La réunion

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Mercredi 29 mai 2024

La séance est ouverte à 15 heures 05.

(Présidence de M. Didier Le Gac, Président de la commission)

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I. Audition ouverte à la presse, de M. Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé. Conséquences en Polynésie française » (2021), chef de l'unité « Épidémiologie des radiations » de l'Institut Gustave Roussy et de l'INSERM

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Chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et chef de l'unité d'épidémiologie des radiations à l'Institut Gustave Roussy et à l'INSERM. Monsieur le Professeur, vous êtes à la tête d'une équipe spécialisée dans l'étude du cancer et des effets des rayonnements sur la santé. Notre commission d'enquête est particulièrement intéressée par les travaux de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé. Conséquences en Polynésie française », rapport de 620 pages publié en 2021, que vous avez coordonné. Cette étude, qui résulte du travail pluridisciplinaire de dix scientifiques, avait été commandée huit ans plus tôt par le ministère de la défense, ce qui a conduit certains à remettre en question son indépendance.

Nous attendons donc d'abord de vous que vous nous expliquiez les conditions de lancement de cette expertise, sa méthodologie et les moyens à sa disposition. Vous nous indiquerez aussi si votre équipe a pu travailler en toute indépendance, si elle a eu accès à l'ensemble des documents nécessaires – je pense notamment aux dossiers médicaux des personnels civils et militaires affectés sur les sites des essais nucléaires ou aux relevés effectués dès avant le début des essais français – et si le ministère de la défense est intervenu dans l'élaboration de votre rapport. Bien entendu, nous attendons également de vous que vous reveniez sur vos principales conclusions et recommandations.

Un point de votre rapport a particulièrement attiré mon attention. Vous indiquez en effet qu'il est particulièrement difficile d'apporter la preuve que la pathologie est bien liée à une exposition radioactive, car les maladies en question ne sont pas « signées » comme étant spécifiques d'une exposition aux rayonnements ionisants. Et vous ajoutez également que faute de données fiables, il est difficile de connaître la nature exacte de l'exposition subie par les vétérans des essais nucléaires ou les Polynésiens. Je comprends de ces développements qu'il est impossible de prouver scientifiquement que les maladies qu'ils sont susceptibles de développer ne sont pas dues aux essais nucléaires. Ceci rejoint ce que nous ont dit la semaine dernière les représentants de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) pour qui l'introduction dans la loi Morin de la référence au seuil d'1 millisievert (mSv) résulte d'un pur choix de gestion. Dès lors, pensez-vous qu'il faille supprimer la référence à ce seuil ? Merci de répondre précisément.

J'aimerais encore que vous décriviez les travaux que vous avez menés depuis 2021. Je pense notamment à votre publication dans JAMA Network Open, qui montre que les essais nucléaires réalisés par la France pourraient être responsables de 2,3 % des cas de cancer de la thyroïde.

D'autres questions suivront de la part de mes collègues députés, en particulier de notre rapporteure, qui vous a transmis un questionnaire. Toutes les questions qu'il contient ne pourront pas être évoquées lors de cette audition, mais nous vous invitons à nous transmettre le maximum d'informations après cette audition, par écrit.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

( M. Florent de Vathaire prête serment.)

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

Je suis épidémiologiste, avec une formation initiale en mathématiques. J'ai également réalisé une thèse en biostatistique et une autre en écologie. Bien que je possède un master 2 en radiobiologie et que j'ai acquis des connaissances médicales au fil du temps, je ne suis pas médecin. J'appréhende donc les pathologies radio-induites en tant qu'épidémiologiste uniquement. Je dirige depuis trente ans une unité de recherche dédiée aux rayonnements ionisants. Nous constituons des cohortes de personnes irradiées, calculons les doses reçues et suivons ces cohortes sur le long terme. L'existence du système national des données de santé (SNDS) facilite désormais ce suivi. Nous établissons et quantifions les risques en fonction des doses de radiation. C'est le cœur de mon métier. Ce travail a abouti à la création de nombreuses cohortes et à la publication d'environ 300 articles dans des revues internationales.

Depuis 1992, je me consacre également aux essais nucléaires français. J'ai en effet jugé anormal l'absence d'études sur le sujet et j'ai commencé par publier un article sur la mortalité par cancer en Polynésie, comparée à celle des autres populations maories. Nous y avons démontré un excès de mortalité pour le cancer de la thyroïde, bien que ce type de cancer présente généralement un bon pronostic, rendant la notion de décès par cancer de la thyroïde ambiguë.

À la suite à cette publication, nous avons obtenu l'accès aux données du registre d'incidence des cancers, constitué à la demande de la Communauté du Pacifique Sud (CPS) dans les années 1984-1985. Une fois sur place, notre équipe, constituée entre autres de deux médecins, a amélioré ce registre. Nous avons examiné l'ensemble des archives papier des cliniques privées et du centre hospitalier territorial (CHT). Nous avons exclu certains cancers du registre et en avons inclus un grand nombre d'autres (environ 30 % en plus).

Par la suite, nous avons publié plusieurs études portant sur les facteurs de risque du cancer de la thyroïde et sur le rôle des essais nucléaires. La première d'entre elles reposait sur des données individuelles très détaillées concernant l'alimentation, les lieux de résidence et des mesures de teneur en iode dans les ongles, ainsi que dans les aliments. L'estimation des doses était basée sur des rapports synthétiques adressés, me semble-t-il, par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) au comité scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR). Cependant, ces rapports auraient été lissés, sous-estimant ainsi les doses réelles. Notre première étude a conclu à un rôle faible, mais significatif des retombées nucléaires dans le risque d'apparition de cancer de la thyroïde. Nous avons communiqué ces résultats en 2006 et publié l'article correspondant en 2010. Plus tard, à notre demande, l'Académie des sciences a obtenu le déclassement des rapports originaux des services internes de radioprotection, à la suite duquel nous avons mené une nouvelle étude, en procédant à une seconde dosimétrie de la première étude en en améliorant considérablement la méthode, cette fois à partir des données brutes. Les résultats ont été publiés dans le JAMA Network Open, confirmant ainsi notre premier constat, à savoir un nombre faible, mais significatif de cancers de la thyroïde attribuables aux essais nucléaires.

J'en viens à la question de l'expertise collective de l'INSERM, que je n'ai pas coordonnée. Bien que j'en sois le premier auteur, la coordination a été assurée par les services administratifs de l'INSERM, sous la direction de Laurent Fleury. Aucun scientifique ne coordonne les expertises de l'INSERM. Celle-ci, reposant sur nos premiers travaux, offrait donc des conclusions très mesurées. Aucune demande de données particulières n'est formulée dans le cadre d'une expertise, qui consiste uniquement en une synthèse des résultats publiés et se fonde, ce faisant, sur des données publiées dans la littérature scientifique accessible à tous, ce qui garantit la plus grande transparence. Il convient toutefois de préciser qu'à l'époque, les données publiées étaient alors beaucoup moins nombreuses qu'aujourd'hui.

En réponse à votre question, même lorsque le commanditaire est représenté par la puissance publique, comme ce fut par exemple le cas à propos du chlordécone, il n'existe aucun moyen de faire pression sur l'INSERM. En effet, sa méthode de fonctionnement ne requiert aucun budget supplémentaire et s'appuie seulement sur l'accord de scientifiques reconnus dans leurs domaines respectifs. Cependant, l'objectif recherché étant le consensus, il est possible que les résultats soient lissés. Parfois, l'existence de divergences sur certains points importants conduisent à un style quelque peu ampoulé et assez peu lisible.

L'expertise de l'INSERM n'a donc pas nécessité d'accéder à des données spécifiques. Dans le cadre des deux études évoquées précédemment, respectivement publiées dans le British Journal of Cancer en 2010 et dans le JAMA Network Open, nous avons obtenu les données de l'UNSCEAR, sans intervention des autorités militaires afin de garantir notre indépendance. Nous avons veillé à ce que l'ensemble de l'étude se concentre sur les natifs de Polynésie française, qui représentaient 95 % des cas de cancers de la thyroïde. Pour la seconde partie de l'étude, après la déclassification des rapports, nous avons immédiatement scanné tous les documents et nous les avons transmis aux États-Unis, aux scientifiques du National Cancer Institute, qui collaborait avec nous dans le travail d'estimation des doses. Je reconnais toutefois ne pas avoir demandé l'accès à certains documents, ne sachant du reste pas s'ils existent ou non : c'est par exemple le cas des éventuelles études antérieures aux essais nucléaires, ou des données individuelles de contamination interne des participants aux essais. Ces informations auraient pu être utiles pour vérifier certaines hypothèses, notamment la localisation des personnes. Cependant, l'armée nous a indiqué que ces données étaient imprécises et qu'elles avaient été collectées dans une optique de triage, ce qui les rendait inutilisables pour nous. Selon moi, à terme, il sera quand même nécessaire de réaliser une étude de cohorte incluant les habitants de Tureia, de Mangareva et les Polynésiens ayant participé aux essais nucléaires, ce qui impliquera de pouvoir accéder à ces données.

Enfin, je travaille actuellement sur un projet dont j'attends l'acceptation par l'Agence nationale de la recherche (ANR) visant à étudier les effets transgénérationnels de l'irradiation en Polynésie et au Kazakhstan. L'inclusion de ces deux régions dans l'étude vise à obtenir une puissance statistique suffisante en augmentant le nombre de cas étudiés. Les travaux porteront exclusivement sur la génétique, en analysant les néomutations chez les enfants en fonction des doses reçues par les gamètes de leurs parents.

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Merci Monsieur le Professeur pour avoir déjà commencé à répondre à certaines de mes questions, notamment concernant l'indépendance de l'expertise collective de l'INSERM et l'impossibilité de prouver scientifiquement que les maladies susceptibles de se développer n'étaient pas radio-induites. Pourriez-vous revenir sur le seuil de référence d'1 mSv ainsi que sur vos travaux publiés dans le JAMA Network Open sur les cancers de la thyroïde ?

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

Tous les quatre à cinq ans, un espoir émerge quant à la découverte d'un biomarqueur pour les cancers radio-induits, mais il s'évanouit rapidement. Malgré de nombreuses publications dans des revues comme Science ou celle de l'Académie nationale des sciences aux États-Unis, à ce jour aucun marqueur ne permet de déterminer si un cancer quel qu'il soit est radio-induit. Actuellement, quelques espoirs reposent sur les miRNA (ou micro-ARN) dont on a entendu parler dans le contexte du covid. D'autres espoirs reposent sur l'épigénétique, mais ils concernent davantage les biomarqueurs d'exposition, indépendamment de la présence d'une pathologie. Jusqu'à présent, aucune avancée concrète n'a été réalisée. Par conséquent, nous nous appuyons toujours sur d'anciennes méthodes applicables à des doses supérieures à 100 mSv et qui ne sont pas pertinentes en l'espèce.

S'agissant du millisievert, la formulation précédente de la loi Morin sur le risque négligeable était inappropriée. Un risque négligeable n'a pas la même signification pour une personne recevant une radiothérapie, qui sera sauvée grâce à ce traitement et pour qui le risque de développer un cancer secondaire est négligeable, pour un petit groupe de personnes ou pour des travailleurs, que pour à la population générale. Il aurait fallu préciser quelle catégorie de la population était concernée. J'étais pour ma part favorable à la première version de la loi Morin, qui proposait de se limiter à une certaine zone géographique, modifiée avec les nouvelles connaissances acquises en 2013. J'étais également d'accord pour y inclure les travailleurs polynésiens. La limite d'1 mSv me semble être une erreur car elle étend le problème de manière excessive. Je pense que 90 % de la population polynésienne a été exposée à une dose de radiation due aux essais nucléaires. Il s'agit toutefois d'une dose extrêmement faible, sans effet notable, qui met sur un pied d'égalité les habitants de Tureia, qui ont reçu une dose significative, avec toute personne non irradiée. Pour rappel, un simple scanner médical délivre une dose bien supérieure et la dose moyenne reçue par les enfants aux États-Unis lors d'examens médicaux est aussi plus importante. Si cette exposition avait un effet notable, nous l'aurions constaté. En conséquence, le seuil d'1 mSv ne me paraît pas adapté compte tenu des connaissances actuelles, qui reposent néanmoins sur des études menées sur des populations européennes, japonaises et russes. Reste donc la question de l'extrapolation de ces données – collectées au sujet de populations européennes, américaines ou russes – aux populations polynésiennes, qui présentent des particularités génétiques. En effet, celles-ci se sont développées à partir d'un petit nombre d'individus et malgré les nombreux métissages depuis 200 ans, elles conservent des combinaisons génétiques uniques. Même en y incluant les métis et les non-Polynésiens, cette population reste génétiquement distincte.

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Je souhaite revenir sur le millisievert, l'un des points centraux de la loi Morin qui agit souvent comme un couperet dans l'acceptation ou le rejet des demandes d'indemnisation. Si j'ai bien compris votre propos, vous estimez que s'y référer est une erreur. Et s'agissant de la référence passée au risque négligeable, avant son remplacement par le millisievert dans la loi Morin, vous nous avez expliqué qu'il s'agissait d'une valeur relative, évoquant par exemple le cas d'un traitement médical, comme la radiothérapie pour un patient atteint de cancer. Dans ce cas, on peut accepter une exposition volontaire à des radiations pour guérir d'une autre maladie, car le bénéfice du traitement dépasse le risque encouru. Cet exemple est intéressant, car la loi Morin applique le seuil d'un millisievert à des populations irradiées de manière plus diffuse, dont l'exposition dépend des campagnes de tirs, des conditions météorologiques, des erreurs d'estimation des trajectoires des nuages comme des denrées (fruits, légumes, eau, etc.) contaminées par ces retombées. Est-ce dans ce sens que vous considérez l'application de ce seuil comme une erreur ?

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

Le millisievert représente un seuil extrêmement bas. Il a été retenu par la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) comme un moyen de pression sur les exploitants du nucléaire, afin de les inciter à limiter l'irradiation du public. Or, il n'est jamais appliqué au domaine médical et ne concerne pas l'irradiation naturelle. Il est probable qu'une exposition à un tel seuil soit à l'origine d'un certain nombre de cancers, mais pour être en mesure de le prouver, il faudrait un échantillon d'au moins un million de personnes pour observer un nombre significatif de cancers radio-induits à ce niveau de dose. Nos études, qui reposent sur des données individuelles de 1 000 personnes, diffèrent des méthodes utilisées par les auteurs de l'enquête « Moruroa files » publiée dans Disclose ou par l'armée. Nous n'avons pas utilisé d'enquêtes standards, que je trouve personnellement inadéquates et obsolètes. Nous avons interrogé directement les personnes concernées, en tenant compte de leur position géographique et de leur alimentation à l'époque. Au terme de ce travail, nous estimons qu'en Polynésie, la dose moyenne reçue est estimée à environ 4 à 6 mSv, ce qui est supérieur aux estimations précédentes, mais reste inférieur aux chiffres présentés par Sébastien Philippe, de l'université de Princeton, qui reposent sur des enquêtes de l'armée que je n'approuve pas. Cette dose de 4 à 6 mSv augmente certes le risque de cancer de la thyroïde, mais très faiblement. La dose globale au niveau du corps entier est, elle aussi, de quelques mSv, ce qui représente aussi une très faible augmentation. Cette moyenne est assez peu pertinente. En revanche, certaines personnes ont reçu des doses supérieures à 20 mSv, notamment à Tureia ou aux Îles Gambier, ce qui augmente le risque de cancer de la thyroïde de manière mesurable dans les études. Mettre toutes ces personnes sur le même plan est une mauvaise idée.

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Vous avez parlé de la quantification des risques en fonction de la mortalité en Polynésie et vous nous avez dit que les statistiques du CEA avaient été « lissées » – c'est le terme que vous avez employé, mais je ne me souviens plus exactement de la suite de votre explication. Devons-nous donc remettre en question la sincérité des informations transmises ? Les chiffres sont-ils authentiques ou ont-ils été corrigés, lissés pour en minimiser les impacts ? Notre commission d'enquête a été créée car certaines personnes s'intéressent aux victimes des essais nucléaires, notamment parce qu'elles souffrent davantage que d'autres de cancers. On peut en discuter ou remettre en cause le caractère radio-induit de leurs maladies, mais il n'en demeure pas moins que certaines personnes se déclarent victimes des essais nucléaires et qu'on leur demande de prouver qu'elles sont affectées. Or, ce qui est incontestable, ce que ces personnes sont assurément victimes du fait que les essais nucléaires aient eu lieu sur leur territoire. Il est par conséquent essentiel d'inverser la charge de la preuve : c'est aux responsables des essais nucléaires de démontrer l'absence d'impact sur la population. Et si les chiffres sont lissés ou corrigés, si toutes les informations ne sont pas communiquées, le doute subsiste ! Dès lors, je considère que le bénéfice du doute doit leur être accordé. Du reste, si l'on a décidé de réaliser les essais nucléaires à cet endroit, c'est peut-être parce que – consciemment ou non – on craignait l'existence d'un risque. Plutôt que de mener ces essais au Havre ou ailleurs, on a préféré les effectuer loin de chez nous, de même qu'en France métropolitaine, l'usine de retraitement des déchets nucléaires du CEA a été implantée à l'extrémité de la presqu'île du Cotentin. Ce choix géographique n'est pas le fruit du hasard et permet effectivement d'isoler rapidement la presqu'île en cas de problème.

Chacun sait qu'il existe un risque. Pourtant, dès que l'on évoque la présence de malades, ce risque initial semble soudainement oublié !

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

Les calculs que nous avons effectués à partir des données brutes correspondent à des doses 2,5 fois supérieures aux synthèses de l'UNSCEAR et de l'armée. C'est pourquoi je parle de données lissées. Je n'ai pas examiné en détail chaque valeur pour comprendre comment elle avait été obtenue. Toutefois, il est légitime de se poser des questions à ce sujet. Si les synthèses avaient été réalisées de manière parfaitement correcte, nous aurions abouti aux mêmes estimations.

S'agissant des pathologies, il est très difficile de savoir ce qui se passe en Polynésie française. Les derniers chiffres du registre d'incidence des cancers en Polynésie, qui sont publics, indiquent plutôt une baisse de l'incidence des cancers de la thyroïde, désormais comparable à celle des États-Unis. Affirmer qu'il existe une augmentation globale de l'incidence des cancers en Polynésie française est, pour l'instant, incertain et probablement incorrect. Je tiens d'ailleurs à féliciter le nouveau gouvernement polynésien pour avoir appliqué les recommandations du rapport de l'INSERM concernant l'indépendance du registre des cancers, auparavant situé dans les locaux du ministère de la santé en Polynésie française. C'est un progrès considérable qui augmentera la crédibilité des chiffres, en dehors de toute pression politique.

Un autre phénomène notable mérite d'être rapporté, et très bien documenté par ailleurs par le registre des cancers en Polynésie. En effet, au début des années 2000, on a pu observer une forte augmentation du nombre d'ablations de la thyroïde dues à une peur généralisée des cancers. Plusieurs médecins ont d'ailleurs eu des problèmes avec le Conseil de l'Ordre à cause de cette pratique et d'un surdépistage très important du cancer de la thyroïde, entraînant par la suite une baisse significative des cas. Pendant un temps, on a ainsi cru à une forte augmentation des cas de cancer, mais en réalité, au début des années 2000, certains ont profité financièrement de la situation pour réaliser des interventions injustifiées. Actuellement, le taux d'incidence de cancers de la thyroïde en Polynésie française est normal. C'est pourquoi je pense que les conséquences des essais nucléaires concernent une faible proportion de la population. Toutefois, il serait nécessaire de proposer une indemnisation plus large qu'aujourd'hui

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Concernant le taux d'incidence du cancer de la thyroïde, les personnes concernées ont-elles le même âge qu'aux États-Unis, par exemple ?

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

Actuellement, la population polynésienne est plus jeune que celle des États-Unis. Cependant, cette situation évoluera dans une vingtaine d'années en raison de la baisse de la natalité en Polynésie. Pour l'instant, à âge égal, si l'on examine les taux par tranche d'âge, aucune différence notable n'apparaît.

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Si je récapitule, en 2021, l'INSERM a publié un rapport sur les conséquences des essais nucléaires atmosphériques en Polynésie, à la demande du ministère de la défense. Celui-ci estimait que le lien entre certaines pathologies et les essais nucléaires était difficile à établir dans la population polynésienne. Cependant, un rapport de 2023 indique que les essais nucléaires réalisés par la France pourraient être responsables de 2,3 % des cas de cancer de la thyroïde. La spécificité de ce rapport repose sur l'accès aux originaux des rapports internes des services de radioprotection relatifs aux 41 essais nucléaires atmosphériques menés par la France entre 1966 et 1974 en Polynésie française. Il démontre selon moi la nécessité de déclassifier un maximum de documents visant à briser l'omerta sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie. Par ailleurs, le rapport de 2021 avait révélé un manque de confiance des populations locales et des vétérans dans la véracité des études menées par les agences gouvernementales.

Ainsi, quelles démarches adoptez-vous pour inclure au mieux les citoyens et les associations indépendantes avant, pendant et après les études que vous réalisez ? Comment en faites-vous la promotion ? Comment trouvez-vous des volontaires ? Quel est leur état d'esprit ? Vous avez également indiqué vouloir travailler sur les effets transgénérationnels des essais nucléaires. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Que cherchez-vous exactement ? S'agit-il de nouvelles pathologies ? N'étant pas scientifique, je suis preneuse d'éclaircissements.

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

Le chiffre de 2,3 % est donné selon un intervalle de confiance très important (10 %) et seulement en l'état actuel des connaissances. Nous avons mené une étude sur des cas témoins, c'est-à-dire des personnes atteintes de cancer. Nous avons comparé leurs histoires d'irradiation respectives selon la méthode habituelle. Cependant, les doses étant très faibles, l'intervalle de confiance des résultats s'est avéré gigantesque. Le chiffre de 2,3 % correspond donc à une projection des connaissances actuelles sur les populations européenne et japonaise, à partir des nouvelles doses que nous avons calculées (4 à 6 mSv) comme mentionné précédemment. En réalité, ce pourcentage pourrait varier de 0,1 % à 10 %. Il est essentiel de comprendre qu'il ne s'agit pas d'un calcul exact. Cette projection a été réalisée avec un degré extrême de précision, en utilisant les données des recensements de 1971 pour chaque personne sur chaque île. Aucun autre type d'étude n'a jamais pu réaliser un tel calcul, à l'exception de Fukushima. Pour Tchernobyl, par exemple, cela n'était pas possible.

En ce qui concerne vos observations, il est vrai que jusqu'à présent, nous avons mené des études de manière isolée, sans impliquer la population, en raison de contraintes de temps, de budget et de tensions politiques, notamment en Polynésie française, qui avaient une incidence sur le degré de soutien apporté à nos études. Le gouvernement précédent avait ainsi exercé une forte pression pour interrompre notre étude précédente, essayant par exemple de faire en sorte que l'adresse des personnes atteintes d'un cancer de la thyroïde ne nous soit pas communiquée par la Caisse de prévoyance sociale. Nous avons pu avancer grâce au soutien des médecins locaux, mais il reste assez difficile de mener des études en Polynésie française, notamment pour les chercheurs extérieurs. C'est pourquoi, à mon avis, peu d'études y sont réalisées. Pour le projet que nous avons soumis, nous avons radicalement changé de méthode. Nous collaborerons étroitement avec l'Université de Polynésie française et les associations locales, qui seront directement impliquées dans la sélection des sujets et dans l'ensemble du processus. Après des discussions avec des sociologues, dont l'un a été auditionné ici, ainsi qu'avec d'autres experts, il est apparu que cette approche serait plus pertinente pour perfectionner nos estimations, plutôt que de nous baser uniquement sur des données démographiques, des interviews individuelles et des rapports militaires.

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Il est évident, comme cela a été évoqué en amont, que la France ne pouvait ignorer les dommages potentiels liés aux essais nucléaires et qu'elle a peut-être choisi la Polynésie comme lieu d'expérimentation pour minimiser les dégâts. Il est par conséquent essentiel d'expliquer cette décision à la population concernée. Dès le départ, il aurait fallu prendre toutes les précautions nécessaires, avertir et informer tout le monde, malgré la difficulté de l'entreprise, afin de réduire les dégâts au minimum.

Professeur, pour revenir sur les 2,3 % de cas de cancer de la thyroïde, je souhaiterais vous interroger sur la spécificité de ces cas. Avez-vous pu comparer les dégâts causés en Polynésie avec ceux des retombées de Tchernobyl, qui ont fortement impacté la France, notamment la Corse, ou encore les essais réalisés en Algérie, à Reggane ? L'observation d'une différence pourrait potentiellement expliquer – sur le plan génétique, comme vous l'évoquiez – la meilleure résistance de certaines populations aux actions radio-induites. Vous avez également souligné un sur-dépistage ainsi que des ablations possiblement inutiles de la thyroïde, peut-être déclenchées d'une part par la peur d'avoir un cancer et d'autre part par un effet d'aubaine pour certains professionnels peu scrupuleux, prêts à s'enrichir sur le dos de personnes qui ne seraient en fait pas malades. Il s'agit là d'une question, et non d'une affirmation de ma part. Cependant, on ne peut pas l'affirmer avec certitude.

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

Il existe chez les Polynésiens de nombreuses combinaisons génétiques que l'on ne retrouve dans aucune autre population. En outre, la Polynésie se démarque comme une zone d'exposition aux radiations telluriques très faible, contrairement à la Bretagne, par exemple. Il est important de noter que les mécanismes de sélection, qui opèrent de manière constante dans les autres populations, sont probablement moins marqués et il est possible que les Polynésiens soient davantage radiosensibles que la population générale.

En termes de doses et de risques, la comparaison est complexe. À ce titre, les doses et les risques mesurés à la suite à l'accident de Tchernobyl étaient objectivement beaucoup plus importants qu'en Polynésie. De même, les personnes nées durant les années 1950, comme moi, ont été exposées aux retombées des essais nucléaires russes et américains. En conséquence, j'ai probablement reçu une dose de radiation supérieure à la médiane de celle reçue par les Polynésiens.

Je souhaite également aborder la question des effets transgénérationnels. Étudier les pathologies pour comprendre ces effets est totalement impossible. Il existe tellement d'autres facteurs en jeu que la puissance statistique reste insuffisante pour de telles études, sauf dans des populations très vastes et dans le cas d'expositions très importantes. Or nous voulons des résultats irréprochables. L'irradiation des gonades induit un certain nombre de mutations, extrêmement variables d'une cellule à l'autre, ce qui rend impossible leur détection avec les méthodes de séquençage génétique classiques. En effet, chaque cellule peut présenter une mutation différente parmi des milliards de possibilités. Cependant, l'œuf qui donne naissance à un bébé provient d'une seule cellule. Si celle-ci subit des mutations dues à l'irradiation, l'ensemble du corps de l'enfant portera ces mutations. Le principe de l'étude consiste à séquencer de manière extrêmement approfondie le génome complet du père et celui de la mère. Nous analysons les radiations reçues par les parents avant la conception de l'enfant. Ensuite, nous examinons les mutations présentes chez l'enfant et comptons les néomutations, c'est-à-dire les mutations présentes chez l'enfant, mais absentes chez les parents, sachant qu'en l'absence totale d'exposition à des mutagènes ou des cancérogènes, le nombre moyen de néomutations dans l'espèce humaine est de 60 par génération. On obtient généralement un nombre compris entre 10 et 400 et on peut regarder si ce nombre varie en fonction des radiations reçues par les parents. L'irradiation reçue par le bébé lui-même est totalement écartée, car elle ne sera pas visible sur le génome. Cette méthode est la plus puissante pour détecter les effets des radiations. Nous pouvons également analyser les mutations par type, mais la méthode décrite reste la plus efficace. Le principal défi consiste à identifier les autres sources d'irradiation potentielles qui auraient pu affecter les parents avant la conception, en plus des essais nucléaires. Il convient de noter que quoi que l'on découvre, cela n'entraînera pas forcément de conséquences sur la santé, mais cette méthode a le mérite de poser les bases d'une approche scientifique rigoureuse.

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Entre 1966 et 1996, 193 essais nucléaires ont été réalisés en Polynésie française, dont 46 essais aériens. Pourriez-vous nous dire si seuls ces derniers présentent potentiellement des risques.

Par ailleurs, vous discutez des effets potentiels des essais nucléaires, mais je constate une contradiction entre le rapport et vos propres conclusions. Le premier indique une incidence accrue du cancer de la thyroïde, notamment chez les femmes, en Polynésie française par rapport à la métropole et aux autres territoires du Pacifique, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie. Pourtant, vos travaux concluent à l'insuffisance de preuves visant à établir un lien de causalité. En tant que scientifique, je comprends que d'autres facteurs peuvent contribuer à la genèse des cancers, mais je souhaiterais voir ce point clarifié.

Ensuite, vous présentez votre expertise en vous concentrant uniquement sur les résultats concernant la Polynésie française, sans les replacer dans le contexte d'autres études sur les essais nucléaires réalisés ailleurs. J'aimerais que vous abordiez l'état de l'art concernant les effets des essais nucléaires en général, en excluant Hiroshima et Tchernobyl, mais en intégrant ceux effectués en Algérie et ailleurs, sur la santé des populations riveraines. Bien que figurant dans votre expertise, ce point n'a pas été abordé lors de l'audition. Pourriez-vous nous apporter des précisions ?

Enfin, en tant qu'ancien écologue, je suis particulièrement sensible à la question de la bioaccumulation, dont l'existence a été validée par l'IRSN. En substance, la bioaccumulation désigne l'accumulation progressive de faibles quantités de radiations ou de polluants dans certains végétaux, en particulier dans l'océan. Ce processus peut entraîner une contamination différée, par exemple via la consommation de poissons contaminés. J'aimerais donc vous entendre vous exprimer sur ce sujet.

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

Tout d'abord, nous avons observé une diminution récente de l'incidence des cancers. Ensuite, le rapport de l'INSERM s'appuyait sur des données qui ne prenaient pas en compte les chiffres les plus récents publiés par le registre de l'incidence des cancers en Polynésie française. Cependant, je ne perçois aucune opposition à ce sujet. En effet, à un certain moment, l'incidence du cancer de la thyroïde était élevée, principalement en raison du phénomène de sur-dépistage précédemment évoqué, entraînant de facto une diminution significative du taux d'incidence par la suite. Pour rappel, l'expertise de l'INSERM synthétise les publications existantes et, en l'absence de celles-ci, statue sur une insuffisance des connaissances. Si l'expertise de l'INSERM avait été réalisée après ma deuxième publication, ses conclusions auraient été totalement différentes.

La France a entamé ses essais après le traité partiel d'interdiction, ce qui nous a permis d'être beaucoup mieux informés. Concernant les essais en Algérie, les données restent floues. Il sera très difficile, voire impossible, pour les épidémiologistes, de mener des études là-bas. Ce que nous savons, c'est que les militaires français ont mieux maîtrisé la situation en Polynésie que lors des essais précédents, grâce à des connaissances nettement améliorées, y compris en termes de prévisions météorologiques. On sait en outre que les doses générées en Polynésie sont plus faibles que celles liées aux essais dans le Nevada. Le National Cancer Institute a estimé que les essais américains avaient induit 10 000 cancers de la thyroïde en utilisant les mêmes modèles que ceux mentionnés précédemment, et en s'arrêtant à la frontière canadienne. Il s'agit d'un chiffre considérable, à mettre en lien toutefois avec des doses nettement plus élevées que dans de nombreuses régions. Heureusement, les méthodes utilisées ultérieurement en Polynésie ont été mieux maîtrisées.

Je connais trop peu le phénomène de bioaccumulation pour pouvoir m'exprimer sur le sujet. Concernant la thyroïde, le problème ne se pose pas de la même manière, car nous parlons d'isotopes à vie courte comme l'iode 131.

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Vous avez évoqué les registres du cancer en Polynésie, en précisant l'existence de certaines corrections telles que l'exclusion ou l'inclusion de certains cancers. Pour ma part, je considère qu'un registre des cancers doit être immuable. En d'autres termes, celui-ci se devrait de répertorier l'ensemble des cancers recensés. J'aimerais comprendre pourquoi ce registre des cancers est sujet à des variations.

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

En 2000, nous avons entrepris une mission spécifique avec une équipe de médecins. L'ensemble des médecins locaux se méfiaient considérablement du registre tel qu'il se présentait à l'époque, du temps de M. Gaston Flosse, en particulier parce qu'ils doutaient de son indépendance. Par conséquent, ils ne le consultaient pas. Les techniques de constitution de ce registre étaient par ailleurs largement insuffisantes. Nous avons donc pris l'initiative d'examiner toutes les archives et dossiers médicaux disponibles, passant en revue 10 000 échographies, entre autres. Nous sommes restés sur place pendant six mois. Une fois le registre remis en état, il a commencé à être utilisé normalement. Bien qu'il subsiste encore quelques problèmes de qualité, ceux-ci sont en cours de résolution.

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En consultant les archives de l'Institut national de l'audiovisuel (Ina), j'ai trouvé un reportage d'août 1971 réalisé auprès d'un professeur de biologie responsable du laboratoire de surveillance de radiologie à Moruroa. Ce dernier y détaille la méthodologie de prélèvement de divers aliments suite aux essais nucléaires aériens et explique que la concentration de radioactivité sur l'ensemble des produits prélevés, que ce soit sur le marché de Papeete ou ailleurs dans le lagon, comme les poissons, est tout à fait insignifiante. Au regard des technologies et de l'état de la science de l'époque, si nous réalisions les mêmes prélèvements aujourd'hui avec les technologies actuelles, arriverions-nous au même constat ?

Vous avez en outre affirmé avoir subi, compte tenu de votre âge, une irradiation due aux tirs américains et soviétiques. Qu'en est-il pour un individu vivant en 1986 dans l'Est de la France ou en Corse ? Existe-t-il un élément de comparaison avec les tirs liés aux essais ?

Enfin, vous avez évoqué des moyennes statistiques, tout en précisant qu'elles ne conduisaient pas aux résultats les plus précis, constituant plutôt une simple base. Cependant, vous n'avez pas expliqué comment procéder pour obtenir une analyse la plus précise possible. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

Je suis convaincu que la définition actuelle d'un taux n'est pas adéquate, mais qu'il est possible de parvenir à un consensus sur une zone où les radiations étaient nettement significatives, comme à Tureia et à Mangareva, voire jusqu'à la presqu'île de Tahiti. Si nous, en tant que scientifiques spécialistes, nous réunissions pour travailler sur ce point précis, nous pourrions parvenir à un accord permettant d'identifier une population à indemniser rapidement, avant que tout le monde ne décède. Ensuite, je pense que la situation est désormais bien plus claire qu'autrefois. Ainsi, bien que je ne sois pas d'accord avec certains détails méthodologiques dans les travaux menés à Princeton par l'un des auteurs de l'enquête « Toxique » – notamment car ils présentent comme officielles des données extrêmes contenues dans certains rapports – je reconnais que les moyennes publiées correspondent approximativement aux nôtres.

Par ailleurs, il est important de noter que la contamination ne provient en aucun cas du poisson, mais principalement de l'inhalation d'air et de la consommation d'eau. C'est pourquoi il est essentiel de connaître la qualité de l'eau présente dans les citernes avant les essais. Pour nos calculs, nous utilisons les données météorologiques des stations de Météo France jusqu'à vingt jours avant chaque essai, afin de déterminer la composition exacte de l'eau. La contamination provient également des végétaux, en particulier des feuilles. Le reste des sources de contamination est négligeable. Dans l'émission que vous évoquez, sait-on combien de temps après les essais les tests ont été réalisés ? La provenance des végétaux est également déterminante. En effet, le fait de trouver, sur un marché, des aliments contenant des quantités de radioactivité très faibles ne doit pas nous rassurer complètement. Il faut au préalable vérifier que les prélèvements ont été effectués dans les zones de contamination, ce qui n'est probablement pas le cas. Cependant, en ce qui concerne le poisson, on peut globalement écarter tout risque. Notons néanmoins que le bénitier, par exemple, présente un problème d'accumulation d'une substance qui entraîne des doses élevées de radioactivité, constituant à mon sens un sujet d'étude pour plus tard.

Enfin, à Tchernobyl, de nombreuses personnes ont reçu des doses similaires ou supérieures à celles des essais. Nous avons entrepris l'étude la plus importante jamais réalisée sur le sujet en y investissant des sommes considérables. Cependant, nous n'avons jamais réussi à obtenir de l'IRSN les informations nécessaires pour effectuer nos calculs de doses, malgré nos demandes répétées. Il y a eu un blocage total.

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Merci, Professeur. Vous avez annoncé le lancement d'un programme portant sur les maladies transgénérationnelles en Polynésie française. Pouvez-vous nous rappeler qui en est le commanditaire et quel est le calendrier ?

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

J'en suis le commanditaire direct dans la mesure où les chercheurs de l'INSERM ne sont pas autorisés à réaliser des études sur commande et où nous décidons nous-mêmes de nos sujets de recherche. J'ai pris cette décision d'une part en raison de l'existence d'une certaine demande sociale et d'autre part, car les effets transgénérationnels sur les néomutations varient considérablement selon les espèces, révélant un facteur génétique extrêmement important. Actuellement, les quelques études réalisées portent sur à peine 200 trios (père, mère, enfant) et ont été menées sur des vétérans anglais, des personnes de Hiroshima et de Tchernobyl, c'est-à-dire des populations très différentes des populations polynésiennes. Il est donc essentiel de mener cette étude sur les Polynésiens. Mon projet a déjà essuyé un refus l'an dernier, raison pour laquelle je l'ai soumis à nouveau cette année. Cependant, compte tenu de mon âge, et s'il n'est pas accepté cette année, il ne sera pas soumis à nouveau.

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Nous avons entamé nos auditions voici trois semaines et il est évident que les travaux entrepris en Polynésie, y compris les vôtres, suscitent une grande défiance parmi la population locale. Hier encore, nous avons mené un entretien très enrichissant avec de jeunes Polynésiens qui militent au sein d'une association visant à éveiller les consciences. Comment expliquez-vous cette défiance ? Pour la combattre, certains suggèrent de constituer systématiquement des équipes paritaires, composées de chercheurs de l'Hexagone et de scientifiques polynésiens. Quel est votre avis à ce sujet ?

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

L'existence de cette grande défiance est indéniable, d'où ma volonté d'impliquer davantage les populations au sein de ma prochaine étude, en y intégrant si possible les associations. Cette approche me paraît néanmoins complexe en raison d'un certain manque d'expérience de ma part. Par le passé, il m'est arrivé de constituer une cohorte de 7 000 enfants victimes d'erreur médicale alors qu'ils étaient âgés de moins d'un an. Ils avaient été traités par radiothérapie pour des taches sur la peau et à l'époque, on pensait que cela nécessitait un tel traitement. Au début, lorsque j'ai initié ce projet, les médecins de l'Institut Gustave Roussy étaient furieux et ont tenté de bloquer l'étude. Finalement, la publication des résultats n'a suscité aucune réaction négative. Chaque fois que j'ai expliqué notre démarche, tout s'est bien déroulé et les craintes de l'Institut ne se sont pas concrétisées.

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Vous avez mentionné le faible niveau de radioactivité tellurique dans la zone polynésienne. Pourriez-vous préciser ce point ? Vous avez également évoqué la radiosensibilité. Lorsqu'une population vit et se développe dans une zone à faible radioactivité tellurique, peut-elle développer une radiosensibilité plus importante ? Par ailleurs, vous avez évoqué les spécificités génomiques des Polynésiens. Peut-on en déduire des implications sur le développement et éventuellement sur la radiosensibilité ? Est-ce un aspect à prendre en compte dans vos travaux futurs portant sur les maladies transgénérationnelles ?

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Florent de Vathaire, directeur de recherche de première classe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), premier signataire de l'expertise collective de l'INSERM « Essais nucléaires et santé

Je suis entièrement d'accord avec vous. La vie est née sous l'influence de nombreuses radiations. Nous avons observé les populations vivant dans le Kerala, une région de l'Inde où les niveaux de radiation naturelle atteignent de 10 à 60 mSv par an dans certains endroits. Ces populations ne développent pourtant pas plus de cancers que la moyenne, car elles sont habituées à ces conditions depuis longtemps. Les individus très sensibles, qui auraient pu apparaître au fil des recombinaisons génétiques, sont décédés avant de pouvoir se reproduire. L'effet des faibles doses de radiation ne constitue probablement pas un problème statistique en termes de nombre de cellules et de mutations. La question est de savoir si l'on porte ou non une susceptibilité génétique aux faibles doses. Nous connaissons désormais bien les gènes impliqués dans la réparation des lésions radio-induites, sachant que certaines mutations de ces gènes rendent les individus très sensibles au développement de cancers, même à faibles doses. En Polynésie française, ce type de sélection ne peut s'opérer en raison de la faible irradiation naturelle.

Connaissant la Polynésie, où j'ai vécu au total 48 mois et dont j'ai visité toutes les îles habitées, je pensais que, compte tenu du métissage existant, la population serait très peu différente. Cependant, les données génétiques dont nous disposons maintenant révèlent une structuration génétique très particulière, caractérisée par de nombreuses combinaisons inexistantes ailleurs, qui peut conduire à une radiosensibilité plus élevée. Naturellement, cet aspect diminuera progressivement avec les métissages, mais cela prendra encore beaucoup de temps, probablement plusieurs centaines d'années avant de disparaître complètement.

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Je vous remercie pour la clarté de vos réponses. Si, à la suite des questions posées par les différents intervenants, vous ressentez le besoin de nous transmettre des documents écrits pour compléter vos propos, n'hésitez pas à le faire.

(La séance est suspendue)

II. Audition ouverte à la presse, de M. Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

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Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD). M. Chareyron, vous travaillez depuis longtemps sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie. Vous avez notamment été responsable d'étude de la mission préliminaire de contrôles radiologiques sur l'île de Mangareva et les atolls de Tureia et Hao, qui s'est déroulée en octobre 2005. Plus récemment, vous avez publié une note sur l'exposition des habitants de l'atoll de Tureia aux retombées radioactives des essais nucléaires atmosphériques.

En premier lieu, nous vous demanderons de nous présenter la CRIIRAD, qui est une association, en précisant les circonstances de sa création. Ensuite, nous aimerions que vous nous expliquiez les raisons qui vous ont conduit à travailler sur les essais nucléaires en Polynésie et que vous nous exposiez les travaux de la CRIIRAD dans ce domaine. Par ailleurs, vous nous détaillerez les conditions de réalisation des deux études que j'ai mentionnées ainsi que leurs principales conclusions, en revenant en particulier sur votre recommandation de considérer les sites des essais nucléaires comme des sites de stockage de déchets radioactifs. Existe-t-il, selon vous, un risque de dissémination de matière radioactive et de contamination souterraine ? Je rappelle que, selon vous, une partie des déchets a été entassée dans des puits qui n'ont pas été conçus pour un stockage à long terme de déchets radioactifs et qui sont situés dans des zones présentant une instabilité géomécanique avérée.

Les députés et notre rapporteure vous poseront ensuite d'autres questions. Enfin, Mme la rapporteure vous adressera un questionnaire écrit. Nous vous remercions de bien vouloir y répondre et de le compléter, si vous le souhaitez, par tout élément que vous jugeriez pertinent mais qui n'aurait pas pu être abordé cet après-midi.

Avant de vous donner la parole, je vous demande de déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

( M. Bruno Chareyron prête serment.)

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour la CRIIRAD d'être auditionnée par cette commission. La CRIIRAD est une association à but non lucratif qui a été créée en 1986 par des citoyens scientifiques et non scientifiques de l'Ardèche et de la Drôme, à la suite de la catastrophe de Tchernobyl. Cette structure avait alors pour mission d'améliorer l'information et la protection des citoyens en matière de radioactivité. Je rends d'ailleurs hommage à Michèle Rivasi, une figure emblématique de la création de la CRIIRAD, qui nous a quittés il y a quelques mois. L'association s'est rapidement dotée d'un laboratoire de mesure de la radioactivité pour effectuer ses propres expertises et contrôles, indépendamment de l'État et des industriels, qu'il s'agisse de radioactivité naturelle, médicale, liée aux activités militaires ou du nucléaire civil.

Après la décision du président Jacques Chirac de reprendre les essais nucléaires en Polynésie française en 1995, la CRIIRAD s'est plus particulièrement penchée sur les retombées de ces essais. Nous avions demandé l'accès au site de Moruroa pour effectuer des expertises, ce qui nous a été refusé. L'État a alors affirmé qu'une étude serait confiée à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), étude effectivement réalisée en 1996-1997 à partir de prélèvements et ayant donné lieu à un rapport d'expertise sur la radioactivité résiduelle à Moruroa et Fangataufa, publié en 1998. Ce dernier concluait à la présence de doses de radioactivité à Moruroa si faibles qu'il n'était même pas nécessaire de poursuivre la surveillance radiologique à long terme. La CRIIRAD a réalisé une analyse critique du rapport de l'AIEA, rendue publique en 1999 lors d'un colloque à l'Assemblée nationale. Nous interpellions alors le Président de la République sur plusieurs points. Contrairement aux affirmations de l'AIEA, une analyse approfondie de ces documents et études révèle que la contamination résiduelle à la surface de certains motus de Moruroa – notamment le motu Colette, fortement contaminé au plutonium lors d'essais de sécurité – est telle que les doses par ingestion et inhalation pour des personnes résidant sur cet atoll, s'il était banalisé, dépasseraient d'un facteur 500 à plusieurs millions les chiffres avancés par l'AIEA. Cette information ne peut être prise à la légère, d'autant que la quantité de matières radioactives enfouies dans les puits forés pour les essais nucléaires ainsi que dans les puits de stockage de déchets radioactifs, selon le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et les données militaires, dépasse de plusieurs dizaines, voire centaines de fois, le seuil de classification d'un site en installation nucléaire de base. Mororua aurait donc dû, à l'époque, être catégorisé en tant qu'installation nucléaire de base, conformément aux critères réglementaires en vigueur et ne peut pas être restitué en l'état à des populations susceptibles d'y vivre.

En 2005, l'Assemblée de Polynésie française a constitué une commission d'enquête, dirigée par Bruno Barillot, qui nous a quittés il y a quelques années. Je souhaite lui rendre hommage car il a consacré une partie de sa vie à éclairer les conséquences des essais nucléaires en Algérie et en Polynésie. L'Assemblée de Polynésie a confié à la CRIIRAD une mission préliminaire de mesures sur les sites de Mangareva, de Tureia et de Hao. Celle-ci a été brève. Sur l'atoll de Tureia, nous ne sommes restés que deux heures et demie. Mais elle nous a permis de recueillir des données significatives sur les taux de radioactivité. Sur l'île de Mangareva, j'ai été particulièrement frappé par une observation certes subjective, mais révélatrice. D'un côté de l'île, à Taku, avait été érigé un blockhaus aux parois épaisses de 60 centimètres, dont j'imagine qu'il était destiné à protéger les militaires ou les membres du CEA. En revanche, de l'autre côté de l'île, dans le village de Rikitea, ne se trouvait qu'un simple hangar en parpaings et tôles ondulées, construit après 1966. Selon la CRIIRAD, cette différence de traitement reflète une inégalité entre la population polynésienne, souvent exposée à la radioactivité dans des conditions inacceptables, et d'autres catégories de personnes. Durant ces quelques jours, nous avons effectué des prélèvements de sol et d'autres compartiments de l'environnement à Tureia et à Mangareva. Nous avons constaté des traces de contamination dues aux essais nucléaires français, mais pas seulement. Ces traces sont mesurables. À Tureia, dans les sédiments d'un bâtiment de récupération des eaux pluviales, nous avons identifié du césium 137 et du plutonium. En 2012, nous avons également étudié les coraux du lagon de Rikitea à Mangareva, qui conservaient les traces des différents types d'essais nucléaires, révélant la présence d'uranium 236, de strontium 90, de carbone 14 et de plutonium. Bien que l'environnement ait gardé les traces des retombées radioactives, nous avons conclu qu'en 2005, les niveaux de radioactivité résiduelle à Mangareva et Tureia étaient mesurables, mais très faibles en termes d'impact sanitaire. Cependant, en 2005-2006, nous avons commencé à consulter des documents peu à peu déclassifiés, qui révélaient des niveaux de contamination radioactive extrêmement élevés à Tureia et à Mangareva en 1966 et 1967.

En 2016, à la demande de Bruno Barillot et de l'Assemblée de Polynésie, nous avons poursuivi ce travail d'analyse par une étude sommaire de quelques jours. Nous avons examiné une partie des documents déclassifiés et, dans un rapport publié en 2016, nous avons démontré que les évaluations de doses effectuées par les militaires et le CEA sous-estimaient complètement la réalité de l'impact des retombées des essais atmosphériques sur Mangareva et Tureia. Par exemple, en 1966, à Tureia, les mesures officielles n'ont pris en compte qu'une seule retombée en lien avec un essai nucléaire, alors que cet atoll a subi six retombées successives cette même année. Par ailleurs, pour calculer les doses par inhalation, le CEA ne considère pas la fraction la plus fine des particules radioactives, qui pénètrent pourtant le plus en profondeur dans les poumons. De même, ces calculs de doses ne tiennent pas compte du tritium, du carbone 14 et du plutonium, alors qu'ils sont présents dans les retombées radioactives. Notre étude, publiée dans l'ouvrage « Toxique » de manière très pédagogique, démontre clairement que les évaluations de doses officielles sous-estiment la réalité de l'exposition des populations.

Depuis longtemps, nous estimons qu'il est essentiel que les populations exposées ˗ qu'elles soient polynésiennes, métropolitaines, militaires ou civiles ˗ soient correctement informées des risques et indemnisées de manière adéquate. Or, ce n'est pas le cas actuellement avec le seuil d'1 millisievert (mSv), en dessous duquel les demandes sont a priori systématiquement rejetées. D'ailleurs, le seuil de risque négligeable ne s'élève pas à 1 mais à 0,01 mSv selon la directive de la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom) de mai 1996. Ainsi, nous considérons que la méthode utilisée pour analyser les demandes d'indemnisation des personnes exposées n'est pas satisfaisante, d'une part parce que le critère de seuil de risque est inapproprié et, d'autre part, parce que la méthode d'évaluation des doses subies ne reflète absolument pas la réalité.

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Dans l'une des notes de votre association concernant les essais nucléaires en Polynésie, publiée en juillet 2016, vous soulevez trois questions restées sans réponse cinquante ans après les faits. Vous réclamez la communication de toutes les archives militaires, un sujet largement abordé lors des auditions, mais aussi le lancement d'études biologiques et la réalisation d'études épidémiologiques indépendantes. Or, juste avant votre intervention, un professeur de l'INSERM nous a rappelé que les études, même lorsqu'elles sont commanditées par le ministère de la défense, demeurent indépendantes. Aussi, qu'entendez-vous exactement par « étude indépendante » ?

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

Je vais répondre de manière globale, sans me limiter aux études épidémiologiques. Il est essentiel de considérer à la fois la notion d'indépendance et celle de pluralisme, cette dernière étant tout aussi importante que la première. Nous devons entreprendre des études, qu'elles soient radio-écologiques, de reconstitution des doses ou épidémiologiques, associant des scientifiques reconnus, institutionnels ou non, des représentants associatifs des groupes de population concernés, des élus, ainsi que les autorités militaires et le CEA, qui sont les mieux informés sur les événements. Ces acteurs doivent collaborer au sein d'un groupe de travail destiné à répondre à toutes nos interrogations, la première question étant la reconstitution de la réalité des doses reçues par des populations spécifiques, telles que celles de Mangareva ou de Tureia. Actuellement, nous lançons un projet modeste pour initier ce type de travail à Tureia, à la demande du Syndicat pour la défense des intérêts des retraités actuels et futurs (SDIRAF). Nous collaborons avec M. Michel Arakino, plongeur professionnel polynésien ayant travaillé pour l'armée et que vous auditionnerez prochainement, me semble-t-il. Si l'on souhaite garantir l'indépendance d'une étude, il est nécessaire d'éloigner son financement et son pilotage des entités responsables de la pollution, à savoir l'armée et le CEA. Il est également crucial d'assurer une véritable pluralité pour travailler de manière collective et collégiale.

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Par conséquent, je ne vous demanderai pas si vous partagez les conclusions du rapport du CEA de 2022, commandé en réponse au livre « Toxique ».

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

Ce document n'est pas un véritable rapport, mais plutôt un livre à visée pédagogique, agrémenté d'illustrations. Il n'apporte pas beaucoup plus que ce qui avait déjà été publié en 2006. Nous contestons les évaluations de doses mentionnées dans ce rapport pour les raisons précédemment évoquées. En effet, l'ensemble des radionucléides ingérés ou inhalés ne sont pas pris en compte et les hypothèses sur lesquelles reposent les calculs de doses subies par la population ne sont pas suffisamment représentatives de la réalité. À notre avis, il est nécessaire de revoir complètement ces évaluations et de les pousser plus loin encore, ce qui représente une tâche longue et complexe. Quoi qu'il en soit, à la lumière de la lecture de certains documents déclassifiés, on constate que l'exposition de la population n'est pas correctement évaluée, que ce soit à Mangareva, à Tureia ou à Tahiti.

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Monsieur Chareyron, merci d'avoir accepté notre invitation. Quel regard portez-vous justement sur l'enquête de Disclose menée par Sébastien Philippe et Tomas Statius ? J'aimerais notamment connaître votre avis sur l'analyse du tir Centaure et, plus spécifiquement, sur les divergences entre les estimations des doses émises par le CEA et par les auteurs de « Toxique ».

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

L'ouvrage « Toxique » a considérablement contribué à la médiatisation et à la compréhension du problème, grâce à une approche à la fois journalistique, scientifique et historique, aboutissant à un texte clair, accessible, riche et pertinent.

La problématique de la reconstitution des doses s'applique non seulement au tir Centaure, mais également à d'autres retombées, dans divers lieux. Je confirme, à l'instar des enquêteurs de l'ouvrage « Toxique », que les évaluations du CEA ne reflètent pas la réalité des expositions pour plusieurs raisons, dont certaines sont développées dans ce livre et dans la publication scientifique qui l'a précédé. Cependant, d'autres éléments doivent être pris en compte, tels que certains radionucléides non considérés jusqu'ici, ce qui devrait aboutir à une nouvelle augmentation de l'estimation des doses.

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Est-il possible, selon vous, de démontrer le caractère radio-induit d'une maladie ? Vous évoquiez un seuil 100 fois inférieur au millisievert. Est-ce qu'un seuil est pertinent pour déterminer si une maladie est radio-induite ?

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

À la CRIIRAD, nous ne sommes pas biologistes. Notre métier consiste seulement à mesurer la radioactivité. Cependant, on note un certain consensus parmi les spécialistes – biologistes, médecins, épidémiologistes – quant à l'extrême difficulté d'établir un lien direct entre une pathologie, même reconnue comme pouvant être radio-induite, et une exposition à la radioactivité. À l'échelle individuelle, la démonstration d'un lien s'avère pratiquement impossible. C'est pourquoi la plainte déposée par certains malades de la thyroïde et la CRIIRAD concernant les retombées de Tchernobyl en France a été rejetée. En revanche, il est certain que l'exposition, même à de faibles doses de radioactivité, augmente les risques sanitaires pour plusieurs pathologies, en particulier le cancer de la thyroïde et certains types de leucémie. Ces risques s'avèrent d'ailleurs réels en dehors des essais nucléaires, avec l'exposition au radon, ce gaz radioactif naturel présent dans l'habitat, et ce même à de très faibles doses. Les débats portent désormais sur le fait de savoir si, au-delà des cancers, l'exposition aux rayonnements ionisants peut augmenter l'incidence d'autres pathologies non cancéreuses. Malgré les polémiques, cette possibilité doit être sérieusement envisagée. En effet, un certain nombre d'études suggèrent que les rayonnements ionisants peuvent entraîner des maladies cardiovasculaires, des atteintes du système nerveux central ou du système digestif. L'exposition in utero serait aussi concernée, avec des atteintes sur le développement futur des capacités cognitives de l'enfant.

Il est par conséquent scientifiquement infondé d'introduire un seuil sous lequel le développement d'une pathologie radio-induite serait impossible. Cette affirmation n'a aucun sens. La limite de 1 mSv a probablement été choisie parce qu'elle représente la dose maximale annuelle admissible pour l'exposition habituelle des citoyens, en dehors des radioactivités naturelle et médicale. Cependant, on ne peut pas prétendre que le risque est nul en dessous de ce seuil : ce dernier indique seulement que la probabilité de décès par cancer est jugée socialement acceptable, ce qui s'avère très différent.

La directive Euratom de mai 1996 a retenu le seuil de 1 mSv, soit 1 000 microsieverts par an, ce qui correspond à la dose maximale annuelle admissible en relation avec l'impact des pratiques nucléaires, telles que les rejets d'une installation nucléaire. Néanmoins, elle fixe un seuil du risque négligeable de 10 microsieverts par an, soit 100 fois moins. En dessous de 10 microsieverts par an, le législateur européen estime ainsi que les risques sont si faibles qu'il n'est pas nécessaire de réglementer la pratique qui en est à l'origine. Au-delà de 10 microsieverts par an, l'impact global est à prendre en considération. Enfin, au-delà de 1 000 microsieverts par an (soit 1 mSv) l'impact est jugé inacceptable en termes de probabilité de décès, notamment par cancer.

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Depuis le début des travaux de notre commission d'enquête, nous avons constamment été confrontés à des interrogations sur les doses. Tous les témoins que nous avons auditionnés s'interrogent sur la crédibilité des informations disponibles. Vous nous proposez une discussion entre spécialistes de tous horizons sur la base des documents disponibles. Lors de son audition de cette après-midi, Florent de Vathaire a affirmé que les doses avaient été sous-estimées et que la synthèse avait été lissée. Les auteurs ont-ils volontairement omis ou caché des informations ?

Enfin, le temps que le groupe de travail que vous évoquez aboutisse à des conclusions et que de nouveaux documents soient déclassifiés, est-ce qu'il ne sera pas trop tard pour indemniser les derniers survivants des essais nucléaires de leur vivant ?

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

Il semble en effet que nous nous situions dans un système à deux vitesses. Concernant la reconnaissance et l'indemnisation des pathologies, une mesure législative rapide pourrait consister à supprimer la contrainte du seuil d'1 mSv pour toute personne présente en Polynésie française durant la période des essais nucléaires atmosphériques et atteinte de certaines pathologies – la liste actuelle de vingt-trois pathologies s'avérant par ailleurs trop restrictive. En revanche, l'évaluation scientifique des risques sanitaires par l'épidémiologie et les reconstructions dosimétriques nécessite davantage de temps et de moyens. Nous regrettons que ce travail n'ait pas été entrepris plus tôt. En 2005 et en 2016, nous avions déjà produit des éléments qui auraient pu participer à des avancées en ce sens.

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Comme vous l'avez rappelé, il est extrêmement difficile de lier une pathologie à une exposition aux radioéléments. C'est d'ailleurs une problématique que l'industrie du tabac a largement exploitée dès les années 1950. Bien que l'impact du tabac sur le cancer du poumon ait été prouvé, l'impossibilité de lier un cancer de ce type à la consommation de tabac était systématiquement affirmée et a longtemps perduré. Cette stratégie a empêché l'indemnisation des victimes pendant de nombreuses années. Mme Naomi Oreskes a d'ailleurs écrit un excellent livre sur le sujet, intitulé « Les marchands de doute ».

Nous devons donc réfléchir à votre proposition de suppression du seuil de 1 mSv. Dans la mesure où une population entière a été exposée, il existe en effet un risque populationnel – non réductible à une échelle individuelle – que nous devons parvenir à évaluer. Ensuite, il nous faut examiner la liste des maladies à prendre en compte. On peut par exemple supposer que la probabilité de développer un cancer de la thyroïde liée à une exposition spécifique est élevée.

Dans le rapport de la CRIIRAD, vous indiquez par ailleurs que des radionucléides ont été retrouvés dans les bandes de croissance des coraux du lagon de l'île de Mangareva, pour ceux qui ont des périodes plus longues. Je souhaite vous interroger sur le niveau de radioactivité actuel, les possibilités de bioaccumulation ainsi que leurs incidences potentielles aujourd'hui. En effet, certains radionucléides possédant des demi-vies très longues, ceux-ci sont susceptibles d'impacter les populations pendant une période prolongée. Ce risque est-il totalement inexistant ? Devons-nous seulement nous focaliser sur les radionucléides à courte durée de vie présents dans l'air au moment des essais ? Existe-t-il une possibilité de bioaccumulation ? Quel est le niveau de radioactivité mesuré parmi les poissons et les coraux ?

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

Le risque populationnel, dans le champ classique de la radioprotection, s'évalue à partir du calcul des doses. On parle alors de dose collective, mesurée en homme sievert ou en homme millisievert, permettant d'anticiper le nombre théorique de pathologies sur une population exposée. Cependant, cette méthode de calcul est extrêmement discutable. En effet, comme nous l'avons déjà mentionné à plusieurs reprises, la manière de calculer les doses est déjà sujette à débat. De plus, une fois les doses calculées en microsieverts ou en millisieverts, on ignore toujours le nombre de pathologies qui en découlent. Quel est le nombre de cancers de la thyroïde, de leucémies induites par ces doses ? À moins d'envisager des études épidémiologiques de longue durée et complexes à réaliser, il est nécessaire de traiter la question de la réparation des préjudices subis par une population exposée d'une autre manière. Sinon, comme vous l'avez évoqué, certaines personnes ne seront jamais indemnisées. Je tiens par ailleurs à insister sur la nécessité de ne pas se limiter à l'incidence des cancers et aux décès qui en découlent. D'autres pathologies, telles que les problèmes cardiovasculaires ou les atteintes cérébrales doivent également être pris en considération.

Pour les coraux, je m'exprimerai avec beaucoup de prudence en raison du caractère très succinct de l'étude menée par la CRIIRAD à Mangareva, Tureia et Hao. Nous n'avons pas identifié de niveau de radioactivité préoccupant pour la santé à Mangareva ou à Tureia. Toute dose de radiation augmente les risques. Par exemple, dans le lait de coco à Tureia, nous avons détecté du césium 137 à hauteur de 0,6 becquerel par kilo, ce qui équivaut à 0,6 becquerel de trop. Cependant, cette contamination résiduelle dans les sols, le corail et les denrées, reste faible. Aujourd'hui, notre préoccupation principale ne se concentre donc pas sur ces niveaux résiduels, mais sur les conséquences sanitaires des expositions beaucoup plus importantes des populations durant la période des essais atmosphériques entre 1966 et 1974, ainsi que sur le devenir des déchets radioactifs à Moruroa, Fangataufa et Hao.

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Notre collègue Jean-Paul Lecoq a évoqué la question de l'accessibilité des documents. Sont-ils tous accessibles ? Vous indiquez avoir étudié plusieurs documents initialement classifiés. Étaient-ils suffisants pour asseoir vos réflexions et permettre une discussion éclairée ?

Ensuite, j'aimerais souligner le fait que les études se suivent et ne se ressemblent pas. Les divergences entre vos conclusions et celles du CEA sont à ce titre criantes. En outre, nous venons d'auditionner M. Florent de Vathaire, un scientifique qui a affirmé, contrairement à vous, que la contamination des poissons et bénitiers ne présentait aucune incidence. Il a également précisé que seuls 2,3 % des cancers de la thyroïde étaient attribuables aux maladies radio-induites. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous parvenez à des conclusions différentes ?

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

Les documents déclassifiés auxquels nous avons eu accès sont-ils suffisants ? La réponse est évidemment négative. Premièrement, nous n'en avons pas l'intégralité. Deuxièmement, l'interprétation de certains de ces documents nécessite, selon nous, des discussions en tête-à-tête ou des échanges écrits avec les spécialistes du CEA et du ministère de la défense de l'époque. Plusieurs raisons le justifieraient, notamment le fait que certains appareils utilisés à l'époque ne sont plus en usage aujourd'hui.

Pour répondre à votre seconde question, des désaccords subsistent sur les deux points que vous avez cités. Une personne auditionnée aurait affirmé que la contamination des poissons n'entraînait aucune conséquence. Si la question porte sur le transfert de l'iode radioactif des essais vers l'être humain à l'époque des retombées radioactives, en termes d'inhalation et d'ingestion, les poissons ne constituaient en effet certainement pas la voie de transfert la plus significative, le lait et les denrées végétales ayant été impactés beaucoup plus rapidement et directement. Ensuite, 2,3 % des cancers de la thyroïde seulement seraient radio-induits. Je pense que ce chiffre provient d'une étude publiée par le professeur de Vathaire, qui porte principalement sur le cancer de la thyroïde. Or, il est important de ne pas réduire l'impact des essais nucléaires en Polynésie à cette seule pathologie. De plus, cette étude repose sur des calculs théoriques de doses, très discutables comme nous l'avons évoqué, et utilise des facteurs officiels de doses qui font correspondre un certain nombre de millisieverts à la thyroïde à une probabilité de décès par cancer de la thyroïde, avec des coefficients là aussi très discutables. Cette étude démontre que des personnes en Polynésie souffrent très probablement de pathologies thyroïdiennes à cause des retombées des essais nucléaires. Cependant, quantifier les faits de manière scientifiquement indiscutable est une tâche d'une grande complexité.

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J'ai découvert les conséquences de l'atome en visitant Hiroshima et Nagasaki. J'ai alors échangé avec des Hibakusha, ainsi qu'avec leurs descendants, qui m'ont exposé leurs problèmes. À Kyoto, des étudiants m'ont affirmé leur volonté de ne jamais fonder de famille avec des descendants d'Hiroshima à cause des risques de développement de pathologies pour les enfants. Le Japon a probablement mis en place les moyens nécessaires pour analyser ces conséquences et pour accompagner les victimes. En France, la situation est plus complexe. Je suis surpris que les intervenants de cette commission d'enquête ne mentionnent jamais l'exemple japonais.

Par ailleurs, j'ai compris que les essais nucléaires laissaient une empreinte spécifique. En effectuant des mesures, il est en effet possible de déterminer de quel essai nucléaire relèvent les éléments découverts. Comment parvenez-vous à isoler ce qui appartient spécifiquement à un essai et non à un autre ?

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

En ce qui concerne Hiroshima et Nagasaki, je ne suis pas certain d'avoir entièrement saisi votre remarque. Je souhaiterais simplement souligner que l'étude des survivants de ces deux villes constitue la base des méthodes de radioprotection actuelles. Les facteurs de risque de décès par cancer, par exemple, sont déduits du suivi des survivants d'Hiroshima et de Nagasaki. Depuis des décennies, des scientifiques surveillent l'état de santé de ces personnes, enregistrent les maladies dont elles souffrent ou décèdent et établissent des liens entre la dose de radiation reçue à l'époque et les pathologies observées, dose qui dépendait principalement de la distance entre les victimes et le point d'explosion. Ces études ont permis de tracer des courbes reliant la quantité de décès à la dose de radiation subie, en fonction du type de cancer. Malheureusement, ces recherches sont essentielles pour comprendre les effets de la radioactivité. La difficulté pour les scientifiques réside dans l'extrapolation de ces courbes pour des doses beaucoup plus faibles, comme celles que nous subissons quotidiennement à cause de la radioactivité naturelle. Dans ce contexte, nous sommes confrontés à une incertitude. L'étude International Nuclear Workers Study (Inworks), bien qu'ancienne, se poursuit toujours. Elle a pour objet l'état de santé des travailleurs du nucléaire, qu'ils soient français, américains ou anglais. Une mise à jour de cette étude, publiée il y a quelques mois, révèle que, au fur et à mesure du suivi, non seulement les effets délétères des rayonnements ionisants à très faible dose sont confirmés, mais aussi que ceux-ci pourraient être proportionnellement plus importants à faibles doses. Il est donc impératif de suivre cette question avec une grande vigilance.

Les essais nucléaires laissent en effet des empreintes spécifiques. Certains rapports isotopiques de différentes substances radioactives peuvent représenter la signature d'un essai particulier. Pour interpréter ces données, il est toutefois nécessaire de réaliser des mesures très précises et coûteuses. Par ailleurs, il conviendrait d'avoir accès à des données et compétences scientifiques spécifiques à l'armée et au CEA, ou dans d'autres structures aux États-Unis. Il faut aussi considérer, pour un territoire donné, la probabilité que des retombées locales l'emportent sur des retombées globales.

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Vous avez mentionné des pathologies autres que les cancers, notamment les maladies cardiovasculaires. À votre connaissance, d'autres pays ont-ils déjà élargi le spectre des maladies radio-induites à des pathologies autres que celles reconnues aujourd'hui par le droit français dans le cadre de l'application de la loi Morin ?

Ensuite, j'aimerais aborder la question de la radioactivité naturelle – ou tellurique – en soulignant son impact potentiel sur les populations vivant depuis des siècles dans des régions où cette radioactivité est plus ou moins élevée. M. de Vathaire a précisé lors de son audition qu'en Polynésie, la radioactivité tellurique était très faible et que la population polynésienne, issue d'un petit groupe initial, s'était développée dans un environnement naturellement peu radioactif, ce qui aurait pu induire une plus forte radiosensibilité du génome.

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

Je n'ai pas compilé suffisamment de données pour répondre de manière exhaustive à votre question portant sur la prise en compte des pathologies autres que les cancers à l'étranger. Toutefois, il me semble pertinent, dans le cadre des travaux de cette commission d'enquête, de comparer les dispositifs de compensation mis en place dans d'autres pays, par exemple aux États-Unis et au Royaume-Uni.

Pour répondre à votre deuxième question, il est exact qu'en Polynésie, notamment sur les atolls coralliens, le niveau de radioactivité naturelle est extrêmement faible comparé à celui mesuré France métropolitaine, en particulier dans le Massif Central ou en Bretagne. Le niveau de rayonnement tellurique y est par exemple dix fois plus faible que dans le Limousin. Cette population n'est donc pas habituée à la radioactivité naturelle, contrairement à d'autres, différence qui doit impérativement être prise en considération dans la mesure où elle influence les études sur la radioprotection. Ainsi, l'étude des survivants d'Hiroshima et de Nagasaki, bien que fondamentale, concerne une population génétiquement distincte de celle de la métropole et exposée dans des conditions très spécifiques. Il est donc crucial d'aborder ces questions avec une grande ouverture d'esprit, en considérant les nombreux facteurs en jeu.

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Pourriez-vous nous expliquer ce qu'est un tir de sécurité ?

Enfin, je souhaiterais que nous évoquions l'aspect environnemental et en particulier le traitement des déchets. Quel est votre point de vue sur les puits de déchets à Moruroa, Fangataufa et Hao ?

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

Les tirs de sécurité, comme leur nom l'indique, consistent à larguer une bombe atomique pour vérifier que la réaction nucléaire ne s'amorce pas. Il s'agit de s'assurer que l'explosion ne se produit que si on la déclenche. Ces tirs de sécurité ont donc consisté à faire chuter volontairement des bombes atomiques, notamment sur des sites comme Moruroa, à Colette par exemple. En tombant, l'engin se désagrège et libère du plutonium sous forme de grains de tailles variées. Or la présence de ce plutonium à la surface de Colette pose problème. L'étude de l'AIEA de 1996-1997, publiée en 1998, a d'ailleurs conclu que la France n'avait pas décontaminé le site au niveau annoncé, soit 1 million de becquerels par mètre carré, et que l'essentiel de la contamination en plutonium se trouvait dans le premier centimètre de sol. Ce plutonium est donc facilement mobilisable pour les personnes qui fréquenteraient le lieu.

En ce qui concerne votre deuxième question, la CRIIRAD ne dispose que de très peu d'informations précises sur la quantité de matière radioactive présente dans les 137 puits où ont explosé les bombes atomiques à Moruroa, ainsi que dans les 25 puits (auxquels deux autres s'ajoutent) où ont été enfouis des déchets radioactifs, et enfin dans les zones d'immersion au large de Moruroa. Nous n'avons accès, comme tout un chacun, qu'à quelques inventaires des quantités de substances radioactives publiés par le CEA et le ministère de la défense en 2006, mais nous ne sommes pas en mesure d'en garantir la fiabilité. Il est en revanche certain que les puits n'ont pas été conçus pour garantir le confinement à long terme des déchets radioactifs, qu'il s'agisse des puits où ont été déposés les déchets ou de ceux dans lesquels les armes atomiques ont explosé. Selon les informations transmises par le ministère de la défense, les transferts vers l'environnement sont actuellement limités. C'est peut-être vrai. Toutefois, n'y ayant pas accès, nous ne pouvons pas le vérifier. La question se pose à long terme, car la période de demi-vie du plutonium 239 est de 24 000 ans dans des zones qui, de surcroît, présentent une instabilité géomécanique. Cette situation n'est pas satisfaisante.

Lors de notre visite à Hao en 2005, qui a duré deux jours et demi, nous avons effectué quelques contrôles rapides. J'ai été profondément choqué par la quantité de gravats, de béton et de ferraille présents à l'époque, notamment près de la piste Vautour du côté de l'océan. J'espère que des améliorations ont été apportées depuis. Nous avons pu effectuer quelques fouilles à la pelle mécanique dans d'anciens locaux du CEA grâce à l'aide d'un vétéran polynésien qui avait travaillé à Hao et se souvenait approximativement de l'emplacement des différents bâtiments. Il a réalisé un croquis pour nous guider dans notre inspection, car nous manquions cruellement d'informations. Par conséquent, pour savoir s'il reste aujourd'hui des zones de contamination importante à Hao (cuves, tuyauteries enfouies, etc.), il serait nécessaire de disposer d'une série complète de documents (nature des installations, plans précis, évacuations des eaux usées, méthodes et niveaux de décontamination, etc.). Ces documents devraient être accessibles pour permettre des analyses critiques et des débats contradictoires avec le CEA et le ministère de la défense.

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Pourquoi affirmez-vous que les puits de stockage sont inadaptés ?

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Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)

Dans les critères actuels de conception pour le stockage à long terme des déchets radioactifs, il est impératif que la matière radioactive soit conditionnée dans un emballage étanche répondant à des normes strictes qui en garantissent la durabilité. Or, ce n'est pas le cas ici. Certains de ces déchets ont été déposés en vrac. Ensuite, la conception de l'ouvrage destiné à accueillir ces colis doit respecter des normes très précises visant à limiter la migration à long terme des éléments radioactifs. Une fois que ces derniers traversent le colis, ils se retrouvent dans la matière environnante, telle que la roche. Aujourd'hui, des efforts considérables sont déployés pour sélectionner des roches qui assurent une migration extrêmement lente des éléments radioactifs. Enfin, le choix du site de stockage doit être effectué en anticipant les évolutions futures, sur des échelles de temps de plusieurs dizaines de milliers d'années. Par exemple, dans 10 000 ans, le changement climatique pourrait-il affecter la biosphère et permettre aux matières radioactives d'atteindre celle-ci ? Les puits de stockage de Moruroa ne répondent donc pas aux exigences méthodologiques actuelles pour le stockage de déchets radioactifs. Ils n'ont pas été conçus pour cela.

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Monsieur Chareyron, merci infiniment pour vos explications. Je vous encourage vivement, en réponse aux questions et interrogations des députés de cet après-midi, à nous transmettre des compléments d'information et des documents. Il serait particulièrement intéressant de connaître les archives dont on vous a refusé l'accès.

(La séance est suspendue)

III. Audition ouverte à la presse, des représentants de la Fédération nationale des officiers mariniers (FNOM) : MM. Christian Lombardo, président, et Jean-Luc Moreau, conseiller spécial

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Nous accueillons à présent les représentants de la Fédération nationale des officiers mariniers (FNOM). Je suis heureux de recevoir parmi nous M. Christian Lombardo, son président et M. Jean-Luc Moreau, conseiller spécial. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. La FNOM, fondée à Toulon en novembre 1927, fêtera bientôt son centième anniversaire. Vous nous présenterez brièvement votre organisation et vos revendications concernant la prise en charge des conséquences des essais nucléaires en Polynésie en tant que vétérans des essais nucléaires. Vous partagerez avec nous votre analyse du dispositif d'indemnisation des victimes, institué par la loi Morin. Vous nous exposerez également votre point de vue sur le fonctionnement du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). En outre, nous vous demanderons de nous transmettre les témoignages que vous recueillez ou avez recueillis sur le quotidien des personnels déployés en Polynésie française pour la conduite des essais nucléaires. Nous sommes particulièrement intéressés par les informations sur le suivi médical de ces derniers et les mesures de protection dont ils bénéficiaient, ou non, pendant et après les phases de tir.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

( MM. Christian Lombardo et Jean-Luc Moreau prêtent serment.)

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Christian Lombardo, président de la FNOM

Merci de nous avoir invités à cette commission d'enquête. Il nous semble essentiel de pouvoir nous exprimer au nom des vétérans. En 1927, un groupe d'officiers mariniers retraités du port de Toulon a fondé l'Association des officiers mariniers en retraite et veuves de Toulon (AOM Toulon). Ils ont été suivis par leurs homologues de Brest, Cherbourg, Lorient et Paris. Rapidement, le besoin de se fédérer s'est fait sentir. Ainsi, le 27 novembre 1927, la Fédération nationale des officiers mariniers en retraite et veuves (FNOM) a vu le jour. Au fil du temps, d'autres associations régionales s'y sont jointes, si bien qu'aujourd'hui, la FNOM regroupe 21 associations régionales couvrant l'ensemble du territoire national, tant métropolitain qu'ultra-marin. Traditionnellement, les territoires d'outre-mer sont rattachés à l'AOM Toulon, à l'exception de la Polynésie, qui constitue une AOM indépendante. À l'origine, la FNOM accueillait les officiers mariniers et les quartiers-maîtres de première classe en retraite, ainsi que leurs veuves. Avec le temps et à la suite à de nombreux échanges avec la Marine nationale, l'adhésion des marins d'active a également été autorisée. Actuellement, nous comptons environ 11 000 adhérents, toutes catégories confondues.

La devise de la FNOM est la suivante : « le travail de chacun au profit de tous ». Les objectifs de la FNOM n'ont pas changé depuis sa création : défendre les intérêts moraux et sociaux de ses membres, maintenir et renforcer les liens de solidarité et de camaraderie qui unissent tous les marins. Cependant, avec l'ouverture de l'adhésion aux marins d'active, les actions de la FNOM ont évolué. Le 17 avril 2014, une convention a été signée avec le chef d'état-major de la Marine, fixant les relations entre les deux entités, qui se sont engagées à maintenir et développer le lien intergénérationnel au sein de la Marine nationale et à instaurer une relation forte, dynamique et pérenne entre les officiers mariniers en retraite membres de la FNOM et les marins en activité. Cette convention nous implique notamment dans la mise en place du plan Famille et, actuellement, du plan Famille 2.

Depuis plusieurs années, notre action principale consiste à accompagner nos adhérents dans leurs démarches de reconnaissance de l'exposition à l'amiante, tant pour l'anxiété générée que pour les maladies associées. Nous menons également des actions plus ponctuelles, en particulier auprès des veuves de nos membres. Afin de rester proches de nos adhérents, nous publions six journaux d'information par an, intitulés L'Officier Marinier. Ces parutions constituent un lien privilégié, permettant à chacun d'être informé sur la défense de ses intérêts et de maintenir un contact solidaire avec les autres. Elles fournissent également des renseignements précieux sur les actions de la FNOM.

La reconnaissance officielle du nombre de nos adhérents nous a permis d'intégrer plusieurs instances importantes : le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), le Conseil permanent des retraités militaires (CPRM), le Comité d'action des anciens militaires et marins de carrière (COMAC) et les comités sociaux des bases de défense. Nous siégeons par ailleurs au Conseil d'administration de l'Entraide Marine-Adosm.

La FNOM est exclusivement financée par les cotisations de ses adhérents, qu'ils soient officiers mariniers en activité ou à la retraite, veuves, veufs ou sympathisants. Nous ne percevons aucune subvention extérieure, ce qui nous assure une indépendance totale et a d'ailleurs a facilité notre convention avec la Marine nationale.

Il est important de souligner qu'un grand nombre de nos adhérents ont participé aux campagnes d'essais nucléaires, source à la fois de grande fierté et de préoccupation majeure. Nous sommes fréquemment sollicités par des adhérents ayant participé aux essais en Polynésie, inquiets des conséquences de leur exposition à la radioactivité. Monsieur le président, Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les membres de la commission, merci de m'avoir permis de m'exprimer devant vous au nom de nos anciens, qui ont contribué à donner à la France sa puissance et son indépendance nucléaire.

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

J'ai servi dans la Marine nationale de 1973 à 1995, participant aux expérimentations nucléaires de 1982 à 1983 et de 1991 à 1993, au sein du Service mixte de sécurité radiologique (SMSR). En dehors de ces périodes, j'étais chargé de la radioprotection sur des réacteurs et des armes nucléaires. J'étais habilité au secret-défense et, à mon départ de la Marine nationale, j'ai signé un engagement à respecter ce secret. Cependant, le Président de la République ayant autorisé la publication des archives sur les expérimentations nucléaires, à l'exception des documents contenant des informations à caractère proliférant, je m'appuie sur cette décision pour m'exprimer librement aujourd'hui.

Je souhaite vous exposer les conditions de travail sur les sites, qui concernent l'ensemble des vétérans civils et militaires, qu'ils soient métropolitains ou polynésiens, car nous avons travaillé ensemble sans distinction d'origine ou d'employeur. Je partagerai également mon analyse sur plusieurs points significatifs concernant la reconnaissance des conséquences des expérimentations nucléaires en Polynésie française.

J'aimerais avant tout vous livrer une anecdote personnelle afin d'illustrer nos conditions de travail. En juillet 1983, j'intervenais au titre de la radioprotection sur un poste de forage consistant à prélever une carotte de lave produite lors d'une explosion nucléaire. La tête du train de tiges a percé une poche de gaz, entraînant une éjection d'un mélange radioactif d'eau et de gaz par la colonne de forage. Après l'arrêt en urgence de l'installation, nous nous sommes sauvés en courant sous la pluie. J'ai constaté la radioactivité du mélange avec un détecteur portable, mais les résultats des prélèvements envoyés au laboratoire ne nous ont jamais été transmis, ce qui illustre un réel problème de communication entre les laboratoires d'analyses et la radioprotection sur le terrain. Sur le chantier, la radioactivité ambiante était élevée et j'ai relevé des taux d'irradiation significatifs au-dessus des flaques d'eau. Aucun travail de décontamination n'a été effectué et les travaux de forage ont repris sur l'installation contaminée.

Notre seule protection consistait en une combinaison en coton et des chaussures en toile de type Pataugas. Les instructions prévoyaient un changement de combinaison et de chaussures en cas de contamination respectivement supérieure à 1 000 et 2 000 chocs par seconde (c/s). Nous devions également prendre une douche en cas de contamination cutanée supérieure à 100 c/s. Or, dans l'industrie nucléaire en France, de telles conditions de travail ne seraient pas acceptées. Lors de la remontée du carottage de la lame d'explosion, nous devions mesurer un débit de dose au contact du prélèvement supérieur à dix rads par heure (rad/h) soit 100 milligrays par heure (mGy/h), ce qui signifie un millisievert (mSv) atteint en quelques secondes. Si la valeur mesurée était inférieure, les travaux continuaient jusqu'à l'obtention d'un échantillon valide. Pour limiter la dose reçue lors de la mise en place du château de plomb de transport, le prélèvement était redescendu dans le puits de forage après la mesure au contact. La manutention pour introduire le prélèvement dans le château était manuelle.

En fin de travaux, j'ai passé un examen d'anthropogammamétrie. Lorsque je suis sorti de l'enceinte, j'ai voulu examiner le spectre de mesure, mais le médecin présent s'est interposé devant l'écran, certifiant l'absence de résultat anormal. Travaillant en laboratoire au SMSR, je disposais d'une certaine expérience dans la lecture des spectres énergétiques. J'ai constaté un pic anormal, mais je n'ai pas pu approfondir mon examen. Je n'ai jamais été informé de la dose enregistrée sur mon dosimètre, ni des résultats des examens biologiques. Dès réception de votre invitation, soit le lundi 13 mai, j'ai demandé mes relevés de doses et les résultats d'examen au département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires (DSCEN), mais je n'ai rien reçu à ce jour. A priori, ceux-ci sont disponibles, cependant, il est impossible de les obtenir malgré mes appels téléphoniques.

J'aimerais partager une seconde anecdote concernant l'expérimentation aérienne et émanant d'un témoin digne de foi, ancien président de la FNOM. Un quadrimoteur Douglas DC-6 de l'armée de l'Air assurait le transport de fret sur les atolls de Moruroa, Fangataufa et Hao, ainsi que le transport des malades, des blessés et des passagers sur le trajet Moruroa-Hao-Papeete. Un vendredi après-midi, le DC-6 effectuait le ramassage des permissionnaires pour le week-end. Régulièrement, à l'escale d'Hao, les contrôleurs du SMSR l'inspectaient pour vérifier l'absence de contamination. Ce vendredi-là, le DC-6 était complet et, parmi les passagers, se trouvait une haute autorité. Le commandant de bord a alors clairement annoncé : « Vous ne pouvez pas redécoller, le train avant est contaminé et la contamination est telle que vous êtes placé en usage interdit ». La contamination se trouvait dans le coffre du train d'atterrissage avant. Les contrôleurs du SMSR ont signalé le problème au chef de l'antenne d'Hao. La situation étant inédite, il fallait en référer à l'état-major à Papeete. La décision de redécoller prise en haut lieu a néanmoins permis au DC-6 de franchir sa dernière étape Hao-Papeete, atterrissant sur le tarmac de la base aérienne 190 Tahiti-Faa'a. Le personnel a débarqué tard dans la soirée, le SMSR de Maïna a été averti et l'avion a été conduit à l'abri des regards pour une décontamination du coffre de son train d'atterrissage. D'où pouvait provenir cette contamination ? Il est évident que l'atoll de Moruroa est pointé du doigt. Quand le DC-6 décolle, les roues du train avant continuent de tourner jusqu'à la fermeture du coffre. Divers éléments, surtout des particules de pluie, étaient projetés dans le fond du caisson. Pour qu'ils soient classés usage interdit, deux hypothèses sont possibles. Soit son dernier contrôle remonte à un certain temps et la contamination s'est régulièrement accumulée, ce qui est peu probable au regard des contrôles systématiques à Hao, soit il a subi une contamination unique et importante sur la piste de Moruroa. Dans les deux cas, la contamination est bien réelle et ne pouvait être transportée volontairement sur Faa'a. La contamination sur Papeete n'a donc pas été amenée uniquement par les retombées radioactives.

Les conditions de travail sur les avions Vautour représentent également un sujet pertinent. Les Vautour de l'escadron Loire étaient positionnés sur la zone aéroportuaire d'Hao. À l'extrémité de la piste internationale d'une longueur de 3 380 mètres, soit une très grande distance, a été créé le centre de décontamination des aéronefs et du personnel (CDAP). Les premiers Vautour avaient pour mission le tir d'un missile de prélèvement dans les nuages dans l'heure qui suivait l'explosion. Par la suite, ces mêmes Vautour ont effectué des pénétrations dans le nuage à H plus 45 minutes pour réaliser des prélèvements. Une fois de retour sur la base, ils se rendaient directement au CDAP. Les contrôleurs du SMSR extrayaient les filtres de leurs logements situés sous les ailes et mesuraient les doses de rayonnement dégagées, environ 75 rad/h, ce qui représente des doses énormes. Ils transféraient les filtres dans un château de plomb et ces manutentions se faisaient à la main. Celui-ci partait en zone CEA et SMSR pour les premières analyses. Par la suite étaient réalisés la sortie du pilote, son contrôle, sa douche, la décontamination de l'avion, etc. Lorsque la contamination résiduelle de l'avion, après plusieurs décontaminations successives, devenait tellement importante, celui-ci était laguné, c'est-à-dire jeté à la mer grâce à des bateaux spécialisés, les gabares. L'avion contaminé était ainsi placé sur le pont de la gabare et les personnels le manipulaient librement. Il m'a fallu à ce titre traiter au CIVEN le dossier d'une personne embarquée sur gabare et décédée très rapidement de deux cancers suite à son activité.

L'analyse des diverses sources de contamination a révélé qu'à la suite des tirs aériens, contrairement aux affirmations initiales, le rendement de fission du plutonium n'était pas de 100 % lors de l'expérimentation. À ce jour, la contamination du lagon de Moruroa est estimée à une quantité de 10 à 15 kg de plutonium, ce qui représente un danger considérable pour les organismes. Pour mémoire, le rejet de plutonium dans l'environnement en France est formellement interdit. La région est polluée de billes de métal creuses ou pleines, d'environ un millimètre de diamètre, et de morceaux de caoutchouc. Le métal provient de la fusion des barges ou des pylônes utilisés pendant les premières expérimentations. En tombant dans l'eau, celui-ci se refroidissait, ce qui explique la présence de billes métalliques contaminées par du plutonium. Au début, d'autres radioéléments étaient également présents, mais c'est principalement le plutonium qui nous intéresse ici. Les morceaux de caoutchouc, appelés « peaux de ballon » par les vétérans proviennent quant à eux des tirs sous ballon, qui était totalement détruit au moment de l'explosion. Cette contamination est la plus persistante et la plus difficile à détecter, car le plutonium 239 émet principalement des particules alpha et, pour 2 %, des rayons X de 17 keV. En d'autres termes, pour détecter deux rayonnements X de 17 keV, il faut cent désintégrations de plutonium. À la suite d'une explosion mortelle en 1979, ayant causé deux décès, les autorités ont ordonné l'élimination du plutonium sur le site de Moruroa. Une lourde tâche de décontamination à l'aide d'appareils à faible efficacité de détection a alors été entreprise par des équipes de marins. Cependant, cette tâche s'est avérée interminable, car chaque tempête et chaque explosion souterraine renvoyaient la contamination en suspension dans le lagon, la ramenant sur le récif. Les équipes sur le terrain étaient protégées par des combinaisons étanches et des masques respiratoires, garantissant une protection adéquate. Une analyse sur frottis internes des masques respiratoires a été réalisée en laboratoire, révélant que plusieurs marins de ces équipes avaient été contaminés par du plutonium. Par ailleurs, le ratissage du terrain était long et fastidieux, avec des résultats aléatoires.

Toutefois, les contrôles en zone de vie se faisaient en tenue décontractée pour éviter d'alarmer les personnes présentes. Après l'explosion de 1979, l'accès aux zones extérieures de la zone de vie n'était autorisé qu'aux personnes ayant une raison spécifique d'y aller, c'est-à-dire les personnels du SMSR et quelques personnes habilitées à intervenir pour des missions ponctuelles. Des barrières avaient été installées de part et d'autre de la zone de vie et seuls les personnels expressément autorisés pouvaient les franchir. Même en zone de vie, le risque de contamination restait significatif, notamment lors des baignades ou des temps de détente sur la plage. À l'époque, la baignade était autorisée. Seule l'interdiction de consommer du poisson pêché dans le lagon était appliquée. Les autorités justifiaient cette mesure non par un risque de contamination, mais par un taux de ciguatera plus élevé que dans les autres atolls.

Il est convenu que la période radioactive des éléments de fission, suite à une explosion nucléaire, diminue de moitié toutes les sept heures. Ainsi, après dix périodes, soit environ trois jours, il ne subsiste plus que le millième de la dose résiduelle initiale. Autrement dit, après trois jours, il est possible de revenir sur le terrain moyennant un minimum de précautions. Aujourd'hui, seuls les radionucléides à vie longue, comme le césium 137 (30 ans), le krypton 85 (10 ans), le strontium 90 (29 ans) et le plutonium 239 (24 000 ans) subsistent. Les autres produits, tels que l'iode 131, disparaissent en quelques jours. Actuellement, le principal problème reste donc le plutonium 239. En effet, sur la base des dix périodes évoquées plus haut, le plutonium disparaîtra naturellement de la Polynésie française dans 240 000 ans.

Au SMSR de Montlhéry, je réalisais des mesures de particules alpha pour identifier l'isotope des radionucléides et calculer les activités en fonction des énergies des particules. Ces prélèvements contenaient divers isotopes de plutonium et d'uranium. Je n'ai jamais connu l'origine des prélèvements ni l'exploitation des résultats, mais j'ai personnellement conclu qu'il existait des zones fortement contaminées. Le traitement des échantillons pour une analyse de plutonium nécessitait un processus chimique fastidieux et imposait une électrodéposition sur coupelle en inox du concentré obtenu, procédé complexe que peu de laboratoires sont capables d'effectuer. Le SMSR disposait de cette technologie lorsque je suis arrivé en 1981-1982 et, par conséquent, nous connaissions déjà les contaminations au plutonium à cette période. Il m'était cependant impossible de déterminer si celui-ci avait une origine biologique ou minérale. Au laboratoire de Moruroa, j'ai également constaté dans mes mesures un fort taux de tritium dans l'eau. L'eau tritiée est un poison biologique d'une période de douze ans. Son ingestion sous cette forme est néfaste pour l'organisme. Le tritium était détecté par électroluminescence et la recherche de contamination interne se faisait via une analyse d'urine en cas de contamination ponctuelle, suivie d'une élimination naturelle et rapide. Étant donné que sa période est longue, nous sommes encore confrontés à des niveaux de tritium collectivement importants. Les analyses du tritium, comme pour le plutonium, sont complexes et nécessitent des laboratoires spécialisés. Pour les radioéléments émetteurs gamma, une spectrométrie permettait de détecter une éventuelle contamination interne, examen relativement simple à réaliser.

Un dossier médical est établi pour chaque marin et pour ceux classés PDA puis catégorie A, les relevés de doses et les résultats d'examens spécifiques sont inscrits, sauf pour les périodes d'affectation à la Direction des centres d'expérimentations nucléaires (DircEN), ce qui concerne environ 50 000 marins. Les médecins des unités n'étaient pas en mesure d'effectuer un suivi médical adapté pour les marins ayant subi des agressions nucléaires liées à l'expérimentation. La plupart de mes camarades, une fois revenus en métropole, ont été affectés sur des bateaux de surface, dans diverses unités, où ils n'étaient pas classés comme personnels directement affectés. Dans leur carrière, ils n'ont donc jamais subi de contrôle lié à une éventuelle contamination et irradiation. Seuls les personnels affectés aux sous-marins ont bénéficié d'un contrôle spécifique. La culture du secret était totale. À titre personnel, je n'avais aucune connaissance de l'existence d'un quelconque dossier médical me concernant. Je l'ai découvert par le biais d'un camarade ayant réalisé le rapatriement des dossiers de l'hôpital militaire Jean Prince de Tahiti en 1996.

Concernant les procédures d'indemnisation, les dossiers pour le CIVEN doivent inclure un justificatif de la dose radioactive reçue par le demandeur. Le seuil est fixé à 1 millisievert (mSv). Si une irradiation par rayonnements gamma peut être aisément prouvée si un film dosimètre a été porté, il en est tout autrement pour les contaminations internes, notamment pour le plutonium, actuellement indétectable par examen non invasif. Celui-ci se fixant sur le foie, les os et la moelle osseuse, il faudrait gratter les os ou prélever un morceau de foie pour déterminer le taux de contamination a posteriori. Pour rappel, les mesures de dose sont de deux ordres. L'industrie utilise le gray (Gy) quand la dose n'est fonction que de l'énergie délivrée lors de l'interaction avec la matière. L'utilisation du sievert (Sv) est médicale, car en plus de l'énergie délivrée, son impact biologique est évalué. L'utilisation du sievert par le CIVEN sous-entend une interprétation médicale d'un résultat d'irradiation ou de contamination interne. Cependant, comment interpréter une donnée brute issue d'une archive du ministère des armées, alors qu'à l'époque du relevé, aucune information ni contre-expertise n'étaient mises à la disposition de l'intéressé ? Seuls les médecins devraient parler de sieverts, tandis que l'industrie devrait s'exprimer en grays.

À ce jour, hormis la contamination par le césium 137, seule subsiste la contamination interne en uranium et en transuraniens. Je parle de transuraniens car on trouve sur les sites des traces d'américium 241. Cette présence dans l'organisme constitue une source insidieuse de maladies. Tandis qu'une irradiation externe, notamment par des particules alpha, est négligeable, son impact en contamination interne est catastrophique au niveau cellulaire. De plus, l'uranium et le plutonium sont des métaux lourds, tels que le plomb ou le mercure, et sont donc également des poisons chimiques. La plupart des vétérans ignorent s'ils ont été irradiés ou contaminés. Ils n'ont pas été informés des résultats des examens qu'ils ont subis. Plusieurs décennies plus tard, lorsque la maladie se manifeste, ils se trouvent dans l'incapacité de fournir cette preuve. Lorsqu'on fume, on le sait. Lorsqu'on est irradié, on ne le sait pas. Je considère que les médecins militaires en charge du suivi médical des vétérans ont été plus militaires que médecins, jugement certes sévère que je maintiens néanmoins.

La FNOM demande que la preuve d'irradiation et de contamination ne soit plus exigée par le CIVEN dans la mesure où son absence constitue le principal obstacle à l'indemnisation. La seule présence sur les sites et la confirmation des maladies radio-induites devraient suffire. Il ne faut pas ajouter de souffrance morale à la souffrance physique. De nombreux camarades se sont vus refuser une indemnisation parce qu'ils n'ont pas été en mesure de prouver leur contamination. En qualité d'association représentative des vétérans des essais nucléaires, nous demandons l'ouverture des archives médicales détenues par le ministère des armées, qui permettrait de s'assurer de la bonne conservation des dossiers, ceux-ci pouvant servir de base à de véritables études épidémiologiques. La connaissance des prévalences de décès prématurés et des maladies des vétérans ayant porté une dosimétrie individuelle ou ayant séjourné dans des zones de dosimétrie collective serait ainsi établie. Aujourd'hui, c'est l'opacité totale. Nous demandons que les dossiers individuels soient transmis directement aux intéressés ou aux ayants droit sans demande particulière.

La loi de 2012 prévoit que la commission de suivi des conséquences sanitaires se réunisse deux fois par an. Malgré plusieurs courriers adressés aux ministres de la santé successifs depuis février 2021, aucune réunion ne s'est tenue depuis cette date. Nous craignons la suppression de cette commission sous prétexte qu'elle ne s'est pas réunie depuis plus d'un an, comme l'a déclaré le Premier ministre. Nous demandons que cette commission soit conservée et qu'elle se réunisse, ainsi que l'ajout de maladies au décret d'application. Nous souhaitons également qu'une étude épidémiologique sur la contamination par le plutonium soit conduite par les vétérans des sites, ainsi que le développement d'une méthode de recherche de plutonium in vivo. En effet, la contamination au plutonium n'est pas une vue de l'esprit. L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) mentionne à ce titre une contamination des poissons et des bénitiers à 1 400 km. C'est écrit dans des rapports publics, et personne ne semble réagir à ces informations. Cela me surprend beaucoup. L'IRSN fait également état d'un rendement des armes nucléaires évalué à 10 %.

L'attribution de la médaille de la défense nationale avec l'agrafe essais nucléaires, est jugée insuffisante par les vétérans. Ils estiment que cette distinction ne reflète pas les risques encourus et les conséquences à long terme pour les survivants. Je pense particulièrement à tous nos camarades qui nous ont quittés prématurément et dans la souffrance. Les vétérans ont accompli leur mission conformément à leur engagement de servir la patrie en toutes circonstances. Ils ont honoré leur parole, en ont subi les conséquences physiques et les effets de leur engagement perdurent encore aujourd'hui. Il ne faut pas se contenter d'attendre la disparition du dernier vétéran pour lui rendre hommage. La FNOM demande ainsi une véritable reconnaissance à travers l'attribution du titre de reconnaissance de la Nation.

Pour conclure, les marins ayant participé aux expérimentations nucléaires ressentent la satisfaction du devoir accompli, dans une période de guerre froide caractérisée par la présence de pays du Pacte de Varsovie à moins de 200 kilomètres de Strasbourg. Dans les années 1960 et 1970, de nombreux marins en activité étaient conscients de l'histoire récente de la marine et du regard que lui portait le général de Gaulle. Les vétérans demandent uniquement la reconnaissance de leur engagement au service de la France, ainsi que la prise en charge des camarades et de leurs familles, affectés par les conséquences des radiations ionisantes. Je tiens par ailleurs à préciser que l'indemnisation accordée par le CIVEN n'est pas cumulable avec une pension militaire d'invalidité (PMI) pour une même pathologie. La FNOM souhaite que la période de service soit valorisée. Le passif perdure et la France devrait solder totalement cette période par une réparation réelle des conséquences subies par le peuple polynésien. Les anciens marins vétérans ont pris pleinement conscience de l'impact des essais nucléaires et témoignent un profond respect à nos concitoyens polynésiens.

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Qu'avez-vous pensé de l'ouvrage « Toxique », sachant que les auteurs l'ont rédigé à partir de documents déclassifiés ? Ils évoquent notamment plusieurs bâtiments de la marine nationale – le Forbin ou le De Grasse, par exemple. Par ailleurs, avez-vous personnellement essuyé des refus d'accès aux archives ?

La question du livret médical mérite en outre d'être approfondie. Certains marins affirment que des pages du leur ont été arrachées. Pouvez-vous le confirmer ? Avez-vous interrogé les autorités militaires à ce sujet ? Avez-vous découvert d'autres éléments en consultant les archives ? Je tiens également à vous informer que nous recevrons la semaine prochaine le médecin-chef Anne-Marie Jalady, qui dirige le département du suivi des centres d'expérimentation nucléaire (DSCEN), lointain successeur du SMSR. Quelles questions souhaiteriez-vous que nous lui posions ?

Enfin, nous avons avant vous interrogé le professeur de Vathaire, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui envisage de lancer une enquête épidémiologique sur les risques intergénérationnels. Quel est votre avis sur ce sujet ?

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

Le livre « Toxique » a le mérite d'exister et a été l'un des premiers à donner l'alerte. Les auteurs ont travaillé sur des documents que je qualifierais d'incomplets puisque tout n'a pas été déclassifié. Lors de la commission de déclassification, deux réunions ont eu lieu – auxquelles a participé Mme Vernaudon, que vous avez auditionnée. J'y avais personnellement posé quelques questions. La première portait sur la définition du caractère proliférant. À ce jour, celui-ci n'est pas défini et la déclassification est placée uniquement sous l'autorité du service détenteur des archives. Il n'existe aucune autorité de recours ni d'examen. Malgré ses compétences en la matière, la FNOM n'a pas été sollicitée à ce sujet. Nous avons également demandé des documents complémentaires, notamment les rapports de fin de commandement, afin de compléter la liste de ceux que nous possédons déjà. Nous souhaitions également accéder aux journaux de bord de ces bateaux, en particulier de ceux qui se rendaient sous le vent pour effectuer des prélèvements. Nous avons de plus demandé les rapports de missions spécifiques, comme le lagunage de matériel ou les décontaminations suite à un accident. Nous n'avons pas obtenu de réponse à nos requêtes. Il convient en outre de préciser qu'à l'IRSN comme à l'INSERM, il n'existe aucune donnée sur les sites de Moruroa et de Fangataufa, ce qui interdit toute évaluation précise de leur évolution.

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N'avez-vous pas obtenu de réponse ou bien vous a-t-on rétorqué que les documents demandés étaient encore classés secret-défense ?

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

J'ai posé la question directement au directeur de la direction des applications militaires (DAM) du CEA en cours de réunion. Celui-ci a baissé la tête et n'a pas répondu.

J'en viens à l'audition prochaine de Mme Jalady. De nombreux marins sollicitent l'accès à leur dossier médical. Actuellement, nous gérons le cas d'un accès refusé, car le marin n'a pas pu prouver le dépassement du seuil d'1 mSv. Cet homme a développé une maladie radio-induite, mais il ne dispose pas de relevés dosimétriques probants. Les seuls films dosimétriques qu'il a pu obtenir affichent des résultats nuls et discontinus, d'où le refus d'indemnisation. J'ai personnellement réussi à obtenir ma fiche de relevé individuel de zone. Je l'ai reçue par hasard, peut-être grâce à ma fonction de responsable du SMSR à Faa'a. Ces relevés existent donc bel et bien. À la suite à la réception de ce document, j'ai contacté par téléphone le service médical général, dans le but d'évaluer son fonctionnement et sa réactivité, et j'ai demandé la communication de mon dossier en prévision de la présente audition. Nous avons bien discuté avec le médecin et je lui ai même envoyé ma fiche de relevé individuel pour lui prouver son existence. Je n'ai toutefois reçu aucun dossier.

Comment peut-on accepter la conduite d'études épidémiologiques sur la létalité des vétérans sans maîtrise de la base documentaire ? Ces derniers n'ont pas été informés de l'existence de cette étude épidémiologique. La durée de recueil des décès peut certes s'appuyer sur la base Insee depuis 1970, mais établir une corrélation entre l'irradiation, la contamination et les décès me semble problématique sans information préalable adéquate des principaux intéressés. Il est essentiel de noter que la majorité des vétérans sont d'anciens marins. J'utilise le terme « vétérans », car, jusqu'à 120 bâtiments étaient présents sur site dans le Pacifique et une quantité importante de marins, principalement au SMSR, étaient exposés, même lors des expérimentations souterraines. Il est donc évident que la marine a été fortement impactée. Par ailleurs, si la marine a été impliquée dans les tâches de radioprotection et de décontamination, c'est parce qu'elle possédait une expérience du nucléaire grâce aux sous-marins et avait mis en place des formations spécifiques pour le personnel.

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La première fois que j'ai abordé la question du plutonium de près, c'était à l'usine près de Cherbourg, qui retraitait les déchets nucléaires et préparait des combustibles. En vous écoutant évoquer les douches et les chocs, cela m'a rappelé les anecdotes des membres de ma famille travaillant dans cette usine. Bien que les doses qu'ils recevaient étaient probablement très inférieures aux vôtres, elles avaient des répercussions allant jusqu'à entraîner des arrêts de travail. Votre témoignage est très précis et je suis surpris de constater que, en tant que vétérans et militaires, vous bénéficiiez d'une si faible reconnaissance de la part de l'État. Vous avez initié votre intervention en mentionnant le discours du Président de la République qui vous autorise à parler aujourd'hui, grâce à l'ouverture des archives. On en déduit qu'auparavant, non seulement vous subissiez les conséquences des essais, mais vous ne pouviez même pas aborder le sujet, eu égard à votre statut de militaires ou d'anciens militaires. Mon respect à votre endroit est immense et j'espère que notre commission d'enquête pourra vous accompagner dans votre quête de justice.

Avez-vous eu l'impression, à un moment donné, que certaines informations avaient été dissimulées ? Pensez-vous que celles-ci aient totalement disparu ou qu'il existe une chance de retrouver les éléments manquants de vos dossiers médicaux ? Sommes-nous condamnés à ne jamais accéder à ces données ?

Disposons-nous par ailleurs encore de témoignages précis de gradés de l'époque, tels que les commandants de la base de Moruroa ou les commandants de bateau, qui pourraient corroborer ce que vous n'avez pas pu observer directement ? Savez-vous si certains seraient en mesure d'être auditionnés par notre commission d'enquête ? Il est essentiel pour nous de pouvoir croiser l'ensemble de ces informations afin d'alimenter notre commission d'enquête.

Vous travaillez, à l'instar du président Didier Le Gac, sur les questions de l'amiante et du nucléaire et je me retrouve moi-même confronté à ces thématiques en tant que député du port du Havre.

L'idée selon laquelle indemniser toutes les victimes coûterait trop cher vous semble-t-elle pertinente ? À mon sens, dès qu'il existe un doute, celui-ci devrait bénéficier aux malades, à qui la charge de la preuve ne devrait pas incomber. Au contraire, le mécanisme devrait être inversé.

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

Indemniser signifie reconnaître une responsabilité. Dans la loi Morin, deux notions ont été amalgamées : d'une part, la responsabilité de l'employeur, garant de la sécurité de son personnel et, d'autre part, celle de l'État, responsable de la sécurité de la population. Ainsi, on indemnise de manière identique les populations civiles exposées aux retombées et les vétérans ayant travaillé sur les sites de Moruroa, contrairement à ce qui se passe en Polynésie, où une distinction est établie. Par exemple, M. Arakino, plongeur ayant contracté une maladie radio-induite, a été indemnisé en raison de son statut de vétéran des essais nucléaires. Je n'ai, en revanche, connaissance d'aucun dossier de personnes exposées aux retombées en Polynésie ayant demandé une indemnisation en métropole. Il est essentiel de distinguer ces deux types d'indemnisation pour éviter un blocage persistant, comme cela a lieu pour l'amiante. Lors des procédures judiciaires, nous affirmons que les militaires, y compris les marins, ont signé un engagement pour défendre la nation au péril de leur vie et non pour être empoisonnés par leur employeur. Pour autant, s'il fallait le refaire, je le referai. En tant que militaires en Polynésie, nous accomplissions notre devoir. À l'époque, nos cadres étaient des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale, de l'Indochine et de l'Algérie. Il est crucial de replacer ces événements dans leur contexte historique, sans refaire ici l'histoire. Je ne suis pas sûr que la Marine avait alors une très bonne image, après Toulon, Mers el-Kébir ou Dakar. Je ne vois pas comment nos chefs militaires marins auraient pu s'opposer au général de Gaulle lors du tir le plus important, alors que celui-ci se trouvait justement sur la passerelle du De Grasse. Nous ne pouvons pas changer le passé. Nous demandons simplement que l'État, en tant qu'employeur, assume ses responsabilités. Il ne s'agit en aucun cas d'une question de profit. Il faut bien comprendre qu'actuellement, lorsque vous adressez un dossier au CIVEN, vos ayants droit ne sont pas pris en compte. Il y a deux ans, j'ai défendu le dossier d'une personne décédée quarante ans plus tôt. Si son épouse a reçu une indemnisation entre le moment de l'irradiation et celui du décès, ses deux enfants, ballottés de toutes parts, pendant que leur mère a été contrainte de trouver un emploi, n'ont reçu aucune indemnisation. Pourtant, lorsqu'un procès civil fait suite à un décès causé par un accident de la circulation, les ayants droit sont indemnisés. Dans ce cas précis, ils ne bénéficient d'aucun droit.

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Messieurs, je vous remercie pour la présentation de votre fédération et pour vos témoignages. Vous avez mentionné le nombre de 120 bâtiments de la marine potentiellement impliqués dans les opérations du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP). Je me souviens avoir vu, petite fille, le navire Jeanne d'Arc, et même être montée à bord lorsqu'il croisait en Polynésie. Ce navire se rendait-il sur les sites d'essais ?

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

La Jeanne était engagée dans une mission très particulière. Il est essentiel de comprendre que les navires ayant opéré en Polynésie ont subi des conditions extrêmement éprouvantes endommageant considérablement le matériel. La majeure partie de la flotte française se trouvait en Polynésie. Le Clémenceau a été désarmé bien avant le Foch en raison de son état de dégradation avancé. Le croiseur De Grasse était comparable au Colbert, mais le second est resté en service environ quinze ans de plus que le premier. J'ignore si la Jeanne, en tant que bateau-école, a participé à ces missions. Si nous accédons aux journaux de bord, nous le saurons.

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Les opérations menées à Fangataufa demeurent plus secrètes encore que celles de Moruroa. Avez-vous des éléments à nous communiquer sur ce sujet ?

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

Dans les années 1980, une campagne de décontamination a été menée sur Fangataufa. Les légionnaires ont créé une piste et seuls des militaires ont été envoyés sur place. Cet atoll était particulièrement contaminé, car il a subi les tirs les plus puissants. Certains camarades, qui s'y sont rendus immédiatement après les tirs, ont observé des rats qui couraient, complètement pelés.

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La FNOM entretient-elle des relations avec des associations étrangères ? Le cas échéant, échangez-vous au sujet des systèmes d'indemnisation, notamment américain et britannique ?

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

Non, ce n'est pas le cas. Notre contact quasi exclusif demeure l'Association des vétérans des essais nucléaires (AVEN). Nous collaborons avec eux pour rester informés, mais ce sont eux qui travaillent en lien avec d'autres associations. Notre mission première consiste à apporter notre soutien aux vétérans, qui sont donc nos principaux contacts, et qui eux peuvent plus facilement prouver leur présence sur site et un lien avec une maladie, qui serait radio-induite

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La mission de notre rapporteure consistera à formuler des conclusions ou des recommandations. En tant que président, bien que je ne souhaite pas outrepasser mes fonctions, je m'aperçois clairement que l'une des pistes réside dans la reconnaissance en tant que victime de chacune de ces personnes, civiles ou militaires, ayant été exposées aux essais nucléaires, et dans l'adoption de mesures appropriées, surtout cinquante à soixante ans après les faits. On pourrait ainsi envisager de faire sauter le verrou du seuil d'1 mSv concernant l'exposition, si c'est ce que vous demandez. Souhaitez-vous par ailleurs que l'ensemble des marins d'État ayant servi entre 1966 et 1974 et qui souffrent d'une des vingt-trois maladies répertoriées, soient indemnisés ?

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

Le problème du seuil d'1 mSv n'est pas le seul en cause. Se pose également la question de la justification de la présence sur le site. L'un de nos adhérents, anciennement affecté au service mixte de contrôle biologique (SMCB) de Maïna, se rendait sur les sites de Moruroa et de Fangataufa pour participer à des prélèvements, qu'il n'effectuait pas lui-même – c'était le rôle des plongeurs –, mais qu'il était chargé de récupérer, en plus du matériel utilisé. Non seulement il n'a jamais porté de film dosimètre, mais encore les archives restent inaccessibles pour justifier sa présence effective sur le site. Aujourd'hui, cette personne souffre d'un cancer des reins et de la vessie. Elle a sollicité des témoignages, mais ceux-ci lui ont été refusés. En effet, le secret s'inscrit encore au-delà de l'aspect strictement confidentiel en englobant d'autres notions dans le cadre de l'esprit militaire : ne pas compromettre son activité, sa personnalité ni ses relations avec ses supérieurs.

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Il est difficile de prouver sa présence à un certain endroit dans le cadre de la constitution d'un dossier. En ce qui concerne l'amiante, même en y parvenant, il reste difficile de prouver la réalité de l'exposition. Je souhaite donc attirer l'attention sur la question des témoignages et sur leur valeur au même titre que tout autre document. Dans l'armée, la Grande Muette, les témoignages sont plus difficiles à obtenir, ce qui rend la situation inacceptable. Vous affirmez avoir pu vous exprimer aujourd'hui grâce à la déclassification des archives. Pensez-vous que, de la même manière, certains camarades pourraient également témoigner, eu égard aux décennies qui se sont écoulées entre-temps ?

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

Lorsque vous êtes habilité au secret-défense et que vous quittez l'institution, vous signez un document valable à vie. Sans la décision du Président de la République concernant la déclassification, j'aurais été gêné de vous fournir l'ensemble des témoignages dont je vous ai fait part. Bien qu'il n'y ait pas de caractère proliférant, ces informations sont sensibles et doivent être protégées. Dans le milieu militaire, le secret est strictement conservé au sein des différentes unités, sans aucune intention machiavélique. Nous avons vécu et travaillé au sein de la population polynésienne et nos relations étaient excellentes. De nombreux mariages ont eu lieu entre militaires et Polynésiennes et des enfants sont nés de ces unions. Parmi toutes les anciennes colonies où j'ai été en poste, c'est en Polynésie que je me suis senti le mieux. J'ai d'ailleurs pleuré lorsque j'en suis parti.

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Christian Lombardo, président de la FNOM

Je pense qu'il est essentiel de comprendre que l'expression « Grande Muette » renvoie à une tradition persistante. Nous continuons à expliquer aux vétérans qu'ils n'ont pas à attaquer la Marine nationale, à laquelle ils vouent une grande loyauté, mais leur employeur. Jean-Luc Moreau aborde fréquemment le nucléaire, car il en maîtrise les enjeux. Pour ma part, je parlerai davantage de l'amiante, sujet qui a nécessité des années de lutte pour l'obtention d'avancées significatives. Je pense que pour le nucléaire, il en sera de même et qu'il faudra des années avant d'aboutir à des résultats concrets. Vous avez soulevé la difficulté d'obtenir des attestations concernant l'amiante sur les bateaux contaminés. Bien que la situation commence à se débloquer, le processus a été extrêmement long, s'agissant par exemple du secret entourant les analyses. Aucun officier ne rédige de dossier sur l'amiante, car ils respectent une certaine réserve. Il me semble impossible d'obtenir un jour une attestation d'un commandant de bateau concernant le nucléaire.

Vous avez également mentionné l'aspect financier lié aux indemnisations. La situation est dérangeante, car on a l'impression que l'on attend que les vétérans disparaissent peu à peu, et la problématique avec eux.

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Quelles sont les relations de la FNOM avec l'Aven ? Nous avons auditionné sa présidente, son ancien président ainsi que le cabinet d'avocats qui les accompagne. Vous inscrivez-vous dans la même démarche ?

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

Nous collaborons étroitement et avons adressé des lettres conjointes, notamment au ministère de la santé et au Président de la République. Cette coopération est essentielle. De nombreux marins sollicitent l'Aven pour constituer leur dossier, car ils y trouvent une expertise plus pointue alors que notre domaine d'action est plus vaste, avec une forte préoccupation actuelle pour les questions liées à l'amiante. Par ailleurs, beaucoup d'entre eux ne peuvent pas adhérer directement à notre organisation dans la mesure où ils ne sont pas officiers mariniers.

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Êtes-vous par ailleurs à la recherche d'une reconnaissance ou d'un titre ?

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

Ce qui nous importe véritablement, c'est la reconnaissance et non l'argent. Nous souhaitons éviter que seul le dernier vétéran soit honoré, comme Lazare Ponticelli pour la Grande Guerre. Je ne pense pas que l'attribution du titre de reconnaissance de la Nation représente une dépense significative. J'ai constaté que les demandes d'attribution de la médaille de la défense nationale avec l'agrafe « essais nucléaires » ont été très nombreuses, dont beaucoup de la part d'appelés et de jeunes marins qui n'ont pas fait carrière par la suite. Par ailleurs, avant que M. Hernu ne devienne ministre de la défense, les marins ne recevaient pas de médaille, car la marine n'avait pas été exposée au combat en Indochine et très peu en Algérie. Parmi nos officiers, les plus anciens avaient la médaille militaire, mais la plupart des marins n'avaient pas de distinction. Les vétérans des essais nucléaires d'avant 1983 ont donc demandé la reconnaissance et l'obtention de cette médaille. Aujourd'hui, le titre de reconnaissance de la Nation représente une distinction justifiée pour les vétérans exposés aux rayonnements ionisants. En effet, l'arme nucléaire est redoutable. Lorsque vous êtes traversé par des neutrons ou des rayonnements gamma, vous êtes irradié et donc blessé.

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J'ai posé une question écrite en ce sens au ministre et j'ai reçu une réponse rapidement. Il m'a été rappelé que les essais nucléaires ne résultaient d'aucun conflit et que, par conséquent, les vétérans des essais nucléaires n'étaient pas concernés. Nous auditionnerons le ministre des Armées en septembre et nous lui poserons peut-être la question.

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

Les vétérans qui ont participé aux expérimentations dans le Sahara entre 1960 et 1962, c'est-à-dire pendant la guerre d'Algérie, ont obtenu le titre de reconnaissance de la Nation. En revanche, ceux qui ont servi de 1962 à 1965, sur les mêmes sites et qui ont accompli les mêmes tâches, n'en ont pas bénéficié.

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Vous avez tout à l'heure évoqué la question des tirs de sécurité, quand la bombe n'explose pas. En tant que député normand, je connais bien le sujet car des obus n'ayant pas explosé, nous en trouvons à chaque fois que l'on creuse tant la région a été bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale, surtout dans la zone industrielle du Havre dont je suis député. Si je comprends vos propos, une bombe qui tomberait par accident d'un avion, tel un Mirage ou un Rafale, sans exploser, on la laisserait ainsi se dégrader ? Son enveloppe se détériorerait, disséminant du plutonium dans la nature sans que l'on fasse quoique ce soit ? Car de nos jours, en cas d'alerte, les avions décollent avec ces bombes à bord, même s'ils ne les utilisent pas. Si une bombe venait à se décrocher, elle ne provoquerait pas d'explosion, mais elle disperserait du plutonium dans l'environnement, est-ce bien ce que je dois comprendre ?

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Christian Lombardo, président de la FNOM

C'est pour cette raison que, lorsque les Américains ont perdu une bombe atomique au large de l'Espagne, il y a environ trente ou quarante ans, ils ont mobilisé tous les moyens possibles pour la récupérer. En effet, tout ce qui tombe dans l'eau finit par se dégrader. Même les fûts contenant des déchets radioactifs, immergés dans des zones profondes, seront un jour attaqués par l'eau de mer et ces fûts libéreront leur contenu. Les quantités de plutonium dans les atolls seront peut-être alors bien plus importantes.

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Ma prochaine question revêt un caractère quel peu candide : un essai nucléaire est-il selon vous comparable à une bombe ? Le risque nucléaire en Polynésie française vous semble-t-il avoir été maîtrisé et expliqué ?

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Jean-Luc Moreau, conseiller spécial de la FNOM

Une arme nucléaire est une arme de destruction massive. Elle représente l'arme ultime qui assure notre sécurité, ce dont nous étions bien conscients. À l'exception de morts accidentelles, nous n'avons déploré aucun décès direct causé par l'action de l'atome. L'arme était maîtrisée et les dispositions de sécurité ont été prises. Il faut se souvenir que, dans les années 1960, les Russes, les Américains et les Anglais ne nous ont pas fourni beaucoup d'informations. Il nous a fallu tout découvrir par nous-mêmes. Les explosions nucléaires nous ont permis de mettre au point les analyses de besoins et analyses de compétences qui nous seraient aujourd'hui utiles en cas d'attaque. Si un ennemi venait à nous envoyer une arme nucléaire, nous devrions être capables de déterminer la zone de danger et le risque encouru pour les populations. Ainsi, toute expérience liée au nucléaire nous est encore utile, même à titre civil. J'ai quitté l'institution en 1994 ou 1995. Régulièrement, nous effectuions des simulations d'explosion nucléaire sur le territoire national. Aujourd'hui, qui pourrait affirmer que Toulon ne sera jamais touché par une arme nucléaire ? Les connaissances dont nous disposons ne pouvaient être acquises que par l'expérimentation.

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Vous affirmez que la France a appris par l'expérimentation et que très peu d'échanges ont eu lieu avec les États étrangers déjà avancés dans leurs connaissances du nucléaire. Le choix des sites est tout de même significatif, puisque les essais ont été effectués très loin du territoire hexagonal. On peut légitimement s'interroger sur cet éloignement. Faut-il chercher un lien avec l'état des connaissances qui, selon vos dires, était très limité ?

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Christian Lombardo, président de la FNOM

J'aurais tendance à dire, madame la rapporteure, que vous avez joué de malchance. Si l'Algérie était restée française, les essais auraient continué dans le Sahara. Il a fallu trouver un autre site et effectivement, aucun emplacement ne s'y prêtait en France métropolitaine. Je ne crois pas que la Polynésie ait été choisie volontairement en raison de son éloignement, mais simplement parce qu'elle représentait la solution la plus pratique à l'époque.

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Je suis solidaire de nos frères algériens qui n'ont rien demandé non plus. Toutefois, selon moi, le type de bombes utilisé pour les essais en Polynésie augmentait significativement le niveau de risque, puisque l'on passait de la fission à la fusion thermonucléaire. Si les essais avaient été maintenus dans le Sahara, le rayon d'incidence aurait potentiellement impacté à la fois l'Afrique du Nord et le sud de l'Europe. Il s'avérait donc certainement nécessaire de trouver un site plus éloigné, que l'Algérie soit en guerre ou non, qu'elle devienne indépendante ou non.

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Christian Lombardo, président de la FNOM

Je suis entièrement d'accord avec vous. Une montée en puissance s'est produite en raison de la nécessité de créer de nouvelles bombes. Effectivement, l'Afrique aurait été impactée à un moment donné, de la même manière que la Polynésie. Les connaissances de l'époque étaient si limitées qu'il a fallu attendre la présidence de Jacques Chirac pour observer des avancées en électronique et en informatique significatives et pour pouvoir se contenter de simuler les essais. Cela n'excuse rien, bien entendu.

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Nous vous remercions et vous invitons à nous transmettre tous les documents que vous jugerez pertinents pour éclairer les membres de la Commission sur les conséquences des essais nucléaires.

La séance est levée à 19 heures 05

* * *

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Nadège Abomangali, M. Xavier Albertini, M. Hendrik Davi, M. José Gonzales, M. Philippe Gosselin, Mme Claire Guichard, M. Didier Le Gac, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Mereana Reid Arbelot.

Excusée. – Mme Mélanie Thomin.