Cette proposition de résolution européenne est le fruit d'un travail transpartisan mené par Mmes Constance Le Grip et Joëlle Mélin au sein de la commission des Affaires européennes. J'ai moi-même mené une série d'auditions afin d'approfondir le projet de législation présenté par la Commission européenne le 16 septembre dernier. J'ai en particulier recueilli le point de vue des acteurs du monde des médias en entendant des représentants de l'Alliance de la presse d'information générale (Apig), de Médiamétrie, du Syndicat national des journalistes, de Reporters sans frontières (RSF) et des sociétés de l'audiovisuel public.
La Commission européenne a décidé, de façon inédite, d'intervenir dans un domaine sensible. Les traditions réglementaires des États membres sont en effet très différentes en matière de médias, notamment s'agissant des médias de service public, et l'initiative de la Commission se heurte déjà aux critiques de certains États, qui la contestent sur le fondement du principe de subsidiarité et de l'absence supposée de base légale.
Je tiens tout d'abord à saluer l'action de la présidente de notre commission, qui est intervenue auprès de la présidente Braun-Pivet pour que ce texte soit inscrit à l'ordre du jour de la séance publique. Il sera examiné le mardi 17 janvier prochain.
La proposition de règlement de la Commission vise à établir un cadre commun entre les États membres et à mieux protéger le pluralisme et la liberté des médias en inscrivant dans le droit de l'Union européenne une série de principes et de règles.
Elle s'inscrit dans le cadre plus large du plan d'action pour la démocratie européenne présenté par la Commission il y a deux ans, qui vise à promouvoir des élections libres et équitables, à renforcer la liberté des médias et à lutter contre la désinformation.
Au-delà de son objectif d'amélioration du fonctionnement du marché intérieur, l'initiative de la Commission est motivée par un constat qui doit tous nous alarmer : la multiplication des atteintes à la liberté, à l'indépendance et au pluralisme des médias au sein de l'Union. Ces atteintes sont documentées par la Commission elle-même dans ses rapports annuels sur l'État de droit mais aussi par des associations, des ONG et des centres de recherche comme Reporters sans frontières ou le Centre pour le pluralisme et la liberté des médias de Florence.
La Commission s'inquiète du manque de transparence de la propriété des médias dans un certain nombre de pays de l'Union, et de l'augmentation significative des atteintes à la sécurité des journalistes, à l'indépendance et à l'impartialité des médias de service public. Elle souligne à ce propos des risques de politisation des nominations, mais aussi les révocations de dirigeants en République tchèque, en Slovaquie, à Chypre, à Malte et en Slovénie.
Je souhaite également relayer les préoccupations de la Commission, du Conseil de l'Europe et de Reporters sans frontières quant au développement des procédures judiciaires abusives, plus connues sous le nom de « poursuites-bâillons ». Ce sont le plus souvent des plaintes pour diffamation, qui constituent une forme de harcèlement contre les journalistes et visent à les intimider. La Commission cible particulièrement la Pologne, où les poursuites contre des journalistes sont souvent engagées par des responsables politiques ou des fonctionnaires. La Pologne a même été qualifiée par Reporters sans frontières de « pays des procédures-bâillons ». Cette ONG a également dénoncé la méconnaissance du droit à un procès équitable du journaliste polonais Tomasz Piatek, attaqué en justice par un proche du Premier ministre et condamné à l'issue d'une procédure méconnaissant les droits de la défense. La coalition contre les poursuites-bâillons en Europe, qui regroupe une trentaine d'associations dont RSF, Transparency International ou la Fédération européenne des journalistes, a décerné à la Pologne le prix du pays fournissant les conditions les plus favorables aux poursuites-bâillons pour les années 2021 et 2022.
Dans ces conditions, je salue l'initiative de la Commission européenne, qui rappelle à ces États que l'Union est d'abord une communauté de valeurs et de principes, lesquels n'ont pas vocation à être bafoués. Cette proposition de règlement vise ainsi à interdire aux États membres de s'immiscer dans les décisions éditoriales des médias, à protéger le secret des sources et l'intégrité physique des journalistes, à reconnaître la spécificité des médias de service public et à garantir leur indépendance.
J'entends les critiques de certains États membres, qui contestent la validité de la base juridique invoquée par la Commission européenne et dénoncent une violation supposée du principe de subsidiarité. J'ai notamment pris acte de l'adoption d'un avis motivé en subsidiarité par nos collègues sénateurs, que j'ai lu avec intérêt.
Si je juge ces critiques excessives, je m'interroge tout de même sur le choix de la Commission de recourir à un règlement plutôt qu'à une directive, le premier fixant des règles d'effet direct tandis que la seconde ne fixe que des objectifs à atteindre. Les États membres disposent de législations différentes et de traditions réglementaires diverses qu'ils souhaitent légitimement conserver. C'est le cas de la France, avec la loi de 1881 sur la liberté de la presse et la loi de 1986 relative à la liberté de communication. J'ai donc souhaité déposer un amendement qui reprend mon interrogation et regrette que la Commission n'ait pas mené une analyse plus approfondie sur la nature de l'instrument juridique à retenir.
J'entends également les critiques de mes collègues du Rassemblement national. Je tiens à ce propos à saluer la décision de notre collègue Joëlle Mélin de ne pas présenter d'avis en subsidiarité, par esprit de consensus. Je suis attaché comme elle au respect du principe de subsidiarité et du principe d'attribution des compétences de l'Union européenne, qui en l'occurrence ne me semblent pas violés.
Malgré ses aspects positifs, le texte de la Commission me paraît, en l'état, insuffisant. La proposition de résolution européenne que nous allons examiner appelle justement le Gouvernement à œuvrer à un renforcement de ses dispositions.
En premier lieu, je regrette l'absence de distinction entre les secteurs de la presse écrite et de l'audiovisuel, laquelle est fondamentale en droit français. La presse française s'inquiète à juste titre de son inclusion dans le champ de compétence du futur comité européen pour les services de médias, alors qu'elle n'est actuellement pas régulée par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). De plus, l'indépendance du futur comité n'est pas garantie puisque son secrétariat doit être assuré par la Commission. Il convient que ce comité dispose de ressources propres et soit pleinement indépendant.
Je regrette également le manque d'ambition de la Commission européenne sur le plan de la responsabilisation et du contrôle des plateformes numériques, avec lesquelles les médias entretiennent des relations compliquées. L'article 17 de la proposition de règlement leur impose simplement de « prendre toutes les mesures possibles » pour communiquer aux médias les motifs des décisions de suspension de leurs contenus avant que la suspension ne prenne effet. Il ne s'agit donc pas d'une obligation réelle et sanctionnée, le texte se bornant à demander aux plateformes de traiter les plaintes des entreprises de médias en priorité. Cet article doit être renforcé et j'espère que la France au sein du Conseil ainsi que les parlementaires européens travailleront en ce sens.
À l'heure du numérique, la question de la mesure de l'audience est complexe. Je suis heureux que la Commission européenne s'y soit intéressée : elle est d'une importance vitale pour les médias puisqu'elle conditionne en partie leurs ressources publicitaires. Cependant, nous devons appeler la Commission à aller plus loin en renforçant les obligations applicables aux plateformes en matière de communication des données aux médias et de transparence sur leur méthodologie. Je défendrai un amendement en ce sens.
Cette proposition de résolution, que je vous invite à adopter, me paraît équilibrée et consensuelle.