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Intervention de Anne-Cécile Mailfert

Réunion du jeudi 6 juin 2024 à 9h30
Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes :

Je vais répondre à plusieurs questions en même temps. Ce qui m'interroge dans notre approche des violences sexistes et sexuelles, c'est que nous semblons ignorer ou refuser de voir leur ampleur. Les violences sexuelles, en particulier, sont massives dans notre pays. Plus de 95 000 femmes adultes sont victimes de viols ou de tentatives de viols chaque année, sans compter les enfants. C'est un risque majeur pour les femmes et les enfants tout au long de leur vie. Pourtant, nous ne percevons pas ces violences de cette manière. Si nous faisions face à un risque majeur d'incendie, nous ne nous contenterions pas d'établir une charte. Nous investirions, nous engagerions du personnel dédié présent sur chaque site, prêt à intervenir en cas d'incendie, et nous les rémunérerions. Si, malgré toutes les précautions, un incendie survenait, les assurances feraient payer très cher la production qui n'aurait pas pris les mesures nécessaires.

De la même manière, nous devrions considérer les violences sexuelles comme des risques à gérer de manière proactive. Une charte, aussi bien intentionnée soit-elle, ne suffira pas à résoudre le problème. Il n'existe pas de charte magique qui ferait disparaître les violences sexuelles. Même avec une sensibilisation accrue, il est essentiel d'expliquer à tous ce que sont les violences sexuelles et les stratégies des agresseurs pour mieux s'en prémunir. Malheureusement, tant que la culture du viol et le patriarcat ne seront pas éradiqués, il y aura toujours des agresseurs. Ces derniers ne sont pas ignorants. Ils exploitent les failles de notre tolérance et de nos dispositifs. Il ne suffit donc pas de rédiger une charte et de sensibiliser. Les agresseurs doivent comprendre qu'ils ne peuvent plus agir impunément. Ils savent très bien ce qu'ils font ; ce n'est pas une question de malentendu sur le consentement. Ils choisissent délibérément des personnes vulnérables qui ne peuvent pas refuser. Ils ciblent des personnes qui ne peuvent pas refuser ce qui se passe. Pour ces agresseurs, il est impératif de rester constamment vigilants. Malgré les chartes, les formations et la sensibilisation, les violeurs continueront d'agir.

Il doit devenir plus coûteux d'être tolérant que vigilant. Je comprends les préoccupations concernant les coûts liés à la présence systématique de psychologues ou de référents sur les tournages. Oui, cela engendre des coûts. Cependant, si demain, il devient plus coûteux d'être tolérant que vigilant, cela relève d'un rapport de coûts. Il serait pertinent d'examiner également le rôle des assurances. Elles pourraient refuser de rembourser les frais de tournage en l'absence de mesures adéquates ou en cas de violences sexuelles.

Ensuite, la question de sanctionner sans passer par la justice a été évoquée. Personnellement, je ne vois pas de problème avec une justice qui fonctionne correctement. Ce serait bénéfique pour notre pays. Toutefois, si des mesures complémentaires peuvent être prises, rappelons que le droit du travail s'applique sur les tournages. L'employeur a un devoir de sécurité, comme l'a souligné Muriel Réus, non seulement envers les personnes sous contrat, mais aussi envers toutes les autres présentes sur les lieux. L'employeur peut mener des enquêtes et imposer des sanctions. Même si la justice classe l'affaire, cela n'empêche pas l'employeur, dans son devoir de précaution et de protection, d'écarter des individus jugés potentiellement dangereux.

La question de l'intervention de référents extérieurs est essentielle. Par exemple, pour les coordinateurs d'intimité, il est impératif d'évaluer leur efficacité réelle. Hier soir, en discutant avec le Collectif féministe contre le viol (CFCV), j'ai appris que parfois, faute de coordinatrice, on désigne l'habilleuse pour ce rôle sous prétexte qu'elle s'occupe déjà des vêtements. Cela ne peut pas fonctionner ainsi. Une personne non volontaire ou non formée ne peut être assignée à cette tâche, même si elle s'en sort bien. Cela reviendrait à faire semblant de se conformer aux exigences sans véritablement s'assurer du bon déroulement des choses.

Il est également crucial de vérifier que toute personne encadrant des mineurs ait été contrôlée dans le fichier des agresseurs sexuels. Actuellement, ce contrôle n'est pas systématique, même pour des acteurs et actrices majeurs accompagnés de leurs jeunes enfants. Souvent, ces artistes, arrivant dans une nouvelle ville, publient des annonces urgentes sur Facebook pour trouver un baby-sitter. Cette pratique peut mettre en danger les mineurs.

Pour conclure, je souhaite revenir sur les violences et l'émergence du mouvement # MeToo en 2017. À mon avis, # MeToo a émergé dans le milieu du cinéma grâce aux combats féministes menés depuis des années. Ces luttes ont progressivement permis à de plus en plus de femmes d'accéder à des positions de pouvoir et de responsabilité, rendant possible l'expression de leurs témoignages. Les réseaux sociaux ont joué un rôle, mais ils ne sont pas le seul facteur. Dans le cinéma, les actrices disposent d'une certaine visibilité, ce qui leur confère un pouvoir limité mais significatif pour faire entendre leurs voix. Les femmes s'expriment à l'extérieur du cinéma, sur les réseaux sociaux et dans la presse, car elles ont de plus en plus de pouvoir. Il est essentiel de continuer dans cette voie.

Les inégalités entre les femmes et les hommes sont à la fois la cause et la conséquence des violences sexuelles. Ce sont les hommes, majoritairement, qui commettent ces violences en raison de leur position de pouvoir. Le viol est un crime de pouvoir et d'inégalité, ce qui le rend plus facile à commettre pour les hommes et plus difficile à dénoncer pour les femmes. Les victimes de violences sexuelles subissent des carrières brisées, ne progressent pas dans la hiérarchie et ne reçoivent pas la reconnaissance méritée pour leurs talents et compétences. Les inégalités entre les sexes sont intrinsèquement liées aux violences sexuelles, et c'est pourquoi la lutte contre ces violences dérange autant. Certains hommes trouvent pratique d'écraser les femmes par le viol.

Il est impératif de lutter contre les inégalités entre les sexes et l'impunité judiciaire. Dans un système fonctionnel, il est inacceptable que la justice ne s'applique pas aux violences sexuelles. Il ne s'agit pas nécessairement d'incarcérer tous les coupables, mais de reconnaître les faits pour que la justice assure une reconnaissance sociale de ce qui est acceptable ou non. Il est crucial de s'attaquer à cette impunité judiciaire et à la culture du viol, notamment auprès des jeunes générations. Pour prévenir les violences sexuelles à l'avenir, il faut davantage de femmes en position de responsabilité et instaurer la parité partout et tout le temps. Les préconisations vont dans ce sens. On ne peut aborder les violences sexuelles sans évoquer les rapports de pouvoir et, par conséquent, la parité jusqu'au plus haut niveau.

Il est également impératif de discuter de la culture du viol, qui malheureusement se diffuse et se répand. Récemment, nous avons appris que le réseau social Twitter autorise désormais les contenus pornocriminels, de la violence en plus de celle déjà présente dans la pornographie. Cette culture du viol, selon moi, contribue à la fabrication de violeurs qui chercheront à commettre des agressions sexuelles. De notre côté, nous tenterons de contenir ce phénomène, mais il est essentiel d'avoir une réflexion plus générale sur ce qui rend ces hommes, car il s'agit majoritairement d'hommes, violents. Je suis convaincu que ce n'est pas génétique, qu'il n'existe pas de gène du violeur, mais que c'est un phénomène social. Il est donc nécessaire de s'atteler à cette problématique, et cela ne passe pas uniquement par la sensibilisation, bien que celle-ci soit un préalable indispensable.

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