Jeudi 25 mai 2023
La séance est ouverte à seize heures.
(Présidence de M. Benjamin Haddad, président de la commission)
La commission d'enquête entend des représentants du groupe U ber : M. Dara Khosrowshahi, président-directeur général du groupe Uber, M. Andrew Byrne, Global Head of Public Policy du groupe Uber et M. Pierre-Dimitri Gore-Coty, ancien directeur Europe de l'Ouest de la société Uber, aujourd'hui Senior Vice President de la société Uber Eats
Au terme de soixante-six auditions, notre commission reçoit à présent les principaux concernés, les représentants de la société Uber.
L'audition se déroulera en deux temps. Tout d'abord, nous entendrons M. Dara Khosrowshahi, président-directeur général du groupe Uber, que je remercie de s'être rendu disponible en visioconférence et qui devra nous quitter à seize heures trente. Nous poursuivrons la discussion avec M. Andrew Byrne, directeur des affaires publiques monde chez Uber et M. Pierre-Dimitri Gore-Coty, ancien directeur Europe de l'Ouest de la société Uber et président d'Uber Eats depuis mars 2020. Messieurs, je vous remercie également de nous avoir rejoints à Paris pour répondre aux questions de notre commission d'enquête et je vous souhaite la bienvenue.
Comme vous le savez, à la suite des révélations du consortium international des journalistes d'investigation – ce qu'il est désormais convenu d'appeler les Uber files –, dénonçant des méthodes d'implantation et de lobbying agressif d'Uber en France, l'Assemblée nationale a créé, à la fin du mois de janvier 2023, une commission d'enquête. Celle-ci poursuit un double objectif. : d'une part, identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par la société Uber pour s'implanter en France, déterminer le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d'intérêts ; d'autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales, environnementales du développement du modèle Uber – l'« ubérisation » – en France et les réponses apportées – ou à apporter – par les décideurs publics en la matière.
Dans ce contexte, monsieur Khosrowshahi, nous souhaiterions tout d'abord connaître votre perception des révélations des Uber files. Considérez-vous que la stratégie d'implantation d'Uber en France, élaborée et mise en œuvre par votre prédécesseur, M. Travis Kalanick, entre 2013 et 2017, était problématique dans ses finalités, à savoir, essentiellement, exploiter les failles de la réglementation française pour installer la société puis développer son volume d'affaires, quitte à violer la loi, notamment avec la création du service Uber Pop ? Pouvez-vous nous indiquer les changements que vous avez opérés, en tant que nouveau président du groupe Uber, pour pacifier les relations entre votre entreprise et les décideurs publics et poursuivre vos activités légalement depuis 2017 ?
J'aimerais que vous nous disiez si certaines des pratiques révélées par les Uber files ont perduré : je pense par exemple au kill switch, qui consiste à faire disparaître des documents internes ou des liens entre une filiale et le siège social d'Uber en Californie. Nous nous interrogeons aussi sur le modèle économique de votre entreprise qui, sauf erreur de ma part, ne dégage toujours pas de profits en France dans le secteur du transport public de personnes (VTC), pas plus que dans celui de la livraison. Quelles sont vos perspectives à court et moyen terme ? Enfin, dans quelle mesure le statut d'indépendant ou de salarié des travailleurs de vos plateformes de véhicule de tourisme avec chauffeur ou de livraison influe-t-il sur la rentabilité et le modèle économique de votre entreprise ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale.
Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Dara Khosrowshahi prête serment.)
Je vous remercie de m'accorder l'opportunité de contribuer au travail de cette commission.
Lorsque j'ai été nommé en 2017, l'entreprise venait de vivre plusieurs mois de crises liées à sa culture, ses pratiques commerciales et son équipe dirigeante. Ces crises ont conduit à une série de remises en cause publiques du fonctionnement de l'entreprise, à des procédures judiciaires très médiatisées, à de multiples enquêtes gouvernementales et au licenciement de plusieurs cadres dirigeants. Des milliers d'articles ont été publiés sur nos erreurs passées - il y a même eu une série télévisée. Et me voici aujourd'hui devant cette commission parlementaire, plus de six ans après cette période tumultueuse.
Je ne suis pas ici pour défendre nos erreurs passées. C'est précisément pour transformer en profondeur le fonctionnement de l'entreprise que j'ai été invité à prendre la direction de Uber. Nous avons refondé les valeurs de l'entreprise, nous avons mis en place une gouvernance rigoureuse - mettant l'accent sur l'éthique et le respect des règles - et nous avons fait de la sécurité une priorité absolue. Uber est aujourd'hui une entreprise complètement différente, au sens propre du terme : 90 % des employés actuels ont rejoint l'entreprise après la crise de 2017. Et les employés qui ont décidé de rester sont toujours là parce qu'ils ont pleinement adhéré à l'idée de se conformer à de nouvelles règles et à de nouvelles valeurs.
Aujourd'hui, Uber fait partie intégrante de la vie de plus de 130 millions de personnes dans le monde. Nous sommes passés d'une ère de confrontation à une ère de dialogue, en démontrant notre volonté de nous asseoir à la table des négociations et de trouver un terrain d'entente avec nos anciens opposants, y compris les représentants syndicaux et les sociétés de taxis. Nos activités sont désormais réglementées dans plus de 10 000 villes à travers le monde, et nous travaillons avec les autorités tant au niveau local que national, pour faciliter la vie des utilisateurs de notre plateforme et des villes que nous desservons.
Nous avons considérablement amélioré la qualité de ce que nous proposons aux chauffeurs et aux livreurs qui utilisent notre application, en commençant par les écouter et tenir compte de leur expérience. Et ce qu'ils nous disent, de façon assez systématique, c'est qu'ils apprécient la flexibilité que nous offrons et qu'ils veulent continuer à être leur propre patron. Ils nous disent aussi qu'ils veulent plus de protections et de garanties. Les accords que nous avons récemment signés en France dans le cadre du dialogue social constituent des avancées majeures pour améliorer leurs conditions de travail de manière significative. Nous sommes déterminés à progresser sur tous les aspects que les chauffeurs et les livreurs indépendants considèrent comme étant importants pour eux.
Avec plus de 5,6 millions de livreurs et de chauffeurs qui utilisent notre application - un record absolu tant au niveau mondial qu'en Europe - nous faisons désormais partie des entreprises qui créent le plus d'opportunités de travail au monde. Au cours du dernier trimestre, les livreurs et les chauffeurs indépendants ont gagné plus de 13,7 milliards de dollars dans le monde, en hausse de 30 % par rapport au même trimestre de l'année dernière, une augmentation plus importante que celle du montant total des ventes générées par les services de mobilité et de livraison de la plateforme.
Être la plateforme préférée des travailleurs indépendants nous confère une responsabilité, et nous continuerons à nous engager en faveur des chauffeurs et des livreurs. En faveur de tous ceux qui, sinon, sont exclus du marché du travail. En faveur de tous ceux qui sont à la recherche d'une seconde chance ou d'un tremplin vers une nouvelle vie. Et nous sommes déterminés à travailler avec les gouvernements européens, les législateurs, avec vous tous, pour veiller à ce que ces opportunités soient conformes au modèle social européen.
Enfin, nous tenons à avoir un impact positif sur les villes où nous opérons. Notre taille nous permet d'être un acteur majeur de la préservation de notre planète et le développement durable est désormais au cœur de notre politique. Nous investissons des centaines de millions de dollars pour aider les chauffeurs à passer au véhicule électrique, en installant de nouvelles infrastructures pour ces véhicules électriques, en étant complémentaires de l'offre de transport public existante et en établissant des partenariats avec des ONG et d'autres acteurs du secteur privé pour rendre les villes européennes plus propres et plus connectées. Nous sommes également là pour aider les villes lorsqu'elles en ont besoin. Quand le monde s'est arrêté pendant la pandémie, Uber a veillé à ce que les professionnels de santé en Europe puissent continuer à se déplacer et à ce que les produits essentiels et les denrées alimentaires puissent continuer à être livrés. Depuis le début de la terrible guerre en Ukraine, nous avons assuré le transport gratuit des réfugiés des deux côtés de la frontière et avons développé des versions spéciales de la plateforme Uber pour aider à livrer des tonnes de matériel d'urgence et sauver le patrimoine culturel ukrainien.
L'Europe est dans l'ADN d'Uber, tout comme la France, où l'idée même d'Uber est née en 2008. Depuis que j'ai pris mes fonctions, nous n'avons cessé d'imaginer de nouvelles façons de connecter les populations. Nous ne pouvons réussir que lorsque les villes prospèrent. Et nous nous efforcerons toujours d'améliorer la plateforme pour tous ceux qui l'utilisent.
Nous avons parcouru un long chemin, mais nous savons qu'il faudra des années pour rétablir la confiance en nos intentions et en nos valeurs. Nous sommes déterminés à regagner cette confiance. Je suis fier de l'entreprise qu'est UBER aujourd'hui. Et je vous demande de nous juger sur ce que nous avons fait au cours des six dernières années et sur ce que nous ferons dans les années à venir.
Je souhaite vous interroger au sujet du « Better deal », dont vous avez exposé le principe dans un article sponsorisé intitulé : « Une meilleure offre pour les travailleurs des plateformes européennes », paru en février 2021. Dans ce document, vous défendez votre stratégie, qui consiste à établir un meilleur dialogue entre les plateformes et les travailleurs. Vous notez que certains pays européens ont ouvert la voie et vous mentionnez la France, notant que celle-ci a achevé une série de réformes progressistes, qui garantissent une plus grande transparence et des protections pour les travailleurs, telles que l'assurance obligatoire et la formation professionnelle.
Votre stratégie vise, dites-vous, à promouvoir le dialogue social entre les plateformes, les États et les travailleurs. Cela m'amène à vous demander ce que vous pensez de la politique française. Comment analysez-vous la création de l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe), qui a vu le jour en avril 2021 ? Que pensez-vous par ailleurs de la position de la France, qui est assez éloignée, voire opposée à la directive européenne relative à la présomption de salariat ? Et que pensez-vous, vous-même, de cette directive, actuellement en débat ?
Notre position en France est la suivante : nous voulons nous assurer que nous respectons toutes les réglementations et toutes les lois. Nous pensons qu'il faut écouter nos chauffeurs et nos livreurs ; ce à quoi ils tiennent avant tout, c'est la flexibilité : la flexibilité de travailler quand ils le veulent et où ils le veulent et de choisir la plateforme sur laquelle ils souhaitent travailler – ils peuvent très bien travailler sur une plateforme le matin et sur une autre le soir. Toutefois, cette flexibilité ne saurait être obtenue au prix de la protection sociale ou de la représentation sociale
Notre proposition reflète les souhaits exprimés par les chauffeurs et les livreurs de la plateforme, en France et dans le monde entier. Il s'agit de garantir à la fois la flexibilité, c'est-à-dire le fait d'être son propre patron, de décider quand on veut travailler et combien on veut gagner, et de garantir une protection sociale. En France, grâce au dialogue social, nous avons introduit un revenu minimum pour une course dans le cadre d'un compromis. Nous pensons qu'il existe des solutions « gagnant-gagnant » qui peuvent être bénéfiques à tous. Lorsque j'ai rejoint l'entreprise, ces protections n'existaient pas et nous nous sommes adaptés, parce qu'il était nécessaire de le faire. Nous avons écouté le Gouvernement et les régulateurs.
Très franchement, ces nouvelles protections rendent les conditions de travail chez Uber plus attrayantes. Les gens doivent savoir que la flexibilité est au cœur de nos préoccupations, mais qu'ils bénéficieront aussi, en travaillant pour nous, d'une protection sociale et qu'ils seront représentés au sein de l'entreprise. Nous pensons que c'est la bonne marche à suivre et nous espérons que le Parlement européen écoutera les vœux des chauffeurs et des livreurs, qui veulent à la fois être leur propre patron, avoir de la flexibilité et être protégés.
J'aimerais que vous répondiez plus précisément à mes questions. Que pensez-vous de la création de l'Arpe en France ? En êtes-vous satisfait ? Quelle est votre position, à la fois sur la directive relative à la présomption de salariat préconisée par le Parlement européen et sur la position de la France qui, a priori, n'est pas favorable à cette présomption de salariat ?
S'agissant de votre première question, nous pensons que la création de ce nouveau cadre de dialogue social est une bonne nouvelle. Ce dialogue est nécessaire et il continuera de l'être, pour dessiner les évolutions de notre modèle économique et de nos relations avec les gouvernements. C'est une bonne chose et nous continuerons à nous engager dans ce dialogue social.
Quant à la directive européenne proposant une présomption de salariat aux travailleurs des plateformes, nous pensons qu'elle fait fi des souhaits exprimés par les travailleurs. Parfois, je me demande si les personnes qui l'ont imaginée ont réellement écouté les travailleurs des plateformes parce que, lorsqu'on parle avec eux, on voit bien que la valeur essentielle à leurs yeux est l'indépendance et la flexibilité. Cette directive risque de créer des incertitudes, de la précarité et du chômage, car des centaines de milliers de personnes pourraient perdre leur emploi en Europe. Ce n'est pas de la théorie, c'est la réalité. À Genève, par exemple, 70 % des livreurs ont perdu l'opportunité de travailler quand le statut de salarié a été imposé en 2020. Des milliers de livreurs se sont donc retrouvé s au chômage et le niveau des salaires ne s'est pas amélioré. Par ailleurs, les prix ont augmenté pour les consommateurs et la couverture des petites villes a diminué. Au total, le résultat est absolument négatif. Encore une fois, je ne fais pas de la théorie, je vous parle de la vraie vie, du monde tel qu'il est.
La France n'est pas la seule à vouloir améliorer cette directive. Selon moi, elle ne reflète pas les besoins et les souhaits des travailleurs. Il faut se concentrer aujourd'hui sur le point de savoir comment on peut améliorer leurs conditions de travail, tout en garantissant la flexibilité, à laquelle ils sont attachés.
À vous entendre, le better deal, qui est antérieur à la création de l'Arpe, visait à favoriser le dialogue social et les droits des travailleurs, mais aussi – pour reprendre vos mots – à garantir la flexibilité, à laquelle ils sont attachés, et leur volonté d'indépendance.
Cette stratégie permet à Uber de montrer qu'elle concède des droits sociaux, tout en échappant à une requalification du statut des travailleurs en tant que salarié. C'est exactement la stratégie du Gouvernement français et c'était déjà celle des gouvernements précédents pendant les deux dernières législatures. En fin de compte, vous avez exactement la même position que le Gouvernement français vis-à-vis de la directive.
Lorsque nous avons auditionné M. Jean-Michel Sommer, président de la chambre sociale de la Cour de cassation, il a rappelé que ce qui définit le salariat, c'est le lien de subordination : « L'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination que celles-ci ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles a été exercée l'activité professionnelle. En d'autres termes, peu importe que le contrat ait été signé ou non, ou qu'il soit qualifié ou pas de contrat de travail : il appartiendra toujours au juge de vérifier dans les faits si un lien de subordination est caractérisé. »
En clair, dans le droit du travail français, ce n'est pas le travailleur qui choisit d'être indépendant ou salarié. Lorsque le lien de subordination est manifeste, alors il faut un contrat de travail. Or le chauffeur VTC ne fixe pas le tarif de ses courses. Vous dites qu'il est libre de travailler quand il le veut, mais il est dans une telle précarité, du fait de la baisse régulière du tarif des courses et de l'augmentation régulière de la commission prélevée par Uber, qu'il est obligé de travailler avec une amplitude horaire énorme, qui entraîne une perte de liberté. Par ailleurs, il n'est pas à l'abri d'une déconnexion, quand la plateforme le décide.
Comprenez-vous qu'il y a une opposition totale entre l'orientation que vous défendez et les principes du code du travail applicables aux salariés ? Le modèle défendu par Uber, que l'on a pris l'habitude d'appeler l'ubérisation mais qu'on pourrait nommer aussi le capitalisme de plateforme – et qui est d'ailleurs repris par nombre de plateformes –, ne vise-t-il pas, depuis le début, à faire croire qu'il s'agit de mettre en relation des travailleurs indépendants avec des clients alors qu'il s'agit de faux indépendants et que ce système relève davantage du travail dissimulé ou du prêt illicite de main-d'œuvre ?
Avec tout le respect que je vous dois, nous ne pensons pas que le cadre juridique français est stabilisé à l'heure où nous parlons. D'ailleurs, nombre de tribunaux en France ont tranché en faveur d'Uber reconnaissant spécifiquement le statut indépendant des chauffeurs utilisant notre plateforme. La présentation que vous faites des travailleurs comme étant des personnes soumises à un lien de subordination ne reflète pas la réalité du terrain. En pratique, les chauffeurs et les coursiers qui choisissent d'utiliser notre plateforme pourraient aussi choisir de ne pas le faire. Ils sont responsables et s'ils font ce choix, c'est parce qu'ils estiment que cette plateforme répond à leurs besoins, que ce soit en termes de revenus ou de protection sociale. Je rappelle que nous offrons aussi une assurance en cas d'accident aux travailleurs, par l'entremise de partenaires.
Nous estimons que cela dessine un cadre équilibré entre la société et les travailleurs qui choisissent de travailler en utilisant notre plateforme. Je ne suis pas un expert juridique, mais nous avons toujours eu pour intention de respecter la loi. Le dialogue social que nous entretenons avec les coursiers et les chauffeurs n'est pas lié à des obligations juridiques ; il vise à établir un cadre équilibré, au sein duquel les coursiers et les chauffeurs peuvent continuer d'être leur propre patron, de disposer d'une marge de manœuvre, de souplesse, d'indépendance, tout en jouissant d'une assurance et d'une protection sociale.
Nous espérons que vous serez à l'écoute des souhaits des coursiers et des chauffeurs. Ils n'ont pas cessé de nous répéter qu'ils ne souhaitent pas être salariés. Ils ne veulent pas avoir à choisir entre la protection et la souplesse liée au statut d'indépendant, à laquelle ils sont si attachés.
Les travailleurs des plateformes qui, au sein de l'Arpe, défendent le statut d'indépendant ont indiqué, lorsque nous les avons auditionnées, qu'ils souhaitaient, pour être enfin respectés comme de vrais indépendants, fixer eux-mêmes leurs tarifs et prendre pleinement part au partage de la valeur. Pour eux, ce sont deux critères importants pour que leur statut d'indépendant soit réellement respecté. Que dites-vous de cela ?
Deuxièmement, j'insiste sur le fait que le code du travail français, qui a vu le jour en 1910 et qui a été conquis de haute lutte, impose un contrat de travail en présence de liens de subordination avérés. Si une plateforme échappe au code du travail, pourquoi d'autres entreprises ne feraient-elles pas de même ? C'est l'ensemble du code du travail et du salariat qui serait remis en cause, et cela est impossible pour nous. De ce point de vue, la directive européenne sur la présomption de salariat est la réaffirmation de notre État de droit. Et c'est pourquoi nous demandons qu'il y ait un débat et un vote à ce sujet à l'Assemblée nationale.
Les coursiers et les chauffeurs prennent part à la croissance de la plateforme. Au cours du dernier trimestre, notre chiffre d'affaires a augmenté de 22 % ; les recettes des coursiers et des chauffeurs ont atteint quelque 13 milliards, ce qui représente une croissance de 30 % par rapport à l'année dernière. Leurs recettes augmentent donc plus vite que la croissance de l'entreprise. L'idée selon laquelle Uber prendrait une part plus importante est fausse, d'un point de vue mathématique.
Nous sommes en concurrence et nous devons faire attention tous les jours à la situation des chauffeurs et des livreurs qui utilisent notre plateforme: c'est le propre d'un marché concurrentiel. La plateforme garantit leur indépendance, tout en leur fournissant des recettes très solides, ainsi qu'une protection sociale, qui continuent et qui continueront de se renforcer, grâce au dialogue social que nous entretenons avec les représentants des chauffeurs et des coursiers. Je l'ai dit, beaucoup de tribunaux ont tranché en faveur de l'indépendance des chauffeurs au regard de la loi française, le débat se poursuit et nous continuerons de rester à l'écoute des souhaits des chauffeurs et des livreurs.
J'ai quatre questions à vous poser.
Premièrement, vous avez dit : « Nous voulons que les villes européennes deviennent plus vertes ». Pensez-vous vraiment que les plateformes de livraison préservent la nature ? Ne contribuent-elles pas, au contraire, à l'accroissement de la pollution ?
Deuxièmement, je crois vous avoir entendu dire que vous transportez gratuitement les migrants – je ne suis plus certaine du terme que vous avez employé. Pouvez-vous expliquer de quoi il s'agit ?
Troisièmement, vous dites que les chauffeurs et les coursiers qui travaillent sur votre plateforme l'ont choisi, par goût de l'indépendance. Mais vous avez également indiqué que votre plateforme attire des gens au chômage. Dans ce contexte, pensez-vous vraiment que les gens qui viennent travailler pour Uber ont le choix, notamment ceux qui sont au chômage ou en situation irrégulière ? Pour ma part je pense qu'ils n'ont pas le choix et que votre modèle a tendance à tirer les salaires vers le bas. C'est pour cela que certains travailleurs s'inquiètent et aimeraient bénéficier de la protection qu'offre le droit du travail. En réalité, la plupart des gens soi-disant indépendants sur Uber ne le sont pas tant que cela.
Enfin, est-ce que votre modèle ne crée pas une concurrence déloyale avec les entreprises classiques, qui ont leur siège en France ?
S'agissant de la pollution et de la congestion du trafic, les gens continueront de se déplacer. La demande en transport, loin de disparaître, va même augmenter. Ce que nous voulons, c'est être le chef de file en matière d'électrification des flottes de transport et la plateforme la plus propre sur la planète en matière de transport à la demande. Pour cela, il faut faire des investissements importants et tisser des partenariats avec les administrations locales et avec d'autres entreprises privées orientées vers une croissance durable.
Notre flotte sera entièrement électrique aux États-Unis et en Europe d'ici à 2030 et ne produira plus d'émissions de gaz à effet de serre dans le monde d'ici à 2040. Cette transition en est encore à ses débuts. Les chauffeurs inscrits sur la plateforme Uber, qui parcourent plus de kilomètres que le conducteur moyen, doivent être les premiers à passer du diesel à l'électrique : l'incidence sur l'environnement en sera extrêmement importante. Nous nous sommes engagés à investir plus de 800 millions de dollars dans des partenariats pour accompagner cette transition. Cela passe par la réduction de nos commissions sur les courses en voiture électrique, afin d'inciter le coursier ou le chauffeur à acheter un véhicule électrique.
Autre initiative très importante : la lutte contre le gaspillage alimentaire, dans laquelle Uber Eats est chef de file. Nous aidons des restaurants à acheter à moindre coût et à utiliser des emballages durables, afin que les consommateurs qui soutiennent cette démarche puissent commander de préférence dans ces établissements. Il y aura toujours de besoins de livraison et de transport mais le marché doit engager la transition en utilisant des véhicules propres ou électriques et en ayant recours à des emballages durables. Cela a un coût, certes, mais il y va de notre responsabilité envers le monde et envers les villes où nous travaillons.
En outre, cela profite à notre entreprise. Lorsqu'un consommateur commande un véhicule Uber Green, il peut se dire qu'il a pris une bonne décision. En Californie, tout un réseau de voies réservées est désormais ouvert aux véhicules électriques, de même qu'une quinzaine de kilomètres à Londres : il y a donc encore une grande marge d'amélioration.
Pour répondre à votre question sur les réfugiés, lorsque la guerre a éclaté en Ukraine, nous avions décidé, pour des raisons de sécurité, d'arrêter nos activités et de transférer nos chauffeurs en Pologne. Toutefois le gouvernement et les villes de ce pays nous ont demandé notre aide pour maintenir un réseau de transport. Nous avons donc relancé notre service par solidarité, en augmentant le nombre de villes où nous exploitons notre flotte et en offrant un transport gratuit aux réfugiés qui souhaitent quitter le pays. Ce n'est pas une entreprise rentable, certes, mais la responsabilité de notre entreprise est d'être sur le terrain.
Nous sommes très différents d'autres entreprises technologiques en ce que nous avons beaucoup de personnes sur le terrain, confrontées aux difficultés locales. Quand une ville a des besoins, et ils sont criants en Ukraine, nous sommes présents. Cela implique de transporter gratuitement des réfugiés. Cela signifie également qu'il faut une version différente d'Uber pour tenir compte des spécificités du pays.
Pour les personnes au chômage, notre plateforme présente l'avantage d'être très souple car elle leur permet de travailler quand elles veulent, où elles veulent et selon les modalités qu'elles souhaitent. Elles peuvent choisir de travailler à temps plein ou bien de travailler en complément avec une plateforme concurrente . Nous souhaitons également leur assurer une protection et des droits. C'est pourquoi nous tenons à poursuivre le dialogue social pour continuer à les renforcer, l'objectif étant d'attirer davantage de coursiers et de chauffeurs vers la plateforme Uber.
C'est un véritable sujet de société. Une personne au chômage devrait avoir le pouvoir de choisir ce qu'elle veut faire à l'avenir. Nous pensons que notre plateforme fait partie des choix possibles. Il est donc très important de nous assurer qu'elle est sécurisée, dans l'intérêt tant des clients que des chauffeurs. L'identité et l'historique de chacun sont vérifiés, par exemple concernant le statut d'immigration. Nous voulons aider les gens au chômage qui, parfois, traversent des moments difficiles.
Nous avons appris hier, par voie de presse, que la société Uber Technologies, Inc. va proposer des voitures sans chauffeur sur sa plateforme de covoiturage et de livraison de nourriture, notamment à Phoenix, en Arizona. Cela ne risque-t-il pas de remettre en cause le modèle Uber que vous venez de nous décrire, c'est-à-dire le modèle où, selon vous, l'on peut choisir de travailler sous statut indépendant, et ce faisant sortir du chômage ?
Nous travaillons certes avec des écosystèmes très complets – chauffeurs, flottes de véhicules, agences de location de véhicules comme Hertz – mais nous avons également souhaité nouer un partenariat avec Waymo pour produire des véhicules autonomes. En effet, si nous ne développons pas nous-mêmes cette technologie, notre intérêt en la matière est grand. Celle-ci se développe très rapidement ; néanmoins, elle est encore en phase de test et ne devrait pas devenir une partie intégrante de notre service de sitôt. Je pense que, dans dix ans, il y aura beaucoup plus de conducteurs humains qu'aujourd'hui.
Nous vous remercions pour votre intervention. Nous allons maintenant auditionner M. Andrew Byrne, directeur des affaires publiques du groupe Uber, et M. Pierre-Dimitri Gore-Coty, ancien directeur Europe de l'Ouest de la société Uber, aujourd'hui chargé d'Uber Eats.
Vous étiez tous deux dirigeants de la société Uber entre 2013 et 2017, autrement dit pendant la période visée par les Uber files, de sorte que votre audition nous a paru indispensable. Compte tenu de l'ensemble des auditions que nous avons conduites, nous avons beaucoup de questions à vous poser. Nous vous avons donc envoyé un questionnaire en amont de cette audition pour vous permettre de vous y préparer, et je vous remercie pour les réponses que vous nous avez déjà apportées.
Je précise que le Garde des Sceaux m'a informé, par courrier du 9 mai 2023, d'une procédure judiciaire en cours engagée à l'encontre de M. Pierre-Dimitri Gore-Coty dont je ne connais pas l'objet. Aussi, en raison du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, je remercie d'avance M. Gore-Coty de nous indiquer, le cas échéant, s'il ne peut répondre à certaines de nos questions en raison de cette procédure.
De façon liminaire, de quelle manière qualifieriez-vous les méthodes de lobbying et l'implantation de la société Uber en France entre 2013 et 2017, révélées par les Uber files ? Quelles ont été vos réactions aux Uber files ? Quel type d'échanges avez-vous eus durant cette période avec les pouvoirs publics ? Quelles décisions, quelles évolutions du cadre législatif ou réglementaire avez-vous essayé de promouvoir ? Quel regard portiez-vous sur ce cadre réglementaire et législatif en 2017, à la fin de la période couverte par les Uber files ? Ma question s'inscrit dans la continuité des propos de M. MacGann qui, après avoir dénoncé les méthodes de lobbying d'Uber, a toutefois considéré que leurs résultats étaient très décevants et que les textes qui avaient ensuite été adoptés – « loi Thévenoud », « loi Macron », « loi El Khomri », « loi Grandguillaume » – n'avaient fait que renforcer la régulation des VTC.
Au cours de nos travaux, nous avons longuement évoqué le caractère illégal du service Uber Pop, à l'origine de nombreuses manifestations de la part des représentants des taxis. Pouvez-vous nous expliquer les raisons pour lesquelles la société Uber a maintenu ce service jusqu'en juillet 2015, alors qu'il avait été jugé illégal par le tribunal correctionnel le 16 octobre 2014 ?
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Messieurs, je vous invite donc, l'un après l'autre, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(M. Pierre-Dimitri Gore-Coty et M. Andrew Byrne prêtent successivement serment.)
J'ai rejoint Uber au début de ma carrière, il y a plus de dix ans, convaincu de l'impact positif que la technologie, notamment le smartphone, pouvait avoir sur la mobilité géographique et économique de millions de personnes à travers le monde. Cette conviction motive toujours mon engagement aujourd'hui.
Je regrette certaines des méthodes utilisées à l'époque pour installer notre modèle. Le secteur des taxis n'avait jamais connu d'ouverture et a réagi avec violence. Uber est parfois passée en force. J'en ai personnellement subi les conséquences, le procès pénal dont je fais l'objet en France étant l'une de mes plus grandes épreuves et, certainement, mon plus grand apprentissage aussi.
Comme l'a dit notre PDG, nous avons clairement reconnu les erreurs du passé. Celles-ci ont fait l'objet de nombreux articles, bien avant la publication des Uber files, et nous ne les contestons pas. Mais Uber a changé radicalement depuis l'arrivée de Dara Khosrowshahi à la tête de l'entreprise, en 2017. Nous sommes passés d'une ère de confrontation à une ère de dialogue. Nous avons bâti des terrains d'entente et de collaboration avec les pouvoirs publics et avec l'ensemble des acteurs du secteur.
Comme vous, je lis la presse et je vois les critiques qui s'expriment à l'égard de nos activités. J'aimerais profiter de ce bref propos pour réitérer aussi clairement que possible que notre priorité est de bâtir une activité pérenne, apaisée et qui s'inscrit pleinement dans le tissu socioéconomique européen. Ma priorité est d'offrir des opportunités attractives aux travailleurs, des services de qualité aux consommateurs et, pour tous, plus de protection et de sécurité. En France tout particulièrement, nous sommes déterminés à avancer dans la voie du dialogue social avec les partenaires sociaux pour continuer à améliorer les conditions d'activité des chauffeurs et des livreurs – peu importe l'application qu'ils utilisent. Nous investissons massivement dans les outils technologiques de pointe pour lutter contre la fraude. En parallèle, nous testons plusieurs programmes d'insertion pour jouer pleinement notre rôle de tremplin social dans les territoires. Enfin, notre taille nous permet d'accélérer la transition énergétique de tout le secteur. La décarbonation est désormais l'une de mes grandes priorités stratégiques.
Je ne chercherai pas à justifier des comportements passés qui ne sont pas conformes à nos valeurs d'entreprise actuelles. Je suis reconnaissant d'avoir pu œuvrer à la transformation de l'entreprise, fier du chemin parcouru et conscient qu'il reste encore beaucoup à accomplir. Je ferai de mon mieux pour répondre à vos questions dans le cadre de ce que mes responsabilités de vice-président chargé de l'activité livraison au niveau monde m'amènent à suivre et avec le soutien d'Andrew Byrne pour la partie VTC.
S'agissant de la livraison, pouvez-vous nous présenter les activités d'Uber Eats en France, en précisant le nombre de livreurs partenaires, le nombre moyen de livraisons par jour ou par an et le revenu moyen de vos livreurs ?
En France, l'application Uber Eats est utilisée par près de 65 000 coursiers et a été téléchargée près de 18 millions de fois. Notre service se caractérise par un ancrage local très fort. Ainsi, nous opérons dans 340 agglomérations à travers le pays, dans des agglomérations de moins de 10 000 habitants. Nous avons noué des partenariats avec près de 45 000 restaurants et commerçants qui, pour 70 % d'entre eux, sont des indépendants. Nous jouons également un rôle de premier plan dans le sport avec notre partenariat avec l'équipe de France de football. Nous avons évidemment des équipes locales, non seulement à Paris mais à travers la France, qui travaillent avec nos différents partenaires.
Nous sortons de la pandémie, pendant laquelle la livraison a eu un impact important : près de 5 000 restaurants ont rejoint l'application pendant cette période, beaucoup se lançant dans une activité qui était nouvelle pour eux et leur a permis de tenir. Il s'agissait aussi bien de petits restaurants indépendants que des grands chefs. Nous avons pris un certain nombre d'initiatives pour améliorer la situation des restaurants pendant cette crise majeure – réduire nos frais d'activation et nos commissions sur les commandes à emporter – et joué un rôle également en offrant des milliers de repas au personnel de santé dans les Ehpad.
Telle est la situation de l'application Uber Eats. On observe qu'après l'engouement créé par la crise de la covid, l'essor perdure. Nous continuons à apporter une solution aussi bien aux coursiers qu'aux travailleurs indépendants et aux utilisateurs de nos services pour gagner du temps et pour améliorer leur quotidien.
Concernant la sous-location de comptes, pouvez-vous nous décrire le système d'identification en temps réel ? Combien de personnes au sein d'Uber France travaillent sur ces contrôles d'identité, la lutte contre la sous-location et contre le travail dissimulé ? À quelle fréquence ? Y a-t-il eu une évolution de vos pratiques dans les derniers mois ou les dernières années, à la suite des abus révélés par la presse et la justice ?
La lutte contre la fraude au sens large est un sujet que nous prenons évidemment très à cœur. C'est une priorité depuis plusieurs années. Globalement, la fraude sur la plateforme Uber Eats ou sur les plateformes de livraison peut se manifester de deux manières : la fraude documentaire, qui consiste à utiliser de faux documents d'identité pour accéder à l'application et se créer un compte de livreur ; la fraude à la sous-location de compte, qui consiste, pour un livreur disposant légalement d'un compte sur notre application, à louer celui-ci et à permettre à des personnes qui n'auraient pas pu accéder elles-mêmes à l'application d'utiliser nos services.
Depuis plusieurs années, nous avons adopté toute une série de mesures pour lutter contre ces deux phénomènes. Concernant la fraude documentaire, nous avons lancé un audit majeur de notre plateforme au début de l'année 2022, qui a conduit à la désactivation de près de 2 500 comptes de coursiers sur les 65 000 que nous avons audités. Nous avons eu recours, à cette occasion, à une société tierce, Ubble, qui est certifiée par l'Anssi – Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Cette société valide de manière vidéo les papiers d'identité fournis par les coursiers souhaitant s'inscrire sur notre plateforme. Nous continuons d'améliorer la fiabilité de nos méthodes.
Concernant la sous-location, nous avons été les premiers à déployer, en 2019, une solution de contrôle par selfie. Celle-ci consiste à envoyer, à des moments aléatoires, une notification au coursier lui demandant de se prendre en photo, laquelle est ensuite comparée automatiquement à la photo transmise lors de l'inscription. Cette méthode n'a eu de cesse de s'améliorer au fil des années, sa fiabilité étant désormais très supérieure à ce qu'elle pouvait être à l'origine. Ces contrôles ont lieu au moins une fois par semaine et peuvent être faits jusqu'à une fois par jour quand nos systèmes détectent des signaux faibles ou forts de fraude potentielle. La validation des documents d'identité et les contrôles en temps réel des photos sont réalisés par 123 personnes.
Votre réponse est intéressante car d'autres acteurs ne mettent pas en place de contrôles aléatoires au motif que la technologie ne serait pas encore au point.
Tout en restant modeste quant aux progrès que nous devons continuer de faire, je suis à peu près certain que Uber Eats est leader en matière de lutte contre la fraude dans le secteur. Nous sommes les seuls à respecter l'ensemble des engagements pris par les plateformes signataires de la charte de 2022. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y ait pas encore des progrès à réaliser, et nous continuons dans cette voie. Les contrôles par selfie, que nous avons lancés il y a maintenant près de quatre ans, en sont l'illustration. Le caractère aléatoire des contrôles est extrêmement important : s'il avait lieu chaque jour ou chaque semaine à la même heure, il deviendrait plus facile pour le coursier de frauder.
Nous mettons en œuvre des micro-innovations pour rendre ces contrôles plus fiables. Ainsi, il était possible d'envoyer sur notre plateforme une photo d'identité téléchargée depuis la librairie de photos de son téléphone. Nous avons opéré un simple changement en interdisant d'employer une photo déjà enregistrée dans le téléphone et en demandant que la photo soit prise en temps réel. Si on observe qu'un coursier, à qui l'on demande d'envoyer un selfie pour valider son identité, se déconnecte soudainement de son application sur son téléphone et se reconnecte avec un autre à un autre endroit – ce sont des choses que nous sommes capables de contrôler, nous déclenchons une désactivation immédiate de son compte. Ce sont deux exemples de toutes ces micro-améliorations qui sont faites chaque semaine, chaque mois, pour continuer d'améliorer la fiabilité du système et réduire au maximum le phénomène de fraude sur la plateforme.
Comment sélectionnez-vous le livreur qui effectue une course ? Le choix repose-t-il seulement sur la distance et la disponibilité ou bien un algorithme évalue-t-il les livreurs selon leur rapidité, leur fiabilité ou leur historique de courses ?
Les deux grands paramètres d'allocation d'une course sont la localisation et la tarification. Le livreur est libre d'accepter ou de refuser l'offre. Les caractéristiques individuelles des livreurs n'entrent pas en ligne de compte : que vous ayez accepté chacune des livraisons qui vous ont été proposées, ou bien que vous en ayez refusé 90 %, cela ne change rien. L'allocation est faite exclusivement sur la distance qui vous sépare du restaurant et du client final, et sur la tarification.
Pouvez-vous nous communiquer une évaluation des profils des livreurs et de leurs éventuelles activités complémentaires, sachant qu'une infime minorité d'entre eux travaillent à plein temps pour Uber Eats ? Sont-ils livreurs également sur d'autres plateformes ? S'agit-il de professionnels ou d'étudiants ?
Les 65 000 livreurs qui utilisent l'application Uber Eats en France ont en moyenne 25 ans ; ils utilisent la plateforme de manière complémentaire, avec en moyenne dix heures d'activité par semaine ; 70 % d'entre eux nous disent avoir un revenu complémentaire.
Les livreurs que nous interrogeons nous disent que deux choses sont importantes pour eux : d'une part, la flexibilité, car ils ne souhaitent pas, dans leur grande majorité, être employés et valorisent la liberté de se connecter quand ils le souhaitent et, d'autre part, le fait que cette activité soit accessible sans diplôme, sans que votre prénom, la couleur de votre peau, votre nom de famille ou le nom de la ville dans laquelle vous habitez soient pris en compte. Un tiers des livreurs étaient au chômage avant d'exercer cette activité, qui leur permet d'avoir un revenu décent. Notre volonté est d'avancer vers plus de protection sociale, raison pour laquelle nous avons signé les accords sociaux évoqués par Dara Khosrowshahi.
Quelles mesures avez-vous adoptées concernant les accidents que peuvent subir les livreurs ? Vous considérez-vous comme responsables ? Avez-vous un engagement auprès des livreurs pour les assurer ou les protéger en cas d'accident ?
C'est un sujet que nous prenons très au sérieux. Lorsque Dara Khosrowshahi a rejoint l'entreprise, en 2017, il a fait de la sécurité l'une de nos trois ou quatre priorités stratégiques. C'est devenu l'une des valeurs de notre entreprise. Nous travaillons principalement sur deux sujets : la prévention des accidents et la protection la plus efficace possible des travailleurs et des coursiers en cas d'accident.
En matière de prévention, nous menons un grand nombre d'actions. Par exemple, lorsqu'un bulletin de Météo France annonce un risque orange ou rouge, nous ne communiquons pas d'informations susceptibles d'inciter les coursiers à prendre la route. En cas d'alerte rouge, nous les prévenons en temps réel. Nous avons conclu une série de partenariats destinés à alimenter l'application Uber Eats en informations, consultables par les coursiers, sur l'équipement dont ils doivent se munir et la manière dont ils doivent se comporter sur la route. Les règles du code de la route leur sont également rappelées. En outre, nous versons des subventions qui permettent aux coursiers d'acheter des casques et des gilets réfléchissants à prix préférentiel.
Une couverture santé et prévoyance de la société Axa prend en charge les chauffeurs et les livreurs victimes d'accident. La France a été le premier marché concerné par cette protection, qui a ensuite été étendue à l'ensemble de nos marchés européens. Elle comprend un volet relatif à la responsabilité civile, qui couvre les dommages pouvant être causés à des tiers. Elle prévoit également une indemnisation en cas d'incapacité de travail, que l'accident soit survenu lors de l'utilisation de l'application Uber Eats ou en dehors de la plateforme.
La presse s'est fait l'écho d'agressions de coursiers, notamment la nuit. À ce sujet, nous avons conclu un partenariat avec la société Juridica, qui propose aux coursiers un accompagnement juridique gratuit qui leur permet de porter plainte et d'ester en justice.
Je souhaiterais revenir à la période concernée par les révélations sur les Uber files, qui constituent le point de départ de notre enquête parlementaire, soit aux années 2014 à 2016. Monsieur Gore-Coty, vous avez participé, le 1er octobre 2014, alors que vous étiez directeur d'Uber pour l'Europe de l'Ouest, à une rencontre avec Emmanuel Macron, ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique depuis cinq semaines, au côté de M. Travis Kalanick, vice-président du groupe, et de M. David Plouffe, ancien conseiller de Barack Obama. Cette première entrevue, qui ne figurait pas à l'agenda du ministre, sera suivie d'une deuxième, le 20 janvier 2015, à laquelle je ne crois pas que vous ayez participé – elle réunissait, me semble-t-il, M. Travis Kalanick et M. Emmanuel Macron.
Depuis une semaine, notre commission d'enquête a eu accès, par le biais de lanceurs d'alerte, à bon nombre de documents que nous avons épluchés mais qui nécessitent encore un travail d'analyse. À la suite du premier rendez-vous, M. Mark MacGann envoie un message à ses collaborateurs : « En un mot : spectaculaire. Du jamais vu. On quitte Bercy et on file à l'aéroport. Je vous tape un rapport dans la journée. Beaucoup de boulot à venir mais on va danser bientôt. » Deuxième message : « Globalement, l'objectif du ministère de l'Économie est d'avancer afin de clore le dossier VTC taxis, tout en évitant que trop de barrières soient imposées au développement du secteur VTC. »
Finalement on comprend que l'enjeu pour Uber, à la suite de l'adoption de la « loi Thévenoud », est d'obtenir d'autres modifications du cadre réglementaire. Maxime Drouineau, lobbyiste d'Uber, qui est présent à la deuxième rencontre à Bercy, envoie un compte rendu aux avocats de l'entreprise, dans lequel il écrit : « M . Emmanuel Macron est favorable à une "licence light" pour les VTC et par conséquent à un allègement significatif des conditions requises renforcées par la loi Thévenoud. »
Ces éléments vont donner lieu à un « deal », pour reprendre le terme qu'Emmanuel Macron va utiliser, entre lui-même et Travis Kalanick. Maxime Drouineau explique dans un message le plan élaboré entre Bercy et l'équipe d'Uber : « Nous nous sommes mis d'accord avec Emmanuel Macron sur un process en deux temps : 1° Proposer un ou plusieurs amendements à la loi Macron avant demain soir afin de modifier la réglementation actuelle introduite par la loi Thévenoud. [Il s'agira des amendements de M. Luc Belot, qui seront transmis clés en mains par l'équipe d'Uber]. 2° Nous avons une fenêtre de quatre semaines pour mener une campagne de communication avec Macron afin de faire accepter l'idée qu'une licence VTC "light" serait une solution pour l'emploi et la mobilité. Dans ce contexte, il s'agira de trouver le moment opportun pour rédiger un décret abolissant le régime proposé par la loi Thévenoud et introduire une réglementation plus souple. »
On lit ensuite : « Ces amendements ont été rejetés, comme prévu. » Il y a une certaine clairvoyance sur le fait qu'il sera difficile de faire adopter les amendements de Luc Belot, dans la mesure où la ligne majoritaire, à l'Assemblée nationale comme au Gouvernement, ne correspond pas à la position d'Emmanuel Macron. Ces actions créeront toutefois un certain climat et permettront à Emmanuel Macron d'instaurer un rapport de force qui se traduira, par la suite, par la publication d'un arrêté sur la formation beaucoup plus satisfaisant pour Uber. Je vous lis d'autres extraits : « C'est quand même une excellente nouvelle. On a trois amendements déposés par un député socialiste qui portent sur des éléments clés du régime, et il a notamment gardé l'amendement sur les gares et aéroports [...] Ceci permet, comme c'était le but, d'amorcer un débat sur un régime VTC assoupli ».
D'autres éléments nous montrent que l'arrêté relatif à la formation, qui fera l'objet d'un certain nombre d'allers-retours avec la direction d'Uber, et qui fait passer le nombre d'heures de formation de 250 à 7, sera considéré par votre société comme une avancée. Je vous lis quelques passages : « Nous venons d'obtenir communication de l'arrêté examen. À la première lecture, cet arrêté va exactement dans le sens que nous poussons depuis plusieurs mois. » « Je considère ce soir que ce texte est une très bonne avancée pour nous tous, même si ce n'est pas encore un régime P2P […]. » Avant la fin d'Uber Pop, qui semble être un horizon inévitable, il vous faut absolument placer massivement des VTC sur le marché, pour continuer à vous développer. Finalement, cet arrêté vous permettra de recruter très rapidement des chauffeurs VTC, qui seront formés en une journée.
Thibaud Simphal écrit à ses collègues, parmi lesquels Alexandre Quintard Kaigre : « Mais clairement, depuis juin, on a pesé très lourd. » On perçoit une véritable satisfaction, au point que Mark MacGann écrira, le 12 janvier 2016, à Emmanuel Macron : « Cela représente énormément de travail de tous les côtés, y compris (et surtout) de la part du ministère de l'économie, et nous en sommes sincèrement reconnaissants. »
Pouvez-vous préciser votre vécu de cet épisode et indiquer quel rôle a joué Emmanuel Lacresse, qui était membre du cabinet d'Emmanuel Macron ?
Pour préciser, nous venons d'auditionner M. Kopp, ancien chargé de communication d'Uber. Pour décrire la culture qui avait cours dans la société, il a employé les termes « super pumped », à savoir une forme d'exagération dans les relations internes, qui se manifeste dans le ton, toujours dynamique et positif, et se traduit par une forme de pression de la part des opérationnels, notamment ceux localisés aux États-Unis, sur les équipes de communication et de lobbying à Paris. Cela a pu parfois expliquer, nous a-t-il dit, une certaine exagération des résultats des entretiens avec les pouvoirs publics. Cela vous semble-t-il refléter l'ambiance et la tonalité des échanges chez Uber à l'époque, ainsi que dans les Uber files ?
M. Emmanuel Macron a tenu les rencontres auxquelles vous faites allusion dans le cadre de ses fonctions de ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, alors qu'il avait en charge la supervision du secteur des VTC. Il a toujours affirmé très clairement qu'à ses yeux, le service Uber Pop n'avait pas d'avenir en France et qu'il ne s'inscrivait pas dans le modèle social français.
Dans les années qui ont suivi, les évolutions réglementaires concernant les VTC ont été tout sauf favorables à Uber puisqu'elles ont rendu l'accès à la profession de plus en plus compliquée. C'est ce qui a conduit à la crise de 2016, 10 000 chauffeurs sous statut « Loti » – loi d'orientation sur les transports intérieurs – se retrouvant du jour au lendemain quasiment sans possibilité d'exercer leur activité. En outre, l'examen prévu par la « loi Grandguillaume » a connu un taux de succès de 14 %. Le décret définissant ses modalités a été annulé par le Conseil d'État au motif qu'il méconnaissait le principe de libre établissement.
Il apparaît donc clairement qu'il n'y a pas eu de « deal », quel qu'il soit, et que les résultats espérés par Uber, au vu des messages et des positions que l'entreprise défendait sur l'accès à la profession, n'ont certainement pas été au rendez-vous. Les propos tenus par Mark MacGann ou d'autres personnes leur appartiennent. Les messages de M. Kopp résument assez bien le fait qu'à l'époque, la société a agi vite, sans doute trop vite. Nous ne contestons pas les erreurs qui ont été faites, mais nous estimons qu'elles sont derrière nous. Comme l'a dit Dara Khosrowshahi, la société a fondamentalement changé, dans tous les aspects possibles.
Je vous prie de m'excuser de ne pouvoir m'exprimer en français. Lorsque j'ai commencé à travailler au sein de l'équipe des affaires publiques d'Uber, à partir de 2014, je me trouvais au Royaume-Uni. M. MacGann était mon manager. N'ayant pas pris part aux différentes réunions, je ne peux pas me prononcer sur leurs tenants et leurs aboutissants. Uber reconnaît sans conteste avoir commis des erreurs durant cette période. Notre action était marquée par une confrontation excessive avec les pouvoirs publics ; nous réagissions à ce que nous percevions à l'époque comme une opposition ferme, voire agressive, à notre volonté de nous implanter en Europe. Nous ne défendons pas les activités de lobbying qui ont pu être menées à l'époque.
Depuis 2017 et, en tout cas, depuis que j'ai pris la direction de l'équipe des affaires publiques, en 2021, nous nous efforçons d'être le plus transparent possible et nous nous conformons en tout point aux dispositions de la loi française. Nous respectons à la lettre les règles en vigueur dans le cadre de nos relations avec les responsables publics en France et ailleurs. Des sociétés comme Uber s'emploient à relayer les souhaits des chauffeurs et des coursiers mais aussi à alimenter le débat sur les incidences des réformes juridiques sur l'activité de ces entreprises. Elles contribuent ainsi à ce que la loi prenne en compte les aspirations de toutes les composantes de la société.
Je suis en charge des affaires publiques d'Uber pour plus de 110 pays, et je crois que la France est l'un de ceux où la réglementation est la plus stricte en matière de mobilité. Je ne pense pas que l'on puisse dire que nous bénéficions, de quelque façon que ce soit, d'un traitement préférentiel.
Messieurs, vous ne pouvez pas dire, d'un côté, que vous réprouvez les pratiques illégales et scandaleuses exercées hier par Uber et que vous en avez fini avec tout cela et, d'un autre côté, qu'il n'y a pas eu de « deal » et que tous les messages que je viens de vous lire n'ont jamais existé. Je ne les ai pourtant pas inventés, à moins que vous ne niiez leur réalité. Nous en avons beaucoup d'autres, parmi lesquels des messages hebdomadaires qui rendent compte de l'état des relations avec Emmanuel Macron et de la discussion sur le cadre réglementaire et législatif en France. Il y a eu énormément d'échanges avec le ministre de l'Économie de l'époque, qu'il s'agisse de rencontres physiques, d'e-mails ou de SMS. La direction d'Uber y exprime une intense satisfaction, en particulier concernant l'arrêté sur la formation.
Il est vrai que ni M. Valls, ni M. Vidalies, ni M. Cazeneuve, qui étaient opposés au modèle Uber – et pas seulement à Uber Pop –, n'étaient pas au courant de ces échanges. Ils ont le sentiment d'avoir participé à une négociation interministérielle sur l'arrêté final, indépendamment de toute pression, dans un contexte particulier. Cela étant, à la lecture des messages, on voit que vous demandez à chaque fois des modifications et que vous êtes in fine extrêmement satisfaits du résultat obtenu sur la formation – étant rappelé, toutefois, que des entreprises de formation s'extrayaient parfois du cadre légal.
Vous affirmez que l'on est passé d'une ère de confrontation à une ère de dialogue. Pour ma part, je vois les choses différemment. Vous avez connu une période de confrontation avec la société française, au cours de laquelle vos seuls soutiens, Emmanuel Macron et un certain nombre de députés, avaient une position minoritaire au sein du Gouvernement. À l'heure actuelle, Mme Borne, M. Dussopt et M. Beaune se montrent favorables à vos propositions. Vous avez ainsi obtenu gain de cause en matière de dialogue social et de droits sociaux, comme l'attestent la création de l'Arpe et le refus, par la France, de soutenir la présomption de salariat proposée par la directive européenne. N'est-ce pas là la grande différence entre ces deux périodes ?
Pouvez-vous me confirmer que les messages que je vous ai lus ont bien existé ?
C'était principalement Mark MacGann qui assumait la responsabilité du lobbying à cette époque. Il a affirmé très clairement, me semble-t-il, lors de son audition, qu'il n'y a pas eu de « deal » avec M. Macron. Je ne puis que réaffirmer le fait qu'Uber n'a pas été favorisé par le cadre réglementaire en France, à quelque égard que ce soit.
Uber est évidemment préoccupée et inquiète par les conséquences que pourrait avoir la directive que vous avez mentionnée. Nous avons eu un certain nombre de contacts avec la Commission européenne. Au cours des dernières années, Dara Khosrowshahi et moi-même avons rencontré des commissaires européens à deux reprises. Nous partageons toujours certains des objectifs de la Commission européenne. L'occasion se présente d'élaborer une directive qui soit source de clarté et de sécurité juridique pour les plateformes intervenant dans ce domaine d'activité. Toutefois nous pensons qu'une opportunité a été manquée de définir des critères plus précis, notamment en ce qui concerne le contrôle ou la subordination, notions qui caractérisent généralement la manière dont on conçoit la relation de travail avec un employé ou un sous-traitant. On n'a pas suffisamment expliqué ces critères dans le projet de directive. La possibilité est aujourd'hui offerte de fournir aux travailleurs, aux syndicats et aux entreprises comme Uber des indications plus précises sur la manière dont ils doivent appliquer leur modèle.
Uber a changé, de façon globale, sa relation avec les syndicats. Au cours des dernières années, nous avons non seulement signé un accord-cadre avec la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) mais aussi conclu des accords avec des syndicats au Royaume-Uni, en Belgique, en France et en Italie, avant même l'application de la directive sur les plateformes. Nous ne devrions pas être pénalisés ni poursuivis en justice au motif que nous travaillons avec des syndicats du monde entier et signons des accords avec eux. Nous avons exprimé, de manière parfaitement transparente, les préoccupations que nous inspirait la directive. Nous avons eu des discussions avec les ministères français chargés des Transports, du Travail et des Affaires européennes. Comme le ministre du Travail vous l'a indiqué ce matin, nous n'avons pas tenu de conversation directe avec lui mais nous avons parlé avec ses collaborateurs en plusieurs occasions. Le processus de lobbying que nous conduisons actuellement est parfaitement transparent. Nous ne disons rien en privé que nous ne dirions pas en public.
Je reconnais tout à fait que les courriels et les correspondances dont vous avez fait état forment un sombre tableau. Mark MacGann, qui en était responsable, s'est expliqué sur les relations qu'il a entretenues avec le cabinet de M. Macron.
Vous ne pouvez pas réduire l'ensemble de ces échanges à la seule implication de M. Mark MacGann. D'une part, M. MacGann agissait en vertu des responsabilités qui lui étaient conférées au sein du groupe et, d'autre part, plusieurs échanges concernent M. Thibaud Simphal et M. Pierre-Dimitri Gore-Coty. Soit vous attestez la véracité de ces documents, qui sont en notre possession, soit vous estimez qu'ils sont faux, mais je rappelle que vous parlez sous serment. Ces documents révèlent l'ensemble des négociations qui ont eu lieu et l'intense satisfaction qu'a procuré à Uber la conclusion du « deal » – terme employé par le ministre de l'Économie – concernant l'arrêté.
Je note, et cela me paraît important, que vous désavouez les pratiques agressives de lobbying de l'époque, qui prenaient plusieurs formes. D'abord, Uber a fait appel à de nombreux cabinets de conseil pour identifier les décideurs publics avec qui entrer en relation et organiser des rencontres officielles ou officieuses – j'aimerais d'ailleurs avoir des précisions sur les moyens que vous avez alloués à cette fin. Ensuite, vous avez commandé des enquêtes d'économistes – que nous avons pour partie auditionnés – dont les conclusions étaient prédéfinies. Vous avez payé des articles qui avaient pour objet de vanter le modèle Uber et ses conséquences en termes de création d'emplois. Les études indépendantes actuelles montrent que, pour la plupart d'entre eux, les chauffeurs VTC occupaient un autre emploi précédemment. Un lobbying agressif visait également à organiser une « stratégie du chaos », pour reprendre les termes de Travis Kalanick, notamment dans le cadre des conflits entre taxis et VTC. Cela pouvait conduire à payer des chauffeurs VTC pour qu'ils participent à des manifestations. Uber avait également pour stratégie de recruter des décideurs publics – par exemple Nellie Kroes, David Plouffe ou Grégoire Kopp – pour développer un réseau influent au cœur des appareils d'État de plusieurs pays européens. Ce lobbying avait toutefois cours avant l'adoption de la « loi Sapin 2 ».
Dès l'origine, Uber a assumé la volonté d'imposer un état de fait allant à l'encontre de l'État de droit. Le groupe avait parfaitement conscience de l'illégalité de son action. J'ai sous les yeux un document intitulé – pardon pour la grossièreté – Pyramid of Shit, qui est extrait d'une présentation du 11 décembre 2014 à destination des cadres d'Uber en Europe. Cet écrit montre comment l'entreprise assume le fait de s'exposer à des procès contre des conducteurs, à des enquêtes réglementaires, à des procédures administratives et à des litiges. La société était tellement consciente de cette situation d'illégalité qu'elle était prête à supprimer toutes ses données grâce à un logiciel interne – employant la technique du kill switch – en cas de contrôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ou d'autres instances de contrôle.
Toutes les pratiques que j'ai évoquées ont-elles aujourd'hui disparu ?
Pouvez-vous aussi nous confirmer que le logiciel kill switch n'est plus utilisé et n'existe plus ?
Je vous confirme que, depuis l'arrivée du président-directeur général Dara Khosrowshahi, la société n'a pas de logiciel kill switch qui serait destiné à contrecarrer des activités réglementaires. Comme dans beaucoup d'autres groupes, nous disposons de logiciels qui permettent, en cas de vol ou de perte du téléphone ou de l'ordinateur d'un employé, de le bloquer à distance mais, je le répète, ces dispositifs ne sont jamais utilisés pour contrecarrer des actions réglementaires. Bien au contraire, le groupe Uber collabore très fréquemment avec les autorités de nombreux pays, participe aux enquêtes et fait tout son possible pour faciliter le déroulement des procédures.
Nous ne remettons pas en cause l'existence de telles communications qui reflètent les discussions internes à l'époque. C'est vrai, c'est arrivé durant la période en question. Ce que je peux dire c'est que je travaille dans cette entreprise depuis 2014 et j'étais donc là lorsque ces événements se sont produits. Je serai franc : mon activité de lobbyiste ne m'a jamais conduit à faire quoi que ce soit de nature à compromettre mon intégrité personnelle. En vérité, on ne sait pas si les faits que vous dénoncez se sont réellement produits ou s'il s'agit juste de correspondances qui en parlent. Il n'en demeure pas moins que recruter des personnalités publiques ou financer des études ou des articles en sa faveur n'est pas acceptable. Nous ne le faisons pas, rien de tel ne se produit aujourd'hui. Au contraire, nous souhaitons renforcer la transparence dans notre activité de lobbying et nous voudrions inciter les autres sociétés de lobbying à faire de même pour que nous respections tous les mêmes règles.
Depuis neuf ans que je travaille chez Uber, je constate, et Pierre-Dimitri ne me contredira sans doute pas, que la culture de l'entreprise a profondément changé. Nous ne nous entretenons plus de la même manière avec les autorités publiques et nous avons renforcé le dialogue avec les coursiers et les chauffeurs. Depuis 2017, toutes ces pratiques inacceptables, comme le kill switch, n'ont plus cours.
Je tiens à préciser quelques points car je crains que certains éléments ne se perdent dans la traduction. Des activités que vous venez de dénoncer comme inacceptables continuent à être couramment pratiquées, aux États-Unis comme en Europe, en particulier en France, dès lors qu'elles ne sortent pas du cadre légal. Pourriez-vous clarifier votre propos lorsque vous considérez qu'embaucher des fonctionnaires est inacceptable ? C'est légal en France, comme ailleurs, tant que cela ne crée pas de conflits d'intérêts et que la procédure du passage entre le public et le privé est respectée. La remarque vaut aussi pour le fait de payer des passages dans les médias dans le cadre de contrats passés avec des agences de communication ou de relations publiques, qui peuvent vous y donner accès. Si vous nous dites, sous serment, que Uber ne fait jamais travailler de gens qui viennent du public, je me pose des questions car, pour avoir vécu assez longtemps aux États-Unis, je sais que la pratique perdure dans le secteur privé, et que le secteur public a tendance à engager des gens du privé. Je vous invite à préciser votre pensée.
C'est une très bonne remarque. Cette pratique existe, en effet, dans tous les pays où nous travaillons dès lors qu'elle ne sort pas du cadre légal et ne fait pas naître de conflits d'intérêts. Nous y avons recouru dans le passé, dans le cadre de la loi.
Vous avez dit, à propos des livreurs de la plateforme, que vous ne regardiez ni l'origine de la personne, ni sa couleur de peau. Vérifiez-vous son casier judiciaire ou envisagez-vous de le faire ? Il est en effet arrivé que des livreurs profitent de leur travail pour se livrer au trafic de stupéfiants. D'autre part, ne prenez-vous pas le risque que des personnes en situation irrégulière se retrouvent sur les plateformes ?
Je vais clarifier ma pensée pour lever toute ambiguïté. Je voulais simplement vous dire que nous offrons aux travailleurs des plateformes l'opportunité de trouver un emploi sans être soumis aux pratiques discriminatoires qui sévissent malheureusement dans tous les pans de notre société.
S'agissant du casier judiciaire, personne ne peut obtenir la carte professionnelle de chauffeur de VTC si son casier judiciaire n'est pas vierge. Nous ne contrôlons pas nous-mêmes les casiers judiciaires mais nous vérifions l'authenticité de la carte professionnelle.
Concernant l'activité de livraison Uber Eats, nous n'avons pas le droit de demander une copie du casier judiciaire, ce qui ne nous empêche pas de nous préoccuper de la sécurité de ceux qui travaillent pour l'application, chauffeurs ou coursiers, ainsi que de celle de leurs clients. Nous vérifions par conséquent toutes les remarques ou les observations qui parviendraient à notre connaissance, y compris de la part d'un restaurateur. Nous prenons très au sérieux tout ce qui pourrait nous être rapporté à ce sujet pour que la plateforme soit la plus sûre possible.
Quant à l'éventuelle irrégularité de certains travailleurs, nous vérifions systématiquement tous les documents qui sont nécessaires pour autoriser un coursier à travailler en France. La société Ubble à laquelle nous faisons appel pour analyser ces documents s'accorde avec nous sur la validité des documents qui permettent de travailler en France.
Aucun coursier ne peut légitimement s'inscrire sur la plateforme s'il n'a pas présenté les documents qui justifient l'autorisation de travailler. De notre côté, nous faisons le maximum pour nous assurer que les documents qui nous parviennent sont authentiques.
Pourriez-vous nous donner le nom des membres du cabinet d'Emmanuel Macron avec lesquels vous étiez en contact durant cette période ?
D'autre part, la directive européenne qui vise à améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques prévoit une présomption de salariat. Vous souhaitez que les critères retenus par la directive soient plus précis. Mme la Première ministre est d'accord avec vous pour augmenter le nombre de critères et les détailler davantage encore. Ne serait-ce pas une façon détournée de ne pas avoir à requalifier vos chauffeurs en salariés et de vous affranchir de la législation du travail, alors que toutes les décisions de justice rendues en ce domaine concluent au rapport de subordination, raison pour laquelle, d'ailleurs, l'Union européenne s'est emparée du sujet ? Dans son étude d'impact de la directive, la Commission européenne a estimé que 5 millions de travailleurs devaient être requalifiés en salariés, parmi lesquels se compteraient une majorité de chauffeurs de VTC et de livreurs. Je me demande, par conséquent, si votre demande n'est pas motivée par la volonté de ne rien changer à la relation de subordination qui lie le travailleur à votre société et au contrôle que vous exercez sur lui, sans assumer les obligations d'employeur qui en découleraient, comme cela s'impose à tous les employeurs de notre pays – payer les cotisations sociales, respecter la procédure de licenciement, etc. ?
Afin que la première question de la rapporteure ne fasse pas polémique, je vous demanderai de nous donner les noms de tous les ministres et secrétaires d'État, ainsi que ceux des membres de leurs cabinets, avec lesquels vous étiez en contact à cette époque.
Malheureusement je ne puis vous donner ces noms dans l'immédiat car je ne les ai pas ici, mais en Californie. Nous vous répondrons donc par écrit. Afin de garantir la transparence de notre activité, des rapports sont régulièrement rendus en ce domaine.
La directive européenne nous offrira l'occasion de distinguer les faux des vrais indépendants. Uber, me semble-t-il, fait travailler de vrais indépendants. Nous nous fions en effet aux souhaits des coursiers et des livreurs. Je vous le disais, notre modèle a évolué ces dernières années et il est à présent bien différent de celui qui prévalait en 2016 ou 2017. Nous avons pris des mesures pour le préciser afin de mieux informer en amont les utilisateurs d'Uber, par exemple en indiquant les recettes collectées par les chauffeurs indépendants. C'est un moyen pour eux de contrôler leur travail.
Pour ce qui est des critères, nous souhaitons en effet qu'ils soient précisés juridiquement pour tirer pleinement les conséquences des décisions de justice rendues en la matière et répondre à ce qui est attendu des plateformes.
Le dialogue social est au cœur du processus. Depuis longtemps, nous voulons faire entendre la voix des coursiers. C'est vrai, notre société de San Francisco, fondée sur la technologie, a pu négliger les conditions de travail des coursiers et des chauffeurs. Cet état d'esprit a évolué et le dialogue social permettra de mieux faire valoir leurs revendications, pour améliorer leurs conditions de travail mais aussi l'administration de la plateforme. Le dialogue social a d'ailleurs progressé ces douze derniers mois en France. Nous avons signé deux accords, mais beaucoup reste à faire et nous comptons en signer bien d'autres.
Monsieur Pierre-Dimitri Gore-Coty, vous êtes devant une commission d'enquête parlementaire. En tant que représentants de la souveraineté nationale, nous avons à enquêter au sujet du scandale des Uber files. Le consortium international des journalistes d'investigation a révélé une quarantaine d'échanges, dont dix-sept significatifs, entre le ministre de l'Économie de l'époque et les dirigeants d'Uber.
Je vous pose à nouveau la question, puisque vous étiez en fonction durant cette période : les dirigeants d'Uber entretenaient-ils plus particulièrement des contacts, pour s'adresser à M. Macron, avec M. Kohler, M. Lacresse, Mme Bonamy ou d'autres personnes ? Ma question est précise et j'attends des réponses tout aussi précises.
Monsieur Andrew Byrne, vous êtes en désaccord avec la Commission européenne qui, comme elle l'indique dans son étude d'impact, considère que les chauffeurs Uber sont des salariés. C'est bien entendu votre droit de le penser.
Je vous dirai ce dont je me souviens, sachant que les faits se sont produits il y a près de dix ans. Je prends très au sérieux mon audition devant votre commission d'enquête. J'ai d'ailleurs prêté le serment de vous dire toute la vérité. C'est pour cette raison que je n'ai aucune envie de vous livrer une information incorrecte ou incomplète. Bien évidemment, je me ferai un plaisir de fouiller dans mes archives pour vous apporter des réponses plus précises.
Je me souviens avoir participé à deux ou trois rendez-vous avec Emmanuel Macron lorsqu'il était ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique. Je me souviens également avoir rencontré Julie Bonamy. Je pense avoir rencontré Alexis Kohler, beaucoup plus tard dans le cadre de l'initiative Tech for Good, dans laquelle Uber joue un rôle pour le futur du travail, en partenariat avec la RATP. Enfin, il me semble avoir rencontré M. Lacresse à l'époque. Les noms que vous avez cités me sont, en tout cas, familiers, et je pense avoir participé à des rendez-vous où ces personnes se trouvaient. Je ne pourrais pas le certifier immédiatement et je ne saurais vous dire à combien de reprises nous nous serions rencontrés mais, je vous le redis, je m'engage à chercher ces informations dans mes archives et à vous les transmettre.
Dans les échanges que vous avez eus avec M. Travis Kalanick, vous l'encouragez à envoyer un SMS à M. Macron, mais il vous répond que M. Macron ne serait pas « fair » avec Uber – c'est-à-dire pas juste, trop dur. M. Macron était ouvertement favorable à l'innovation et à l'arrivée d'acteurs de la tech. M. Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, était plutôt favorable à une régulation des transports de personnes pour protéger l'ordre public. Avez-vous joué de ces dissensions pour favoriser l'émergence, dans l'opacité, d'initiatives individuelles ou avez-vous eu, au contraire, le sentiment de ne vous adresser qu'à un seul interlocuteur, le Gouvernement français, qui aurait parlé d'une seule voix pour les transports, l'économie ou l'intérieur ?
D'autre part, avez-vous eu des échanges, réguliers ou non, avec le ministère des Transports, celui de l'Intérieur, Matignon ou l'Élysée ?
Les activités d'affaires publiques n'entraient pas dans le périmètre de mes fonctions quotidiennes. J'ai été amené à intervenir ponctuellement, en accompagnant quelques-uns de nos dirigeants, en particulier M. Travis Kalanick, lors de certains de ses rendez-vous, ce qui explique que je n'aie pas en tête toutes les rencontres qui ont pu avoir lieu.
En revanche, je peux vous assurer que notre principal souci était d'informer nos interlocuteurs de la situation à laquelle nous étions confrontés chaque jour : énormément de candidats chauffeurs, de personnes au chômage, venaient frapper à nos portes pour savoir comment devenir chauffeurs mais 99 % de ces gens-là repartaient chez eux comme ils étaient venus parce que notre réponse était qu'il fallait des mois de formation, payer des milliers d'euros, trouver une voiture, apprendre les langues et l'histoire de France, et j'en passe !
Nous nous faisions les avocats d'un cadre réglementaire très strict qui, selon nous, ne répondait pas aux besoins de mobilité de l'époque, notamment au regard de l'essor de différents marchés dans le reste du monde.
En gros, durant les premières années de la période en question, nous avons essentiellement cherché à défendre l'accès à la profession. Je n'ai pas eu le sentiment que nous nous soyons servis des divergences d'intérêt entre les différents ministères pour parvenir à nos fins mais ce sujet relevait davantage de la compétence de Mark MacGann. Je n'ai pas vraiment d'avis sur la question.
Lorsque nous avons commencé à travailler en France, la grande partie des échanges entre Uber et les autorités françaises s'est faite avec le ministère des Transports, pour répondre aux besoins de mobilité. Je ne peux pas me prononcer sur les autres noms qui ont été mentionnés, pas plus que sur les enjeux des relations entre les différents ministères.
Pour ce qui est de la directive relative aux travailleurs des plateformes, il est très difficile, pour le moment, d'avoir un avis car elle est en cours d'élaboration. Il est fort probable que la directive évoluera encore dans les six ou huit prochains mois, mais je ne pense pas que l'on puisse considérer les chauffeurs ou les coursiers d'Uber comme des salariés. Uber est implanté dans différents pays européens et son modèle s'adapte aux différentes réglementations ainsi qu'aux précédents juridiques. Par exemple, en Allemagne, l'écrasante majorité des conducteurs Uber sont des salariés et notre modèle est en mesure de s'adapter à cette spécificité, de rester rentable et d'assurer sa croissance, même s'il est moins intéressant pour les coursiers, les chauffeurs, surtout lorsque l'on s'éloigne des villes puisque, dans ce cas, il est plus difficile pour des non-indépendants de travailler pour la plateforme. Nous verrons si nous devons, dans l'avenir, faire évoluer notre business model. En tout cas, nous respecterons la loi et la directive, telle que les pays européens l'appliqueront.
Monsieur Pierre-Dimitri Gore-Coty, le 2 avril 2015, est-ce vous qui avez déclenché le kill switch – en précisant asap ? Si ce n'est pas vous, qui est-ce ?
Je n'en ai pas le souvenir exact. Je peux simplement vous dire qu'une telle initiative n'aurait jamais dû être prise et que ces logiciels n'auraient jamais dû être utilisés à cette fin, y compris en France. Vous l'avez lu dans la presse qui a relayé l'enquête Uber files : nous ne nions pas, notamment dans le cadre de l'enquête menée par la DGCCRF, l'usage du kill switch en France. Je crois me souvenir de courriels envoyés par Zac de Kievit, alors directeur juridique d'Uber, pour ordonner de lancer cette procédure. En ce qui me concerne, et pour autant que je m'en souvienne, lorsque les bureaux ont été perquisitionnés en 2015, mon mot de passe a été donné aux enquêteurs qui ont pu accéder aux données de mon ordinateur et les lire. Elles ont d'ailleurs été utilisées dans la procédure en cours. Je ne pense donc pas avoir fait obstruction à la justice dans le cadre de cette perquisition en 2015.
D'autre part, même si, je le répète, le kill switch n'aurait jamais dû être déclenché – ce sont des procédés qui n'ont plus cours aujourd'hui –, la DGCCRF a indiqué ne pas avoir été au courant de ces procédures et ne pas avoir subi d'entraves à son enquête.
Je ne suis pas là pour excuser les erreurs du passé, que je ne conteste pas. Le kill switch a été au cœur de la crise qu'a connue la société Uber en 2017 et qui a conduit à l'éviction de son patron et fondateur, Travis Kalanick. Dara est arrivé fin 2017. Il a procédé à une refonte complète de la société et a imposé de nouvelles valeurs, suivant en cela les recommandations de l'ancien procureur général des États-Unis, Eric Holder. Il a remplacé une partie de l'équipe dirigeante de la société, a nommé des administrateurs et un nouveau président du conseil d'administration. Il a instauré des procédures internes d'éthique et de conformité qui comptent parmi les plus strictes et répondent à ce que l'on est en droit d'attendre d'une société cotée en bourse et qui joue un rôle important dans le quotidien de nombreuses personnes, dans le monde entier.
L'entreprise a fondamentalement changé ; 90 % de ses employés n'en faisaient pas partie à l'époque des faits qu'on lui reproche et je suis fier d'avoir joué un rôle dans son redressement. Parce que j'étais là au début de l'affaire, j'ai été témoin des soucis de la société et j'ai pu prendre conscience des erreurs commises. Je suis fier du chemin que nous avons parcouru et de ce que nous bâtissons. Par les mesures que nous prenons, nous sommes devenus pionniers dans la protection sociale des travailleurs, le renforcement de la sécurité et la lutte contre les fraudes. Beaucoup de chemin reste à parcourir et nous sommes déterminés à poursuivre notre engagement.
Tout au long de l'audition, vous nous avez assuré que les pratiques d'Uber d'hier n'avaient plus cours et que vous les désapprouviez. Vous avez vanté le développement d'Uber en allant jusqu'à présenter la plateforme comme une entreprise philanthropique. Mais à la question extrêmement précise, monsieur Pierre-Dimitri Gore-Coty, de savoir si vous étiez ou non responsable de l'envoi de courriels pour lancer le kill switch, vous n'avez pas été en mesure de nous répondre, comme si vous ne vous en souveniez plus, alors que nous disposons de documents qui l'attestent.
Par conséquent, je n'ai plus aucune question à vous poser.
Je vous vois consulter vos documents et votre téléphone : je suppose que vous avez sous les yeux les messages auxquels vous faites référence et que j'en suis l'auteur.
Je suis de bonne foi lorsque je vous réponds que je ne sais pas quel courriel j'aurais envoyé, ni à quelle date. Surtout, je prends très au sérieux mon audition par votre commission d'enquête, j'ai prêté serment devant vous et je n'ai pas envie de vous apporter des réponses dont je ne serais pas certain. Je pense avoir été honnête en vous disant que j'étais conscient qu'il avait été recouru à ces procédures en France. La société Uber ne s'en est pas cachée et je n'essaie pas de me défausser de mes responsabilités. Simplement, je ne me souviens plus quel courriel j'ai envoyé moi-même. C'est pour cette raison que je n'ai pas voulu être trop affirmatif dans mes réponses, mais je ne prétends pas pour autant qu'il y ait des faux dans l'enquête Uber files. Si vous constatez que je suis l'auteur des courriels que vous évoquez, je serai ravi de le reconnaître.
Merci, messieurs. Il est possible que nous ayons à vous poser des questions complémentaires, notamment à la suite de la lecture des documents que nous a récemment transmis M. Mark MacGann.
La séance s'achève à dix-huit heures cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Benjamin Haddad, Mme Béatrice Roullaud, Mme Danielle Simonnet
Excusé. – M. Charles Sitzenstuhl