Ce site présente les travaux des députés de la précédente législature.
NosDéputés.fr reviendra d'ici quelques mois avec une nouvelle version pour les députés élus en 2024.

Intervention de Muriel Réus

Réunion du jeudi 6 juin 2024 à 9h30
Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Muriel Réus, présidente de l'association Femmes avec :

Je suis la fondatrice de l'association Femmes avec, créée en décembre 2017, à un moment charnière pour la prise en compte de la parole des femmes, après trente ans de carrière dans les métiers de la communication, de la publicité et des médias. Femmes avec défend les droits des femmes au sens large, luttant contre toutes les formes d'inégalités et de stéréotypes. Nous proposons de nombreuses formations en entreprise, car je considère que les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre les violences. L'État ne peut pas tout faire, il est nécessaire d'impliquer l'ensemble de la société. Notre association est particulièrement investie dans la lutte contre les violences de toute nature, principalement faites majoritairement aux femmes et aux enfants.

Pourquoi parler de violences de toute nature ? Parce que les violences forment un continuum, elles peuvent être sexuelles, physiques, psychologiques, mais aussi sexistes. Souvent, les récits des victimes que nous accompagnons montrent que la gradation des violences commence par une non-prise en compte des premiers signes. Lorsqu'une organisation, une entreprise ou un entourage ferme les yeux sur des propos sexistes, ces violences peuvent évoluer en actes délictuels, agressions et crimes. Cette compréhension est essentielle, car elle reflète ce que nous vivons dans les récits des personnes que nous accueillons et accompagnons.

Comme l'a mentionné Anne-Cécile Mailfert, ces comportements sont identiques dans tous les secteurs d'activité. Les mouvements # MeToo sont présents partout, dans tous les secteurs. C'est d'ailleurs l'un des objectifs de l'opération que nous avons montée avec la Fondation des Femmes, que vous avez sûrement vue, cette quadruple page dans Le Monde où nous avons réuni tous les # MeToo de France, notamment # MeToo armée, # MeToo cinéma, # MeToo stand-up, # MeToo hôpitaux, etc. Les violences sont structurelles et omniprésentes dans la société française.

Depuis la création de l'association Femmes avec, nous avons accompagné environ 200 victimes. Cet accompagnement ne se limite pas à l'écoute et au soutien de leur parole. Nous avons rapidement ressenti la nécessité de mettre en place un soutien juridique et psychologique, compte tenu de l'impact considérable de ces violences sur la vie personnelle et professionnelle des victimes. Une des particularités de notre association est de s'entourer d'experts et de proposer une aide financière pouvant atteindre 1 200 euros par victime pour les premiers frais juridiques. En effet, sans avocat à leurs côtés, il est extrêmement difficile pour les victimes de progresser et de faire entendre leur voix de manière claire et construite, surtout face aux nombreux classements sans suite. Nous avons également instauré un accompagnement psychologique, prenant en charge jusqu'à dix séances avec des experts formés aux violences. Nous avons constaté que le retour à une vie plus équilibrée, notamment la réinsertion professionnelle est un défi majeur pour ces personnes. Ainsi, nous souhaitons aujourd'hui mettre en place un accompagnement avec des coachs professionnels pour aider les victimes à retrouver une vie professionnelle plus sereine.

Il est important de préciser que tous ces services sont entièrement gratuits pour les victimes. Nous n'avons aucun soutien de l'État ni des ministères, ce qui complique grandement notre situation, car nous sommes tous bénévoles. Nous avons choisi, peut-être que cela changera après cette commission, de chercher des ressources auprès des entreprises, de plus en plus investies sur ces questions.

Je souhaite également revenir sur ces métiers particuliers de l'image, des médias et de la culture au sens large. Dans ces domaines où le pouvoir, la notoriété et les forces économiques sont prépondérants, j'observe trois dynamiques en jeu. Premièrement, un mode opératoire se met souvent en place qui, sans être freiné par l'entourage, l'organisation ou l'entreprise qui emploie la personne mise en cause ou l'agresseur, crée une martingale, un processus qui permet à l'agresseur de continuer ses actes impunément, car il n'est pas arrêté et ne subit aucune conséquence. À titre d'exemple, je suis moi-même plaignante dans l'affaire Patrick Poivre d'Arvor (PPDA). À l'époque, après ce que les victimes appellent « le coup du plateau », que j'ai moi-même vécu, j'ai informé Patrick Le Lay, alors président de TF1, mais aucune mesure n'a été prise. Cela soulève des questions, car si une stratégie d'alerte et de correction avait été mise en place, peut-être que d'autres victimes n'auraient pas subi des viols.

Deuxièmement, la dissymétrie des relations est un élément très important. Lorsqu'une personne détient le pouvoir d'octroyer un emploi ou de faire ou défaire une carrière, et que, en face, une autre personne est en demande, notamment dans des métiers où la précarité est très forte, cela génère des peurs et des situations inconcevables aujourd'hui. Parler au nom d'une victime est extrêmement difficile, car cela nécessite d'abord de se reconnaître comme telle. Cela demande un long travail d'introspection et d'acceptation du changement de regard des autres. De plus, il y a la crainte absolue de perdre son emploi.

Le silence de l'entourage est également un facteur omniprésent, particulièrement lié au pouvoir économique de ces secteurs. Si Patrick Poivre d'Arvor n'avait pas été l'homme qui avait construit l'économie de TF1, avec ses 7 millions d'auditeurs et les ressources publicitaires colossales qui en découlaient, les choses auraient peut-être été différentes. Il existe une peur économique au sein des structures employant ces agresseurs, mais aussi des relations de solidarité de genre et d'entre-soi. Des stratégies de résistance se mettent en place car les emplois sont difficiles à obtenir et à conserver, notamment dans les médias.

Le déni est également présent. Un grand réalisateur, auditionné il y a quelque temps, a exprimé un déni très fort concernant les violences dans ce milieu, minimisant leur gravité. Pourtant, il est crucial de reconnaître qu'un acte sexiste peut devenir une violence demain. Il est impératif de faire de la pédagogie sur ce sujet et d'embarquer toute la société, y compris les hommes. Ceux-ci occupent majoritairement des postes de pouvoir et ont un rôle important à jouer aux côtés des femmes pour lutter contre les violences. Ils doivent mettre en place des structures, des moyens et une organisation qui ne permettent plus aux femmes de se sentir en danger.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.