Tout le monde entend défendre la liberté de la presse, le pluralisme et la protection des sources des journalistes. Globalement, la situation n'est pas périlleuse dans notre pays, mais cela n'empêche pas de s'interroger sur la neutralité du service public, la concentration des médias ou la formation des journalistes, sans parler du droit voisin et du rôle de plus en plus envahissant des plateformes.
Cette proposition de résolution européenne répond-elle à ces préoccupations ? Non, mais nous voyons bien où l'Union européenne souhaite nous emmener : vers l'instauration d'un cadre commun pour l'ensemble des médias. Une fois encore, les frontières et les États la dérangent ; il faut de l'uniformité. Nous, nous préférons la souveraineté des nations au clonage.
Quelle est la légitimité de l'Union européenne pour légiférer en la matière ? Dans le domaine culturel, elle n'a aucune compétence et se doit de respecter le principe de subsidiarité, comme l'a bien compris l'Allemagne ou, chez nous, le Sénat. Dans un entretien accordé à Euractiv, Sabine Verheyen, la présidente de la commission de la culture et de l'éducation du Parlement européen – qui est loin d'être une eurosceptique – se déclare « profondément préoccupée par le remplacement de l'actuelle autorité de régulation des médias, le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (Erga), par un nouvel organe, le comité européen pour les services de médias, et par l'influence de la Commission européenne ». Elle refuse également l'idée d'imposer « des règles trop strictes au niveau européen ».
L'Europe met en avant les attaques physiques dont des journalistes ont hélas été victimes, de Malte aux Pays-Bas, mais un texte européen effraie-t-il pour autant les mafias ? L'Union européenne, par ailleurs, veut protéger les médias face aux menaces de déstabilisation et d'ingérence de certains États. En me demandant lesquels, c'est le Qatar qui m'est immédiatement venu à l'esprit ! Banco donc, mais avant de donner des leçons, il faut être irréprochable, y compris à la Commission…
Vous tenez autant que nous à l'exception culturelle française. Pourquoi devrions-nous être contraints d'abandonner nos règles nationales, au risque de mettre en danger les entreprises du secteur face à une réglementation plus que floue ? Le Sénat a admis qu'en se fondant uniquement sur l'article 114 du TFUE et en englobant tous les services de médias, y compris la presse écrite, la proposition de règlement postule l'existence d'un tel marché à l'échelle de l'Union européenne. Or nous savons que le marché des médias est essentiellement structuré sur une base nationale, régionale ou locale. Dès lors, cet article ne constitue pas une base juridique adéquate pour une réglementation garantissant la diversité des contenus et surtout la liberté éditoriale.
Le Sénat estime donc que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, dans sa rédaction actuelle, n'est pas conforme. Vous souhaitez la conforter, sans remettre en cause sa légitimité juridique et politique. Pour nous, il est impossible de la voter en l'état.