La commission, réunie en commission d'évaluation des politiques publiques, procède à l'audition de M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics.
L'ordre du jour appelle l'examen des politiques publiques relatives à la mission Engagements financiers de l'État, au compte d'affectation spéciale (CAS) Participations financières de l'État et au compte de concours financiers Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics.
Nous procéderons dans un premier temps à une discussion centrée sur l'exécution budgétaire 2023, avant d'aborder dans un second temps les deux thèmes d'évaluation qui ont été retenus par les rapporteurs spéciaux.
Il me revient de vous présenter le bilan de l'exécution 2023 de la mission Engagements financiers de l'État, ainsi que du CAS Participations financières de l'État. Ces missions et leurs programmes respectifs jouent un rôle important dans le soutien de notre économie et le financement des actions de l'État.
La mission Engagements financiers de l'État est composée de sept programmes budgétaires, dont deux à crédits dits évaluatifs. Elle assure le financement de l'État en toutes circonstances et dispose des instruments financiers nécessaires au bon fonctionnement économique du pays.
Les programmes à crédits évaluatifs, à savoir le programme 117 Charge de la dette et trésorerie de l'État et le programme 114 Appels en garantie de l'État, représentent l'essentiel des crédits de cette mission.
Hors programmes à crédits évaluatifs, 98,05 % des crédits de paiement (CP) ont été consommés en 2023, avec un taux relativement homogène sur l'ensemble des programmes concernés, à l'exception du programme 336 Dotation du Mécanisme européen de stabilité, qui n'a pas enregistré de dépenses cette année.
Je relèverai quelques points d'attention par programme.
Le programme 117 Charge de la dette et trésorerie de l'État a pour objectif de gérer la dette de l'État et sa trésorerie au mieux des intérêts des contribuables et dans les meilleures conditions de sécurité. Les crédits évaluatifs alloués à ce programme étaient de 50,8 milliards d'euros dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2023. La loi de finances de fin de gestion du 30 novembre 2023 a ouvert 3,8 milliards d'euros de crédits supplémentaires, portant les ressources à 54,7 milliards d'euros. Cette révision était motivée par la hausse des taux d'intérêt à court terme en raison, d'une part, d'une révision de la charge nette d'intérêts sur les bons du trésor à taux fixe (BTF) de + 2,8 milliards d'euros et, d'autre part, d'une inflation plus élevée que prévu, ce qui a conduit à réviser en hausse la charge d'indexation du capital, soit + 1,8 milliard d'euros.
Des recettes de trésorerie plus dynamiques qu'attendues, avec + 1,1 milliard d'euros, sont venues compenser partiellement ces deux effets. Finalement, le montant des crédits consommés en 2023 s'inscrit dans la ligne des prévisions de la loi de fin de gestion, à 53,9 milliards d'euros.
La LFI de 2024 prévoyait une nouvelle augmentation des taux longs, à 3,5 %. Malgré la volatilité actuelle, le scénario a été légèrement révisé à la baisse par le programme de stabilité 2024 et nous anticipons désormais un taux d'intérêt de long terme à 3,2 % en fin d'année.
Enfin, la charge de la dette devrait diminuer de 3,4 milliards d'euros entre 2023 et 2024, principalement grâce à un repli de l'inflation cette année.
S'agissant du programme 114 Appels en garantie de l'État, en 2023, 1,67 milliard d'euros a été consommé en autorisations d'engagement (AE) et en CP, pour 2,1 milliards d'euros de crédits ouverts, soit un taux d'exécution de 79,59 %. La majeure partie des dépenses a concerné les prêts garantis par l'État (PGE), lesquels représentent 88,3 % des dépenses du programme.
Depuis le début du dispositif des PGE, 804 254 prêts ont été distribués à 686 273 entreprises pour un montant total de 145 milliards d'euros, dont 58,4 % ont été remboursés. Le taux de sinistralité définitif reste soumis à des évolutions de conjoncture difficiles à anticiper jusqu'en 2028. La dernière modélisation de la Banque de France anticipe un taux de pertes brutes de 4,25 %, soit 6,15 milliards d'euros. Elles seront en partie compensées par les primes perçues, ce qui réduira in fine le coût net pour l'État. Les pertes nettes des PGE sont ainsi estimées à 3,3 milliards d'euros, soit seulement 2,29 % du total.
Les autres programmes de la mission ont également obtenu des résultats notables.
Le programme 145 Épargne accompagne des instruments de financement du logement ayant un impact budgétaire. Avec un taux d'exécution de 99,2 %, la consommation des crédits en 2023 a été quasiment égale à ceux ouverts et sensiblement supérieure à l'exécution 2022. La dynamique des dépenses, liées aux paiements des primes d'épargne-logement, a nécessité un abondement de 14,2 millions d'euros en cours de gestion.
Cette hausse du versement des primes résulte notamment de l'évolution des conditions de marché. Depuis quelques années, dans un contexte de taux bas, les taux des prêts adossés aux plans d'épargne-logement (PEL) étaient peu compétitifs par rapport à ceux des crédits bancaires, ce qui expliquait le désintérêt des épargnants pour les premiers.
Le programme 344 Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque vise, quant à lui, à faciliter le remboursement des emprunts toxiques souscrits par les collectivités locales ou à alléger leur charge d'intérêts. Son taux d'exécution est de 99,99 %. Grâce à ce fonds, plus de 178,4 millions d'euros ont été versés pour aider les collectivités territoriales et les établissements éligibles. Depuis 2017, la dépense annuelle varie entre 175 et 190 millions d'euros. L'extinction du fonds est prévue pour le 31 décembre 2028.
Doté de 32 millions d'euros en LFI 2023, le programme 336 Dotation du Mécanisme européen de stabilité n'a enregistré aucune dépense en 2023. Les dépenses sont en effet limitées à la rétrocession des intérêts négatifs perçus par les banques centrales sur les dépôts du MES, laquelle était conditionnée à celle des autres États participants et n'a pas eu lieu en 2023.
J'en viens désormais à l'exécution 2023 de la mission Participations financières de l'État, dont l'essentiel de l'activité relève du compte 731 Opérations en capital intéressant les participations financières de l'État. Ce compte a été doté de 10,5 milliards d'euros par la loi de finances initiale, auxquels s'ajoute le report de 6,7 milliards d'euros au titre du solde de gestion de 2022, pour une dépense finale de 8,9 milliards d'euros – soit un taux d'exécution de 52 %.
Ce taux s'explique principalement par une programmation initiale fondée sur une hypothèse haute du niveau de dépenses. Au bout du compte, celles-ci ont été moins élevées que prévu, d'autant que la prolongation de l'offre publique d'achat simplifiée (OPAS) d'EDF a elle-même été financée grâce au report du solde de 2022 sur 2023.
Le niveau de consommation du CAS, soumis à de fortes fluctuations d'une année sur l'autre, résulte de la nature même de l'activité de l'Agence des participations de l'État (APE). Celle-ci intervient pour soutenir ses participations ou investit dans des entreprises privées, dans des conditions de marché par nature difficilement prévisibles. Cette activité s'accommode donc mal du principe d'annualité budgétaire, comme nous l'avons vu entre 2022 et 2023 avec l'opération EDF. Nous le verrons sans doute entre 2024 et 2025, avec une opération Atos dont on ne sait pas si elle se déroulera cette année ou l'année prochaine – et qui n'était, du reste, pas du tout certaine jusqu'à la fin de l'année 2023.
C'est cette particularité qui explique la sous-consommation des crédits ouverts et donc l'importance des reports d'une année sur l'autre. Ces reports sont consubstantiels à l'activité d'investisseur de l'État. Ils sont également nécessaires pour pouvoir sécuriser d'une année sur l'autre l'exécution de nos opérations, en cours ou en préparation.
Les opérations réalisées incluent notamment : la poursuite de l'OPAS d'EDF pour 5,2 milliards d'euros ; l'achat d'actions EDF à Bpifrance pour 92,2 millions d'euros, afin de concentrer la participation de l'État dans EDF au sein d'un portefeuille unique ; la participation au financement des opérations en fonds propres au titre des programmes d'investissements d'avenir (PIA) – notamment le PIA 4 France 2030 – pour 1,99 milliard d'euros ; le renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement (AFD) pour 150 millions d'euros ; l'accompagnement du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) dans sa stratégie de restructuration pour 290 millions d'euros ; la poursuite des engagements financiers de l'État au sein de la Société pour le logement intermédiaire (SLI) pour 156 millions, afin de financer à l'horizon 2025 environ 10 500 logements intermédiaires dans des bassins d'emplois tendus ; la participation de l'État au fonds Aéro et au fonds France nucléaire, avec 38 millions d'euros ; et, enfin, la poursuite du soutien à la filière nickel, pour 60 millions d'euros.
En effet, afin d'assurer la continuité d'exploitation de la Société Le Nickel (SLN) pour l'année 2023 dans un contexte financier délicat et de permettre à l'État d'élaborer une stratégie à long terme pour le nickel en Nouvelle-Calédonie avec un modèle rentable et pérenne pour l'entreprise, l'État a accordé, par une décision prise le 9 février 2023 par le ministre chargé de l'économie et des finances, un prêt direct à cette société à la date du 10 février 2023 pour un montant maximum de 60 millions d'euros. Deux tirages sont intervenus au cours de l'année, l'un de 40 millions d'euros en mars, le second de 20 millions d'euros en août.
Enfin, le programme 732, destiné à retracer les contributions au désendettement de l'État, n'a pas enregistré de cessions de participations depuis 2020 en raison des conditions de marché défavorables. Malgré ce contexte, l'État poursuit une trajectoire d'apurement de la dette née de la crise sanitaire, avec des remboursements prévus jusqu'en 2042. En 2023, 6,6 milliards d'euros ont été versés à la Caisse de la dette publique (CDP).
En conclusion, les missions Engagements financiers de l'État et Participations financières de l'État ont respectivement permis de gérer efficacement notre dette publique et de soutenir des secteurs stratégiques de notre économie.
Les dépenses de la mission Engagements financiers de l'État retracent, pour l'essentiel, la charge de la dette. Il s'agit de dépenses stériles pour les Français, qui ne concourent pas aux services publics ni au soutien des ménages les plus modestes.
Ces charges servent à rémunérer des investisseurs – dont on connaît d'ailleurs trop mal la nationalité et la nature – pour un endettement devenu chronique. Celui-ci finance trop souvent l'accumulation des dépenses d'intervention, de personnel et de fonctionnement plutôt que des investissements utiles aux générations futures. Ces crédits pourraient être mieux employés, en particulier au regard des importantes économies désormais nécessaires et du mur d'investissements qui nous attend.
La fiche d'exécution qui est à votre disposition montre que les dépenses de la mission se sont établies à 62,4 milliards d'euros en 2023, soit un niveau sans précédent. Il s'agit du deuxième poste de dépenses de l'État après l'enseignement scolaire. La France consacre au paiement des intérêts de sa dette un montant plus important qu'à ses armées.
Ces dépenses ont de nouveau connu une forte progression par rapport à l'année précédente, avec 8,1 milliards d'euros supplémentaires. Cette hausse s'est avérée supérieure de 2,1 milliards d'euros à celle anticipée en loi de finances pour 2023, ce qui a conduit à des ouvertures de crédits en cours d'année. En définitive, en tenant compte de la hausse exceptionnelle constatée en 2022, les dépenses de la mission ont progressé de 62,5 % en deux exercices.
Quelles sont les raisons de cette forte hausse ? L'exécution de la mission est trop complexe pour être décrite en trois minutes. Je veux cependant insister sur deux points.
Premièrement, les années 2022 et 2023 ont été marquées – comme je n'avais pas manqué d'en souligner le risque – par les conséquences de l'inflation sur l'encours de dette indexée de l'État. La provision pour charge d'indexation du capital des obligations assimilables du Trésor indexées sur l'inflation (OATi) et des OAT indexées sur l'indice des prix de la zone euro (OAT€i) s'est élevée à 15,8 milliards d'euros en 2023, après 15,5 milliards d'euros en 2022. Ces niveaux sont sans commune mesure avec ceux des années antérieures.
Après une forte sous-évaluation initiale en 2022, le coût de l'indexation des OAT a encore été sous-estimé de près de 2 milliards d'euros en loi de finances pour 2023. Cela montre à tout le moins que le Gouvernement n'avait pas pris pleinement la mesure du choc d'inflation que nous avons traversé et du risque budgétaire associé à la dette indexée.
Deuxièmement, la hausse des taux d'intérêt souverains devrait conduire les crédits de la mission à poursuivre leur progression et, selon le Gouvernement, à dépasser les 70 milliards d'euros dès 2026. Hors contributions au CAS Pensions, il s'agirait, dès 2025, du premier poste de dépenses de l'État.
Voilà, monsieur le ministre, quel sera votre bilan dans l'hypothèse la plus optimiste. Dans ces conditions, et alors que l'environnement international s'avère chaque année plus incertain, la France ne sera plus armée pour faire face aux nouvelles crises qui ne manqueront pas de survenir.
J'en viens à mes questions. Pourquoi ne pas mettre fin, comme la Cour des comptes vous y invite, à l'isolement artificiel de la dette dite covid, lequel est source de confusion et d'illisibilité budgétaire tout en aggravant le déficit de l'État ?
À la fin de l'année dernière, l'Allemagne a annoncé qu'elle n'aurait plus recours à la dette indexée parce que cela était toxique et dangereux. Lors de son audition il y a une semaine par la commission d'enquête sur la croissance de la dette française, le président de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) a indiqué qu'il fallait être fou pour continuer à recourir à la dette indexée après ce qui s'est passé.
Il a levé les yeux au ciel et nous a très clairement fait comprendre la chose.
Pourquoi continuer à contracter de la dette indexée après ce qui s'est passé et quand on sait que cela pose problème en période de crise ?
Nous avons souhaité isoler le montant de la dette lié au choc externe de la covid parce qu'il nous semblait que c'était plus clair. Il ne s'agit pas de la cacher ou de ne pas la rembourser mais, bien au contraire, de rendre tout à fait lisible l'effet de cette crise sur nos finances publiques.
Une dotation annuelle à la CDP permet d'amortir le montant de 165 milliards d'euros de cette dette sur vingt ans, de 2022 à 2042. Deux versements sont déjà intervenus, au 31 décembre 2023, pour un montant total de 8,4 milliards d'euros, ce qui ramène le montant à amortir à 156,5 milliards d'euros. Nous n'avons pas donné suite à la recommandation de la Cour des comptes et avons préféré maintenir le programme, car la crise a pesé sur notre endettement. Il est plus clair d'isoler cette dette, que nous continuons naturellement à rembourser et amortir.
S'agissant des obligations indexées sur l'inflation, nous considérons que ces instruments permettent à l'État, émetteur de gros volumes de dette, d'élargir et de diversifier le nombre des investisseurs. Certains sont intéressés par ces produits et nous avons pour objectifs d'avoir un panel très large d'investisseurs et de répondre à leurs demandes. Nous sommes en mesure d'offrir ces produits. Cela permet aussi de limiter les risques auxquels la dette de l'État est exposée. Le coût lié à l'indexation des obligations baisse cette année par rapport à l'exercice précédent en raison du reflux de l'inflation.
Je me bornerai à quelques remarques et questions sur le CAS Participations financières de l'État.
Le projet annuel de performances (PAP) pour 2023 assignait deux objectifs au programme 731 Opérations en capital intéressant les participations financières de l'État, qui constitue le cœur du CAS : « veiller à l'augmentation de la valeur des participations financières », d'une part, et « assurer le succès des opérations de cessions des participations financières », d'autre part.
Le premier objectif était assorti de trois indicateurs : « rentabilité opérationnelle des capitaux employés » (Roce) ; « suivi et maîtrise de l'endettement » ; « taux de rendement de l'actionnaire ». Pour les deux premiers indicateurs, il n'y a ni cible ni indication de la réalisation. Le troisième est partiellement renseigné – sans cible. Ce n'est pas satisfaisant.
Le second objectif était assorti de deux indicateurs : « écart entre recettes de cessions et valeur boursière des participations cédées » et « taux des commissions versées par l'État à ses conseils ». Aucune cible ni aucun résultat ne figure dans le rapport annuel de performances (RAP) pour ces deux indicateurs. Là encore, ce n'est pas satisfaisant.
Si le Gouvernement estime qu'il lui est impossible de fournir des prévisions pour l'année en cours et de fixer des cibles pour l'année à venir, pourquoi ne pas refondre la maquette de performance pour substituer d'autres indicateurs à ceux actuellement non renseignés, ce qui permettrait de déterminer dans quelle mesure les objectifs assignés au programme 731 sont atteints ?
Je profite enfin de l'occasion pour évoquer l'actualité. Il y a quelques mois, notre commission a adopté un amendement présenté par Olivier Marleix et moi-même qui proposait la nationalisation provisoire d'actifs stratégiques du groupe Atos. Le Gouvernement nous a opposé une fin de non-recevoir en ne retenant pas cet amendement lorsqu'il a fait adopter le projet de loi de finances grâce à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. La situation de ce groupe ne s'est pas arrangée et il semble que le Gouvernement a changé d'avis.
En effet, par une lettre d'intention il a fait savoir son intérêt pour acquérir trois des activités exercées par la division Big Data & Security (BDS) d'Atos. Ce matin, Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a annoncé sur la chaîne CNews qu'il souhaitait également acquérir l'activité exercée par la filiale Worldgrid – celle-là même que nous avions proposée par l'amendement adopté par notre commission en novembre dernier de nationaliser.
Monsieur le ministre délégué, pouvez-vous préciser à la représentation nationale quelles sont vos intentions vis-à-vis du groupe Atos ?
Atos est la neuvième société mondiale de services informatiques. C'est un fleuron de notre pays. Nous ne comprenons pas que le Gouvernement demeure silencieux face aux deux offres proposées. L'une est française et elle propose de conserver l'intégrité du groupe et sa capacité à investir pour l'avenir. L'autre offre est étrangère et elle se traduira très certainement par de très importantes ventes d'actifs, et donc par un démantèlement du groupe. Le Gouvernement ne peut rester muet tant les enjeux de souveraineté informatique et numérique sont importants.
Nous avons toujours défendu une forme de stabilité des indicateurs de performance, ne serait-ce que pour suivre les politiques publiques que nous menons et en évaluer l'efficacité. Changer trop souvent la maquette conduirait à une discontinuité des indicateurs qui affaiblirait la capacité d'analyser les résultats de l'action de l'exécutif – y compris pour le Parlement.
Pour un certain nombre des indicateurs que vous avez mentionnés, il n'est pas possible de fixer des objectifs – c'est, par exemple, le cas des indicateurs boursiers. Pour d'autres, ces objectifs sont disponibles un peu tardivement. Mais ces indicateurs restent pertinents au regard des missions de l'APE.
S'agissant d'Atos, le Gouvernement a tout d'abord décidé, grâce à la lettre d'intention que vous avez évoquée, de se donner la possibilité d'acquérir les activités de souveraineté.
Nous accompagnons l'ensemble du groupe grâce aux équipes spécialisées du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri). Bruno Le Maire s'est récemment exprimé au sujet de Worldgrid – qui produit notamment les systèmes de contrôle de nos centrales nucléaires – et il a souhaité que sa reprise soit réalisée par EDF ou par une entité agréée par cette dernière. Cette reprise ne doit pas être opérée directement par l'État, comme c'est le cas pour les activités de souveraineté qui sont citées par la lettre d'intention.
Notre objectif global est de soutenir le groupe dans son intégralité, d'une part, en mobilisant les équipes de Bercy et en acquérant les activités souveraines, d'autre part, en accompagnant les activités très directement liées à celles d'EDF.
Entre 2019 et 2023, la France a été l'un des pays de la zone euro dont la dette a le plus augmenté, passant de 97 % du PIB au moment de la crise sanitaire à plus de 110 % en 2023. Dans sa dernière analyse sur les pays de la zone euro, l'agence de notation Standard and Poor's épingle d'ailleurs certains pays, dont la France, qui ont « une dette élevée stagnante ».
La France est également bien au-dessus de la moyenne des Vingt-Sept, avec une dette qui dépasse les 110 % de son PIB, soit plus de 3 000 milliards d'euros. À la fin de 2024, elle sera le troisième pays le plus endetté en Europe.
Cette situation a conduit le groupe Les Républicains à demander la création d'une commission d'enquête visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis l'élection présidentielle de 2017 et ses conséquences sur le pouvoir d'achat des Français.
Alors que nous avions connu un alourdissement de la charge des intérêts de la dette en 2023, le décret d'annulation du 21 février dernier a annulé 800 millions d'euros sur le programme 117 Charge de la dette et trésorerie de l'État et 100 millions d'euros sur le programme 114 Appels en garantie de l'État – lequel concerne notamment les PGE. Quelques mois après la publication de ce décret, votre évaluation est-elle toujours d'actualité ? A-t-elle été revue pour 2024 ?
Le 31 mai prochain, l'agence Standard and Poor's va réviser sa notation de la France, sa dernière décision datant du 2 juin 2023. Avez-vous estimé l'effet d'une dégradation sur les engagements financiers, sur la charge de la dette et sur les taux d'intérêt ?
Vous avez répondu au rapporteur spécial Kévin Mauvieux que le recours à des emprunts indexés répondait à deux objectifs. Je suis d'accord avec le premier, qui vise à diversifier les sources de financement. En revanche, je suis un peu choquée de vous entendre dire que la décision de recourir à ces emprunts fait suite à des propositions des investisseurs. Ce n'est donc pas forcément l'intérêt du pays qui est retenu, mais le leur. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce point ?
Contrairement à ce que l'on a pu lire ou entendre, la dette n'a pas augmenté de 1 000 milliards d'euros depuis 2017. Cette estimation s'appuie sur un raisonnement en euros courants.
L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a publié hier une étude très intéressante. Elle estime que l'évolution du montant de la dette s'élève plutôt à environ 350 milliards d'euros si l'on se réfère au PIB en euros constants. Cela représente une augmentation de 12 % sur la période 2017-2023.
Cette hausse correspond à un certain nombre de politiques protectrices, tant lors de la crise du covid que de la crise de l'énergie – et je crois que nous avons bien fait de les mener. Le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap) a d'ailleurs estimé que notre dette aurait été bien plus élevée si nous ne l'avions pas fait.
Je rappelle que, lors de la précédente grande crise qui a frappé le pays, l'augmentation de la dette avait été de 26 % entre 2007 et 2012 et s'était accompagnée d'une aggravation du chômage – ce qui n'a pas été le cas depuis 2019.
En effet, monsieur le rapporteur général.
Nous n'avons pas revu les hypothèses de taux depuis le programme de stabilité.
Il est toujours difficile d'évaluer les conséquences des analyses des agences de notation et je ne m'y aventurerai pas. En revanche, un grand nombre d'investisseurs analysent quotidiennement la situation du pays et notre capacité à faire face aux échéances. Pour ce faire, ils utilisent ou non les travaux de ces agences.
Pour ce qui est des obligations indexées sur l'inflation, je clarifie mon propos : nos produits, pour être aussi recherchés qu'ils le sont, doivent correspondre aux attentes des investisseurs : c'est la loi de l'offre et de la demande. Nous devons donc proposer une gamme variée de produits pour intéresser des investisseurs nombreux, avec des profils différenciés, et pour que notre dette soit liquide et diversifiée. Si nous émettions des produits qui n'intéressaient pas les investisseurs, nous aurions du mal à les placer ou nous devrions le faire à des taux nettement plus élevés. Je ne suis donc pas choqué par l'idée qu'il faut aussi écouter les investisseurs. C'est dans ce sens que j'ai présenté tout à l'heure les OATi.
Je m'exprimerai aussi au nom du groupe Renaissance.
Je tiens tout d'abord à saluer le pilotage de la dette, même si l'exécution est supérieure aux prévisions de la loi de finances initiale. Je salue également les fonctionnaires de l'Agence France Trésor (AFT) – à la différence d'une de nos collègues dont la réaction est révélatrice de son mépris.
Pour ce qui concerne les OATi, il y a de quoi désespérer : audition après audition, expert après expert, personne ne dit que 100 % de nos emprunts doivent être souscrits en OAT nominales, mais vous revenez systématiquement à la charge. M. le ministre a expliqué très clairement qu'il s'agit ici de l'offre et de la demande et qu'on ne peut pas contraindre les investisseurs. Quand on cherche 285 milliards d'euros sur le marché, on ne peut pas fixer les règles du jeu. Le principe consistant à nier la réalité du marché me surprend.
Alors que nous savons que l'inflation va baisser, diriez-vous à la France de ne pas souscrire d'emprunts indexés, alors qu'il nous coûterait plus cher de ne pas le faire ? Historiquement, les OAT indexées ont eu un effet très favorable les années où l'inflation a été très faible, et la conjoncture est actuellement moins défavorable à cet égard.
À propos des PGE, nous avons entendu beaucoup de choses, par exemple qu'il fallait en suspendre le paiement et que les entreprises n'étaient pas capables de les rembourser. Je constate au contraire que ce programme était nécessaire, qu'il a sauvé le tissu industriel de notre pays et que les entreprises remboursent avec un taux de sinistralité inférieur aux prévisions.
Enfin, la baisse de recettes du CAS PFE correspond-elle à des acquisitions prévues et qui n'ont pas eu lieu, ou seulement à une réserve dont nous disposions en début d'année sans avoir identifié les opérations correspondantes ?
La non-utilisation d'une partie du CAS PFE tient en effet à ce que certaines opérations prévues n'ont pas eu lieu. Ce compte se marie mal avec le principe de l'annualité budgétaire, et c'est ce qui explique la sous-exécution et les reports. Les opérations peuvent glisser d'une année sur l'autre, comme celle que j'évoquais à propos d'Atos et dont je ne sais pas si elle interviendra cette année ou l'année prochaine, ou comme c'est également le cas pour EDF. Nous pouvons prévoir des opérations qui n'ont finalement pas lieu. La construction du PLF repose sur des hypothèses et il est difficile de coller aux prévisions, car nous devons ensuite tenir compte de la situation du marché et des opportunités, voire de la situation économique générale des entreprises concernées.
Aucun économiste ni aucune personne sérieuse ne remet en cause le recours aux obligations indexées sur l'inflation, avez-vous dit. Vous n'êtes donc plus un allié de l'Allemagne ou, du moins, vous dénigrez ce pays, qui a annoncé fin 2023 qu'il renonçait à ces obligations parce qu'elles étaient trop chères, qu'elles étaient toxiques et que le surcoût qu'elles sont susceptibles d'engendrer tombait au mauvais moment.
Voyons, par les chiffres, si les OATi sont si avantageuses lorsque l'inflation reflue : la France émet des OATi depuis 1999, et cela est tellement avantageux qu'après deux ans d'inflation en 2022 et 2023, cela nous a coûté au total 10 milliards d'euros depuis 1999 ! Qui plus est, ce coût intervient en pleine crise, au moment où nous avons besoin de ces sommes pour protéger le pouvoir d'achat des Français et pour mener des politiques qui permettent de traverser la crise. Je confirme donc qu'il faudrait arrêter de recourir aux OATi et utiliser les autres instruments financiers dont nous disposons, qui présentent de très bons taux de couverture et qui nous procureraient des liquidités.
M. le rapporteur général s'étant aussi exprimé au nom du groupe Renaissance, nous en venons aux orateurs des autres groupes.
Il est inquiétant que les engagements financiers de l'État, si on y ajoute la carte magouille de la dette liée à la covid, est déjà le premier budget de l'État. L'addition des deux représente un total de 60,4 milliards d'euros pour 2023, chiffre juste supérieur au budget de l'enseignement scolaire – qui est, de mémoire, de 59 milliards d'euros. Les prédictions déjà très néfastes selon lesquelles le coût de la dette serait le premier budget de l'État d'ici à 2027 sont donc déjà réalisées.
Monsieur le ministre, comment allez-vous remédier à l'étouffement du budget si ces engagements augmentent chaque année ? Quelles économies allez-vous provisionner en plus des autres économies nécessaires pour au moins ramener le déficit à 3 % – je n'ose même pas imaginer que nous pourrions un jour avoir un excédent ? Nous sommes inquiets des décisions qui seront prises après le 9 juin.
Je n'ai pas trouvé votre explication de l'isolement de la dette covid assez pertinente pour justifier que vous passiez outre les observations de la Cour des comptes. Vous dites d'ailleurs aux Français que la dette coûte 54 milliards d'euros, alors qu'en réalité, elle coûte 60 milliards d'euros. Cela manque de transparence et nos compatriotes ne reçoivent pas une bonne information.
Je souscris à l'observation de la présidente selon laquelle vous vous soumettez aux demandes des investisseurs, qui semblent l'emporter sur l'intérêt du contribuable. Nos émissions sont largement couvertes, avec des taux de couverture souvent supérieurs à 150 %. Avec 50 points d'avance, donc, non seulement nous satisfaisons les investisseurs, mais nous leur donnons des gages bien supérieurs à ce que le marché pourrait supporter.
On pourrait donc améliorer la gestion et, au vu des résultats, je ne salue pas du tout celle de l'Agence France Trésor. Il suffirait que nous proposions des conditions de financement de la dette permettant un taux de couverture de 100 % et je ne vois pas d'intérêt à en proposer de si avantageuses qu'elles se traduisent par ce taux de 150 %.
Pour faire face à l'étouffement du budget, la première chose à faire est de ne pas suivre votre programme qui correspond à une aggravation du déficit et à un accroissement de la dette. Vous le savez très bien, exonérer tous les moins de 30 ans de l'impôt sur le revenu, nationaliser les autoroutes et pratiquer des baisses massives de TVA se traduirait par 100 milliards d'euros de déficit en plus.
Nous allons ramener le déficit à 5,1 % cette année, et nous nous sommes d'ailleurs exprimés ici même à ce propos avec Bruno Le Maire. Nous avons pris – ce qui ne s'était jamais fait – un décret de réduction de 10 milliards d'euros de la dépense de l'État et allons poursuivre cet effort de l'État, avec notamment une baisse de 5 milliards d'euros supplémentaires en mobilisant la réserve de précaution et en nous appuyant sur les travaux menés par les députés de la majorité avec le rapporteur général pour déterminer des recettes complémentaires. Certaines recettes n'ont pas été au rendez-vous, comme la contribution sur la rente inframarginale (Crim) de la production d'électricité. Un travail doit également être mené avec les collectivités territoriales pour atteindre cet objectif de 5,1 % de déficit. Au moment du débat sur les textes financiers, cet automne, nous fixerons un objectif de déficit de 4,1 %. Nous avons déjà eu l'occasion de débattre de cette trajectoire lors de la présentation du programme de stabilité.
Pour ce qui est des OATi, votre position est terriblement paradoxale. Vous dites que vous ne recherchez pas l'intérêt des investisseurs, mais celui des contribuables et des Français, or l'intérêt de ces derniers est que nous émettions la dette la moins chère possible, ce qui suppose que les investisseurs soient nombreux, largement répartis, et que nous leur proposions des produits qui répondent à leurs demandes. Votre idée de resserrer progressivement la base des investisseurs afin qu'ils soient à 100 % français se traduirait par une dette beaucoup plus chère. Nous avons besoin d'investisseurs diversifiés. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre dette est liquide et peu chère. Je salue à ce propos le travail de toutes les équipes de l'AFT.
On sait depuis 2008 qu'il n'est pas bon de souscrire de la dette indexée sur l'inflation – même des gens qui travaillent à la Banque de France le confirment et le fait que notre voisin allemand fasse le choix inverse devrait nous alerter.
Deuxièmement, si le niveau de la dette est élevé, il n'est pas pour autant démesuré. Je remarque d'ailleurs que, pour la première fois, vous utilisez le ratio de la dette sur le PIB pour expliquer que le niveau de cette dette n'est pas si inquiétant. Lors de la dernière levée de bons, la demande était deux fois plus élevée que l'offre, ce qui montre bien que nous n'avons pas de problème pour financer notre dette.
Quant à la diversification, il ne faut pas tenir deux discours en même temps. On entend souvent déplorer que notre dette n'est détenue qu'à moitié par des créanciers français, ce qui nous rendrait vulnérables à l'international, à la différence de la dette japonaise, bien plus élevée, mais détenue uniquement par des Japonais. En réalité, on dit peu que les trois quarts de nos créanciers sont français ou européens. Nous n'avons certes pas le droit de connaître l'identité de nos créanciers, mais je souhaiterais comprendre l'intérêt d'une diversification de la dette et savoir auprès de qui il conviendrait de la souscrire ? De quels investisseurs parlons-nous ? Des Chinois ? Des Américains ? Quelle vulnérabilité géopolitique impliquerait le fait de souscrire de la dette auprès d'autres acteurs que des Français ou de riches créanciers européens – car l'affaire pourrait se régler en famille ? Il y a là un double discours. Pour préserver les intérêts de la France et éviter de nous mettre en difficulté auprès de créanciers étrangers, il pourrait être plus facile d'avoir affaire à des créanciers français et européens car, comme vous l'avez dit, nous aurons du mal à rembourser cette dette.
C'est d'autant plus vrai que vous ne faites pas grand-chose pour la rembourser. Quand on est endetté à un niveau aussi inquiétant que vous le dites, la première chose à faire n'est pas de réduire les revenus de l'État. Or la première dépense de celui-ci correspond encore aux niches fiscales et sociales, dont le gouverneur de la Banque de France lui-même a dénoncé le niveau trop élevé – et pour un résultat assez moyen, puisque 25 000 emplois sont actuellement menacés par des plans sociaux dans l'industrie.
Enfin, vous n'avez pas utilisé l'inflation, alors que le seul avantage de cette crise inflationniste était de rembourser plus vite la dette, ce que vous auriez pu faire si vous aviez taxé les superprofits et n'aviez pas fait peser l'inflation sur les salariés. Vous avez fait l'inverse : la consommation a reculé, les baisses de TVA ont été réduites et on n'a pas utilisé l'impôt sur le CAC40 pour rembourser plus rapidement notre dette.
Quel est, selon vous, le bon modèle ? J'ai cru comprendre que vous aimeriez que la France adopte le modèle japonais, considérant qu'il n'y aurait pas de problème si la dette était détenue à 100 % par les résidents. Or je disais à l'instant à M. Tanguy que cela me semble être une erreur. Quel est l'intérêt d'un tel resserrement du nombre d'investisseurs ? La grande différence entre une obligation et une action est que l'on ne doit rien aux souscripteurs de l'obligation, si ce n'est le remboursement du prêt, alors que les actions nous placent sous la mainmise ou l'autorité d'autrui.
Que la demande soit deux fois supérieure à l'offre est une très bonne chose, car cela fait baisser le coût de la dette par l'effet d'une sorte d'enchère inversée : la dette est placée au plus offrant. Plus les investisseurs sont nombreux à vouloir prendre de la dette française, plus les taux d'intérêt sont faibles. Cela s'appelle l'offre et la demande, et c'est bon pour nous. Avoir des investisseurs et des produits variés rend notre dette compétitive et très liquide. Je suis surpris que vous défendiez un modèle resserré sur un périmètre quasiment limité aux résidents, car il est beaucoup plus coûteux pour le contribuable.
Quant à savoir comment nous rembourserons cette dette, je rappelle que nous la remboursons déjà et que nous tenons nos engagements, ce qui explique que nous n'ayons pas de mal à la placer, car c'est un placement solide et recherché. Sur le plan des dépenses, nous avons dépensé 7 milliards d'euros de moins que prévu dans le champ de l'État en 2023 et nous continuons à faire des économies en 2024.
Surtout, pour assurer le remboursement à long terme de notre dette, il faut garantir une croissance, c'est-à-dire la création de richesse. C'est ce que nous avons fait : malgré la crise et les difficultés, nous avons maintenu une prévision de croissance de 1 %, alors même qu'autour de nous, nos partenaires européens rencontrent des difficultés. Notre politique économique et notre politique de réindustrialisation portent leurs fruits, ce qui est essentiel pour être toujours en mesure de tenir nos engagements.
Pour les opérations d'envergure, les participations financières de l'État nécessitent encore des perfusions importantes du budget de l'État. Surtout – et cela peut nous préoccuper –, ce compte d'affectation spéciale s'éloigne de sa raison d'être initiale, qui le destinait aux interventions de l'État actionnaire. Il apparaît de moins en moins comme l'outil d'une stratégie économique de long terme et de plus en plus comme un instrument budgétaire court-termiste qui finance souvent des opérations de communication politique. À propos d'EDF, par exemple, nous avons assisté à un revirement à 180 degrés de la stratégie énergétique, ce qui n'est pas sans poser des questions. Alors que l'État contrôlait déjà cette entreprise, des moyens considérables y ont été affectés, ce qui a provoqué la sortie de la cotation et une augmentation importante du coût de rachat.
Quant à la dette, votre ministère, que certains de nos concitoyens auraient pu considérer comme un obscur ministère comptable, est en fait celui qui gère la charge des intérêts de la dette, c'est-à-dire le deuxième budget de l'État – presque déjà le premier, pour suivre le raisonnement de M. Tanguy. Les charges d'intérêts de la dette ont été supérieures aux prévisions, ce qui est une source d'inquiétude, car elles semblent aujourd'hui exponentielles et hors de contrôle, tandis que l'exposition aux risques augmente dans un contexte d'intérêts quasiment supérieurs à 3 %.
Faut-il considérer que ce mécanisme est vertueux au motif que la demande est importante et que la dette est très liquide ? L'effet boule de neige finira tout de même par nous rattraper un jour. Le keynésianisme aussi a ses limites.
Par ailleurs, combien faudra-t-il prévoir en plus dans l'année qui vient si les prévisions de croissance que vous venez de nous présenter – encore un peu optimistes par rapport au consensus des économistes – se révélaient être surestimées et que la croissance n'était pas de 1 %, mais plutôt de 0,8 % ? Il faudrait en effet emprunter davantage, et donc assumer une charge de la dette plus importante.
Il ne faut pas confondre le CAS PFE, dont il est ici question, et la stratégie de l'État actionnaire. Le compte n'est certes qu'un outil budgétaire, mais au service d'une stratégie, qui a été refondée, publiée et explicitée autour des orientations suivantes : la souveraineté stratégique, le service public et les entreprises systémiques en difficulté. C'est donc autour de ces trois axes que nous mobilisons le CAS PFE, et j'ai cité à cet égard l'exemple d'Atos. Il ne s'agit donc pas d'une approche comptable et budgétaire, et c'est la raison pour laquelle j'ai dit que ce compte n'était pas toujours très adapté à l'annualité budgétaire. La stratégie l'emporte sur l'instrument – lequel remplit par ailleurs son rôle et se révèle assez pratique, mais au service d'une stratégie claire, qui a été réaffirmée.
Pour ce qui est de la dette, nous poursuivons en effet une politique volontariste de réduction du déficit public. Entre 2007 et 2013, lors de la dernière grande crise que nous avons traversée – celle de 2008 –, la dette a augmenté de 26 % et s'est accompagnée d'une montée du chômage et de difficultés sociales. Dans la période actuelle, elle a augmenté de 12 %, avec un taux de chômage historiquement bas et une croissance qui résiste. Il faut donc regarder avec un peu de prudence l'évolution de la dette.
Quant à la croissance, pour laquelle notre prévision a été ramenée de 1,4 % à 1 % pour tenir compte du ralentissement économique mondial, l'acquis est déjà de 0,5 %, selon les derniers chiffres publiés voilà quelques semaines par l'Insee. Je considère donc que nous sommes tout à fait en mesure d'atteindre l'objectif de croissance révisé que nous avons affiché pour cette année.
L'analyse de l'exécution budgétaire de la mission Engagements financiers de l'État nous conduit logiquement à évoquer la gestion de la dette publique, enjeu majeur pour les années à venir. La dynamique d'endettement et le niveau actuel de la dette publique placent notre économie, à plusieurs égards, dans une situation de vulnérabilité. Si nous voulons affronter les nouvelles crises et les défis de demain avec tous les moyens nécessaires, nous devons désendetter rapidement notre pays en couplant réduction de la dépense publique et renforcement de notre potentiel de croissance. Je sais que cette majorité y est très attachée.
En 2023, outre l'augmentation de la charge de la dette, qui se traduit par une hausse des crédits consommés dans le programme 117, je remarque qu'en réponse à une hausse très conséquente du besoin de financement par rapport à l'année 2022, l'État a repris la pratique de l'émission des titres de court terme, qui a contribué à augmenter la charge de la dette, puisque les taux courts se sont fortement accrus. Pour quelle raison l'État a-t-il repris cette pratique, qui fut très utilisée pendant la crise sanitaire ?
Par ailleurs, le besoin de financement de l'État s'est élevé à un niveau historique de 314,6 milliards d'euros en 2023, soit une augmentation de plus de 35 milliards d'euros par rapport à 2022. Comment expliquer une telle augmentation ?
Notre stratégie est toujours la même : nous diversifions les modalités de financement, avec toujours le même objectif d'optimiser le coût de la dette et de réduire au maximum son poids pour les contribuables. C'était le sens du débat que nous avons eu tout à l'heure à propos de certains produits.
Le stock de titres à court terme a augmenté en 2023 pour faire face à la dégradation du déficit, avec un montant de 20,8 milliards d'euros. En effet, le plafond du programme d'émissions de long terme ne varie pas en cours d'année et, en cas de dégradation inattendue de la situation des finances publiques, comme cela a été le cas en 2023, il faut recourir à l'émission de dette à court terme pour ajuster notre plan de financement.
Les crédits consommés au titre de la mission Engagements financiers de l'État ont augmenté de 2,1 milliards d'euros par rapport à la prévision de la loi de finances initiale pour 2023. Comme en 2022, la charge de la dette de notre pays s'est établie en 2023 à un niveau supérieur à celui prévu par la loi de finances. La question de la dette doit évidemment être prise très au sérieux – mais je ne doute pas que vous en soyez vous-même persuadé, monsieur le ministre.
Cette charge de la dette représente un poids trop important et fragilise financièrement notre pays. La réduction des déficits et de la dette publique doit être une question prioritaire pour le Gouvernement. Les 10 milliards d'euros d'économies supplémentaires annoncés doivent s'accompagner d'actions concrètes, en investissant sur des priorités à long terme et en renonçant aux dépenses à court terme inefficaces et mal ciblées.
Nous avons dépassé le seuil de 3 000 milliards d'euros de dette et devenons l'un des derniers pays européens à ajuster ses comptes. Comment comptez-vous définir un objectif clair et fiable de réduction de la charge de la dette dans la préparation du projet de loi de finances pour 2025 ?
Nous partageons l'idée qu'il est nécessaire de tenir nos comptes et, une fois passées les crises, de nous engager dans une réduction progressive de notre déficit public. Comme Bruno Le Maire et moi-même l'avons réaffirmé, l'objectif est de ramener ce déficit au-dessous de 3 % en 2027, en tenant compte des effets des crises successives que nous avons traversées.
Cette réduction est progressive. Nous nous sommes fixé un objectif de 5,1 % pour cette année. En évoquant l'annulation de 10 milliards d'euros de crédits, vous soulignez à juste titre qu'il faut veiller aux dépenses, en préservant les dépenses d'avenir et en réduisant certaines dépenses de fonctionnement.
Je me suis ainsi engagé à une réduction de 25 % des surfaces de l'État. Nous avons accéléré les cessions et nous sommes fixé un objectif de 750 millions d'euros de gains sur les achats de l'État pour cette année. Nous faisons donc toutes les économies possibles et je précise que les 10 premiers milliards d'euros d'économies n'ont concerné que l'État, par souci d'exemplarité et parce qu'il fallait réagir immédiatement.
Pour atteindre 5,1 % de déficit, 10 milliards d'euros d'efforts supplémentaires sont encore prévus de la part de l'État, mais il faudra aussi compter avec les collectivités territoriales, dont les dépenses ne doivent pas croître plus vite que l'inflation – cette croissance étant, par exemple, limitée à 0,5 point en dessous du taux d'inflation, sans recourir aux contrats de Cahors. Nous travaillons aussi à des recettes supplémentaires. Lors du débat sur le programme de stabilité, nous avons expliqué comment nous allions atteindre cet objectif et nous aurons, lors du débat sur les textes financiers en vue de la préparation du PLF pour 2025, un échange sur les moyens permettant de passer de 5,1 % à 4,1 % de déficit l'année prochaine. À cet égard, j'appelle les députés intéressés à nous faire part de leurs propositions concrètes d'économies pour participer à la construction de notre prochain PLF.
Je m'exprime au nom du groupe Socialistes et apparentés.
Concernant Atos, monsieur le ministre, l'acquisition par l'intermédiaire d'EDF ou d'une entreprise proche porterait-elle sur la totalité de Worldgrid ou seulement sur ses activités qui concernent la gestion des systèmes nucléaires, à la manière de ce que fait l'État pour les trois activités phares de la filiale BDS ?
Le montant de la première opération annoncée dans la lettre d'intention, tel qu'il ressort de notre audition du commissaire aux participations de l'État, serait d'environ 1 milliard d'euros. Quel sera le coût de la seconde ?
Je répète la position du Gouvernement à ce stade – les discussions sont en cours et je ne peux pas aller beaucoup plus loin que ce que j'ai déjà indiqué.
Il faut distinguer deux sujets : d'une part, notre capacité à nous porter acquéreurs d'une partie des activités souveraines du groupe – c'est le sens de la lettre d'intention –, et, d'autre part, les activités Worldgrid. Sur le premier point, le levier est la mobilisation du CAS PFE, bras armé de l'État actionnaire. Pour le reste, notre intention est de mobiliser EDF ou des entités agréées par elle pour acquérir Worldgrid. Il n'y a à ce sujet aucun élément de prix ni montant financier dont je puisse faire part. Nous en sommes au premier stade de la discussion et il serait prématuré de vous répondre.
Quand nous aurons avancé, nous pourrons éclairer complètement la représentation nationale. Je comprends que celle-ci s'inquiète de l'avenir d'Atos, mais je veux la rassurer : c'est l'ensemble du groupe qui, par l'intermédiaire du Ciri, est accompagné au quotidien.
Monsieur le ministre, après la crise du covid, le Gouvernement a fait le choix de procéder au cantonnement de la « dette covid ». Outre qu'il est hasardeux de séparer la dette covid de la dette non covid, le mécanisme de cantonnement s'avère complètement inutile sur le plan économique. En effet, la seule manière d'apurer une dette publique est de dégager un excédent budgétaire – ce n'est manifestement pas ce qui se passe – ou de créer un prélèvement dédié, comme on aurait pu le faire sur les plus hauts patrimoines ou sur les superprofits. Votre dogmatisme vous a poussés à refuser cette option. Le cantonnement creuse de manière factice le déficit public, donc la dette, pour réduire la dette covid. La Cour des comptes vous a appelé à mettre fin à ce dispositif inutile et qui nuit à la clarté et à la lisibilité du débat tout en créant une charge de trésorerie. Allez-vous enfin le supprimer ?
Par ailleurs, la financiarisation progressive de la dette publique aux mains de créanciers privés, résidents ou non, est devenue un outil de domination justifiant tous les renoncements. Nous nous interrogeons sur ce que cela implique en matière de souveraineté.
Le choix d'identifier – plutôt que de « cantonner » – la dette covid n'a pas d'impact sur le calcul du déficit public. C'est un point de divergence entre nous et la Cour des comptes : il n'est pas illégitime que, face à une crise d'une telle ampleur survenue alors que nous suivions une trajectoire de réduction des déficits publics, nous ayons souhaité distinguer la dette ainsi produite. Elle résulte d'un phénomène extérieur et non de nos choix en matière de politiques publiques. Face à la crise, nous nous sommes mobilisés par des dispositifs de soutien aux salariés, au monde économique, associatif, culturel, aux collectivités territoriales. Nous amortissons progressivement la dette ; nous en retraçons le remboursement. Il n'y a là aucune manœuvre ni volonté de dissimulation ; c'est au contraire une question de clarté et de lisibilité. Tout cela est parfaitement transparent.
Il serait utile de mieux flécher les émissions de dette vers le marché intérieur. Quand vous avez 3 000 milliards de dette, que vous émettez 285 milliards d'obligations, que vous payez 54 milliards d'intérêts et que 55 % de la dette est détenue par des non-résidents, on comprend que cela conduise à une hémorragie de l'ordre de 30 milliards par an. Il faut réorienter les émissions vers l'épargne liquide du marché intérieur, qui existe.
Nous avons déjà eu ce débat et nous connaissons votre position, monsieur le ministre. Je suis sûr que vous en changerez, car vous êtes un garçon intelligent. Votre raisonnement ne tient ni à court terme – ce n'est pas parce qu'on va mieux flécher les émissions vers l'intérieur que le marché potentiel au niveau mondial va se réduire –, ni à moyen terme au niveau macroéconomique. Les intérêts injectés dans le marché intérieur conduisent ipso facto à une hausse de la consommation et de l'investissement, lesquels font augmenter la croissance, donc les revenus fiscaux, ce qui réduit les besoins d'émissions. Il n'est pas nécessaire d'être très malin pour le comprendre.
J'espère défendre bientôt une proposition de loi en ce sens et rouvrir ainsi le débat en séance.
Je poursuis avec le député Castellani un débat qui nous occupe souvent. Rien n'empêche un résident de détenir de la dette publique : il le peut par le livret A et par différents dispositifs sous gestion comme l'assurance vie ou les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Que faudrait-il faire de plus pour y inciter encore davantage de Français ? Améliorer considérablement le rendement de la dette pour attirer ceux qui ne trouvent pas ce placement assez rémunérateur. Mais si, pour y parvenir, on propose des taux de rendement plus élevés ou un avantage fiscal associé, on va renchérir le coût de la dette. Ce n'est pas votre objectif : vous êtes aussi attaché que nous aux deniers publics. Mais je suis disposé à continuer d'en débattre avec vous, peut-être à l'occasion du texte que vous défendrez.
Je me joins aux louanges du rapporteur général au sujet du pilotage de la dette par l'Agence France Trésor… dans le contexte politique qui lui est imposé. Il s'agit de gérer la dette et ses intérêts, croissants du fait de l'inflation, sans disposer de la marge de manœuvre que dégagerait une augmentation des recettes. Vous vous êtes tiré sciemment une balle dans le pied par le dispositif choisi pour la Crim, qui nous prive de recettes significatives – j'en veux pour preuve l'annulation de crédits, dont le montant correspond peu ou prou à ce que l'on pouvait espérer de cette contribution –, et en refusant d'engager ce à quoi de nombreux économistes de tous bords vous invitent depuis longtemps : une revue détaillée des aides accordées aux entreprises sans conditions.
En ce qui concerne l'isolement de la dette covid, la Cour des comptes considère dans sa note d'exécution budgétaire que « l'amortissement de la dette constitue une charge de trésorerie au sens de l'article 25 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) et ne relève pas des charges budgétaires de l'État au sens de l'article 5 de cette loi organique. Une telle opération ne devrait donc pas être retracée dans le budget de l'État. Cette opération ne modifie pas le montant de dette que l'État doit rembourser à long terme. En revanche, elle vient annuellement dégrader son solde budgétaire, puisque le budget général est, par le programme 369 Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19, sollicité pour rembourser ce surplus de dette covid ».
Quelles raisons objectives justifient ce packaging alors même que la Cour des comptes considère le procédé comme inadapté ? Que répondez-vous à l'Europe qui s'interroge sur ce dispositif ? Sur quel montant de dette les agences de notation se fonderont-elles pour noter prochainement la France ?
S'agissant des aides aux entreprises, nous ne refusons pas le débat. Une revue de dépenses dans ce domaine a d'ailleurs été lancée, comme Bruno Le Maire et moi-même l'avons indiqué ici même lors d'une récente audition. Par ailleurs, les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer ont été missionnés pour évaluer les allégements de charges : ces derniers sont-ils pleinement efficaces ? Bien positionnés ? Créent-ils suffisamment d'emplois ? Font-ils obstacle aux évolutions salariales – un phénomène que visait le Premier ministre en parlant, dans sa déclaration de politique générale, de « désmicardisation » ? En la matière, pas de sujets tabous entre nous.
S'agissant de la dette, nous avons un désaccord avec la Cour des comptes. Le dispositif en question ne change en rien le montant de la dette. Une dette est une dette. La question est de savoir si nous avons intérêt à isoler la dette covid. Certains ont proposé ce cantonnement pour mettre en évidence le fait qu'elle résulte d'un événement exceptionnel qui nous a tous affectés ; c'est cette option que nous avons choisie. Il s'agit aussi de se donner un horizon d'amortissement, car il faut bien rembourser cette dette ; cet horizon, c'est 2042. Bref, le procédé incite à rembourser plus vite tout en permettant clarté et lisibilité vis-à-vis des Français.
Je le répète, tout cela revient au même pour les investisseurs. Tout est agrégé et la dette covid est prise en compte de la même façon que la dette classique. C'est une question de présentation.
Vous dites « on rembourse », monsieur le ministre, mais il faut être précis : ne laissons pas penser aux Français que l'on fait diminuer notre dette en la remboursant ; l'État emprunte aussi pour procéder au remboursement de la dette qui arrive à échéance.
Par ailleurs, vous dites intervenir pour optimiser le coût de la dette, mais la première manière de l'optimiser serait de la réduire, ainsi que notre déficit.
Puis la commission procède à la discussion sur la thématique d'évaluation La détention de la dette de l'État par des résidents étrangers (M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial).
La situation de plus en plus dramatique de nos finances publiques n'est pas un mystère. Avec une dette de plus de 110 % du PIB et un déficit structurel supérieur à 4 % cette année, la France n'a jamais été aussi vulnérable sur le plan financier.
Mais le ratio dette sur PIB n'est pas le seul indicateur pertinent de la soutenabilité du financement public. Il en est un dont l'importance me semble largement sous-estimée : la part de la dette détenue par des non-résidents.
En effet, l'État se finance auprès d'investisseurs aux origines géographiques très variées : plus de 53 % de sa dette serait aujourd'hui détenue par des non-résidents, et 29 % par des non-résidents implantés hors zone euro. Cette variété s'est bien entendu accentuée avec l'ouverture croissante des marchés financiers et la création de la zone euro.
Elle permet certes de diversifier le risque et, dit-on, de réduire le taux de financement. Mais elle nous expose à un autre risque : celui d'une dépendance vis-à-vis d'investisseurs dont les intérêts ne rencontrent pas nos intérêts souverains. Si, à court terme, il ne semble pas que le danger soit grand, il serait terriblement naïf de croire que des intérêts étrangers ne pourront venir demain sur le terrain de la dette pour exercer des pressions sur nos politiques, c'est-à-dire sur le destin que les Français choisissent de se donner par l'expression de leur vote.
Monsieur le ministre, vous disiez que détenir une part de la dette d'un pays ne permettait pas d'agir sur ses choix politiques, que l'on ne doit rien à ses créanciers. Vous avez pourtant joué avec l'idée opposée à propos du Rassemblement national et de son crédit russe.
À ceux qui seraient sceptiques, je rappelle que l'idée de souveraineté reprend, depuis plusieurs années, la place qu'elle n'aurait jamais dû perdre, et ce à l'occasion de crises : crise sanitaire du covid, crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine, crise agricole… Chaque fois, nous concluons que nous sommes forcés de reconquérir notre souveraineté sous ses diverses formes – sanitaire, énergétique, alimentaire – et, chaque fois, on s'aperçoit que la pente est raide. Or la souveraineté financière est le nerf de toutes les souverainetés. N'attendons pas une crise pour nous préoccuper de préserver nos marges de manœuvre financières.
La part des non-résidents parmi les détenteurs de la dette de l'État est en augmentation tendancielle : de 53 % aujourd'hui, elle n'était que de 28 % lors de la création de la zone euro. De plus, si l'on soustrait la part de la dette détenue par la Banque de France au titre des opérations de politique monétaire, la part des non-résidents se révèle encore plus forte, de 72 % – l'un des taux les plus élevés des pays de l'OCDE.
Cependant, les données disponibles sont lacunaires. Car l'État se finance, globalement, à l'aveugle. Il ne sait pas, lors des émissions de dette, qui en sont les attributaires, en raison de la technique majoritaire d'émission, l'adjudication. De plus, l'État s'est privé de la possibilité de connaître en temps réel les détenteurs de sa dette : l'article L. 228-2 du code de commerce en empêche expressément les personnes publiques, alors qu'il y autorise toutes les sociétés par actions.
En conséquence, les seules données disponibles résultent des enquêtes menées par la Banque de France et le Fonds monétaire international, mais leurs résultats sont parcellaires. Les données sur les autres composantes de la dette publique – dette des collectivités territoriales et dette sociale – sont encore moins complètes.
Certes, une forte part d'investisseurs non-résidents traduit une forte demande pour la dette de l'État. Cette attractivité est notamment liée à l'excellente liquidité des titres de dette français et à la présence de la dette de l'État dans les grands indices internationaux. Cette diversification présenterait d'ailleurs des avantages du point de vue du financement de l'État, puisqu'elle crée une concurrence qui réduirait le coût de financement. C'est, en tout cas, l'idée que défend l'Agence France Trésor, responsable des émissions pour l'État.
Mais il faut relativiser cet impact. Ce qui fait baisser le prix sur un marché, c'est une offre bien plus importante qu'une demande. Or, dans les faits, les taux de couverture sont excellents.
De plus, la diversité des investisseurs présente des risques. Tout d'abord, les investisseurs résidents sont plus stables, puisqu'ils connaissent mieux le pays concerné et que leurs intérêts lui sont plus intimement liés ; ils sont également plus captifs, puisqu'en cas de crise, l'État dispose d'un pouvoir coercitif à leur égard. Ensuite, il faut rappeler que les crises de dette ne sont pas toujours des crises de solvabilité, mais peuvent être des crises de confiance autoréalisatrices. C'est ce qui est malheureusement arrivé à la Grèce, et l'on peut s'interroger sur ce qu'il serait advenu de la dette grecque si elle avait été plus largement détenue par des résidents, beaucoup moins susceptibles de céder à des mouvements de panique.
Enfin, lorsqu'une restructuration ne peut être évitée, la vulnérabilité que crée un fort taux de détention par des non-résidents est encore plus grande. Pour citer le député Laurent Saint-Martin – et non un membre du Rassemblement national –, « dans le cas d'une situation d'insolvabilité, la restructuration de la dette d'un État ou son rééchelonnement peut conduire à des sanctions ou à des mesures de rétorsion de la part des États dont certains des créanciers de l'État emprunteur sont des ressortissants ».
Face à ces risques, les outils de protection existants sont très insuffisants. Dans le cadre des Nations unies ou de l'Union européenne, les sanctions économiques ne peuvent être activées qu'avec l'accord de nos partenaires ; au niveau national, elles ne peuvent l'être que pour lutter contre le terrorisme. Les mécanismes financiers européens, comme le Mécanisme européen de stabilité ou l'Instrument de protection de la transmission, appellent eux aussi une décision partagée avec nos partenaires.
Je formule donc deux séries de recommandations.
Tout d'abord, il faut améliorer la connaissance des détenteurs de la dette publique par trois mesures : renforcer la coopération statistique internationale grâce à des échanges de données et à une plus grande participation aux travaux du FMI – qui nous a indiqué que ces derniers n'étaient pas faciles avec tous les pays ; renforcer les obligations de reporting des spécialistes en valeurs du Trésor vis-à-vis de l'Agence France Trésor ; et surtout, modifier l'article L. 228-2 du code de commerce pour autoriser le suivi de l'identité des détenteurs de titres de dette émis par l'État, comme c'est déjà possible pour les actions. Cela ne signifierait pas que ces données seraient rendues publiques, mais seulement que l'État disposerait d'un tableau retraçant l'identité des personnes qui détiennent sa dette. Il faudrait aussi un suivi plus fin de l'identité des détenteurs de la dette des collectivités territoriales et de la dette sociale. Je précise que, dans tous les cas, ce serait la nationalité et non l'identité elle-même qui serait indiquée, de façon à repérer l'implantation géographique des détenteurs de la dette française.
Ensuite, il nous faut sécuriser le financement de la dette publique, et ce en deux étapes. La première consiste à mener un travail politique afin de sensibiliser l'écosystème de la dette et nos concitoyens à l'enjeu de souveraineté qui s'attache à la détention de la dette par des non-résidents. C'est peut-être pour des raisons financières que les résidents n'achètent pas notre dette, mais peut-être aussi faute d'être informés de la possibilité d'en détenir des titres. Deuxièmement, il faut mener une réflexion sur les moyens de favoriser l'acquisition de la dette française par les particuliers résidents, sur le marché primaire comme secondaire.
Monsieur le ministre, comment justifiez-vous la stratégie d'endettement française, aveugle à la provenance des investisseurs ? D'autres pays européens, comme l'Italie, parviennent à maintenir une proportion raisonnable de non-résidents parmi leurs créanciers.
Pourquoi l'État se prive-t-il de la faculté de connaître l'identité de ses créanciers alors qu'il accorde ce droit aux sociétés par actions ?
N'y aurait-il pas un intérêt à favoriser la détention de notre dette publique par des particuliers résidents, tant pour ces particuliers que pour le financement à long terme de l'État ? Le groupe LIOT partage cette préoccupation, puisqu'il a inscrit une proposition de loi en ce sens à l'ordre du jour de sa prochaine journée réservée.
Tout d'abord, il est hasardeux de comparer la dette de l'État à celle du Rassemblement national : dans le second cas, à la différence du premier, la diversification des créanciers potentiels faisait singulièrement défaut…
Nous nous sommes fixé un cap de soutenabilité de nos finances publiques et de la souveraineté de la France. L'atteindre suppose de poursuivre les réformes d'ampleur engagées pour parvenir au plein-emploi et accélérer la réindustrialisation et la transition écologique. C'est ce cap qui nous a permis d'afficher un bilan économique solide sur le front de la croissance, de l'attractivité, de la réindustrialisation, du reflux de l'inflation et de la création d'emplois. Maîtriser nos finances publiques pour rétablir nos comptes sans pénaliser la croissance, c'est cette boussole qui nous permettra de tenir l'objectif de réduction du déficit public sous les 3 %. La maîtrise de nos dépenses publiques est indispensable pour garantir le financement de nos priorités et pour faire face aux crises, comme ces dernières années.
Nous avons une stratégie de financement claire : l'État, par l'intermédiaire de l'Agence France Trésor, doit émettre la dette au meilleur coût pour le contribuable et dans les meilleures conditions de sécurité. La stratégie d'émission repose sur les principes de régularité et de prévisibilité, sur un marché structuré de la dette d'État animé par des professionnels, les spécialistes en valeurs du Trésor. Ces principes doivent permettre de susciter une demande dynamique.
La diversification de nos investisseurs est un atout considérable. Elle nous permet de nous financer à moindre coût, grâce à leur mise en concurrence, et dans les meilleures conditions de sécurité puisqu'elle nous prémunit contre un choc économique qui frapperait une zone géographique ou un investisseur en particulier.
En ce qui concerne la répartition par zone géographique, les trois quarts environ de la dette sont détenus par des Français ou par des investisseurs en zone euro : des investisseurs domestiques, pour un premier quart ; l'Eurosystème par l'intermédiaire de la Banque de France, pour un deuxième quart ; des investisseurs de la zone euro, pour un troisième quart. Le dernier quart est prêté par des investisseurs européens hors zone euro, Suisses et Britanniques notamment, ou du reste du monde. Cette diversité traduit la confiance dans le crédit de la France.
En ce qui concerne les types d'investisseurs, il peut s'agir d'assureurs, de banques – qui commercialisent par exemple le livret A –, de banques centrales ou de fonds de pension dans les pays où la retraite se fait par capitalisation, comme chez nos voisins néerlandais. Cette diversité est, là encore, une marque de confiance dans notre crédit, ainsi que dans les qualités techniques de la dette française. En témoigne, par exemple, la plus forte détention par les investisseurs français des obligations indexées, reflet des besoins de l'épargne réglementée française qui protège en partie contre l'inflation.
Ainsi, la distinction entre investisseurs domestiques et non domestiques ne fournit pas une grille de lecture pertinente. Un nombre limité d'investisseurs est plus risqué qu'un grand nombre, que les investisseurs soient domestiques ou non. S'il fallait restreindre volontairement le recours à un certain type d'investisseurs, le taux d'intérêt en serait mécaniquement plus élevé, de sorte que la charge d'intérêts augmenterait.
Dans ce contexte, serait-il souhaitable de diffuser des données plus détaillées concernant la détention de notre dette ? Les données existent déjà ; le FMI et la Banque de France fournissent ces informations. Faut-il aller plus loin ? Si nous limitions l'attractivité de notre dette, nous réduirions le nombre d'investisseurs auxquels nous pouvons nous adresser et nous rendrions la dette plus chère pour les Français, alors qu'elle pèse déjà lourdement sur nos finances publiques, comme vous l'avez dit. De ce point de vue, votre propos est contradictoire. L'argent supplémentaire dépensé en charge de la dette pour restreindre le nombre d'investisseurs pourrait utilement trouver à s'employer ailleurs, par exemple pour financer nos priorités.
Cette diversité est-elle un risque pour la souveraineté de la France ? Tout d'abord, je le répète, les investisseurs agissent pour les épargnants dont ils collectent l'épargne et pour gérer les réserves de change au niveau de la banque centrale. Ce ne sont pas les pays qui prêtent directement à la France, ce sont des épargnants. Ensuite, acheter un titre de dette, c'est prêter à la France ; cela ne confère aucun droit particulier sur la politique menée par le Gouvernement. La détention d'un titre de dette ou d'une obligation ne donne qu'un droit : celui d'être remboursé. Il ne s'agit pas d'une action, qui est, elle, un titre de propriété. Vous confondez action et obligation. A contrario, une dette détenue en trop grande proportion par des résidents présenterait des risques : si la dépendance est trop grande entre les banques domestiques et l'État, un choc du secteur bancaire pourrait se répercuter sur ce dernier ou, inversement, les difficultés de l'État pourraient rejaillir sur le secteur bancaire.
Notre stratégie a prouvé sa résilience lors des chocs que nous avons subis ces dernières années. La répartition de notre dette témoigne de la confiance que nous accordent les épargnants en France, dans la zone euro et dans le reste du monde, ainsi que l'attractivité de notre pays. N'avoir qu'un seul prêteur présente un risque de dépendance ; en avoir beaucoup est un atout. Cette confiance est une force qui permet de financer la dette à moindre coût pour les Françaises et les Français. Cette force doit demeurer ; nous nous y employons.
Pour inciter les résidents à acquérir de la dette souveraine – ce qu'ils peuvent déjà faire –, vous devrez, par exemple, créer un avantage fiscal, ce qui augmentera le coût de la dette : en fait, c'est le contribuable qui paiera. Et là où il y a un système avantageux et utile, vous aggraverez les finances publiques tout en restreignant le champ des investisseurs potentiels. D'ailleurs, en évoquant une « proportion raisonnable » de non-résidents parmi les créanciers, vous montrez que vous ignorez quelle part serait adéquate. Notre stratégie est la bonne : elle a démontré son efficacité ces dernières années.
Vous semblez balayer cet élément d'un revers de main. Pourtant, même si la diversité est un atout, les Français sont préoccupés par le niveau et la charge de la dette, et s'inquiètent de ce qu'elle est détenue pour plus de la moitié par des non-résidents. La question mérite donc d'être posée.
La Banque centrale européenne (BCE), qui détient 25 % de la dette française, se désengage-t-elle du marché obligataire souverain ?
Comment voyez-vous la typologie des futurs détenteurs de la dette française ?
Loin de balayer ce débat d'un revers de main, je tente de montrer qu'une dette détenue uniquement par les résidents est probablement un piège. Si une crise frappait la France, l'État devrait à la fois sauver des acteurs bancaires et financiers affaiblis et les solliciter pour lever sa dette. Nous n'aurions pas diversifié nos risques.
Par ailleurs, selon le principe de concurrence, plus les investisseurs intéressés sont nombreux, plus le coût de la dette baisse – c'est mécanique. À l'inverse, plus la base d'investisseurs est étroite, plus il faudra augmenter les taux d'intérêt. À la fin, c'est le contribuable qui paie.
En effet, cela se répercutera dans les dépenses de notre budget.
Troisième élément, les détenteurs de la dette n'ont aucune prise sur nous. Une crise de la dette, ce ne sont pas les détenteurs d'OAT qui dictent à un État quelles politiques publiques faire, c'est l'État qui n'arrive plus à placer sa dette – ce qui s'est passé en Grèce. Je comprends cette question, mais je pense que c'est vraiment un faux débat.
La Banque centrale européenne a arrêté ses achats d'actifs : son bilan se réduit progressivement, et sa politique monétaire évolue.
S'agissant de la typologie des futurs détenteurs, l'exercice de projection est difficile, mais il est certain que plus ils seront variés, mieux nous nous porterons – en cela, nous avons un point de désaccord avec le rapporteur spécial. Continuer à avoir des investisseurs diversifiés, par leurs profils institutionnels ou leurs origines géographiques, est la meilleure garantie pour traverser les crises et se refinancer aux meilleurs taux.
Monsieur le rapporteur spécial, avant d'entendre votre parallèle avec la dette du Rassemblement national, je ne comprenais pas votre obsession à prouver que notre pays était dépendant des détenteurs de la dette. Autant que vous, je tiens à la souveraineté de mon pays. Quand on n'a qu'un créancier, on dépend de lui ; mais lorsque des dizaines de millions d'acteurs détiennent la dette, on est indépendant.
Supposons, pour alimenter votre fantasme, que des États belliqueux détiennent la dette de la France et qu'ils souhaitent la faire plier. Quels pourraient être leurs leviers ? Évidemment, ils ne nous diraient pas de ne pas rembourser la dette. Éventuellement, ils pourraient arrêter de souscrire à de nouveaux emprunts. Mais il n'y a pas de risque sur la dette telle qu'elle est, d'autant que, Jean-Philippe Tanguy lui-même l'a dit, la demande de dette française est plus importante que l'offre. Ce fantasme ne correspond donc pas à la réalité.
Admettons tout de même qu'il y ait un vrai risque et examinons vos recommandations. Améliorer la connaissance des détenteurs : cela n'éloigne pas le danger ; ça ne sert donc à rien. Sensibiliser l'écosystème et mener une réflexion : je ne vois pas là de solution concrète. Vos propositions, c'est de la flûte !
Le ministre délégué l'a dit, une dette franco-française, fût-elle possible, coûterait très cher – ce n'est pas ce que nous voulons. Aujourd'hui, il n'y a pas de risque. Votre démonstration ne m'a pas convaincu mais je vous remercie pour votre travail.
Je souscris en tout point à l'intervention du rapporteur général.
Le rapporteur général intervenait également pour le groupe Renaissance. Nous poursuivons donc les interventions des orateurs des groupes.
Chacun peut avoir une opinion sur l'opportunité d'une dette détenue par ses résidents nationaux : c'est un choix politique. La souveraineté peut avoir un coût, mais les exemples du Japon et de la Suisse montrent qu'il est possible d'avoir le beurre et l'argent du beurre dans ce domaine.
Il y a quelque chose d'anormal, pour des gens qui croient au marché, à considérer comme sans importance de ne pas connaître la nature des créanciers. Or le dieu Marché est lié à la déesse Information. Toute la théorie libérale repose sur la libre circulation de l'information : si elle n'est pas fiable et accessible à tous, les acteurs ne peuvent pas faire librement leurs choix. C'est Walras qui le dit, monsieur le rapporteur général – la Macronie est en péril si vous ne connaissez pas votre propre dogme.
Que la France, en particulier le ministre délégué chargé des comptes publics, ne soit pas capable de déterminer qui possède la dette ne vous pose aucun problème. Vous prétendez qu'on en sait assez. Or je pense que c'est une information qu'aimeraient avoir de nombreux députés, quelles que soient leurs opinions politiques. Peut-être que les Français n'ont pas envie d'envoyer plusieurs milliards de leurs impôts vers des pays amis ou non, en tout cas qu'ils n'aiment pas, par exemple les pays du Golfe ou certaines dictatures. Refuser qu'ils le sachent, en renvoyant à des éléments spécieux n'est pas acceptable. Qu'on ne puisse pas avoir ce débat sans se faire insulter est surréaliste : oui, on veut connaître la nationalité des détenteurs de la dette.
La dette de la Finlande est détenue à plus de 60 % par des non-résidents, comme celles de la Belgique, de l'Allemagne, de la Norvège ou de l'Autriche. Peut-être notre argument sur la diversification n'est-il pas complètement inutile dans les stratégies de placement : on peut avoir besoin des autres pour éviter de refinancer la dette à un coût trop élevé. Celle-ci change de main quasiment tous les jours puisque ce sont des titres. La Banque de France et le Fonds monétaire international (FMI) publient régulièrement certaines données relatives à la dette.
Au fond, pourquoi cette obsession à vouloir disposer d'informations sur la détention ? Vous pensez peut-être qu'un épargnant habitant de l'autre côté de la frontière a un pouvoir sur notre politique économique. Il n'en a aucun. Le rapporteur général l'a dit, des souscripteurs multiples, d'horizons et de profils différents, voilà ce qui permet de diversifier les risques et de n'avoir aucun lien de dépendance. Personne ne nous a dicté notre politique économique, qui nous a permis de recréer massivement des emplois et de réindustrialiser le pays. Dans cette France qui réussit – que vous n'aimez pas –, que feriez-vous d'une telle information ?
Après avoir dit que l'encours de la dette augmentait chaque année et que nous étions obligés de contracter une dette assise sur l'inflation, vous expliquez que diversifier la dette permet d'obtenir des taux d'emprunt plus avantageux, par la mise en concurrence. Pourquoi n'y parvenez-vous pas ?
Vous ne pouvez pas dire que l'on ne doit rien aux créanciers de la dette. Ces créanciers sont guidés par les agences de notation et les marchés financiers, que vous tentez toujours de rassurer. C'est ce besoin que vous avez invoqué pour justifier la réforme des retraites ou celle de l'assurance chômage – le Président de la République lui-même l'a dit.
Non, nous ne sommes pas indépendants : dans le cadre d'un marché globalisé qui répond à des exigences de rentabilité du capital, ce sont les marchés qui décident et nous mettent en coupe réglée. Leur conception est d'ailleurs à géométrie variable : on ne les entend pas quand on baisse les impôts, mais beaucoup plus lorsqu'on augmente ces derniers pour les plus riches.
La dette est-elle remboursable ? L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), alerte sur le fait que le ratio dette sur PIB risque d'empirer en raison de vos politiques austéritaires.
L'Allemagne s'est comportée durement envers la Grèce, car la Deutsche Bank était le premier créancier de la dette grecque. Vous ne pouvez donc pas dire que les États n'ont pas d'intérêts à protéger leurs épargnants et leurs investisseurs. À la limite, il faudrait que les créanciers soient des milliardaires qui, au lieu de payer des impôts, achèteraient la dette française, que nous rembourserions avec des intérêts.
Il serait aussi bon de pouvoir négocier avec les États européens sur cette question, car on demande beaucoup à la France : dans la réforme du marché de l'électricité, elle s'est complètement fait avoir, et elle va porter tout le poids de l'Europe de la défense.
La seule exigence des investisseurs est celle que vous pourriez fixer si vous prêtiez de l'argent : être remboursé. Si vous avez souscrit un prêt auprès de votre banque, vous devez le rembourser, mais on ne vous tord pas le bras pour vous dire comment le faire. Si cet engagement n'est pas honoré, personne ne prête plus. C'est un principe sain et c'est pourquoi chacun essaie de rembourser les prêts qu'il a contractés.
Quant à la contradiction entre l'encours de la dette et la stratégie de diversification, rappelons que l'accumulation des crises a conduit à augmenter la taille de notre dette. Cela implique de trouver davantage de financements sur les marchés.
Faut-il s'inquiéter qu'environ 53 % de la dette française soit détenue par des résidents étrangers ? La réponse est non, pour plusieurs raisons qui figurent dans le rapport.
Cette part a largement diminué depuis dix ans et témoigne de la forte attractivité de notre dette à l'échelle mondiale. La diversité des investisseurs non-résidents permet de sécuriser les émissions et de garantir des coûts de financement avantageux, même si l'internationalisation des financements de l'État présente quelques inconvénients, tels que le manque de transparence et l'agressivité des nombreuses stratégies développées par les investisseurs. Les avantages l'emportent toutefois sur les inconvénients.
Il est regrettable que le rapporteur spécial n'aborde pas les risques associés à la détention massive de la dette publique par des résidents nationaux. Basculer vers ce type de modèle ne renforcerait-il pas le lien entre risque souverain et risque bancaire ?
Pourquoi la charge de la dette devrait-elle augmenter jusqu'à 64 milliards d'ici à 2027 ? Le scénario d'évolution de la charge de la dette pourrait-il être revu à la baisse si les taux d'intérêt baissent plus que prévu et le ratio de la dette se stabilise ?
La diversification et l'internationalisation de notre dette ont en effet pour avantages de meilleures performances et un rendement accru. Critiquer ce lien avec l'international me semble incompréhensible, comme se plaindre que 80 % du bordeaux soit exporté : sans cette dépendance à l'étranger, la viticulture est menacée.
La charge des intérêts de la dette croît mécaniquement en raison de l'augmentation du déficit public et des taux d'intérêt. Leur baisse jusqu'à un niveau proche de zéro pourrait modifier la trajectoire prévue mais, d'ici à 2027, cette charge devrait continuer de progresser. C'est pourquoi il faut ramener le déficit public sous la barre des 3 % d'ici à 2025.
La vente d'un service ou d'un bien, comme le bordeaux, améliore le bilan du commerce extérieur ; le placement d'une obligation conduit à verser des intérêts, au détriment du marché financier intérieur.
Vous envisagez la diversification comme un atout ; nous proposons de l'enrichir, en y ajoutant une part plus importante du marché intérieur. Au-delà des considérations géopolitiques, il y a une réalité macroéconomique : l'intérêt bien compris d'un pays est que les intérêts versés par l'État s'insèrent dans le marché financier intérieur, où ils nourrissent la consommation, l'investissement, la croissance, donc les revenus financiers. Nous préconisons de créer un produit d'épargne, que souscriront les personnes physiques et morales françaises, en mandatant la Caisse de la dette publique pour acquérir un produit financier auprès de l'Agence France Trésor. Votre logique, celle de Bercy, et la nôtre, modeste, diffèrent, mais elles peuvent nourrir un débat dont j'espère voir émerger une proposition de loi.
Pour réaliser ce que vous proposez, il faut en effet créer un produit d'épargne attractif. Les Français peuvent souscrire à la dette française ; renforcer l'investissement dans la dette publique coûtera plus cher. Dans la situation actuelle des finances publiques, pourquoi utiliser les ressources du contribuable à cette fin ? Orienter l'épargne vers des investissements productifs semble plutôt être la bonne stratégie.
Je ne m'inquiète pas du fait que des résidents étrangers détiennent la dette française mais suis préoccupé que l'on ne connaisse pas ses détenteurs. En plein conflit entre la Russie et l'Ukraine, le ministre délégué ne peut pas affirmer que la France ne verse pas d'intérêts à des acteurs russes, faute de disposer du tableau de la détention de la dette par les non-résidents. Votre cartographie, parcellaire, rassemble des éléments issus des flux lors des adjudications. La dette circule ensuite très rapidement, comme de la monnaie, si bien que l'on ne sait pas où se trouve le détenteur du titre.
Lorsque la France émet des titres, certains pays qui ne sont pas nos amis laissent les spécialistes en valeur du Trésor (SVT) acquérir des titres puis les revendre sur le marché secondaire, par exemple à des Russes, qui en toucheront les intérêts. Les SVT, les financiers français, ont l'interdiction de travailler avec les pays sous embargo, comme la Russie. Cependant, une fois le titre sur le marché secondaire, il n'est plus contrôlé de la même façon, notamment lorsqu'il a été revendu à des étrangers.
Il est normal que le taux de détention par les non-résidents ait baissé lors des dix dernières années, car la Banque de France a mené une politique de quantitative easing (« assouplissement quantitatif »), rachetant de nombreux actifs. Il a commencé à augmenter dès que la Banque de France a cessé ses rachats de titres.
Les flux financiers que vous décrivez n'existent que lorsque la France rembourse sa dette. Or ils transitent par Euroclear, qui garantit que notre pays ne verse pas un centime à la Russie.
La commission autorise, en application de l'article 146, alinéa 3, du Règlement de l'Assemblée nationale, la publication du rapport d'information de M. Kévin Mauvieux.
Puis la commission procède à la discussion sur la thématique d'évaluation La privatisation de la Française des jeux (M. Philippe Brun, rapporteur spécial).
Je veux d'abord remercier les personnes que j'ai auditionnées pour leur disponibilité et le grand nombre de documents qui m'ont été communiqués. Si je comprends qu'une entreprise cotée ait ses contraintes, je regrette qu'une exigence démocratique de transparence ne puisse s'appliquer plus souvent à la vie économique.
La privatisation de La Française des jeux (FDJ) a été prévue par la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi Pacte. Le transfert au secteur privé de la majorité de son capital visait à accompagner le développement et la modernisation de l'entreprise tout en la maintenant sous le contrôle strict de l'État, afin que celui-ci continue à prévenir le jeu excessif, à protéger les populations vulnérables, notamment les mineurs, et à lutter contre la fraude et le blanchiment d'argent.
Selon l'étude d'impact, « le contrôle actionnarial d'une entreprise, limité par essence dans ses moyens de contrôle quotidien de l'activité, ne s'avère pas être le vecteur pertinent pour assurer le respect de ces impératifs de contrôle de l'offre de jeux. Il apparaît que le maintien de l'État comme actionnaire majoritaire de l'entreprise ne revêt ni un caractère stratégique pour l'État actionnaire, ni une nécessité pour assurer le respect par l'entreprise de ces impératifs de contrôle de l'offre. »
La doctrine de l'État actionnaire, qui a ses qualités, présente toutefois le défaut de n'envisager la propriété publique d'une entreprise que sous l'angle de la stricte nécessité du moment. Or l'existence d'un secteur public est le fruit d'une histoire, d'un héritage : ce sont des biens en partage.
Vous vous interrogez sur la nécessité de conserver une entreprise dans le portefeuille de l'État : savoir pourquoi la céder est plus pertinent. La Française des jeux offre l'exemple d'une opération qu'une doctrine plus soucieuse de l'intérêt de la collectivité aurait conduit à écarter.
Prévue à l'article 137 de la loi Pacte, la privatisation de La Française des jeux a été décidée par un décret du 30 octobre 2019. Des arrêtés du mois de novembre en ont fixé les modalités, notamment une offre publique à prix ouvert (OPO) en France, qui portait sur 20 % à 40 % du nombre total d'actions cédées, les particuliers bénéficiant d'une réduction de 2 % sur le prix des actions et se voyant, sous certaines conditions, remettre une action complémentaire gratuite pour dix actions acquises. Étaient également prévus un placement institutionnel en France et sur le marché international ainsi qu'une offre réservée aux salariés, un volume maximal de 9 276 438 actions détenues par l'État étant cédé à La Française des jeux au prix de l'OPO, à charge pour elle de les rétrocéder aux ayants droit.
Le nombre total d'actions cédées par l'État s'est finalement élevé à près de 98 millions, pour un montant brut de plus de 1,8 milliard d'euros, soit environ 52 % du capital de La Française des jeux.
Le prix de cession avait été fixé à 19,90 euros. Je n'entends pas ouvrir de polémique sur ce sujet mais force est de constater qu'il a bien évolué : le titre a atteint son plus haut niveau historique le 24 juin 2021, à 51,58 euros. Depuis la fin de l'année 2021, il évolue dans un « tunnel » de plus ou moins 5 euros, autour de 35 euros, soit un cours supérieur de 76 % au prix de la cession des actions par l'État. Hier, lundi, à la clôture, il était de 33,96 euros, soit + 71 % par rapport au prix de cession.
Les résultats sont au rendez-vous. Dès 2019, ils étaient légèrement supérieurs aux prévisions. En 2023, le chiffre d'affaires atteignait 2,6 milliards d'euros et les niveaux de profitabilité étaient tout à fait satisfaisants, avec un bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement de 657 millions d'euros.
Quant aux dividendes, ils ont augmenté de 180 % entre 2018 et 2023. Si l'État avait conservé sa part dans l'entreprise à son niveau de 2018, il percevrait un dividende de 245 millions d'euros. Maintenu à ce niveau pendant huit ans, le dividende rapporterait la totalité de ce que l'État a pu encaisser en cédant la moitié du capital de l'entreprise.
La profitabilité et le développement de l'entreprise sont telles que l'État espère percevoir dans quelques années, avec 20 % du capital, un dividende égal à celui qu'il percevait lorsqu'il en détenait 72 %. En ces temps de disette budgétaire largement causés par un refus idéologique et clientéliste de la majorité d'augmenter les impôts, il est bien triste de se priver d'une telle ressource. Vous comprendrez que je qualifie de l'opération menée de choix court-termiste et à courte vue.
Eu égard aux objectifs que le Gouvernement avait lui-même fixés, qu'est-ce qui empêchait le développement de l'entreprise publique La Française des jeux ? Dans quelle mesure la propriété publique de la FDJ l'aurait-elle empêché d'évoluer ainsi ? Qu'a apporté l'actionnariat privé ? Lors de son audition, la présidente de la FDJ, Stéphane Pallez, a assuré qu'un maintien de l'État à 72 % du capital n'aurait rien changé, si ce n'est la forte capacité de Bercy à vouloir prélever un dividende. Aujourd'hui, l'investissement est privilégié.
Par ailleurs, à la suite de plaintes de concurrents, la Commission européenne a ouvert une procédure formelle d'examen le 26 juillet 2021, reprochant aux autorités françaises d'avoir sous-évalué le montant de la soulte de 380 millions d'euros versée par La Française des jeux au moment de sa privatisation en contrepartie de la sécurisation des droits exclusifs de l'entreprise sur les jeux de loterie pendant vingt-cinq ans.
Pouvez-vous revenir sur cette procédure, sur son calendrier ainsi que sur vos arguments et sur ceux que font valoir les plaignants ?
L'introduction en bourse dont traite le rapport spécial est une conséquence directe de l'évolution de la doctrine de l'État actionnaire opérée à partir de 2017. Elle est une réussite pour l'épargne populaire, pour l'État et pour La Française des jeux, permise par le Parlement au travers de la loi Pacte, promulguée le 22 mai 2019.
Cette opération, qui a consisté en la cession par l'État de la moitié des titres de La Française des jeux pour une valeur totale de presque 1,9 milliard d'euros est d'abord un succès populaire.
Elle a suscité un réel engouement, malgré le prix de l'action définie dans la fourchette haute des recommandations de la Commission des participations et des transferts, à 19,90 euros par action. Sur les presque 100 millions d'actions vendues par l'État, plus de 40 % l'ont été aux particuliers, salariés ou détaillants buralistes de La Française des jeux, dont les ordres ont été servis en priorité, conformément aux souhaits du Gouvernement. Il s'agissait alors de nombreux petits porteurs, qui ont été servis dans la limite de 2 000 euros. Au total, un demi-million de particuliers ont participé à cette opération. Ce résultat spectaculaire témoigne de la réussite populaire de l'opération.
Plus de quatre ans après, l'histoire a montré que les particuliers ont eu raison de souscrire aussi largement à cette opération, puisque le cours de l'action n'est presque jamais retombé en dessous du cours d'introduction. Cet ancrage populaire fait toujours partie de l'ADN de la société puisque la FDJ compte près de 400 000 actionnaires individuels – elle fait partie des sociétés françaises cotées ayant le plus de particuliers à son capital.
L'opération est également un succès pour l'État. L'introduction en bourse a été réalisée parallèlement à une modification du cadre juridique et fiscal applicable aux jeux d'argent et de hasard en France, permettant notamment de mieux protéger les Français et les intérêts financiers de l'État dans la durée.
La loi Pacte a instauré une nouvelle autorité indépendante, l'Autorité nationale des jeux (ANJ), en étendant le périmètre des prérogatives de l'ancienne Autorité de régulation des jeux en ligne avec la régulation des opérateurs titulaires de droits exclusifs en matière de jeux d'argent et de hasard, FDJ et PMU.
Par ailleurs, l'État – qui détient 20 % du capital de la FDJ et reste son actionnaire de référence – a renforcé son contrôle sur l'entreprise grâce à des barrières à l'évolution du capital, au maintien auprès de la société d'un commissaire du Gouvernement, à l'obligation d'un agrément par les ministres des nominations des dirigeants mandataires sociaux ou encore à la possibilité pour le ministre chargé du budget de prononcer à tout moment une suspension – voire l'interdiction – de l'exploitation d'un jeu sous droits exclusifs pour des motifs de sauvegarde de l'ordre public.
En avril 2023, le Conseil d'État a validé cette nouvelle organisation et les modalités de privatisation, en jugeant que le monopole accordé à la FDJ sur certains segments de jeux était conforme au droit de l'Union européenne. Il a considéré que la protection de la santé et de l'ordre public en raison des risques avérés de jeu excessif, de fraude et d'exploitation des jeux de loterie à des fins criminelles, constitue des raisons impérieuses d'intérêt général de nature à justifier une limitation à la libre prestation de services et à la liberté d'établissement. Il a ainsi rejeté les recours en annulation de plusieurs acteurs du secteur contre les différents textes pris dans le cadre de la privatisation de la FDJ.
Sur le plan financier, si l'État perçoit moins de dividendes chaque année, il faut mettre en perspective ces montants de l'ordre d'au plus quelques centaines de millions avec, d'une part, ce que l'opération a rapporté – près de 2 milliards – et, d'autre part et surtout, avec les prélèvements publics auxquels la FDJ est soumise – soit 4,2 milliards d'euros en 2023.
Enfin, il faut noter que le niveau des dividendes perçus par l'État se rapproche dès à présent des montants qu'ils atteignaient avant l'introduction en Bourse, avec presque 70 millions d'euros en 2023 contre 87 millions d'euros en 2018. Cette augmentation est rendue possible par la croissance d'une entreprise ayant ouvert son capital. Autrement dit, comparaison n'est pas raison : rien ne dit que la FDJ serait en mesure de distribuer un montant de dividendes équivalent sans la privatisation.
Cette augmentation tant des dividendes distribués que des prélèvements publics démontre que cette opération est également un succès pour l'entreprise. La FDJ a connu une croissance de son résultat net de 34 % par an en moyenne et le montant des dividendes distribués a été multiplié par quatre depuis la privatisation en 2019. Grâce à une plus grande agilité permise par l'évolution de la gouvernance de l'entreprise, cette dernière a pu se montrer particulièrement résiliente face aux différentes crises.
Par ailleurs, la FDJ a pu se développer à l'international grâce à plusieurs acquisitions comme ZETurf et Premier Lotteries Ireland. Elle a lancé une offre publique d'achat en début d'année sur Kindred – qui possède la marque Unibet, opérant en France. La FDJ est fondamentalement attachée à développer un jeu responsable et elle maintient une relation équilibrée avec les distributeurs en points de vente, dont les buralistes – ce à quoi je prête une attention toute particulière.
En conclusion, je souligne que cette introduction en bourse a permis d'offrir un placement avantageux à des centaines de milliers de particuliers, en dirigeant leur épargne vers l'économie française. La privatisation a également permis de monétiser à un prix pertinent une participation de l'État dans une entreprise qui reste sous son contrôle étroit. Le produit de cette vente a servi à mener d'autres opérations. Enfin, cette politique a favorisé le développement d'un groupe français capable de se déployer à l'international.
À la suite de plusieurs plaintes d'opérateurs concurrents, la Commission européenne a décidé d'ouvrir une procédure formelle contre les autorités françaises le 26 juillet 2021, en leur reprochant d'avoir sous-évalué la soulte de 380 millions d'euros versée par la FDJ au moment de sa privatisation en contrepartie de la sécurisation des droits exclusifs de l'entreprise. Ces mêmes concurrents ont déposé quinze recours devant le Conseil d'État sur l'ensemble de l'opération dont un seul, qui porte sur cette soulte, est encore pendant dans l'attente de la décision de la Commission européenne.
Nous considérons que la rémunération de 380 millions d'euros versée par la FDJ à l'État est conforme aux conditions de marché. Elle n'est pas sous-évaluée et ne constitue pas un avantage pour l'entreprise au sens de la réglementation des aides d'État. Nous avons eu recours à une méthode différentielle pour évaluer le montant de cette rémunération et nous l'avons fixé après avis de la Commission des participations et des transferts.
Les échanges se poursuivent actuellement avec la Commission européenne et nous sommes convaincus qu'une issue favorable sera trouvée très prochainement.
S'agissant de la rentabilité de la privatisation, encore une fois les dividendes versés se rapprochent de leur niveau antérieur alors même que nous avons cédé l'essentiel du capital. Cela montre que l'entreprise s'est formidablement bien développée. En outre, nous continuons à disposer du levier fiscal, qui nous a permis d'encaisser 4 milliards d'euros. Il n'a absolument pas été affecté par l'ouverture à la concurrence. C'est un puissant outil de régulation, qui s'ajoute au fait que les mandataires sociaux de l'entreprise doivent recevoir l'agrément de l'État.
Cinq ans après cette opération, vous en dressez un bilan positif.
L'État détient actuellement 20 % du capital de la FDJ. Envisagez-vous de faire évoluer cette part ?
Il n'est pas prévu de modifier la participation de l'État. Nous considérons que la situation actuelle est convenable et conforme à ses intérêts.
Cinq ans après le vote de la loi Pacte et alors que nous allons bientôt examiner le projet de loi de simplification de la vie économique – qui s'annonce comme une loi Pacte 2 –, le rapporteur spécial nous propose de discuter du bilan de l'opération de cession au secteur privé de la majorité du capital de la FDJ, l'État en étant resté actionnaire à hauteur de 20 %.
Ce bilan est très positif. Alors que le contrôle de l'État reste effectif et que la gouvernance de l'entreprise est toujours de très bonne qualité, cette opération a permis de soutenir l'actionnariat populaire avec le succès que l'on sait – et c'était bien l'objectif. Environ 500 000 Français ont acheté des titres durant la première année et ils sont encore 380 000 à en détenir. Même si l'État s'est privé d'une partie des dividendes de la FDJ, il l'a fait pour permettre à des milliers de Français de profiter des résultats de cette entreprise, mais aussi de s'acculturer au fonctionnement des marchés boursiers.
Il faut quand même rappeler que seulement 10 % des Français sont directement actionnaires. Il est tout à fait crucial de soutenir l'actionnariat populaire et cela passe notamment par ce type d'opération. Tout le monde doit pouvoir s'impliquer sur les marchés afin d'en maîtriser les rudiments et d'en bénéficier.
Monsieur le ministre, quelles mesures ont été prises en 2023 et qu'envisagez-vous en 2024 pour continuer à soutenir cet actionnariat populaire, que j'appelle de mes vœux ?
Vous avez raison, c'est une opération exemplaire, notamment en raison de son caractère très populaire. On compte encore quasiment 400 000 actionnaires individuels, pour lesquels cela a été une bonne opération – y compris pour ceux qui y ont participé au départ. Ils ont bénéficié de l'amélioration de la valeur boursière et des dividendes. Comme vous l'avez dit, cela doit inciter les Français à investir dans les entreprises.
Toute la politique que nous avons menée depuis 2017 y contribue. D'une part, nous continuons à soutenir les supports d'investissement en actions, tels que l'assurance vie, le plan d'épargne en actions (PEA) et le plan d'épargne retraite (PER). C'est aussi une manière de favoriser l'actionnariat pour le plus grand nombre. La création du prélèvement forfaitaire unique (PFU) et, osons le dire, sa stabilité participent également au développement de cet actionnariat populaire. Enfin, la loi sur le partage de la valeur au sein des entreprises favorise l'actionnariat des salariés. Tout cela constitue une première étape vers l'investissement direct dans les entreprises.
Monsieur Geismar, je sais que nous pouvons compter sur votre soutien pour maintenir cette stabilité fiscale, qui est absolument indispensable pour encourager les Françaises et les Français à investir dans les entreprises.
Je souscris à l'analyse que fait M. Brun de l'opération et de ses conséquences. Les réponses que j'ai entendues ne me rassurent pas sur cette opération, car les raisons que vous avancez sont évidemment fallacieuses. Il n'existe malheureusement pas beaucoup d'incitations à ce que les Français investissent dans les actions et la hausse récente du marché des actions est conjoncturelle et n'est pas spécialement liée à la politique de l'État. Du reste, l'État ne mène pas sa politique pour inciter les Français à investir en actions et ce n'est pas une opération unique qui le fera – ce serait même très dangereux.
Sans me prononcer sur le fond – j'étais favorable à ce que La Française des jeux reste à 100 % publique –, une incitation à investir dans une entreprise ou dans une poignée d'entreprises est la pire des manières d'inciter à aller vers le marché des actions. Sans les compétences, le temps et la liberté de suivre au quotidien le marché des actions, il faut faire un panier quasiment indexé et diversifier les actions – ce qui est du reste contradictoire avec ce que vous avez dit à propos de la dette.
Vous n'avez visiblement tiré aucune leçon des traumatismes d'Eurotunnel, d'EDF et de France Télécom. Faire croire aux Français qu'ils doivent investir leurs économies dans une action, c'est le faux ami par excellence. C'est un peu moins grave pour La Française des jeux, qui n'est actuellement pas soumise à la concurrence – touchons du bois ! – et bénéficie donc d'un marché captif, de telle sorte qu'il n'y a pas de risque pour les actionnaires. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il fallait qu'elle reste un monopole public, mais il y a de la mauvaise foi à dire que vous avez fait cette opération pour inciter les Français à investir sur le marché des actions. Vous avez vendu un bijou de famille parce que vous deviez trouver de l'argent en urgence. Vous n'êtes pas les premiers mais si, par chance, nous sommes élus en 2027, vous serez les derniers.
Il va falloir réviser vos connaissances en matière d'incitations à l'investissement en actions. Ici même, notamment lors de l'examen du projet de loi de finances, on ne cesse d'évoquer les dispositifs fiscaux qui incitent à la détention d'actions : le PER, le PEA, le PFU, qui a été un élément très fort d'attractivité de notre pays et d'incitation à l'investissement, la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune, transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Monsieur Tanguy, je vous ai écouté dire des énormités, permettez-moi de vous répondre. Vous dites qu'il n'y a rien pour inciter les Français à investir dans les actions mais je viens de citer de nombreux dispositifs fiscaux, dont le coût est d'ailleurs significatif et dont nous avons l'occasion de débattre ici. Je pense, au demeurant, que vous ne souhaitez pas être convaincu.
Monsieur le ministre, je ne suis pas tout à fait convaincu par vos réponses. En 2018, on a privatisé un monopole, qui en est d'ailleurs toujours un car, sur les 2,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires de La Française des jeux, 2 milliards d'euros correspondent à des activités de loterie, relevant du monopole. En privatisant un monopole dont les rendements sont croissants, nous nous sommes privés de 245 millions d'euros et des bénéfices futurs d'une entreprise que nous contrôlons et que nous avons vocation à réguler. C'est inacceptable.
On peut d'ailleurs penser que, sans cette privatisation, l'évolution de l'entreprise aurait été possible avec un cadre juridique modernisé, comme le permet la loi Pacte, et un cadre financier également modernisé. Je rappelle que l'équipe dirigeante de La Française des jeux est aujourd'hui le même qu'avant la privatisation – Mme Stéphane Pallez était déjà en place en 2015 – et que, pour une grande partie, l'augmentation du chiffre d'affaires est liée aux activités sous monopole.
Je tiens donc à vous dire mon scepticisme sur cette opération. J'ai le sentiment que, comme lors de la privatisation des autoroutes en 2018, que les Français n'ont pas oubliée, nous avons sacrifié une entreprise d'intérêt national qui n'aurait jamais dû être privatisée.
La commission autorise, en application de l'article 146, alinéa 3, du Règlement de l'Assemblée nationale, la publication du rapport d'information de M. Philippe Brun.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 28 mai 2024 à 21 heures 30
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Fabien Di Filippo, Mme Alma Dufour, M. Luc Geismar, Mme Félicie Gérard, M. Mohamed Laqhila, Mme Véronique Louwagie, M. Kévin Mauvieux, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Jean-Marc Tellier
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Manuel Bompard, M. Éric Coquerel, M. Joël Giraud, M. Tematai Le Gayic, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard