Je veux d'abord remercier les personnes que j'ai auditionnées pour leur disponibilité et le grand nombre de documents qui m'ont été communiqués. Si je comprends qu'une entreprise cotée ait ses contraintes, je regrette qu'une exigence démocratique de transparence ne puisse s'appliquer plus souvent à la vie économique.
La privatisation de La Française des jeux (FDJ) a été prévue par la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite loi Pacte. Le transfert au secteur privé de la majorité de son capital visait à accompagner le développement et la modernisation de l'entreprise tout en la maintenant sous le contrôle strict de l'État, afin que celui-ci continue à prévenir le jeu excessif, à protéger les populations vulnérables, notamment les mineurs, et à lutter contre la fraude et le blanchiment d'argent.
Selon l'étude d'impact, « le contrôle actionnarial d'une entreprise, limité par essence dans ses moyens de contrôle quotidien de l'activité, ne s'avère pas être le vecteur pertinent pour assurer le respect de ces impératifs de contrôle de l'offre de jeux. Il apparaît que le maintien de l'État comme actionnaire majoritaire de l'entreprise ne revêt ni un caractère stratégique pour l'État actionnaire, ni une nécessité pour assurer le respect par l'entreprise de ces impératifs de contrôle de l'offre. »
La doctrine de l'État actionnaire, qui a ses qualités, présente toutefois le défaut de n'envisager la propriété publique d'une entreprise que sous l'angle de la stricte nécessité du moment. Or l'existence d'un secteur public est le fruit d'une histoire, d'un héritage : ce sont des biens en partage.
Vous vous interrogez sur la nécessité de conserver une entreprise dans le portefeuille de l'État : savoir pourquoi la céder est plus pertinent. La Française des jeux offre l'exemple d'une opération qu'une doctrine plus soucieuse de l'intérêt de la collectivité aurait conduit à écarter.
Prévue à l'article 137 de la loi Pacte, la privatisation de La Française des jeux a été décidée par un décret du 30 octobre 2019. Des arrêtés du mois de novembre en ont fixé les modalités, notamment une offre publique à prix ouvert (OPO) en France, qui portait sur 20 % à 40 % du nombre total d'actions cédées, les particuliers bénéficiant d'une réduction de 2 % sur le prix des actions et se voyant, sous certaines conditions, remettre une action complémentaire gratuite pour dix actions acquises. Étaient également prévus un placement institutionnel en France et sur le marché international ainsi qu'une offre réservée aux salariés, un volume maximal de 9 276 438 actions détenues par l'État étant cédé à La Française des jeux au prix de l'OPO, à charge pour elle de les rétrocéder aux ayants droit.
Le nombre total d'actions cédées par l'État s'est finalement élevé à près de 98 millions, pour un montant brut de plus de 1,8 milliard d'euros, soit environ 52 % du capital de La Française des jeux.
Le prix de cession avait été fixé à 19,90 euros. Je n'entends pas ouvrir de polémique sur ce sujet mais force est de constater qu'il a bien évolué : le titre a atteint son plus haut niveau historique le 24 juin 2021, à 51,58 euros. Depuis la fin de l'année 2021, il évolue dans un « tunnel » de plus ou moins 5 euros, autour de 35 euros, soit un cours supérieur de 76 % au prix de la cession des actions par l'État. Hier, lundi, à la clôture, il était de 33,96 euros, soit + 71 % par rapport au prix de cession.
Les résultats sont au rendez-vous. Dès 2019, ils étaient légèrement supérieurs aux prévisions. En 2023, le chiffre d'affaires atteignait 2,6 milliards d'euros et les niveaux de profitabilité étaient tout à fait satisfaisants, avec un bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement de 657 millions d'euros.
Quant aux dividendes, ils ont augmenté de 180 % entre 2018 et 2023. Si l'État avait conservé sa part dans l'entreprise à son niveau de 2018, il percevrait un dividende de 245 millions d'euros. Maintenu à ce niveau pendant huit ans, le dividende rapporterait la totalité de ce que l'État a pu encaisser en cédant la moitié du capital de l'entreprise.
La profitabilité et le développement de l'entreprise sont telles que l'État espère percevoir dans quelques années, avec 20 % du capital, un dividende égal à celui qu'il percevait lorsqu'il en détenait 72 %. En ces temps de disette budgétaire largement causés par un refus idéologique et clientéliste de la majorité d'augmenter les impôts, il est bien triste de se priver d'une telle ressource. Vous comprendrez que je qualifie de l'opération menée de choix court-termiste et à courte vue.
Eu égard aux objectifs que le Gouvernement avait lui-même fixés, qu'est-ce qui empêchait le développement de l'entreprise publique La Française des jeux ? Dans quelle mesure la propriété publique de la FDJ l'aurait-elle empêché d'évoluer ainsi ? Qu'a apporté l'actionnariat privé ? Lors de son audition, la présidente de la FDJ, Stéphane Pallez, a assuré qu'un maintien de l'État à 72 % du capital n'aurait rien changé, si ce n'est la forte capacité de Bercy à vouloir prélever un dividende. Aujourd'hui, l'investissement est privilégié.
Par ailleurs, à la suite de plaintes de concurrents, la Commission européenne a ouvert une procédure formelle d'examen le 26 juillet 2021, reprochant aux autorités françaises d'avoir sous-évalué le montant de la soulte de 380 millions d'euros versée par La Française des jeux au moment de sa privatisation en contrepartie de la sécurisation des droits exclusifs de l'entreprise sur les jeux de loterie pendant vingt-cinq ans.
Pouvez-vous revenir sur cette procédure, sur son calendrier ainsi que sur vos arguments et sur ceux que font valoir les plaignants ?