Tout d'abord, il est hasardeux de comparer la dette de l'État à celle du Rassemblement national : dans le second cas, à la différence du premier, la diversification des créanciers potentiels faisait singulièrement défaut…
Nous nous sommes fixé un cap de soutenabilité de nos finances publiques et de la souveraineté de la France. L'atteindre suppose de poursuivre les réformes d'ampleur engagées pour parvenir au plein-emploi et accélérer la réindustrialisation et la transition écologique. C'est ce cap qui nous a permis d'afficher un bilan économique solide sur le front de la croissance, de l'attractivité, de la réindustrialisation, du reflux de l'inflation et de la création d'emplois. Maîtriser nos finances publiques pour rétablir nos comptes sans pénaliser la croissance, c'est cette boussole qui nous permettra de tenir l'objectif de réduction du déficit public sous les 3 %. La maîtrise de nos dépenses publiques est indispensable pour garantir le financement de nos priorités et pour faire face aux crises, comme ces dernières années.
Nous avons une stratégie de financement claire : l'État, par l'intermédiaire de l'Agence France Trésor, doit émettre la dette au meilleur coût pour le contribuable et dans les meilleures conditions de sécurité. La stratégie d'émission repose sur les principes de régularité et de prévisibilité, sur un marché structuré de la dette d'État animé par des professionnels, les spécialistes en valeurs du Trésor. Ces principes doivent permettre de susciter une demande dynamique.
La diversification de nos investisseurs est un atout considérable. Elle nous permet de nous financer à moindre coût, grâce à leur mise en concurrence, et dans les meilleures conditions de sécurité puisqu'elle nous prémunit contre un choc économique qui frapperait une zone géographique ou un investisseur en particulier.
En ce qui concerne la répartition par zone géographique, les trois quarts environ de la dette sont détenus par des Français ou par des investisseurs en zone euro : des investisseurs domestiques, pour un premier quart ; l'Eurosystème par l'intermédiaire de la Banque de France, pour un deuxième quart ; des investisseurs de la zone euro, pour un troisième quart. Le dernier quart est prêté par des investisseurs européens hors zone euro, Suisses et Britanniques notamment, ou du reste du monde. Cette diversité traduit la confiance dans le crédit de la France.
En ce qui concerne les types d'investisseurs, il peut s'agir d'assureurs, de banques – qui commercialisent par exemple le livret A –, de banques centrales ou de fonds de pension dans les pays où la retraite se fait par capitalisation, comme chez nos voisins néerlandais. Cette diversité est, là encore, une marque de confiance dans notre crédit, ainsi que dans les qualités techniques de la dette française. En témoigne, par exemple, la plus forte détention par les investisseurs français des obligations indexées, reflet des besoins de l'épargne réglementée française qui protège en partie contre l'inflation.
Ainsi, la distinction entre investisseurs domestiques et non domestiques ne fournit pas une grille de lecture pertinente. Un nombre limité d'investisseurs est plus risqué qu'un grand nombre, que les investisseurs soient domestiques ou non. S'il fallait restreindre volontairement le recours à un certain type d'investisseurs, le taux d'intérêt en serait mécaniquement plus élevé, de sorte que la charge d'intérêts augmenterait.
Dans ce contexte, serait-il souhaitable de diffuser des données plus détaillées concernant la détention de notre dette ? Les données existent déjà ; le FMI et la Banque de France fournissent ces informations. Faut-il aller plus loin ? Si nous limitions l'attractivité de notre dette, nous réduirions le nombre d'investisseurs auxquels nous pouvons nous adresser et nous rendrions la dette plus chère pour les Français, alors qu'elle pèse déjà lourdement sur nos finances publiques, comme vous l'avez dit. De ce point de vue, votre propos est contradictoire. L'argent supplémentaire dépensé en charge de la dette pour restreindre le nombre d'investisseurs pourrait utilement trouver à s'employer ailleurs, par exemple pour financer nos priorités.
Cette diversité est-elle un risque pour la souveraineté de la France ? Tout d'abord, je le répète, les investisseurs agissent pour les épargnants dont ils collectent l'épargne et pour gérer les réserves de change au niveau de la banque centrale. Ce ne sont pas les pays qui prêtent directement à la France, ce sont des épargnants. Ensuite, acheter un titre de dette, c'est prêter à la France ; cela ne confère aucun droit particulier sur la politique menée par le Gouvernement. La détention d'un titre de dette ou d'une obligation ne donne qu'un droit : celui d'être remboursé. Il ne s'agit pas d'une action, qui est, elle, un titre de propriété. Vous confondez action et obligation. A contrario, une dette détenue en trop grande proportion par des résidents présenterait des risques : si la dépendance est trop grande entre les banques domestiques et l'État, un choc du secteur bancaire pourrait se répercuter sur ce dernier ou, inversement, les difficultés de l'État pourraient rejaillir sur le secteur bancaire.
Notre stratégie a prouvé sa résilience lors des chocs que nous avons subis ces dernières années. La répartition de notre dette témoigne de la confiance que nous accordent les épargnants en France, dans la zone euro et dans le reste du monde, ainsi que l'attractivité de notre pays. N'avoir qu'un seul prêteur présente un risque de dépendance ; en avoir beaucoup est un atout. Cette confiance est une force qui permet de financer la dette à moindre coût pour les Françaises et les Français. Cette force doit demeurer ; nous nous y employons.
Pour inciter les résidents à acquérir de la dette souveraine – ce qu'ils peuvent déjà faire –, vous devrez, par exemple, créer un avantage fiscal, ce qui augmentera le coût de la dette : en fait, c'est le contribuable qui paiera. Et là où il y a un système avantageux et utile, vous aggraverez les finances publiques tout en restreignant le champ des investisseurs potentiels. D'ailleurs, en évoquant une « proportion raisonnable » de non-résidents parmi les créanciers, vous montrez que vous ignorez quelle part serait adéquate. Notre stratégie est la bonne : elle a démontré son efficacité ces dernières années.