La Fondation des Femmes est la référence en France pour les droits des femmes et la lutte contre les violences dont elles sont victimes. Depuis sa création, il y a huit ans, elle a financé plus de 600 initiatives à hauteur de 10 millions d'euros grâce aux dons reçus. En plus de ce soutien financier, nous offrons un soutien juridique et matériel. Le soutien juridique est assuré par un réseau de plus de 400 avocates et avocats pro bono, qui accompagnent les associations dans leurs problématiques structurelles et leur plaidoyer. Ensemble, nous réfléchissons aux solutions que le secteur féministe peut proposer aux pouvoirs publics.
Par exemple, en 2022, lors de la campagne présidentielle, nous avons rédigé un pacte d'urgence pour l'égalité entre les femmes et les hommes, soutenu par plus de 250 associations. Actuellement, nous travaillons collectivement à une loi intégrale contre les violences sexistes et sexuelles. Le soutien matériel que nous apportons aux associations complète les soutiens financiers et juridiques, grâce aux actions de la Fondation des Femmes sur l'ensemble du territoire et sur tous les sujets. Cela nous permet d'avoir une vision large des problématiques que vivent les femmes en France et de pouvoir en témoigner lors de nos auditions.
Je souhaite aborder quelques points avant de passer aux questions concernant le secteur du cinéma. Ce que je vais vous exposer résulte de travaux menés avec certaines associations que vous avez déjà auditionnées, et je vous en remercie, ainsi qu'avec d'autres associations que vous n'avez pas encore entendues. Je vous recommande vivement de les auditionner, notamment le Collectif féministe contre le viol, qui écoute les femmes, les enfants, et les hommes victimes de violences sexuelles depuis le début des années 1980. Grâce à leur travail et à cette écoute, elles ont réussi à formaliser, comprendre et nous transmettre la stratégie des agresseurs. Je vous invite vraiment à les entendre ici, car leurs témoignages sont passionnants.
Ces secteurs ne sont pas fondamentalement différents de la société. Les violences sexuelles et sexistes existent malheureusement partout. Néanmoins, certains environnements favorisent la commission de ces violences en facilitant la stratégie des agresseurs sur quatre points en particulier.
Premièrement, dans le cinéma, le pouvoir est majoritairement masculin, tant dans la production que dans les instances et la réalisation. Cela entraîne une survalorisation des figures masculines, souvent élevées au rang de génies, presque « surhumains ». On ne peut pas les traiter comme des humains ordinaires, ni penser qu'ils doivent rendre des comptes de la même manière. Cette survalorisation favorise les agresseurs.
Deuxièmement, ces milieux sont marqués par une grande précarité, et la précarité engendre une vulnérabilité face aux agresseurs. Le statut d'intermittent, par exemple, est précaire. Sur un tournage, on négocie déjà son futur emploi et travaille son réseau pour assurer sa carrière. Dénoncer des violences peut avoir des répercussions sur toute une carrière, pas seulement sur l'emploi actuel.
Troisièmement, le caractère artistique de ces milieux joue également un rôle. Le caractère artistique peut justifier des comportements absolument injustifiables ailleurs. À l'instar du sport, où l'on peut affirmer qu'il faut souffrir pour se dépasser et faire émerger des émotions, il est souvent dit qu'il faut savoir se mettre en danger, y compris psychiquement, pour créer des œuvres sublimes. Cependant, ces secteurs reposent avant tout sur des compétences spécifiques, qui peuvent être acquises et développées, et non uniquement sur la souffrance et l'émotion. En tant qu'acteur, on joue un rôle grâce à des compétences apprises dans des écoles spécialisées. Pourtant, le caractère artistique est parfois invoqué pour justifier l'injustifiable. Par exemple, certains metteurs en scène affirment qu'ils doivent donner de véritables gifles à une actrice pour obtenir une réaction authentique à l'écran, ou qu'ils doivent réellement l'agresser pour voir ce qui en ressortira.
Les conditions matérielles des tournages, notamment dans le cinéma, mais aussi lors des tournées artistiques, peuvent également poser problème. À l'étranger, on peut se retrouver dans des lieux où le droit applicable est méconnu, où la langue est différente, et où l'on est isolé de son réseau familial ou amical. La création d'un groupe de travail, où l'on dort, mange et travaille ensemble, renforce cette isolement. On partage les mêmes transports. Qui monte dans la voiture avec le chef ? Qui mange à la même table ? Et tout cela se déroule en vase clos. Ces dynamiques de petits groupes génèrent des phénomènes similaires à ceux observés dans les familles. Comme dans les familles, il est extrêmement difficile de dénoncer les violences sexuelles dans ces contextes resserrés, car l'exclusion coûte cher et les représailles sont fréquentes.
Les spécificités des conditions matérielles des tournages créent un isolement. C'est la première phase de la stratégie de l'agresseur. Ensuite, la précarité et la vulnérabilité permettent à l'agresseur de cibler des victimes. Le caractère artistique légitime également une agression. Par exemple, un agresseur pourrait dire : « Je t'ai agressé pour que tu deviennes une artiste incroyable. » Enfin, le rapport d'autorité humilie et réduit au silence, renforçant la survalorisation des figures masculines. Dans le secteur artistique, et plus particulièrement en cinéma, ces dynamiques existent ailleurs mais sont exacerbées.
Concernant les enfants, cette commission s'intéresse également à eux. Les tournages sont des lieux d'adultes, et les enfants y participent sans que ces lieux soient adaptés. Par exemple, si un enfant est encadré par ses parents, comment réagir si l'un des parents est un agresseur ? Sur un tournage, il est difficile de repérer de telles situations, alors que dans un cadre scolaire, des adultes tiers peuvent identifier ces problèmes. Les tournages ne sont pas nécessairement adaptés pour gérer la violence. Les enfants peuvent être exposés à des scènes qu'ils ne comprennent pas, et il est essentiel de leur expliquer que ces scènes sont fictives. Prend-on toujours le temps de leur expliquer que la dame n'est pas réellement giflée ou frappée ? Ces environnements peuvent être traumatisants pour un enfant, qui pourrait croire que des actes normalement interdits sont ici autorisés ou tolérés. Ce travail de clarification est nécessaire, même si ces scènes ne relèvent pas spécifiquement de la violence sexuelle. Elles créent un contexte où l'enfant est confronté à des situations choquantes et traumatisantes, perçues comme normales par les adultes présents.
La question des scénarios est également primordiale, notamment ceux impliquant des violences sexuelles explicites. Les enfants peuvent être envoyés sur des lieux de tournage où ils sont soit témoins, soit victimes de telles violences. Ces éléments expliquent pourquoi le mouvement # MeToo a eu un impact particulièrement fort dans le milieu du cinéma et artistique. Nous espérons que ces secteurs, en montrant l'exemple, pourront aider la société à progresser. Nous plaidons pour une loi intégrale contre la violence sexuelle et sexiste, non seulement ciblée sur le monde du cinéma, mais applicable à l'ensemble de la société française. Il reste beaucoup à faire pour lutter contre l'impunité.
Nous constatons un manque d'exemples de condamnations pour violences sexuelles et sexistes dans le cinéma, malgré de nombreux témoignages. Cela reflète une tendance générale en France, où les taux de classement sans suite pour les plaintes pour viol étaient de 94 % en 2021. Le classement sans suite signifie qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments pour poursuivre une affaire. Cela implique que des victimes ne pourront jamais se présenter devant les tribunaux, et que des agresseurs ou des potentiels agresseurs ne seront jamais condamnés pour leurs actes. Parallèlement, on observe une augmentation de 164 % des plaintes pour violences sexuelles depuis le mouvement # MeToo. Malheureusement, cette hausse des plaintes s'accompagne d'une augmentation des classements sans suite. Il est donc évident qu'un problème doit être résolu, de plus en plus de personnes cherchent à obtenir justice, mais de moins en moins y parviennent. Cette situation est non seulement injuste pour les victimes, qui n'ont pas l'opportunité de faire valoir ce qu'elles ont vécu devant un tribunal, mais elle constitue également un élément stratégique pour les agresseurs. L'impunité est aujourd'hui un argument de plus en plus utilisé dans les discours antiféministes et dans le cadre du backlash. On entend dire que les femmes exagèrent, car la justice ne condamne pas, et que leurs plaintes sont infondées puisqu'elles sont classées sans suite. Je tiens à alerter fortement sur ce point. Les changements sociétaux que nous espérons doivent également avoir un impact sur le milieu du cinéma et artistique en général.
Pour conclure, il est important de rappeler que de nombreuses mesures ont déjà été prises dans le milieu du cinéma. Nous en discuterons peut-être plus en détail ultérieurement. Dans le milieu du cinéma, à l'instar de la société, on observe souvent des constats pertinents – j'espère que cette commission en formulera également – et plutôt de bonnes recommandations. Cependant, l'effectivité de la mise en place de ces recommandations laisse souvent à désirer. On ne se penche pas suffisamment sur leur mise en œuvre concrète. Par exemple, est-ce que cette mesure est réellement bien appliquée ? Les coordinateurs d'intimité sont-ils bien formés et volontaires ? Sont-ils présents là où il le faut ? On en arrive souvent à la conclusion que, malgré tous les efforts déployés, rien ne fonctionne. Certains affirment que les violences sexuelles sont un état de fait. Or, je pense que ce n'est pas une fatalité.
Nous pouvons réellement progresser et réduire les violences sexistes et sexuelles, mais cela nécessite des moyens financiers adéquats. Actuellement, le budget alloué à la lutte contre les violences sexuelles est dérisoire. Pour la lutte contre les violences faites aux femmes, il s'élève à un peu moins de 13 millions d'euros, ce qui est ridicule. Il est crucial de disposer de moyens financiers suffisants, mais aussi de moyens en termes de suivi et d'évaluation des mesures mises en place. Il ne s'agit pas seulement de faire des incantations, mais d'avoir un impact concret pour réduire ces violences sexistes et sexuelles.