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Intervention de Élisabeth Tanner

Réunion du jeudi 6 juin 2024 à 9h30
Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL) :

Je voudrais préciser que j'ai l'impression que nous travaillons chacun de notre côté. Vous mentionnez que des formations seront mises en place avec le SFAAL et le CNC pour tous les agents et assistants. De mon côté, je constate que nous commençons à disposer des outils nécessaires. Il est évident que, pendant certaines périodes, les outils n'étaient pas disponibles, tant pour les victimes que pour ceux qui les accompagnaient. Les victimes ne voulaient pas parler, par peur. Je tiens à partager une expérience personnelle pour illustrer mes propos. J'ai été jeune actrice et j'ai rencontré des problèmes avec des seconds assistants à la Société française de production (SFP). Dans des bureaux exigus, ils me disaient clairement : « Soit tu acceptes, soit tu n'auras pas de contrat. » À l'époque, je n'avais ni agent ni soutien et j'ai subi ces pressions.

Même au cours de théâtre, j'ai vécu des situations similaires. Un jour, en entrant dans le bureau d'un agent, j'ai compris que j'allais être un contre-pouvoir. C'est ce que je défends aujourd'hui. Nous avons été laissés sans outils par une société entière, et nous en sommes collectivement responsables. Lorsque vous parlez de déresponsabilisation, j'assume pleinement mes responsabilités, tout comme les agents. Nous sommes confrontés à des victimes et parfois à des personnes accusées d'agression. Comment gérer cela avec notre intégrité et les outils actuels ? Je fais une distinction entre une parole, un acte, un comportement inapproprié et un viol. Il existe une gradation dans ces comportements, bien que tous soient condamnables. Nous sommes tous d'accord sur ce point.

Cependant, il est un peu plus simple de résoudre un problème de parole que de traiter un cas de viol ou de harcèlement. Il est évident que nous ne sommes pas au même degré de gravité. Lorsque nous abordons ces questions, nous pouvons parfois les traiter seuls, mais nous savons aujourd'hui que l'amnésie post-traumatique existe, ce qui est une connaissance relativement récente. Ainsi, une personne peut affirmer qu'elle ne dira rien, qu'elle va bien, que ce n'est pas grave et que cela passera. Mais non, cela ne passera pas. Nous le constatons. Lorsqu'une actrice refuse de parler ou hésite à s'exprimer, nous restons à ses côtés, observons son comportement et détectons des signes de défense ou de perturbation. Nous revenons alors vers elle pour discuter à nouveau.

Accompagner signifie qu'à un moment donné, il faut passer le relais à un psychologue. Je ne suis pas psychologue et ne le serai jamais. Nous orientons ces personnes vers des professionnels. Si elles n'ont pas les moyens de payer un avocat, nous les rassurons en leur indiquant que des associations prendront en charge ces frais. Nous nous trouvons dans une situation inhabituelle et assumons nos responsabilités. Chaque jour, nous questionnons notre relation avec les talents, notre propre position et les interactions avec l'extérieur. Nous nous demandons si tout se passe bien ou s'il y a des frictions. Certaines femmes que j'ai revues m'ont confié des événements survenus il y a vingt ans. Nous discutons alors de leurs souhaits, veulent-elles en parler, rendre cela public, porter plainte ? Certaines personnes expriment leur perturbation face à cette prise de parole et se questionnent sur leur responsabilité. Elles se demandent si elles doivent apporter leur contribution, ayant souffert de situations similaires. Je les accompagne dans cette réflexion. À un moment donné, quelqu'un peut dire : « Non, en fait, maintenant, je suis vraiment passée à autre chose. Je me suis reconstruite – Est-ce que tu es sûre ? – Ne t'inquiète pas, je consulte un psychologue et je suis suivie. » Nous sommes dans une relation à deux, et il est impossible, même pour moi, de brusquer quelqu'un. J'ai parfois cette angoisse, étant assez directe. Un psychologue m'a conseillé de ne jamais brusquer, mais d'écouter, de suivre le rythme de l'autre et de l'accompagner. Nous effectuons ce travail sans nous déresponsabiliser. Mettez-vous à notre place on nous accuse de nous déresponsabiliser, de régler les choses à notre manière. Ce n'est pas le cas. Je suis d'accord pour suivre certains processus. Je n'ai aucun problème avec cela.

Si le législateur nous permet de réintégrer certaines règles, je serai la personne la plus ravie du monde, et nous serons nombreux à en bénéficier. Cela nous faciliterait la tâche, car nous ne serions plus constamment obligés de batailler. Ce que vous ne réalisez peut-être pas de notre métier, c'est que signer un contrat implique une négociation préalable, notamment sur les conditions de travail. Actuellement, j'ai un problème, les films se réalisaient auparavant en huit ou neuf semaines, alors qu'aujourd'hui, ils se font en six ou sept semaines. Comment cela est-il possible ? Grâce à quatre ou cinq heures supplémentaires par jour. Les acteurs sont épuisés, mais on leur dit que sans cela, nous ne pourrions pas tourner ce que nous souhaitons. Aujourd'hui, il existe des problèmes de violence, et celui-ci en est un. Certains pensent que les acteurs ne font rien. Pourtant, je peux vous assurer que passer plus de douze ou quatorze heures sur un plateau, en répétition, pendant plusieurs semaines, pose un problème de santé. Ils ne sont pas protégés. Même si nos contrats stipulent que la journée commence du point d'accueil technique (PAT) au retour à domicile, rien n'est respecté. Je parle à de nombreux acteurs qui affirment vouloir se mobiliser collectivement, car la situation est devenue intenable. Nous devons constamment appeler les producteurs pour leur dire que trois ou quatre heures supplémentaires chaque jour, ce n'est pas possible. Nous intervenons sans cesse pour le confort des talents, à tous les niveaux, en insistant sur le besoin de loges pour qu'ils puissent se reposer entre deux prises de vues. Aujourd'hui, obtenir des loges est devenu compliqué et coûteux. Nous ne leur demandons pas de nous offrir un espace de premier choix, mais simplement de trouver un endroit isolé, comme précisé dans les contrats, où ils peuvent fermer à clé et laisser leurs affaires en sécurité.

Nos contrats sont aussi détaillés que cela. Aujourd'hui, cela représente une véritable bataille. J'aime ce métier, je le trouve extrêmement enrichissant sur le plan humain, car rien n'est jamais tout à fait pareil, rien n'est totalement dans les clous, c'est complexe et très riche. Cependant, je refuse qu'on me reproche, à l'issue de cette discussion, d'avoir cherché à me décharger de la responsabilité. Depuis le début de cet entretien, je n'ai jamais rejeté la responsabilité sur les autres. Il existe une réalité, nous sommes constamment en lien avec notre talent, dans ses pensées, ses actions, ses réussites et ses échecs, ses problèmes financiers ou personnels. Nous sommes au courant de tout. Nous traversons l'intimité de nos talents, ce qui nous enrichit et nous permet parfois de gérer des situations délicates.

Néanmoins, il arrive un moment où nous sommes mis à distance. Dans le processus de fabrication d'un film, même en tant qu'agent du réalisateur, nous ne sommes pas au centre, car cela serait matériellement impossible. Nous n'avons pas le temps d'être aussi proches de la réalité d'un film. Nous sommes des personnes à qui l'on s'adresse. Nous recevons des informations, parfois excellentes, parfois terribles, et nous les gérons. Aujourd'hui, il est indéniable que nous avons besoin de coordinateurs d'intimité. Je peux en témoigner personnellement, j'ai une actrice très militante, donc bien informée. Lors d'une scène, elle arrive sur le plateau et soudain, l'acteur déclare : « J'en ai assez des scènes toujours pareilles, nous sommes dans le lit. Tu sais quoi ? Je vais te faire un cunnilingus. » Elle lui répond alors « Je n'ai absolument pas envie que tu passes quatre heures entre mes cuisses. Ce n'est pas envisageable. » Cela a provoqué une grande agitation, et je suis intervenue pour que la scène ne se déroule pas ainsi. Pourtant, j'aurais pu ne pas être au courant, mais elle me l'a dit. Et cela a attiré mon attention sur le fait que certaines scènes sont souvent expédiées rapidement, comme les baisers. Certains acteurs et actrices expriment leur ras-le-bol : « Je ne veux plus embrasser quelqu'un à l'écran. » Et je les comprends parfaitement, je trouve cela insupportable. Une actrice m'a dit : « Attention, il faudrait trouver une autre manière de faire, mais il n'y aura pas ces scènes parfois vraiment désagréables à voir. » En effet, dans la vie, cela peut être intéressant, mais à l'écran, ce n'est pas captivant. Mais c'est vrai, aujourd'hui, des acteurs affirment ; « Je n'ai pas envie d'embrasser ma partenaire. »

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