Le groupe écologiste accueille très favorablement le projet d'acte européen sur la liberté des médias. Si l'Europe demeure l'un des continents les plus favorables à la liberté de la presse, cette dernière n'en a pas moins sérieusement été mise à mal au cours des dernières années, y compris en France.
Le travail des journalistes est consubstantiel de l'exercice démocratique. Nous saluons les dispositions du projet d'acte européen sur la liberté des médias qui améliorent la transparence actionnariale, car savoir qui possède quoi est déterminant pour comprendre d'où chacun s'exprime. Nous saluons aussi la volonté d'élever l'information au rang de bien public et celle d'offrir à chaque journal européen des garanties contre l'ingérence politique dans ses décisions éditoriales, la surveillance étatique et l'espionnage, à l'heure où de nombreux gouvernements maintiennent un flou sur leur éventuel usage de logiciels de surveillance à des fins civiles. Nous saluons aussi la garantie des droits de la presse vis-à-vis des plateformes numériques et la volonté de réaffirmer l'indépendance des audiovisuels publics s'agissant de leur financement et de la nomination de leurs dirigeants. Tout cela est fort utile.
Toutefois, c'est se gonfler d'orgueil que de penser qu'il y a deux Europe, l'Europe de la Hongrie, avec son projet illibéral – celui des régimes que vous soutenez, madame la rapporteure du Rassemblement national, qui réduit de façon notable et constante les droits de la presse et les libertés fondamentales – et l'Europe de la France, où tout irait bien. En France aussi, la liberté recule. Nous qui occupions il y a vingt ans la onzième place au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières sommes aujourd'hui à la trente-quatrième, conservée de justesse en dépit de la tentative d'instaurer l'an dernier l'interdiction de filmer les forces de l'ordre par le biais d'une disposition de la loi « sécurité globale », sanctionnée in extremis par le Conseil constitutionnel.
Dans notre pays, la semaine dernière, des journalistes ont été convoqués par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui a tenté de leur extorquer leurs sources. Dans notre pays, des journalistes sont régulièrement blessés par les forces de l'ordre tandis qu'ils couvrent des manifestations, ou cibles d'interpellations arbitraires, comme récemment certains journalistes de Reporterre. Dans notre pays, le niveau de concentration actionnariale des médias atteint des records. Ils sont détenus par une poignée d'industriels, parmi lesquels Vincent Bolloré, malheureusement fort souvent cité dans cette commission : on fabrique des candidats à l'élection présidentielle, on vide les rédactions pour en changer la ligne éditoriale, on supprime des contenus d'information au profit de talk-shows…
Nous avons besoin de parler d'une voix forte sur ce projet d'acte européen, sans éluder la situation française. De ce point de vue, le texte qui nous est proposé n'est pas suffisant. Certes, il salue la philosophie globale de la proposition de législation européenne, rappelle la nécessité de préserver les aides publiques à la presse et relève le risque de manque d'indépendance du comité européen pour les services de médias. Tout cela est fort bien. En revanche, il est muet sur les trop grandes marges de manœuvre laissées aux États membres dans l'interprétation du texte. Il n'incite pas à prendre des mesures concrètes contre la concentration des médias et s'accommode du flou sur l'exigence de transparence quant à leurs actionnaires. Il est muet sur les conditions de travail des journalistes et la préservation de leur travail, s'agissant notamment des enquêtes et de la réactivité des rédactions.
Pire : il cherche à amoindrir certains aspects de la proposition de législation européenne, s'agissant notamment de la séparation stricte entre actionnaires et rédaction ou du financement de l'audiovisuel public. Vous cherchez en fait à masquer les graves problèmes soulevés par la suppression de la redevance audiovisuelle que le Gouvernement a imposée en juillet dernier. Cette suppression d'une recette affectée éloigne de la réalité les valeurs d'indépendance des médias publics que nous défendons dans le monde entier. La budgétisation des moyens des services publics de l'audiovisuel que vous appelez de vos vœux entraînera, nous le savons, leur fragilisation.
Pour l'heure, il nous est difficile de voter cette proposition.