ce sujet au Conseil et au Parlement européen, en espérant qu'ils parviennent à la renforcer. La Commission n'a pas vocation à exercer un contrôle sur les régulateurs des médias, qui doivent travailler en toute indépendance.
Inaki Echaniz s'interroge sur le fondement juridique de l'intervention de la Commission. Si elle a retenu l'article 114 du TFUE, son approche n'est pas exclusivement fondée, de façon bornée, sur le marché intérieur. Il fallait une base juridique, mais au-delà, le texte pose des principes protecteurs pour les journalistes.
Par ailleurs, il est vrai qu'il faut mieux tenir compte de l'impact des concentrations sur le pluralisme des médias. L'article 21 de la proposition de règlement de la Commission européenne est consacré à cette question. Je regrette que le groupe Socialistes et apparentés s'abstienne sur le texte, qui me semble équilibré et de nature à envoyer un message fort au Gouvernement afin qu'il œuvre à un renforcement de la proposition de règlement au sein du Conseil.
Comme Béatrice Bellamy, je m'interroge sur l'instrument juridique retenu par la Commission européenne. J'ai déposé un amendement visant à en obtenir une analyse approfondie. Une directive me semble être un instrument plus approprié pour réglementer la liberté des médias.
Pour répondre à Sophie Taillé-Polian, la France respecte d'ores et déjà les principes édictés par la Commission en matière d'indépendance des médias et d'indépendance éditoriale. Il en va de même s'agissant de la protection des sources journalistiques et de la transparence de la propriété des médias, même si nous pourrions aller plus loin sur ce point, notamment s'agissant de l'actionnariat complexe. Quant à la préservation des budgets dédiés au travail journalistique d'information et d'enquête, nous l'évoquerons lors de l'examen de l'amendement que vous avez déposé à ce sujet.
J'en viens à l'intervention de Soumya Bourouaha. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur le respect du principe de subsidiarité et sur la nécessité d'opter pour une directive plutôt que pour un règlement. Je la rejoins sur la nécessité de préserver le régime français de la presse écrite, notamment l'existence du directeur de publication.
Céline Calvez est utilement revenue sur la loi Bloche de 2016 et l'introduction dans le droit français de la clause de conscience et de la clause de cession. Cette loi a créé le droit d'opposition des journalistes, ce dont je me réjouis. Quant à la presse écrite, elle est largement autorégulée. Je ne pense pas que nous manquions d'exigence à son égard. Je ne vois pas pourquoi elle devrait être régulée par l'Arcom. Cette question sera débattue dans le cadre des états généraux du droit à l'information.
Je souhaite comme Rodrigo Arenas qu'une autorité de régulation indépendante intervienne à l'échelon européen, mais je ne pense pas qu'elle ait vocation à tout réglementer. L'Union européenne a commencé à agir en matière de réglementation des plateformes, en adoptant le règlement sur les marchés numériques. Elle doit aller plus loin. La présente proposition de résolution européenne l'y encourage.
Emmanuelle Anthoine a rappelé à raison la conditionnalité des aides européennes, fondée sur le respect de l'État de droit, qui ne peut qu'encourager les États membres portant atteinte à la liberté de la presse à cesser de le faire.
Enfin j'ai pris note des préoccupations de Jean-Claude Raux au sujet des règles de protection des journalistes. Nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.
Article unique
Amendement de suppression AC21 de Mme Caroline Parmentier.
L'ambition de la proposition de législation européenne sur la liberté des médias est de réduire la fragmentation des approches législative et réglementaire, par les États membres, de la liberté, du pluralisme et de l'indépendance éditoriale des médias. Le Rassemblement national ne peut y souscrire.
Rappelons en premier lieu que la liberté et le pluralisme des médias sont garantis par l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Précisons ensuite que les médias, d'après les traités européens, ne relèvent ni des compétences partagées, ni des compétences exclusives de l'Union. Enfin, au nom de la souveraineté et de la liberté dues à chaque État membre, nous ne pouvons que récuser un texte portant atteinte au fonctionnement des États membres dans leur législation visant à assurer la liberté des médias.
Le texte présenté ne respecte pas le principe de subsidiarité. Il convient donc de supprimer son article unique.
Je suis défavorable à cet amendement ainsi qu'aux quatre autres déposés par des membres du Rassemblement national, qui ont tous pour objet de critiquer la validité ou l'opportunité de l'intervention de la Commission européenne. Je tiens toutefois à saluer le travail de Joëlle Mélin à la commission des Affaires européennes, aux côtés de Constance Le Grip.
Outre que l'adoption de cet amendement priverait de débat notre commission, j'accorde un soutien de principe à l'initiative de la Commission. Elle est certes imparfaite, et plusieurs de ses dispositions devront être clarifiées, voire amendées. Elle n'en a pas moins le mérite de définir un socle minimal de principes communs en matière d'indépendance éditoriale et de protection des journalistes, à l'heure où la liberté de la presse est attaquée dans de trop nombreux États membres. Ces atteintes sont documentées par la Commission, dans ses rapports annuels sur l'État de droit, ainsi que par des associations et ONG indépendantes, notamment Reporters sans frontières.
L'inscription de ces principes dans le droit de l'Union sera sans incidence sur les législations nationales qui, comme celle de la France, les respectent déjà. Par ailleurs, les auditions que j'ai menées avec Constance Le Grip et Joëlle Mélin ont démontré que l'article 114 du TFUE constitue une base juridique valide. Je vous renvoie sur ce point à la première partie de mon rapport.
S'agissant du respect du principe de subsidiarité, j'ai pris note des critiques formulées par nos collègues parlementaires d'Allemagne et de Hongrie entre autres, qui s'apprêtent à adopter des avis motivés en subsidiarité. Je suis notamment attentif, comme nous devrions tous l'être, à la position du Sénat, qui estime que l'initiative de la Commission contrevient au principe de subsidiarité.
La Commission européenne défend une harmonisation minimale des législations nationales sans méconnaître, me semble-t-il, les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Toutefois, je regrette, comme nos collègues sénateurs, que la Commission ait opté pour un règlement plutôt que pour une directive, laquelle, d'après le texte adopté par le Sénat, « aurait laissé aux États membres le choix de la forme et des moyens de mise en œuvre, en vertu de l'article 288 du TFUE, ce qui aurait été plus conforme aux objectifs de ladite législation et au respect de la diversité et du pluralisme, protégés par l'article 167 du TFUE ».
Le groupe Renaissance votera contre cet amendement et les quatre autres du même groupe. Nous considérons que l'Union a clairement compétence pour défendre l'espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ), consacré par l'article 3 du traité sur l'Union européenne.
La proposition de résolution européenne dont nous débattons fait référence à la Charte européenne des droits fondamentaux, qui est constitutive de l'État de droit dont la Commission européenne est garante. Les libertés fondamentales, au premier rang desquelles la liberté de la presse et le pluralisme des médias, font partie des droits fondamentaux constitutifs de nos grandes valeurs européennes. Il nous semble essentiel de procéder à une forte avancée législative européenne.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels AC34, AC33 et AC32 de M. Emmanuel Pellerin.
Amendement AC3 de Mme Soumya Bourouaha.
Cet amendement vise à introduire dans la proposition de résolution européenne le travail mené par l'Union sur les procédures-bâillons intentées contre des journalistes, qui se multiplient dans de nombreux pays. L'utilisation du droit pour faire taire des journalistes ou des lanceurs d'alerte est de plus en plus massive.
Protéger les journalistes suppose de mener un travail spécifique sur la lutte contre les procédures-bâillons et les manœuvres judiciaires abusives, dont la France n'est pas exempte. En rappelant que le Conseil et le Parlement européen ont entamé un travail à ce sujet, nous démontrerons la volonté de l'Assemblée nationale de faire de même.
Je ne suis pas favorable à l'introduction dans le texte d'un nouveau visa faisant référence à la proposition de directive sur la protection des personnes faisant l'objet de poursuites-bâillons.
Ce texte important vise à mieux protéger les personnes physiques et morales, notamment les journalistes, attaquées en raison de leur participation au débat public au moyen de procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives, visant à les faire taire ou à les intimider. Cette technique est connue sous le nom de procédure-bâillon. Le texte permettra notamment aux juridictions d'adopter une décision rapide de rejet total ou partiel des procédures judiciaires altérant le débat public au motif qu'elles sont manifestement infondées. La charge de la preuve incomberait alors aux requérants, qui pourraient interjeter appel de cette décision.
Cette proposition de directive constitue un élément central du plan d'action pour la démocratie européenne présenté par la Commission européenne à la fin de l'année 2020, qui comprenait notamment la proposition de législation européenne sur la liberté des médias. Mais, dès lors qu'elle n'a pas encore été adoptée, je ne suis pas favorable à son inscription dans la proposition de résolution européenne, ce qui ne m'empêche pas d'être préoccupé par le développement des poursuites-bâillons en Europe.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels AC31 et AC30 de M. Emmanuel Pellerin.
Elle adopte l'amendement rédactionnel AC8 de M. Stéphane Peu.
Amendement AC17 de M. Philippe Ballard.
Il vise à réécrire l'alinéa 17. D'après les traités européens, les médias ne figurent pas parmi les compétences exclusives ou partagées de l'Union européenne. La proposition de règlement de la Commission outrepasse les compétences de l'Union et ne respecte pas la souveraineté des États membres.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Elle rejette l'amendement AC10 de Mme Angélique Ranc.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels AC29, AC28 et AC27 de M. Emmanuel Pellerin.
Elle rejette l'amendement AC9 de Mme Angélique Ranc.
Amendement AC5 de M. Stéphane Peu.
Procédant du même esprit que l'amendement AC3, cet amendement vise à inscrire explicitement dans le texte l'importance de lutter contre les procédures-bâillons. Ces stratégies d'épuisement en temps et en argent sont opposées aux associations, aux lanceurs d'alerte et aux journalistes. Il nous semble important de mentionner ce combat spécifique.
Je ne suis pas favorable à l'introduction d'un considérant relatif à la multiplication des poursuites-bâillons au sein de l'Union.
Je m'inquiète de cette nouvelle forme d'atteinte à la liberté d'expression et à la qualité du débat public dans nos démocraties européennes, comme je l'ai écrit dans mon rapport, qui cite notamment les alertes lancées par la Commission européenne dans son rapport 2022 sur l'État de droit. La Commission cible particulièrement la Pologne, où des poursuites sont engagées par des responsables politiques ou des fonctionnaires contre des journalistes, notamment ceux qui suivent les décisions du gouvernement. La coalition contre les poursuites-bâillons en Europe, qui regroupe une trentaine d'associations telles que RSF ou la Fédération européenne des journalistes, a décerné à la Pologne le prix du pays fournissant les conditions les plus favorables aux poursuites-bâillons en 2021 et en 2022.
L'amendement est toutefois satisfait par la rédaction de l'alinéa 23 du texte.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AC24 de M. Inaki Echaniz.
Nous sommes tous d'accord sur les effets négatifs de la concentration des médias. Cet amendement vise à rappeler le contexte de concentration des médias dans lequel s'inscrit la proposition de résolution européenne, ainsi que les atteintes aux principes de liberté, de pluralisme et d'indépendance des médias qui en résultent.
Je suis favorable à cet amendement. Par avance, je donne donc un avis défavorable aux amendements AC7, AC4, AC26, AC19 et AC11 qui viendront ensuite et qui sont similaires sur le fond.
Il me semble utile de rappeler dans la proposition de résolution européenne que la concentration des médias peut représenter un risque pour la liberté et le pluralisme de l'information. L'alinéa 34 du texte, tout en saluant l'article 21 de la proposition de règlement, appelle à la clarification des critères d'évaluation des opérations de concentration.
Dans la rédaction actuelle de cet article, seules les concentrations susceptibles d'influer sensiblement sur le pluralisme des médias et l'indépendance éditoriale doivent faire l'objet d'une évaluation. Cette évaluation devra reposer sur des critères préalablement définis et tenir compte de plusieurs éléments, tels que les effets de la concentration sur la formation de l'opinion publique et sur la diversité des acteurs médiatiques, les garde-fous de nature à protéger l'indépendance éditoriale et la viabilité économique de l'entité acquérante ainsi que de l'entité acquise en l'absence de concentration. Tout cela est détaillé dans la deuxième partie de mon rapport.
Je ne considère pas qu'il existe un lien mécanique entre la concentration des médias et le pluralisme. Toutefois, il sera peut-être nécessaire de faire évoluer les règles anti-concentration en France. L'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires culturelles ont formulé des propositions dans leur rapport sur la concentration dans le secteur des médias à l'ère numérique. Elles ont notamment proposé de passer d'un contrôle fondé sur des seuils à une approche plus souple, qui permettrait à l'Arcom d'apprécier au cas par cas l'impact des opérations de concentration sur le pluralisme, dans le cadre d'une analyse transversale intégrant tous les médias d'information détenus par les parties notifiantes. Cette proposition ressemble aux dispositions de l'article 21 de la proposition de législation européenne, qui confie à l'autorité nationale de régulation l'évaluation des effets de l'opération de concentration.
Les états généraux du droit à l'information seront le lieu pertinent pour débattre de l'impact des concentrations sur le pluralisme et des éventuelles évolutions législatives à réaliser. Personnellement, je n'ai aucun tabou sur cette question et participerai avec intérêt à ces débats.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AC7 de Mme Soumya Bourouaha.
Il s'agit d'alerter sur le caractère désuet des dispositions anti-concentration de la législation nationale. La loi anti-concentration de 1986 n'est plus adaptée à la réalité. Les seuils sont trop hauts et le numérique n'est pas pris en compte. Notre législation n'est plus pertinente.
Outre la question de la concentration se pose celle de la possession des médias. La loi n'a pas pour objet d'assurer le pluralisme entre milliardaires, mais bien de favoriser des médias qui puissent vivre par eux-mêmes.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendement AC4 de M. Stéphane Peu.
Il vise à préciser que l'hyper-concentration des médias est un danger. C'est un phénomène constaté partout en Europe, auquel s'ajoute l'accaparement par les puissances de l'argent de la majorité des médias.
En France, les médias indépendants, qui ne sont pas soumis à de grands groupes ou à des milliardaires pour assurer leur financement, sont de plus en plus menacés. Contrairement à ce qui est parfois avancé, l'indépendance des rédactions et la protection des journalistes ne suffisent pas à garantir le pluralisme médiatique. Notre pays, comme les autres États membres de l'Union, doit réellement s'emparer de cet enjeu, pour que chacun sache qui possède les médias. Sinon, nous ne serons pas à la hauteur des ambitions affichées par le projet d'acte européen pour la liberté des médias.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendement AC26 de M. Inaki Echaniz.
Je regrette que l'amendement AC24 ait été rejeté, contre l'avis du rapporteur, au détriment du travail de co-construction que nous menons sur ce texte.
Le présent amendement vise à rappeler qu'il importe de fixer des règles anti-concentration des médias. Ces concentrations, mutualisations et synergies ont inévitablement des conséquences sur les programmes, l'information, les contenus des services et les titres nouvellement concentrés. Elles mettent en péril le pluralisme de l'offre culturelle, l'indépendance des rédactions et des journalistes ainsi que la diversité et la qualité de l'information dont disposent nos concitoyens. Il est donc nécessaire de fixer des règles strictes anti-concentration des médias, en soumettant à conditions, voire en interdisant, la prise de contrôle du capital de certains médias au-delà d'un certain pourcentage.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendement AC13 de Mme Sophie Taillé-Polian.
Il porte sur le statut des journalistes. D'après un syndicat européen de journalistes, la référence aux « fournisseurs de services de médias » exclut les journalistes indépendants du champ de la proposition de règlement. Or ils ont démontré, au cours des dernières années, tout l'intérêt de leur travail pour la presse et l'information des citoyens et des citoyennes. Nous souhaitons que les journalistes indépendants soient pris en compte dans les dispositions protectrices de la proposition de législation européenne relatives aux sources et à la censure par les plateformes numériques.
Avis favorable. La Commission européenne définit les « fournisseurs de services de médias », à l'article 2 de la proposition de règlement, comme la personne physique ou morale dont l'activité professionnelle consiste à fournir un service de médias, qui assume la responsabilité éditoriale du choix du contenu du service de médias et qui détermine la manière dont il est organisé. Elle vise donc uniquement les journalistes professionnels.
Le champ de la législation française est plus large. L'article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881, introduit en 2016 par la loi « Bloche », étend le droit de ne pas divulguer ses sources aux journalistes indépendants. Il semble nécessaire de préciser la proposition de législation européenne sur ce point, pour que les journalistes indépendants bénéficient explicitement des dispositions de l'article 4 de la proposition de législation européenne.
La commission adopte l'amendement.
Amendement AC35 de M. Emmanuel Pellerin.
Il vise à inscrire dans le texte la préférence de l'Assemblée nationale pour une directive plutôt qu'un règlement. L'initiative de la Commission européenne est utile, mais elle dépasse les limites du principe de proportionnalité. Une directive aurait été à même de rassurer les États membres, inquiets de l'intervention de la Commission européenne dans un domaine hautement sensible. Les sénateurs partagent cette vision, puisqu'ils ont adopté la semaine dernière une proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement.
Comme je l'explique dans le rapport, je ne partage pas la position de nos collègues sénateurs sur la non-conformité de la proposition au principe de subsidiarité. Je m'associe toutefois à l'alinéa 13 de la résolution du Sénat pour regretter que la Commission ait retenu « la voie d'une proposition de règlement, d'application directe et uniforme, et non d'une proposition de directive qui devrait être transposée en droit interne et aurait laissé aux États membres le choix de la forme et des moyens de mise en œuvre, en vertu de l'article 288 du TFUE, ce qui aurait été plus conforme aux objectifs de ladite législation et au respect de la diversité et du pluralisme, protégés par l'article 167 du TFUE. »
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels AC39 et AC37 de M. Emmanuel Pellerin.
Amendement AC6 de Mme Soumya Bourouaha.
La protection des sources des journalistes est indispensable mais, comme tout droit, elle peut trouver sa limite pour des raisons impérieuses. Cependant, les raisons de « sécurité nationale » qui sont posées comme limite n'étant pas clairement définies, elles peuvent être sujettes à diverses interprétations. De même, la limite tenant aux « besoins, précisément définis, d'une enquête pénale » apparaît trop floue pour éviter certains écueils. Nous proposons de supprimer ces deux précisions. L'alinéa 28 du texte s'en tiendra ainsi à affirmer la protection du secret des sources, sans entamer une série d'exceptions aux formulations trop peu précises pour être réellement pertinentes.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte l'amendement.
Amendement AC1 de Mme Sarah Legrain.
Nous sommes très heureux de l'adoption du dernier amendement. Nous devons revendiquer avec fierté la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui dispose notamment que l'atteinte au secret des sources « ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources ». Ces termes doivent figurer à l'alinéa 28, pour expliciter la protection des sources des journalistes.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendements identiques AC2 de Mme Sarah Legrain et AC23 de M. Inaki Echaniz.
Il s'agit de supprimer l'alinéa 29 de la proposition de résolution européenne, qui pose un problème majeur. Le projet de règlement affirme bien l'importance d'un financement pérenne du service public de l'audiovisuel, afin de garantir son indépendance éditoriale. La France ne doit pas nuancer cette nécessité en faisant état des « prérogatives des États membres en matière de financement et de désignation des dirigeants des médias publics ». Il faut absolument renoncer à cette précision, qui ne fait que mettre en relief la difficulté à laquelle conduit la suppression de la redevance de l'audiovisuel public.
Nous retrouvons à l'alinéa 29 le moyen de demander à l'Union européenne de laisser une marge de manœuvre aux États sur le choix de leurs modes de financement de l'audiovisuel public. Vous le savez, les décisions prises cet été sont une erreur et mettent en péril le financement de l'audiovisuel public.
Notre amendement rappelle que l'Union européenne est garante de l'indépendance des médias publics, afin qu'un État ne puisse budgétiser le financement de son audiovisuel sans prévoir les garde-fous suffisants pour son indépendance. Les États ont toutefois une marge de manœuvre dans le respect de ces garde-fous. S'ils ne sont pas respectés, comme cela aurait été le cas si le Gouvernement avait maintenu sa réforme initiale cet été, il est logique de l'Union européenne sanctionne l'État. La proposition de résolution européenne ne doit pas donner l'occasion de revenir sur ce point et permettre de nouvelles erreurs.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette les amendements.
Elle rejette l'amendement AC25 de M. Inaki Echaniz.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels AC38 et AC36 de M. Emmanuel Pellerin.
Amendement AC12 de Mme Sophie Taillé-Polian.
Il a pour objet d'étendre le système français de responsabilité légale des directeurs de la publication, en précisant l'exigence d'une séparation entre actionnaires et direction éditoriale. Il tend à ce que les directeurs de la publication ou de rédaction soient nommés ou approuvés par les journalistes membres de la rédaction. Au-delà des problèmes de concentration, se pose la question de la capacité des journalistes à rester indépendants de leurs actionnaires.
L'amendement semble excessif. Le risque de capture des médias par les actionnaires n'a rien de systématique car ceux-ci ont intérêt à préserver l'indépendance du média, gage de sa crédibilité.
Il ne paraît en outre pas illégitime que l'actionnaire fixe la ligne éditoriale du média, conformément à la liberté d'entreprendre, protégée par la Constitution. Le directeur de la publication est ainsi le représentant de l'actionnaire, qui peut contribuer à définir la ligne éditoriale de l'entreprise de presse. Il ne peut cependant pas exercer de pression individuelle sur les journalistes ni s'exonérer des obligations législatives et réglementaires, notamment du droit d'opposition des journalistes. Le directeur de la publication peut donc exercer un contrôle sur les contenus publiés par les médias et les journalistes peuvent toujours faire usage de leur clause de conscience en cas de changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal.
Enfin, ce débat n'est pas le lieu pour préconiser un changement aussi radical. Avis défavorable.
La commission rejette l'amendement.
Amendement AC19 de M. Jean-Jacques Gaultier.
La transformation du secteur des médias rend les anciens dispositifs anti-concentration obsolètes car l'offre et les usages se sont largement déplacés vers internet, tant pour la télévision et la radio que pour la presse. L'amendement tend à insérer une précision à ce sujet.
Contre l'avis du rapporteur, la commission adopte l'amendement.
Amendement AC18 de M. Jean-Jacques Gaultier.
Il s'agit de préciser que les critères d'évaluation des concentrations doivent être clarifiés « notamment en matière de gouvernance et de part d'attention ». De nombreux travaux suggèrent en effet de mesurer la consommation d'information, tous supports confondus – presse, télévision, radio – pour une approche centrée sur la consommation des individus plutôt que les supports, en permettant de mesurer la part d'attention de chaque média.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte l'amendement.
Amendement AC40 de M. Emmanuel Pellerin.
La mesure de l'audience s'est complexifiée en raison de la numérisation de l'offre et de la consommation des contenus médiatiques. Elle est notamment rendue difficile par l'accès aux données des plateformes.
Un récent rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires culturelles relève que « la prise en compte incomplète de l'audience sur les plateformes numériques constitue une limite méthodologique ». Les auteurs notent que le recours croissant aux réseaux sociaux rend nécessaire de mesurer l'audience numérique des médias « y compris en dehors de leur propre environnement numérique, en intégrant celui des distributeurs de leurs contenus ». Ils jugent que les modalités d'accès aux données ne peuvent assurer leur fiabilité totale et que les données communiquées sont difficilement exploitables par les éditeurs en raison de leur caractère agrégé et anonymisé.
L'un des principaux problèmes actuels est le refus pur et simple de certaines plateformes de communiquer leurs données d'audience et de rendre publique leur méthodologie de mesure, comme l'a relevé lors de son audition M. Yannick Carriou, PDG de Médiamétrie.
Je juge donc nécessaire une meilleure prise en compte du numérique par l'article 23 de la proposition de règlement.
Les méthodes de mesure de l'audience des plateformes numériques doivent pouvoir être contrôlées et comparées. Une option possible serait de confier la production des méthodologies de mesure de l'audience sur les plateformes à des tiers indépendants, de façon à garantir la qualité et la fiabilité des données. À défaut, nous pourrions envisager la certification obligatoire des méthodes des plateformes par un organisme d'audit, sur le modèle français. Mon amendement vise donc à inscrire cette alternative dans la proposition de résolution européenne.
La commission adopte l'amendement.
Amendement AC14 de Mme Sophie Taillé-Polian.
Notre groupe déplore la faible portée normative des dispositions contenues à l'article 6 de la proposition de législation européenne relatives à l'exigence de transparence sur les conflits d'intérêts possibles entre les actionnaires et les fournisseurs de services de médias. Cet amendement vise à rehausser l'ambition de transparence pour exiger un droit opposable à la publication des bases de données actionnariales et à donner au régulateur un rôle d'investigation en la matière.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendement AC11 de Mme Sophie Taillé-Polian.
Nous partageons la disposition de la proposition de résolution européenne appelant à une clarification des critères d'évaluation du niveau de concentration actionnariale sur le marché des médias, mais déplorons que la France se limite à exiger le perfectionnement d'un dispositif d'évaluation de la concentration dans les médias alors que la situation actuelle, y compris dans notre pays, où quelques industriels détiennent la majorité des titres de journaux et de médias audiovisuels, constitue un véritable poison démocratique et nuit au débat public.
Par cet amendement, nous souhaitons que la résolution porte la voix d'une exigence en matière d'établissement de seuils européens contraignants de concentration actionnariale dans les médias.
Je regrette que l'amendement de M. Echaniz, qui traitait de cette question d'une manière un peu différente, n'ait pas été adopté. Si tel avait été le cas, j'aurais volontiers retiré le mien.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'amendement rédactionnel AC41 de M. Emmanuel Pellerin.
Amendement AC20 de M. Jean-Jacques Gaultier.
Il convient d'instaurer des garanties en matière de pluralisme de l'offre et de référencement sur les appareils connectés – enceintes, téléviseurs – et les télécommandes avec la possibilité pour chacun de personnaliser l'offre de médias sur les appareils et les interfaces.
La commission adopte l'amendement.
Amendement AC15 de Mme Sophie Taillé-Polian.
En Europe, la situation des journalistes devient de plus en plus précaire en raison de l'affaissement des marges des fournisseurs de services de médias et de l'introduction de législations favorisant la précarité de l'emploi, ce qui nuit à l'indépendance des journalistes et à leur capacité à travailler sur le temps long. Cet amendement appelle à l'introduction de normes garantissant des conditions de travail décentes aux journalistes.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Amendement AC16 de Mme Sophie Taillé-Polian.
Alors que les talk-shows et le recours à des agences de contenus pauvres en information se multiplient dans les médias d'information générale sous l'impulsion de logiques de pure rentabilité, le travail journalistique consacré à l'information conçue comme énonciation de faits et au travail d'enquête, lui, recule. D'après une étude de François Jost, l'information stricto sensu en tant qu'énonciation de faits n'a occupé que 13 % du temps d'antenne de CNews en janvier et février 2022.
Cet amendement appelle à l'introduction de règles garantissant la préservation des moyens destinés à ce travail journalistique pour préserver la bonne santé du débat public.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission rejette l'amendement.
Elle adopte l'article unique modifié.
La proposition de résolution européenne est ainsi adoptée.
La séance est levée à treize heures dix.
Présences en réunion
Présents. – Mme Ségolène Amiot, Mme Emmanuelle Anthoine, M. Rodrigo Arenas, M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, M. Quentin Bataillon, Mme Béatrice Bellamy, M. Philippe Berta, Mme Sophie Blanc, M. Idir Boumertit, Mme Soumya Bourouaha, Mme Anne Brugnera, Mme Céline Calvez, Mme Agnès Carel, M. Roger Chudeau, Mme Fabienne Colboc, M. Alexis Corbière, M. Laurent Croizier, M. Hendrik Davi, M. Francis Dubois, M. Inaki Echaniz, M. Laurent Esquenet-Goxes, M. Philippe Fait, Mme Estelle Folest, M. Jean-Jacques Gaultier, Mme Annie Genevard, M. Frantz Gumbs, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Sarah Legrain, Mme Christine Loir, M. Alexandre Loubet, M. Christophe Marion, M. Stéphane Mazars, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, M. Julien Odoul, Mme Caroline Parmentier, Mme Francesca Pasquini, M. Jérémie Patrier-Leitus, M. Emmanuel Pellerin, Mme Isabelle Périgault, Mme Béatrice Piron, Mme Lisette Pollet, M. Alexandre Portier, Mme Angélique Ranc, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Claude Raux, Mme Cécile Rilhac, Mme Claudia Rouaux, M. Bertrand Sorre, Mme Violette Spillebout, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Paul Vannier, M. Léo Walter
Excusés. – Mme Aurore Bergé, M. Raphaël Gérard, M. Jérôme Legavre, M. Stéphane Lenormand, M. Frédéric Maillot, Mme Graziella Melchior, Mme Véronique Riotton, M. Boris Vallaud
Assistait également à la réunion. – M. Bruno Bilde, M. Louis Boyard, Mme Constance Le Grip, Mme Joëlle Mélin, M. Vincent Seitlinger