Cette proposition de loi, je l'ai dit, n'a jamais eu ni l'ambition ni la prétention de régler l'ensemble des problèmes auxquels se trouve confrontée l'école publique. Nous souhaitons seulement apporter une pierre à sa reconstruction.
Vous estimez qu'elle serait un écran de fumée destiné à masquer les problèmes réels de l'école. Je les ai pourtant exposés par le détail, et j'ai vu certains d'entre vous ricaner devant le panorama que je dressais, hélas dramatique. Le Rassemblement national a du reste mis à l'ordre du jour un débat sur l'état de l'école de la République, qui aura lieu le 10 janvier prochain. Il ne tenait qu'à vous d'en faire autant.
Monsieur Marion, plusieurs études étayent mes propos. Je vous invite à consulter l'étude sur la réduction des faits de violence dans les établissements américains où l'uniforme est porté, publiée par Seunghee Han en 2010, celle de l'Association nationale des directeurs du second degré des États-Unis qui conclut au rôle de l'uniforme dans le renforcement du sentiment d'appartenance à l'établissement, ou encore l'article de John Huss, paru en 2007, sur les corrélations entre les résultats des élèves et le port de l'uniforme.
Plusieurs orateurs, partageant une vision libérale, suggèrent qu'il suffirait de laisser les établissements libres de choisir l'uniforme. Mais le but n'est pas d'ouvrir un nouveau droit, ou de constater qu'il existe, mais d'imposer un nouveau devoir. Dans le cadre de ses responsabilités régaliennes, l'État est chargé de l'action éducatrice. Or cette dernière est menacée dans ses fondements, à des degrés différents, par le marché et par l'islamisme. Nous avons déposé ce texte, mais il aurait été préférable que le ministre Ndiaye lui-même prenne les devants, puisqu'il avait témoigné son intérêt pour la question.
Sur la question du coût, on entend des choses étranges. Il n'appartient pas à l'État d'habiller les enfants. À chaque rentrée scolaire, il faut renouveler la garde-robe des enfants, et ces derniers ont envie de la dernière tenue à la mode – c'est normal, dans tous les milieux, et tout le monde a envie de faire plaisir à ses enfants. Or l'uniforme coûte beaucoup moins cher que des tenues de marque : selon le proviseur du lycée Schœlcher, en Martinique, le coût moyen d'un tee-shirt est de 8 euros, 10 euros s'il est floqué, sans comparaison avec un tee-shirt de marque. Lors de son audition, conjointe avec celle de la direction académique des services de l'Éducation nationale (Dasen) de Martinique, nous avons appris que la demande de porter un uniforme émanait des collégiens qui, arrivant au lycée, craignaient d'être stigmatisés en raison de leur tenue civile. Les familles du second degré ont plébiscité ce choix, généralisé à 98 % des lycées. Enfin, le proviseur a fait valoir l'effet de l'uniforme sur la diminution du nombre d'intrusions.
Monsieur Vannier, le conseil d'école ou le conseil d'administration du collège ne sont pas un comité Théodule. Ce sont les institutions de l'école de la République. Ils sont compétents pour prendre des décisions dans ce domaine.
L'argument d'une concurrence entre établissements est tout aussi spécieux. Les élèves du public sont affectés par l'administration dans leur collège, en fonction de découpages territoriaux. Je n'ai jamais entendu parler de batailles rangées entre écoles. Les conflits entre bandes rivales qui existent sont de nature ethnique ou relèvent de luttes de territoire liées à des trafics : cela n'a rien à voir avec l'école, et j'ai du mal à croire que vous imaginiez des émeutes entre écoliers pour défendre leur uniforme.
Monsieur Minot a raison d'affirmer que le port de l'uniforme signe l'entrée dans une nouvelle famille, celle de la communauté éducative – notion bien établie. Il me paraît normal d'être fier d'appartenir à sa communauté éducative. À ce propos, quelques-uns ont osé dire que le port de l'uniforme stigmatiserait les élèves de REP. Je trouve ce propos absolument honteux. Je crois au contraire que, dans les quartiers difficiles, porter la tenue de son école publique, la seule institution de la République encore présente, remplirait l'élève de fierté et le soustrairait à l'influence des bandes et des caïdats de toute nature.
S'agissant de l'argument financier, il ne revient ni à l'État ni aux collectivités territoriales d'habiller les enfants. Le coût moyen d'un trousseau devrait être abordable. Le collège pourra procéder à des achats groupés par le biais d'une association. C'est une pratique courante et les familles ne s'en plaignent pas, car l'uniforme est moins coûteux que la tenue civile.
Quelques-uns d'entre vous affirment enfin que l'école ne devrait pas effacer les différences culturelles et sociales entre les élèves. Nos positions sont diamétralement opposées, et c'est vous qui avez tort. Depuis Jules Ferry, l'école a précisément pour objectif de gommer l'influence de la famille et de l'Église. Relisez les lois scolaires, relisez Aristide Briand, rapporteur de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, affirmant que la République se construit contre l'Église ! Comme l'a expliqué Jules Ferry, l'école publique avait pour but de soustraire les enfants, et notamment les jeunes filles, de l'influence de la famille, elle-même étant supposée être sous l'influence de l'Église. Ce sont des faits historiques, pas une interprétation.
L'ambition de l'école publique en France a donc toujours été de gommer les différences sociales, culturelles, de religion ou d'opinion véhiculées par les familles au bénéfice des apprentissages, de la construction de l'élève. Notez d'ailleurs que nous parlons d'élèves et non d'écoliers, comme en allemand ou en anglais par exemple : nous voulons les élever, les grandir. Chez nous, l'éducation est nationale. Ce n'est pas indifférent. Dans les pays voisins, l'instruction peut être gérée par l'État, mais elle n'a pas cette ambition. Il y a chez nous une responsabilité de l'État, de la société, qui se fixent l'ambition assez colossale de fabriquer des citoyens éclairés, libres et autonomes. Cela passe par la négation de tout ce qui peut les opposer en tant qu'enfants de telle ou telle famille. C'est la philosophie même de l'enseignement public, et je regrette d'avoir à la rappeler à des gens qui font profession de le défendre.
Madame Carel, vous dites que l'uniforme pourrait pousser les parents, notamment de confession musulmane, à créer des écoles « hors contrat, et donc hors contrôle ». Mais il n'y a plus d'école hors contrôle dans notre pays, puisque les écoles hors contrat sont sévèrement contrôlées par l'État. C'était le but de la loi « séparatisme » de 2021. Depuis, les nouvelles écoles confessionnelles ne se sont pas multipliées. D'ailleurs, le rapport entre le fait de porter un uniforme d'établissement et d'ouvrir une école confessionnelle m'échappe un peu.
S'agissant de la laïcité de liberté et de la laïcité de contrôle, tout nous oppose. La première est surtout la liberté pour les islamistes de faire de l'entrisme dans nos établissements et de les déstabiliser. Ma vision de la laïcité est plus dure et plus républicaine : nous devons faire obstacle à l'introduction dans nos écoles de toute menée religieuse ou politique – aujourd'hui, de l'islamisme ; autrefois, de l'Église catholique. Aujourd'hui, un religieux en tenue ecclésiastique ne peut plus enseigner dans une école publique et il doit être interdit à tous, élève ou parent, d'entrer dans un établissement public vêtu de vêtements religieux. Ces positions sont inconciliables.
Vous voulez par ailleurs protéger les choix individuels des jeunes, comme si la jeunesse était un concept solide. Mais il y a mille jeunesses ! Elle se fractionne par exemple entre les différents partis représentés ici. La jeunesse n'est pas un concept opératoire, et votre invitation à respecter les choix individuels des jeunes me fait penser à la formule publicitaire de McDonald's : « Venez comme vous êtes ». Non, on n'entre pas à l'école comme on est ! Quand on franchit le seuil de l'école, on devient symboliquement un citoyen, un adulte, parce qu'on reçoit l'enseignement que dispensent des agents de l'État.
Enfin, et même si je ne vois pas bien le rapport avec l'uniforme, je me désole que le parti communiste conduise la charge de la gauche contre la méritocratie, lui qui était autrefois le parti de l'avant-garde, de l'aristocratie du prolétariat. Vous ne voulez plus ni d'aristocratie du prolétariat ni de méritocratie. Vous avez beaucoup changé.
La méritocratie est un des marqueurs de l'école de la République. Lisez Charles Péguy, les écrits du Conseil national de la Résistance de 1944 ou le plan Langevin-Wallon ! Vous apprendrez, si vous ne le connaissez pas déjà, le principe de justice que les Résistants voulaient défendre au sortir de la guerre : quelles que soient leurs origines sociales, les enfants devaient pouvoir accéder, par leur mérite, aux plus hauts emplois et fonctions de la République et de l'entreprise.