Sur l'évolution du métier d'agent, ce dernier est relativement récent, apparu en France vers 1946, juste après la guerre. Avant cette période, on parlait d'impresario. À partir de 1946-1947, la profession a commencé à se structurer. Pourquoi cette structuration ? À l'époque, il existait un monopole d'État sur le travail et l'emploi. Les agents étaient considérés comme des placiers, dérogeant ainsi à ce monopole. Pour exercer ce métier, il fallait obtenir une licence octroyée par une commission au sein du ministère du travail. Cette commission, composée de membres des ministères de l'intérieur, du travail, de la culture, décidait de l'attribution de la licence. Les candidats étaient interrogés sur plusieurs points. Premièrement, la moralité il fallait fournir un extrait de casier judiciaire. Ensuite, il fallait attester de connaissances techniques, par exemple sur la convention collective du cinéma ou du théâtre, pour vérifier la capacité à passer des contrats de manière opportune et correcte. Une fois la licence accordée, l'agent pouvait travailler avec divers talents, auteurs, acteurs, scénaristes, etc. Le taux de commission était régulé à 10 %. Le lien entre l'agent et le talent reposait sur un mandat de droit civil, détaillant les fonctions de l'agent et les obligations du talent.
Cette régulation a perduré jusqu'à l'arrivée de la directive Bolkestein, qui a entraîné une dérégulation totale. Nous nous sommes alors retrouvés en confrontation avec la profession d'avocat, qui pouvait également représenter des talents dans le cadre de leurs fonctions. Nous avons ainsi perdu toute régulation. J'ai attiré l'attention à plusieurs reprises sur le fait que, lorsqu'il y avait des agents s'occupant d'enfants, je trouvais incroyable que nul ne fasse le lien entre une personne ayant peut-être des antécédents de pédophilie à l'autre bout de la France et sa représentation d'enfants à Paris.
En France, il y a 96 agences et 175 agents. Notre syndicat regroupe environ 63 agences et 127 agents, auxquels s'ajoute l'Alliance des agents littéraires français, qui nous a rejoints pour renforcer notre position et notre connexion sur divers sujets. Beaucoup d'agents représentent également des auteurs, ce qui crée un lien naturel avec le monde de l'édition. En termes de chiffre d'affaires, nous représentons environ 85 à 90 % du marché. Notre syndicat, en place depuis plusieurs années, dispose d'un bureau et d'un fonctionnement normalisé, répondant aux demandes et problématiques des agents.
Ces demandes sont variées. Les jeunes agents, par exemple, sollicitent des conseils sur leur installation, des conseils juridiques sur la forme de leur exercice professionnel, le type de contrats à passer, ou encore sur la formation nécessaire pour établir des contrats en bonne et due forme. Le domaine juridique s'étant considérablement complexifié ces dernières années, notre rôle est d'autant plus crucial. Nous intervenons également sur des dysfonctionnements signalés par les agents. Bien que nous ne soyons pas obligés de le faire, nous prenons parfois des renseignements sur les agents souhaitant nous rejoindre. Il nous arrive fréquemment de refuser des candidatures, soit parce que l'agent n'a pas encore commencé son activité et ne peut donc être recommandé, soit parce que nous avons connaissance de dysfonctionnements chez cet agent.
Je souhaite maintenant aborder plus spécifiquement le métier d'agent. Comme tous les métiers, il comporte ses particularités. J'ai inspiré un des personnages de la série Dix pour cent, bien que de manière très romancée. Cette série a eu le mérite de montrer certains aspects de notre profession, même si elle reste quelque peu fantasque. Pour la série, ont été intégrés des éléments de dramaturgie afin de l'enrichir. Cependant, un aspect fondamental qui émerge est le lien entre le talent et son agent. Ce lien est extrêmement fort et personnel, véritablement un lien d'homme à homme, de femme à homme, ou toute autre configuration. Ce lien constitue l'essence même de notre travail. Lorsque ce lien dysfonctionne, le talent se retire. Ce dysfonctionnement n'est pas nécessairement lié à des violences sexuelles ou autres, mais peut simplement survenir lorsque le talent ne se sent plus protégé, que ce soit sur le plan professionnel ou personnel. Si le talent estime que vous n'êtes pas suffisamment efficace ou que sa carrière n'avance pas, il peut vous quitter du jour au lendemain. Cette liberté de quitter l'agent est essentielle. De plus, la relation personnelle varie en fonction de la durée de la représentation. Une confiance se construit au fil du temps. En tant qu'agent, nous sommes souvent les premiers récipiendaires des confidences de nos talents. Fort de mes quarante-quatre ans d'expérience dans ce métier, je peux témoigner de l'impact significatif de la parole de Judith Godrèche. Son intervention a été considérable et nous en sommes tous très heureux. J'ai soutenu Judith Godrèche sans hésitation ni réserve.
À titre personnel, j'ai reçu des témoignages avant. Face à des agents, les personnes expriment une peur légitime : « Je ne veux pas qu'on en parle, je ne veux pas que ça se sache. » Nous devons en tirer les conséquences pour la personne incriminée, mais il est essentiel de comprendre que cette peur est omniprésente. Certains agents craignent d'être « grillés » et de ne plus pouvoir travailler. Pourquoi est-ce important ? Parce que, parfois, on pointe du doigt les agents, mais il est crucial de reconnaître notre responsabilité collective. Hier, aujourd'hui et probablement demain, le problème majeur réside dans le pouvoir. Ceux qui détiennent beaucoup de pouvoir se protègent efficacement, tandis que ceux qui en ont peu sont moins bien protégés. Ce problème de pouvoir se répercute dans tous les domaines, que ce soit dans les syndicats de la cuisine ou ailleurs. Nous sommes constamment dans une dynamique où le pouvoir est un enjeu à tous les niveaux. Nous évoluons dans une structure pyramidale. Si le metteur en scène est très puissant, certains n'abusent pas de leur pouvoir, tandis que d'autres en abusent. Il est important de noter que notre activité est souvent entourée de fantasmes concernant notre surpuissance. Cependant, je tiens à souligner que nous sommes confrontés à un problème qui touche l'ensemble de la société. C'est une responsabilité collective que nous devons tous assumer. Heureusement, depuis quelque temps, nous disposons d'outils qui nous permettent de mieux répondre à ces problématiques.