Jeudi 12 octobre 2023
La séance est ouverte à neuf heures dix.
(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)
La commission procède à l'audition de M. Pierre-Étienne Bisch, coordonnateur interministériel du Comité d'orientation stratégique du plan Ecophyto.
Mes chers collègues, nous reprenons les auditions de notre commission d'enquête visant à identifier les raisons de l'échec des politiques publiques en matière de réduction des produits phytosanitaires. Je tiens à excuser notre président, Frédéric Descrozaille, qui est retenu par un engagement et qui m'a demandé de le remplacer, ce que je fais avec plaisir.
Aujourd'hui, nous recevons le préfet Pierre-Étienne Bisch, qui occupe les fonctions de coordinateur interministériel du plan Écophyto. Monsieur Bisch, nous vous remercions de vous être rendu disponible pour notre commission d'enquête. Vous avez été nommé à cette fonction le 1er décembre 2018, soit il y a bientôt cinq ans. Cette période coïncide avec la mise en place de la version II+ du plan Écophyto, visant à relancer une nouvelle fois le processus initialement engagé après le Grenelle de l'environnement.
Vous disposez donc d'un recul significatif sur les étapes, les efforts et les difficultés qui ont jalonné la mise en œuvre de ce plan Écophyto, dans le but de réduire l'usage des produits phytosanitaires de 50 %. En tant que coordinateur interministériel, vous êtes un acteur et un témoin clé des politiques publiques au cœur de nos investigations et – pourrait-on dire – du relatif échec de celles-ci. La création de votre fonction témoigne de la volonté de renforcer la gouvernance du plan Écophyto en lui conférant une dimension interministérielle. Nous voyons que cette volonté n'a été que partielle, car vous n'aviez pas entre vos mains les leviers pour piloter et mettre en cohérence l'ensemble des politiques publiques qui influent sur l'utilisation des produits phytosanitaires. Il sera précieux que vous nous expliquiez comment vous concevez et mettez en œuvre votre mission, les défis que vous avez rencontrés depuis la fin 2018 et votre analyse de la situation actuelle.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Pierre-Étienne Bisch prête serment.)
Je tiens tout d'abord à exprimer ma satisfaction d'être présent parmi vous ce matin. C'est d'autant plus plaisant de retrouver quelques visages familiers, puisque dès le début de ma mission, j'ai eu l'opportunité de rencontrer certains d'entre vous. La majeure partie de ma carrière s'est déroulée au sein de ce qui était alors appelé le « corps préfectoral » et qui porte aujourd'hui le nom de « fonctions préfectorales ». En dernier lieu, j'ai été préfet de la région Centre-Val de Loire et, par la suite, j'ai consacré cinq années supplémentaires à des activités juridiques au sein du Conseil d'État. J'ai également occupé le poste de PDG de Météo-France, ce qui m'a permis de fréquenter la communauté scientifique, qui a toujours été l'un de mes centres d'intérêt.
J'ai été appelé à intervenir dans le domaine des produits phytosanitaires, bien que je ne sois pas un scientifique moi-même car, à la fin de l'année 2015, le Premier ministre de l'époque, M. Valls, m'a demandé de m'intéresser aux normes applicables en agriculture. J'ai alors mis en place un espace de dialogue entre le monde agricole et les services centraux des administrations qui produisent des normes pour favoriser un échange constructif et éviter des conflits inutiles sur ces questions. En 2018, j'ai été chargé de travailler sur la gestion quantitative de l'eau – c'est la question des bassines – et j'ai remis un rapport à la fin de l'année 2018 sur les programmes territoriaux de gestion de l'eau. Malheureusement, ces outils de dialogue ne fonctionnent pas toujours aussi efficacement qu'escompté.
Dans la continuité de ces expériences de dialogue entre le monde agricole et les administrations publiques, on m'a également sollicité pour traiter la question des produits phytosanitaires. Mon expérience au sein de l'administration préfectorale est considérée comme un atout. En effet, les préfets sont réputés avoir une connaissance du terrain et être impartiaux par rapport aux différents groupes de pression qui existent au sein d'une démocratie.
Vous avez mentionné que ma mission était principalement axée sur le plan Écophyto. En réalité, la mission qui m'a été confiée à la fin de l'année 2018 était principalement centrée sur la sortie du glyphosate. J'ai également été nommé en tant que personnalité qualifiée au sein du comité d'orientation stratégique (COS) du plan Écophyto. Cependant, cette mission était subsidiaire par rapport à la priorité majeure qu'était la sortie du glyphosate. Je rappelle brièvement que, dans le courant des années 2017 et 2018, des concessions devaient être faites entre la position française et la proposition communautaire. Cette situation rappelle curieusement celle à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui. À l'époque, était en question le renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour cinq ans ; la France se voulait exemplaire et prônait une suppression progressive du glyphosate, qui veillerait à ne laisser personne sur le bord de la route.
Il était essentiel de mobiliser tous les leviers pour progresser dans ce sens. L'Institut national de la recherche agronomique (Inra), qui n'était pas encore l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), avait publié un rapport très intéressant à la fin de l'année 2017 qui examinait diverses problématiques liées aux produits phytosanitaires. Ce rapport mettait notamment en lumière le manque de coordination interministérielle. Ma mission découle de ce constat. Je peux d'ailleurs apporter des réflexions sur l'efficacité et l'utilité de ce type de fonctions au sein de la construction administrative française.
Ces fonctions m'ont été confiées par le gouvernement d'Édouard Philippe puis, à nouveau, par celui de Jean Castex. Elles ne m'ont été ni renouvelées ni retirées par le gouvernement d'Élisabeth Borne. La raison en est simple : on a plutôt mis l'accent, ces derniers temps, sur la planification écologique. Pour qu'il soit nécessaire de coordonner des actions, il faut d'abord disposer d'une feuille de route. Comme nous sommes actuellement en train d'élaborer une feuille de route révisée, il n'est pas surprenant que ma fonction de coordination ait été provisoirement mise de côté.
Monsieur le préfet, je suis heureux de pouvoir dialoguer avec vous aujourd'hui car vous avez été un acteur clé dans la mise en œuvre des politiques gouvernementales ces dernières années. Vous avez apporté le meilleur mais, peut-être aussi, la part d'ombre, c'est-à-dire une certaine confusion dans les missions et les objectifs à atteindre. Nous sommes ici dans un cadre très spécifique, celui d'une commission d'enquête visant à faire la lumière, à tirer des leçons de ce qui a été fait, en bien et en mal, dans le but de formuler des recommandations qui soient utiles pour la puissance publique.
Tout d'abord, vos fonctions ont en effet porté sur le glyphosate, je m'en souviens très bien. Vous étiez chargé de sortir de la contradiction entre l'annonce d'une sortie du glyphosate et la mise en œuvre d'un plan visant sa diminution. C'était déjà un virage important, qui a produit des résultats et dessiné des perspectives, même s'il n'a pas été à la hauteur de la promesse initiale.
Vous étiez également président de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) : est-ce que cela n'était pas à l'origine de conflits d'agenda ? Travailliez-vous à plein temps sur le glyphosate et sur la mission de coordination du plan Écophyto ?
Je ne suis pas le président de la CNDA – c'est un emploi public à 300 % – mais simplement un président vacataire parmi une centaine d'autres, affecté à des sous-formations que l'on appelle des formations de jugement, lesquelles comprennent chacune trois magistrats. Je suis vacataire, c'est-à-dire que j'organise mon emploi du temps en fonction de mes autres obligations, ce qui me confère une totale liberté.
Par ailleurs, je n'ai pas non plus été nommé sur un emploi public dans ma fonction de coordination interministérielle. En effet, on ne peut pas être nommé sur un emploi public lorsqu'on est retraité – je l'étais depuis 2017 – sauf s'il existe un texte particulier. Dans mon cas, il n'y avait pas de texte spécifique. Par conséquent, on m'a simplement confié une lettre de mission personnelle, signée par quatre ministres – agriculture, écologie, santé, enseignement supérieur et recherche – sous l'impulsion du cabinet du Premier ministre. Je n'étais ainsi ni le président de la CNDA ni employé à temps plein pour cette mission de coordination, mais je gérais mes tâches en fonction des sollicitations qui m'étaient adressées.
Il était essentiel pour nous de clarifier ce point. Vous aviez donc une certaine disponibilité mais il pouvait y avoir un peu d'ambiguïté, compte tenu de votre statut de retraité. Nous ne doutons aucunement de votre engagement ; j'interroge plutôt les moyens que l'État a déployés pour piloter ces politiques.
Nous avons demandé des informations au ministère sur les activités du comité d'orientation stratégique (COS) du plan Écophyto. Nous constatons une nette diminution de l'activité de ce comité à partir de 2017. Il se réunit alors deux fois moins souvent qu'auparavant, c'est-à-dire même pas une fois par an. Comment expliquez-vous cette panne dans le pilotage dans la collégialité du plan Écophyto ?
L'existence et la mission de ce COS sont explicitement définies dans le code rural et de la pêche maritime. Il est présidé par les quatre ministres mentionnés précédemment et compte environ soixante membres, répartis en cinq ou six collèges. Les membres proviennent de divers groupes professionnels ou associatifs, syndicats et ministères. Son objectif est de contribuer à l'élaboration et au suivi du plan Écophyto. Par conséquent, chaque fois qu'un nouveau plan Écophyto est élaboré, il est impératif de consulter ce comité.
Cependant, la fréquence des réunions de suivi n'est pas définie dans le code rural. Elle dépend donc de la volonté des autorités publiques. L'un des éléments incontournables de ce suivi est la fourniture de statistiques clés aux parties prenantes, s'agissant notamment de l'évolution de la consommation de glyphosate, ainsi que d'autres produits phytosanitaires. Les données statistiques jouent en effet un rôle crucial et doivent être partagées.
Il est vrai que certains acteurs associatifs ont exprimé leur attente d'une comitologie plus active. Ils avaient en effet l'habitude d'une participation plus intense, qui faisait de ce comité une sorte de groupe de travail. Mais je pense qu'en situation de controverse, comme ce fut le cas avec le glyphosate à partir de 2017, les pouvoirs publics affichent une certaine prudence… En outre, le Covid-19 n'a pas facilité les choses : il a ralenti le traitement de bon nombre de dossiers, comme dans d'autres domaines.
Le Gouvernement a prévu de réunir le COS prochainement. En effet, un plan Écophyto 2030 est actuellement en préparation et il est évident que les discussions doivent commencer par un échange entre les membres du comité, sans pour autant exclure les différentes filières. Cela reflète bien la nature des missions de ce COS, qui sont en constante évolution.
En 2017, une loi a été adoptée, qui a exclu les parlementaires de divers comités, dont le COS, réduisant ainsi leur rôle dans la comitologie en France. Ayant été moi-même nommé par le ministère de l'agriculture avant 2017 pour siéger au sein de ce comité, je peux témoigner que la présence de parlementaires, quelles que soient leurs affiliations politiques, constitue un élément clé pour stimuler la réflexion. Par ailleurs, il me semble qu'en situation de crise, il est préférable de se réunir pour échanger, plutôt que de mettre la tête dans le sable.
Au total, les réunions du COS ont été peu nombreuses, la comitologie a été amoindrie et le coordinateur n'était pas tout à fait coordinateur. Qui commande s'agissant d'Écophyto ? En effet, le coordinateur n'est pas un délégué interministériel.
Le cabinet du Premier ministre est aux commandes, conformément à l'architecture institutionnelle française. Cette autorité anime habituellement les réunions interministérielles. Je le sais bien, pour avoir été membre du cabinet d'un Premier ministre pendant un temps.
Le rôle du délégué interministériel n'est pas exactement défini, du moins à ma connaissance. Dans l'organisation constitutionnelle française, les ministres reçoivent un décret d'attribution et ne peuvent pas se départir de leurs compétences. Ils ont éventuellement la possibilité de déléguer certaines tâches, mais ils ne peuvent pas s'en décharger complètement. Le délégué reçoit ainsi une mission confiée par un ministre, lequel demeure responsable de celle-ci. La complexité supplémentaire réside dans le fait que plusieurs ministères sont impliqués simultanément. Par conséquent, le délégué interministériel, comme les ministres eux-mêmes, rapporte au cabinet du Premier ministre.
Il est clair qu'un délégué interministériel n'est pas une solution miracle ; chaque ministre demeure responsable de ses actions. Pourtant, le caractère interministériel est une dimension clé de cette politique. Avez-vous le sentiment que les ministères de la santé, de l'enseignement supérieur et de la recherche ainsi que de l'écologie ont un poids équivalent au ministère de l'agriculture dans le pilotage des plans Écophyto, notamment pour en arrêter les grandes orientations ?
Le poids relatif du ministère de l'agriculture est un sujet récurrent. Celui-ci est contact direct avec les populations qui relèvent de son périmètre. Il est important d'avoir des acteurs qui ne sont pas tous une émanation du ministère de l'agriculture, qui bénéficient d'une certaine indépendance vis-à-vis de celui-ci. Je pense donc que c'était plutôt une bonne idée de penser à moi, qui ne suis pas un ingénieur du ministère de l'agriculture, pour prendre en charge cette mission. De plus, on m'a demandé d'être implanté au ministère de l'agriculture, ce qui me permet d'être en contact avec ses équipes sans être pour autant dans une situation de dépendance hiérarchique directe, car il s'agit d'une mission interministérielle. Cette conception initiale était assez astucieuse. Au ministère de l'agriculture, je suis perçu comme interministériel ; cette ambiguïté demeure.
Pour que cette mission fonctionne, il faut que le délégué dispose d'une feuille de route ; cela avait été le cas pour le glyphosate en 2017-2018. À l'époque, le directeur général de l'alimentation avait proposé un plan interministériel comprenant une quarantaine de mesures concernant les quatre ministères, avec des projets de recherche et de formation, des actions liées à la santé des travailleurs. Il y avait donc un travail conceptuel interministériel, avec une feuille de route détaillée. Mon travail était simplifié, car je réunissais environ tous les mois et demi ou deux mois une task force composée d'une quarantaine de directions et de services des quatre ministères. Avec ma position hiérarchique relativement plus avancée, je pouvais intervenir pour rappeler l'importance de se concentrer sur les priorités. Sans feuille de route, le délégué interministériel n'a pas de compétences ministérielles et ne peut donc pas avancer. La feuille de route est donc centrale et elle ne peut émaner que du Premier ministre.
Actuellement, on assiste à une nouvelle dynamique avec la préparation du plan Écophyto. Les filières ont été consultées pour identifier l'ensemble des produits phytosanitaires qui sont susceptibles de subir des restrictions dans les mois – voire les années – à venir. Les plans seront élaborés en collaboration avec les professions. Par la suite, il incombera au Gouvernement d'en déduire un plan d'action pour ses services. À ce stade, il sera approprié qu'il désigne une personne – probablement pas moi, car j'ai fait ma part – qui, tout en connaissant les réalités administratives, puisse battre la mesure et mettre en œuvre efficacement ces actions, tout en restant indépendante.
Vous êtes forcément au courant du rapport rédigé par différentes inspections, notamment le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), qui pose un constat assez sévère sur l'efficacité du plan Écophyto. Quel regard portez-vous sur l'analyse qui en est faite ?
Je la partage assez largement. J'avais moi-même insisté pour qu'un membre de l'inspection générale des finances (IGF) fasse partie de la mission d'inspection. J'étais convaincu que, si les rapports étaient systématiquement rédigés par des ingénieurs de l'agriculture ou de l'environnement, cela engendrait une analyse endogamique. Ils ont d'ailleurs également formulé des observations pertinentes sur les limites de ma propre mission, que je reconnais pleinement.
Je dois vous avouer que cette mission est bien plus complexe que celle consistant à rédiger un rapport sur un sujet spécifique. Lorsque vous êtes préfet d'un département, vous êtes inconnu la veille, puis du jour au lendemain, vous devenez le patron de tout le système. En tant que délégué, vous n'appartenez à aucune maison, mais vous devez toutes les animer, ce qui n'est possible qu'avec une réelle feuille de route.
Vos propos sont très instructifs et je vous remercie pour votre franchise. En effet, nous avions interrogé les inspections sur la capacité d'action du coordinateur et, comme vous, elle nous avait indiqué qu'elle était faible. Vous avez veillé à ce que ces inspections fassent toute la vérité et nous tenons à saluer votre honnêteté intellectuelle au service de notre cause commune.
J'aimerais que nous parlions maintenant des résultats obtenus. Vous avez pointé des lacunes, formulé des recommandations, mené tant bien que mal la mission sur le glyphosate. Pour le reste, vous avez certainement inspiré le besoin d'un nouveau plan Écophyto, qui a été annoncé. À ce propos, le cabinet de la Première ministre m'a assuré que les conclusions de notre commission d'enquête seraient prises en compte pour l'établissement de la feuille de route des années à venir.
Si l'on considère les résultats du plan Écophyto II, on nous dit que la quantité de substances actives (QSA) a diminué depuis quelques années tandis que le nombre de doses unités (Nodu) est resté constant. Ainsi, malgré les investissements financiers, les efforts et l'énergie déployés, les résultats sont décevants. Néanmoins, on observe une prise de conscience et une évolution culturelle au sein du monde paysan. On se protège mieux et les pratiques alternatives, comme le biocontrôle, ont été davantage admises et adoptées.
De plus, les molécules dites « CMR (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques) 1 » ont été retirées dans la quasi-totalité et, pour les « CMR 2 », le mouvement est en marche, et irréversible. En résumé, ce qui semble avoir fonctionné résulte essentiellement du régime d'autorisation qui, grâce à son indépendance vis-à-vis du monde économique, a pu protéger les populations et l'environnement. En revanche, la question de la contribution réelle du plan Écophyto lui-même demeure.
Je partage en grande partie votre point de vue. Au moment du lancement d'Écophyto II, j'étais secondé par un ingénieur de l'agriculture et un ingénieur du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Nous avons visité toutes les préfectures de région en France et j'ai personnellement rencontré chaque préfet de région, accompagné de son équipe. Cette mission nécessitait un investissement initial sérieux car, lorsque vous n'êtes pas un expert dans le domaine, il faut du temps pour s'acclimater. Lorsque vous avez une charge exécutive, à l'image des préfets, vous êtes tellement sollicité qu'il est peu probable que vous consacriez trois semaines à préparer ces questions. Ce travail a pris beaucoup de temps, mais il a toutefois permis de mettre en valeur les équipes locales.
Je ne suis pas entièrement convaincu par l'idée que la créativité vient du terrain, car nous évoluons dans un cadre réglementaire avec des règles établies, des réglementations communautaires et des normes élaborées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). L'espace laissé à l'innovation locale est, à mon avis, assez limité, bien que politiquement important pour ne pas adopter une position trop univoque dans l'opinion publique et comprendre les différents aspects de la question. En fin de compte, je pense que c'est le volet réglementaire qui fait progresser la situation. Cependant, en France, c'est considéré comme de l'autoritarisme.
Lorsque le plan Écophyto a été conçu, en 2009, sous la direction de M. Borloo, il était plutôt axé sur la recherche d'un équilibre entre les partisans de l'écologie et les partisans du productivisme agricole. C'est dans ce contexte qu'on a misé sur l'exemplarité.
Les groupes Dephy constituent une belle réussite ; j'ai pu voir sur le terrain leur impact positif. Mais ces groupes fonctionnent bien auprès d'agriculteurs déjà convaincus ; or, l'enjeu est aujourd'hui de parvenir à entraîner les agriculteurs qui restent à convaincre. La porosité entre les groupes de personnes convaincues – au sein des fermes Dephy notamment – et celles qui les entourent est faible. Cela soulève la question de savoir si les millions d'euros investis dans ces initiatives pourraient être mieux utilisés ailleurs. Il est toutefois important de ne pas compromettre l'exemplarité de ces fermes.
Les fermes Dephy ont démontré qu'il était possible d'atteindre une réduction des produits phytosanitaires de l'ordre de 30 % à 50 % tout en maintenant son excédent brut d'exploitation (EBE). Les membres du pôle du conseil indépendant en agriculture (PCIA), qui représentent plutôt une élite au sein des grandes exploitations, ont obtenu des résultats similaires. Le démonstrateur a donc rempli son rôle. Cependant, nous sommes encore à une échelle artisanale alors que nous devrions passer à l'échelle industrielle. Le continuum entre la recherche et le développement a donc failli.
Par ailleurs – il s'agit de l'une des rares idées innovantes réglementaires que nous ayons mises en œuvre – a été décidée la séparation du conseil et de la vente. Mais cela s'est révélé être un échec, comme le constatent un rapport du CGAAER, dont nous avons obtenu communication, et le rapport de la mission flash que j'ai conduite avec Stéphane Travert, ancien ministre de l'agriculture. Il semble ainsi y avoir un consensus sur ce constat d'échec.
Avez-vous la martingale pour résoudre cette question complexe ? Devrions-nous revenir à la situation précédente ? Je ne le pense pas. Suggéreriez-vous de responsabiliser les vendeurs de produits phytosanitaires par les certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), ou de passer par des ordonnances, comme on le fait pour les produits vétérinaires ? Avez-vous une piste à explorer ? Le dernier kilomètre jusqu'à l'agriculteur semble avoir été négligé. Il existe de la recherche, des laboratoires, des fermes, mais nous sommes encore loin du compte.
Je n'ai malheureusement pas la martingale et je ne possède pas votre expertise sur ce sujet. Cependant, il serait assez frustrant de ne pas approfondir cette question. Ce principe de séparation a le brillant des idées françaises : elle est claire, nette, facile à présenter de manière conceptuelle et susceptible de convaincre même les personnes ayant des opinions tranchées sur le sujet. Cela me paraîtrait dommage de l'abandonner. Le manque de confiance envers la législation et la production de normes en France est un sujet que je ne vais pas développer ici, car vous le connaissez. Cela me semble difficile de revenir sur une idée qui a été votée. Il vaudrait sans doute mieux améliorer son fonctionnement plutôt que de l'abandonner.
Vous avez évoqué le levier réglementaire comme étant la solution la plus efficace pour progresser. Vous avez également indiqué que le préfet était une personne de terrain. Ma première question porte donc sur l'adaptation de la réglementation aux spécificités du terrain. En effet, l'agriculture diffère entre le centre et le nord de la France, voire d'un département à l'autre. Vous avez mentionné l'Alsace, qui est caractérisée par une grande diversité de productions et de climats. La réglementation doit tenir compte de ces disparités pour être efficace.
Par ailleurs, le président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (Apca) a relevé les excellents résultats obtenus par les fermes Dephy, tout en soulignant l'importance d'un accompagnement quasi permanent. Quelle est votre opinion sur l'importance de cet accompagnement, qui n'est pas offert à tous les agriculteurs ?
Enfin, avec votre expérience, si vous aviez le pouvoir de changer quelque chose, que feriez-vous ?
En ce qui concerne la diversité et l'adaptation aux spécificités locales, je crois que le pouvoir réglementaire, bien que lointain, est en réalité assez efficace. Par exemple, ce n'est pas commode pour une autorité locale de gérer les questions des distances aux habitations à respecter pour la pulvérisation de produits, car les pressions locales sont beaucoup plus importantes. Il est plus pratique de régler ces questions en se basant sur une règle nationale, tout en laissant une marge d'adaptation aux autorités locales.
Dans un esprit de décentralisation, l'idée d'une modification constitutionnelle flotte depuis un quinquennat et demi pour offrir une marge d'adaptation aux autorités territoriales, principalement les collectivités locales. Lorsque j'étais préfet de région, nous avions temporairement bénéficié d'un pouvoir d'évocation, qui permet de se saisir de la compétence des collègues départementaux pour harmoniser les positions - notamment sur les éoliennes – et éviter les effets de frontières entre départements. Je suis désormais à la retraite et je ne sais pas si cet outil a prospéré.
En France, nous sommes, depuis Charlemagne, obsédés par l'unité nationale et nous n'autorisons les pouvoirs locaux autonomes que dans les territoires ultrapériphériques. La capacité de décider de sa compétence, qui est le principe de l'autonomie – que nous donnerons peut-être en partie un jour à la Corse –, ne fait pas partie de la culture française. Je ne suis pas un jacobin intransigeant mais nous avons un blocage psychologique profond en France sur ces sujets. C'est regrettable.
Par ailleurs, lorsque l'accompagnement des fermes Dephy est en place, l'expérience est très satisfaisante. La chambre d'agriculture met à disposition un conseiller, grâce à des fonds de l'État. Cependant, il arrive fréquemment que l'agriculteur possède une expertise plus poussée que le conseiller. Parfois, les conseillers n'ont pas une expérience personnelle en tant qu'agriculteurs, même s'ils ont suivi de bonnes études agronomiques. La clé réside dans la collaboration et les synergies entre les deux parties. Souvent, un accompagnateur s'occupe de plusieurs fermes Dephys, ce qui constitue un modèle intéressant. Toutefois, si l'on veut étendre le bénéfice de cet accompagnement à des personnes à l'extérieur du système pour les y faire entrer, cela suppose des financements importants. Le choix est donc d'ordre politique.
Mme la Première Ministre, à l'époque où elle était ministre de l'Écologie, avait cosigné la maquette Écophyto avec la plus grande attention quant au montant et au contenu des actions financées. Il est essentiel de maintenir cette exigence. Je pense que l'enjeu est aujourd'hui de parvenir à recharger la confiance dans Écophyto pour recharger la dépense dans Écophyto. Sinon, il faut envisager d'affecter différemment ces crédits, par exemple pour compenser les pertes encourues lorsque les agriculteurs achètent des équipements de désherbage électriques ou à moteur. Il y a en effet des enjeux de financement importants dans le machinisme agricole.
Depuis ce matin, j'entends parler du manque de coordination entre les différents ministères – agriculture, écologie, santé et recherche. Quelles corrections suggéreriez-vous et comment communiqueriez-vous sur le terrain ? Par ailleurs, que pensez-vous vraiment de la séparation du conseil et de la vente ? Est-ce le bon curseur ? N'est-ce pas plutôt sur le premier kilomètre depuis l'exploitation que la réduction de l'utilisation de produits phytosanitaires peut être obtenue ? Ne devrions-nous pas concentrer l'effort sur ce premier kilomètre ?
Ayant passé toute ma vie dans la construction autour du Premier ministre et des ministères, je peux vous dire que la machine française fonctionne bien. Mais plus vous créez de ministères, plus vous générez de problèmes de coordination. Nous avons donc toujours intérêt à avoir des gouvernements resserrés plutôt que dispersés, car chaque membre du gouvernement nommé aura une tendance naturelle à persévérer dans l'être, ce qui risque d'entraîner des problèmes de coordination.
La coordination est généralement organisée au niveau de Matignon, dont le rôle consiste principalement à préparer les décisions gouvernementales. Le travail opérationnel de coordination se situe à un niveau plus bas et doit également être pris en compte. Je réitère donc ma réponse précédente : la coordination interministérielle est essentielle et elle est possible, mais avec une feuille de route très précise validée par Matignon.
Je resterai prudent quant à la question de la vente et du conseil car je sens qu'il y a derrière des enjeux très politiques. Jusqu'à présent, les vendeurs étaient considérés comme de bons conseillers, mais il a ensuite été jugé qu'ils ne conseillaient que pour vendre leurs produits. Dans le domaine de la santé, des garde-fous ont été mis en place ; on a choisi d'étendre ces garde-fous aux produits phytosanitaires. L'idée de départ est claire et mérite d'être explorée. Pour ce faire, il est nécessaire que la profession du conseil, détachée de la vente, monte en puissance. Il est essentiel que la capacité de conseil soit autonome ; mais je ne peux pas aller beaucoup plus loin sur cette question, car je ne suis pas compétent.
Je voudrais d'abord revenir sur une expression que vous avez prononcée : « battre la mesure ». Avant de battre la mesure, il faut écrire la partition. L'implication des différents ministères soulève des difficultés, notamment pour la mise en œuvre de l'agriculture durable, avec ses trois pieds : le social, l'économique et l'environnemental. Il semble que l'aspect économique prenne souvent le dessus sur les autres. Avez-vous le sentiment qu'il existe un cadre contraignant qui nous oblige à répondre aux exigences économiques, en particulier dans le domaine agricole, et que cette contrainte influe sur la mise en œuvre des plans ?
Ensuite, pour battre la mesure, il faut être le chef d'orchestre. Jusqu'où peut-on aller dans ce rôle ? En effet, l'application qui est faite de la réglementation européenne sur l'utilisation des pesticides peut différer en fonction de la géographie, notamment entre le Nord et le Sud. Cela pose la question d'une forme de distorsion de concurrence. Par exemple, nos agriculteurs auraient la possibilité d'acheter des produits phytopharmaceutiques interdits en France dans d'autres pays de l'Union européenne où ils seraient autorisés. Nous enquêtons sur ce point, pour vérifier si c'est une réalité ou une perception erronée.
Vous évoquez la possibilité d'une variabilité régionale dans la mise en œuvre des politiques, avec des applications différentes d'une région à l'autre. Cela peut se comprendre, étant donné que les conditions peuvent varier. Cependant, cela soulève le problème d'une application des règles à géométrie variable selon les endroits – problème que nous voyons déjà, par exemple, pour les aides allouées aux jeunes agriculteurs, qui peuvent être très différentes à un kilomètre de distance. En tant que chef d'orchestre, comment verriez-vous cet enjeu de l'harmonisation des politiques ? Opteriez-vous pour une application plus fine au niveau régional plutôt que pour une application nationale uniforme ?
Enfin, des chercheurs de l'Inrae nous disent que la réduction de l'utilisation des pesticides nécessite des moyens financiers. Cependant, ces moyens financiers semblent actuellement insuffisants pour passer au niveau supérieur. Quel regard portez-vous sur le niveau global des financements alloués ?
Il est probable que jusqu'à un temps assez récent, l'économie était le principal moteur de l'ensemble du système. Cependant, la situation évolue. On pense souvent que, pour Écophyto, le ministère de l'agriculture est prépondérant ; en réalité, ce domaine suppose des discussions importantes avec le ministère de l'écologie, dont la capacité de négociation a beaucoup augmenté ces derniers temps. Ainsi, si la puissance économique a longtemps été prédominante, je pense qu'elle est actuellement sérieusement remise en question. Dans le monde agricole lui-même, les agriculteurs, qui sont aussi des pères de famille, prennent conscience qu'il existe un problème potentiel en lien avec la vaporisation des produits phytosanitaires. Je crois que les dimensions écologique et sanitaire ne sont plus seulement une passion minoritaire. Votre commission déterminera plus précisément dans quelle mesure ces changements sont en train de s'opérer ou non.
En ce qui concerne l'idée que, même au sein de l'Europe, il pourrait y avoir la possibilité d'agir à des rythmes différents, vous êtes probablement au courant que nous disposons en France d'une autorité indépendante, l'Anses, chargée de mettre en œuvre la règlementation européenne dans le pays – cette agence est ainsi contrainte par les règles européennes. De plus, les différentes autorités sanitaires nationales se regroupent en trois ou quatre sous-ensembles régionaux pour l'examen des dossiers d'autorisation. Dans le cadre des évaluations de l'Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa), ce sont des consortiums d'agences nationales qui se regroupent pour travailler ensemble à des rapports d'évaluation primitifs. Cela prouve que nous avons intégré, au niveau communautaire, la possibilité d'avoir des éléments d'analyse différenciés entre les différentes régions de l'Europe. Cependant, je ne pense pas que cela autorise des différences d'analyse au sein de chaque pays.
L'Anses peut différencier dans le cadre de ses autorisations. Par exemple, la réglementation des produits à base de glyphosate a donné lieu à une analyse de l'Anses bassin viticole par bassin viticole. En parallèle, l'Inrae a analysé les surcoûts engendrés par l'abandon du glyphosate. Il en ressort que la solution appropriée peut varier d'un bassin à l'autre. Il pourrait être judicieux de discuter de ces questions avec le directeur général de l'Anses. À ma connaissance, l'Anses peut distinguer territorialement les réponses, s'il y a des motifs d'ordre sanitaire.
S'agissant du coût lié à la réduction ou à l'abandon des pesticides, j'avais sollicité la profession du machinisme agricole pour évaluer la capacité de réponse de l'appareil productif présent en France – ce qui inclut les entreprises étrangères opérant sur le territoire français – en cas de suppression totale du glyphosate. Nous avons constaté que cette capacité de réponse ne serait pas immédiate car il faudrait prendre en considération de nombreux aspects, notamment la production de machines spécifiques adaptées à l'absence de glyphosate. Plusieurs années seraient nécessaires. Ce n'est donc pas uniquement une question de surcoûts, mais également de la capacité de l'industrie à s'adapter à une décision radicale.
Après votre nomination le 1er décembre 2018, vous avez produit plusieurs rapports concernant l'état d'avancement des plans d'action relatifs aux produits phytopharmaceutiques et au glyphosate, respectivement en juillet 2019, février 2020 et décembre 2020. Pourquoi n'y a-t-il plus eu de rapport depuis près de trois ans ?
De plus, vous avez déploré l'absence d'une feuille de route du COS et le faible nombre de réunions depuis 2017. Vous avez également confirmé avoir pris connaissance du rapport d'inspection qui a établi l'inefficacité de la mise en œuvre de ces plans Écophyto. Avez-vous eu l'occasion d'alerter le cabinet de la Première ministre lorsque vous avez rencontré des obstacles dans l'accomplissement de votre mission de coordinateur interministériel ?
Enfin, dans votre dernier rapport de décembre 2020, vous avez écrit que les moyens financiers mobilisés s'élevaient à environ 641 millions d'euros, ce qui dépasse largement le budget alloué au seul programme Écophyto, évalué à 41 millions d'euros au niveau national et à 30 millions d'euros au niveau régional. Pensez-vous que le plan Écophyto est sous-financé ? Si tel est le cas, considérez-vous que ce sous-financement constitue un problème structurel contribuant à son échec ?
Les rapports périodiques ont été suspendus pendant la période de la pandémie de Covid-19, qui a entraîné des ajustements pour l'ensemble des activités. Pour ma part, j'ai travaillé aux côtés de Jean Castex en tant que coordinateur du déconfinement. Je garde le souvenir de ces quelques mois de travail acharné pour contribuer à la stratégie de déconfinement du pays.
Ensuite, nous sommes vite passés à autre chose et l'énergie a été orientée vers la planification écologique, qui représente un véritable changement de paradigme. Il s'agit d'une approche panoramique qui exige une concertation plus organisée, publique et assumée. Mes interlocuteurs à Matignon se concentrent sur ce volet et je suis régulièrement convié à des réunions interministérielles ainsi qu'aux COS. Une fois que le nouveau plan Écophyto sera établi et publié, le travail de coordination reprendra logiquement.
Vous avez dit que j'ai regretté l'absence de feuille de route du COS. Je nuancerai légèrement ces propos, car le comité stratégique n'a pas besoin de feuille de route spécifique. La loi définit clairement son rôle. Pour le reste, le Gouvernement fait comme il l'entend ; il le consulte s'il le souhaite. Cependant, le coordinateur interministériel a besoin d'une feuille de route personnelle pour avoir une orientation claire. J'attends donc la nouvelle feuille de route, que ce soit pour moi ou pour mon successeur.
Par ailleurs, vous avez soulevé avec pertinence la question du budget alloué, en comparant les 70 millions d'euros de la maquette budgétaire actuelle avec le chiffre bien plus significatif de 640 ou 650 millions d'euros affectés aux produits phytosanitaires, répartis dans différentes lignes de crédit. La Cour des comptes, dans son rapport de 2019 sur la gestion du programme gouvernemental Écophyto, avait mis en lumière le fait que le périmètre des 70 millions d'euros ne reflétait pas la réalité complète de ce qui était fait pour les produits phytosanitaires. Concrètement, certains financements de nature communautaire, y compris dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), peuvent avoir un impact positif sur la lutte contre l'excès d'utilisation des produits phytosanitaires.
À la lumière de ce rapport, j'ai consacré plusieurs mois à la préparation d'un outil de pilotage des crédits alloués aux produits phytosanitaires. Cet outil avait pour but de retracer avec précision ces 640 millions d'euros, qui pouvaient être entre les mains des directions régionales de l'agriculture ou encore des régions. À plusieurs reprises, j'ai soumis des propositions à tous les ministères concernés sur cette question. Cependant, ces propositions n'ont été ni commentées, ni acceptées, ni même rejetées, car elles sont restées sans réponse. La principale critique à l'encontre de cette initiative était le travail considérable que cela impliquerait pour les directions régionales de l'agriculture, qui disposent de peu de moyens humains pour effectuer un examen minutieux des lignes de crédit afin d'extraire la part consacrée à la réduction des produits phytosanitaires, puis de l'agréger dans une maquette nationale. Mais je suis quasiment persuadé que, si cette tâche était confiée à l'un de nos enfants ou petits-enfants, il trouverait une solution, sous la forme d'une application quelconque, en six mois. Je lance cette idée comme une bouteille à la mer pour les grands navigateurs que vous êtes.
Vous venez d'aborder le sujet de la maquette. Le rapport que j'ai remis au Premier ministre en 2014 soulignait également la nécessité d'une maquette budgétaire lisible, ne serait-ce que pour permettre un pilotage opérationnel, mais aussi pour faciliter l'évaluation parlementaire. Aucune politique publique ne doit en effet échapper à l'évaluation. Pourriez-vous nous transmettre la proposition de maquette que vous aviez formulée ou cela vous pose-t-il un problème de déontologie ?
Comme à l'accoutumée, je devrai informer le ministère, mais je ne pense pas que cela posera de problème. De plus, comme vous rencontrerez bientôt le ministre, vous pourrez renouveler votre demande. Nous avions travaillé avec les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) pendant plus de six mois, car ce n'était pas une priorité pour tout le monde.
Cette maquette pourrait servir de base à une recommandation très simple, car elle répond à une critique émise à la fois dans le rapport d'inspection interministériel de 2021 et par la Cour des comptes. Vous avez apporté une partie de la solution et il nous incombe de prendre le relais pour explorer cette piste. Je ne prétends pas que votre maquette soit l'outil idéal, mais elle cherche en tous cas à apporter une réponse à une lacune identifiée.
Vous avez évoqué la montée en puissance du ministère de l'écologie dans son dialogue avec le ministère de l'agriculture. Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche est lui aussi important, s'agissant notamment de l'enseignement agricole et de la formation des ingénieurs. Dans l'ensemble, je pense que ce ministère a bien amorcé le virage vers l'agroécologie et qu'il est même pionnier dans le domaine. En revanche, le ministère de la santé est le grand absent des discussions autour du plan Écophyto. Malgré toutes les données scientifiques dont nous disposons concernant les impacts des pesticides sur la santé humaine, malgré le fait que, depuis une décennie, on ne parle plus que de prévention au ministère de la santé, il semble que ce ministère demeure le grand absent de ce programme opérationnel visant à protéger nos concitoyens, les travailleurs de la terre, les consommateurs et les riverains. Pourriez-vous nous dire précisément quel est le niveau de présence, de proposition et de représentation du ministère de la santé dans le pilotage de l'une des politiques de prévention majeures en matière de santé publique en France ?
Je prendrai volontiers la défense du ministère de la santé. La remarque est d'ailleurs transposable au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. J'ai été, pendant près de quatre ans, le président – directeur général de Météo-France, ce qui m'a permis de beaucoup côtoyer le monde de la recherche. La recherche a, comme la santé, des modes d'intervention spécifiques, à la différence des ministères de l'agriculture et de l'écologie, organisés selon des modèles administratifs plus classiques, avec une administration centrale, des sous-directions, etc.
Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche travaille avec des procédures spécifiques à la recherche : appels à candidatures, jurys, exigence d'indépendance vis-à-vis des industries. J'ai compris que le ministère de la santé fonctionnait de manière plus ou moins similaire. Il s'intéresse à des politiques transversales, dont la grille de lecture est la santé humaine. Je ne pourrai pas aller beaucoup plus loin, mais j'ai compris qu'il s'intéressait à la santé humaine dans différentes régions, qu'il s'agisse de zones rurales ou urbaines, avec des thèmes médicaux transversaux qui peuvent se croiser avec d'autres questions. Par exemple, la question de la santé respiratoire peut-être croisée avec la problématique des expositions environnementales. Ces schémas d'intervention doivent être pris en compte. En tout cas, le ministère de la santé fait l'effort d'être présent dans les réunions que nous organisons.
Est-il force de propositions ? Prend-il la parole ? Est-il une force qui guide la décision publique dans ce domaine ?
J'ai l'impression qu'ils sont actifs dans leur domaine de compétence, à savoir la santé, et qu'ils réincorporent les questions de santé agricole dans des problématiques de santé transversales.
Avec votre vision panoramique de la transition écologique, vous avez certainement suivi l'accouchement laborieux du plan stratégique national (PSN) français. La Commission européenne avait demandé à la France de réviser son plan initial ; un effort a minima a été accompli, et ce PSN a été validé « au chausse-pied ». Les mesures mises en place sont certes populaires, mais elles n'incitent pas à des changements de pratiques significatifs. Pensez-vous qu'il soit possible de réussir le plan Écophyto sans disposer d'un PSN à la fois populaire et efficace ?
Je ne peux m'exprimer sur ce sujet qui excède mon domaine de compétence et n'a jamais fait partie de ma mission en tant que telle.
Nous avons la chance d'avoir aujourd'hui devant nous un homme sincère et totalement engagé dans l'intérêt public. Avez-vous observé une pression exercée par les milieux économiques, notamment la phytopharmacie ou le syndicalisme agricole, qui aurait freiné l'avancée du ministère de l'agriculture dans son élan vers la transition agroécologique, notamment en ce qui concerne la maîtrise des produits phytopharmaceutiques ?
Oui. Lorsque vous avez un ministère spécialisé dans un domaine particulier, il est inévitable que les lobbys de ce domaine s'y présentent. Le ministère doit non seulement les écouter s'il le souhaite, mais aussi résister à leurs pressions. Il revient aux services du Premier ministre et au Premier ministre de maintenir l'équilibre. Pour cette raison, il est important aussi d'avoir un équilibre d'ensemble dans l'organisation gouvernementale, incarné ici par le ministère chargé de l'écologie.
Dans l'Europe contemporaine, la politique fonctionne avec ces tentatives de dialogue, ces notes qui circulent, ces lettres qui arrivent et ces demandes de rendez-vous. Cela ne signifie pas que le ministère est perméable à toutes les demandes. De nos jours, il existe des normes en matière de lobbying au Parlement français ou au Parlement européen, ainsi que des règles de déontologie applicables à l'ensemble du secteur public. Je rappelle que la déontologie constitue une obligation personnelle, ce qui la différencie du droit public. Concrètement, vous devez vous faire votre conviction personnelle de ce que vous avez à faire. Nous évoluons dans un nouvel écosystème dans lequel les agents publics sont censés avoir intégré ces questions de déontologie. Mais, je le répète, le fait d'être un ministère ouvert à une profession ne signifie pas être totalement perméable aux acteurs de la profession.
J'aimerais vous interroger sur le degré de perméabilité des différents ministres à ces pressions économiques, mais…
Mais la réponse est dans la question !
Plusieurs voix se sont élevées pour remettre en question la loi de 2014, inscrite dans le code de la santé publique, qui confère d'importantes prérogatives et une quasi-autonomie de décision à l'Anses en matière d'autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Au vu de votre expérience et en conscience, pouvez-vous nous dire s'il vous paraît souhaitable, aujourd'hui, de conserver à l'Anses le pouvoir de retirer des produits lorsque, après concertation et expertise scientifique, elle estime ce retrait nécessaire sur le plan sanitaire ?
L'Anses fait partie d'un réseau communautaire ; elle est une agence parmi d'autres. Ces acteurs sont intégrés dans le système des directives et règlements communautaires. Il peut évidemment y avoir une marge d'adaptation nationale, mais je pense que se distinguer sur un tel sujet serait un signal très négatif.
Deuxièmement, rappelez-vous ce qui a été dit sur le sang contaminé ou sur d'autres scandales de santé publique. Il est toujours facile de dire que l'expert a été trop rigoureux, mais quand les choses tournent mal, on lui reproche de ne pas avoir effectué correctement son travail de contrôle. Il ne faut donc pas s'attendre à ce que les membres des organismes d'expertise deviennent plus indulgents sur ce sujet. Le directeur général de l'Anses n'a pas une tâche pas facile, mais il doit conserver une crédibilité scientifique au niveau européen. Si cette crédibilité venait à se détériorer, les demandes d'expertise seraient confiées à des entités étrangères plutôt que françaises.
Cependant, ma question était plus spécifique : faut-il redonner la décision d'autorisation de mise sur le marché au politique, une fois que l'Anses a émis son avis scientifique ? Le politique doit-il avoir le dernier mot ou doit-on, comme c'est le cas depuis la loi de 2014, se conformer à l'avis de l'Anses et mettre en œuvre ses préconisations ?
Il existe une position intermédiaire. Je préside une commission du ministère de la santé qui traite des problèmes de représentation des malades au sein des hôpitaux. Dans ce cadre, nous donnons un avis conforme au ministre, ce qui induit deux options pour celui-ci : soit il suit l'avis de la commission, soit il ne fait rien, mais il ne peut pas décider d'une troisième solution. Je trouve assez normal qu' in fine, l'autorité politique prenne ses responsabilités, y compris dans le domaine sanitaire. Il pourrait donc être intéressant d'explorer cette hypothèse de l'avis conforme.
Je suppose que, dans votre esprit, cet avis conforme devrait être donné par le Premier ministre, après avis du ministre de l'agriculture, mais aussi du ministre de la santé.
Je vous remercie, monsieur le préfet, pour tous les éléments que vous nous avez apportés. Mais nous avons eu un discours plutôt centré sur la France et je suppose que, dans le cadre de vos travaux, vous avez dû observer ce qui se passait dans d'autres pays. J'aimerais donc savoir si vous avez observé des pratiques plus efficaces ailleurs.
Je n'ai pas fait beaucoup de parangonnage mais j'en ai observé. En France, on entend souvent que d'autres pays seraient plus laxistes que le nôtre ; ce discours critique la réglementation française qui serait trop lourde, et porterait atteinte à la compétitivité de l'économie agricole. Cependant, il est souvent difficile de prouver ces affirmations. Je pense qu'il existe des pays où les réglementations sont assez similaires aux nôtres, mais où elles ne sont pas toujours appliquées.
Puis, la commission entend plusieurs organisations professionnelles d'agriculteurs :
- M. Hervé Lapie, secrétaire général de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), accompagné de Mme Nelly Le Corre, cheffe du service environnement ;
- Mme Sylvie Colas, secrétaire nationale en charge du dossier pesticides de la Confédération paysanne ;
- Mme Véronique Le Floc'h, présidente et M. Patrick Legras, membre de la Coordination rurale ;
- M. Quentin Le Guillous, secrétaire général adjoint des Jeunes agriculteurs, accompagné de M. Thomas Debrix, responsable du service communication et affaires publiques.
Mesdames et messieurs, nous allons reprendre nos travaux. Je prie les membres de la commission d'excuser mon absence lors des deux dernières auditions et je remercie Mme Laurence Heydel Grillere de m'avoir remplacé.
Nous accueillons les représentants de l'agriculture, c'est-à-dire les grands syndicats agricoles. La commission d'enquête s'est initialement penchée sur des enjeux techniques : les différentes familles de produits, les principes actifs utilisés, les autorisations à l'échelle européenne et la distinction entre l'analyse et la gestion du risque en France. La sortie de la dépendance aux produits phytopharmaceutiques ne sera possible que grâce à des solutions alternatives. Notre commission se demande qui définit ces solutions : la recherche, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), les instituts techniques, les ministères ? Nous avons constaté qu'il manquait une vision globale des paramètres de la transition agroécologique, établie en concertation avec tous les acteurs. Finalement, l'agriculteur est un peu le seul à mettre en œuvre cette vision globale.
Votre témoignage revêt donc une grande importance pour notre commission d'enquête, qui cherche à comprendre l'échec de politiques publiques que la Nation a décidées. Nous ne parvenons pas à atteindre nos objectifs en matière de réduction des produits phytosanitaires.
J'ai donc le plaisir d'accueillir les représentants des syndicats agricoles. Je vais à présent vous laisser la parole pour une durée de 6 à 7 minutes par organisation. Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
Je vous rappelle également que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».
(M. Hervé Lapie, Mme Nelly Le Corre, Mme Sylvie Colas, M. Patrick Legras, M. Quentin Le Guillous et M. Thomas Debrix prêtent successivement serment.)
Je vous remercie de nous avoir invités à cette audition de votre commission d'enquête sur les produits de santé végétale. À la FNSEA, nous sommes convaincus de la nécessité de protéger toutes les cultures pour garantir notre souveraineté alimentaire, de promouvoir la diversité des cultures dans tous les territoires et d'assurer la protection de l'environnement ainsi que de la santé des agriculteurs, de nos concitoyens et des consommateurs.
La FNSEA a toujours insisté, notamment dans le cadre d'Écophyto, sur le besoin de moyens de recherche et d'innovation afin d'assurer la transition en agriculture. Celle-ci n'est pas complètement dépendante des produits de santé végétale mais, aujourd'hui, nous devons protéger nos cultures pour répondre aux exigences du marché, lequel impose des contraintes fortes à nos agriculteurs.
À propos du constat d'échec ou de semi-échec du plan Écophyto, nous pensons que ce sujet mérite une approche globale. Nous avions remarqué que nos agriculteurs testaient différentes solutions mais étaient démunis du point de vue de l'accompagnement. Nous avons alors créé en 2017 une association appelée le « contrat de solutions », regroupant aujourd'hui 45 partenaires issus de la génétique, de la robotique, du biocontrôle, de la chimie, du machinisme et des outils d'aide à la décision. L'objectif est de fournir un soutien structurel aux agriculteurs, lesquels ont besoin d'un maillage de partenaires autour d'eux.
Notre démarche globale, amorcée en 2017, a également été proposée à l'État, notamment dans le cadre d'Écophyto. Elle vise à promouvoir une vision globale de la recherche appliquée pour maintenir la production en France. J'en profite pour souligner la grande diversité de la production agricole française, qui est une vraie richesse. Le contrat de solutions propose aujourd'hui plus de 110 fiches pratiques offrant des solutions pragmatiques pour réduire l'usage des produits de santé végétale.
Nous devons également anticiper les interdictions potentielles de molécules en identifiant les produits qui ont un impact sur la santé et l'environnement, en cherchant collectivement des alternatives pour éviter de mettre les agriculteurs dans une impasse. De nombreuses filières agricoles sont en effet actuellement confrontées à des impasses, ce qui peut avoir un impact sur la diversité et l'agroécologie dans nos exploitations. En effet, ces cultures mineures sont en effet essentielles à l'agroécologie.
Nous surveillons également de près les distorsions de concurrence sur le marché européen et nous réclamons les clauses miroirs dans le contexte international.
De plus, nous cherchons à valoriser le travail des agriculteurs à travers le contrat de solutions. Nous remarquons que les agriculteurs sont stigmatisés pour l'utilisation des produits de santé végétale et nous devons rendre leur fierté aux agriculteurs qui innovent. La FNSEA n'a jamais nié la nécessité d'une transition, mais celle-ci ne sera possible que si on les accompagne.
Nous avons déjà enregistré une réduction de 20 % de la quantité des substances actives (QSA) vendues entre 2015-2017 et 2022. La génétique nous a aidés à atteindre ces résultats. Nous avons observé une réduction importante des produits les plus dangereux, les CMR (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques) 1 et 2, avec une baisse de 96 % pour les CMR 1 et de 22 % pour les CMR 2, du fait des interdictions qui sont intervenues. Globalement, les QSA augmentent, à l'inverse, pour le biocontrôle et pour les produits utilisables en agriculture biologique. Nous évoluons donc et il est important de souligner ces progrès.
Nous avons également mis en place des indicateurs basés sur ce que le Contrat de solutions et ses partenaires proposent, notamment en ce qui concerne les variétés résistantes. Par exemple, dans la culture de pommes de terre, les agriculteurs utilisent largement des variétés résistantes au mildiou, ce qui a permis de réduire de 30 % l'utilisation de fongicides. De même, dans le domaine des maladies fongiques, nous avons doublé le nombre de variétés résistantes pour le blé. Ces variétés résistantes ne peuvent pas s'imposer aussi rapidement dans les vignes, qui sont des plantes pérennes. Mais l'on observe néanmoins une augmentation de 167 % des surfaces cultivées avec des variétés résistantes au mildiou et à l'oïdium. Toutes ces avancées sont facilitées par des outils d'aide à la décision, que ce soit pour les pommes de terre, le blé ou d'autres cultures. Notre approche globale est ainsi largement soutenue par la génétique et tous les partenaires sont acteurs de cette transition.
De plus, nous devons continuer à travailler avec le machinisme, qui nécessite d'importants investissements sur les exploitations agricoles. Nous savons que la robotique, le machinisme et le numérique joueront un rôle essentiel dans le futur. Cependant, un robot semeur et désherbeur de betteraves représente aujourd'hui un investissement d'environ 100 000 euros pour une autonomie d'environ 20 hectares. À l'échelle de la filière de la betterave, l'investissement représenterait environ deux milliards d'euros pour généraliser cette pratique. Il est évident que des efforts doivent être réalisés en matière d'innovation.
La Confédération paysanne travaille depuis des années sur la sortie des pesticides. Dans notre pratique agricole, nous avons des moyens pour résoudre un certain nombre de problématiques liées au désherbage et à la pression sanitaire sur nos cultures. Ces moyens sont principalement basés sur des pratiques, qui ne sont souvent pas évaluées parce qu'il est plus courant de réaliser des comparaisons techniques et scientifiques entre des pesticides spécifiques et d'autres produits. Notre approche est plus globale et systématique. Elle inclut des éléments tels que le matériel végétal territorialisé et résistant, des semences paysannes et la densité de semis et de plantations.
Cette année, nous avons réalisé une enquête auprès des viticulteurs de la Confédération paysanne pour comprendre comment ils avaient géré la forte pression du mildiou : certains ont constaté que la réduction de la densité de plantations avait favorisé une meilleure ventilation des plants, qui a été bénéfique. Les produits naturels, notamment des préparations à base de plantes, ont également été utilisés avec succès par de nombreux viticulteurs. Le choix de la variété adaptée au terroir et une densité plus faible ont souvent agi comme une barrière protectrice contre les maladies. Cette approche est pertinente non seulement pour la production végétale, mais aussi pour l'élevage qui est concerné par les épidémies, car les individus sont tous identiques dans les élevages industriels.
Les pratiques agricoles, avec l'utilisation de compost et de fumier pour augmenter la matière organique des sols, conduisent à une stabilité et à une croissance plus régulière, réduisant ainsi la pression sanitaire. Cela contraste avec les situations où les plantes sont fortement stimulées par des apports d'azote, entraînant une vulnérabilité accrue aux maladies, avec l'apparition, notamment, de la rouille ou de la fusariose. Les pratiques plus traditionnelles avec des variétés mieux adaptées entraînent donc une réduction des applications de pesticides. La Confédération paysanne prône ainsi l'adoption d'une approche globale pour sortir des pesticides.
De plus, nombre de nos confédérés se sont engagés dans un processus de certification biologique, une démarche qui demande du temps et de l'engagement. Des décisions importantes sont prises en ce moment, mais nous nous demandons ce que l'on peut dire aux agriculteurs, qu'ils soient conventionnels ou engagés dans l'agriculture biologique, lorsqu'on les encourage à réduire l'utilisation de pesticides, tandis que l'utilisation de certains produits, notamment le glyphosate, est prolongée. La santé publique commence cependant par l'alimentation, c'est-à-dire par la manière dont le produit est sorti de terre. Les agriculteurs ont besoin de se rapprocher de la société civile et la Confédération paysanne évite l'entre-soi en s'engageant dans des groupes tels que « Nourrir » pour parler de l'alimentation de demain et des politiques agricoles nécessaires. Le seul ratio économique ne peut plus déterminer l'utilisation des pesticides.
Actuellement, l'agriculture est confrontée à des défis posés par le changement climatique et par la diminution des rendements. Nous réalisons que la génétique seule ne pourra plus fournir les évolutions de rendement que nous avons observées au cours des dernières décennies. Les nouvelles technologies, telles que le numérique et la robotique, sont des outils précieux, mais ils ne pourront pas apporter les gains de productivité que l'agriculture a connus sans utiliser des pesticides. Au total, le modèle agricole industriel actuellement promu risque d'accentuer et de valoriser davantage l'utilisation de pesticides. Il est compréhensible que certaines personnes votent en faveur du maintien du glyphosate, car cela peut sembler économiquement avantageux. Des choix politiques importants doivent cependant être posés, qui concernent l'avenir de l'agriculture, si l'on souhaite une agriculture résiliente à long terme.
Les annonces contre l'agriculture biologique et les sous-financements des écorégimes envoient de mauvais messages et ont découragé de nombreux agriculteurs qui souhaitaient s'engager dans une transition agricole pour mieux servir leurs concitoyens et redorer l'image de l'alimentation française. Chaque jour, on nous rappelle que nos méthodes, comme l'utilisation de bineuses et le travail du sol, génèrent une pollution supérieure à celle produite par l'utilisation du glyphosate, qui coûte finalement dix euros par hectare. Il est temps de faire des choix politiques cruciaux pour l'avenir de l'agriculture. Si nous aspirons à une agriculture plus résiliente sur le temps long, nous devons agir, même si nos résultats ne sont pas immédiats.
Je pense que les jeunes que nous accueillons au sein de la Confédération paysanne – même si certains d'entre eux atteignent déjà la quarantaine – adopteront un modèle différent. Leur objectif n'est pas la productivité, mais plutôt d'assurer la souveraineté alimentaire en garantissant la qualité et la quantité pour une alimentation accessible à tous. Si nous éliminons les pesticides, nous réviserons nos pratiques agricoles, la génétique, le travail du sol et la gestion de l'azote pour revenir au bon sens paysan.
On nous a demandé, de plus en plus, de produire avec moins de pesticides, et cet appel a été entendu par les agriculteurs, notamment à travers le développement de l'agriculture biologique. Pourtant, moi qui suis localisé dans le Nord, et qui n'ai ainsi pas une pression climatique top importante à déplorer, je constate cette année un phénomène intéressant : un certain nombre de personnes qui avaient opté pour une agriculture sans pesticides il y a cinq ou dix ans reviennent dès cette année à un système traditionnel. La Coordination rurale est bien favorable à la réduction des pesticides, mais il n'existe pas de solution concrète.
Il existe des agriculteurs, avec des exploitations de 100 à 200 hectares et du personnel, qui étaient passés à l'agriculture biologique il y a cinq ou six ans. Cependant, aujourd'hui, les produits agricoles de grande culture sont vendus au même prix qu'ils soient traités avec des pesticides ou non. Ce mouvement se produit malgré la volonté marquée par l'Union européenne de favoriser le développement de l'agriculture biologique et la réduction de l'utilisation des pesticides. Le problème réside dans le manque d'accompagnement et de volonté économique.
L'article L. 236-1 A du code rural et l'article 44 de la loi Egalim permettent d'interdire l'importation de denrées alimentaires qui ne respectent pas les normes de production européennes. Cette avancée est positive, mais elle doit être appliquée. Nous pouvons mettre en place toutes les réglementations que nous souhaitons en France, mais plus de 50 % de l'alimentation française est désormais importée. Sans solutions dans les prochaines années pour nous protéger contre ces concurrences déloyales, nous risquons de perdre encore 15 % à 25 % de notre souveraineté alimentaire.
La Coordination rurale est pleinement favorable à la réduction de l'utilisation de produits phytosanitaires, mais un accompagnement est nécessaire. Il induit d'ailleurs davantage de main-d'œuvre et une plus grande mécanisation, ce qui demande également un soutien pour compenser la hausse des coûts liés aux besoins énergétiques. Or, il n'y a pas de volonté nationale en ce sens. Malgré notre bonne volonté, les solutions économiques n'existent pas.
La voiture est dangereuse si l'on conduit à gauche ou que l'on se trouve en excès de vitesse mais elle ne présente pas de risque si les règles de conduite sont respectées. De la même manière, il faut arrêter de pointer la dangerosité des produits phytopharmaceutiques. C'est leur utilisation excessive ou inadaptée qui peut comporter des risques. Il s'agit de différencier la notion de danger de celle de risque.
Le véritable risque actuel, c'est l'effondrement rapide de notre secteur agricole. La France évolue à deux vitesses : certaines régions bénéficiant de l'eau possèdent des terres de qualité, tandis que celles du Sud sont dans une situation bien plus critique. Certaines personnes en arrivent à ne plus cultiver. Par conséquent, j'appelle aujourd'hui à trouver une solution pour réduire l'utilisation des pesticides, mais cette solution doit permettre aux agriculteurs de s'en sortir.
Jeunes agriculteurs portent une vision d'avenir. Ces dernières années, nous avons constaté une volonté partagée par les consommateurs, les citoyens et les agriculteurs de réduire, voire d'abandonner l'utilisation de produits phytosanitaires.
Le Gouvernement nous accompagne de manière progressive, mais par l'élaboration de plans tels qu'Écophyto, par des modifications législatives ou par des retraits soudains de produits, sans pour autant proposer de solutions concrètes pour les jeunes. Notre principal sujet de préoccupation est celui de l'installation. Pour encourager les jeunes à s'installer, il est impératif qu'ils aient une vision d'avenir pour leur entreprise. Nous sommes favorables aux plans de sorties des produits, mais ils doivent s'accompagner de solutions pratiques et d'un véritable soutien aux jeunes. Ces plans doivent également être logiques, ils ne doivent pas préconiser une sortie abrupte de l'utilisation des produits phytosanitaires.
Un autre défi pour les jeunes est l'investissement. Lorsqu'ils s'installent, ils sont confrontés à des investissements de plus en plus importants pour moderniser leur exploitation, que ce soit par la mécanisation, par la robotique ou par d'autres alternatives pour sortir des produits phytosanitaires. Ces investissements demandent des ressources financières considérables et les jeunes agriculteurs ne disposent pas des mêmes moyens que les agriculteurs plus âgés. Il est essentiel d'accompagner ces jeunes sur le long terme.
Nous atteignons actuellement à 10 % de la surface agricole utile en agriculture biologique en France. Mais cette année, nous n'arrivons pas à vendre le bio. Pour atteindre un niveau optimal, il faudrait viser seulement 6 % de produits biologiques en France en 2023. Nous sommes ainsi confrontés à une réalité économique, notamment en raison de l'inflation et la crise en Ukraine. Tout le monde est attentif à son porte-monnaie et les consommateurs privilégient parfois des produits alimentaires moins chers, dont les trois quarts sont importés et ne respectent pas le cahier des charges français, qui est bien plus strict que celui de l'Union européenne.
Chez Jeunes agriculteurs, nous sommes convaincus que les solutions françaises sont les meilleures, mais nous souhaitons que l'Europe nous suive. Nous aspirons en effet à des solutions européennes harmonisées, permettant l'échange de produits et denrées alimentaires. Si la sortie des produits phytosanitaires doit avoir lieu en 2050, nous devons savoir comment nous allons valoriser et vendre nos produits.
En outre, nous avons pour mission de nourrir la France et, en partie, le reste du monde. L'hypothèse d'une réduction de 50 % des rendements de l'agriculture française n'est pas incompatible avec la sécurité alimentaire nationale, mais elle soulève des questions en ce qui concerne les exportations vers des pays tiers. Devons-nous adopter une approche strictement française ou bien devons-nous travailler en coopération avec l'Europe, pour harmoniser les lois afin qu'un produit interdit en France le soit aussi en Allemagne et dans d'autres pays européens, plutôt que de laisser perdurer des divergences qui créent une concurrence déloyale ?
Cette concurrence déloyale amoindrit l'attractivité de nos métiers. Nous observons que nos parents trouvent leur travail plus difficile, que la vie économique et sociale sur les exploitations devient de plus en plus complexe. Si nous voulons attirer de nouvelles générations vers ces métiers, nous devons leur offrir des perspectives économiques, des conditions de travail décentes ainsi qu'une vie sociale et familiale épanouie. Pour ce faire, nous avons besoin de votre soutien, de celui des syndicats et de l'appui de l'Europe.
Je vais vous demander de fournir des réponses précises et concises à mes questions, qui seront nombreuses. La première question pour juger du succès du plan Écophyto, c'est de savoir si nous y croyons. Il est en effet essentiel de croire à ce plan pour jouer le jeu ; la crédibilité d'Écophyto repose ainsi sur la conviction des acteurs du monde paysan. D'après ce que j'ai pu entendre, j'ai l'impression que vous pourriez répondre à cette question par « oui » ou par « non ».
Par ailleurs, vous avez exprimé dans vos interventions l'idée qu'il faudrait choisir entre la production, ou le revenu, et la réduction des produits phytosanitaires. Cependant, les 3 000 fermes Dephy démontrent qu'il est possible de réduire de 30 % à 50 % la pression phytosanitaire, tout en maintenant le revenu, et sans diminuer la production. Pourquoi ne croyez-vous donc pas dans Écophyto, dans la mesure où ses objectifs semblent compatibles avec les attentes que vous avez légitimement exprimées ?
Le véritable enjeu en lien avec le plan Écophyto et les 3 000 fermes Dephy réside dans l'accompagnement des agriculteurs, qui doit être développé. Dans le contexte d'Écophyto, la recherche, l'innovation, le conseil et la formation sont essentiels. Le manque de conseillers sur le terrain est un défi à relever pour accompagner les agriculteurs.
L'accompagnement et la formation sont des facteurs limitants, mais les conditions pédoclimatiques et les aléas climatiques sont aussi des éléments importants à considérer, car ils influencent fortement la production d'une année à l'autre. Nous pouvons obtenir des résultats satisfaisants une année, mais nous serons dépendants des aléas climatiques lors de la suivante.
Je suis également éleveur et mon objectif est de ne plus utiliser d'antibiotiques. J'y parviens, grâce à un élevage fermé et très contraint sur le plan sanitaire. Face aux aléas climatiques – je pense notamment aux maladies sur les vergers – il est essentiel de réagir. Nous parlons d'un monde vivant ; la protection sanitaire ne peut pas simplement être inscrite sur un bout de papier en début d'année grâce à un conseil stratégique.
Les fermes Écophyto sont des laboratoires vivants, avec une grande diversité d'écosystèmes, de systèmes de production et de conditions climatiques.
3 000 fermes, c'est au fond un nombre est assez limité compte tenu de la diversité des productions. Il est important de noter que, quel que soit le type de production, la question centrale qui se pose est celle du travail. Avec l'agrandissement des fermes, la mécanisation a trouvé ses limites pour la gestion des conditions météorologiques. Le plan Écophyto ne fournit pas nécessairement toutes les solutions et ne comprend pas d'approche systémique. Il est plutôt axé sur une approche molécule par molécule, c'est-à-dire sur la substitution de produits chimiques par des produits bio. En restant dans ce raisonnement, nous ne sortirons pas des produits phytosanitaires. En réalité, l'arrivée de nouvelles variétés a accentué l'utilisation des pesticides.
Le plan Écophyto est souvent présenté de manière positive mais, dans la pratique, il touche seulement 3 000 agriculteurs sur un total de près de 400 000. Tant que le travail du paysan qui fournit des efforts ne sera pas rémunéré correctement, nous ne sortirons pas de l'utilisation des produits phytosanitaires. La rémunération peut passer par l'internalisation des externalités positives du bio, par la politique agricole commune (PAC) ou par une action sur les prix de vente.
J'ai eu de bons retours de fermes Écophyto mais la baisse des produits phytosanitaires concerne les volumes. Par exemple, dans le cas de la betterave, on utilise moins de produits, mais on les applique plus souvent. La fréquence n'a donc pas été réduite. De plus, les conditions climatiques ont un impact significatif et la relative sécheresse a diminué la sensibilité aux maladies lors de ces dernières années. Cette année, certains producteurs du secteur de la vigne vont enregistrer une baisse de production de 50 % en étant passés en haute valeur environnementale (HVE) : tous ne s'en remettront pas. J'ai traité quatre fois mes pommes de terre l'année dernière, contre quinze fois cette année. L'approche dépend ainsi fortement des conditions climatiques mais, surtout, de l'aspect économique.
Actuellement, un conseiller s'occupe d'environ trois fermes Dephy en moyenne. Si vous êtes prêts à recruter 70 000 à 80 000 conseillers et à ramener davantage de financements pour accompagner les 400 000 agriculteurs en France dans leur transition, nous vous suivrons, à condition que les résultats soient au rendez-vous.
Je veux bien passer en ferme Écophyto et je suis favorable à la réduction de l'utilisation des pulvérisateurs. Les fermes Dephy utilisent le système bas volume ou d'anticipation, où les molécules sont utilisées à des concentrations moindres, mais appliquées de manière préalable. Cependant, ces méthodes demandent plus d'utilisations du pulvérisateur ; cela peut susciter des réactions négatives de la part des voisins. Un accompagnement continu des agriculteurs est donc nécessaire, surtout compte tenu des restrictions soudaines appliquées sur certains produits phytosanitaires, comme les néonicotinoïdes ou le prosulfocarbe.
Je suis favorable à cette vision d'avenir qui anticipe les sorties de produits phytosanitaires. Je suis prêt à travailler sans glyphosate dans dix ans si nous avançons ensemble sur des financements et des solutions. Actuellement, certaines entreprises productrices de produits phytosanitaires disposent de plus de financements pour la recherche que l'État français lui-même. Par conséquent, travaillons sur le financement de la recherche en France pour réduire l'utilisation de produits phytosanitaires.
Pouvez-vous nous décrire succinctement votre position sur la question de la séparation du conseil et de la vente de produits phytosanitaires ?
Je n'ai pas vraiment constaté de changements. Auparavant, le vendeur de produits phytosanitaires était également mon conseiller. Aujourd'hui, nous n'avons plus de conseils écrits, seulement de rares conseils oraux. Pour obtenir un vrai conseil, nous devons soit nous tourner vers les chambres d'agriculture, soit vers le bulletin de santé du végétal d'Arvalis. Nous sommes actuellement laissés dans le flou, alors qu'auparavant, nous avions un suivi technique plus concret, avec des conseils directs sur nos pratiques.
Ce diagnostic a été posé à la fois par l'État et le Parlement, mais la situation n'a pas changé. Par conséquent, que pouvons-nous faire maintenant ?
Au regard de la situation actuelle, nous pourrions envisager un retour en arrière. Cependant, je pense que ce n'est pas la volonté de l'État français de revenir à une situation où le vendeur de produits phytosanitaires est également conseiller. Il est peut-être nécessaire d'établir un meilleur cadrage pour les conseillers et les vendeurs de produits phytosanitaires. Dans les années 1990, l'agriculteur recevait des points pour obtenir des cadeaux en achetant des produits phytosanitaires. Il a heureusement été mis un terme à ces pratiques, qui semblent désormais inconcevables. La formation des conseillers et des vendeurs de produits phytosanitaires est essentielle, ainsi qu'une formation sur l'utilisation des produits de biocontrôle et sur les meilleures pratiques pour tous les types de produits, qu'ils soient phytosanitaires, chimiques ou de biocontrôle.
Je vais poser une question qui pourrait peut-être faire progresser les choses ; elle ne se veut pas provocante. Aujourd'hui, je constate les échecs des recommandations, qui sont minimalistes, mais qui ne donnent pas les résultats escomptés. Est-ce toujours à l'agriculteur de fournir les efforts ? C'est d'ailleurs toujours lui qui est sanctionné en cas d'échec. Est-il possible de mettre en place une approche, grâce au réseau Écophyto, qui proposerait des solutions aux agriculteurs sans qu'ils portent les risques ?
La Confédération paysanne développe d'abord l'autonomie des paysans. De nombreuses fermes paysannes ne reçoivent jamais la visite de techniciens agricoles, car elles préfèrent s'appuyer sur les échanges entre elles pour améliorer leurs pratiques. Nous regrettons que de nombreux jeunes installés, formés et qualifiés soient infantilisés, alors qu'ils sont capables d'exercer leur métier avec une certaine autonomie. À l'inverse, le numérique, qui envoie des alertes fréquentes, dessert la réduction des pesticides, en réduisant cette autonomie. Les agriculteurs se sentent obligés de suivre les recommandations à la lettre, même s'ils estiment qu'elles ne sont pas toujours pertinentes. Ces outils retirent à l'agriculteur la possibilité de juger lui-même de la situation, d'inspecter son champ, de prendre en compte la pression sanitaire réelle et d'évaluer les bénéfices et les risques liés à un traitement.
Dans l'agriculture paysanne, nous valorisons l'autonomie et nous souhaitons que les agriculteurs soient formés pour adopter une approche globale. Ils devraient être en mesure de décider par eux-mêmes si un traitement est nécessaire ou s'il peut être évité, tout en tenant compte des conséquences potentielles.
Je pense que la séparation de la vente et du conseil a été une erreur stratégique. Les agriculteurs d'aujourd'hui sont bien formés et sont capables de reconnaître les maladies ainsi que de gérer leur exploitation agricole. Cependant, le niveau de formation des agriculteurs a souvent été sous-estimé et on a considéré qu'ils se contentaient de suivre l'ordonnance de leur technicien, ce qui constitue une forme de mépris. Les agriculteurs ont toutefois besoin d'être accompagnés par leurs techniciens, qui sont souvent également des vendeurs de produits phytosanitaires. Leur objectif n'est pas seulement de vendre ces produits, mais aussi d'accompagner véritablement les agriculteurs.
Je crois que les coopératives agricoles sont en mesure d'accompagner cette transition en formant leurs techniciens à un haut niveau de compétences. La séparation de la vente et du conseil a ainsi privé les agriculteurs de leurs conseillers techniques.
Devons-nous remettre le certificat d'économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP) sur la table ?
Dans le contrat de solutions, nous avons des certificats d'économie de produits phytosanitaires qui sont reconnus, mais le CEPP ne réglera pas tout.
Quelle est votre opinion sur le règlement européen SUR en cours de négociation ? De plus, que pouvez-vous dire sur l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ? Les prérogatives qui lui sont données dans le cadre de la loi de 2014 sont aujourd'hui remises en cause publiquement ou officieusement par des forces de la société civile, parfois par des élus de la Nation et même, avec une certaine ambiguïté, par des ministres. Défendez-vous le maintien dans le code de la santé publique du pouvoir d'autorisation des produits donné à l'Anses ou militez-vous pour le retour à une décision politique in fine, après avis de l'Anses ?
À propos du règlement SUR, les grandes directions manquent d'études d'impact sur les conséquences pour l'agriculture. Nous sommes d'accord avec la réduction de l'utilisation des produits de santé végétale de 50 %, mais il est essentiel de bien comprendre les conséquences de cette stratégie pour l'agriculture française et européenne. Des études d'impact, provenant notamment de collègues américains, ont estimé une baisse de la production agricole en Europe de l'ordre de 12 % à 15 %, ce qui semble avoir été validé.
Il est important d'engager les transitions en agriculture au niveau européen dans un projet de règlement qui emmène tous les agriculteurs européens vers la même dynamique pour éviter des distorsions de concurrence à l'intérieur de l'Union européenne. De plus, il est nécessaire de maintenir l'agriculture sur tous les territoires et de ne pas créer d'impasses. Enfin, il faut éviter des accords de subsidiarité entre les États membres, qui remettraient en question la règlementation européenne.
La réciprocité des normes avec les pays tiers est également un enjeu majeur du règlement SUR. Tous les produits importés dans l'Union européenne doivent respecter des normes équivalentes à celles établies au sein de l'Union européenne. Cependant, si l'on met en place des clauses miroir, c'est très difficile à contrôler ensuite.
Par ailleurs, l'Anses valide les autorisations de mise sur le marché (AMM) et les agriculteurs utilisent des produits de santé végétale qui bénéficient de ces AMM. Cependant, il est légitime de se demander ce qu'il se passe si l'Anses des décisions qui mettent une partie de la production agricole dans une impasse, en l'absence de solutions alternatives. Concrètement, si l'Anses décide d'éliminer un produit de santé végétale, sa sortie doit être politiquement accompagnée pendant un certain délai. Cette question est essentielle pour assurer la viabilité de l'agriculture tout en garantissant la sécurité sanitaire. Cette réflexion rejoint le nouveau plan Écophyto 2030 annoncé par la Première ministre, lequel doit examiner comment gérer les impasses résultant de décisions scientifiques.
L'exemple de l'interdiction par l'Anses de la phosphine sur les paquebots exportant du blé montre que des décisions basées sur des critères scientifiques peuvent entraîner des conséquences économiques majeures. En effet, dans ces conditions, nos exportateurs de céréales ne pouvaient plus exporter de blé vers le Maghreb. Une décision politique a alors été prise pour sortir de cette impasse. La question ne se résume pas à un choix binaire, mais les décisions scientifiques peuvent amener certaines filières dans des impasses et la trajectoire de sortie doit être accompagnée par le politique.
Nous avons un réel problème avec les pesticides ; nous avons un coût important lié à la dépollution de l'eau et nous faisons face à des maladies professionnelles ainsi qu'à des problèmes de la santé publique. Les politiques, et notamment le ministre de l'agriculture, engagent le reste de la société dans des décisions, notamment au sein de l'Europe. Dans les collectifs, le nivellement par le bas permet parfois de mettre tout le monde d'accord, mais rien ne change de cette manière. Le pire serait pourtant que rien ne change et que la génération de mes petits-enfants voit encore ce que j'ai connu, alors qu'au contraire un sursaut est intervenu dans l'agriculture ces dernières années pour évoluer vers un autre modèle. À défaut, nous resterons dans ces arguties consistant à savoir qui décide de quoi. Sans compter que l'industrie des produits phytosanitaires n'a évidemment aucun intérêt à voir une réduction de ses ventes, ni l'industrie du médicament, qui pourrait redouter une réduction des problèmes de santé.
En tant que paysanne, je prends la responsabilité de garantir la qualité et la sécurité de mes produits : c'est un engagement personnel et je souhaite garder la tête haute jusqu'à la fin de ma vie professionnelle. Il est donc essentiel de sortir des pesticides, car la santé publique est en jeu, de même que la qualité de l'eau. Nous devons agir en toute conscience, car nous pourrions être tenus responsables des conséquences à l'avenir.
Les producteurs de la Coordination rurale sont fiers de ce qu'ils arrivent à produire en France. Il est clair que la santé publique est fondamentale, que ce soit en ce qui concerne les soins aux individus ou les médicaments destinés aux plantes. Si nous souhaitons arrêter de traiter les personnes et les plantes, nous aurons une diminution de la population en France et en Europe, et une diminution de la production agricole. Nous souhaitons progresser vers une réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires tout en minimisant la perte de production. La réduction de la production n'est pas une option, ce qui signifie que nous augmenterons nos importations. Actuellement, la solution est dramatique, mais elle ne nous appartient pas.
Si nous parvenons à réduire les importations aux niveaux européen et français, les produits seront automatiquement plus chers. Ce problème économique est mécanique et similaire à d'autres secteurs comme ceux du bois ou de l'acier. En payant plus cher les produits de ceux qui utilisent moins de produits phytosanitaires, nous rétablirons un équilibre. Nous ne devrions cependant pas imposer un système aux agriculteurs français uniquement par philosophie et pour satisfaire une minorité qui ne parvient pas à vivre de son activité.
Nous sommes très attentifs au budget, notamment de la recherche, qui sera lié au règlement SUR, ainsi qu'à l'établissement d'un calendrier cohérent pour le futur. L'idée de fixer des échéances, assorties de clauses de sortie, nous convient parfaitement. Cependant, comment travaillons-nous immédiatement pour sortir de cette dépendance ? Cela nous amène à la question des alternatives. Les échéances prévues semblent déjà devoir être remises en question. Il est grand temps que nous nous posions tous la question suivante : quelle trajectoire réelle souhaitons-nous suivre ? Quel délai maximal nous fixons-nous pour atteindre cet objectif ? Nous devons offrir une vision d'avenir pour tous les acteurs agricoles, qu'ils pratiquent l'agriculture biologique, conventionnelle ou toute autre forme d'agriculture. Il ne s'agit pas de prétendre que l'une est meilleure que l'autre, mais de trouver des moyens de coopérer malgré des modèles agricoles variés, adaptés à des territoires et des pays différents. En France, nous faisons déjà face à des difficultés en raison des différences climatiques entre le Nord et le Sud. Coordonner tous les pays européens, de l'Italie à l'Europe du Nord, est un défi majeur.
En outre, il est impératif que l'Anses continue à émettre des avis et à exercer une pression. Cependant, comment pouvons-nous assurer une transition en proposant des délais de sortie de deux, trois, quatre ou cinq ans pour les produits concernés ? Il est essentiel de trouver rapidement des solutions de remplacement pour ne pas laisser les agriculteurs sans solution.
La démonstration qu'il est possible de sortir de la dépendance aux produits phytopharmaceutiques a été faite, aussi bien d'un point de vue technique qu'économique. Certains agriculteurs réduisent leurs charges liées aux produits phytopharmaceutiques de 60 000 euros à 30 000 euros en recourant à des conseils privés. La réduction des coûts finance le conseil. Il apparaît donc que les plans Écophyto ont démontré depuis plusieurs années que ce projet était réalisable. Cependant, nous faisons face au défi majeur de la massification.
Au sein de vos organisations respectives, existe-t-il un responsable professionnel, membre du bureau, dédié à la massification, chargé de coordonner des groupes de travail au niveau départemental pour identifier les agriculteurs qui ont effectué une transition écologique ? L'objectif serait de comprendre pourquoi cette transition ne se généralise pas comme le fut le développement par-dessus la haie, phénomène fulgurant du siècle dernier. Pour la Confédération paysanne, avez-vous quelqu'un qui est chargé d'organiser la généralisation du modèle à partir des adhérents les plus vertueux ?
Nous avons réalisé une initiative similaire, en particulier pour les préparations non préoccupantes. Nous avons travaillé en collaboration avec les services du ministère, fait des propositions pour des alternatives aux produits phytosanitaires, organisé des groupes de travail et nous mettons actuellement en ligne toutes nos pratiques sur un logiciel afin de les rendre accessibles au plus grand nombre. Cela s'est fait notamment grâce à notre organisme de développement agricole, la fédération associative pour le développement de l'emploi agricole et rural (Fadear).
Nous réalisons aussi de telles actions dans d'autres domaines plus ponctuels, mais il nous faut de l'argent. Nos organisations et nos structures de développement manquent de ressources, car le commerce n'a rien à nous vendre. Notre développement doit rendre les agriculteurs autonomes ; il se différencie en cela de l'accompagnement par les anciennes structures commerciales, qui ont pour objectif de vendre leurs produits. De notre côté, ceux qui conseillent ne sont pas rémunérés autrement que par le biais du financement agricole.
Pour être concis, je dirais oui et non. Oui, dans le sens où nous avons mis en place le contrat de solutions, mais nous ne sommes pas seuls, car nous travaillons avec 45 partenaires. De plus, l'orientation sur le terrain, où les techniciens accompagnent les agriculteurs, relève davantage des chambres d'agriculture que de la FNSEA. Nous nous concentrons davantage sur la dimension politique, tandis que la partie technique est du ressort des chambres d'agriculture.
En 2009, nous avions atteint 8 000 tonnes de substances actives utilisables en biocontrôle et en agriculture biologique et, aujourd'hui, ce chiffre est passé à 24 000 tonnes. Par conséquent, la démarche de réduction de 20 % de l'utilisation des produits phytosanitaires nécessite de multiplier par quatre l'utilisation des produits utilisables en biocontrôle et en agriculture biologique.
Par ailleurs, il existe des chambres d'agriculture qui vulgarisent les messages et j'ai, pour ma part, une société privée de conseil. Toutefois, il revient toujours à l'agriculteur de prendre le risque ou pas. Sur le papier, il est toujours possible d'atteindre une réduction de 50 % des produits phytosanitaires, mais lorsqu'un problème survient, il faut bien réagir. Je fais partie d'une interprofession et, actuellement, dans cette situation, on fait des avenants ; exceptionnellement, on peut traiter davantage. Les risques sont ainsi toujours assumés par l'agriculteur, jamais par le conseiller ou par l'État.
Je vous répondrai non sur la partie de conseil technique, mais oui sur l'appui politique. Nous disposons d'un chargé de mission environnement chez Jeunes agriculteurs qui organise des groupes de travail et diffuse des informations au sein du réseau. De plus, nous étudions les lois en devenir et nous avons écrit un rapport d'orientation au sujet des produits phytosanitaires et du changement climatique. Nous menons donc un travail politique en interne. Cependant, nous nous orientons vers les chambres d'agriculture pour les aspects techniques, tout comme la FNSEA.
Nous avons devant nous quatre syndicats agricoles aux positions très divergentes sur un sujet central. Qu'est-ce qui justifie que vous ayez des positions si éloignées alors que vous exercez a priori le même métier ?
Je m'interroge également sur le nombre d'agriculteurs syndiqués à l'échelle nationale. Si 20 % des agriculteurs sont syndiqués et que 80 % ne le sont pas, quelles pourraient être les positions qui ne sont pas représentées aujourd'hui ?
De plus, j'ai remarqué qu'il était très peu question des productions dites orphelines. Faut-il arrêter de les produire ou bien doivent-elles persister ? Par exemple, faut-il dire aux Français d'arrêter de manger des cerises ou bien faut-il envisager une autre solution ? Si c'est le cas, quelles sont vos propositions ?
De plus, les échanges ont porté sur la taille des exploitations et j'aimerais comprendre ce qui permet de dire qu'une exploitation est grande ou petite et comment cela influe sur les politiques de santé végétale ou animale. Il me semble qu'en Chine, il existe des élevages comptant plus de 100 000 animaux. Ces questions sont en effet source d'incompréhensions pour les Français.
Enfin, que pensez-vous de la position de la France concernant le glyphosate ?
Il me semble que trois syndicats sur quatre partagent à peu près la même ligne. Cependant, nous ne sommes pas tout à fait en phase avec la Confédération paysanne, mais ce n'est pas nouveau.
S'agissant du taux d'agriculteurs syndiqués, il est évident qu'il varie d'une commune à l'autre. Par exemple, dans ma commune, sur 15 agriculteurs, deux tiers sont syndiqués. Toutefois, syndiqués ou non, nos méthodes d'exploitation sont assez similaires et je ne perçois pas de différences significatives dans notre approche.
Par ailleurs, nous avons assisté en une dizaine d'années à une réduction significative de la diversité en culture fruitière, en ornemental, en légumes, etc. Nous avons l'habitude de dire que les cultures orphelines constituent la réelle richesse de l'agriculture française mais les restrictions actuelles nous poussent vers des impasses. Le semencier Barenbrug est installé près de chez moi et, si nous ne sommes pas vigilants, il pourrait se délocaliser en dehors de la France, mais rester en Europe, créant ainsi des distorsions de concurrence. Par exemple, un producteur dans les Hauts-de-France est le seul en France à cultiver le chou de Bruxelles et est environné de ses collègues belges qui en produisent également. Il existe des incohérences liées aux cultures mineures.
Au sujet de la cerise, nous avons interdit le diméthoate et le phosmet, utiles contre la drosophile suzukii. Le changement climatique fait augmenter le nombre de ravageurs, ce qui affecte l'utilisation des produits phytosanitaires. Nous nous trouvons dans une situation paradoxale lorsqu'on nous interdit de protéger nos cerisiers tout en important des cerises turques qui ont bénéficié des moyens de protection que nous nous interdisons. Le verger français est en grande difficulté. Certains producteurs de vergers se sont lancés dans l'agriculture biologique, mais l'utilisation du cuivre et du soufre, à des doses que nous connaissons, pourrait poser des problèmes pour les sols à long terme. Je suis agriculteur et je dois transmettre mon exploitation à la génération suivante en préservant des sols vivants. Je n'ai aucune envie de détruire mon outil de production.
En ce qui concerne la taille des exploitations, l'agriculture française repose en grande partie sur des exploitations familiales et il est inutile d'opposer les petites aux grandes. Notre diversité d'agriculteurs fait notre richesse. Notre objectif devrait être de rassembler cette diversité pour renforcer l'agriculture française. Certes nous avons plus de problèmes que les Irlandais et leur modèle herbe-moutons-vaches, mais de Brest à Strasbourg et de Lille à Marseille, nous avons la chance de produire une diversité reconnue sur la scène mondiale pour la gastronomie française. Rendons fiers nos paysans et évitons de les critiquer, en particulier sur des sujets aussi essentiels.
Au niveau européen, nous avons des AMM différentes pour trois zones. Nous demandons de tester une AMM unique européenne au niveau des cultures mineures, pour que l'ensemble des agriculteurs européens bénéficie des mêmes moyens de protection de culture.
Nous sommes effectivement différents les uns des autres. Je suis particulièrement épatée d'apprendre aujourd'hui que la FNSEA défend les exploitations diversifiées, humaines et familiales. Lorsque j'ai débuté il y a quarante ans, nous étions 1,5 million d'agriculteurs en France et j'avais des voisins agriculteurs partout autour de ma ferme. Aujourd'hui, nous ne sommes plus que 350 000 et, malheureusement, plus de la moitié des agriculteurs ont mon âge et se préparent à prendre leur retraite. Dans le Gers, deux fermes sur trois ne trouvent pas de repreneurs et la tendance est à l'agrandissement des exploitations.
Ce modèle d'agriculture plus agro-industriel, où l'humain est de moins en moins présent et où la diversité des cultures diminue, a un lien avec l'utilisation plus importante de pesticides. Ces produits sont pratiques pour un agriculteur qui travaille seul. Actuellement, un agriculteur gère 600 hectares de céréales dans le Gers sans avoir besoin de beaucoup de personnel, car il a du matériel et des produits phytosanitaires. Il allège en outre au maximum son assolement et évite même l'irrigation, qui demande de la présence. Il sème du blé et du tournesol toute l'année et optimise ses résultats économiques.
Tout le système est conçu pour l'encourager à suivre cette voie. Il peut ainsi bénéficier des primes de la politique agricole commune (PAC) au maximum et prendre peu de risques. Cependant, il voit tout de même ses voisins disparaître et la diversité s'effacer. Les problèmes rencontrés par certaines cultures, comme les attaques de la drosophile, sont souvent liés à ces évolutions. L'absence d'arbres ou de haies a en effet des conséquences directes. À l'automne, l'utilisation du glyphosate recouvre le Gers de rouge, ce qui donne l'impression d'être dans un désert.
Il est évident que ces pratiques ont un impact non seulement sur l'alimentation humaine, mais aussi sur la vie du sol et de tous les organismes qui en dépendent, comme les insectes, les rongeurs et les vers de terre. Il est donc impératif d'envisager cette question dans sa globalité, car la diversité et la biodiversité des exploitations agricoles sont essentielles pour la santé des sols, la résilience des cultures et la réduction de la dépendance aux pesticides.
Vous soulevez par ailleurs l'enjeu de la concentration d'animaux ou de cultures d'une même espèce, qui peut favoriser la propagation des maladies et parasites. Ces problèmes surviennent particulièrement dans les cas où des agriculteurs se spécialisent dans la culture d'une seule espèce, comme la cerise, sans introduire d'autres espèces végétales qui pourraient agir comme une barrière naturelle face aux parasites. C'est une problématique globale qui requiert l'intervention de scientifiques et une approche à long terme. À défaut, la seule solution semble être le traitement des cerisiers.
Cette situation peut aussi être attribuée en partie à la sélection de variétés de cerisiers peut-être plus sensibles et à l'exigence croissante de qualité alimentaire. Il est en effet de moins en moins acceptable d'avoir des fruits de deuxième choix ou déclassés.
Au-delà de ces différences, la question essentielle demeure le revenu agricole. Cette réalité affecte tous les acteurs du secteur agricole, des petites fermes aux grandes exploitations. Les grosses structures agricoles impliquent souvent des montages financiers complexes. Dans le Gers, nous comptons plus de 30 fermes de plus de 1 000 hectares, y compris des exploitations viticoles. Il n'est pas là question d'agriculture, mais d'industrie agricole.
La question des pesticides joue un rôle central dans le choix du modèle agricole. Devons-nous continuer à promouvoir la croissance des fermes par des méthodes agro-industrielles ou devons-nous privilégier la biodiversité avec des exploitations à taille humaine qui emploient et occupent les territoires ruraux ? Actuellement, nous assistons à l'abandon de certaines zones non rentables, comme les régions où l'élevage a été délaissé. Nous observons donc la prolifération de friches agricoles. Cette année, la direction départementale des territoires (DDT) a enregistré 500 dossiers PAC de moins. Cette tendance s'explique par le coût élevé de l'entretien de ces terrains, rendant leur mise en valeur économique difficile.
Actuellement, les normes pour le soja et le tournesol sont de 20 milligrammes de glyphosate par kilo. Pour les lentilles et les haricots, elles s'élèvent à deux milligrammes par kilo. La France veut être un modèle.
Mais aujourd'hui, en dehors des alcools, qui sont principalement destinés à l'export, la France ne nourrit plus que 40 % de ses habitants. De nombreux modèles de diversification et de traitements existent, mais il est évident que, plus les normes se durcissent, moins nous attirerons de nouveaux agriculteurs, et plus les terres cultivées ou cultivables diminueront. Par conséquent, nous risquons de perdre notre souveraineté alimentaire et ce phénomène est déjà en cours.
La France veut être un modèle, être la première. Mais lorsque des produits ne sont plus utilisés en France, les producteurs de semences se tournent vers d'autres pays. Cette démarche conduit ainsi à une diminution de la diversité des cultures françaises. Les multinationales et les sociétés qui proposent des solutions dans d'autres pays trouvent naturellement des alternatives à l'étranger. Par exemple, les endives et les chicorées sont produites en Belgique ou aux Pays-Bas. Parfois même, les Belges et les Néerlandais, qui arrivent à obtenir des autorisations, viennent cultiver en France, sur nos terres.
Il est temps de cesser d'être le seul modèle en Europe. Nous pouvons être des leaders, mais collectivement. Il est tout à fait étonnant que la France et l'Europe ne parviennent pas à harmoniser leurs normes sur les importations, malgré les bonnes idées de la France. Pourquoi ne les mettons-nous pas en pratique ?
Enfin, l'activité de l'Anses est fondamentale. Il est essentiel d'étudier, pour certains produits, une diminution des volumes, d'autres répartitions ou de nouvelles normes d'application, notamment en ce qui concerne l'agriculture biologique. Nous supportons des redevances pour pollutions diffuses (RPD) pour ceux d'entre nous qui travaillent moins efficacement ou avec moins de précautions. Cependant, il est préoccupant de constater que l'Anses supprime sans cesse de nouveaux produits. Quand allons-nous proposer des produits de remplacement moins polluants ? Depuis 2018, aucun nouveau produit n'a été introduit en France. Supprimer 20 % ou 30 % des produits sans les remplacer génère bien des problèmes. Cela induit un système très simplifié, avec du blé et du maïs, c'est-à-dire des cultures à croissance rapide et pour lesquelles les interventions mécaniques sont fréquentes. Est-ce là la vision de l'agriculture française pour l'avenir ?
Mon exploitation se situe à 60 kilomètres à l'ouest de Paris, couvre 185 hectares et est principalement consacrée aux grandes cultures, dont le colza, le blé, l'orge, les pois, la féverole et la luzerne. Mon exploitation est petite à l'échelle européenne, mais peut-être petite ou moyenne, voire grande, à l'échelle française. Je consomme environ 50 litres de carburant par hectare, opérations de moisson incluses. Sur mes 185 hectares, j'arrive à un total de 9 000 à 10 000 litres de carburant par an.
Je travaille en semis direct sous couvert avec des couverts vivants, c'est-à-dire que je récolte et je sème des couverts avant de les détruire avec du glyphosate la veille du semis direct. Ensuite, je sème mon blé dans un sol vivant. Lorsque je me suis installé en 2016, mon taux de matière organique s'élevait environ à 1 % ou 1,5 %. Après sept ans, mes analyses montrent que certaines parcelles sont passées à 3,2 % de matière organique. J'ai effectué des comptages de vers de terre, et j'ai constaté que j'en avais entre une tonne et demie à deux tonnes par hectare, tandis que mon voisin pratiquant l'agriculture biologique atteignait environ 500 kilos par hectare.
Je suis donc en faveur de la poursuite de l'usage du glyphosate, mais je soutiens également la recherche de solutions pour son remplacement. En particulier, il y a un défi à surmonter lorsque mes couverts intermédiaires, qui sont gélifs et disparaissent lors des gelées, ne poussent pas correctement l'été, laissant place à des mauvaises herbes telles que les ray-grass, les vulpins et le chardon. Dans de tels cas, je n'ai d'autre option que de recourir à la chimie. J'ai envisagé l'écopâturage avec un voisin possédant des moutons, mais cela n'a pas résolu complètement le problème.
Jeunes agriculteurs encourage l'accompagnement, notamment grâce à des fonds supplémentaires, des jeunes agriculteurs qui souhaitent s'engager dans l'agriculture de conservation ou adopter un modèle de réduction de 80 % de l'utilisation des produits phytosanitaires. Nous avons d'ailleurs inscrit ces recommandations dans notre rapport d'orientation.
J'ai réussi à réduire de 50 % l'utilisation des fongicides pour traiter les maladies et de 80 % l'utilisation des insecticides. Cependant, je dois admettre que je n'ai pas encore trouvé de solution satisfaisante pour éliminer complètement les herbicides. Si le glyphosate venait à être interdit, je serais contraint d'augmenter de plus de 200 % l'utilisation des herbicides. Les insecticides sont encore nécessaires, mais la présence accrue de vie dans le sol contribue à réguler leur utilisation. Malheureusement, je devrai probablement utiliser un insecticide contre les pucerons dans une quinzaine de jours, à moins que le temps n'évolue favorablement avec des gelées. L'interdiction des néonicotinoïdes est d'ailleurs une aberration, car je dois utiliser la pulvérisation chimique en aérien.
Je pense que l'Europe devrait travailler à l'élaboration d'une législation unifiée sur le glyphosate. Toute l'Europe devrait, par exemple, suivre la France sur sa norme de 1 080 grammes. Nous ne devrions plus tolérer une concurrence intraeuropéenne dans ce domaine.
Par ailleurs, il est possible de dire clairement que, dans deux ou trois ans, les consommateurs français ne mangeront plus de cerises françaises et, d'ailleurs, il faudrait même arrêter les importations de celles qui ne répondent pas aux normes françaises.
Je précise que la FNSEA est favorable au renouvellement du glyphosate au niveau européen, conformément aux conclusions de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Il est essentiel de ne pas considérer les sujets phytosanitaires, climatiques et écologiques de manière isolée. Si l'Efsa donne son aval, la FNSEA soutiendra le renouvellement de l'homologation du glyphosate.
Nous avons déjà organisé deux tables rondes avec des ONG et nous recevons seulement aujourd'hui des agriculteurs. Je vous propose d'utiliser le temps qu'il nous reste au sein de cette commission d'enquête pour aller sur le terrain, c'est-à-dire visiter une ferme Dephy et rencontrer des agriculteurs qui éprouvent des difficultés à réduire l'utilisation des produits phytosanitaires.
Je pense notamment aux viticulteurs de bassin bordelais, qui ont été durement touchés par le mildiou cette année, certains ayant perdu bien plus de 50 % de leur récolte. Je suis moi-même un viticulteur bordelais et j'ai eu de la chance, mais ce n'est pas le cas de tout le monde. J'admets avoir été particulièrement intéressé par ces témoignages et être en accord avec de nombreux arguments présentés – peut-être moins avec ceux de Mme Colas. Je ne comprends pas vraiment, madame, comment vous pouvez continuer à défendre un modèle qui, je le crains, n'est pas compatible avec l'économie actuelle. Le modèle que vous promouvez est celui du bio et nous constatons les difficultés économiques auxquelles il est confronté. Vos idées sont certes admirables, mais elles doivent également être compatibles avec la réalité économique. Le modèle prôné par la Confédération paysanne s'est tout de même développé en opposition au modèle conventionnel. Par conséquent, élargir ce modèle, qui ne fonctionne déjà pas réellement, à l'ensemble de l'agriculture nécessite d'apporter des réponses qui n'existent pas aujourd'hui.
Monsieur Le Guillous, j'ai été particulièrement intéressé par vos remarques sur l'agriculture de conservation et il est intéressant d'assumer des positions qui ne sont pas toujours faciles à défendre. Cependant, votre réponse concernant la séparation de la vente et du conseil m'a laissé perplexe. Il semble en effet y avoir un consensus selon lequel cette mesure n'a pas produit les résultats escomptés. Je ne comprends pas pourquoi, alors que tout le monde convient que cela ne fonctionne pas, nous ne parvenons pas à mettre de côté l'aspect émotionnel et symbolique pour réexaminer cette question sur le plan politique. Nous avons vu cela dans d'autres domaines, comme le nucléaire, où nous avons commencé à vouloir fermer des centrales en 2017, avant de décider de faire marche arrière, même si cette position n'a pas été facile à défendre.
Enfin, cette commission d'enquête porte sur les raisons pour lesquelles nous n'avons pas atteint nos objectifs de réduction, en particulier l'objectif de réduction de 50 %. Monsieur Legras, vous avez évoqué les traitements que vous réalisez sur la betterave, où un traitement a été remplacé par deux, trois, voire quatre traitements, ce qui dégrade le nombre de doses unités (Nodu). Il me semble que c'est là un vrai problème : les indicateurs sont quantitatifs et pas qualitatifs. Un indicateur de référence devrait permettre de retracer les améliorations qui ont été apportées.
Ces éléments de réponse concernaient l'année 2020 ou 2021, lors de laquelle nous avons enregistré jusqu'à 90 % de rendements en moins. Je suis situé dans une région au nord de Paris qui a été moins touchée par les pucerons et j'ai choisi de semer plus tard, ce qui réduit les risques d'attaque par les pucerons, car la plante pousse plus rapidement. Cependant, semer plus tard entraîne généralement à une diminution de rendement.
Actuellement, des variétés de betteraves présentent une certaine tolérance, voire une résistance aux pucerons, mais elles sont moins bien rémunérées. La dynamique est la même que pour la production bio, où produire moins ne s'accompagne pas toujours d'une compensation financière adéquate. De plus, nous avons des importations massives de sucre, notamment en provenance d'Ukraine, qui ont un impact sur le marché et créent des problèmes économiques sérieux.
Certains agriculteurs au sud de Paris arrêtent de produire de la betterave car elle devient de moins en moins viable en raison des attaques répétées de pucerons, bien que le ministère ait annoncé une compensation pour cette année. La production se régulera davantage en fonction du climat, ce qui pourrait entraîner des conséquences économiques importantes. Il se pourrait que nous soyons amenés à importer davantage de sucre du Brésil ou d'autres pays de l'Est.
Jeunes agriculteurs a toujours été opposé au système du conseil stratégique phytosanitaire mis en place en 2018. Ces négociations n'ont pas apporté beaucoup de solutions, mais ont introduit de nombreuses règles concernant les conseils, les ventes, les CEPP, etc. Nous avons supporté tous les inconvénients de ce système sans en voir les avantages.
S'il faut revenir en arrière, il n'y a pas de problème. Cependant, est-ce la volonté des pouvoirs publics et du Gouvernement ? Je sais que M. Potier et M. Travert ont travaillé sur le sujet cet été et nous sommes prêts à collaborer pour améliorer le système. Cependant, le modèle actuel ne fonctionne pas et devrait être revu ou abandonné.
J'ai été très attentive à vos observations, vos constats et vos inquiétudes concernant le sentiment d'une France à deux vitesses, notamment dans le monde agricole.
Je souhaiterais savoir comment vos syndicats travaillent actuellement avec nos chambres d'agriculture et les services de l'État pour faire face aux défis de la transition et réduire l'utilisation des produits phytosanitaires. Hier, le président des chambres d'agriculture, que nous avons reçu, a évoqué le fait que la majorité des agriculteurs étaient en attente de décisions politiques, tandis qu'une minorité est plus réticente face à ce défi du changement de système.
En outre, la santé des agriculteurs ainsi que des acteurs du monde agricole en général est une question centrale, au regard du nombre important de maladies chroniques liées à l'utilisation des produits phytosanitaires. Cet enjeu de santé au travail rend-il les agriculteurs plus sensibles à l'effort de réduction des produits phytosanitaires ?
Je partage l'idée qu'il faut lutter contre la concurrence déloyale pour améliorer l'acceptabilité des plans de réduction des pesticides mis en œuvre en France.
Enfin, ma dernière question est quelque peu dystopique : si demain les pouvoirs publics français et européens renonçaient à tout objectif de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires, comment vos syndicats réagiraient-ils ?
Il est essentiel de maintenir des objectifs clairs. En tant qu'agriculteur et représentant de la FNSEA, je peux affirmer que moins nous utiliserons de produits de santé végétale, mieux nous nous porterons. Nous sommes les premiers utilisateurs de ces produits et leur impact sur notre santé est indéniable. Nous avons aujourd'hui une prise de conscience beaucoup plus forte de ce problème, contrairement à la situation qui prévalait il y a trente ou quarante ans. Nous mettons d'ailleurs en place un accompagnement des agriculteurs sur les équipements de protection individuelle, car nous sommes les plus exposés aux risques.
Du point de vue économique, l'impact de l'utilisation de produits de santé végétale sur nos résultats est significatif. Nos objectifs sont déterminés en tenant compte des contraintes sanitaires et économiques de nos exploitations. Par conséquent, l'absence d'objectifs de réduction ne nous incitera pas à utiliser davantage de produits. La gestion au quotidien de nos cultures implique de prendre soin d'elles, comme nous le ferions pour nos enfants ou pour nous-mêmes si nous tombions malades.
Par ailleurs, l'accompagnement des agriculteurs passe par des groupes de développement agricole ou des coopératives. De nombreux agriculteurs sont déjà des pionniers sur ces sujets. Il est nécessaire que tous les agriculteurs, les techniciens et les chambres d'agriculture s'impliquent dans cette démarche collective axée sur le progrès et l'innovation. Je n'ai aucun problème avec la formation des techniciens et des agriculteurs.
Cependant, l'objectif de réduction n'est peut-être pas celui qu'il faut chercher à atteindre. L'accent doit plutôt être mis sur l'accompagnement des agriculteurs vers l'adoption des meilleures techniques disponibles pour réduire l'utilisation des produits de santé végétale. Dans le domaine de l'élevage, nous avons déjà réalisé des progrès significatifs grâce à des plans d'accompagnement, même s'il s'agit d'un environnement plus facile à maîtriser.
Les chambres d'agriculture sont un outil politique, avec des élections et une majorité relativement stable en raison du mode de répartition proportionnelle. Cependant, nous avons nos propres outils de développement agricole et rural, c'est-à-dire nos associations pour le développement de l'emploi agricole et rural (Adear), qui portent le projet politique de la Confédération paysanne pour développer l'agriculture paysanne. Nous accompagnons donc par ces moyens l'installation des jeunes agriculteurs, y compris les cas atypiques, ainsi que la transmission des exploitations.
Nous travaillons en profondeur avec peu d'animateurs, comme dans le Gers, où trois animatrices de l'Adear couvrent 30 % des installations du département. Nous constatons une réelle efficacité dans une variété de projets agricoles.
Nous étions par ailleurs parvenus à un certain déni sur la santé des agriculteurs. Il a fallu une prise de conscience et les agriculteurs ont été obligés de suivre des formations Écophyto et d'apprendre à régler leurs équipements de traitement. Mon fils a participé à cette formation et il m'a raconté que la plupart des voisins avaient envoyé leurs épouses, qui ne se servent jamais des appareils ! En effet, ils perçoivent la formation comme étant inutile. Cependant, les choses ont évolué et, aujourd'hui, presque tout le monde s'équipe, même s'il subsiste des controverses sur certains équipements qui nécessitent un suivi adéquat.
Toutefois, je suis préoccupée quand des jeunes reprennent des exploitations de taille importante, malgré les conditions difficiles et les problèmes de santé de leurs proches, et continuent à pratiquer de la même manière. Ils disent ne pas avoir le choix et on en revient à la question économique. Mais quelle est la valeur d'une vie ?
Je partage également vos préoccupations concernant la concurrence déloyale et je me préoccupe de cette dimension internationale. Lors des universités d'été de Bobigny, j'ai rencontré des Camerounais qui témoignaient des conditions de travail des travailleurs de la canne à sucre, exposés aux pesticides et dont les produits finissent par être utilisés dans la fabrication de nos sodas. Nous partageons la même planète et les règles devraient donc être globales pour détruire la concurrence déloyale. Les produits que nous refusons d'utiliser en France ne devraient jamais être utilisés ailleurs et les travailleurs devraient être soumis aux mêmes conditions. Les consommateurs français bénéficient actuellement de produits abordables en partie parce que des travailleurs paysans et salariés sont malmenés et exposés à des produits phytosanitaires sans protection adéquate. De plus, certaines de nos entreprises produisent parfois à l'étranger ces produits que nous interdisons en France. Nous ne sommes pas nécessairement les meilleurs élèves et, parfois, c'est une source de honte pour moi. Il est essentiel de repenser l'équilibre mondial.
Monsieur le député, notre agriculture, que vous dites paysanne et non rentable, est tout à fait rentable, car elle emploie le plus tout en polluant le moins. Il faut prendre en compte toutes ces externalités positives auxquelles s'ajoutent les effets sur la santé publique. De cette manière, nous pouvons contrer la concurrence internationale à bas coût en favorisant la territorialisation et la diversité. Nous installons de nombreux maraîchers, alors même le maraîchage industriel est en déclin en raison de sa non-compétitivité. Nous réussissons à trouver des débouchés pour nos produits de qualité.
Quant au secteur bio, il traverse une crise due à divers facteurs tels que la situation en Ukraine, la pandémie de Covid-19 et l'inflation. De plus, il a été question tout l'été d'un panier anti-inflation qui contenait, entre autres, des fraises à deux euros le kilo, ce qui est inacceptable et constitue un outrage aux paysans français. Tous les jours il est dit que le bio est trop cher, mais ce n'est pas vrai. Si le bio était correctement soutenu, il serait tout aussi compétitif que les autres modèles. Les petites exploitations, en termes de revenus par actif et par hectare, se montrent bien plus performantes.
Etant moi-même agricultrice, il me semble que nous avons au moins un point de consensus, : nous travaillons avec le vivant. Nous devons reconnaître que lorsque le vivant est malade, nous devons le soigner, que ce soit une plante ou un sol. Nous avons donc besoin de traitements spécifiques, adaptés aux différentes productions, aux types de sols et aux conditions météorologiques.
Je suis en pleine période de transmission, monsieur Le Guillous, et je pense que votre génération détient les clés pour l'avenir. La nouvelle génération agricole sera peut-être moins nombreuse, mais plus diplômée, plus jeune et, surtout, plus exigeante, notamment en ce qui concerne la qualité de vie et la préservation des sols pour gagner l'acceptation de la société.
J'ai entendu des discussions sur l'anticipation des financements, la recherche, le temps de travail et l'accompagnement. Comment envisagez-vous cet accompagnement pour que la nouvelle génération puisse rester durablement dans nos exploitations ? Nous avons mentionné les 3 000 fermes Dephy, mais comment pouvons-nous étendre et améliorer cet accompagnement afin de garantir une sécurité alimentaire et une traçabilité, même si nous avons déjà des savoir-faire en France ? Comment pouvons-nous renforcer ces aspects tout en préservant un excédent brut d'exploitation (EBE) suffisant pour assurer une qualité de vie décente, sans reproduire les schémas de nos parents et grands-parents ?
À l'occasion de mes 60 ans, mes enfants m'ont dit qu'ils ne voulaient pas avoir à refaire le travail des Mohicans.
Je pense que vous avez des points en commun et il est important de rappeler que nous ne devrions pas opposer nos différents agriculteurs et agricultures. L'agriculture française, quoi qu'on puisse dire, reste l'une des meilleures au monde. Je suis moi-même agriculteur, producteur de pommes en agriculture biologique, et nous manquons de solutions, notamment en ce qui concerne les nuisibles tels que les pucerons. Nous utilisons parfois des produits autorisés uniquement par dérogation lorsque d'autres solutions ne sont pas disponibles. Cependant, est-ce que la transition vers cette agriculture critiquée par certains ne permet pas précisément l'accès à une alimentation saine et de qualité ? En France, je suis convaincu que nous servons cette alimentation. Devons-nous réserver une alimentation saine et de qualité à une partie de la population seulement ?
Je suis fille de vigneronne bio dans la Drôme et il est précieux d'entendre les représentants des organisations syndicales agricoles. Je ne vais pas revenir sur le contexte de la crise de la biodiversité et des changements climatiques, car vous êtes bien placés pour les comprendre. Cependant, la question du revenu des agriculteurs est préoccupante. Actuellement, 20 % des agriculteurs gagnent moins que le salaire minimum, c'est-à-dire un taux deux fois supérieur au taux de l'ensemble de la population. Il est évident que le système actuel est défaillant.
En tant que représentants des diverses réalités agricoles, comment abordez-vous en interne, au sein de vos organisations et avec vos membres, les impacts de l'utilisation des pesticides sur la santé des agriculteurs et agricultrices ? Il existe aujourd'hui un certain nombre d'études, notamment l'expertise collective de l'Inserm, qui a compilé 5 000 études du monde entier sur l'impact des pesticides sur la santé, en particulier pour ceux qui les utilisent.
Il est important de noter que ces études sur la santé portent sur des personnes de mon âge ou plus âgées et qui ont utilisé des produits de manière très différente. Les outils d'application sont bien plus performants aujourd'hui qu'il y a quinze ou vingt ans et de nombreux produits toxiques d'autrefois ont disparu. De plus, nous sommes mieux informés sur les enjeux de santé.
En outre, nous souhaitons utiliser moins de produits et effectuer moins de passages, notamment au vu des enjeux économiques. Cette approche économique est plus en phase avec la réalité actuelle et repose sur une meilleure connaissance des problèmes. Il est indéniable que cette philosophie est plus présente aujourd'hui, en raison des coûts et de la compréhension accrue des enjeux.
En ce qui concerne l'avenir, la question est essentielle, car j'ai un fils qui suit mes traces. Aujourd'hui, on ne sortira de la crise des produits phytopharmaceutiques, qu'avec la génétique, c'est une conviction personnelle. Nous devons répondre à la question des aléas climatiques. En fonction des années, la récolte peut représenter de cinq à dix tonnes ou 90 tonnes. Du point de vue économique, l'agriculteur ne peut pas survivre dans ces conditions.
En ce sens, la Suisse est un pays qui protège bien ses agriculteurs, avec un système qui fonctionne depuis vingt ou trente ans, bien que ce ne soit pas avec les mêmes prix.
Enfin, les chambres d'agriculture jouent un rôle prépondérant en fournissant des recommandations au niveau local et, si celles-ci sont plus ouvertes à différentes opinions, elles représentent le moyen de progresser.
Aujourd'hui, nous assistons à une augmentation de la population d'agriculteurs non issus de l'exploitation familiale qui s'installent. Les reprises familiales d'exploitations sont également courantes. Comment ces jeunes agriculteurs envisagent-ils l'agriculture de demain ? Ils cherchent à mener une vie équilibrée, à avoir des enfants, du temps pour leur famille, des vacances et des week-ends. Ils ne veulent pas travailler quatre-vingts heures par semaine, ni passer leur temps sur le pulvérisateur. Ils aspirent également à gagner leur vie de manière satisfaisante, car travailler pour la gloire et n'avoir que 1 000 ou 1 200 euros à la fin du mois n'est plus envisageable de nos jours. Pour ma part, je ne veux pas m'engager dans l'agriculture pour gagner seulement 1 000 ou 1 200 euros, sans pouvoir profiter de la vie en famille, sortir ou vivre comme tout le monde. Les agriculteurs ont aussi l'ambition de gagner de l'argent, tout comme d'autres professionnels ou chefs d'entreprise.
Dans notre rapport d'orientation de cette année, nous avons abordé l'idée d'un outil de diagnostic de gestion des risques, notamment lors de l'installation d'un jeune agriculteur. Pourquoi ne demanderions-nous pas aux jeunes de prévoir les impacts du changement climatique sur leurs exploitations sur cinq, dix, quinze ou vingt ans ? Nous constatons des changements dans les précipitations, mais comment les jeunes agriculteurs peuvent-ils anticiper, gérer l'eau, adapter leurs modèles de production, voire choisir d'autres cultures ?
Nous nous posons aussi la question de l'intégration de la réduction des produits phytosanitaires et de l'évolution des normes dans notre outil. Comment les jeunes agriculteurs qui s'installent aujourd'hui peuvent-ils anticiper leur sortie des produits phytosanitaires ? Nous pourrions les accompagner en leur fournissant des fonds, de l'assistance, des formations, notamment à travers les fermes Dephy ou avec d'autres conseillers.
Jeunes agriculteurs souhaite pour sa part garantir une alimentation saine pour tous, avec ou sans produits phytosanitaires. S'il était possible de consommer uniquement des produits 100 % français, tout le monde bénéficierait d'une alimentation saine. La Confédération paysanne était même d'accord sur l'importance de lutter contre les importations massives en France, que ce soit en provenance d'Ukraine, du Brésil, d'Australie ou d'ailleurs, où les produits importés ne respectent pas le cahier des charges français. Si nous pouvons résoudre ce problème, nous pourrons encore nous améliorer.
Notre discussion interne est très assumée, bien que la Confédération paysanne ne soit pas un syndicat de l'agriculture bio, mais un syndicat qui pratique l'agriculture paysanne. Nous comptons, par exemple, des viticulteurs et des arboriculteurs qui utilisent encore des pesticides. Nous l'assumons et nous en discutons. De plus, nous sommes actifs au sein des commissions d'orientation sur les maladies agricoles professionnelles, où nous échangeons des informations sur l'efficacité des équipements ou la prévention environnementale et nous restons en lien avec les personnes qui sont victimes de l'utilisation des pesticides.
Nous avons besoin d'un grand dialogue avec la société civile dans son ensemble concernant l'utilisation de pesticides. Ce ne doit pas être uniquement un sujet interne et nous devons sortir de l'entre-soi. Il est essentiel d'écouter nos consommateurs, nos voisins et tous ceux qui pourraient être concernés par l'utilisation de ces produits.
Nous siégeons dans les groupes santé-environnement (GSE) ainsi que dans le conseil de gestion des fonds pour les victimes de l'agriculture. En outre, la commission environnement de la FNSEA se réunit aujourd'hui et traite de ces sujets avec les référents régionaux.
J'aimerais également réagir aux propos de M. Martineau concernant la diversité des pratiques agricoles en France. Nous sommes confrontés à un défi complexe : réduire l'inflation, produire une alimentation de qualité et respecter un objectif de décarbonation dans le cadre de la planification écologique. Relever le défi de l'accompagnement de la transition en agriculture passera par le progrès, la recherche, l'innovation, davantage de réciprocité dans les normes et l'arrêt des distorsions de concurrence.
Les états généraux de l'alimentation portent leurs fruits et nous poursuivons dans cette voie. Nous devons savoir si nous pourrons bénéficier d'un accompagnement public, qui s'ajouterait à l'accompagnement des marchés pour rémunérer les agriculteurs et accompagner les transitions. C'est le sujet central. Les transitions vont coûter cher et nous devons être capables de dégager des revenus pour les couvrir. Les prix agricoles ont subi trop de pressions ces vingt dernières années et l'agriculture doit retrouver un peu de souffle. Ce travail doit être mené avec les pouvoirs publics et, notamment, dans le cadre de votre commission d'enquête. Nous sommes d'ailleurs disposés à revenir si vous le jugez nécessaire.
Nous vous remercions de vous être pliés à cet exercice et d'avoir répondu à nos questions. Je souhaite enfin que chaque organisation fournisse par écrit des exemples précis de distorsions de concurrence en détaillant les produits spécifiques ou les aspects du cahier des charges qui ne sont pas respectés par les producteurs de certains pays. Ces informations ainsi que des propositions d'harmonisation des conditions du marché nous seraient extrêmement utiles.
La séance est levée à douze heures cinquante.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. André Chassaigne, M. Grégoire de Fournas, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Nicole Le Peih, M. Éric Martineau, Mme Marie Pochon, M. Dominique Potier, M. Loïc Prud'homme, Mme Mélanie Thomin