Intervention de Danielle Simonnet

Réunion du jeudi 25 mai 2023 à 16h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Simonnet, rapporteure :

Je souhaiterais revenir à la période concernée par les révélations sur les Uber files, qui constituent le point de départ de notre enquête parlementaire, soit aux années 2014 à 2016. Monsieur Gore-Coty, vous avez participé, le 1er octobre 2014, alors que vous étiez directeur d'Uber pour l'Europe de l'Ouest, à une rencontre avec Emmanuel Macron, ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique depuis cinq semaines, au côté de M. Travis Kalanick, vice-président du groupe, et de M. David Plouffe, ancien conseiller de Barack Obama. Cette première entrevue, qui ne figurait pas à l'agenda du ministre, sera suivie d'une deuxième, le 20 janvier 2015, à laquelle je ne crois pas que vous ayez participé – elle réunissait, me semble-t-il, M. Travis Kalanick et M. Emmanuel Macron.

Depuis une semaine, notre commission d'enquête a eu accès, par le biais de lanceurs d'alerte, à bon nombre de documents que nous avons épluchés mais qui nécessitent encore un travail d'analyse. À la suite du premier rendez-vous, M. Mark MacGann envoie un message à ses collaborateurs : « En un mot : spectaculaire. Du jamais vu. On quitte Bercy et on file à l'aéroport. Je vous tape un rapport dans la journée. Beaucoup de boulot à venir mais on va danser bientôt. » Deuxième message : « Globalement, l'objectif du ministère de l'Économie est d'avancer afin de clore le dossier VTC taxis, tout en évitant que trop de barrières soient imposées au développement du secteur VTC. »

Finalement on comprend que l'enjeu pour Uber, à la suite de l'adoption de la « loi Thévenoud », est d'obtenir d'autres modifications du cadre réglementaire. Maxime Drouineau, lobbyiste d'Uber, qui est présent à la deuxième rencontre à Bercy, envoie un compte rendu aux avocats de l'entreprise, dans lequel il écrit : « M . Emmanuel Macron est favorable à une "licence light" pour les VTC et par conséquent à un allègement significatif des conditions requises renforcées par la loi Thévenoud. »

Ces éléments vont donner lieu à un « deal », pour reprendre le terme qu'Emmanuel Macron va utiliser, entre lui-même et Travis Kalanick. Maxime Drouineau explique dans un message le plan élaboré entre Bercy et l'équipe d'Uber : « Nous nous sommes mis d'accord avec Emmanuel Macron sur un process en deux temps : 1° Proposer un ou plusieurs amendements à la loi Macron avant demain soir afin de modifier la réglementation actuelle introduite par la loi Thévenoud. [Il s'agira des amendements de M. Luc Belot, qui seront transmis clés en mains par l'équipe d'Uber]. 2° Nous avons une fenêtre de quatre semaines pour mener une campagne de communication avec Macron afin de faire accepter l'idée qu'une licence VTC "light" serait une solution pour l'emploi et la mobilité. Dans ce contexte, il s'agira de trouver le moment opportun pour rédiger un décret abolissant le régime proposé par la loi Thévenoud et introduire une réglementation plus souple. »

On lit ensuite : « Ces amendements ont été rejetés, comme prévu. » Il y a une certaine clairvoyance sur le fait qu'il sera difficile de faire adopter les amendements de Luc Belot, dans la mesure où la ligne majoritaire, à l'Assemblée nationale comme au Gouvernement, ne correspond pas à la position d'Emmanuel Macron. Ces actions créeront toutefois un certain climat et permettront à Emmanuel Macron d'instaurer un rapport de force qui se traduira, par la suite, par la publication d'un arrêté sur la formation beaucoup plus satisfaisant pour Uber. Je vous lis d'autres extraits : « C'est quand même une excellente nouvelle. On a trois amendements déposés par un député socialiste qui portent sur des éléments clés du régime, et il a notamment gardé l'amendement sur les gares et aéroports [...] Ceci permet, comme c'était le but, d'amorcer un débat sur un régime VTC assoupli ».

D'autres éléments nous montrent que l'arrêté relatif à la formation, qui fera l'objet d'un certain nombre d'allers-retours avec la direction d'Uber, et qui fait passer le nombre d'heures de formation de 250 à 7, sera considéré par votre société comme une avancée. Je vous lis quelques passages : « Nous venons d'obtenir communication de l'arrêté examen. À la première lecture, cet arrêté va exactement dans le sens que nous poussons depuis plusieurs mois. » « Je considère ce soir que ce texte est une très bonne avancée pour nous tous, même si ce n'est pas encore un régime P2P […]. » Avant la fin d'Uber Pop, qui semble être un horizon inévitable, il vous faut absolument placer massivement des VTC sur le marché, pour continuer à vous développer. Finalement, cet arrêté vous permettra de recruter très rapidement des chauffeurs VTC, qui seront formés en une journée.

Thibaud Simphal écrit à ses collègues, parmi lesquels Alexandre Quintard Kaigre : « Mais clairement, depuis juin, on a pesé très lourd. » On perçoit une véritable satisfaction, au point que Mark MacGann écrira, le 12 janvier 2016, à Emmanuel Macron : « Cela représente énormément de travail de tous les côtés, y compris (et surtout) de la part du ministère de l'économie, et nous en sommes sincèrement reconnaissants. »

Pouvez-vous préciser votre vécu de cet épisode et indiquer quel rôle a joué Emmanuel Lacresse, qui était membre du cabinet d'Emmanuel Macron ?

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