Les investisseurs examinent un grand nombre de caractéristiques : les finances publiques du pays considéré, ses perspectives de croissance, ses réformes structurelles, la solidité de ses institutions et de son système financier, la qualité technique de la dette émise… Ils prennent aussi leurs décisions en fonction de leurs besoins. Ces caractéristiques ou la façon dont elles sont perçues par les investisseurs peuvent changer : les spreads peuvent donc évoluer à tout moment, en fonction des nouvelles informations disponibles.
Sur le temps long, notre spread avec l'Allemagne est resté relativement stable depuis le début de l'année, à environ 50 points de base, ce qui n'a pas empêché certains à-coups liés à des informations nouvelles et aux anticipations des investisseurs. D'autres pays, notamment ceux que l'on a qualifiés de périphériques comme l'Italie et l'Espagne, ont vu leur spread diminuer pendant la même période.
Il existe une coordination avec les autres émetteurs, qu'ils soient publics – je parle de ceux qui engagent la signature française – ou européens, dans le cadre du sous-comité « Marchés européens des dettes souveraines » (ESDM), une instance dépendant du Comité économique et financier. Nous échangeons donc régulièrement avec les autres émetteurs publics, que nous rencontrons une fois par an.
Faut-il créer un émetteur unique ? Il y a en réalité deux questions qui se posent.
Il faut d'abord souligner que nous avons affaire à des entités différentes, et qu'il est donc normal que chacune ait sa propre dette. Le budget de la sécurité sociale est distinct de celui de l'État : ses dépenses et ses recettes sont différentes, sa dette doit l'être aussi. De même, les collectivités locales ont leur propre budget et leur propre endettement.
Ces dettes pourraient-elles être gérées de manière centralisée ? Il est vrai que l'expérience de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) est très positive. L'AFT émet, au nom et pour le compte de la Cades – un établissement public doté d'un conseil d'administration, d'un comité de surveillance et de son propre programme d'émissions –, de la dette sur les marchés financiers. La décision de procéder ainsi a été prise dans un contexte particulier, puisque la Cades a une fin de vie programmée et qu'un tel rapprochement opérationnel permet d'assurer une certaine visibilité à ses agents.
Nous avons recours à plusieurs modes d'émission.
La principale méthode utilisée par la France comme par la plupart des souverains est l'adjudication. Il s'agit là d'enchères, dont le calendrier est défini à la fin de l'année précédente : elles ont lieu tous les lundis à quatorze heures cinquante pour les BTF, tous les premiers jeudis du mois pour les OAT de long terme et tous les troisièmes jeudis du mois pour les OAT indexées et de moyen terme. Nous mettons les différents SVT en concurrence et retenons les offres les plus intéressantes pour le contribuable.
La syndication, plus marginale, est souvent utilisée par les émetteurs ayant un programme plus petit et ne pouvant pas organiser d'enchères régulières. L'AFT y recourt aussi pour émettre pour la première fois des titres particuliers – des OAT de longue durée, des nouvelles obligations vertes ou des nouvelles obligations indexées de longue période, par exemple. Le calendrier n'est pas défini à l'avance : nous attendons les meilleures conditions de marché pour émettre cette dette.
Nous avons actualisé les prévisions de taux d'intérêt entre la loi de finances et le programme de stabilité. En réalité, nous ne faisons pas de prévisions en tant que telles, mais plutôt des hypothèses de taux d'intérêt, parce qu'il faut bien inscrire un chiffre dans la case des charges d'intérêt. Puisque les taux ont légèrement diminué par rapport à l'hypothèse retenue dans la loi de finances initiale – le pic de taux à dix ans a été observé en octobre ou novembre de l'année dernière –, nous avons révisé nos chiffres à la baisse, sur la base d'un taux attendu en fin d'année de 3,20 % pour l'OAT à dix ans.
S'agissant du refinancement des dettes à l'échéance, le calcul est assez simple, même si je ne peux vous le faire sur table. Chaque année, à l'article d'équilibre de la loi de finances, les besoins de financement incluent le montant des dettes arrivant à échéance : il suffit donc d'additionner ces montants dans les plans de financement successifs pour obtenir le chiffre que vous demandez.
Lorsque nous émettons des obligations indexées, nous répondons effectivement à un besoin de protection contre l'inflation. Des épargnants et des investisseurs sont prêts à payer une prime pour être protégés de ce phénomène. L'État, dont les recettes sont indexées sur l'inflation, est plus neutre à ce risque que ne le sont les agents économiques. Ces obligations sont aujourd'hui les plus domestiques de nos titres de dette, essentiellement parce que l'existence de livrets d'épargne réglementée induit une demande structurelle de protection contre l'inflation. Ainsi, au deuxième trimestre 2023, 78 % des OAT indexées sur l'inflation française et 61 % des obligations indexées sur l'inflation européenne étaient détenues par des investisseurs français.
Nous ne discriminons pas les investisseurs en fonction de leur nationalité. Je ne pense pas que d'autres pays le fassent puisqu'ils ont, comme nous, la mission d'émettre de la dette au meilleur coût pour le contribuable. L'existence d'investisseurs étrangers est d'ailleurs une bonne nouvelle, puisque ce sont des épargnants qui ont confiance en la signature de la France, en la capacité de la France à rembourser ses emprunts. Le fait que nous attirions des investisseurs très différents est sans conteste un signe positif et un atout pour l'émetteur que nous sommes.