La réunion

Source

La séance est ouverte à neuf heures trente.

La commission procède à l'audition des associations et collectifs suivants : Mme Sarah Karlikow, représentante de l'assemblée collégiale de la fédération interrégionale du Mouvement HF+ et Mme Camille Pawlotsky, représentante d'HF+ Hauts-de-France ; Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes, et Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques ; Mme Muriel Réus, présidente de l'association Femmes Avec.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre commission d'enquête a pour objectif de faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l'audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons également à identifier les responsabilités de chacun dans ces domaines. Notre principale préoccupation est de proposer des solutions pour que chacun puisse évoluer dans ces secteurs sans craindre pour son intégrité physique et mentale.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous présentiez chacune votre association, les actions que vous menez dans le cadre de notre commission d'enquête, ainsi que vos initiatives plus larges pour la Fondation des Femmes. Ensuite, madame la rapporteure et mes collègues, que je salue, poseront des questions plus précises.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et diffusée sur le site de l'Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues pour une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Sarah Karlikow, Camille Pawlotsky, Anne-Cécile Mailfert, Floriane Volt et Muriel Réus prêtent successivement serment.)

Permalien
Sarah Karlikow, représentante de l'assemblée collégiale de la fédération interrégionale du Mouvement HF+

Je vais vous présenter le mouvement HF+, qui a ajouté un « plus » à son nom il y a presque un an pour inclure les personnes non binaires et toutes les formes de domination subies par diverses catégories de personnes. Ce mouvement est né suite à un rapport rédigé par une inspectrice du ministère de la culture, Reine Prat, en 2006. Ce rapport a été fondateur dans la prise de conscience des énormes inégalités dans notre secteur. Il a révélé que 80 à 90 % des théâtres et des lieux de spectacle étaient dirigés par des hommes, que 80 à 90 % des spectacles étaient réalisés par des hommes, et que les budgets étaient très inégalement répartis. À théâtre égal, les budgets pour les femmes étaient inférieurs de 30 %. Ce rapport a mis en lumière l'énorme inégalité de la situation et les difficultés rencontrées par les femmes dans ce secteur.

C'est à cette époque, il y a plus de quinze ans, que les premiers collectifs se sont formés en région. Le dernier collectif a été créé l'année dernière, et la Fédération du mouvement HF réunit désormais onze collectifs régionaux. Depuis cette époque, nous militons pour l'égalité dans les arts et la culture, notamment dans le secteur du spectacle vivant, mais aussi dans l'audiovisuel, le livre, les arts visuels, les musées, etc.

Nos premières actions se sont organisées autour de trois axes, que nous continuons à suivre depuis quinze ans. Le premier axe consiste à mettre en lumière les inégalités. Pour cela, plusieurs collectifs continuent régulièrement à produire des données chiffrées sur la situation et la place des femmes et des personnes minorisées de genre dans leur région. Le deuxième axe vise à décrypter et à comprendre les raisons de ces inégalités, ainsi que les mécanismes qui les perpétuent. Enfin, un axe fort a toujours été de travailler avec les collectivités pour impulser des politiques en faveur de l'égalité, notamment sur les questions de l'éga-conditionnalité, ces dernières années.

Notre objectif est d'assurer une meilleure représentativité des femmes dans le secteur du spectacle, notamment dans les postes à responsabilité. Il est essentiel que l'économie de ce secteur, largement public, soit équitablement répartie entre les femmes et les hommes. Nous devons également intégrer le matrimoine dans notre culture collective, afin que l'héritage culturel des mères soit aussi valorisé que celui des pères. Il est primordial que l'histoire de l'art ne soit pas uniquement racontée par les hommes et que notre vision du monde ne soit pas exclusivement masculine. Pour nous, agir pour l'égalité réelle est fondamental, mais il est tout aussi important de travailler sur les représentations, surtout dans le domaine de la culture, qui joue un rôle symbolique majeur dans notre perception du monde.

Depuis 2017, et avec l'émergence du mouvement # MeToo, notre secteur a été profondément bouleversé. Nous recevons de nombreuses sollicitations pour des conseils, des accompagnements et des témoignages, car les violences sexistes et sexuelles y sont particulièrement répandues. En réponse à cette situation, nous avons lancé une initiative appelée « Alliées » dans deux régions. Il s'agit de permanences d'écoute pour les personnes qui souhaitent partager leurs expériences, obtenir des conseils et poser des questions. Nous nous efforçons de changer les mentalités et les perceptions du monde. Cela fait quinze ans que nous réfléchissons et agissons dans ce sens, et nous continuons à nous remettre en question en fonction des évolutions et des événements.

Avec le mouvement # MeToo, les questions de violences sexistes et sexuelles ont pris une importance prégnante, non seulement en raison des souffrances subies par les individus, mais aussi à travers la relecture des stéréotypes et des menaces d'exclusion. Nous tentons d'aborder ces problématiques de manière globale, en combinant protection et changement des mentalités. Dans un secteur dominé par les hommes, tant numériquement que symboliquement et économiquement, il est extrêmement difficile pour les femmes et les personnes minorisées de genre de trouver leur légitimité. C'est pourquoi nous pensons qu'il est essentiel de travailler sur la parité dans les postes à responsabilité dans les spectacles. Pour cela, l'éga-conditionnalité et les budgets sensibles aux genres sont des outils très utiles. Nous croyons fermement en la diversification des récits, ce qui explique notre engagement sur les questions du matrimoine et du « female gaze », dont vous avez entendu parler ici même.

Il est également impératif de renforcer les réponses juridiques et réglementaires face aux violences sexistes et sexuelles. Cependant, il s'agit aussi de questions de formation, car il est nécessaire de faire évoluer les mentalités, les pratiques et les savoir-faire. Cela concerne aussi bien les enseignements artistiques supérieurs, souvent catastrophiques en matière de violences et d'exclusion des femmes de carrière, que les structures culturelles et les institutions.

Permalien
Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes

La Fondation des Femmes est la référence en France pour les droits des femmes et la lutte contre les violences dont elles sont victimes. Depuis sa création, il y a huit ans, elle a financé plus de 600 initiatives à hauteur de 10 millions d'euros grâce aux dons reçus. En plus de ce soutien financier, nous offrons un soutien juridique et matériel. Le soutien juridique est assuré par un réseau de plus de 400 avocates et avocats pro bono, qui accompagnent les associations dans leurs problématiques structurelles et leur plaidoyer. Ensemble, nous réfléchissons aux solutions que le secteur féministe peut proposer aux pouvoirs publics.

Par exemple, en 2022, lors de la campagne présidentielle, nous avons rédigé un pacte d'urgence pour l'égalité entre les femmes et les hommes, soutenu par plus de 250 associations. Actuellement, nous travaillons collectivement à une loi intégrale contre les violences sexistes et sexuelles. Le soutien matériel que nous apportons aux associations complète les soutiens financiers et juridiques, grâce aux actions de la Fondation des Femmes sur l'ensemble du territoire et sur tous les sujets. Cela nous permet d'avoir une vision large des problématiques que vivent les femmes en France et de pouvoir en témoigner lors de nos auditions.

Je souhaite aborder quelques points avant de passer aux questions concernant le secteur du cinéma. Ce que je vais vous exposer résulte de travaux menés avec certaines associations que vous avez déjà auditionnées, et je vous en remercie, ainsi qu'avec d'autres associations que vous n'avez pas encore entendues. Je vous recommande vivement de les auditionner, notamment le Collectif féministe contre le viol, qui écoute les femmes, les enfants, et les hommes victimes de violences sexuelles depuis le début des années 1980. Grâce à leur travail et à cette écoute, elles ont réussi à formaliser, comprendre et nous transmettre la stratégie des agresseurs. Je vous invite vraiment à les entendre ici, car leurs témoignages sont passionnants.

Ces secteurs ne sont pas fondamentalement différents de la société. Les violences sexuelles et sexistes existent malheureusement partout. Néanmoins, certains environnements favorisent la commission de ces violences en facilitant la stratégie des agresseurs sur quatre points en particulier.

Premièrement, dans le cinéma, le pouvoir est majoritairement masculin, tant dans la production que dans les instances et la réalisation. Cela entraîne une survalorisation des figures masculines, souvent élevées au rang de génies, presque « surhumains ». On ne peut pas les traiter comme des humains ordinaires, ni penser qu'ils doivent rendre des comptes de la même manière. Cette survalorisation favorise les agresseurs.

Deuxièmement, ces milieux sont marqués par une grande précarité, et la précarité engendre une vulnérabilité face aux agresseurs. Le statut d'intermittent, par exemple, est précaire. Sur un tournage, on négocie déjà son futur emploi et travaille son réseau pour assurer sa carrière. Dénoncer des violences peut avoir des répercussions sur toute une carrière, pas seulement sur l'emploi actuel.

Troisièmement, le caractère artistique de ces milieux joue également un rôle. Le caractère artistique peut justifier des comportements absolument injustifiables ailleurs. À l'instar du sport, où l'on peut affirmer qu'il faut souffrir pour se dépasser et faire émerger des émotions, il est souvent dit qu'il faut savoir se mettre en danger, y compris psychiquement, pour créer des œuvres sublimes. Cependant, ces secteurs reposent avant tout sur des compétences spécifiques, qui peuvent être acquises et développées, et non uniquement sur la souffrance et l'émotion. En tant qu'acteur, on joue un rôle grâce à des compétences apprises dans des écoles spécialisées. Pourtant, le caractère artistique est parfois invoqué pour justifier l'injustifiable. Par exemple, certains metteurs en scène affirment qu'ils doivent donner de véritables gifles à une actrice pour obtenir une réaction authentique à l'écran, ou qu'ils doivent réellement l'agresser pour voir ce qui en ressortira.

Les conditions matérielles des tournages, notamment dans le cinéma, mais aussi lors des tournées artistiques, peuvent également poser problème. À l'étranger, on peut se retrouver dans des lieux où le droit applicable est méconnu, où la langue est différente, et où l'on est isolé de son réseau familial ou amical. La création d'un groupe de travail, où l'on dort, mange et travaille ensemble, renforce cette isolement. On partage les mêmes transports. Qui monte dans la voiture avec le chef ? Qui mange à la même table ? Et tout cela se déroule en vase clos. Ces dynamiques de petits groupes génèrent des phénomènes similaires à ceux observés dans les familles. Comme dans les familles, il est extrêmement difficile de dénoncer les violences sexuelles dans ces contextes resserrés, car l'exclusion coûte cher et les représailles sont fréquentes.

Les spécificités des conditions matérielles des tournages créent un isolement. C'est la première phase de la stratégie de l'agresseur. Ensuite, la précarité et la vulnérabilité permettent à l'agresseur de cibler des victimes. Le caractère artistique légitime également une agression. Par exemple, un agresseur pourrait dire : « Je t'ai agressé pour que tu deviennes une artiste incroyable. » Enfin, le rapport d'autorité humilie et réduit au silence, renforçant la survalorisation des figures masculines. Dans le secteur artistique, et plus particulièrement en cinéma, ces dynamiques existent ailleurs mais sont exacerbées.

Concernant les enfants, cette commission s'intéresse également à eux. Les tournages sont des lieux d'adultes, et les enfants y participent sans que ces lieux soient adaptés. Par exemple, si un enfant est encadré par ses parents, comment réagir si l'un des parents est un agresseur ? Sur un tournage, il est difficile de repérer de telles situations, alors que dans un cadre scolaire, des adultes tiers peuvent identifier ces problèmes. Les tournages ne sont pas nécessairement adaptés pour gérer la violence. Les enfants peuvent être exposés à des scènes qu'ils ne comprennent pas, et il est essentiel de leur expliquer que ces scènes sont fictives. Prend-on toujours le temps de leur expliquer que la dame n'est pas réellement giflée ou frappée ? Ces environnements peuvent être traumatisants pour un enfant, qui pourrait croire que des actes normalement interdits sont ici autorisés ou tolérés. Ce travail de clarification est nécessaire, même si ces scènes ne relèvent pas spécifiquement de la violence sexuelle. Elles créent un contexte où l'enfant est confronté à des situations choquantes et traumatisantes, perçues comme normales par les adultes présents.

La question des scénarios est également primordiale, notamment ceux impliquant des violences sexuelles explicites. Les enfants peuvent être envoyés sur des lieux de tournage où ils sont soit témoins, soit victimes de telles violences. Ces éléments expliquent pourquoi le mouvement # MeToo a eu un impact particulièrement fort dans le milieu du cinéma et artistique. Nous espérons que ces secteurs, en montrant l'exemple, pourront aider la société à progresser. Nous plaidons pour une loi intégrale contre la violence sexuelle et sexiste, non seulement ciblée sur le monde du cinéma, mais applicable à l'ensemble de la société française. Il reste beaucoup à faire pour lutter contre l'impunité.

Nous constatons un manque d'exemples de condamnations pour violences sexuelles et sexistes dans le cinéma, malgré de nombreux témoignages. Cela reflète une tendance générale en France, où les taux de classement sans suite pour les plaintes pour viol étaient de 94 % en 2021. Le classement sans suite signifie qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments pour poursuivre une affaire. Cela implique que des victimes ne pourront jamais se présenter devant les tribunaux, et que des agresseurs ou des potentiels agresseurs ne seront jamais condamnés pour leurs actes. Parallèlement, on observe une augmentation de 164 % des plaintes pour violences sexuelles depuis le mouvement # MeToo. Malheureusement, cette hausse des plaintes s'accompagne d'une augmentation des classements sans suite. Il est donc évident qu'un problème doit être résolu, de plus en plus de personnes cherchent à obtenir justice, mais de moins en moins y parviennent. Cette situation est non seulement injuste pour les victimes, qui n'ont pas l'opportunité de faire valoir ce qu'elles ont vécu devant un tribunal, mais elle constitue également un élément stratégique pour les agresseurs. L'impunité est aujourd'hui un argument de plus en plus utilisé dans les discours antiféministes et dans le cadre du backlash. On entend dire que les femmes exagèrent, car la justice ne condamne pas, et que leurs plaintes sont infondées puisqu'elles sont classées sans suite. Je tiens à alerter fortement sur ce point. Les changements sociétaux que nous espérons doivent également avoir un impact sur le milieu du cinéma et artistique en général.

Pour conclure, il est important de rappeler que de nombreuses mesures ont déjà été prises dans le milieu du cinéma. Nous en discuterons peut-être plus en détail ultérieurement. Dans le milieu du cinéma, à l'instar de la société, on observe souvent des constats pertinents – j'espère que cette commission en formulera également – et plutôt de bonnes recommandations. Cependant, l'effectivité de la mise en place de ces recommandations laisse souvent à désirer. On ne se penche pas suffisamment sur leur mise en œuvre concrète. Par exemple, est-ce que cette mesure est réellement bien appliquée ? Les coordinateurs d'intimité sont-ils bien formés et volontaires ? Sont-ils présents là où il le faut ? On en arrive souvent à la conclusion que, malgré tous les efforts déployés, rien ne fonctionne. Certains affirment que les violences sexuelles sont un état de fait. Or, je pense que ce n'est pas une fatalité.

Nous pouvons réellement progresser et réduire les violences sexistes et sexuelles, mais cela nécessite des moyens financiers adéquats. Actuellement, le budget alloué à la lutte contre les violences sexuelles est dérisoire. Pour la lutte contre les violences faites aux femmes, il s'élève à un peu moins de 13 millions d'euros, ce qui est ridicule. Il est crucial de disposer de moyens financiers suffisants, mais aussi de moyens en termes de suivi et d'évaluation des mesures mises en place. Il ne s'agit pas seulement de faire des incantations, mais d'avoir un impact concret pour réduire ces violences sexistes et sexuelles.

Permalien
Muriel Réus, présidente de l'association Femmes avec

Je suis la fondatrice de l'association Femmes avec, créée en décembre 2017, à un moment charnière pour la prise en compte de la parole des femmes, après trente ans de carrière dans les métiers de la communication, de la publicité et des médias. Femmes avec défend les droits des femmes au sens large, luttant contre toutes les formes d'inégalités et de stéréotypes. Nous proposons de nombreuses formations en entreprise, car je considère que les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre les violences. L'État ne peut pas tout faire, il est nécessaire d'impliquer l'ensemble de la société. Notre association est particulièrement investie dans la lutte contre les violences de toute nature, principalement faites majoritairement aux femmes et aux enfants.

Pourquoi parler de violences de toute nature ? Parce que les violences forment un continuum, elles peuvent être sexuelles, physiques, psychologiques, mais aussi sexistes. Souvent, les récits des victimes que nous accompagnons montrent que la gradation des violences commence par une non-prise en compte des premiers signes. Lorsqu'une organisation, une entreprise ou un entourage ferme les yeux sur des propos sexistes, ces violences peuvent évoluer en actes délictuels, agressions et crimes. Cette compréhension est essentielle, car elle reflète ce que nous vivons dans les récits des personnes que nous accueillons et accompagnons.

Comme l'a mentionné Anne-Cécile Mailfert, ces comportements sont identiques dans tous les secteurs d'activité. Les mouvements # MeToo sont présents partout, dans tous les secteurs. C'est d'ailleurs l'un des objectifs de l'opération que nous avons montée avec la Fondation des Femmes, que vous avez sûrement vue, cette quadruple page dans Le Monde où nous avons réuni tous les # MeToo de France, notamment # MeToo armée, # MeToo cinéma, # MeToo stand-up, # MeToo hôpitaux, etc. Les violences sont structurelles et omniprésentes dans la société française.

Depuis la création de l'association Femmes avec, nous avons accompagné environ 200 victimes. Cet accompagnement ne se limite pas à l'écoute et au soutien de leur parole. Nous avons rapidement ressenti la nécessité de mettre en place un soutien juridique et psychologique, compte tenu de l'impact considérable de ces violences sur la vie personnelle et professionnelle des victimes. Une des particularités de notre association est de s'entourer d'experts et de proposer une aide financière pouvant atteindre 1 200 euros par victime pour les premiers frais juridiques. En effet, sans avocat à leurs côtés, il est extrêmement difficile pour les victimes de progresser et de faire entendre leur voix de manière claire et construite, surtout face aux nombreux classements sans suite. Nous avons également instauré un accompagnement psychologique, prenant en charge jusqu'à dix séances avec des experts formés aux violences. Nous avons constaté que le retour à une vie plus équilibrée, notamment la réinsertion professionnelle est un défi majeur pour ces personnes. Ainsi, nous souhaitons aujourd'hui mettre en place un accompagnement avec des coachs professionnels pour aider les victimes à retrouver une vie professionnelle plus sereine.

Il est important de préciser que tous ces services sont entièrement gratuits pour les victimes. Nous n'avons aucun soutien de l'État ni des ministères, ce qui complique grandement notre situation, car nous sommes tous bénévoles. Nous avons choisi, peut-être que cela changera après cette commission, de chercher des ressources auprès des entreprises, de plus en plus investies sur ces questions.

Je souhaite également revenir sur ces métiers particuliers de l'image, des médias et de la culture au sens large. Dans ces domaines où le pouvoir, la notoriété et les forces économiques sont prépondérants, j'observe trois dynamiques en jeu. Premièrement, un mode opératoire se met souvent en place qui, sans être freiné par l'entourage, l'organisation ou l'entreprise qui emploie la personne mise en cause ou l'agresseur, crée une martingale, un processus qui permet à l'agresseur de continuer ses actes impunément, car il n'est pas arrêté et ne subit aucune conséquence. À titre d'exemple, je suis moi-même plaignante dans l'affaire Patrick Poivre d'Arvor (PPDA). À l'époque, après ce que les victimes appellent « le coup du plateau », que j'ai moi-même vécu, j'ai informé Patrick Le Lay, alors président de TF1, mais aucune mesure n'a été prise. Cela soulève des questions, car si une stratégie d'alerte et de correction avait été mise en place, peut-être que d'autres victimes n'auraient pas subi des viols.

Deuxièmement, la dissymétrie des relations est un élément très important. Lorsqu'une personne détient le pouvoir d'octroyer un emploi ou de faire ou défaire une carrière, et que, en face, une autre personne est en demande, notamment dans des métiers où la précarité est très forte, cela génère des peurs et des situations inconcevables aujourd'hui. Parler au nom d'une victime est extrêmement difficile, car cela nécessite d'abord de se reconnaître comme telle. Cela demande un long travail d'introspection et d'acceptation du changement de regard des autres. De plus, il y a la crainte absolue de perdre son emploi.

Le silence de l'entourage est également un facteur omniprésent, particulièrement lié au pouvoir économique de ces secteurs. Si Patrick Poivre d'Arvor n'avait pas été l'homme qui avait construit l'économie de TF1, avec ses 7 millions d'auditeurs et les ressources publicitaires colossales qui en découlaient, les choses auraient peut-être été différentes. Il existe une peur économique au sein des structures employant ces agresseurs, mais aussi des relations de solidarité de genre et d'entre-soi. Des stratégies de résistance se mettent en place car les emplois sont difficiles à obtenir et à conserver, notamment dans les médias.

Le déni est également présent. Un grand réalisateur, auditionné il y a quelque temps, a exprimé un déni très fort concernant les violences dans ce milieu, minimisant leur gravité. Pourtant, il est crucial de reconnaître qu'un acte sexiste peut devenir une violence demain. Il est impératif de faire de la pédagogie sur ce sujet et d'embarquer toute la société, y compris les hommes. Ceux-ci occupent majoritairement des postes de pouvoir et ont un rôle important à jouer aux côtés des femmes pour lutter contre les violences. Ils doivent mettre en place des structures, des moyens et une organisation qui ne permettent plus aux femmes de se sentir en danger.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma première question s'adresse peut-être plutôt au mouvement HF+. Nous sommes d'accord avec vous sur la question du déséquilibre et de la représentation de la femme dans le monde de la culture, et notamment dans le périmètre de cette commission d'enquête, qui contribue à invisibiliser ces œuvres. Est-ce que vous pouvez peut-être nous dire comment, selon vous, cette invisibilisation a aussi contribué aux violences que l'on connaît actuellement dans le monde du cinéma et du spectacle, et dont les femmes sont encore victimes aujourd'hui ?

Où nous en sommes aujourd'hui en termes d'égalité, de parité, dans le monde du spectacle vivant que vous représentez particulièrement, et aussi de la musique, mais dans tout le périmètre de votre mouvement.

Je voulais revenir rapidement sur les propos de Mme Mailfert. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait qu'effectivement aujourd'hui on a beaucoup d'associations, beaucoup d'institutions, des écoles aussi qui se dotent de chartes. On l'a vu quasiment dans toutes nos auditions, il y avait la présence de chartes et je pense qu'à la fin de cette commission d'enquête on pourra peut-être les lister ou les compter mais on en aura une infinité. Je commence à ressentir que ces chartes servent en réalité de paravent. On se contente de dire : « Nous avons établi une charte », mais en pratique, les problèmes persistent. Par exemple, des chartes nous ont été présentées le 31 mai, alors qu'elles avaient été votées le 27 mai. Il semble également que cette commission d'enquête joue un rôle moteur dans la création de chartes pour ceux qui n'en avaient pas encore. Ce qui m'interpelle particulièrement, c'est l'absence de bilan et de contrôle de l'application de ces chartes. Les réponses à ces questions restent très vagues. On constate qu'elles sont simplement votées, puis mises de côté sans véritable suivi. J'aimerais connaître votre avis sur cette question et savoir ce que vous avez pu observer en termes d'application concrète de ces chartes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La rapporteure a mentionné les chartes et vous avez évoqué les écoles, en soulignant que leur fonctionnement était visiblement défaillant. J'aimerais obtenir des précisions à ce sujet, car nous avons auditionné les responsables. Nous avons constaté qu'ils disposaient de chartes et de diverses bonnes pratiques affichées. Cependant, il semble que vous possédiez des informations contradictoires sur ce point, et nous souhaiterions les connaître.

Permalien
Camille Pawlotsky, représentante de HF+ Hauts-de-France

Je vais aborder la question de l'invisibilisation, qui engendre des violences à plusieurs niveaux. Invisibiliser un groupe de personnes, des individus ou des groupes, et valoriser la force représentative des dominants a une conséquence directe sur la répartition des pouvoirs. Comme l'ont souligné les autres intervenantes, les pouvoirs se concentrent entre les mains d'un nombre restreint de personnes, qu'il s'agisse du pouvoir budgétaire, de la représentation historique, ou de l'histoire de l'art. Cette concentration crée un langage unique détenu par certains. Lorsque l'on invisibilise les autres, ils deviennent des personnages secondaires, des personnes jugées indignes d'être valorisées, vues ou mises en lumière. Si leur valeur est perçue comme mineure, elles deviennent des objets de possession, de violence, de manipulation, et subissent une répartition inégale des pouvoirs. L'invisibilisation, par définition, consiste à renier et à mettre dans l'ombre. En tant que femmes et personnes minorisées, cela se manifeste par exemple lors des journées du patrimoine où seules des œuvres d'hommes sont exposées, ou lorsque les plaques de rue ne reflètent pas notre existence. Cela signifie que nous ne pourrons jamais faire partie de ce groupe dominant. C'est un écrasement de nos ambitions et de nos dynamiques dès le départ. Nous considérons cette forme de violence comme l'une des premières à être acceptée tacitement.

Concernant les récits, il est évident que l'invisibilisation appauvrit notre patrimoine culturel. Lorsque les récits sont toujours narrés par les mêmes personnes, ils finissent par se ressembler. Par exemple, depuis plusieurs années, les salles de théâtre se vident, et il devient de plus en plus difficile d'attirer le public. Cette désaffection s'explique en partie par le fait que les spectacles et les œuvres ne représentent pas l'ensemble de la population. Cela génère une forme d'exclusion, privant certaines personnes des lieux de représentation, de fête et de célébration.

Comme cela a été souligné, il existe un continuum entre ces violences et les violences sexistes et sexuelles. Si je suis perçu comme secondaire, si je ne compte pas, alors l'autre peut légitimement exercer une forme de violence à mon encontre.

Permalien
Sarah Karlikow, représentante de l'assemblée collégiale de la fédération interrégionale du Mouvement HF+

Je souhaite rebondir sur les propos de Camille Pawlotsky concernant l'absence de modèles féminins sur scène. Cette absence oblige les femmes qui souhaitent s'impliquer à jouer un rôle de pionnières, nécessitant une énergie et un engagement bien supérieurs à ceux des hommes, qui sont facilement acceptés. Endosser ce rôle constitue déjà un risque, et il est essentiel de souligner l'importance du terme « risque » dans ce contexte. Les femmes prennent constamment des risques, et le fait de devoir être pionnière en ajoute encore davantage. L'invisibilisation constitue également une forme de violence. Lorsqu'une femme crée une œuvre, réalise ou co-met en scène, et que seules les contributions masculines sont mises en avant dans les communications, c'est une violence en soi.

Sur la question du continuum théorisé par Liz Kelly, il est crucial de comprendre que ce concept implique l'absence de hiérarchie des violences. Bien qu'il existe une hiérarchie dans le domaine pénal et dans les réponses apportées, les violences ne se limitent pas aux violences physiques. Une petite violence peut être la goutte d'eau qui fait déborder le vase, surtout après une accumulation de violences antérieures, et peut avoir un impact aussi significatif qu'une agression physique sur la vie des femmes.

Pour répondre à la question des chiffres actuels, HF+ Bretagne, dont je fais partie, publie des statistiques tous les deux ans. Nous avons observé une évolution notable, il y a dix ans, seulement 17 % des femmes étaient présentes sur scène dans le domaine théâtral, aujourd'hui elles représentent 38 % des effectifs, ce qui signifie qu'il y a 62 % d'hommes. Cette tendance se retrouve également dans toutes les formes de musique, qu'il s'agisse de musiques actuelles, traditionnelles ou classiques. Les femmes sont globalement moins présentes dans ces domaines.

On observe que le nombre de femmes est inversement proportionnel à la notoriété et aux moyens disponibles. Plus les salles sont grandes ou plus il y a de représentations, plus la présence masculine est marquée. De même, plus les budgets sont importants, plus les hommes sont nombreux, tandis que les femmes sont moins représentées. Cette disparité se manifeste également dans les lieux de grande notoriété. Il est pertinent d'examiner les chiffres en détail. Par exemple, un festival peut annoncer une parité de 50/50 entre femmes et hommes, mais en réalité, 90 % des hommes se retrouvent dans une salle de 2 000 places, tandis que 80 % des femmes se trouvent dans une salle de 50 places. Cette inégalité de représentation demeure flagrante.

En ce qui concerne les métiers, le déséquilibre est aussi notable. Dans les métiers techniques, les hommes représentent 80 à 90 % des effectifs. En revanche, les métiers de la médiation et de la communication sont majoritairement occupés par des femmes. Quant aux métiers de couturière, ils sont également dominés par les femmes. Enfin, je suis disposée à discuter des chartes, mais cela viendra en complément.

Permalien
Muriel Réus, présidente de l'association Femmes avec

Pour répondre à votre question sur les chartes, qui me semble extrêmement importante, cela soulève toute la problématique des outils que nous mettons en place. Vous avez raison, et je partage votre sentiment. De nombreuses chartes sont signées par des entreprises, parfois même lancées par des associations, et elles comportent un nombre impressionnant d'entreprises signataires. Cependant, en l'absence d'outil d'évaluation, on peut légitimement se demander à quoi elles servent. J'ai entendu de nombreux témoignages personnels de ces associations indiquant qu'elles n'étaient pas là pour se substituer aux entreprises. Une fois que ces dernières ont signé la charte, elles ont manifesté un engagement, et il n'est pas du ressort des associations de vérifier ce qui se passe ensuite. C'est une réalité.

Toutefois, cela pose la question de l'utilité de cette signature. À quoi sert-il d'afficher notre intention de lutter contre les violences sexuelles et sexistes s'il n'existe aucun indicateur de résultat ni d'expertise précise sur les actions mises en place ou non ? Je ne suis pas certaine que la commission parvienne à résoudre ce problème. Il s'agit d'un enjeu majeur, et nous ne pouvons pas remplacer un règlement intérieur ni des outils d'analyse. À mon sens, cela relève un peu du washing, je signe une charte pour me donner bonne conscience, et lorsque je suis interpellée, je réponds : « Non, mais j'ai signé une charte, c'est totalement insuffisant. »

Ce qui me semble plus efficace, ce sont les formations que nous pouvons instaurer. Par exemple, Femme avec organise des formations. En tant que cofondatrice de # MeToo Media, nous avons conçu une formation destinée aux écoles de journalisme. Lorsque nous passons une journée, deux jours, avec des étudiants, ou lorsque nous consacrons deux jours entiers de formation avec des équipes sur le terrain, nous avons réellement le temps de travailler en profondeur, de poser des questions, de répondre et d'analyser. Ainsi, les formations me paraissent bien plus efficaces qu'une simple signature au bas d'un document que l'on va afficher sur les murs de l'entreprise.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous allons aborder la question des formations, un sujet qui suscite de nombreuses réflexions. De nombreuses formations sont dispensées après l'obtention du diplôme, ce qui soulève certaines problématiques. Lorsqu'on interroge les écoles sur l'enseignement du droit à leurs étudiants, il apparaît clairement que ce n'est pas une priorité. Cela constitue un véritable enjeu. La formation professionnelle, qu'elle soit initiale ou continue, devrait inclure les bases du droit en vigueur, notamment le droit positif pertinent au domaine concerné. Actuellement, il semble y avoir une carence à ce niveau. Les formations dispensées aux producteurs, par exemple, devraient inclure des connaissances approfondies en droit du travail dès le cursus initial. Cela éviterait de devoir combler ces lacunes par des formations complémentaires après coup, qui devraient plutôt servir d'accompagnement. Il est essentiel de souligner ce manque.

Permalien
Sarah Karlikow, représentante de l'assemblée collégiale de la fédération interrégionale du Mouvement HF+

Je vais donner un exemple encore en Bretagne s'agissant de la question sur les charte. Excusez-moi de ce tropisme, mais c'est là que je vis et que je travaille. Nous avons constaté les limites des chartes et les avons remplacées par des pactes. Dans le milieu des musiques actuelles, au lieu de signer une charte qui finit souvent dans un tiroir, nous avons élaboré un pacte inspiré des pactes pour la transition écologique. Ce pacte propose un menu d'actions concrètes parmi lesquelles chacun peut choisir en s'engageant à les réaliser. Cependant, ce pacte doit être animé et non seulement évalué.

Nous avons rédigé ce pacte en 2017, et il circule comme un outil pédagogique avec des idées pour le secteur des musiques actuelles. Lorsque nous avons réussi à créer un poste à temps plein pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans ce secteur en Bretagne, grâce au financement du Centre national de la musique et d'autres collectivités, la personne occupant ce poste a pu animer ce pacte. Signer le pacte implique donc de désigner une personne relais au sein de chaque structure, de participer à des groupes d'analyse de pratiques et d'échange de pratiques. Cette animation nécessite un poste, et un poste demande des financements.

Permalien
Camille Pawlotsky, représentante de HF+ Hauts-de-France

Sur les enseignements, nous constatons, au début des carrières, une zone de flou entre ce que signifie être un artiste et ce que signifie être un pédagogue. Lorsqu'on évoque la formation, il est essentiel, selon nous, que si un artiste est invité à enseigner son savoir avec différentes modalités, il soit informé des principes de la pédagogie, des outils pédagogiques et des limites, notamment le cadre très clair du droit du travail, ce qui, à notre sens, n'est pas du tout respecté. L'artiste est censé apporter ses connaissances et ses affections artistiques, ce qui ne signifie absolument rien en matière de pédagogie. Évidemment, le fait que cet artiste, ce pédagogue, en tout cas cet enseignant, attribue des rôles au sein même des lieux d'enseignement, où les interprètes sont déjà sur le plateau, pose question. Cet enseignant va attribuer les rôles, déterminer à qui revient le rôle le plus important, le plus valorisant, et susciter ce fameux mot, sacralisé de manière étrange, du désir. Cela commence par le désir sexuel avec une demande de réciprocité dans cette relation, ce qui est absolument inepte en ce qui concerne l'apprentissage, et évidemment inacceptable lorsqu'il ne s'agit pas d'une relation consentie.

Le désir en termes d'engagement dans le travail est également problématique. L'élève doit avoir tellement envie de travailler qu'il ou elle doit tout accepter, y compris la souffrance, comme si ne pas souffrir signifiait ne pas se donner suffisamment. Le désir est sacralisé, tandis que le plaisir ne l'est pas du tout. Le plaisir de jouer, de découvrir un milieu, d'acquérir des outils, tout ce qui est joyeux dans l'apprentissage, n'est pas valorisé. Les compétences sont perçues comme des outils à acquérir dans un travail. Nous parlons ici des interprètes.

Je souhaite intégrer tous les postes, que ce soit sur les plateaux de cinéma, de théâtre, sur les scènes de musique, et autres. Tous les postes sont concernés, bien évidemment. Il existe des écoles, comme vous le savez, non seulement pour les interprètes, mais pour tous les métiers. Ce qui nous semble extrêmement important, une personne invitée à enseigner dans une école doit, a minima, être informée sur le cadre de cet enseignement et sur la philosophie qui l'accompagne. En effet, dans les domaines artistiques, le terme philosophie n'est pas un gros mot. On peut avoir une philosophie d'apprentissage et une philosophie de pensée qui s'appliquent.

Permalien
Sarah Karlikow, représentante de l'assemblée collégiale de la fédération interrégionale du Mouvement HF+

Nous intervenons dans des secteurs où le corps constitue l'instrument de travail, que ce soit dans la danse, le théâtre ou même la musique. Dans les lieux d'enseignement, nous travaillons avec le corps des étudiantes et des étudiants, leur apprenant le lâcher-prise, une notion que vous avez pu aborder avec les coordinatrices d'intimité. Si une formation pour ces coordinatrices est mise en place, elle leur permettra de comprendre les notions de limite et de consentement, ainsi que le travail corporel avec des enfants, des adolescents et des adultes, qui sont évidemment des approches différentes. Ces aspects, bien que relevant des sciences de l'éducation, sont spécifiques et devraient absolument faire partie de la formation des enseignants. Il n'est pas acceptable que des enseignants travaillent avec le corps des élèves sans avoir reçu une formation initiale sur ces sujets.

Pour répondre à votre question, nous recevons de nombreux témoignages de personnes en formation dans des établissements d'enseignement supérieur, relatant les violences qu'elles subissent. Ces violences s'accompagnent de phénomènes de silenciation et de carrières brisées dès le début. Beaucoup abandonnent leurs études, ce qui entraîne un taux élevé d'abandons et de carrières interrompues prématurément.

Permalien
Muriel Réus, présidente de l'association Femmes avec

Sur la question des formations dispensées en entreprise ou dans les écoles, il est essentiel de considérer toutes les institutions éducatives, qu'il s'agisse des écoles de comédiens, des écoles de publicité, des écoles de journalisme ou des grandes écoles. En effet, même dans une école d'ingénieurs, rien ne garantit qu'un étudiant ne choisira pas de se tourner vers un métier artistique à l'avenir. Plus nous cloisonnons les choses, moins nous reconnaissons que la société entière est concernée.

Je constate que, lors des formations, ni les enseignants ni les élèves ne font de distinction claire entre un outrage sexiste, une agression sexuelle, une agression morale, un viol et le cadre du consentement. Lorsque l'on interroge les personnes concernées, qu'il s'agisse de l'encadrement ou des élèves, ces derniers peuvent être excusés de leur méconnaissance, mais il est préoccupant que l'encadrement ne fasse pas cette différence. Il est donc impératif de détailler ces notions, ce que nous faisons bien entendu, en introduisant les concepts juridiques mentionnés précédemment, qui me semblent absolument indispensables. Sur ces sujets, il est impensable de débuter une formation sans expliquer précisément le cadre de ces agressions et les sanctions qu'elles impliquent. Il est donc essentiel d'inclure ces notions dans les formations, car c'est en comprenant ces situations que l'on peut se positionner. Sans ce cadre de réflexion et d'analyse, il est impossible de réagir adéquatement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mme Réus, vous avez mentionné précédemment que vous faites partie des femmes ayant accusé Patrick Poivre d'Arvor de violences sexuelles et, plus précisément dans votre cas, d'agression. Cette commission d'enquête peut examiner votre situation car l'affaire a été classée sans suite pour prescription. Dans une interview de 2021, vous aviez alerté le PDG de TF1, Patrick Le Lay, le lendemain de cette agression. Vous avez cité M. Le Lay qui aurait répondu : « Ah non, il n'a quand même pas osé avec toi aussi », indiquant ainsi qu'il était au courant et qu'il allait s'en occuper. M. Le Lay étant décédé en 2020, il ne pourra pas être auditionné par cette commission d'enquête. Vous avez confirmé qu'aucune action n'avait été entreprise par M. Le Lay, bien qu'il fût informé.

Première question d'autres personnes chez TF1 étaient-elles au courant de ce que vous aviez dénoncé à M. Le Lay ou des agissements de Patrick Poivre d'Arvor ? Ensuite, avec les années écoulées et l'expérience acquise avec votre association Femmes avec, où vous avez entendu et accompagné d'autres femmes victimes, avez-vous une explication sur ce qui permet à ces hommes d'agir ainsi envers les femmes en toute impunité ? Nous avons abordé plusieurs failles, telles que l'omerta, la protection, le pouvoir et l'argent. Existe-t-il des éléments récurrents qui leur permettent une telle liberté d'action sans conséquences ?

Permalien
Muriel Réus, présidente de l'association Femmes avec

Sur mon cas personnel, j'ai bien sûr alerté Patrick Le Lay. À l'époque, je dirigeais une filiale du groupe TF1 et du groupe M6, puisqu'il s'agissait d'une filiale commune à ces deux entités. Je dois dire que je n'étais pas dans la cible des victimes de PPDA. D'abord, j'étais beaucoup plus âgée que celles qui ont dénoncé par la suite ce qui s'était passé. En réalité, je ne comprends pas bien les raisons de cette agression, si ce n'est que je pense que chez ces hommes, rien ne les arrête. Comme je l'ai mentionné précédemment, il y a un côté hors-sol. On se trouve dans une situation de pouvoir absolu. Pendant des années, personne ne leur a jamais dit que ce qu'ils faisaient était intolérable et inacceptable. Au contraire, on a toujours valorisé cette attitude en la considérant comme une forme de séduction. C'est assez schizophrène, j'imagine, car je ne suis pas dans leur tête, de s'entendre dire que l'on est à la fois un agresseur et séduisant, et que toutes les femmes souhaitent avoir une relation avec vous, tout en étant accusé d'agression. D'ailleurs, si vous avez écouté « Quotidien », il exprime très bien cela. Il dit à un moment donné : « Je n'ai jamais eu une relation sexuelle avec une femme qui m'aurait dit non. » C'est comme s'il avait donné l'autorisation aux femmes d'avoir une relation avec lui. Vous voyez, il y a une inversion à la fois de la séduction et de la culpabilité qui est complètement psychanalytique, quelque part. Comme je ne suis pas psychanalyste, je laisserai aux spécialistes le soin d'analyser cette personnalité en détail.

Je crois que ce que j'ai dit précédemment est assez similaire dans l'affaire Miller, dans l'affaire Cauet, et dans toutes ces affaires. Si vous les examinez toutes, il y a toujours une similitude. Il y a une similitude de pouvoir, de toute-puissance, d'un entourage qui ne vous contredit pas, qui accompagne et qui considère que les actes commis sont mineurs. On peut parler d'hommes, mais l'agresseur se retrouve dans des situations de toute-puissance absolue.

Quant à votre deuxième question, s'il y avait d'autres personnes qui étaient au courant, en plus de Patrick Lelay, je pense que personne, honnêtement, n'était au courant des viols. Personne n'a imaginé que dans ce bureau, il pouvait y avoir des agressions allant jusqu'aux viols. Nous avons plus de treize plaintes pour viols. Cinquante femmes ont témoigné devant la justice aujourd'hui dans cette affaire. Nous comptons environ quatre-vingts témoignages, c'est-à-dire que cinquante femmes ont rencontré des enquêteurs et ont témoigné. La majorité d'entre elles ont porté plainte, tandis que d'autres n'ont pas franchi ce pas.

Cependant, personne dans cette entreprise ne s'est interrogé sur le fait que, tous les soirs, après le journal télévisé, à vingt et une heure, au moment où il n'y avait plus personne dans la rédaction située au premier étage, il y avait un seul bureau fermé où se produisaient ces actes. Personne ne s'est posé cette question, et même la sécurité, dans « Complément d'enquête », a affirmé que ces femmes ne sortaient pas en pleurant, elles ne venaient pas la voir et elles n'ont pas manifesté le fait qu'elles avaient été agressées, donc personne ne s'en est mêlé. Dans cette affaire particulière, il y a eu une acceptation d'une situation complètement intolérable. Une entreprise doit assurer la protection non seulement de ses salariés, mais aussi de toute personne présente dans ses locaux. Les conditions de sécurité n'ont pas été respectées, et pire encore, elles n'ont même pas été remises en question. Est-ce qu'aujourd'hui, cela pourrait se reproduire de la même façon ? J'espère que non.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce qui m'interpelle dans vos interventions est ce que vous décrivez dans le milieu de l'art et de la culture, qui semble se retrouver dans de nombreux autres secteurs. En effet, ces dynamiques de pouvoir et de domination apparaissent souvent d'abord au sein des familles, puis se reproduisent dans différents milieux professionnels. Cela soulève pour moi une question essentielle : comment pouvons-nous proposer ou recommander des actions pour contrer ces comportements ? Je suis convaincue que la formation et la sensibilisation à ces problématiques doivent débuter dès le plus jeune âge, à l'école. Nous nous efforçons déjà de le faire, notamment en ce qui concerne le harcèlement, mais il est crucial d'élargir cette sensibilisation. Lorsqu'on atteint les années collège et lycée, période où les jeunes commencent à envisager leur orientation professionnelle, il est primordial de renforcer cette sensibilisation. J'aimerais connaître votre avis sur cette proposition.

Par ailleurs, vous avez évoqué la répartition genrée des métiers dans le secteur de l'art et de la culture. Il est évident que notre société attribue certaines professions davantage aux femmes qu'aux hommes. Il est donc impératif, dès le collège et le lycée, d'informer les élèves que ces métiers sont accessibles à tous, indépendamment du genre. L'instauration de stages et d'interventions en milieu scolaire pour présenter ces métiers pourrait être une piste à explorer afin de rééquilibrer cette répartition.

La question de l'omerta dans le domaine de l'art et de la culture, se retrouve également dans de nombreux autres secteurs, notamment en ce qui concerne la concentration des pouvoirs. Dans plusieurs domaines, nous avons légiféré pour imposer la parité dans les instances de décision. Ne devrions-nous pas également imposer la parité dans ces instances dans le domaine de l'art et de la culture pour rééquilibrer les pouvoirs ?

Ensuite, vous avez évoqué la situation des enfants dans le cadre de cette commission d'enquête. Ne faudrait-il pas, chaque fois que des enfants sont présents sur des tournages, des tournées ou autres, garantir la présence d'un psychologue ? Cela permettrait non seulement de leur offrir un soutien, mais aussi de détecter d'éventuels signes de domination parentale. Vous avez très bien souligné que l'on peut déceler si un parent exerce une domination sur l'enfant. L'instauration de l'obligation de la présence d'un psychologue ou d'un personnel de santé avec une formation spécifique sur ces tournages pourrait ainsi accompagner l'enfant dans son parcours artistique. Nous avons des talents dès le plus jeune âge, et il est absolument inadmissible que ces parcours se brisent.

Dans toutes les entreprises qui embauchent, il est essentiel de désigner des référents extérieurs, potentiellement issus d'autres entreprises, pour traiter les violences sexistes et sexuelles ainsi que toutes autres formes de violences. Il est également primordial de mettre en place une ligne d'écoute dédiée à ces problématiques. Nous devons instaurer de manière systématique la présence de référents en matière de harcèlement ou autres violences, que ce soit dans les entreprises ou les collectivités.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous constatons, au fil des auditions, que des tendances claires émergent, notamment en ce qui concerne la culture du viol et les problématiques systémiques. Une question précise s'impose pour éviter que les chartes ne restent lettre morte, celle des moyens. Les associations féministes nous interpellent souvent à ce sujet. Lorsqu'on examine le budget, à quel moment et à quel endroit allouons-nous davantage de ressources pour la justice et l'éducation à la sexualité ? En effet, bien qu'une loi prévoie trois séances par an, les moyens nécessaires pour garantir leur mise en œuvre pour tous les élèves ne sont pas disponibles.

Concernant les métiers des arts et de la culture, je sais que vous n'avez pas nécessairement de chiffrage précis, mais pourriez-vous nous éclairer sur les coûts spécifiques ? Par exemple, la formation, les postes de référents, et les cellules d'écoute déjà existantes. Un tournage, par exemple, est très onéreux. Si des heures de tournage sont perdues, cela engendre des coûts considérables. Comment évaluer ces coûts liés aux violences sexuelles et sexistes (VSS) et déterminer qui doit les assumer ? Les postes de coordonnateurs d'intimité ont été mentionnés. J'aimerais également aborder le chiffrage du coût des sanctions des auteurs et de la protection des victimes.

Cela m'amène à une deuxième question concernant les procédures. Imaginons qu'un tournage soit suspendu, qu'une personne soit mise à l'écart ou suspendue de ses fonctions et doive être remplacée. En même temps, cette personne peut encore percevoir son salaire. Toutes ces situations doivent être chiffrées et mises en avant. Sans cela, les chartes risquent de rester sans effet concret en l'absence de procédures claires et financées.

Je souhaite aborder la question des procédures, car bien que nous disposions déjà d'une cellule d'écoute et de cadres de formation, de prévention et d'écoute de plus en plus nombreux, il est nécessaire de se pencher sur les types de procédures et de décisions que nous pouvons promouvoir. En effet, il ne faut pas attendre des décisions de justice, souvent rares et hypothétiques. Il est crucial de déterminer quelles mesures de précaution peuvent être prises dans un cadre signataire de chartes féministes, sans attendre une condamnation judiciaire. Il serait utile de disposer d'une liste des sanctions ou mesures de protection à adopter pour éviter de se limiter à la prévention sans savoir comment agir concrètement. L'un des vecteurs de la prévention repose sur la mise en place d'actions concrètes lorsque des accusations sont portées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mme Réus, je souhaite revenir sur vos propos concernant les formations. J'ai été particulièrement touchée par votre insistance sur l'importance de rappeler le cadre juridique et légal dès le début des formations. Vous avez souligné que ni les encadrants ni les élèves ne distinguent la gravité des différentes agressions. Cela m'interpelle profondément. Selon vous, est-ce un problème d'éducation initiale au sein des familles, un dysfonctionnement au niveau de l'éducation nationale, ou bien le reflet d'une tolérance généralisée dans notre société ? En fin de compte, cela questionne la manière dont notre société perçoit et traite la condition féminine.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le sujet est d'une importance capitale. Je souhaite d'abord souligner les propos de Mme Réus, des # MeToo, il y en a partout, dans tous les domaines. Il est impératif que notre société s'attaque rapidement à ce problème systémique. « Ça suffit, il faut agir » est d'ailleurs l'un des slogans des associations féministes. La Fondation des Femmes a récemment publié un rapport, dont la date m'échappe, sur le sexisme chez les jeunes de dix-huit à trente-cinq ans. Un quart de ces jeunes considèrent qu'il est normal d'être violent envers leur compagne, ce que je trouve extrêmement grave. Mes collègues l'ont déjà mentionné il s'agit avant tout d'une question d'éducation. Il est également nécessaire de doter l'éducation nationale de moyens adéquats, car les enseignants ne sont pas toujours formés à ces questions. Cela me semble indispensable, comme dans toutes les professions et dans toute la société.

Je souhaite poser une question concernant l'organisme externe chargé de traiter les violences sexistes et sexuelles ainsi que les agressions. J'ai participé à la commission d'enquête sur les fédérations sportives, où nous avons auditionné plusieurs victimes. La création d'un organisme externe pour recueillir la parole et accompagner les victimes me paraît essentielle. En effet, lorsque l'on doit prendre position face à des membres de notre propre famille, en l'occurrence la famille de la culture, cela peut être compliqué. L'une des recommandations de cette commission d'enquête sur les fédérations sportives était de créer un organisme externe pour gérer ces situations. Le ministère des sports, et par extension le ministère de la culture, sont-ils les organismes les plus appropriés pour traiter ces cas ?

Permalien
Muriel Réus, présidente de l'association Femmes avec

Sur la question de la formation, la seule manière de progresser au sein d'une organisation réside, selon moi, dans la décision de la présidence ou de la direction générale d'adopter une tolérance zéro. Récemment, j'ai participé à une formation dans une grande entreprise de médias, préparée en collaboration avec le président, qui a clairement affirmé que la tolérance devait être nulle. Lorsqu'un tel dialogue est instauré avec le management et que l'on descend dans les structures pour s'adresser à l'ensemble des participants aux formations, y compris ceux qui sont en situation de précarité et qui peuvent éprouver de la peur, le message de tolérance zéro contribue à améliorer le climat de confiance et la prise de rôle.

J'aborde également la question des référents en entreprise. Il est impératif qu'il y ait des référents et qu'ils soient correctement formés. La principale difficulté réside dans la confiance. Un référent ne doit pas occuper une position hiérarchique, car une victime pourrait se sentir mal à l'aise de se confier à quelqu'un qui pourrait influencer son avenir professionnel. La question des référents en entreprise soulève fondamentalement celle de la confiance. Il ne suffit pas d'en avoir, il faut aussi les accompagner avec des structures externes. En interne, il est extrêmement complexe de prendre des décisions et d'accompagner des victimes, surtout lorsque les référents eux-mêmes sont soumis aux mêmes conditions de précarité.

Madame, je comprends votre surprise face à la situation des personnes formées, notamment les étudiants, qui se retrouvent dans des contextes très complexes. La distinction entre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel comporte des subtilités juridiques extrêmement complexes qu'il est nécessaire d'expliquer. Il suffit de consulter le dernier rapport du Haut Conseil à l'égalité (HCE) pour constater l'ampleur des inégalités, notamment en matière de sexualité et de pornographie. Ce rapport révèle que plus de deux millions de jeunes enfants visionnent des contenus pornographiques avant l'âge de onze ans. De plus, 40 % des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans estiment qu'un acte sexuel doit être violent pour qu'une femme puisse y prendre du plaisir. Ces chiffres soulèvent des questions fondamentales sur la sexualité, le rapport à l'autre et le consentement.

Cette violence omniprésente dans notre société se manifeste également dans les écoles, où l'on observe une ultra-violence chez les jeunes. Cette situation se reflète profondément dans les interactions entre hommes et femmes, marquées par des actes de violence qu'il est impératif de corriger. C'est pourquoi nous, ainsi que toutes les associations concernées, œuvrons intensivement à la prévention, à la lutte contre les stéréotypes et à l'éducation. Il est essentiel d'instaurer dès le plus jeune âge des sessions de formation sur le consentement dans les écoles, les collèges et les lycées. Il me semble évident de vous le rappeler aujourd'hui dans cette assemblée, vous qui détenez une partie du pouvoir législatif. Nous nous interrogeons sur l'absence de certaines mesures. Pourquoi ne sont-elles pas mises en place ? Par exemple, pourquoi les formations à la vie sexuelle dans les écoles ne sont-elles pas appliquées ? Cette question nous interpelle profondément. En tant qu'associations, nous ressentons une vive préoccupation.

Les familles, censées être le premier lieu de protection, ne remplissent pas toujours ce rôle. Nous savons que 160 000 enfants subissent des violences au sein de leur propre famille. De plus, sur les 96 000 viols recensés, 89 % des victimes connaissent leur agresseur. Les chiffres sont clairs et les analyses précises. Nous disposons aujourd'hui d'une analyse détaillée des constats. Les chiffres sont là, les analyses existent. Il est temps d'agir, car les constats sont établis. Il manque, à mon sens, une véritable volonté politique. Une volonté politique forte, accompagnée de moyens adéquats, permettrait de réaliser des progrès significatifs dans la lutte contre les violences en France.

Permalien
Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes

Je vais répondre à plusieurs questions en même temps. Ce qui m'interroge dans notre approche des violences sexistes et sexuelles, c'est que nous semblons ignorer ou refuser de voir leur ampleur. Les violences sexuelles, en particulier, sont massives dans notre pays. Plus de 95 000 femmes adultes sont victimes de viols ou de tentatives de viols chaque année, sans compter les enfants. C'est un risque majeur pour les femmes et les enfants tout au long de leur vie. Pourtant, nous ne percevons pas ces violences de cette manière. Si nous faisions face à un risque majeur d'incendie, nous ne nous contenterions pas d'établir une charte. Nous investirions, nous engagerions du personnel dédié présent sur chaque site, prêt à intervenir en cas d'incendie, et nous les rémunérerions. Si, malgré toutes les précautions, un incendie survenait, les assurances feraient payer très cher la production qui n'aurait pas pris les mesures nécessaires.

De la même manière, nous devrions considérer les violences sexuelles comme des risques à gérer de manière proactive. Une charte, aussi bien intentionnée soit-elle, ne suffira pas à résoudre le problème. Il n'existe pas de charte magique qui ferait disparaître les violences sexuelles. Même avec une sensibilisation accrue, il est essentiel d'expliquer à tous ce que sont les violences sexuelles et les stratégies des agresseurs pour mieux s'en prémunir. Malheureusement, tant que la culture du viol et le patriarcat ne seront pas éradiqués, il y aura toujours des agresseurs. Ces derniers ne sont pas ignorants. Ils exploitent les failles de notre tolérance et de nos dispositifs. Il ne suffit donc pas de rédiger une charte et de sensibiliser. Les agresseurs doivent comprendre qu'ils ne peuvent plus agir impunément. Ils savent très bien ce qu'ils font ; ce n'est pas une question de malentendu sur le consentement. Ils choisissent délibérément des personnes vulnérables qui ne peuvent pas refuser. Ils ciblent des personnes qui ne peuvent pas refuser ce qui se passe. Pour ces agresseurs, il est impératif de rester constamment vigilants. Malgré les chartes, les formations et la sensibilisation, les violeurs continueront d'agir.

Il doit devenir plus coûteux d'être tolérant que vigilant. Je comprends les préoccupations concernant les coûts liés à la présence systématique de psychologues ou de référents sur les tournages. Oui, cela engendre des coûts. Cependant, si demain, il devient plus coûteux d'être tolérant que vigilant, cela relève d'un rapport de coûts. Il serait pertinent d'examiner également le rôle des assurances. Elles pourraient refuser de rembourser les frais de tournage en l'absence de mesures adéquates ou en cas de violences sexuelles.

Ensuite, la question de sanctionner sans passer par la justice a été évoquée. Personnellement, je ne vois pas de problème avec une justice qui fonctionne correctement. Ce serait bénéfique pour notre pays. Toutefois, si des mesures complémentaires peuvent être prises, rappelons que le droit du travail s'applique sur les tournages. L'employeur a un devoir de sécurité, comme l'a souligné Muriel Réus, non seulement envers les personnes sous contrat, mais aussi envers toutes les autres présentes sur les lieux. L'employeur peut mener des enquêtes et imposer des sanctions. Même si la justice classe l'affaire, cela n'empêche pas l'employeur, dans son devoir de précaution et de protection, d'écarter des individus jugés potentiellement dangereux.

La question de l'intervention de référents extérieurs est essentielle. Par exemple, pour les coordinateurs d'intimité, il est impératif d'évaluer leur efficacité réelle. Hier soir, en discutant avec le Collectif féministe contre le viol (CFCV), j'ai appris que parfois, faute de coordinatrice, on désigne l'habilleuse pour ce rôle sous prétexte qu'elle s'occupe déjà des vêtements. Cela ne peut pas fonctionner ainsi. Une personne non volontaire ou non formée ne peut être assignée à cette tâche, même si elle s'en sort bien. Cela reviendrait à faire semblant de se conformer aux exigences sans véritablement s'assurer du bon déroulement des choses.

Il est également crucial de vérifier que toute personne encadrant des mineurs ait été contrôlée dans le fichier des agresseurs sexuels. Actuellement, ce contrôle n'est pas systématique, même pour des acteurs et actrices majeurs accompagnés de leurs jeunes enfants. Souvent, ces artistes, arrivant dans une nouvelle ville, publient des annonces urgentes sur Facebook pour trouver un baby-sitter. Cette pratique peut mettre en danger les mineurs.

Pour conclure, je souhaite revenir sur les violences et l'émergence du mouvement # MeToo en 2017. À mon avis, # MeToo a émergé dans le milieu du cinéma grâce aux combats féministes menés depuis des années. Ces luttes ont progressivement permis à de plus en plus de femmes d'accéder à des positions de pouvoir et de responsabilité, rendant possible l'expression de leurs témoignages. Les réseaux sociaux ont joué un rôle, mais ils ne sont pas le seul facteur. Dans le cinéma, les actrices disposent d'une certaine visibilité, ce qui leur confère un pouvoir limité mais significatif pour faire entendre leurs voix. Les femmes s'expriment à l'extérieur du cinéma, sur les réseaux sociaux et dans la presse, car elles ont de plus en plus de pouvoir. Il est essentiel de continuer dans cette voie.

Les inégalités entre les femmes et les hommes sont à la fois la cause et la conséquence des violences sexuelles. Ce sont les hommes, majoritairement, qui commettent ces violences en raison de leur position de pouvoir. Le viol est un crime de pouvoir et d'inégalité, ce qui le rend plus facile à commettre pour les hommes et plus difficile à dénoncer pour les femmes. Les victimes de violences sexuelles subissent des carrières brisées, ne progressent pas dans la hiérarchie et ne reçoivent pas la reconnaissance méritée pour leurs talents et compétences. Les inégalités entre les sexes sont intrinsèquement liées aux violences sexuelles, et c'est pourquoi la lutte contre ces violences dérange autant. Certains hommes trouvent pratique d'écraser les femmes par le viol.

Il est impératif de lutter contre les inégalités entre les sexes et l'impunité judiciaire. Dans un système fonctionnel, il est inacceptable que la justice ne s'applique pas aux violences sexuelles. Il ne s'agit pas nécessairement d'incarcérer tous les coupables, mais de reconnaître les faits pour que la justice assure une reconnaissance sociale de ce qui est acceptable ou non. Il est crucial de s'attaquer à cette impunité judiciaire et à la culture du viol, notamment auprès des jeunes générations. Pour prévenir les violences sexuelles à l'avenir, il faut davantage de femmes en position de responsabilité et instaurer la parité partout et tout le temps. Les préconisations vont dans ce sens. On ne peut aborder les violences sexuelles sans évoquer les rapports de pouvoir et, par conséquent, la parité jusqu'au plus haut niveau.

Il est également impératif de discuter de la culture du viol, qui malheureusement se diffuse et se répand. Récemment, nous avons appris que le réseau social Twitter autorise désormais les contenus pornocriminels, de la violence en plus de celle déjà présente dans la pornographie. Cette culture du viol, selon moi, contribue à la fabrication de violeurs qui chercheront à commettre des agressions sexuelles. De notre côté, nous tenterons de contenir ce phénomène, mais il est essentiel d'avoir une réflexion plus générale sur ce qui rend ces hommes, car il s'agit majoritairement d'hommes, violents. Je suis convaincu que ce n'est pas génétique, qu'il n'existe pas de gène du violeur, mais que c'est un phénomène social. Il est donc nécessaire de s'atteler à cette problématique, et cela ne passe pas uniquement par la sensibilisation, bien que celle-ci soit un préalable indispensable.

Permalien
Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des Femmes

Je souhaite rebondir sur le témoignage de Muriel Réus, qui s'inscrit dans une réflexion plus globale sur les parcours judiciaires. Cela met en lumière l'impérieuse nécessité d'introduire la notion de prescriptions glissantes dans les cas de viols en série. Il est essentiel qu'un agresseur soit jugé pour l'ensemble de ses actes.

Par ailleurs, ce témoignage nous incite à réfléchir sur les pièges du consentement, un sujet largement débattu aujourd'hui dans les médias et au sein de cette assemblée. En prenant l'exemple du témoignage de Muriel Réus, il est pertinent de se demander s'il est judicieux de questionner les quatre-vingts victimes sur leur consentement, alors que cela révèle une stratégie délibérée de l'agresseur. Ces agresseurs ne sont pas des cas isolés. Nous avons évoqué l'affaire PPDA, ainsi que d'autres affaires en cours, qui démontrent que les violeurs persistent dans leurs actes.

Permalien
Sarah Karlikow, représentante de l'assemblée collégiale de la fédération interrégionale du Mouvement HF+

Concernant la parité dans les instances, il existe déjà des lois et des réglementations sur ce sujet. Je souhaite aborder spécifiquement le spectacle vivant, notamment le théâtre, qui est majoritairement financé par des fonds publics. La question de l'éga-conditionnalité, c'est-à-dire le fait de conditionner l'octroi de subventions à l'atteinte de certains objectifs de parité, montre des résultats positifs. Par exemple, le Centre national de la musique (CNM) et le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ont mis en place des conditions pour l'attribution de subventions. Le CNM exige que les directions des structures bénéficiaires suivent une formation, même si celle-ci ne dure qu'une demi-journée. Dans le domaine du théâtre, où cette formation n'est pas obligatoire pour les scènes non labellisées, seulement 20 % des lieux organisent une formation. En revanche, dans le cinéma ou la musique, ce chiffre atteint 80 à 100 %. L'éga-conditionnalité fonctionne, et nous demandons depuis longtemps son application pour la parité sur scène. Il est possible de demander aux structures d'augmenter de 5, 10 ou 20 % la représentation des femmes dans leur programmation pour l'année suivante. Cela implique également une budgétisation sensible au genre. Nous avons été auditionnés par vos collègues en février 2023 sur cette question, et un rapport a été rédigé à ce sujet. À l'époque, M. Attal, alors ministre du budget, a affirmé son intention de mettre en place ces mesures. Il est essentiel que les gens se posent la question des indicateurs et des critères permettant de constater ces inégalités. Je tiens à insister sur ce point.

Ensuite, concernant les montants, le coût et les moyens, comme l'ont souligné Anne-Cécile Mailfert mais aussi Lucile Peytavin dans Le coût de la virilité, il est évident que la virilité représente des dizaines de milliards d'euros. En réalité, il est plus coûteux de ne pas agir, même au niveau social et sociétal, que de prendre des mesures. Dans le secteur du spectacle vivant, notamment le théâtre, nous sommes confrontés à de très petites entreprises. Je souhaite revenir sur les termes « entreprises, organisations et droits du travail ». Lorsqu'une entreprise de trois personnes doit désigner un référent égalité, un référent handicap et un référent transition écologique, cela est considéré comme un fardeau supplémentaire. Les professionnels de ce secteur expriment souvent leur désarroi : « Ce n'est pas notre rôle, comment pouvons-nous gérer cela ? Nous n'y arrivons plus. » Tant que ces responsabilités seront perçues comme des tâches additionnelles, qu'il s'agisse de la transition écologique ou des droits des femmes, et qu'elles ne seront pas intégrées au fonctionnement et au budget normaux, la situation restera complexe. En outre, il est difficile pour une petite équipe de désigner un référent sans créer de relations hiérarchiques ou affectives. La solution pourrait résider dans l'intervention d'une personne externe ou dans l'échange de référents entre structures. Il est crucial que chaque organisation dispose de référents, et certaines tentent déjà de mettre cela en place, ou envisagent de mutualiser leurs référents. Ces démarches sont tout à fait envisageables. Il est également important de souligner l'accompagnement des victimes.

La cellule Audiens, qui assure une écoute, un soutien psychologique et un accompagnement juridique, fonctionne dans ce cadre. Nous constatons que le fonctionnement des alliés en région, notamment au niveau local et en face-à-face, permet d'écouter non seulement des victimes, mais aussi des témoins et des personnes impliquées dans des organisations qui ne savent pas toujours comment agir. Il est essentiel de les soutenir, d'autant plus que ces associations sont majoritairement composées de bénévoles, et que le bénévolat s'épuise, surtout lorsque la réponse juridique est à 95 % une non-réponse. Il est donc nécessaire de soutenir ces structures qui possèdent un savoir-faire et des compétences, dans le domaine de la formation et de la capacité de travail.

Par ailleurs, la question du droit du travail est primordiale. Il faut fournir aux employeurs les moyens d'assurer leurs obligations en matière de droit du travail. Les enquêtes internes sont cruciales, particulièrement dans le secteur du spectacle vivant, où agresseurs et agressés peuvent avoir des employeurs différents. Sur un même plateau de théâtre, il peut y avoir une compagnie de théâtre, des employés du lieu, et plusieurs employeurs différents. Il est impératif d'assurer une réactivité rapide, notamment en suspendant la personne incriminée durant l'enquête interne. Les employeurs doivent comprendre la différence entre droit pénal et droit du travail. Souvent, ils se réfugient derrière le droit pénal en affirmant qu'ils ne peuvent rien faire en l'absence de plainte. En réalité, en tant qu'employeurs, ils ont la responsabilité de protéger, de prévenir et d'assurer la sécurité des personnes concernées. Il est essentiel de souligner que les petites structures du spectacle vivant n'ont souvent pas les ressources nécessaires pour mener des enquêtes internes. Pourtant, des procédures existent et doivent impérativement être largement diffusées.

Il est crucial de développer des clauses contractuelles entre producteurs, diffuseurs et organisateurs, permettant de suspendre ou déprogrammer un spectacle, ou de suspendre une personne, sans que cela ait des répercussions trop lourdes. Lorsqu'une personne se casse la jambe, surtout si elle joue un rôle principal, on prend des mesures immédiates. De la même manière, il est indispensable de traiter les violences sexuelles comme de véritables risques, portant atteinte à l'intégrité physique et mentale des individus. Malheureusement, ces violences sont souvent perçues différemment, comme si elles n'étaient pas aussi graves. Les coordinatrices d'intimité ont d'ailleurs établi un parallèle avec les cascades. On accorde une grande attention aux blessures physiques, mais les agressions sexuelles sont minimisées, probablement en raison de notre société patriarcale. Il est donc fondamental de former les employeurs, non seulement sur la nature des agressions sexuelles, mais aussi sur leurs responsabilités en tant qu'employeurs.

Permalien
Camille Pawlotsky, représentante de HF+ Hauts-de-France

Je souhaite réagir à la question de la formation dès le plus jeune âge que vous avez évoquée précédemment. En effet, cette initiative peut s'avérer intéressante, notamment pour lancer une discussion sur les rapports de domination. Toutefois, il ne faut pas oublier que, lorsqu'on s'adresse aux plus jeunes, on parle potentiellement déjà à des victimes. Cela signifie que, selon moi, il est essentiel de considérer cet aspect. Par exemple, au sein de l'association HF+, nous proposons des cours et des ateliers d'autodéfense dispensés par des formatrices qualifiées. Il est assez frappant de constater que ce sont les potentielles victimes, ou celles qui le sont déjà, qui apprennent à se défendre. Pour ce qui est des formations destinées aux plus jeunes, il me semble indispensable d'impliquer également les parents et la famille, comme nous en avons discuté. Les rapports de domination, dont les violences sexistes et sexuelles sont une conséquence directe, doivent être abordés de manière globale. Sinon, on risque de remettre la responsabilité entre les mains des victimes potentielles et des personnes dominées.

En ce qui concerne l'ouverture d'une formation sur les métiers du spectacle pour les lycéens, il est crucial de recentrer l'attention sur le savoir-faire. Ces métiers sont souvent perçus comme des métiers de paillettes, ce qui tend à minimiser la notion de compétence. Or, le savoir-faire confère une certaine autorité, c'est-à-dire qu'une expérience et des compétences avérées permettent d'accéder à des postes où l'on peut exercer une autorité sur les personnes qui nous entourent, sans pour autant confondre cette autorité avec la notion de pouvoir. Dès le plus jeune âge, il est essentiel de comprendre qu'une autorité peut être remise en question si une personne perd sa crédibilité, si elle ne travaille pas correctement, notamment en ne respectant pas ses collègues. Une autorité peut être contestée, alors qu'un pouvoir est quelque chose de diffus contre lequel on ne peut rien faire, dont on est forcément victime.

Pour aborder les moyens, je reprends ce qu'a dit Iris Brey. En tant que réalisatrice, elle a choisi d'allouer une partie de son budget à une coordinatrice d'intimité, plutôt que de tourner certaines séquences. C'est une logique similaire à celle des assurances. De nombreuses personnes nous disent : « Je ne vais pas parler parce que je vais compromettre le tournage et mettre au chômage toutes ces personnes. » Si les employeurs mettent en place des mesures pour évaluer et compenser les risques, et éviter les agressions, l'assurance doit pouvoir couvrir les annulations. Il y a une peur profonde de mettre ses collègues au chômage temporairement. Je fais partie d'une génération qui, pendant les quinze premières années de sa vie professionnelle, serre les dents, baisse la tête et avance, en se disant : « Ce n'est pas grave, dans deux semaines ou deux mois, ce sera fini ». Cette temporalité nous pousse à nous taire et à être des guerrières, des « warriors », comme on dit, et nous en étions même fiers car cela n'impactait pas les autres.

Permalien
Muriel Réus, présidente de l'association Femmes avec

Cette notion des femmes qui baissent la tête m'a rappelé une déclaration de Karine Lacombe lors d'une interview, où elle affirmait que « les femmes dans le milieu de l'hôpital baissent la tête à l'avance, tête baissée ». Cette affirmation m'avait profondément choquée. Je souhaite attirer l'attention des parlementaires sur une demande portée par Isabelle Rome lorsqu'elle était en fonction. Selon mes informations, cette demande est toujours sur le bureau du ministre de la justice depuis plus d'un an, voire un an et demi. Il s'agit de la question des viols en série, c'est-à-dire des viols commis par un même agresseur sur plusieurs personnes. Il me semble extrêmement important que vous vous penchiez sur cette question. J'aimerais qu'un d'entre vous puisse la prendre en charge et la présenter devant l'Assemblée nationale.

Nous demandons une prescription glissante, similaire à ce qui a été instauré pour les mineurs. Il est impératif que ce délai de prescription puisse être prolongé pour toutes les affaires en cours. Cela nous paraît extrêmement important, notamment dans l'affaire précitée de PPDA. Un deuxième élément concerne l'acte interruptif de prescription. Vous connaissez le concept de connexité, c'est-à-dire que le temps d'audition ou le temps de la procédure, qui peut parfois durer deux ou trois ans, puisse permettre de suspendre la durée de la prescription sur l'affaire en cours, ainsi que sur les affaires précitées. C'est ma demande du jour, et j'espère qu'un d'entre vous l'entendra.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous allons évidemment réfléchir avec madame la rapporteure. Nous avons déjà abordé plusieurs sujets à ce propos et il est essentiel de continuer cette réflexion. Si nous avons mis en place des mesures pour les mineurs, il n'y a aucune raison de ne pas les étendre aux majeurs. La prescription glissante pourrait, à mon sens, résoudre de nombreux problèmes liés à l'imprescriptibilité. Elle permettrait de trancher cette question de manière définitive, peut-être en révisant certains seuils. Il est impératif de progresser sur ce point, même si ce n'est pas le sujet principal de notre commission d'enquête. Toutefois, nous nous en rapprochons, Mme Mailfert, et je pense que nous serons en mesure de formuler des propositions concrètes à ce sujet.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma dernière question portait sur le délai de prescription. Je suis favorable à l'imprescriptibilité. J'ai déposé une proposition de loi visant l'imprescriptibilité pour les mineurs et également pour les majeurs. En effet, la prescription glissante ne répond pas aux cas de viols commis par un unique agresseur sur une victime. J'aimerais connaître rapidement votre avis sur l'imprescriptibilité, car nous avons dépassé notre temps. À mon sens, cette question relève du champ d'investigation de cette commission d'enquête.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est une question qui ne peut pas se trancher rapidement.

Permalien
Muriel Réus, présidente de l'association Femmes avec

C'est une question complexe, c'est une question que toutes les associations se posent. Lorsqu'on partage nos réflexions, il apparaît que nous manquons de ligne directrice sur ce sujet. Des arguments existent tant en faveur qu'en défaveur. La question du recueil des preuves est essentielle, plus la prescription est longue, plus le recueil des preuves devient problématique. C'est pourquoi la prescription glissante en cas de viols sériels nous semble fondamentale. De plus, la mémoire traumatique est aujourd'hui un élément extrêmement important, analysé et documenté. Il est reconnu que les victimes ont besoin de temps. Certaines dénoncent des faits vingt ou trente ans après les avoir vécus. Personnellement, je n'ai pas d'opinion tranchée à ce sujet. Mon combat se concentre actuellement sur le viol sériel, peut-être parce que je le vis à travers les victimes que nous défendons. Concernant l'imprescriptibilité totale, je n'ai pas de position arrêtée à ce jour.

Permalien
Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes

Ce que je peux rapporter, c'est la demande des associations les plus expertes sur ce sujet, notamment le Collectif féministe contre le viol, qui prône l'imprescriptibilité. De toute façon, la prescription de trente ans pour les mineurs conduit déjà à une forme d'imprescriptibilité. Cependant, ce n'est pas l'objectif final que nous visons. J'ai du mal à croire au viol unique commis par un agresseur unique, qui n'agirait qu'une seule fois dans sa vie avec une seule victime. Je pense donc qu'il est essentiel de demander une loi intégrale contre les violences sexuelles. Si nous disposions de davantage de moyens d'enquête, nous pourrions, lors des enquêtes centrées sur l'agresseur et non sur la victime, découvrir que même des affaires prescrites pourraient révéler d'autres infractions non prescrites. Cela nécessiterait toutefois des moyens d'enquête suffisants. Aujourd'hui, avec la forte augmentation du nombre de plaintes, il est absolument impossible de mener correctement toutes les enquêtes sur les plaintes pour viol.

Permalien
Muriel Réus, présidente de l'association Femmes avec

Je voudrais juste ajouter que l'imprescriptibilité sur les mineurs me paraît extrêmement importante.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite conclure en rebondissant sur les propos d'Anne-Cécile Mailfert, que je partage entièrement. Il me semble que nous pouvons changer de paradigme assez facilement et rapidement. Je suis surpris de constater que, dans les procédures, une enquête de personnalité est réalisée sur la victime, mais pas sur l'auteur. C'est un véritable sujet, et je pense que ce n'est pas tant une question de moyens, mais plutôt de changement de paradigme.

Bien sûr, des moyens supplémentaires seront nécessaires. Nous en avons déjà ajouté, et je rappelle que le budget de la justice a été augmenté de 40 %, ces dernières années. Il faut continuer dans cette voie, car nous avions accumulé beaucoup de retard. Sur tous ces sujets, il est impératif de multiplier les formations.

Nous avons une définition juridique depuis la création de l'outrage sexiste, élargie à l'outrage sexuel jusqu'au viol. Nous avons maintenant défini le continuum, et il est temps de le décliner et de l'appliquer.

Surtout, il est essentiel que les mentalités évoluent. C'est ma conviction en tant qu'homme et père. C'est également pour cette raison que nous avons souhaité porter cette commission d'enquête.

La commission procède à l'audition de Mme Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL), M. Loïc Zion, délégué général et Mme Raphaëlle Danglard, élue au bureau.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme vous le savez, notre commission d'enquête a commencé ses travaux il y a quinze jours. Notre objectif est de faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du spectacle vivant, de l'audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun dans ces domaines et, bien entendu, à proposer des solutions pour que chaque personne y travaillant puisse évoluer sans crainte pour son intégrité physique et mentale. À la lumière des premières auditions et des intuitions que nous avions avant de commencer, le rôle et la place des agents sont des sujets récurrents qui nécessitent un approfondissement. C'est pourquoi nous vous recevons aujourd'hui.

Dans un premier temps, vous allez nous présenter vos actions et votre métier. Ensuite, nous aurons une série de questions de madame la rapporteure, de mes collègues et de moi-même.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Avant d'entamer nos échanges, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Raphaëlle Danglard et Élisabeth Tanner ainsi que M. Zion prêtent successivement serment.)

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Sur l'évolution du métier d'agent, ce dernier est relativement récent, apparu en France vers 1946, juste après la guerre. Avant cette période, on parlait d'impresario. À partir de 1946-1947, la profession a commencé à se structurer. Pourquoi cette structuration ? À l'époque, il existait un monopole d'État sur le travail et l'emploi. Les agents étaient considérés comme des placiers, dérogeant ainsi à ce monopole. Pour exercer ce métier, il fallait obtenir une licence octroyée par une commission au sein du ministère du travail. Cette commission, composée de membres des ministères de l'intérieur, du travail, de la culture, décidait de l'attribution de la licence. Les candidats étaient interrogés sur plusieurs points. Premièrement, la moralité il fallait fournir un extrait de casier judiciaire. Ensuite, il fallait attester de connaissances techniques, par exemple sur la convention collective du cinéma ou du théâtre, pour vérifier la capacité à passer des contrats de manière opportune et correcte. Une fois la licence accordée, l'agent pouvait travailler avec divers talents, auteurs, acteurs, scénaristes, etc. Le taux de commission était régulé à 10 %. Le lien entre l'agent et le talent reposait sur un mandat de droit civil, détaillant les fonctions de l'agent et les obligations du talent.

Cette régulation a perduré jusqu'à l'arrivée de la directive Bolkestein, qui a entraîné une dérégulation totale. Nous nous sommes alors retrouvés en confrontation avec la profession d'avocat, qui pouvait également représenter des talents dans le cadre de leurs fonctions. Nous avons ainsi perdu toute régulation. J'ai attiré l'attention à plusieurs reprises sur le fait que, lorsqu'il y avait des agents s'occupant d'enfants, je trouvais incroyable que nul ne fasse le lien entre une personne ayant peut-être des antécédents de pédophilie à l'autre bout de la France et sa représentation d'enfants à Paris.

En France, il y a 96 agences et 175 agents. Notre syndicat regroupe environ 63 agences et 127 agents, auxquels s'ajoute l'Alliance des agents littéraires français, qui nous a rejoints pour renforcer notre position et notre connexion sur divers sujets. Beaucoup d'agents représentent également des auteurs, ce qui crée un lien naturel avec le monde de l'édition. En termes de chiffre d'affaires, nous représentons environ 85 à 90 % du marché. Notre syndicat, en place depuis plusieurs années, dispose d'un bureau et d'un fonctionnement normalisé, répondant aux demandes et problématiques des agents.

Ces demandes sont variées. Les jeunes agents, par exemple, sollicitent des conseils sur leur installation, des conseils juridiques sur la forme de leur exercice professionnel, le type de contrats à passer, ou encore sur la formation nécessaire pour établir des contrats en bonne et due forme. Le domaine juridique s'étant considérablement complexifié ces dernières années, notre rôle est d'autant plus crucial. Nous intervenons également sur des dysfonctionnements signalés par les agents. Bien que nous ne soyons pas obligés de le faire, nous prenons parfois des renseignements sur les agents souhaitant nous rejoindre. Il nous arrive fréquemment de refuser des candidatures, soit parce que l'agent n'a pas encore commencé son activité et ne peut donc être recommandé, soit parce que nous avons connaissance de dysfonctionnements chez cet agent.

Je souhaite maintenant aborder plus spécifiquement le métier d'agent. Comme tous les métiers, il comporte ses particularités. J'ai inspiré un des personnages de la série Dix pour cent, bien que de manière très romancée. Cette série a eu le mérite de montrer certains aspects de notre profession, même si elle reste quelque peu fantasque. Pour la série, ont été intégrés des éléments de dramaturgie afin de l'enrichir. Cependant, un aspect fondamental qui émerge est le lien entre le talent et son agent. Ce lien est extrêmement fort et personnel, véritablement un lien d'homme à homme, de femme à homme, ou toute autre configuration. Ce lien constitue l'essence même de notre travail. Lorsque ce lien dysfonctionne, le talent se retire. Ce dysfonctionnement n'est pas nécessairement lié à des violences sexuelles ou autres, mais peut simplement survenir lorsque le talent ne se sent plus protégé, que ce soit sur le plan professionnel ou personnel. Si le talent estime que vous n'êtes pas suffisamment efficace ou que sa carrière n'avance pas, il peut vous quitter du jour au lendemain. Cette liberté de quitter l'agent est essentielle. De plus, la relation personnelle varie en fonction de la durée de la représentation. Une confiance se construit au fil du temps. En tant qu'agent, nous sommes souvent les premiers récipiendaires des confidences de nos talents. Fort de mes quarante-quatre ans d'expérience dans ce métier, je peux témoigner de l'impact significatif de la parole de Judith Godrèche. Son intervention a été considérable et nous en sommes tous très heureux. J'ai soutenu Judith Godrèche sans hésitation ni réserve.

À titre personnel, j'ai reçu des témoignages avant. Face à des agents, les personnes expriment une peur légitime : « Je ne veux pas qu'on en parle, je ne veux pas que ça se sache. » Nous devons en tirer les conséquences pour la personne incriminée, mais il est essentiel de comprendre que cette peur est omniprésente. Certains agents craignent d'être « grillés » et de ne plus pouvoir travailler. Pourquoi est-ce important ? Parce que, parfois, on pointe du doigt les agents, mais il est crucial de reconnaître notre responsabilité collective. Hier, aujourd'hui et probablement demain, le problème majeur réside dans le pouvoir. Ceux qui détiennent beaucoup de pouvoir se protègent efficacement, tandis que ceux qui en ont peu sont moins bien protégés. Ce problème de pouvoir se répercute dans tous les domaines, que ce soit dans les syndicats de la cuisine ou ailleurs. Nous sommes constamment dans une dynamique où le pouvoir est un enjeu à tous les niveaux. Nous évoluons dans une structure pyramidale. Si le metteur en scène est très puissant, certains n'abusent pas de leur pouvoir, tandis que d'autres en abusent. Il est important de noter que notre activité est souvent entourée de fantasmes concernant notre surpuissance. Cependant, je tiens à souligner que nous sommes confrontés à un problème qui touche l'ensemble de la société. C'est une responsabilité collective que nous devons tous assumer. Heureusement, depuis quelque temps, nous disposons d'outils qui nous permettent de mieux répondre à ces problématiques.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite aborder une question plus technique et juridique. Aujourd'hui, si certaines professions ont été dérégulées, c'est en raison d'un choix politique effectué dans les années 2010, en lien avec la directive Bolkestein. Cependant, certaines professions n'ont pas suivi cette voie et n'ont pas opté pour cette directive. Par exemple, le métier d'agent de mannequin nécessite encore aujourd'hui un agrément.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Je vais vous répondre immédiatement, car la question est très simple. À l'époque, l'une des problématiques concernait les agences de mannequins. C'est pourquoi j'ai mentionné que le lien qui nous unit est un mandat. En effet, nous ne sommes pas les employeurs des personnes que nous représentons. Les agences de mannequins, quant à elles, sont les employeurs. De ce fait, en collaboration avec le ministère du travail, nous avons maintenu un ensemble de règles spécifiques. Étant les employeurs, les agences ont pu conserver une réglementation adéquate.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mais est-ce qu'il s'agit d'une obligation européenne ou pourrait-on imaginer réguler de nouveau ce milieu, s'il y avait un choix qui pouvait être fait par la profession et par le législateur ?

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

A priori, étant des prestataires de services, on ne peut pas de nouveau réguler. C'est ce qui nous a été opposé juridiquement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je pense avoir la réponse à cette question. Vous, en tant qu'agents, préférez-vous être régulés ? Autrement dit, au sein de votre majorité et de votre syndicat, si nous, législateurs, vous proposions demain de réguler à nouveau ce métier, y seriez-vous favorables ?

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Je suis d'autant plus favorable à cette proposition que nous l'avons déjà demandée pour tous les agents en charge des enfants et des mineurs. Je pense qu'il est essentiel de porter une véritable attention à cette question. En tant que syndicat, disposer d'une licence pour exercer nous permet de contrôler la qualité des personnes qui se présentent pour devenir agents.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Aujourd'hui, n'importe qui peut être agent sans prérequis de formation, sans prérequis de validation des acquis.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Dans notre métier, il n'existe aucune validation formelle. Heureusement, une tradition s'est installée depuis longtemps, les anciens assistants deviennent souvent agents. Ces derniers ont ainsi bénéficié d'une formation préalable. Il existe des formations spécifiques et des formes de cooptation. Par exemple, des personnes ayant suivi des études de droit peuvent ouvrir un bureau d'agents et recruter des talents. Cependant, ces nouveaux agents manquent parfois de visibilité dans le métier. Comment peuvent-ils vendre des talents à des castings sans connaître les castings, ni les talents ni les agents ? Notre profession repose sur l'acquisition de compétences et de réseaux, un processus qui s'établit avec le temps. Lorsqu'un assistant a travaillé pendant quatre ou cinq ans avec un agent, il connaît les personnes avec lesquelles il devra collaborer une fois devenu agent. En revanche, certains ouvrent leur agence sans connaître personne. Certes, certains réussissent, mais beaucoup se retrouvent avec des talents qu'ils ne parviennent pas à valoriser.

Permalien
Loïc Zion, délégué général du SFAAL

Pour compléter ce que disait Élisabeth Tanner, il est important de noter que le seul prérequis pour devenir agent artistique aujourd'hui est de signer un mandat avec deux talents. En d'autres termes, n'importe qui peut sortir dans la rue, faire signer un mandat à deux personnes, et ainsi devenir agent artistique.

En ce qui concerne la série Dix pour cent, puisqu'Élisabeth Tanner a abordé le sujet, j'ai observé un phénomène très net. À chaque diffusion d'une nouvelle saison de Dix pour cent, pendant plusieurs mois, je recevais des dizaines d'appels par semaine de personnes intéressées par ce métier. Elles me disaient : « Cela semble passionnant comme profession, je souhaite me lancer, que dois-je faire ? » Il est donc évident que la série a suscité un engouement considérable pour le métier d'agent artistique, et ce, sans aucune condition préalable.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaiterais vous poser une question d'ordre général concernant les dysfonctionnements observés chez certains agents au fil du temps. Continuez-vous à constater les mêmes problèmes ou la situation s'améliore-t-elle ? Comment cela se passe-t-il concrètement ? Vous êtes comparables aux directeurs de casting qui, lors de leur audition ici, ont expliqué qu'ils forment une congrégation. Ils acceptent les personnes expérimentées et sans problème, tandis que ceux dont les comportements posent problème sont exclus. Si je comprends bien, le SFAAL fonctionne de manière similaire vous êtes attentifs aux profils des membres de votre syndicat et, dès que des dysfonctionnements sont signalés, vous empêchez ces individus d'intégrer votre cercle. Cela implique qu'il existe encore des dysfonctionnements dont vous avez connaissance. Vous êtes en mesure de décider qui peut ou non rejoindre le SFAAL grâce à des échos corroborés par des faits réels et des preuves tangibles qui justifient vos décisions.

Nous sommes confrontés, lors des auditions de cette commission d'enquête, à ce que vous mentionnez, en connaissance de certains faits, il est difficile d'en parler pour diverses raisons. En effet, une omerta factuelle persiste, alimentée par la peur de ne pas pouvoir continuer dans le métier, la précarité, et d'autres facteurs. Pouvez-vous nous indiquer quels sont, à l'heure actuelle, les cas problématiques qui empêchent certains agents de faire partie du SFAAL ? Quelles sont les remontées dont vous disposez ? Les problèmes actuels sont-ils similaires à ceux qui existaient il y a vingt ou trente ans ? Ou bien êtes-vous confronté à des situations inédites, peut-être dues à la dérégulation récente ?

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Il est très compliqué de savoir, pour être très honnête, car j'ai récemment découvert des dysfonctionnements du passé. Ces dysfonctionnements sont de plusieurs types. Par exemple, tout à l'heure, j'évoquais un dysfonctionnement qui n'a aucun lien avec les violences sexistes et sexuelles. Il s'agissait simplement d'un individu qui monnayait ses compétences en demandant 70 euros par an. Nous avons appris l'existence de ce problème par le biais d'un talent. Évidemment, nous sommes intervenus immédiatement en précisant que cette pratique est illégale et que, s'il persistait, il serait exclu du SFAAL.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Nous devons être rémunérés uniquement sur les contrats que nous concluons. Notre métier repose sur le principe de la commission si nous échouons, nous ne percevons rien ; si nous réussissons, nous sommes payés en conséquence. Ainsi, nous n'avons jamais demandé 1 euro à un talent.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Donc, ça veut quand même dire que la profession n'est pas complètement dérégulée. Qu'il y a quand même des règles qui continuent.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Depuis quarante-quatre ans que j'exerce ce métier, je constate que les violences sexuelles et sexistes ont toujours existé et continuent malheureusement d'exister. Cependant, aujourd'hui, la parole se libère davantage. Les victimes sont prêtes à aller plus loin, mais il faut leur laisser le temps nécessaire. Ce que nous observons actuellement, c'est le délai entre la prise de parole et le dépôt éventuel de plainte, lorsque celle-ci est encore possible, car parfois il y a prescription. Il y a toujours un temps de maturation avant que les talents ne rapportent des dysfonctionnements avec un directeur de casting, un producteur ou un metteur en scène. On ne peut pas leur demander de réagir immédiatement en leur disant : « fais ceci ou cela ». Ce temps de maturation est essentiel pour qu'une prise de parole, qu'elle soit judiciaire ou journalistique, puisse se faire de manière adéquate. Chaque jour, nous découvrons encore des comportements inappropriés, ce qui est étonnant car nous devrions être plus vigilants. Malheureusement, dans chaque métier, il y a des individus qui se comportent mal. Aujourd'hui, on peut affirmer que tout le monde est beaucoup plus vigilant qu'auparavant.

En ce qui concerne les relations entre agents et talents, je n'ai pas eu de remontées négatives concernant les membres du SFAAL. Nous nous connaissons tous très bien depuis longtemps et je n'ai pas eu connaissance de dysfonctionnements où un talent aurait accusé son agent de l'avoir harcelé ou coincé dans un coin. Nous sommes au cœur de cette chaîne de pouvoir où l'on découvre qu'un talent a été malmené au cours d'un casting, ou qu'une situation s'est mal déroulée avec un metteur en scène. Parfois, quelqu'un revient plusieurs fois attendre devant la porte d'une chambre d'hôtel, ce qui est évidemment stressant et angoissant.

Ce genre de situations nous est rapporté, et c'est à nous de les traiter. Lorsque les personnes sont prêtes à s'exprimer, nous les orientons vers la cellule d'Audiens. Nous ne nous en débarrassons pas, je précise. Nous les orientons car nous savons qu'ils seront pris en charge par des avocats, des psychologues, etc., ce qui permet de résoudre définitivement le problème. Il est important de comprendre que nous entretenons des relations avec les talents et que nous sommes au centre d'un processus qui nous met en contact direct avec les castings, les producteurs, et parfois les réalisateurs. Soit ce sont nos talents, soit nous collaborons avec eux pour assurer leur emploi. Nous sommes donc au cœur de cette nébuleuse, qui n'est pas si nébuleuse que cela, mais plutôt claire, nous sommes des intermédiaires. Avec de nombreuses années d'expérience, nous avons autant de relations avec nos talents qu'avec l'extérieur, ce qui renforce la « puissance de l'agent ».

Il y a toujours eu et il y aura toujours des problèmes de cet ordre. C'est aussi une question de patriarcat. Lorsque j'étais agent, ce métier était majoritairement féminin, mais dans le secteur des producteurs, il n'y avait que quatre productrices. Aujourd'hui, leur nombre a considérablement augmenté. Cela ne signifie pas qu'elles se comporteront mieux que les hommes, mais il y a tout de même un changement de ton, même si ce n'est pas encore une parité totale. Une jeune génération arrive, bien plus informée sur ces questions, beaucoup plus combative, désireuse de rapports sécurisés et clairs. Cela modifie les équilibres. Plus nous travaillerons, plus notre métier deviendra sûr. Et lorsque ce ne sera pas le cas, les sanctions seront extrêmement sévères.

Nous disposons d'outils que nous n'avions pas auparavant. Premièrement, nous pouvons désormais décrypter certains comportements. Par exemple, il y a trente ans, je ne connaissais pas le terme « pervers narcissique ». Depuis une dizaine d'années, ces sujets sont abordés à la télévision, ce qui nous permet de mieux comprendre les méthodes de manipulation mentale. Deuxièmement, les travaux récents du SFAAL, en collaboration avec des associations comme l'Association d'acteur.ices féministe et anti-raciste (ADA), et le Collectif 50/50, ont été enrichissants. Mon expérience aux Césars nous a permis de beaucoup travailler sur les problèmes de violences sexuelles et sexistes. Aujourd'hui, tout le monde s'engage dans cette voie. Je suis donc très optimiste quant à l'avenir. Bien que je ne sois pas confiant sur tous les sujets, je pense que sur celui-ci, nous pouvons avoir un peu d'espoir.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vais être un peu provocant, mais gentiment. Vous possédez un talent et vous êtes rémunéré par un pourcentage des gains de la personne que vous représentez. Par définition, plus cette personne travaille et décroche des rôles lucratifs, plus votre rémunération augmente, en tenant compte des frais divers. C'est ainsi que fonctionne ce système. Nous avons bien compris ce mécanisme, même si la série Dix pour cent en offre une version caricaturale. Si je pousse le raisonnement, et à vous entendre, j'imagine que ce n'est pas votre état d'esprit, mais cela pourrait être celui d'autres agents ; supposons que je sois agent et que j'ai une comédienne qui a été victime de violences sur un grand rôle. Lorsqu'elle vient me consulter, l'agent pourrait avoir le réflexe de lui conseiller de ne rien dire, de courber l'échine, en espérant que cela passe, afin qu'elle puisse interpréter le rôle et que sa carrière décolle.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Si la vie était aussi simple, je peux vous dire que ce serait formidable.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai conscience que ma remarque peut sembler provocatrice, mais il est essentiel d'analyser les schémas pour identifier les dysfonctionnements. Par exemple, certains agents, notamment ceux qui débutent et possèdent des talents nouveaux, pourraient avoir tendance à éviter de faire des vagues ou de créer des remous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vais illustrer la question de M. le président avec deux exemples concrets concernant des personnes dont vous êtes ou avez été l'agent. Premièrement, le cas d'Ophélie Bau, qui, lors du tournage du film Mektoub, My Love, a invoqué une violation de son contrat. En effet, une scène de sexe de treize minutes a été tournée sans son accord préalable et a ensuite été coupée en raison de nombreuses polémiques. Deuxièmement, le cas de Catherine Corsini, pour le film Le Retour, où une scène non prévue dans le scénario initial a été tournée. Cette scène impliquait une relation sexuelle entre un majeur et un mineur, dont la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Drieets) n'était pas informée, car elle ne figurait pas dans le scénario. Ces deux exemples illustrent des dysfonctionnements impliquant des personnes dont vous étiez l'agent. Dans ces situations, quelle a été votre réaction ?

Lorsque vous constatez un dysfonctionnement, prenez-vous l'initiative de conseiller à vos talents de ne plus collaborer avec certains réalisateurs qui agissent de manière déloyale en diffusant des scènes non approuvées par les acteurs ? Recommandez-vous aux agents du SFAAL de ne plus travailler avec Catherine Corsini, notamment en raison de la scène de sexe non prévue dans le scénario et sans l'accord de la Drieets ?

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Pour illustrer davantage, Ophélie Bau m'a consultée après avoir tourné son premier film avec Abdelatif Kechiche, intitulé Canto uno. Je suis allée voir le film et j'ai trouvé l'actrice absolument formidable. Je lui ai donc proposé de la représenter, ce dont elle était très contente. Ensuite, il a été question de tourner Canto due. À ce moment-là, Ophélie m'a informé que M. Kechiche avait demandé que les contrats du deuxième film ne passent pas par les agents que les acteurs avaient trouvés. Il souhaitait refaire les mêmes contrats que pour Canto uno. Je lui ai répondu : « Si tu veux, je peux contrôler ton contrat, mais si tu ne veux pas, ce n'est pas un problème. En tout cas, je ne prendrai pas de commission dessus. » J'ai alors commencé à travailler avec Ophélie. Elle est partie tourner et nous nous sommes vus environ deux fois. Pendant le tournage, je l'ai appelée et elle m'a assuré que tout allait bien. Le film a ensuite été sélectionné pour Cannes. À cette époque, la projection de presse avait lieu le matin et la projection publique le soir. Je n'avais pas lu le scénario, je n'avais aucun retour sur le tournage, je ne savais rien.

Deux personnes m'ont alors appelé depuis la salle de projection pour me demander si j'étais au courant de la scène de cunnilingus de treize minutes. J'étais stupéfaite et en colère. Je suis allée voir Ophélie et je lui ai demandé s'il n'y avait pas quelque chose qu'elle devait me dire. Je l'ai vue se fragiliser en deux minutes et demie. Elle m'a avoué que Kechiche ne lui avait pas permis de voir le montage. J'étais sidérée et très en colère. Je ne pouvais pas laisser une jeune actrice découvrir une telle scène dans la salle de Cannes. Pour moi, c'était inacceptable.

Il se trouve qu'elle avait un petit contrat avec un bijoutier et comptait sur cet argent. Je ne pouvais pas dire : « Tu ne montes pas les marches, je te mets à l'abri. » J'ai consulté Jérôme Seydoux, le producteur du film, et je lui ai expliqué : « Jérôme, il y a un problème, cette jeune fille a été complètement manipulée, certaines scènes lui sont inconnues. » Jérôme m'a immédiatement répondu : « Je vous comprends, Élisabeth, il n'y a aucun problème. » Elle a donc monté les marches, mais je l'ai fait passer sur le côté. Ce qui est intéressant, c'est qu'Abdelatif Kechiche ne s'est pas rendu compte de son absence à la projection. Je l'ai retrouvée en bas, nous avons passé un long moment ensemble où elle a pu s'exprimer, puis je l'ai mise dans une voiture pour qu'elle retourne à Montpellier, où elle résidait.

Par la suite, nous nous sommes revus plusieurs fois, et je lui ai vivement recommandé de consulter un psychologue. Cela a pris beaucoup de temps, et elle a été très mal pendant presque deux ans. J'ai eu une confrontation journalistique avec Abdelatif Kechiche, incluant des lettres ouvertes où il s'était engagé à montrer le film sans ces scènes si le film sortait. Un bruit a couru selon lequel le film pourrait être présenté à Cannes cette année, ce qui a de nouveau perturbé Ophélie Bau. J'ai donc vérifié que ce film ne serait pas projeté à Cannes. J'ai vérifié qu'il n'en était pas question, je l'ai rassurée. Aujourd'hui, Ophélie Bau est mère d'une petite fille en bonne santé, bien que toujours fragile à cause de cette histoire. Voilà comment j'ai traité ce cas.

Concernant Catherine Corsini, la situation est tout à fait différente. Catherine Corsini est effectivement ma cliente. Elle a réalisé un film avec une productrice qui, en plus, est sa compagne. Mon rôle dans ce projet est limité, même si je connais Catherine Corsini depuis très longtemps. Je ne suis pas impliqué dans les dossiers soumis à la Drieets, au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) ou ailleurs. Catherine Corsini a été sévèrement sanctionnée. C'est une véritable sanction, pas une mesure légère. Je pense qu'elle ne réitérera pas. Catherine Corsini est connue pour son tempérament fort. Des acteurs adultes et majeurs, ayant déjà travaillé avec elle, souhaitent continuer à le faire en raison de son talent. Ils continueront de collaborer avec elle pour ses futurs projets. Pour les jeunes débutants, il est possible de leur dire qu'elle peut être parfois difficile, mais qu'elle est une bonne personne, ce qui est vrai. Sincèrement, ce n'est pas quelqu'un de méchant. Cependant, on ne peut empêcher un talent de vouloir travailler avec une réalisatrice. Cela rejoint ce que vous disiez plus tôt. Lorsqu'un talent est chez vous, il souhaite travailler.

En réponse aux questions sur les commissions, nous ne sommes pas des acharnés de la commission. Si je devais comptabiliser tous les contrats que j'ai refusés dans ma carrière, ils seraient plus nombreux que ceux que j'ai acceptés. Gérer une carrière implique une vision à long terme, et non une consommation immédiate dictée par le chiffre d'affaires ou les impératifs financiers mensuels. En tant que chef d'entreprise, vous avez la responsabilité de gérer une carrière. Si vous échouez, vous perdez vos talents, et cela se sait rapidement. Entre les talents, les informations circulent rapidement, et vous êtes sanctionnés pour ne pas avoir fait le bon choix ou aidé à le faire.

Par exemple, lorsque quelqu'un exprime le désir de tourner avec un réalisateur controversé comme Woody Allen, qui est interdit aux États-Unis mais a tourné en France, certains talents refusent catégoriquement, tandis que d'autres souhaitent travailler avec lui en raison de sa renommée. En tant qu'agent, vous ne pouvez pas imposer vos décisions, les talents ne sont pas sous tutelle. Ils exercent leur libre arbitre, surtout quand il s'agit d'acteurs majeurs. Personnellement, je n'ai plus voulu m'occuper de mineurs après une expérience unique avec une actrice mineure il y a très longtemps. Les talents prennent leurs décisions, et nous pouvons les orienter ou les conseiller, mais la décision finale leur appartient. Il arrive que des talents désirent collaborer avec certains acteurs ou réalisateurs, même si cela peut s'avérer complexe. Dans ces situations, ils fixent leurs propres limites, et nous rappelons les règles si le scénario semble trop compliqué. Aujourd'hui, nous avons des réponses très simples à ces questions.

Les scènes de sexe nécessitent la présence de coordinateurs d'intimité, dont l'importance est primordiale pour moi. Leur rôle est essentiel dans la relation entre le metteur en scène et les acteurs, car ils agissent comme une tierce personne qui s'interpose. Cela permet d'éviter des dérives ou des débordements. Un coordinateur d'intimité dicte précisément comment les scènes doivent être filmées, ce qui représente un soulagement pour de nombreuses scènes. Cet outil, que nous ne possédions pas il y a quelques années, est désormais indispensable.

Lors de la lecture d'un scénario, on peut identifier des tensions potentielles ou des situations inquiétantes. Les réalisateurs ont des méthodes de travail très variées. Par ailleurs, il ne faut pas négliger la question du harcèlement moral. Aujourd'hui, on pourrait qualifier les méthodes de Maurice Pialat de harcèlement moral. De nos jours, il est difficile pour un réalisateur de fonctionner de cette manière sans subir des sanctions immédiates. Les équipes peuvent décider de ne plus travailler avec un réalisateur et arrêter le tournage. Un exemple récent illustre cette situation hier soir, sur une série télévisée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite partager une réflexion et poser deux questions complémentaires. Nous sommes particulièrement intéressés par cet exemple concret. Vous avez mentionné Mme Corsini, soulignant son tempérament fort et sa tendance à rudoyer. Je regrette de devoir le dire, mais indépendamment du talent, il existe des règles dans le code du travail. Selon ce code, ce comportement est inacceptable. Ce n'est pas parce que l'on évolue dans le milieu du cinéma ou de l'art que l'on peut se permettre de maltraiter verbalement les autres. Je souligne cet enjeu central de notre réflexion et de nos travaux. Il est crucial de comprendre que le talent ou la nature artistique d'une personne ne justifie en aucun cas un comportement irrespectueux.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Je suis tout à fait d'accord avec vous. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a eu toute une culture de cela pendant des décennies.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cette culture, nous l'avons observée dans d'autres milieux, et elle n'est pas acceptable. Il est possible de posséder du talent tout en s'adressant correctement aux gens. Je crois même que bien parler aux gens est un talent en soi.

Concernant les coordinatrices et coordinateurs d'intimité, imposez-vous désormais leur présence dans les contrats ? Est-ce une mesure que vous êtes en mesure de mettre en œuvre ?

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Si le talent le souhaite, oui.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si le talent le souhaite, en discutez-vous ? Le préconisez-vous ?

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Pendant des années, certaines actrices affirmaient : « Je tourne des scènes intimes avec un partenaire, mais je ne sais pas comment la scène sera réalisée. » À cette époque, les coordinateurs d'intimité n'existaient pas encore, mais nous insistions déjà pour obtenir des explications du réalisateur et un découpage précis des scènes. Par exemple, des contrats stipulaient que, lors des scènes de sexe ou de nuit, le plateau devait être fermé, c'est-à-dire accessible uniquement à une équipe restreinte, comprenant notamment le chef opérateur. Nous exigions cela et l'inscrivions dans les contrats. Aujourd'hui, si un acteur ou une actrice exprime une appréhension concernant une scène, nous sollicitons un coordinateur d'intimité et incluons cette demande dans le contrat. Cela devient alors une obligation contractuelle, et personne ne peut y déroger.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez mentionné le talent, en incluant à la fois les réalisateurs et les comédiens. Cependant, il est évident que vous pouvez parfois être l'agent d'un réalisateur et simultanément celui d'un comédien. Cela pose un problème de loyauté entre les deux parties. Comment gérez-vous cette situation ? Ne serait-il pas envisageable, par exemple, qu'au sein d'un même projet cinématographique, vous ne puissiez pas représenter à la fois le réalisateur et le comédien ou la comédienne ?

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Bien sûr, cela arrive souvent.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mais est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer que ce serait une impossibilité ? C'est-à-dire que je suis avocat, je ne peux pas être avocat de la victime et de l'auteur en même temps. Oui, cela s'appelle un conflit d'intérêts, un conflit de loyauté plutôt.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Vous oubliez une chose, c'est que le réalisateur a un contrat de travail avec un producteur.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Lorsqu'un problème survient, il existe toujours un juge de paix, le producteur. Dans ma carrière, j'ai rencontré des conflits, non pas de nature sexuelle, mais concernant les méthodes de travail. Le producteur rappelle alors le réalisateur à ses obligations. Il est essentiel de respecter certaines règles sur un plateau, il n'est pas acceptable de subir des cris, des comportements hystériques ou des humiliations. Le producteur intervient pour ramener le réalisateur à la raison, et nous faisons de même. Nous avons la responsabilité de protéger les talents, car une fois engagés dans un film, ils doivent le mener à terme. Il est impossible d'interrompre un tournage en cours pour reprendre plus tard. Nous agissons comme des médiateurs.

Bien que cela puisse sembler empirique, ce n'est pas une législation qui nous protège, mais bien le producteur qui rappelle les obligations au réalisateur. Nous veillons à ce que le talent se sente en sécurité et serein. Les collègues de l'acteur jouent également un rôle de soutien, car personne ne souhaite voir un acteur en difficulté sur un plateau. La gestion de ces situations repose davantage sur l'humain et l'expérience que sur une réglementation stricte.

Les agents interviennent souvent dans des conflits, parfois perçus comme des conflits de loyauté, mais nous avons une vision claire des problèmes, souvent déjà rencontrés et résolus par le passé. Je ne prétends pas que cela est simple, mais en dialoguant, en exposant les problèmes, en confrontant les personnes, et en présentant des excuses, on peut avancer. Les excuses sont essentielles. Par exemple, lorsqu'un réalisateur reconnaît ses torts en disant : « J'ai complètement perdu le contrôle, je m'excuse, tu es une personne de valeur et un acteur remarquable », cela peut apaiser beaucoup de tensions. Nous avons eu des situations où des conflits ont éclaté, mais par la suite, les personnes concernées ont collaboré sur quatre films ensemble. Nous travaillons avec des êtres humains.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les excuses parfois, quand ça a été trop loin, ne suffisent pas. Je pense que vous êtes d'accord sur cette question aussi.

Permalien
Raphaëlle Danglard, élue au bureau du SFAAL

Je souhaite témoigner de l'évolution d'une génération, car je suis agent depuis cinq ans et dans ce milieu depuis une dizaine d'années. Je tiens à souligner la libération de la parole chez les nouveaux acteurs et actrices. Ils communiquent entre eux, ce qui n'était pas le cas auparavant. Je représente principalement des jeunes d'une vingtaine d'années, nés dans les années 2000. Ces jeunes n'hésitent pas à s'exprimer, que ce soit entre eux ou avec moi. Lorsque je rencontre des situations où un acteur ou une actrice se retrouve face à un réalisateur ou une réalisatrice utilisant des méthodes de travail inappropriées, nous n'hésitons pas à les confronter. J'ai déjà eu des expériences négatives sur des plateaux, mais aujourd'hui, les acteurs n'ont plus peur de parler et de se confronter aux réalisateurs. Bien que des progrès restent à faire, mon expérience, bien que récente, montre que ces jeunes n'hésitent pas à me parler. Cela est essentiel, car nous jouons un rôle de juge de paix, capable de rééquilibrer les forces en présence. Le fait que ces jeunes n'aient pas peur de nous parler et que nous puissions déclencher cette confrontation apporte beaucoup.

En ce qui concerne les méthodes de travail sur les tournages, je rejoins ce que vous disiez, M. Balanant. Il s'agit d'un débat important entre acteurs et actrices. Aujourd'hui, une majorité de cette génération affirme qu'il n'est pas nécessaire de se hurler dessus pour bien jouer. Ils sont unanimes sur ce point. Il existe des méthodes permettant d'atteindre des émotions telles que la tristesse ou la colère sans recourir à des émotions trop personnelles. Il est important de le rappeler.

Je conseille les personnes lorsque je constate qu'un réalisateur a une mauvaise réputation. Je les en informe, mais la décision finale leur appartient. Je ne suis pas leur directeur de conscience. Par exemple, si demain ils souhaitent travailler avec Woody Allen, c'est leur choix. En revanche, je les mets en garde contre une réalisatrice connue pour être très colérique sur un plateau. Je les informe, et ensuite, ils sont libres de décider s'ils veulent tourner ou non avec cette personne.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Les talents ne sont pas sous curatelle. C'est une notion très importante car nous représentons un contre-pouvoir. Un agent qui fait partie d'une agence influente, comme Raphaëlle Danglard, devient un contre-pouvoir. Nous devons être très vigilants. Nous connaissons les réputations des personnes. Une nouvelle génération arrive, à qui il faut expliquer que certaines situations peuvent être difficiles. Aujourd'hui, les producteurs ont suivi des formations et savent qu'il est inacceptable de tolérer certains comportements sur les plateaux. C'est essentiel. Les obligations des producteurs leur ont été rappelées récemment. Désormais, ils ne prennent plus à la légère les dysfonctionnements des réalisateurs ou réalisatrices.

À partir de ce constat, toute la chaîne de production, qui pouvait parfois sembler complexe, est en train de se clarifier. Les producteurs sont conscients de leurs responsabilités vis-à-vis des plateaux et des tournages. Des référents y sont désormais engagés, ce qui encourage la prise de parole. Nous observons un processus vertueux en cours. Bien que tout ne puisse pas être résolu instantanément, nous sommes sur la bonne voie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il me semble que vous n'avez pas répondu à une question que j'avais posée. Que fait le SFAAL lorsqu'il est informé de comportements problématiques de la part de producteurs ou de réalisateurs ? Par exemple, vous avez mentionné précédemment que vous avez refusé plus de contrats que vous n'en avez acceptés. Refusez-vous un contrat si, par exemple, une actrice ou un talent insiste pour travailler avec un réalisateur que vous savez problématique ? Vous avez la possibilité de refuser le contrat grâce à votre expérience. C'était ma première question.

La deuxième question concerne les exemples de Kechiche et Corsini que j'ai évoqués plus tôt. Ce sont des cas de violence et d'infractions au code du travail. J'aimerais savoir, car j'ai cru comprendre que vous ne lisez pas les scénarios, quel est votre regard en tant qu'agent tout au long d'un tournage. Avez-vous des échanges avec les acteurs pour identifier les dysfonctionnements ou en êtes-vous informé après coup ? Dans le cas de Corsini, le scénario a changé en cours de route.

Enfin, une observation, nous avons déjà réalisé de nombreuses auditions et nous sommes loin d'avoir terminé. Je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous affirmez que parfois les réalisateurs demandent pardon et les acteurs et actrices l'acceptent. Les cas de violence dont nous traitons dans cette commission d'enquête sont parfois des crimes. Je ne suis pas certaine que l'on puisse simplement demander pardon dans ce cas précis et continuer comme si de rien n'était, ou continuer à recevoir des financements du CNC après avoir été condamné pénalement. Nous dépassons ici la simple question du pardon dans le cadre de cette commission d'enquête.

Par ailleurs, je partage votre avis sur le fait qu'une nouvelle génération émerge, très attentive à ce qui se passe, et qui a la force de témoigner et de dénoncer les abus. Cependant, il est essentiel de rappeler à quel prix cette nouvelle génération peut s'exprimer aujourd'hui, c'est au prix des souffrances et du silence qu'ont dû endurer toutes les victimes avant eux. Il me semble important de souligner que cette prise de parole de la nouvelle génération n'est pas un phénomène de société spontané, mais résulte de l'exception française et de tout ce qui a été accepté et occulté par les professionnels de ce secteur pendant de nombreuses années. Pour conclure, vous avez mentionné un exemple de tournage qui a été interrompu hier, ce qui nous intéresse particulièrement, car il est rare que des tournages soient stoppés en cours de route. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce cas précis ?

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Il me semblait avoir déjà répondu à la première question. Lorsque j'affirme : « Je refuse plus de contrats que je n'en accepte. », c'est dans le cadre du choix que vous faites en guidant une carrière. Parfois, notamment au début d'une carrière, de nombreuses propositions affluent et il est nécessaire de trier. Certaines propositions peuvent être extrêmement intéressantes financièrement, mais désastreuses en termes d'image. Dans ces cas-là, nous décidons de ne pas les accepter. Nous sommes des accompagnateurs, nous avons des points de vue, mais le choix définitif revient toujours au talent. Certains talents nous écoutent de manière vertueuse, tandis que d'autres peuvent vouloir faire un film qui leur rapportera beaucoup d'argent pour des raisons personnelles. Cependant, ce n'est jamais nous qui prenons la décision finale. Cela rejoint ce que nous disions précédemment. Lorsqu'un talent nous dit : « je sais que ce n'est pas idéal, mais j'ai quand même envie d'y aller », nous pouvons discuter des problématiques. Nous ne parlons pas toujours de situations extrêmes comme des crimes, mais plutôt de complications potentielles. Par exemple, nous pouvons dire : « attention, cela risque d'être compliqué, es-tu sûr de vouloir t'engager pendant deux mois ? » et le talent peut répondre : « Oui, mais j'aime bien le projet. » En fin de compte, c'est toujours la personne qui choisit. Si des problèmes surviennent, nous leur rappelons que nous les avions avertis, mais ils doivent assumer leurs choix.

Concernant le scénario, nous suivons un tournage en collaboration avec les réalisateurs. Il arrive que nous lisions plusieurs versions du scénario, le traitement initial, puis la première version, etc. Le scénario évolue constamment, jusqu'à la veille du tournage, et parfois même pendant celui-ci, en raison des réécritures de dialogues par les acteurs. Nous lisons un scénario et on nous raconte une histoire. Ensuite, un casting est réalisé. Nous proposons des talents et un casting définitif est choisi. Je travaille avec des réalisateurs et parfois, je n'ai aucun acteur ou actrice à gérer, car cela se passe ainsi. Vous ne faites plus rien. C'est-à-dire que vous vous occupez de la facturation, du contrat, etc. Vous passez des coups de fil pour vérifier que tout se déroule bien. Parfois, on vous informe que le tournage a été retardé de deux heures à cause du mauvais temps. Ce sont à peu près les conversations que nous avons.

Cela dépend des réalisateurs. Certains préfèrent vous montrer le film une fois terminé, c'est-à-dire monté, mixé, vraiment la copie définitive. D'autres aiment vous montrer le film après un premier ou un deuxième montage, car ils souhaitent avoir votre avis et que vous leur signaliez ce qui ne va pas. Concernant Catherine Corsini, honnêtement, vu le nombre de scénarios que je lis chaque semaine et chaque jour, je suis incapable de me souvenir si la version qu'elle m'a fait lire incluait cette scène ou non. Je vous assure, sous serment, que je ne peux pas m'en souvenir. Nous lisons tellement de scénarios que parfois, je ne suis même plus sûre de les avoir lus. Nous n'avons pas ce contrôle. Peut-être que dans le cas de Catherine, cela a dysfonctionné parce que la productrice est aussi son amie, ce qui compliquait la situation. Il est difficile d'imposer des décisions dans ce contexte. Je n'ai été informée de cette affaire que lorsque le problème s'est posé. Je ne l'avais pas anticipé, je ne pouvais pas le prévoir. Voilà la nature de notre relation. Parfois, vous êtes dans votre bureau, tout se passe bien sur le tournage, et soudain, un problème surgit et on nous appelle pour signaler un problème sur le plateau.

Il est évident que les excuses ne suffisent pas. Quand je parle d'excuses, je fais référence à une mésentente sur le plateau, non à un crime. Les excuses sont inutiles dans ces cas-là. Il est nécessaire d'aller plus loin et de ne pas simplement se dire pardon. Il s'agit de rétablir un climat de bonne volonté pour mener le film à terme. Un film est comme un bateau qui part, et chacun a intérêt à ce qu'il arrive à destination. Parfois, des excuses permettent de calmer les esprits, de rappeler à chacun de faire attention, et de permettre aux acteurs de se sentir à l'aise pour continuer à travailler jusqu'au bout.

Concernant l'arrêt du film ou de la série télévisée d'hier, il s'agit d'une réalisatrice externe à mon équipe qui a complètement dysfonctionné. Elle a littéralement pété un câble, pour reprendre l'expression. Toute l'équipe a alors déclaré qu'elle ne pouvait plus continuer, et le producteur a décidé d'arrêter immédiatement. Elle sera remplacée lundi. Je ne mentionne pas les noms pour des raisons de confidentialité.

Permalien
Raphaëlle Danglard, élue au bureau du SFAAL

Je souhaite intervenir concernant les propos précédemment tenus. Je ne me réfère pas spécifiquement au cas Corsini, bien que je souhaite ajouter une précision sur ce tournage, l'absence de coordinateur d'intimité constitue, selon moi, une faille majeure. Le débat de fond réside précisément dans cette absence. En tant qu'agent, et également agent de réalisateur, nous pouvons lire les scénarios et nous informer, mais nous ne sommes pas présents sur le plateau quotidiennement pour observer les évolutions possibles. Je referme cette parenthèse.

En revanche, je souhaite aborder la question du statut des actrices et des acteurs, car il arrive fréquemment que les scénarios évoluent en cours de tournage. Cela m'est déjà arrivé. Dans ces situations, mes actrices et mes acteurs ont le réflexe, que je les encourage à adopter, de me contacter. Il m'est déjà arrivé qu'ils m'informent d'une décision d'ajouter une scène de nudité ou une scène intime. Dans ce cas, j'appelle la production pour en discuter ensemble. Nous vérifions si l'actrice ou l'acteur est d'accord et si un coordinateur d'intimité est présent. Si ce n'est pas déjà prévu, j'ajoute une clause contractuelle encadrant cette scène, si elle n'est pas déjà incluse dans le contrat initial. Aujourd'hui, j'intègre systématiquement cette clause dans les contrats. Si ce n'était pas le cas, un avenant est rédigé pour encadrer cette situation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si un talent sur un tournage vient vous voir en affirmant avoir été agressé sexuellement par un technicien, un réalisateur ou une autre personne présente sur le plateau, quelle serait votre réaction ? En tant que législateur, je m'interroge sur ce point.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

La réponse est extrêmement simple. J'appelle le producteur et je dis : « Il faut prendre une décision. » Pour moi, il n'y a même pas de débat.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Est-ce que vous avez des exemples d'agents qui, sachant que des faits graves ont été faits sur un plateau, puissent laisser couler, laisser passer, minorer, dire à une victime : « écoute, ce n'est pas si grave ».

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Franchement, je ne vois pas aujourd'hui qui que ce soit dire à un talent : « écoute, allez, fais-le ». D'abord, pour des raisons éthiques, c'est inacceptable. Ensuite, même en étant cynique, je dirais que cela représente un risque énorme pour sa propre réputation et donc pour l'avenir de sa carrière. Éthiquement parlant, je ne vois pas un agent conseiller à quelqu'un de passer outre un abus en disant : « ce n'est pas très grave ». Cela ne peut pas arriver. Lorsqu'un cas aussi clair de quelqu'un affirmant avoir été abusé par un réalisateur se présente, la réaction immédiate doit être d'alerter le producteur et de prendre des mesures. Il est impératif de sécuriser le plateau, ce qui implique de retirer le réalisateur en question. C'est ce qui se passe dans de telles situations.

Permalien
Raphaëlle Danglard, élue au bureau du SFAAL

En fonction de la nature de ce qui est en jeu, qu'il s'agisse d'une parole ou d'un acte, le choix revient à l'actrice ou à l'acteur de décider de s'adresser au réalisateur. J'ai déjà rencontré une situation où une actrice m'a confié, dans un contexte où il s'agissait d'une parole et non d'une agression sexuelle, qu'elle prenait la responsabilité de m'en parler car elle avait besoin d'un soutien moral et psychologique. Cependant, elle souhaitait être celle qui entreprendrait la démarche de parler au réalisateur. Elle ne voulait pas interrompre le tournage, mais estimait nécessaire de se confronter elle-même au réalisateur, tout en bénéficiant de notre soutien moral. En revanche, lorsqu'il s'agit d'une agression sexuelle, il n'y a même pas de débat.

Permalien
Raphaëlle Danglard, élue au bureau du SFAAL

Bien sûr, nous leur rappelons leurs droits et leur offrons la possibilité de les exercer. Non seulement nous leur expliquons qu'ils peuvent le faire, mais nous les accompagnons également dans cette démarche. Personnellement, je n'ai pas eu à le faire, mais j'ai des collègues agents qui ont été confrontés à cette situation et qui ont accompagné les personnes concernées pour porter plainte.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Aujourd'hui, nous bénéficions d'outils qui n'existaient pas auparavant. Lorsqu'une agression sexuelle est signalée, il est possible de dialoguer directement avec la victime. Souvent, il existe un moment d'incertitude où la personne hésite à porter plainte. C'est à ce stade que nous intervenons, en collaboration avec des associations, le groupe Audiens. Nous savons que, progressivement, la victime suivra son propre chemin, qui aboutira fréquemment à une plainte. Ce processus peut être très long. Je me souviens d'une actrice, qui n'était pas sous ma responsabilité, mais pour laquelle j'ai dû intervenir. Elle refusait de porter plainte malgré le fait que tout le monde était au courant, le producteur, l'acteur, tous savaient. Elle demandait du temps pour réfléchir. Nous l'avons orientée vers un psychologue afin de l'accompagner dans ce cheminement. Ainsi, nous nous retrouvons dans une situation particulière où tout le monde est informé, mais où il est nécessaire de respecter le temps de la victime. Le tournage étant terminé, chacun savait ce qui s'était passé, mais nous devions attendre que la victime soit prête à entamer les démarches judiciaires.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez mentionné en début d'audition que n'importe qui pouvait potentiellement devenir agent, simplement en signant deux mandats. Ne serait-il pas pertinent d'exiger qu'une personne soit au minimum assistante dans une agence pendant une durée déterminée, par exemple six mois ou un an, afin d'acquérir les bons réflexes nécessaires ? Vous semblez approuver cette idée, ce qui est encourageant.

Concernant votre rôle d'agent, vous veillez à ce que vos talents travaillent dans de bonnes conditions. J'ai deux questions à ce sujet. Premièrement, ne serait-il pas judicieux d'imposer dans les contrats des mesures de protection systématiques, telles que la présence de coordinateurs d'intimité ou de psychologues, notamment pour les films comportant des scènes potentiellement violentes ? Cela permettrait d'encadrer et d'accompagner vos talents de manière adéquate.

De plus, il serait utile que vous soyez informé des évolutions des scénarios, surtout lorsqu'ils incluent des scènes susceptibles de poser problème. Enfin, que faites-vous lorsque vous savez qu'un acteur ou un réalisateur est soupçonné de violences sexuelles et sexistes, même s'il n'a pas été officiellement incriminé, et que l'un de vos talents est sollicité pour travailler avec cette personne ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite poursuivre la question de ma collègue en abordant les responsabilités à tous les niveaux. J'ai l'impression d'entendre beaucoup de propos déresponsabilisants. On dit souvent que les adultes sont consentants et que nous les accompagnons. Cependant, face à l'ampleur des violences dans le monde du cinéma, il est crucial de se pencher sur les chaînes de responsabilité, y compris celles qui ne sont pas encore inscrites dans la loi et qu'il faudrait peut-être envisager d'inscrire. Je voulais poser une question similaire à celle du président Balanant concernant vos actions lorsque quelqu'un vient vous voir pour dire j'ai été agressée. J'imagine que ce n'est pas toujours formulé de manière aussi explicite. Vous avez utilisé des expressions comme péter un câble, engueuler, être hystérique.

En matière de violences sexistes et sexuelles, ces termes peuvent parfois minimiser des violences. Je ne dis pas que c'était votre intention, mais ce sont des éléments d'alerte que je perçois. Je comprends parfaitement la question du respect du consentement de la personne. De nombreuses victimes préfèrent ne pas porter plainte ou faire de signalement, souhaitant régler elles-mêmes la situation en parlant à leur agresseur. Cela peut malheureusement perpétuer les violences, car au final, une personne qui parle cherche à savoir si elle sera entendue. Si la réponse est : « tu m'as dit cela, mais tu ne veux pas aller plus loin », elle peut poser problème. Je pose donc des questions en termes de formalisation, de processus, de protocoles.

Il est essentiel de comprendre que même si une personne exprime son malaise sans utiliser des mots précis, il est de notre devoir de nous interroger sur la formation reçue. Estimez-vous que votre formation est suffisante ? Soutenez-vous l'idée d'une formation obligatoire dans ce domaine pour garantir l'utilisation des termes appropriés ? Ensuite, envisageons la mise en place de mécanismes de signalement systématiques. Par exemple, informer une personne qu'il existe une cellule d'écoute et l'y orienter. Informer également le responsable, tel que le producteur, de l'orientation vers la cellule d'écoute. Cela permettrait d'établir des chaînes de responsabilité. Nous devons reconnaître que nous avons affaire à des adultes consentants. Cependant, il est crucial de ne pas sous-estimer l'emprise potentielle et les conditions matérielles qui peuvent dissuader une victime de s'exprimer ou de chercher réparation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Juste avant de répondre à Mme Danglard concernant le fait que parfois la victime exprime le souhait de confronter son agresseur, je tiens à rappeler l'histoire de Charlotte Arnould. Cette dernière a été violée et a voulu affronter son agresseur seule. Malheureusement, elle a été violée une seconde fois.

J'insiste sur l'importance de l'accompagnement pour les victimes. Il est impératif de ne jamais laisser une victime affronter seule son agresseur. Mme Legrain souligne également cette nécessité en affirmant qu'il est essentiel de dire à la victime : « C'est grave, il faut que tu sois accompagnée, n'y va pas seule. » Je suis convaincue que vous en êtes consciente, étant donné votre expérience.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Je voudrais préciser que j'ai l'impression que nous travaillons chacun de notre côté. Vous mentionnez que des formations seront mises en place avec le SFAAL et le CNC pour tous les agents et assistants. De mon côté, je constate que nous commençons à disposer des outils nécessaires. Il est évident que, pendant certaines périodes, les outils n'étaient pas disponibles, tant pour les victimes que pour ceux qui les accompagnaient. Les victimes ne voulaient pas parler, par peur. Je tiens à partager une expérience personnelle pour illustrer mes propos. J'ai été jeune actrice et j'ai rencontré des problèmes avec des seconds assistants à la Société française de production (SFP). Dans des bureaux exigus, ils me disaient clairement : « Soit tu acceptes, soit tu n'auras pas de contrat. » À l'époque, je n'avais ni agent ni soutien et j'ai subi ces pressions.

Même au cours de théâtre, j'ai vécu des situations similaires. Un jour, en entrant dans le bureau d'un agent, j'ai compris que j'allais être un contre-pouvoir. C'est ce que je défends aujourd'hui. Nous avons été laissés sans outils par une société entière, et nous en sommes collectivement responsables. Lorsque vous parlez de déresponsabilisation, j'assume pleinement mes responsabilités, tout comme les agents. Nous sommes confrontés à des victimes et parfois à des personnes accusées d'agression. Comment gérer cela avec notre intégrité et les outils actuels ? Je fais une distinction entre une parole, un acte, un comportement inapproprié et un viol. Il existe une gradation dans ces comportements, bien que tous soient condamnables. Nous sommes tous d'accord sur ce point.

Cependant, il est un peu plus simple de résoudre un problème de parole que de traiter un cas de viol ou de harcèlement. Il est évident que nous ne sommes pas au même degré de gravité. Lorsque nous abordons ces questions, nous pouvons parfois les traiter seuls, mais nous savons aujourd'hui que l'amnésie post-traumatique existe, ce qui est une connaissance relativement récente. Ainsi, une personne peut affirmer qu'elle ne dira rien, qu'elle va bien, que ce n'est pas grave et que cela passera. Mais non, cela ne passera pas. Nous le constatons. Lorsqu'une actrice refuse de parler ou hésite à s'exprimer, nous restons à ses côtés, observons son comportement et détectons des signes de défense ou de perturbation. Nous revenons alors vers elle pour discuter à nouveau.

Accompagner signifie qu'à un moment donné, il faut passer le relais à un psychologue. Je ne suis pas psychologue et ne le serai jamais. Nous orientons ces personnes vers des professionnels. Si elles n'ont pas les moyens de payer un avocat, nous les rassurons en leur indiquant que des associations prendront en charge ces frais. Nous nous trouvons dans une situation inhabituelle et assumons nos responsabilités. Chaque jour, nous questionnons notre relation avec les talents, notre propre position et les interactions avec l'extérieur. Nous nous demandons si tout se passe bien ou s'il y a des frictions. Certaines femmes que j'ai revues m'ont confié des événements survenus il y a vingt ans. Nous discutons alors de leurs souhaits, veulent-elles en parler, rendre cela public, porter plainte ? Certaines personnes expriment leur perturbation face à cette prise de parole et se questionnent sur leur responsabilité. Elles se demandent si elles doivent apporter leur contribution, ayant souffert de situations similaires. Je les accompagne dans cette réflexion. À un moment donné, quelqu'un peut dire : « Non, en fait, maintenant, je suis vraiment passée à autre chose. Je me suis reconstruite – Est-ce que tu es sûre ? – Ne t'inquiète pas, je consulte un psychologue et je suis suivie. » Nous sommes dans une relation à deux, et il est impossible, même pour moi, de brusquer quelqu'un. J'ai parfois cette angoisse, étant assez directe. Un psychologue m'a conseillé de ne jamais brusquer, mais d'écouter, de suivre le rythme de l'autre et de l'accompagner. Nous effectuons ce travail sans nous déresponsabiliser. Mettez-vous à notre place on nous accuse de nous déresponsabiliser, de régler les choses à notre manière. Ce n'est pas le cas. Je suis d'accord pour suivre certains processus. Je n'ai aucun problème avec cela.

Si le législateur nous permet de réintégrer certaines règles, je serai la personne la plus ravie du monde, et nous serons nombreux à en bénéficier. Cela nous faciliterait la tâche, car nous ne serions plus constamment obligés de batailler. Ce que vous ne réalisez peut-être pas de notre métier, c'est que signer un contrat implique une négociation préalable, notamment sur les conditions de travail. Actuellement, j'ai un problème, les films se réalisaient auparavant en huit ou neuf semaines, alors qu'aujourd'hui, ils se font en six ou sept semaines. Comment cela est-il possible ? Grâce à quatre ou cinq heures supplémentaires par jour. Les acteurs sont épuisés, mais on leur dit que sans cela, nous ne pourrions pas tourner ce que nous souhaitons. Aujourd'hui, il existe des problèmes de violence, et celui-ci en est un. Certains pensent que les acteurs ne font rien. Pourtant, je peux vous assurer que passer plus de douze ou quatorze heures sur un plateau, en répétition, pendant plusieurs semaines, pose un problème de santé. Ils ne sont pas protégés. Même si nos contrats stipulent que la journée commence du point d'accueil technique (PAT) au retour à domicile, rien n'est respecté. Je parle à de nombreux acteurs qui affirment vouloir se mobiliser collectivement, car la situation est devenue intenable. Nous devons constamment appeler les producteurs pour leur dire que trois ou quatre heures supplémentaires chaque jour, ce n'est pas possible. Nous intervenons sans cesse pour le confort des talents, à tous les niveaux, en insistant sur le besoin de loges pour qu'ils puissent se reposer entre deux prises de vues. Aujourd'hui, obtenir des loges est devenu compliqué et coûteux. Nous ne leur demandons pas de nous offrir un espace de premier choix, mais simplement de trouver un endroit isolé, comme précisé dans les contrats, où ils peuvent fermer à clé et laisser leurs affaires en sécurité.

Nos contrats sont aussi détaillés que cela. Aujourd'hui, cela représente une véritable bataille. J'aime ce métier, je le trouve extrêmement enrichissant sur le plan humain, car rien n'est jamais tout à fait pareil, rien n'est totalement dans les clous, c'est complexe et très riche. Cependant, je refuse qu'on me reproche, à l'issue de cette discussion, d'avoir cherché à me décharger de la responsabilité. Depuis le début de cet entretien, je n'ai jamais rejeté la responsabilité sur les autres. Il existe une réalité, nous sommes constamment en lien avec notre talent, dans ses pensées, ses actions, ses réussites et ses échecs, ses problèmes financiers ou personnels. Nous sommes au courant de tout. Nous traversons l'intimité de nos talents, ce qui nous enrichit et nous permet parfois de gérer des situations délicates.

Néanmoins, il arrive un moment où nous sommes mis à distance. Dans le processus de fabrication d'un film, même en tant qu'agent du réalisateur, nous ne sommes pas au centre, car cela serait matériellement impossible. Nous n'avons pas le temps d'être aussi proches de la réalité d'un film. Nous sommes des personnes à qui l'on s'adresse. Nous recevons des informations, parfois excellentes, parfois terribles, et nous les gérons. Aujourd'hui, il est indéniable que nous avons besoin de coordinateurs d'intimité. Je peux en témoigner personnellement, j'ai une actrice très militante, donc bien informée. Lors d'une scène, elle arrive sur le plateau et soudain, l'acteur déclare : « J'en ai assez des scènes toujours pareilles, nous sommes dans le lit. Tu sais quoi ? Je vais te faire un cunnilingus. » Elle lui répond alors « Je n'ai absolument pas envie que tu passes quatre heures entre mes cuisses. Ce n'est pas envisageable. » Cela a provoqué une grande agitation, et je suis intervenue pour que la scène ne se déroule pas ainsi. Pourtant, j'aurais pu ne pas être au courant, mais elle me l'a dit. Et cela a attiré mon attention sur le fait que certaines scènes sont souvent expédiées rapidement, comme les baisers. Certains acteurs et actrices expriment leur ras-le-bol : « Je ne veux plus embrasser quelqu'un à l'écran. » Et je les comprends parfaitement, je trouve cela insupportable. Une actrice m'a dit : « Attention, il faudrait trouver une autre manière de faire, mais il n'y aura pas ces scènes parfois vraiment désagréables à voir. » En effet, dans la vie, cela peut être intéressant, mais à l'écran, ce n'est pas captivant. Mais c'est vrai, aujourd'hui, des acteurs affirment ; « Je n'ai pas envie d'embrasser ma partenaire. »

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Sur la question des coordinateurs d'intimité, nous les avons auditionnés. Il est préférable que ce travail soit effectué en amont. Lorsque je vous ai demandé de préciser votre position sur les coordinateurs d'intimité, vous avez exprimé le souhait de les imposer dès le début. Cela permettrait de garantir une discussion préalable et un travail approfondi de lecture du scénario.

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Lorsque les coordinateurs d'intimité n'étaient pas présents pour les scènes de sexe, nous encouragions nos talents à discuter directement avec le réalisateur ou la réalisatrice. Ils devaient aborder des questions telles que : « Comment vas-tu tourner cette scène ? » ou « Comment vas-tu la découper ? ». Nous procédions ainsi, surtout lorsqu'il y avait des problématiques spécifiques. Cependant, la présence d'un coordinateur d'intimité est véritablement bénéfique, car elle permet de clarifier des points essentiels.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout à l'heure, j'ai évoqué rapidement le cas de Charlotte Arnould et Gérard Depardieu. Évidemment, le procès n'ayant pas eu lieu, Gérard Depardieu bénéficie de la présomption d'innocence. Cela étant dit, je souhaite conclure sur un sujet qui me tient à cœur, car il est évident qu'il existe un problème de régulation. Disposez-vous d'un code de déontologie commun et partagé ? Nous savons que les avocats possèdent un code de déontologie avec des règles très strictes. Pourrait-on envisager que vous travailliez dans cette direction ? Juridiquement, une idée me vient à l'esprit, bien qu'elle puisse sembler quelque peu destructrice, il s'agirait d'un ordre ou d'une guilde, à l'image de ce que les Américains savent faire dans ce domaine, souvent de manière extralégale, mais avec une force de frappe significative qui permet de trouver des moyens de régulation. Est-ce que cela pourrait constituer une piste de réflexion ou est-ce déjà une réflexion en cours ?

Permalien
Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL)

Nous nous sommes interrogés pour une raison simple, à l'époque des licences, la question de la moralité se posait. C'était un des éléments qui pouvait réellement entraîner la révocation d'une licence si quelqu'un manquait à l'ordre moral. Nous disposons d'une charte, mais celle-ci concerne principalement la répartition des commissions lorsqu'un talent quitte un agent. Cependant, depuis plusieurs années, nous réfléchissons à l'élaboration d'une charte déontologique. Le problème réside ensuite dans la sanction. Vous mentionnez les guildes aux États-Unis, extrêmement puissantes à tous les niveaux, nous ne disposons pas de cette puissance de feu ni des moyens nécessaires pour aborder nos difficultés, notamment en ce qui concerne les frais de fonctionnement. Tout le monde est bénévole, à l'exception de Loïc Zion, qui est délégué général. Personne ne perçoit de rémunération. Nous ne générons pas de frais superflus et nous sommes très vertueux à ce sujet. Cependant, établir un ordre signifierait que nous pourrions sanctionner en déclarant : « Tu n'appartiens plus au SFAAL. » La question se pose alors de savoir si, vis-à-vis du grand public, cela constitue une véritable sanction. Nous nous sommes interrogés et nous continuons de nous interroger sur ce point.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si nous reconstruisons l'écosystème, les assureurs de films pourraient décider d'assurer uniquement les films réalisés par des agents membres du syndicat, de la même manière que les directeurs de casting. Par exemple, lorsqu'un directeur de casting est jugé farfelu, le producteur pourrait choisir de ne pas travailler avec lui, car l'assureur refuserait d'assurer un projet réalisé avec des éléments jugés peu fiables. Cela pourrait constituer une piste de restructuration de l'ensemble de l'écosystème, en tenant compte du fait qu'il est déjà partiellement organisé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pour aller au bout de mon raisonnement, de quels leviers et de quelle marge de manœuvre disposons-nous pour faire respecter les règles à notre niveau ? Par exemple, vous avez mentionné que vous vous battez pour faire respecter des contrats et que vous avez évoqué les conditions de travail. L'inspection du travail existe-t-elle ? Est-ce un recours envisageable ou est-il illusoire de penser pouvoir y avoir recours lorsque vous constatez des violations des conditions de travail par rapport au contrat ? Nous avons parlé de l'ordre comme levier vis-à-vis des personnes dysfonctionnelles par rapport à la déontologie de l'agent. Vous pointez des dysfonctionnements, mais quels sont vos leviers ? En incluant vos propres contrats, si vous apprenez qu'une personne avec qui vous avez un contrat est accusée, peut-on imaginer que vos contrats comportent des clauses permettant de vous dégager de certains engagements en raison de faits avérés ? Si une personne fait l'objet d'un signalement et n'a pas respecté certaines obligations, cela peut-il vous donner la marge de manœuvre nécessaire pour mettre fin à un contrat en cours sans subir de préjudices, parce que vous considérez qu'il y a eu un manquement au respect mutuel ? Dans cette relation que vous décrivez, vous avez mentionné l'aide apportée, mais si vous êtes confronté à une personne qui enfreint les règles, quelle marge de manœuvre avez-vous pour vous en séparer également ?

Permalien
Raphaëlle Danglard, élue au bureau du SFAAL

En tant que représentants, nous avons la possibilité de mettre fin à un mandat à tout moment, sans délai ni préavis. Notre sécurité repose avant tout sur le contrat. Si demain ce contrat n'est pas respecté, cela peut constituer une cause de résiliation. C'est notre principal outil et notre force.

Quant à l'inspection du travail, il incombe plutôt à la production de mettre en place les moyens nécessaires. Aujourd'hui, le contrat demeure notre principal levier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous allons conclure, mais il est essentiel de souligner l'importance de la notion de contrat. C'est ici que se manifeste votre rôle primordial. Rédiger des contrats de manière précise, anticiper les éventualités, prévoir en amont, voilà des outils efficaces pour protéger les comédiens et parfois aussi les réalisateurs lors des tournages.

La séance s'achève à treize heures dix.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, M. Erwan Balanant, Mme Virginie Lanlo, Mme Sarah Legrain, Mme Pascale Martin, Mme Francesca Pasquini

Excusée. – Mme Josy Poueyto