La séance est ouverte à neuf heures.
La commission entend M. Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor, et M. Mathieu Marceau, chef du bureau de la trésorerie.
Notre commission vise à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis l'élection présidentielle de 2017 et ses conséquences sur le pouvoir d'achat des Français. Les premières auditions ont pour objet de poser les termes du débat. La semaine dernière, nous avons entendu le président de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et des économistes. Ce matin, nous avons le plaisir d'accueillir M. Antoine Deruennes, directeur général de l'Agence France Trésor (AFT) et M. Mathieu Marceau, chef du bureau de la trésorerie. Nous vous remercions, messieurs, de vous être rendus disponibles.
Je vais vous donner la parole pour une courte intervention liminaire. Le questionnaire que nous vous avons transmis est très riche, il n'est pas nécessaire d'y répondre exhaustivement. Je poserai ensuite quelques questions, puis je donnerai la parole au rapporteur et aux députés.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
M. Antoine Deruennes et M. Mathieu Marceau prêtent successivement serment.
L'Agence France Trésor remplit deux principales missions, que lui a confiées le Parlement. Elle émet la dette de l'État et gère sa trésorerie, en assurant les meilleures conditions de sécurité possible et le meilleur taux pour le contribuable. Notre rôle consiste à permettre à l'État d'honorer, à chaque instant, ses engagements financiers.
Chaque année, le montant des émissions à réaliser dans le cours de l'année suivante est annoncé fin septembre, en même temps que paraît le projet de loi de finances (PLF), qui détermine les besoins et les ressources de trésorerie de l'État. Ainsi, l'article d'équilibre de la loi de finances définit le montant de dette à émettre à moyen et à long terme.
Schématiquement, il faut chaque année refinancer la dette qui arrive à échéance et financer le nouveau déficit, c'est-à-dire l'écart entre le montant des dépenses de l'État et celui de ses recettes. En émettant la dette nécessaire pour compléter les besoins de financement, nous assurons l'équilibre défini en loi de finances. En 2024, le montant à émettre s'établit à 285 milliards d'euros.
La mission de l'AFT consiste essentiellement à mettre en œuvre le programme de financement. En décembre, elle présente donc un programme indicatif qui détaille comment elle lèvera les montants nécessaires sur les marchés financiers au cours de l'année suivante. Il expose en particulier les nouveaux titres à moyen et à long terme et leurs caractéristiques. Il peut s'agir d'obligations à taux fixe, indexées sur l'inflation ou vertes. Nous précisons leur échéance et leur maturité, qui peut aller de trois mois à cinquante ans.
Trois grands principes guident l'exécution du programme : la prévisibilité, la régularité et la flexibilité. Nous émettons les titres en suivant un calendrier régulier, que les investisseurs connaissent à l'avance – c'est la prévisibilité. Tous les lundis, nous émettons des BTF, des bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté, dont l'échéance est inférieure à un an ; tous les premiers et troisièmes jeudis du mois, nous émettons des obligations à moyen et à long terme – c'est la régularité. Nous faisons également preuve de flexibilité : avant chaque adjudication, nous déterminons sa taille, en fonction de la demande des investisseurs, telle que la rapportent les spécialistes en valeurs du Trésor (SVT). En émettant au plus proche de la demande, nous finançons la dette au meilleur coût pour le contribuable.
Nous sommes en mai, soit environ à la moitié de l'année 2024, et nous avons déjà émis un peu plus de 50 % des 285 milliards d'euros prévus pour l'ensemble de l'année. Le programme, cohérent avec ceux des années précédentes, se déroule comme cela avait été annoncé en décembre. Nous avons en particulier émis trois nouvelles obligations par syndication : en janvier, un nouveau titre vert à vingt-cinq ans, qui est la quatrième obligation assimilable du Trésor (OAT) verte de l'État français ; en février, un nouveau titre à trente ans ; la semaine dernière, un nouveau titre indexé sur l'inflation.
On voit que l'AFT s'adresse à des investisseurs divers. Elle a été pionnière dans l'émission d'obligations vertes et reste le premier émetteur mondial souverain en la matière. Ces titres rencontrent toujours une très bonne demande, car les épargnants veulent des produits verts. Pour l'émission par syndication des obligations à trente ans, nous avons, comme les autres pays européens, bénéficié, dans la première partie de l'année, d'une forte demande d'obligations à long terme – trente ans au moins. Nous avons ainsi pu émettre près de 8 milliards d'euros. Enfin, les obligations indexées répondent aux besoins des investisseurs qui commercialisent des produits protégeant l'épargnant de l'inflation, comme les livrets réglementés – livret A, livret de développement durable et solidaire (LDDS) –, dont le rendement est partiellement indexé sur l'inflation.
À ce stade, les émissions à court terme ont été émises en moyenne à 3,70 %, les titres à moyen et à long terme à 2,86 %.
À combien s'élevait la dette en 2017 ? Qu'en est-il aujourd'hui ? À combien se montent les intérêts payés par la France depuis 2017 ? Quelle était alors la charge budgétaire afférente, et quelle est-elle en 2024 ?
Je n'ai pas ces chiffres ici ; je pourrai vous les envoyer par écrit. La charge budgétaire de la dette se montait à 41 milliards d'euros en 2017 et à 51 milliards en 2023.
La Cades emprunte en partie en dollars. Ce n'est pas la politique de l'Agence. Pourriez-vous nous expliquer cette différence ?
Plusieurs émetteurs publics coexistent ; nous les coordonnons – cela fait partie des missions de l'AFT. Chacun est en quelque sorte spécialisé. L'État se finance sur le marché de l'euro : nous n'avons pas besoin d'émettre en dollars. La Cades le fait pour diversifier la base des investisseurs. Il faut préciser que ses émissions sont intégralement transformées en euros le jour même de l'opération, de sorte qu'elles ne comportent pas de risque de change.
Je suppose que quelqu'un assume le risque à un moment donné, sans quoi elles ne seraient pas transformées en euros. Sur le flux, 40 % environ des émissions sont en dollars, même si la proportion est très inférieure dans le stock. Comment le risque est-il couvert ?
Nous passons des contrats à terme, qu'on appelle des swaps, afin de changer les flux en dollars en flux en euros. Sont prévus dans ce cadre des appels de marge quotidiens, pour ajuster les garanties aux valeurs des contrats qui offrent ainsi une protection : si l'une des contreparties n'est pas en mesure de procéder aux transferts auxquels elle s'est engagée, nous pouvons retourner immédiatement sur les marchés pour conclure un nouveau contrat équivalent.
La Cades nous a expliqué qu'elle agissait ainsi pour élargir le panel des investisseurs. Pourquoi n'éprouvez-vous pas le même besoin ?
La situation de la Cades n'est pas celle de l'État. Nous émettons beaucoup plus régulièrement qu'elle : ses programmes de financement peuvent varier fortement d'une année sur l'autre. Elle peut en effet être chargée de reprendre des dettes, donc devoir émettre des montants importants, ce qui nécessite de faire appel à une base d'investisseurs très diversifiée et de recourir à des produits différents de ceux de l'État.
Nous avons discuté entre nous de la pertinence des taux variables. Vous avez souligné la nécessité de protéger certains investisseurs de l'inflation. Pouvez-vous évaluer ce que le choix du taux variable a coûté, ou rapporté, au cours des dernières années ?
Plusieurs raisons justifient l'émission d'obligations indexées sur l'inflation. D'abord, celles-ci répondent à une demande spécifique : les investisseurs ont besoin de se protéger de l'inflation, en particulier en France où il existe des produits d'épargne comme le livret A, le LLDS et le livret d'épargne populaire (LEP), dont la rémunération dépend de l'inflation. Ensuite, ces produits nous permettent de diversifier les investisseurs, en intéressant ceux qui n'achèteraient pas des obligations à taux fixe. En répartissant l'incidence de l'inflation sur différents types de produits, nous réduisons le coût global pour le contribuable.
L'inflation provoque une hausse des taux d'intérêt, pour les obligations nominales comme pour les obligations indexées. Pour les secondes, une provision est inscrite dans le budget de l'État ; il s'agit d'une provision, non de l'argent dépensé, qui sera payé à l'échéance des titres. Elle n'est constituée que les années qui connaissent de l'inflation. Les premières subissent également l'effet de l'inflation. Actuellement, nous nous finançons à un taux moyen d'environ 3 % ; il y a deux ou trois ans, sans inflation, c'était 0 %. Il faut donc éviter d'affirmer sommairement que l'inflation n'a d'effet que sur les obligations indexées.
Oui, parce que les taux réels étaient négatifs : nous émettions des obligations nominales à taux négatif, mais les taux réels étaient encore inférieurs.
Faisons une hypothèse théorique. Si, pendant une année donnée, par exemple 2022 ou 2023, vous aviez emprunté uniquement à taux fixe, quelle aurait été la différence de coût avec l'emprunt effectivement réalisé ?
On ne peut pas faire la comparaison sur une année donnée ; il faut raisonner sur longue période. Nous avons effectué l'exercice dans le rapport d'activité 2022, publié en 2023. Si l'on prend en compte uniquement les charges d'intérêt, on constate un gain jusqu'en 2022, puis une perte en 2023 et 2024. Cependant, il faut garder à l'esprit le caractère théorique d'une telle simulation. D'abord, si nous n'avions pas émis d'obligations indexées, nous aurions dû émettre davantage d'obligations nominales, donc augmenter l'offre, donc hausser le coût global de cette catégorie. Autrement dit, nous n'aurions pas bénéficié des avantages liés à la diversification des investisseurs. Ensuite, lorsque l'inflation augmente, les recettes fiscales sont plus élevées, et inversement. Émettre des obligations indexées réduit donc la volatilité du solde budgétaire – ce dernier est alors moins sensible aux fluctuations de l'inflation. Pour établir des modèles de calcul de la part optimale d'obligations indexées, on simule un très grand nombre de scénarios macroéconomiques, donc de variations des taux d'intérêt ; la proportion optimale s'établit entre 10 et 20 %, avec une moyenne de 17 %. Nous en émettons environ 10 %, donc dans le bas de la fourchette.
Je ne peux pas faire ce calcul immédiatement. Les taux auxquels nous nous refinançons dépendent de la situation française, et de nombreux autres paramètres, comme les politiques monétaires des pays européens et du reste du monde. Il est donc difficile de mesurer l'effet de chacun. J'ajoute que l'événement majeur de ces dernières années est l'inflation. Sa forte augmentation a entraîné une politique monétaire plus restrictive, donc une augmentation des taux d'intérêt.
Je comprends que vous ne puissiez effectuer ce calcul dans l'immédiat, mais il doit être possible de déterminer la conséquence macroéconomique de l'augmentation des taux depuis 2020.
Tout à fait. Chaque année, dans la documentation annexée au projet de loi de finances, nous publions une variante relative aux taux. Supposons un choc de 100 points de base. Cela signifie que tous les taux augmentent de 1 point : un taux de 2 % passera à 3 %. La première année, le coût sera de 2,6 milliards d'euros, de 6,6 milliards la deuxième, de 10,3 milliards la troisième ; de 32,6 milliards au bout de dix ans. L'effet est progressif parce que nous refinançons progressivement la dette. Sa maturité moyenne s'établit à huit ans et demi : l'intégralité du stock n'est donc pas renouvelée chaque année ; le taux d'intérêt n'augmente que pour les nouvelles émissions.
Les simulations de cet ordre ne prennent pas en compte pas la cause de la hausse des taux. Si celle-ci suit une augmentation de la croissance, c'est-à-dire que l'économie et l'inflation sont plus fortes, elle s'accompagne d'une hausse des recettes. Lorsque les taux baissent parce que la croissance et l'activité diminuent, la charge de la dette est moindre, mais les recettes fiscales aussi. Les chiffres que je viens de citer ne concernent que les dépenses d'intérêt.
Nous avons débattu sur les détenteurs de la dette. On sait qui l'achète, mais la question se pose de savoir qui, in fine, la détient. C'est fondamental : nous ne voudrions pas que la dette soit détenue par des pays qui l'utiliseraient pour faire pression sur nos choix politiques. Avez-vous des informations relatives à l'identité de ceux qui détiennent la dette française ?
Vous me demandez qui détient la dette française. Il faudrait plutôt demander qui prête à la France. Nous parlons d'un titre qui matérialise le fait qu'un investisseur a prêté de l'argent à la France.
La Banque de France et le Fonds monétaire international (FMI) nous fournissent des statistiques sur les détenteurs. Un quart de la dette de la France est détenu par la Banque centrale européenne (BCE), dans le cadre de sa politique monétaire ; un quart l'est par des investisseurs français ; un quart par des investisseurs du reste de la zone euro – on peut discuter de savoir s'ils sont domestiques ou étrangers ; un quart par des investisseurs du reste du monde, y compris d'autres pays européens, comme le Royaume-Uni et la Suisse.
Un titre de dette n'est pas une action ; aucune assemblée d'actionnaires ne décide de la politique de la France – c'est la prérogative des élus, non celle des créanciers.
J'ai cité les informations statistiques dont nous disposons. Il faut ajouter que les titres de dette s'échangent chaque jour. La Banque de France, par exemple, ne pourrait pas vous dire qui détient, tel jour, les billets qu'elle a émis : ils changent de main à chaque instant. De la même manière, nous ne savons pas qui détient les titres de dette. En revanche, nous connaissons les principales caractéristiques de nos investisseurs.
N'avez-vous aucun moyen, par exemple grâce aux SVT, de savoir si certaines souches sont détenues par d'autres pays, comme la Chine, qui ne seraient pas tous amicaux ? Vous dites que la politique de la France se décide en France. Certes, mais dans ses mémoires, Alain Peyrefitte, porte-parole du gouvernement sous de Gaulle, raconte qu'après l'avoir envoyé à Washington solder la dette d'après-guerre – dont le nom est abusif –, le général s'est réjoui que la France soit à nouveau souveraine. Il existe une relation évidente entre l'endettement et la souveraineté. Ma question n'est donc pas innocente : qui peut faire pression sur nous en rachetant de la dette ?
Lorsqu'on parle d'investisseurs étrangers, on ne désigne pas les pays eux-mêmes, mais des personnes qui y résident. Quand un épargnant allemand place son argent dans une assurance vie d'un assureur allemand, on enregistre une détention allemande, mais ce n'est pas le gouvernement allemand qui détient la dette. De la même manière, tous ceux qui possèdent un livret A, un LDDS ou un LEP détiennent, indirectement, des OAT. J'ai parlé de 25 % de détention domestique, or l'État français ne détient pas sa propre dette. Nous parlons d'investisseurs, qui placent les fonds de leurs épargnants.
Nous nous comprenons entre les lignes. Le propriétaire allemand est européen, francophile, europhile – on peut l'espérer. Est-ce le cas de tous les propriétaires de dette, notamment de ceux qui sont en dehors de la zone euro ?
Pour des raisons techniques, vous ne pouvez pas dire si de la dette française se promène dans des fonds sous contrôle politique d'États qui pourraient ne pas nous être favorables.
Les investisseurs ont intérêt à trouver pour leur argent un placement rentable. Leur choix est d'abord guidé par le rendement. Ils doivent rendre des comptes à leurs épargnants, leur déclarer où ils ont investi et les risques qu'ils ont pris. Ils ont intérêt à diversifier les placements. De la même manière, pour se protéger au mieux, l'émetteur a intérêt à disposer d'une base diversifiée d'investisseurs, pour ne pas dépendre d'une seule catégorie, qu'elle soit domestique ou internationale.
S'agissant de l'émission de la dette, on m'a confié deux missions : garantir au contribuable le meilleur coût et émettre dans les meilleures conditions de sécurité. Suivant le principe de l'offre et de la demande, plus il y a d'investisseurs qui achètent de la dette, moins elle coûte cher, car on peut aller chercher le meilleur prix. Par ailleurs, une base diversifiée diminue le risque, en évitant de dépendre d'un seul type d'investisseurs, qu'il soit géographique ou catégoriel – banques centrales, trésoreries de banque, assureurs, fonds de pension, livrets. En effet, un choc peut survenir sur une catégorie, qui achètera moins de dette – parce que sa collecte a diminué, par exemple, ou parce que les conditions réglementaires de son pays ont changé et font évoluer son portefeuille d'investissement.
Comme je l'ai dit, un titre de dette n'est pas une action.
Observe-t-on, ces dernières années, une évolution de la nature, de la durée et de la maturité des émissions françaises ? Si oui, dans quel sens ?
Les durées se sont plutôt allongées.
Depuis 2017, la maturité moyenne des émissions est comprise entre onze et douze ans. Celle des nouvelles émissions est évidemment supérieure à celle du stock de dette, puisque la durée de vie restante de l'emprunt décroît à mesure que la dette vieillit. Ainsi, la maturité moyenne du stock est de 8,5 ans tandis que la maturité moyenne à l'émission s'établit, à ce stade, à 11,7 ans pour l'année 2024.
Elle s'est plutôt allongée, comme je l'ai dit. La maturité à l'émission était de 11,8 ans en 2017 et elle a été très stable depuis.
Elle est de 11,7 ans, à ce stade, pour l'année 2024.
J'ai lu une étude sur la capacité de l'euro à être utilisé comme monnaie d'échange dans le commerce mondial. Si 43 % ou 44 % des transactions internationales se font en dollar, le poids de l'euro est estimé à 22 %, tous échanges confondus. Cependant, la Banque centrale européenne précise qu'en tenant compte des seules transactions effectuées en dehors de la zone euro, ce taux est bien plus bas, de l'ordre de 9 %. Ainsi, l'euro est essentiellement utilisé dans les échanges intracommunautaires et joue assez peu le rôle de réserve mondiale. Cette faiblesse relative a-t-elle des effets sur la capacité de notre pays à lever de la dette ?
Je ne dispose pas de données relatives à l'utilisation des différentes devises dans les échanges de biens et de services. Du reste, je ne suis pas spécialiste de ce sujet. En revanche, je peux vous dire que le dollar est, pour les banques centrales, la principale devise de réserve de change ; il n'empêche que l'euro est aussi une grande devise de réserve, au même titre que le yen, le franc suisse et la livre sterling.
Merci. Vous nous enverrez donc les chiffres que je vous ai demandés tout à l'heure, s'agissant notamment de la somme des intérêts payés depuis 2017.
Je salue l'ensemble des agents de l'AFT, dont le travail est unanimement reconnu sur la place.
Quels sont, à vos yeux, les déterminants de l'évolution des écarts de taux entre grands pays émetteurs, les spreads, depuis 2017 ? La parole politique a-t-elle une influence ? En d'autres termes, l'expression d'un doute sur la crédibilité de la politique économique et budgétaire de la France peut-elle « désinciter » les marchés à nous prêter à bon taux ?
Quelles sont vos relations avec les autres émetteurs de dette ? Faire de l'AFT l'émetteur unique de dette publique française serait-il un progrès en ce que cela permettrait de réduire les coûts d'endettement ? Vous semble-t-il possible d'isoler la dette sanitaire des comptes sociaux comme nous l'avons fait pour la dette sanitaire de l'État ?
Votre agence gère également certaines dettes qui ne sont pas retracées dans le programme 117. Je pense notamment à la dette de la SNCF, reprise à hauteur de 35 milliards d'euros, dont 27 milliards restant à amortir. Quelles en sont les caractéristiques ?
Vous avez mentionné différentes méthodes d'émission, en particulier l'adjudication et la syndication. Ont-elles évolué au cours des dernières années ? Pour quelles raisons une méthode est-elle privilégiée plutôt qu'une autre ?
Constatez-vous une divergence entre les taux d'intérêt actuels et ceux qui figurent dans le programme de stabilité ? Faudrait-il augmenter la charge budgétaire par rapport à ce qui est prévu ?
Vous avez évoqué la nécessité de refinancer des dettes qui arrivent à échéance chaque année. Pourriez-vous isoler, dans votre programme d'émissions depuis 2017, ce qui relève du refinancement de dettes arrivées à maturité durant ce quinquennat et le précédent, afin de différencier ces émissions des nouvelles ?
Vous avez souligné le besoin de recourir aux OAT indexées pour protéger les épargnants du risque inflationniste. Est-ce aussi une façon de protéger les épargnants nationaux, qui détiennent un quart de ces obligations ?
Enfin, M. le président se demandait, au fond, si l'on pouvait repousser un investisseur sur la base de critères politiques ou géographiques. Savez-vous si d'autres grands pays agissent de la sorte ?
Les investisseurs examinent un grand nombre de caractéristiques : les finances publiques du pays considéré, ses perspectives de croissance, ses réformes structurelles, la solidité de ses institutions et de son système financier, la qualité technique de la dette émise… Ils prennent aussi leurs décisions en fonction de leurs besoins. Ces caractéristiques ou la façon dont elles sont perçues par les investisseurs peuvent changer : les spreads peuvent donc évoluer à tout moment, en fonction des nouvelles informations disponibles.
Sur le temps long, notre spread avec l'Allemagne est resté relativement stable depuis le début de l'année, à environ 50 points de base, ce qui n'a pas empêché certains à-coups liés à des informations nouvelles et aux anticipations des investisseurs. D'autres pays, notamment ceux que l'on a qualifiés de périphériques comme l'Italie et l'Espagne, ont vu leur spread diminuer pendant la même période.
Il existe une coordination avec les autres émetteurs, qu'ils soient publics – je parle de ceux qui engagent la signature française – ou européens, dans le cadre du sous-comité « Marchés européens des dettes souveraines » (ESDM), une instance dépendant du Comité économique et financier. Nous échangeons donc régulièrement avec les autres émetteurs publics, que nous rencontrons une fois par an.
Faut-il créer un émetteur unique ? Il y a en réalité deux questions qui se posent.
Il faut d'abord souligner que nous avons affaire à des entités différentes, et qu'il est donc normal que chacune ait sa propre dette. Le budget de la sécurité sociale est distinct de celui de l'État : ses dépenses et ses recettes sont différentes, sa dette doit l'être aussi. De même, les collectivités locales ont leur propre budget et leur propre endettement.
Ces dettes pourraient-elles être gérées de manière centralisée ? Il est vrai que l'expérience de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) est très positive. L'AFT émet, au nom et pour le compte de la Cades – un établissement public doté d'un conseil d'administration, d'un comité de surveillance et de son propre programme d'émissions –, de la dette sur les marchés financiers. La décision de procéder ainsi a été prise dans un contexte particulier, puisque la Cades a une fin de vie programmée et qu'un tel rapprochement opérationnel permet d'assurer une certaine visibilité à ses agents.
Nous avons recours à plusieurs modes d'émission.
La principale méthode utilisée par la France comme par la plupart des souverains est l'adjudication. Il s'agit là d'enchères, dont le calendrier est défini à la fin de l'année précédente : elles ont lieu tous les lundis à quatorze heures cinquante pour les BTF, tous les premiers jeudis du mois pour les OAT de long terme et tous les troisièmes jeudis du mois pour les OAT indexées et de moyen terme. Nous mettons les différents SVT en concurrence et retenons les offres les plus intéressantes pour le contribuable.
La syndication, plus marginale, est souvent utilisée par les émetteurs ayant un programme plus petit et ne pouvant pas organiser d'enchères régulières. L'AFT y recourt aussi pour émettre pour la première fois des titres particuliers – des OAT de longue durée, des nouvelles obligations vertes ou des nouvelles obligations indexées de longue période, par exemple. Le calendrier n'est pas défini à l'avance : nous attendons les meilleures conditions de marché pour émettre cette dette.
Nous avons actualisé les prévisions de taux d'intérêt entre la loi de finances et le programme de stabilité. En réalité, nous ne faisons pas de prévisions en tant que telles, mais plutôt des hypothèses de taux d'intérêt, parce qu'il faut bien inscrire un chiffre dans la case des charges d'intérêt. Puisque les taux ont légèrement diminué par rapport à l'hypothèse retenue dans la loi de finances initiale – le pic de taux à dix ans a été observé en octobre ou novembre de l'année dernière –, nous avons révisé nos chiffres à la baisse, sur la base d'un taux attendu en fin d'année de 3,20 % pour l'OAT à dix ans.
S'agissant du refinancement des dettes à l'échéance, le calcul est assez simple, même si je ne peux vous le faire sur table. Chaque année, à l'article d'équilibre de la loi de finances, les besoins de financement incluent le montant des dettes arrivant à échéance : il suffit donc d'additionner ces montants dans les plans de financement successifs pour obtenir le chiffre que vous demandez.
Lorsque nous émettons des obligations indexées, nous répondons effectivement à un besoin de protection contre l'inflation. Des épargnants et des investisseurs sont prêts à payer une prime pour être protégés de ce phénomène. L'État, dont les recettes sont indexées sur l'inflation, est plus neutre à ce risque que ne le sont les agents économiques. Ces obligations sont aujourd'hui les plus domestiques de nos titres de dette, essentiellement parce que l'existence de livrets d'épargne réglementée induit une demande structurelle de protection contre l'inflation. Ainsi, au deuxième trimestre 2023, 78 % des OAT indexées sur l'inflation française et 61 % des obligations indexées sur l'inflation européenne étaient détenues par des investisseurs français.
Nous ne discriminons pas les investisseurs en fonction de leur nationalité. Je ne pense pas que d'autres pays le fassent puisqu'ils ont, comme nous, la mission d'émettre de la dette au meilleur coût pour le contribuable. L'existence d'investisseurs étrangers est d'ailleurs une bonne nouvelle, puisque ce sont des épargnants qui ont confiance en la signature de la France, en la capacité de la France à rembourser ses emprunts. Le fait que nous attirions des investisseurs très différents est sans conteste un signe positif et un atout pour l'émetteur que nous sommes.
Si, demain, un investisseur chinois ou russe solide se montre intéressé par notre dette, il ne sera donc pas écarté par principe ?
Vous avez cité deux nationalités qui se trouvent dans des situations différentes. Le gel actuel des actifs russes ne permet pas à la Russie d'acheter de la dette française, ni à un SVT de conclure des transactions avec ce pays. Mais nous parlons ici d'un sujet qui sort de mon domaine de compétence. Mes interlocuteurs sont les SVT, qui achètent la dette au meilleur prix et la revendent ensuite sur le marché secondaire : à eux de se conformer à la loi qui interdit d'échanger avec des investisseurs de certaines nationalités.
Effectivement, l'exemple russe est conjoncturellement très mauvais. Cependant, je comprends de vos explications que si la Chine souhaite acheter notre dette, la question ne se pose pas à votre niveau, mais à un autre. Votre préoccupation est financière : vous êtes chargé de l'efficacité et de la sécurité de nos émissions. Quelqu'un s'interroge-t-il sur la pertinence politique de vendre de la dette à certains investisseurs étrangers ? Si oui, à quel niveau ?
Je vous l'ai dit : nous n'opérons aucune discrimination fondée sur la nationalité des investisseurs, dans le respect des lois applicables.
Vous l'avez dit très clairement : ce n'est pas l'Allemagne qui détient une partie de la dette française, mais des Allemands, à travers des assurances vie ; ce n'est pas non plus l'Amérique, mais des retraités, par le biais de fonds de pension américains. Notre dette n'est pas vendue à des États, ce qui écarte le risque d'ingérence.
Vous perdez très rapidement toute visibilité sur l'identité des détenteurs de la dette. Pourtant, à ma connaissance, la Banque de France réalise assez régulièrement un sondage ou une étude à ce sujet. Pourriez-vous préciser la fréquence de ces enquêtes et nous en communiquer les résultats ? Peut-on vraiment garantir qu'aucun fonds souverain appartenant à un État ne détient une part, aussi infime soit-elle, de la dette française ?
Les taux auxquels nous prêtons dépendent à la fois des taux directeurs et du jugement que se font les investisseurs de notre capacité à rembourser la dette. La politique conjoncturelle influence-t-elle également ces taux ? Autrement dit, les investisseurs fondent-ils aussi leur jugement sur l'unité politique d'un pays, sur sa capacité à prendre des décisions et sur les déclarations des uns et des autres, y compris au sein des oppositions ? De telles déclarations peuvent-elles avoir un impact, même marginal, sur le spread ?
Les sondages réalisés par la Banque de France et le Fonds monétaire international (FMI) nous permettent effectivement de connaître le profil de ceux qui investissent dans la dette française. Certains fonds souverains placent l'épargne collective de leur pays. Permettez-moi de souligner qu'il existe des fonds souverains dans bon nombre de pays du monde – la Norvège, par exemple, dispose d'un fonds de ce genre pour placer ses excédents.
Les taux d'intérêt dépendent évidemment avant tout des taux directeurs. Cependant, ils dépendent aussi de nombreux paramètres que j'ai énumérés tout à l'heure : la situation des finances publiques, les perspectives de croissance, les réformes structurelles, la solidité institutionnelle du pays, la politique d'émission… Beaucoup d'événements peuvent jouer sur les taux. Les investisseurs tiennent notamment compte de la capacité d'un pays à mettre en œuvre des réformes et à prendre des décisions. Pour autant, il est très difficile de déterminer, à un moment donné, quel événement a fait évoluer les taux, dans quelle direction et dans quelle proportion. Une dégradation de la trajectoire des finances a clairement un impact sur les taux, étant entendu qu'il ne faut pas tenir compte uniquement du déficit actuel, mais également des perspectives de déficit et de la capacité du Gouvernement à tracer une trajectoire témoignant d'une maîtrise de la dette – ce que fait le programme de stabilité.
À votre connaissance, à quelle fréquence ont lieu les sondages de la Banque de France et du FMI que vous avez évoqués ? D'après les derniers sondages, quelle est la part des fonds souverains parmi les détenteurs de la dette française ?
Ces sondages sont trimestriels pour la Banque de France et semestriels pour le FMI. Ils ne comportent pas de catégorie « fonds souverains » mais ces derniers sont souvent gérés par des banques centrales, qui sont identifiées comme telles.
Les banques centrales ont en effet pour mission principale d'assurer le change de leur pays : pour ce faire, elles doivent disposer des réserves de change nécessaires pour être en mesure d'équilibrer à chaque instant la balance des paiements. Elles tendent donc à investir dans les principales devises de réserve, dont l'euro – cela rejoint une question posée tout à l'heure par M. le président. Quand il s'agit d'investir en euros, les banques centrales vont chercher des produits sûrs et liquides, notamment français.
Je comprends de votre réponse que nous ne savons pas si des fonds souverains détiennent une partie de notre dette – ni, le cas échéant, lesquels l'ont achetée sur le marché secondaire.
Vous avez rappelé que c'était la loi de finances qui fixait le montant d'endettement autorisé pour l'année à venir. En dehors de ce texte adopté par le Parlement, quelles sont les indications, les demandes voire les injonctions que vous adresse le Gouvernement, ou plus particulièrement le ministère de l'économie, en cours d'année ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous donner quelques éléments sur l'impact cumulé des primes d'émission et décotes sur les charges d'intérêt de la dette depuis 2017 ainsi que dans les prochaines années, en comptabilité générale et en comptabilité budgétaire ? En effet, ce système de primes n'est jamais prévu par la loi de finances, et nous n'en prenons généralement connaissance qu'après l'exécution budgétaire.
Enfin, nous avons beaucoup parlé de l'allongement de la maturité des émissions. Est-ce du fait de l'État ou des investisseurs ? Les maturités proposées par les investisseurs diffèrent-elles selon que ces derniers sont nationaux ou étrangers ?
L'Agence France Trésor est une composante de la direction générale du Trésor. Nous travaillons pour le ministre de l'économie, que nous informons de nos émissions de dette publique tout au long de l'année.
Mais quelles sont les remarques, demandes ou injonctions que le ministère vous adresse en cours d'année ?
Je ne vois pas vraiment à quoi vous faites référence. En tant que membre de la direction générale du Trésor, je suis soumis au principe hiérarchique.
Je pense que Mme Louwagie souhaite savoir si le Gouvernement vous indique à quelle maturité il faut emprunter, quel outil il faut utiliser, ou si vous êtes libres de prendre ces décisions.
Tout au long de l'année, la maturité des émissions est essentiellement décidée en fonction de la demande des investisseurs. Mon intérêt est d'émettre de la dette qui va être achetée, qui correspond donc à un besoin. Or ce dernier peut évoluer durant l'année : les investisseurs veulent parfois des maturités plus courtes, parfois des maturités plus longues. Il est donc important de pouvoir s'adapter à la demande. Il s'agit d'un principe cardinal de l'Agence France Trésor, qui permet de réduire le coût de la dette à moyen terme pour le contribuable.
Cela dit, nous nous adressons à des types d'investisseur différents, qui ne recherchent pas tous la même maturité. Les investisseurs ayant besoin de poches de liquidités tels que les banques centrales ou de second rang sont plutôt demandeurs de maturités très courtes. À l'inverse, les fonds de pension, dont les passifs sont par définition très longs, recherchent plutôt des maturités très longues. Ainsi, nos titres verts ont une maturité comprise entre quinze et vingt-cinq ans, car cela correspond à la demande des investisseurs verts.
Les investisseurs se caractérisent par une grande constance : aussi la maturité moyenne des émissions n'évolue-t-elle pas beaucoup d'une année à l'autre. Elle correspond au comportement moyen des épargnants. Si tous les ménages français se mettaient à liquider leur livret A pour investir ces sommes dans un plan d'épargne retraite, nous observerions probablement une augmentation de la demande pour le long terme et une diminution de celle pour le court terme. Mais de tels changements ne sont pas si fréquents.
Mme Louwagie vous a demandé si le Gouvernement vous donnait des instructions pour piloter la dette de l'État. À vous entendre, tel n'est pas du tout le cas. Je vous invite à le formuler ainsi afin de lever toute ambiguïté.
Absolument. Le programme indicatif de financement est proposé au ministre, mais la maturité des nouveaux titres doit être validée politiquement. C'est tout à fait normal : une OAT verte engage l'État pour de nombreuses années.
En ce qui concerne enfin les primes et décotes, il faut en rappeler l'origine. Si nous émettons des obligations dites assimilables, c'est pour assurer des encours importants sur chacune des souches, afin d'en assurer une liquidité forte. On pourrait théoriquement émettre des titres à taux différents à chaque émission ; nous ne le faisons pas parce que cela réduirait la liquidité. Cela coûterait plus cher. En pratique, les taux changent tous les jours mais le coupon d'obligation est fixé : quand on a un titre de coupon à 3 % mais que le taux d'intérêt est inférieur à ce chiffre, nous émettons ce titre de dette un peu plus cher – c'est la prime ; quand le taux d'intérêt est supérieur, nous l'émettons un peu moins cher – c'est la décote.
Je ne peux pas prévoir les primes et décotes pour cette année, puisque je ne peux pas prévoir le taux d'intérêt à chaque adjudication. En général, nous les considérons comme nulles ou quasi nulles en prévision, et nous les observons en gestion. C'est de toute façon un effet de trésorerie, pour l'essentiel, qui s'étale sur plusieurs années et que nous gérons avec les outils adéquats.
Ce qui joue dans la comptabilité budgétaire, c'est le coupon ; ce qui joue en comptabilité générale et en comptabilité maastrichtienne, c'est le taux d'intérêt à l'émission. Les primes et décotes sont là pour équilibrer les flux entre les deux. À long terme, c'est neutre.
Quel est l'impact de ces primes et décotes sur la charge d'intérêt, de 2017 jusqu'à aujourd'hui ?
Nous vous donnerons ces chiffres. Il y a eu beaucoup de primes entre 2017 et 2021 parce que les taux d'intérêt étaient faibles, nuls, voire négatifs. Quand le taux d'intérêt est négatif, le titre de dette est émis pour une somme supérieure à sa valeur de remboursement : en 2017, nous avons ainsi atteint un total de primes de 10,5 milliards d'euros. Ce sont les primes des émissions de l'année, qui sont ensuite amorties de façon étalée sur toute la durée de vie du titre.
Ce sont des primes qui viennent, dans les années futures, en déduction des coupons pour avoir le montant en comptabilité générale.
Nous avons assisté depuis deux ans à une forte remontée de nos taux d'intérêt, jusqu'à 3,5 % : depuis quand n'avions-nous pas vu de tels taux ?
Comment évolue la part de dette qui concerne les déficits de l'année n par rapport à la partie qui permet de prolonger des emprunts échus ?
Que vous disent vos interlocuteurs du niveau de la dette française, de l'évolution de nos déficits ? Vous transmettent-ils des messages d'alerte ?
S'agissant enfin des montants empruntés, vous fixez chaque année un plan d'émission. Comment, ces dernières années, les sommes empruntées ont-elles évolué en cours d'année par rapport aux prévisions du Gouvernement, sur lesquelles se fonde votre plan d'émission ?
Les nouveaux déficits et les déficits passés, avec les amortissements, représentent chacun environ la moitié de nos besoins de financement : en 2024, les amortissements s'établissent à 151 milliards d'euros et le déficit à financer est de 146,9 milliards. S'agissant de l'évolution, nous vous répondrons plus en détail par la suite.
Sur les montants empruntés, nous avons un programme d'obligations de moyen et long terme fixé en loi de finances : tant que celle-ci ne change pas, nous ne modifions pas ce plafond. De manière générale, il est exceptionnel de le modifier en cours d'année : la prévisibilité est essentielle pour les investisseurs ; il ne faut pas surprendre.
Concernant la remontée des taux d'intérêt, la dernière fois que notre taux moyen à l'émission était de 3 %, c'était en 2008. La différence entre les deux périodes réside dans la politique monétaire très accommodante menée à partir de 2015-2016 pour éviter les risques de déflation puis pour limiter les effets de la dette covid : c'est le principal facteur d'évolution des taux au cours des quinze dernières années.
Quant aux questions de nos interlocuteurs, ils s'interrogent sur tous les paramètres de macroéconomie comme de finances publiques que nous présentons. Notre rôle est d'exposer les objectifs du Gouvernement et de présenter les mesures prises. Ces investisseurs se font leur propre opinion sur la trajectoire budgétaire de la France et décident du prix auquel ils sont prêts à acheter nos titres. Ce qui est important à mes yeux, c'est que nous bénéficions d'une bonne demande : la dette française est liquide, la France a un excellent crédit. Nous trouvons ainsi des investisseurs pour nous prêter de l'argent, donc pour réaliser notre programme de financement. Il faut rappeler que nous avons un spread de 50 points de base par rapport à l'Allemagne.
Quelles mesures a prises l'AFT pour anticiper la remontée des taux d'intérêt et éviter les surcoûts qu'elle a entraînés ? Avez-vous reçu des consignes de Bercy en ce sens ?
Nous ne prévoyons pas les taux – c'est un exercice très difficile. Nous ne pouvons pas, quand les taux sont bas, émettre davantage de dette pour anticiper une future hausse : ce serait prendre un pari, et je ne suis pas là pour parier. Par ailleurs, notre intérêt est d'émettre la dette dont l'État a besoin pour se financer, mais pas de « surémettre » : l'épargne que nous mobiliserions ne serait pas utilisée ailleurs, pour financer les ménages ou les entreprises. Notre rôle est d'émettre le montant de dette jugé nécessaire pour assurer les besoins de financement de l'épargne.
Concernant notre réaction face à la montée des taux d'intérêt, j'insiste sur le fait que l'AFT se finance en restant prévisible et régulière, mais aussi flexible, en fonction de la demande des investisseurs. Grâce à cela, nous avons pu nous financer à des moments où les taux d'intérêt étaient négatifs, comme nous pouvons nous financer maintenant qu'ils sont à 3 %.
Vous n'avez jamais reçu de consignes de Bercy, ou eu des échanges avec eux, sur une évolution de la politique de la banque centrale – nous savions tous qu'elle allait évoluer – et donc sur une adaptation du plan d'émission ?
Je travaille moi-même à Bercy. Nous échangeons.
Avant que les taux n'augmentent, rien n'est sûr. Si nous avions eu cette même discussion il y a trois ans, nous nous serions tous attendus à ce que les taux demeurent nuls, voire négatifs, pendant très longtemps. S'il y a un choc inflationniste, et que l'on s'attend donc à voir la banque centrale augmenter son taux d'intérêt, nous demeurons réguliers : avant que ce choc apparaisse, on n'en connaît ni l'ampleur, ni la durée. La régularité est le meilleur moyen de maîtriser les coûts. Nous ne pouvons pas nous lancer dans l'anticipation de ce que pourraient être les comportements des uns ou des autres.
Bercy est un vaste bâtiment, mais je pense que M. Di Filippo voulait savoir s'il y avait une instruction politique. Vous répondez non.
Absolument. Nous émettons en fonction des besoins.
Le déficit à financer en 2023 a été revu à la hausse, passant de 164 à 172 milliards d'euros. Quelle est votre conduite face à une telle augmentation, tout à fait imprévue ?
Il y a deux modes principaux de financement : les obligations à moyen et long terme, dont le montant est fixé par la loi de finances ; les titres à court terme, qui peuvent être mobilisés en cas de surprise dans un sens ou dans un autre – qu'il s'agisse d'un déficit imprévu, de recettes sur les primes et décotes à l'émission ou de compte des correspondants. C'est notre métier d'adapter nos émissions de titres de trésorerie en fonction des évolutions au cours de l'année.
Ce déficit supplémentaire a donc été financé par des titres à court terme, donc à des taux plus élevés. Cela a donc coûté plus cher que s'il avait été correctement anticipé.
Sur les taux à court terme, la situation actuelle est exceptionnelle : les taux à court terme sont supérieurs aux taux à long terme. Nous sommes à un moment du cycle monétaire où il existe au sein des intervenants de marché un consensus sur le fait que les taux d'intérêt à court terme ont atteint un plateau et seront réduits dans le futur.
Donc le déficit non prévu en 2023 a été financé à des taux plus élevés que si la prévision avait été exacte dès le début.
Oui, sachant que les taux à court et à long terme ne sont pas nécessairement ceux qui sont prévus dans la loi de finances. Nous nous adaptons à la situation.
Au risque de paraître insistant, je reviens sur la détention étrangère de notre dette. Je comprends que ce sujet vous paraisse secondaire du point de vue technique ; du point de vue politique, il est essentiel.
Pouvez-vous nous indiquer le pourcentage de dette française détenue par d'autres que des résidents français ?
Qui pourrait avoir une connaissance précise de l'éventuelle détention de dette française par des fonds souverains ? Que ce soit grave ou pas est une question politique ; j'aimerais savoir si nous sommes aveugles.
Pouvez-vous nous affirmer qu'un pays comme la Russie ne détient en aucune manière une part de dette française, émise par le passé ou actuellement ?
Existe-t-il un dispositif de sécurité qui vous permettrait de refuser qu'un acheteur spécifique se porte acquéreur de dette française, en France ou ailleurs ? D'autres pays refusent-ils qu'une part de leur dette soit achetée pour des raisons qui ne tiennent pas à la sécurité financière mais à des questions de choix politiques ?
Concernant la détention domestique – c'est-à-dire les investisseurs français, banque centrale comprise –, elle est, je l'ai dit, d'environ 50 %.
Je ne pense pas que les autres pays discriminent en fonction des investisseurs : nous émettons tous des obligations librement échangeables sur le marché. Je ne connais aucun outil du type que vous évoquez. Des règles s'appliquent, bien sûr, à certains types d'investisseurs qui pour des raisons diverses ne peuvent pas échanger des titres de dette.
La Russie est un cas très particulier. Il existe peu d'épargnants russes, à ma connaissance ; il existe en revanche une banque centrale, qui peut acheter des titres de pays étrangers pour gérer sa réserve de change. Aujourd'hui, ces avoirs sont gelés par Euroclear ; ils ne peuvent pas servir à acheter de nouveau des titres de dette française.
Par le passé, la Russie a certainement acheté des titres de dette française ; avez-vous une visibilité sur ce point ? Vous avez indiqué ne pas savoir si des fonds souverains étrangers détiennent une partie de la dette. Savons-nous quelle part de la dette française a pu, par le passé, être détenue par des fonds souverains russes ?
Vous nous confirmez par ailleurs qu'en ce qui concerne les fonds souverains, vous êtes aveugles : aucun dispositif, hors des sondages que vous avez mentionnés et qui par définition sont un peu vagues, ne nous permet de savoir quel fonds souverain détient quelle part de la dette française.
Comme je vous l'ai dit, les fonds souverains sont en général classés dans la catégorie des banques centrales et des institutions officielles. C'est le cas pour les statistiques du Fonds monétaire international. Je précise que l'essentiel des achats de cette catégorie sont réalisés par les banques centrales, dans le cadre de la gestion des réserves de change.
Avant le gel, la Russie avait-elle acheté des titres de dette française ? Les Russes continuent-ils de détenir une partie de notre dette, même plus ancienne ?
Des achats de la banque centrale ont pu avoir lieu – encore une fois, le rôle d'une banque centrale est de gérer ses réserves de change et donc d'acheter des titres en différentes devises, par exemple en dollars et en euros ; au sein de la zone euro, elles prendront la signature allemande, française, italienne… selon les caractéristiques des différentes dettes émises. Dans le cas de la Russie, ces avoirs sont gelés au niveau d'Euroclear – mais c'est une autre histoire.
Votre métier est de sécuriser la dette, nous le comprenons bien. Nous posons une question qui nous paraît de bon sens : nous préférerions que notre dette soit entre les mains d'amis plutôt que de potentiels adversaires. Nous sommes surpris que nous ne disposions apparemment pas de moyens techniques pour savoir si des fonds dépendant de puissances pouvant avoir un effet négatif sur notre pays puissent être un jour mobilisés. J'entends que nous n'avons pas l'information ; vous n'êtes pas le premier à nous le dire.
Il ne s'agit pas de soupçon, entendons-nous bien, mais de lisibilité politique. Si des avoirs ont été gelés, c'est qu'ils ont existé : le fonds souverain russe détenait donc une part de la dette française. Mais vous ne savez pas dans quelles proportions, c'est bien cela ?
S'agissant de la Russie, je ne parle pas de fonds souverains, mais de banque centrale, institution dont le rôle est de gérer des réserves de change.
Je ne connais pas le montant gelé : c'est sans doute une question à poser à Euroclear.
Comment faire augmenter la part de notre dette détenue par des citoyens ou des organisations françaises ? Quelles seraient les mesures à prendre si tel était notre projet politique ?
Cela coûterait certainement plus cher. Aujourd'hui, la dette est offerte à tous, y compris aux Français. Au taux où nous émettons, les Français peuvent acheter 100 % de la dette s'ils le désirent.
S'ils ne le font pas, c'est parce qu'ils préfèrent investir ailleurs : dans des actions, par exemple, ou dans la dette d'autres pays. Aujourd'hui, nous leur permettons de le faire. Si vous vouliez augmenter la part de détention française, cela veut dire que vous allez les forcer, d'une manière ou d'une autre, à faire quelque chose qu'ils ne font pas spontanément – l'argent qui est sur les livrets A, dans les assurances vie ou d'autres produits de placement n'est pas totalement placé en dette française. Nous paierions alors très certainement une charge d'intérêt supérieure. L'idée est simple : plus la base d'investisseurs est diversifiée, moins cela coûte cher. La volonté d'augmenter la part de résidents se traduirait par un coût supplémentaire.
Comment le faire en pratique ? La réponse n'est pas évidente : vous forcez quelqu'un à investir, ou vous lui interdisez une autre voie. Cela dépasse mes compétences.
Comment expliquez-vous alors que le modèle japonais coûte si peu cher sur une très longue durée ?
Le Japon est dans une situation très particulière : il est en déflation depuis très longtemps. Pour augmenter l'inflation, ce pays doit mener des politiques monétaires extrêmement expansives, avec en particulier des achats massifs de la dette japonaise par la banque centrale. Les taux d'intérêt y sont aujourd'hui très bas parce que l'inflation est très basse – ce dont je ne pense pas que ce soit un objectif des autorités japonaises.
Je sais bien que le Japon est en déflation, mais c'est aussi un objectif du gouvernement japonais : la notion de patriotisme économique au Japon inclut la détention de la dette par des nationaux. Il n'y a pas que la banque centrale qui possède de la dette japonaise.
Autre exemple, la Suisse : c'est un pays dont la dette est très faible, et détenue à 80 % nationalement. Elle n'est pas en déflation.
Je redis que je ne pense pas que la déflation soit un objectif de la banque centrale du Japon : au contraire, les autorités japonaises la combattent. Le Japon a une dette fortement domestique car largement détenue par la banque centrale. Il diffère aussi de nous parce qu'il a sa propre monnaie. Nous avons, nous, accès à des investisseurs quasi domestiques puisqu'ils appartiennent à la zone euro, un espace où il n'y a pas de risque de change. Dès lors qu'il y a un risque de change, l'investisseur sera plus réticent à acheter des obligations dans une autre monnaie que la sienne.
On voit dans les données du Fonds monétaire international que les pays qui ont le plus fort taux de détention de la dette par des non-résidents sont des pays de la zone euro : la Finlande, la Belgique, l'Autriche, la France ou l'Allemagne – ces deux derniers pays étant à peu près au même niveau, notamment parce que nous sommes au sein de la zone euro, et que nous attirons des investisseurs classés comme non-résidents mais qui sont bien dans la même zone monétaire que nous.
Quant à la Suisse, elle a aussi sa propre monnaie.
Je sais bien que la Suisse a une monnaie ! Je vous démontre que vous faites des liens systématiques qui n'ont pas lieu d'être. Vous avez fait un lien systématique – auquel je m'attendais – à propos du Japon, expliquant que la situation était due à la lutte contre la déflation, alors qu'il y a évidemment beaucoup d'autres critères qui font que les Japonais souhaitent une détention nationale de la dette. Vous n'avez pas répondu sur ce point, d'ailleurs. Le coût de la dette au Japon n'atteint même pas 1 % sur la longue durée : cela pourrait intéresser ceux qui nous écoutent.
L'exemple suisse ne correspond pas aux principes que vous avez énoncés à propos du Japon : pourquoi les Suisses, à moins d'être complètement stupides, ont-ils fait le choix d'une détention nationale, à 80 %, de leur dette, ce qui conduit à un coût très faible de leur endettement ? Ils ont par ailleurs un système bancaire internationalisé, tout le monde le reconnaîtra.
M. Deruennes est directeur général de l'Agence France Trésor. Je vous invite à lui poser des questions plutôt sur son champ de compétences : cela nous permettrait d'avoir un débat plus serein.
Dans les déterminants de la part des non-résidents dans la détention de la dette, il y a la question de l'appartenance à une zone monétaire. Je remarque que les pays les mieux notés ont en général une part de non-résidents plus forte, parce qu'ils attirent davantage d'investisseurs étrangers. Au deuxième trimestre 2023, au sein de la zone euro, l'Italie ou la Grèce ont un taux de détention par des non-résidents plus faible que l'Allemagne, les Pays-Bas, la France, l'Autriche ou la Finlande, mieux notés.
La question de la domesticité de la dette doit probablement s'apprécier différemment, comme celle d'une zone économique à monnaie commune plutôt que comme purement française. La question de la détention me semble néanmoins posée.
Je posais cette question puisque le directeur général de l'AFT a choisi d'évoquer non seulement sa mission de manière neutre, mais a tenté de la justifier à plusieurs reprises par des raisonnements économiques. Plusieurs exemples étrangers vont à l'encontre de son analyse. Je n'ai pas eu de réponse sur la Suisse, ni d'ailleurs sur le Japon. Je voudrais surtout que nos concitoyens soient bien informés.
Vous avez plusieurs fois dit ne rien savoir des détenteurs étrangers. Mais vous indiquez aussi recevoir des demandes des investisseurs : pouvez-vous m'expliquer ce paradoxe ? Comment pouvez-vous avoir des demandes de gens avec qui vous n'avez aucune relation directe ?
Nous connaissons les investisseurs par les bases de données que j'ai signalées à plusieurs reprises, celles de la Banque de France et du Fonds monétaire international ; des informations nous sont aussi transmises par les SVT sur les investisseurs les plus actifs. Je n'ai pas de contact direct dans la transaction avec les investisseurs, le marché secondaire étant animé par les banques spécialistes en valeurs du Trésor. En revanche, je rencontre des investisseurs. Je ne réponds pas à leurs demandes ; je cherche à savoir quels sont les déterminants de leur achat, quelles caractéristiques les intéressent. Mon intérêt est bien d'émettre de la dette qui correspond à un produit qui pourrait être acheté par les investisseurs. C'est le raisonnement qui a prévalu lors de l'émission de l'OAT verte : il y avait une vraie demande, que nous avons pu observer ; les investisseurs nous disaient qu'ils étaient prêts à acheter une dette avec des standards verts. Si j'émets des obligations qui ne correspondent pas à un besoin des investisseurs, cela se traduira par un coût plus élevé pour le contribuable.
Les épargnants confient leurs fonds aux grands noms de la gestion d'actifs – des Allemands ou des Français qui ont investi dans des assurances vie, par exemple, ou encore des Finlandais ou des Néerlandais qui ont investi dans des fonds de pension : je peux être amené à rencontrer ces organismes pour avoir un retour sur nos techniques d'émission, pour savoir si les maturités que nous proposons correspondent à leurs besoins, afin de bien répondre à la demande qui nous est adressée.
Je pense qu'il sera intéressant d'avoir la liste des investisseurs que vous rencontrez.
Vous avez dit que, lors des émissions, l'offre rencontrait la demande. Si j'ai bien lu vos rapports, il y a régulièrement plus de demande que d'offre. Dès lors, pourquoi les taux ne sont-ils pas plus bas ?
Quand nous faisons une émission par adjudication, je me réjouis qu'il y ait plus de demande que d'offre. Ainsi, nous avons émis hier 3,6 milliards de BTF à trois mois ; nous avons annoncé à l'avance que nous allions émettre entre 3,2 et 3,6 milliards. Beaucoup d'ordres sont émis ; notre rôle est de sélectionner, parmi eux, ceux qui sont les plus intéressants pour le contribuable – dans la limite de 3,6 milliards d'euros : je n'émettrai pas un euro de plus. Qu'il y ait davantage de demande que d'offre nous permet de choisir le meilleur prix. Sinon, je serais captif des ordres donnés.
La demande exprimée est-elle aujourd'hui la même qu'il y a trois ans, par exemple ? Comment la demande évolue-t-elle ?
Dans le cadre de la loi de finances, nous avons des indicateurs de performance relatifs au taux de couverture des adjudications. Notre objectif est de 150 % pour les OAT. Nous atteignons cet objectif. S'il y a plus d'émissions – donc sans doute un taux plus élevé –, il y a souvent aussi plus de demande.
Le jour où cet objectif ne sera pas atteint, il faudra en effet s'inquiéter. Mais comment le ratio entre offre et demande varie-t-il ?
Nous regarderons, mais il n'a pas beaucoup évolué.
La Cades nous a expliqué qu'en avril 2020, ils avaient eu un accident, dans la situation très particulière que l'on sait. Vous n'avez jamais connu une telle situation ?
Les données proviennent de la Banque de France ; nous les publions dans le rapport d'activité. Sur la durée, la part des non-résidents tend à baisser, notamment dans la période récente. Cela s'explique en partie par les politiques d'assouplissement monétaire qu'applique la BCE dans le cadre du PSPP, le programme d'achat de titres publics, et du PEPP, le programme d'achats d'urgence face à la pandémie. Si on ne tient pas compte de ces programmes d'achat, la part des résidents et celle des non-résidents sont très stables.
Selon vous, quel rôle a joué l'euro ? Depuis sa mise en circulation, les taux d'intérêt ont été assez stables, malgré l'accroissement des besoins de financement. Nous a-t-il permis d'économiser, grâce à un effet stabilisateur ?
Depuis l'instauration de la zone euro, les taux d'intérêt ont baissé, en France comme dans les autres pays européens. Cela s'explique par la stabilité qu'il a offerte, mais aussi par la capacité de réaction dont la BCE a fait preuve, donnant du crédit à la lutte contre l'inflation. En outre, en supprimant le risque de change, il a élargi notre base d'investisseurs.
On m'a transmis les adjudications des OAT : les taux de couverture sont constants : 228 % en 2021, en réalisation ; 225 en 2022 ; 230 en 2023. Pour les BTF, ils s'élèvent respectivement à 364, 314 et 200 – plutôt en diminution.
Eu égard aux fluctuations qu'on observe d'une adjudication à l'autre, il ne faut pas surinterpréter les variations. Il faut retenir que les émissions des OAT comme des BTF sont largement couvertes.
Je réitère ma question : puisque la couverture est plus que satisfaisante, pourquoi ne proposez-vous pas des taux plus faibles, donc plus avantageux pour les contribuables français ? Si un jour l'emprunt n'était pas couvert, vous procéderiez à une adjudication à un taux supérieur. La demande est supérieure à l'offre : il y a beaucoup de liquidités sur les marchés financiers, tout le monde le sait.
Nous offrons bien le taux d'intérêt le plus bas. L'adjudication est une enchère : à l'ouverture, les investisseurs donnent leurs ordres ; nous sélectionnons le plus intéressant pour le contribuable, puis le deuxième, puis le troisième, et ainsi de suite, jusqu'à atteindre le montant de l'émission – hier, 3,6 milliards en BTF à trois mois. Si j'avais décidé d'emprunter 3,7 ou 3,8 milliards, le taux obtenu aurait été moins intéressant, puisque j'aurais dû aller chercher des ordres moins avantageux. Si j'émets plus de dette, le taux sera plus élevé ; l'enjeu de l'enchère consiste bien à obtenir les taux les plus bas.
M. Tanguy dit qu'à partir du moment où le taux de couverture atteint 220 %, vous pourriez proposer des taux plus avantageux pour nous, donc moins pour le prêteur, ce qui ferait peut-être baisser le taux de couverture à 180 %.
L'adjudication constitue un mécanisme d'enchères, afin de sélectionner les offres les plus intéressantes pour le contribuable. Je pense qu'il y a un vrai problème d'explication et de compréhension de notre travail : nous cherchons vraiment les ordres les plus avantageux. Si hier nous avions annoncé une émission de 4 milliards, et non de 3,6 milliards, je serais allé chercher, dans la grille des ordres, des propositions moins intéressantes pour le contribuable. Dès lors qu'on émet plus de dette, les taux sont mécaniquement plus élevés.
Je comprends parfaitement ce que vous faites, Monsieur le directeur général, et vous êtes venu au point précis où je voulais vous amener. Votre méthode confirme la surabondance de la demande. Pourquoi dans ce cas, continuez-vous à l'utiliser ? Vous pourriez recourir à une autre. La France est considérée comme un acteur sûr et ses titres sont très demandés : pourquoi ne pas émettre à des taux déterminés à l'avance, sans demander son avis au marché ? Visiblement, les investisseurs, que vous ne connaissez pas mais que vous connaissez, anticipent vos pratiques, qu'ils connaissent bien puisqu'ils les ont éprouvées, pour ne pas dire qu'ils les ont eux-mêmes fondées. Vous avez essayé une méthode parallèle en raison de l'inflation ; pourquoi ne pas faire de même pour les émissions ? Pourquoi vous enfermer dans cette méthode ? De toute évidence, elle aboutit à fixer des taux d'intérêt qui n'ont aucun lien avec le risque que prennent les investisseurs, alors qu'ils devraient par définition être proportionnels. Or, il n'y a strictement aucun risque à investir dans la dette française.
Mon rôle est d'assurer la continuité financière, donc de faire en sorte qu'à l'adjudication, de l'argent arrive sur le compte unique du Trésor, afin que l'État puisse respecter ses engagements financiers. On ne peut pas dire que si l'adjudication n'est pas couverte, ce n'est pas un problème. Il faut bien qu'elle le soit. Si hier j'avais fixé le taux à 3 %, en disant c'est ce prix ou rien, il n'y aurait pas eu de rentrée d'argent et l'État n'aurait pas pu respecter ses engagements financiers. Le principe de l'enchère est bien d'obtenir le meilleur prix. Le prêteur qui ne proposera pas un taux suffisamment avantageux pour le contribuable français ne percevra pas de BTF et ne pourra donc pas en vendre sur le marché secondaire – ce n'est pas non plus son intérêt.
Vous avez indiqué que le système des OAT indexées sur l'inflation était bénéficiaire jusqu'en 2022. Les représentants d'autres instances nous ont affirmé que nous avions perdu de l'argent dès que l'inflation avait commencé, dès 2021. Avons-nous perdu de l'argent dès 2021 ? Avez-vous calculé le solde global, de sorte que même si nous avons perdu en 2021, vous avez considéré que le bilan était positif ? Avant, il n'y avait pas d'inflation : si vous mettez un gilet pare-balles en carton, tant qu'on ne vous tire pas dessus, vous ne savez pas qu'il l'est. Un tel raisonnement ne prouve pas grand-chose.
Vous avez indiqué qu'en 2023 et 2024, la perte s'élevait à 10 milliards d'euros. Quel a été le gain entre 1999 et 2022 ?
Entre 1999 et 2021, le gain se monte à 15 milliards. Nous parlons de l'écart entre la charge des intérêts des obligations nominales et celle des obligations indexées. Toutefois, ces estimations sont très mécaniques. Elles ne prennent pas en compte deux éléments. D'une part, lorsqu'on offre des obligations indexées, on diversifie les investisseurs, donc on réduit le coût global pour le contribuable. D'autre part, les recettes fiscales augmentent avec l'inflation, et inversement, ce qui a sur le solde un effet stabilisateur. Entre 2016 et 2018, l'inflation était basse, les recettes fiscales également.
Merci, messieurs, de vous être prêtés au jeu des questions-réponses. Nous attendons avec intérêt vos réponses écrites : comme vous l'aurez constaté, nous aimons beaucoup les chiffes – presque autant que vous.
Informations relatives à la Commission d'enquête
À la suite des démission de Mme Véronique Louwagie et de M. Stéphane Vojetta de leurs postes de secrétaire, elle a nommé MM. Philippe Brun et Aurélien Saintoul, secrétaire.
La séance s'achève à dix heures quarante-cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Franck Allisio, M. Denis Bernaert, M. Frédéric Cabrolier, M. Jean-René Cazeneuve, M. Fabien Di Filippo, M. Philippe Juvin, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Aurélien Saintoul
Excusé. - Mme Valérie Rabault
Assistaient également à la réunion. - M. Aurélien Pradié, M. Jean-Philippe Tanguy