La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Suite de la discussion d'un projet de loi
Ce matin, l'Assemblée a commencé la discussion des articles du projet de loi, s'arrêtant à l'amendement n° 12 à l'article 1er .
La parole est à Mme Ersilia Soudais, pour soutenir l'amendement n° 12 .
Dans le cas où les ayants droit ne demandent pas, alors qu'ils en ont la possibilité, la restitution du bien culturel qui leur revient, nous souhaitons que l'étiquette – parfois appelée cartel ou notice – accompagnant l'œuvre exposée au public mentionne la spoliation dont il a fait l'objet. Cela permettra aux visiteurs de mieux comprendre l'importance de la spoliation de biens culturels lors des persécutions antisémites perpétrées par l'Allemagne nazie et par l'État français entre 1933 et 1945.
La parole est à Mme Fabienne Colboc, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, pour donner l'avis de la commission.
Je souscris totalement à l'idée d'informer le public sur le parcours de l'œuvre. C'est d'ailleurs déjà le cas pour les biens culturels figurant à l'inventaire musées nationaux récupération (MNR). C'est aussi ce qui a été fait au musée Labenche de Brive-la-Gaillarde pour la tapisserie L'Odorat. Musées et ayants droit sont parfaitement d'accord, mais une telle précision n'est pas d'ordre législatif. Avis défavorable.
La parole est à Mme la ministre de la culture, pour donner l'avis du Gouvernement.
Je partage l'analyse de la rapporteure et donnerai le même exemple, celui de Brive-la-Gaillarde. Tous les musées sont d'accord pour le préciser mais cela ne relève pas du domaine législatif. Soyez assurée que ce sera fait partout.
L'amendement n° 12 n'est pas adopté.
La parole est à M. Stéphane Lenormand, pour soutenir les amendements n° 1 rectifié et 2 rectifié , qui peuvent faire l'objet d'une présentation groupée.
L'amendement n° 1 rectifié vise à inscrire la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS) dans le code du patrimoine. Il prévoit également la présence de parlementaires au sein de cette commission. Cela permettrait à la représentation nationale d'exercer sa mission de contrôle sur ce sujet délicat et important.
L'amendement n° 2 rectifié est un amendement de repli, qui vise seulement à inscrire la CIVS dans le code du patrimoine.
Nous avons eu le débat en commission et, la ministre de la culture l'a rappelé, lors de l'élaboration du projet de loi, le Conseil d'État a précisé au ministère de la culture qu'il ne revient pas à la loi de créer une commission administrative, cette compétence relevant du domaine réglementaire.
En conséquence, pour que la CIVS apparaisse dans le code du patrimoine, il n'est pas nécessaire d'inscrire la commission dans la loi. Le décret en Conseil d'État, prévu par le projet de loi, comprendra une section d'application qui intégrera cette commission administrative dans les articles réglementaires du code du patrimoine.
S'agissant de la présence de parlementaires au sein de la commission, comme vous, je me suis demandé s'il ne serait pas utile, et important, que des parlementaires y siègent. Après avoir auditionné les membres de la CIVS, il me semble plus important, pour faire avancer les recherches, d'ajouter, éventuellement, des experts plutôt que des parlementaires.
En outre, la CIVS peut parfaitement être auditionnée par les instances de l'Assemblée nationale et du Sénat. Enfin, les parlementaires peuvent aussi se saisir de son rapport annuel et faire remonter leurs remarques au ministère de la culture et aux services du Premier ministre, dont la CIVS dépend. Avis défavorable pour les deux amendements.
Même avis. En effet, la CIVS n'a pas été créée par la loi, mais par un décret en 1999. La rapporteure a raison, le Conseil d'État nous a rappelé que ce type de disposition ne relève pas de la loi mais du domaine réglementaire. Si le projet de loi vise la restitution des biens culturels spoliés, le champ de la CIVS est plus large : un collège de dix membres est compétent pour les spoliations matérielles et un autre collège, de quatorze membres, dont quatre spécialistes supplémentaires par rapport au premier collège, l'est pour les biens culturels.
Il nous semble compliqué de multiplier les collèges délibérants, en créant un troisième collège comprenant des parlementaires et uniquement compétent pour les biens des collections publiques. Je salue le rôle du président et des membres de la CIVS depuis 1999. Telle qu'elle est, elle a toute légitimité à instruire les dossiers complexes et à solliciter des avis d'experts extérieurs – généalogistes, chercheurs spécialisés dans tel ou tel domaine si besoin.
Le Parlement sera évidemment informé très régulièrement. En outre, vous pourrez auditionner cette commission. Enfin, le projet de loi prévoit la remise d'un rapport, et des amendements ont aussi été déposés en ce sens. Il ne s'agit pas d'être moins transparent mais de s'appuyer sur la composition actuelle, parfaite, avec des experts capables d'analyser et de comprendre la complexité de chaque dossier. Avis défavorable pour les deux amendements.
Derrière votre demande de présence de parlementaires au sein de la CIVS, j'entends que vous souhaitez que le Parlement soit informé. L'absence de parlementaire n'empêchera pas le Parlement d'être informé de l'activité de la CIVS, de ses décisions et des restitutions.
Le collège de la CIVS chargé des biens culturels est composé d'experts, d'historiens, d'historiens de l'art. Il s'agit de professionnels, qui se penchent attentivement sur chaque dossier pour vérifier s'il y a lieu de procéder à une restitution ou à une indemnisation. C'est pourquoi je partage l'avis de la ministre et de la rapporteure. Un tel ajout ne serait pas particulièrement utile, ni envisageable.
Les amendements n° 1 rectifié et 2 rectifié , successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.
Sur l'amendement n° 6 , je suis saisie par le groupe Rassemblement national d'une demande de scrutin public.
Sur le projet de loi, je suis saisie par le groupe Renaissance d'une demande de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Meyer Habib, pour soutenir l'amendement n° 18 .
Dans la continuité de mon précédent amendement, cet amendement rédactionnel vise à permettre à la commission administrative de préciser dans son avis la modalité de réparation du préjudice subi, en fonction de sa nature et de son ampleur.
Je profite de cet amendement pour rappeler que, le 4 juillet 1976, hélas, un avion d'Air France était détourné sur l'aéroport d'Entebbe par un groupe terroriste du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Ce dernier avait alors décidé non pas de séparer les Israéliens des non-Israéliens, mais les Juifs des non-Juifs. Il a fallu un courage extraordinaire au commandant Bacos pour rester avec les otages.
Le raid a été mené par un commando d'élite de l'armée israélienne, la Sayeret Matkal, sous le commandement du lieutenant-colonel Yonathan Netanyahou – qui a d'ailleurs perdu la vie, comme trois otages.
Beaucoup estiment que l'État d'Israël a été créé en compensation de la Shoah. Mais non ! Le sionisme existe depuis 2 000 ans et le nouveau sionisme depuis les années 1860. Ma conviction absolue, c'est que s'il y avait eu un État d'Israël, il n'y aurait jamais eu la Shoah.
C'est pourquoi je souffre, et je le répéterai lors des explications de vote, que nous recevions en héros à l'Assemblée nationale des membres du FPLP, comme Salah Hamouri. Ce n'est pas digne ! Ce n'est pas normal !
Ces gens ont tué des Français, ils ont tué des Juifs. Ils n'ont pas séparé les Israéliens des non-Israéliens, mais les Juifs et les non-Juifs, comme le faisaient les nazis.
Je m'en souviens car le monde était silencieux – le monde était silencieux… Je m'arrêterai là et reprendrai mon propos plus tard.
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et RN. – Murmures sur différents bancs.
Votre amendement est satisfait puisque, dans son avis, la CIVS peut proposer une indemnisation ou une restitution. Si les familles souhaitent que l'œuvre ou le bien culturel soit conservé dans le musée ou l'établissement culturel public où il se trouve, la compensation est décidée d'un commun accord avec l'institution. Quand l'œuvre n'est pas retrouvée, la CIVS peut proposer une indemnisation. Avis défavorable.
La CIVS est une commission indépendante chargée d'examiner les faits et de dire s'il y a eu spoliation. Elle rend donc un avis, qui s'appuie sur des faits. Quant aux modalités de la réparation, ce n'est pas à la commission de se prononcer en cas de spoliation concernant des biens culturels présents dans les collections publiques. S'il y a spoliation, la restitution s'impose selon les termes du projet de loi, quelle que soit la nature du bien. Je le répète, en cas de spoliation, la CIVS recommandera systématiquement la restitution.
En revanche, le projet de loi prévoit bien différentes modalités de réparation. Nous avons intentionnellement utilisé le mot « réparation », pour couvrir différents types de transactions financières, plutôt que celui d'indemnisation, modalité utilisée quand les œuvres ou les biens spoliés ne sont pas retrouvés.
Votre amendement est satisfait à l'alinéa 10 de l'article 1er , qui prévoit que d'autres modalités de réparation sont possibles.
J'en reste aux termes du débat et de l'amendement, même si votre réflexion était bien plus large.
Je veux rassurer M. Meyer Habib : son amendement est pleinement satisfait. Vous voulez ajouter que la commission administrative saisie pour avis précisera « la modalité de réparation dudit préjudice », qu'il s'agisse d'une restitution ou d'une indemnisation, selon la nature et l'ampleur du préjudice constaté, comme vous l'expliquez dans l'exposé sommaire.
Lors de l'examen en commission, j'ai défendu un amendement similaire, puisqu'il visait à compléter l'alinéa 11 par les mots : « et les modalités de réparation de la spoliation autres que la restitution du bien mentionnées à l'article L. 115-2 [du code du patrimoine] ». Il a été adopté. Conformément à l'avis rendu par le Conseil d'État, il est souhaitable – nous nous rejoignons sur ce point – de prévoir, dans le décret d'application, d'autres modalités de réparation, comme la reconnaissance mémorielle ou une compensation financière. Tel était l'objet de mon amendement ; sauf erreur ou omission de ma part, tel est également l'objet du vôtre.
Je n'en fais pas une question personnelle. J'ai écouté vos interventions attentivement : rien n'empêche la majorité de voter cet amendement. Cela est tout simple, et évitera les discussions.
Il apporte une précision au texte, d'une autre manière que le vôtre. Qu'est-ce qui vous empêche de le voter, à part qu'il est signé d'un député apparenté au groupe Les Républicains – de Meyer Habib ?
Vous dites que nous sommes d'accord sur ce point. Si c'est le cas, votez l'amendement, la discussion sera close.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.
Sur l'amendement n° 14 , je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
L'amendement n° 18 n'est pas adopté.
La proposition de loi fait l'unanimité, par l'esprit et par la forme. Nous devons à l'histoire et à la France de l'adopter ; nous le devons aux victimes et aux enfants, puisque nous avons un devoir de mémoire. Comme toute loi nécessaire à la République, il faut financer son application. En matière de restitution des biens culturels spoliés à l'échelle européenne, la France fait figure de Petit Poucet, aussi proposons-nous d'augmenter la contribution de l'État à cette noble cause.
Pour asseoir la légitimité d'une loi et assurer son efficacité, il faut garantir les moyens nécessaires à son application, ici, les moyens de soutenir celles et ceux qui auront recours au dispositif, en raison de crimes dont nous avons tous appris l'existence dans nos livres d'histoire, et que certains ont vécu dans leur chair. Aussi espérons-nous que l'Assemblée nationale votera à l'unanimité le texte, ainsi que cet amendement, qui vise à assurer le financement de sa mise en œuvre.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES et sur quelques bancs des groupes SOC et Écolo – NUPES.
Nous sommes d'accord : le travail de la commission doit être efficace et les moyens déployés pour faciliter les restitutions. Toutefois, je le répète, il nous reviendra en tant que parlementaires d'assurer le suivi du texte, notamment en auditionnant les représentants de la CIVS pendant l'examen du budget – la commission des affaires culturelles peut également les entendre à d'autres occasions.
Il est difficile d'évaluer quels seront les besoins de la CIVS après la promulgation de la loi. L'ajout que vous proposez alourdirait le texte et je ne suis pas convaincue qu'il garantirait les crédits nécessaires. Aujourd'hui, la CIVS a les moyens d'exercer ses missions ; chaque fois qu'elle a eu besoin de financements, l'État était là, comme en témoigne la création en 2019 de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS), afin de compléter son travail ; des moyens supplémentaires ont également été accordés pour que des experts puissent concourir à ses travaux. Le rapport bisannuel établira s'il est nécessaire d'alerter le Gouvernement sur un éventuel manque de crédits. Pour l'heure, j'émets un avis défavorable.
Je suis d'accord avec vous sur le fond mais je pense que votre proposition découle d'une confusion entre le rôle de la CIVS et celui de la M2RS, que nous avons créée en 2019 au ministère de la culture.
La CIVS, constituée en 1999, a déjà instruit 30 000 requêtes relatives à des spoliations antisémites, or seule une minorité concernait des biens culturels. Je salue une nouvelle fois son président, Michel Jeannoutot, et son équipe administrative, composée d'une quinzaine d'agents. J'ai expliqué tout à l'heure la composition des collèges délibérants. Elle dispose des pleins moyens nécessaires à son fonctionnement et l'État continuera à pourvoir à l'exercice de ses missions.
Pour le ministère de la culture, la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, dirigée par M. David Zivie, assis derrière moi – je le salue – mène le travail de recherche, de mémoire et d'enquête nécessaire pour aboutir aux restitutions. Comme je l'ai déjà expliqué, elle permet au ministère de jouer un rôle actif : nous avons ainsi approfondi les enquêtes et identifié certaines œuvres. Sa mission, restreinte aux biens culturels, est plus spécifique que celle de la CIVS.
Nous pourrons revenir au débat sur les moyens lors de l'examen du projet de loi de finances, le présent texte n'étant pas budgétaire. Je vous propose de retirer votre amendement ; à défaut, l'avis sera défavorable.
Vous l'aurez remarqué, aucun montant n'est inscrit dans le dispositif de l'amendement. Il s'agit d'une précaution. Vous avez vous-même évoqué la possibilité de recourir aux deniers publics pour satisfaire des besoins spécifiques. Acter ce principe renforcerait l'action du ministère et tranquilliserait les personnes susceptibles de recourir aux budgets afférents – cela devrait faire l'unanimité.
D'autres pays européens ont eu ce débat il y a quelques années ; ils n'ont pas eu la même pudeur. La France consacre beaucoup moins d'argent que d'autres pays aux mesures de cette nature et je le regrette : il serait dommage d'être à la traîne dans ce domaine, cette action étant d'utilité publique.
Il s'agit d'un amendement de bon sens ; je le soutiens. Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. La rapporteure et la ministre s'honoreraient donc à en appeler à la sagesse de l'Assemblée sur cet amendement, que le groupe Rassemblement national votera.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 65
Nombre de suffrages exprimés 64
Majorité absolue 33
Pour l'adoption 27
Contre 37
L'amendement n° 14 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy, pour soutenir l'amendement n° 19 , qui fait l'objet d'un sous-amendement.
Je défendrai les deux, qui vont de pair. Le sous-amendement vise à supprimer le qualificatif « illégal », que l'amendement tend à appliquer au régime collaborationniste en place entre 1940 et 1944. En effet, j'ai entendu les remarques formulées ce matin. Je remercie d'ailleurs Mme la ministre et Mme la rapporteure d'avoir répondu sur le fond, sans ajouter de commentaires dénués de lien avec mes propos, formulés de bonne foi.
Contrairement à ce que j'ai entendu dire, cet amendement ne vise nullement à minimiser la responsabilité du gouvernement, des administrations et des autorités français en exercice dans le territoire occupé et dans la zone dite libre. Il s'agit seulement de qualifier explicitement ce régime d'illégitime, puisqu'instauré sans l'aval du peuple français, dans des conditions épouvantables. Nous voulons souligner que dès son arrivée au pouvoir, il portait les germes des lois racistes et antisémites qu'il adopterait et appliquerait ensuite, dans toute leur abomination.
En refusant d'ajouter que ce régime fut illégitime, cette assemblée ferait disparaître les raisons pour lesquelles des Françaises, des Français et des étrangers présents en France sont entrés en résistance dès le 18 juin 1940, à l'étranger et sur le sol français, accomplissant des gestes, grands ou modestes, pour protéger et sauver des Juifs. Cela reviendrait à oublier ceux qui ont estimé dès le départ que ledit régime était aussi épouvantable qu'illégitime.
Mon propos n'est pas d'amoindrir la responsabilité de l'État français et des Français de l'époque qui agirent sous son autorité ; je veux seulement rappeler que non, ce régime n'était pas légitime, et que des gens, si minoritaires fussent-ils, se sont levés pour s'opposer à lui, de 1940 à la Libération.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.
Le sous-amendement n° 22 de M. Nicolas Dragon est défendu.
Quel est l'avis de la commission, sur le sous-amendement et sur l'amendement ?
Nous nous sommes exprimés ce matin. La rédaction issue des travaux de la commission a été adoptée à une large majorité. L'avis est défavorable au sous-amendement et à l'amendement, pour les raisons exposées ce matin, et pour que l'article 2 soit cohérent avec l'article 1er , qui vient d'être adopté.
Même avis. Certes, la suppression de l'adjectif « illégale » rend la réflexion plus complexe. Cependant, nous avons travaillé à partir d'une rédaction approuvée par le Conseil d'État – « l'autorité de fait se disant gouvernement de l'État français » –, or elle a suscité un grand émoi et de nombreux débats lors de l'examen du texte au Sénat.
Ici, on est à l'Assemblée nationale, pas au Sénat, madame la ministre !
La rapporteure, Mme Fabienne Colboc, a donc travaillé à une reformulation, avec l'aide d'historiens et de tous les députés volontaires. Je trouve que la rédaction finale est juste et équilibrée ; il faut s'y tenir.
…à vouloir nous emparer de l'héritage du discours du Vel d'Hiv, prononcé il y a vingt-huit ans ; à nous inscrire dans la continuité directe de la loi du 10 juillet 2000, instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux Justes de France ; à adopter la logique de la jurisprudence du Conseil d'État sur ces questions depuis deux décennies.
S'il devait être adopté, cet amendement déposé par les députés du groupe Rassemblement national tendrait évidemment à minorer la responsabilité de l'État français et de l'administration française dans la spoliation et les crimes commis envers les Juifs.
Protestations sur les bancs du groupe RN.
Il tendrait également à effacer le sinistre vote des parlementaires français, réunis à Vichy, le 10 juillet 1940, qui ont massivement accordé les pleins pouvoirs à Pétain.
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et HOR.
« Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement » ; comme pour l'article 1er , le juste équilibre évoqué par la ministre a été trouvé. Nous nous opposons avec la plus grande netteté à l'amendement n° 19 de l'un des représentants du Rassemblement national, même modifié – vous avez réfléchi depuis ce matin.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LFI – NUPES, Dem, HOR et GDR.
Ce que je voulais dire vient d'être dit, presque mot pour mot, par notre collègue Le Vigoureux. Peut-être sommes-nous tous chiraquiens ; ce qui est sûr, c'est que nous nous référons à un discours fondateur du président Chirac, qui a marqué une rupture avec les discours officiels sur cette période. La République était à Londres et dans les rangs de la Résistance, mais le gouvernement et l'État français n'étaient pas illégitimes. Rendre illégitime le gouvernement de Vichy, c'est exempter l'État français de sa responsabilité.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES, RE, LFI – NUPES et Dem.
J'ai parlé tout à l'heure de Missak Manouchian, en référence à la déclaration du Président de la République annonçant son entrée au Panthéon : il n'a pas été arrêté par des Allemands, mais par des policiers français, sur ordre du gouvernement français.
Il serait dramatique que nous fassions un pas en arrière par rapport à l'avancée qu'a représenté le discours du président Chirac en 1996. Je suis absolument opposé à l'évolution du texte visée par cet amendement.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES et LFI – NUPES et sur quelques bancs du groupe RE.
Cet amendement a déjà fait l'objet de deux prises de parole, mais puisqu'elles étaient toutes deux opposées à l'amendement, la parole est maintenant à M. Jean-Philippe Tanguy.
Je ne comprends pas la réponse du député du Parti communiste français. Lors du vote accordant les pleins pouvoirs à Pétain, que je n'ai jamais remis en cause, les députés communistes avaient été destitués de manière illégale. Je ne comprends donc pas comment vous pouvez tenir ces propos. Une partie considérable des députés élus par les Français à l'occasion du Front populaire…
…ont été soit emprisonnés, soit destitués, soit menacés physiquement, soit empêchés pour différentes raisons d'être présents. Ce seul fait altère la légitimité de ce vote, sans en diminuer l'ignominie. Je ne suis pas dans la polémique,…
Protestations sur plusieurs bancs du groupe RE.
Non, ca ne m'intéresse pas. J'entends la réponse de la ministre sur le fond et nous voterons l'article 2 tel qu'il est rédigé.
Que cela plaise ou non à certains, comme de nombreux Français je suis issu d'une famille de résistants, qui m'a transmis le récit suivant : le 19 juin 1940, mon arrière-grand-père a pris son bateau ; il est parti parce qu'il estimait que le régime de Vichy était illégitime.
M. Jocelyn Dessigny applaudit. – Murmures sur plusieurs bancs.
Cela ne m'accorde aucun droit particulier. Je rappelle simplement que des personnes de toutes conditions, appartenant à tous les partis républicains, partout en France et dans les colonies, ont dit « non » à ce régime parce qu'il était illégitime.
Cet amendement n'a pas d'autre but que de rappeler cela ; il ne vise ni à minimiser ni à remettre en cause le travail des historiens – qu'il s'agisse de Robert Paxton ou d'autres.
Je rappelle simplement que la Résistance est née parce que ce régime était inhumain, ignoble et illégitime.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN.
Le sous-amendement n° 22 n'est pas adopté.
L'amendement n° 19 n'est pas adopté.
La parole est à Mme Caroline Parmentier, pour soutenir l'amendement n° 6 .
Il vise à préciser à l'article 2, alinéa 2, que l'Allemagne nazie a non seulement occupé, contrôlé et influencé des territoires, mais qu'elle en a également annexés. C'est un amendement de cohérence avec l'amendement n° 5 à l'article 1er , que j'ai défendu.
Madame la ministre, madame la rapporteure, nous entendons et apprécions vos commentaires sur le fond et nous voterons cet article. Je souhaite toutefois ajouter quelques mots pour ceux qui nous écoutent, en particulier nos compatriotes d'Alsace et de Moselle, territoires annexés par le III
Pour la mémoire de nos compatriotes qui ont subi une occupation et une annexion encore plus terribles et dures que les autres – si l'on peut toutefois comparer des événements aussi tragiques –, il nous semblait important de rappeler que ces territoires ont été annexés. Cette annexion est plus qu'un simple terme administratif : ces territoires ont subi une politique de nazification, plus extrême et plus ignoble encore que le reste de la France occupée et la zone dite libre. Les Français et les étrangers juifs y ont connu des conditions encore plus épouvantables qu'ailleurs. Il ne s'agit pas de faire polémique…
…mais de reconnaître la spécificité de l'histoire et de la mémoire de ces trois départements français, qui n'ont pas vécu la même histoire que les autres.
Nous n'en faisons pas un objet de polémique, nous tenons simplement à rappeler dans cet hémicycle ce que fut le destin tragique de ces trois départements.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.
Ce débat est sémantique ; ce n'est pas un débat historique de fond. Nous sommes tous d'accord pour reconnaître que l'Alsace et la Moselle ont été annexées. Le texte parle de « […] l'Allemagne nazie, [d]es autorités des territoires qu'elle a occupés, contrôlés ou influencés et [de] l'État français entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944 […] ». Les mots « Allemagne nazie » englobent les territoires annexés puisqu'il n'existait pas d'autorité d'annexion : l'Alsace et la Moselle, par leur annexion, ont été intégrées à l'Allemagne nazie.
Ces termes ont été choisis avec des historiens et validés par le Conseil d'État. Je vous l'assure : les territoires annexés faisaient partie de l'Allemagne nazie. Notre débat est purement sémantique ; je vous confirme que dans ce texte, ces territoires sont englobés dans les termes « Allemagne nazie ». Demande de retrait.
M. Jérémie Patrier-Leitus applaudit.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 67
Nombre de suffrages exprimés 67
Majorité absolue 34
Pour l'adoption 14
Contre 53
L'amendement n° 6 n'est pas adopté.
Il vise à rendre obligatoire la restitution des biens par les musées privés. Le texte précise que les biens « peuvent être » restitués ; cet amendement vise à substituer à ces termes le mot « sont », afin de souligner le caractère obligatoire de la restitution.
Nous imaginons bien que les musées suivent les recommandations de la commission lorsque celle-ci indique que tel ou tel bien, présent dans un musée privé, doit être restitué, mais il nous semble préférable que la loi le dise clairement.
Comme je vous l'ai dit en commission, monsieur Peu, je comprends le sens de votre amendement. Nous avons tous envie que les restitutions aient lieu lorsqu'il le faut, mais nous ne pouvons obliger un musée privé à restituer un bien : ce serait inconstitutionnel.
Le Sénat a permis que la CIVS rende ses avis publics – elle le fait déjà depuis quelque temps. Nous imaginons qu'entre les avis transmis aux musées privés et les avis publics de la CIVS, des restitutions auront lieu. Avis défavorable.
Nous souhaitons que le mouvement de restitution, accéléré pour les collections publiques par ce projet de loi, puisse atteindre les collections privées. Lorsque la CIVS rendra ses avis, je ne doute pas que des œuvres détenues par des propriétaires privés seront restituées.
Le juge judiciaire est le gardien de la propriété privée ; et la loi ne peut décider seule d'un transfert de propriété entre personnes privées. Nous ne pouvons agir que sur les collections publiques ; tel est le sens de ce projet de loi. Je suis certaine que les responsables des musées privés seront fortement incités à suivre les avis de la CIVS.
Par ailleurs, l'appellation « musée de France » n'a pas de valeur au regard de la loi et ne signifie pas qu'il s'agit de collections publiques : un musée privé peut détenir ce label. Bien évidemment, nous appuierons les demandes de restitution si nécessaire, mais nous ne pouvons le faire par le biais de ce projet de loi.
L'amendement n° 7 est retiré.
L'article 2 est adopté.
L'article 3 est adopté.
La parole est à Mme Ersilia Soudais, pour soutenir l'amendement n° 13 .
Il s'agit d'un amendement de bon sens, qui vise à revenir sur un amendement adopté en commission. Il a pour objet de rendre annuel, plutôt que bisannuel, le rapport inventoriant les restitutions ou les indemnisations, destiné au Parlement, afin que ce dernier soit régulièrement informé.
Défavorable. Nous ne savons pas encore quels seront les effets de ce projet de loi, s'il est adopté. Il nous semble judicieux que la CIVS les mesure sur son action et que nous nous donnions le temps de nous faire un avis pour procéder à une évaluation. Rien ne nous empêche pas de prendre connaissance du rapport annuel d'activité de la CIVS au moment de l'examen du budget. Il nous semble opportun de conserver un rapport bisannuel.
Avis de sagesse. Le Sénat avait opté pour un rapport annuel, la commission des affaires culturelles a préféré un rapport bisannuel : quel que soit votre choix, nous sommes à votre disposition pour vous fournir les informations nécessaires sur un sujet si important.
Vous avez parlé d'un amendement de bon sens ; compte tenu du nombre de restitutions effectuées depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le mien, qui vise à rendre le rapport bisannuel et que la commission a adopté, l'est aussi. Même si ce projet de loi permettra d'accélérer le rythme, un rapport bisannuel nous semble tout à fait suffisant ; il permettra notamment à l'administration de travailler mieux.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 60
Nombre de suffrages exprimés 59
Majorité absolue 30
Pour l'adoption 10
Contre 49
L'amendement n° 13 n'est pas adopté.
Il vise à ce que le rapport remis tous les deux ans au Parlement détaille les moyens humains et financiers consacrés à la recherche de provenance des œuvres dans les collections publiques, les collections des musées de France appartenant aux personnes morales de droit privé à but non lucratif, et les biens MNR – musées nationaux récupération –, ainsi que l'état de ces recherches au sein des collections. Il propose également que le rapport indique les démarches réalisées pour rechercher les propriétaires des œuvres ou leurs ayants droit, ainsi que les diligences réalisées pour les aviser de la présence des œuvres dans les collections.
La question des moyens est en effet cruciale. Dans Le Monde du 28 mai 2021, l'éditrice Claire Gimpel-Touchard, petite-fille du marchand parisien René Gimpel, spolié et mort en 1945 en camp de concentration, se désole de la faiblesse des moyens déployés : « Il faudrait mettre cinquante chercheurs au travail pendant cinq ans pour passer au peigne fin les collections publiques ».
Natacha Pernac, maîtresse de conférence en histoire de l'art moderne, explique, dans un entretien accordé au journal Libération, le 3 avril 2023, qu'« Historiquement, le conservateur de musée compte, parmi ses missions, l'étude des collections, mais la question centrale est celle du temps nécessaire à cette recherche de provenance et de son financement. Certaines institutions, comme le musée du Louvre, le musée de l'Armée ou le [musée du quai Branly-Jacques Chirac] ont tout récemment créé chacune un poste dédié. Mais il n'y a qu'une dizaine de chercheurs de provenance employés par les institutions françaises…[Il y en a] bien plus en Allemagne ou en Suisse, où des chaires universitaires ont été créées pour développer ces enquêtes. »
Dans un contexte où les musées, comme les collectivités territoriales, doivent faire face à l'envolée des coûts, notamment de l'énergie, le défi est immense. C'est pour cette raison que le rapport ne doit pas faire l'impasse sur les moyens humains et financiers consacrés à la recherche de la provenance des œuvres ainsi que sur l'état de ces recherches au sein des collections.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
La parole est à M. Fabrice Le Vigoureux, pour soutenir l'amendement n° 20 .
Il vise à demander au Gouvernement de rendre compte de l'action qu'il a engagée pendant deux ans pour soutenir et inciter à la recherche de la provenance des œuvres, tant en matière de recherche universitaire, de formations supérieures que de création de postes au sein des institutions culturelles – musées nationaux ou archives départementales.
À la suite de la conférence de Washington de 1998 sur les œuvres d'art volées par les nazis, la France s'est engagée à appliquer les principes adoptés, notamment celui qui précise que « du personnel et des moyens devraient être mis à disposition pour faciliter le recensement de toutes les œuvres d'art ayant été confisquées par les nazis et n'ayant pas été restituées ultérieurement ». Beaucoup reste à faire.
Il s'agit, par cet amendement, de respecter les principes de la Conférence de Washington, de faire de la France une référence en matière de recherche universitaire et de s'inscrire dans une logique de reconnaissance des spoliations commises avant ou au cours de la période allant de 1933 à 1945.
« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe RE.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir le sous-amendement n° 21 .
Quel est l'avis de la commission sur les amendements en discussion commune ?
S'agissant de l'amendement n° 15 , je suis d'accord avec le premier alinéa, qui vise à demander au Gouvernement de « [détailler] les moyens humains et financiers dédiés à la recherche de la provenance » dans le rapport qu'il devra remettre. En revanche, je suis beaucoup plus réservée sur le second alinéa, qui vise à demander au Gouvernement de préciser les démarches réalisées pour rechercher les ayants droit des ?uvres et pour les contacter. En effet, ces informations sont confidentielles. Je ne suis pas défavorable à ce que le Gouvernement décrive les méthodes qu'il emploie, mais il est exagéré de demander des précisions sur les démarches qui seraient accomplies. J'émets donc un avis défavorable sur l'amendement n° 15 .
Mon avis sera favorable sur l'amendement n° 20 , qui reprend le dispositif prévu au premier alinéa de l'amendement n° 15 . La recherche de la provenance d'œuvres constitue la clé de voûte de ce dispositif. L'action du Gouvernement devra notamment porter sur les formations, dans la droite ligne de ce qui a été indiqué lors des auditions que nous avons menées.
J'émets un avis de sagesse sur l'amendement n° 15 . Les enquêtes pour retrouver les ayants droit sont très complexes : comme dans les enquêtes policières, il faut suivre plusieurs pistes en même temps, parfois travailler avec des généalogistes. Nous vous donnerons le plus de détails possible dans le rapport mais nous ne pourrons pas préciser certains éléments, notamment les noms des propriétaires ou des villes.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 20 car il prend en considération l'enjeu de la formation, dont nous avons beaucoup parlé en commission et sur lequel j'ai insisté lors de la discussion générale. Étant donné qu'il s'agit d'un engagement que je prends, il est important que le rapport dresse le bilan de l'action du Gouvernement « en matière de formations supérieures, de recherche universitaire et de moyens dédiés à cet effet au sein des établissements culturels. »
Autant l'amendement n° 13 , qui prévoyait la remise annuelle d'un rapport alors que le nombre d'œuvres restituées est assez faible, ne nous semble pas justifié, autant ces amendements, qui demandent que ce rapport soit le plus détaillé possible, sont nécessaires. L'argent public se faisant rare, il est important que le rapport précise « les moyens […] financiers dédiés à la recherche de la provenance des œuvres ».
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 66
Nombre de suffrages exprimés 55
Majorité absolue 28
Pour l'adoption 15
Contre 40
L'amendement n° 15 n'est pas adopté.
Le sous-amendement n° 21 est adopté.
L'amendement n° 20 , sous-amendé, est adopté.
L'article 4, amendé, est adopté.
Lors de l'examen en commission, Mme la députée Genevard a plaisanté en disant qu'aujourd'hui, tout le monde était chiraquien. Non, je ne suis pas chiraquienne, mais je ne suis pas ingrate. En effet, il me semble difficile, dans de telles circonstances, de ne pas rendre hommage à son discours du 16 juillet 1995 où il reconnaissait la responsabilité de la France, aux côtés de l'Allemagne nazie, dans la déportation des Juifs et disait : « Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l'idée que l'on se fait de son pays. »
Oui, la France, que l'on qualifie de patrie des lumières et des droits de l'homme, est capable du pire. Durant cette période, elle a commis l'irréparable. Dans cet hémicycle, certains ont encore du mal à accepter la réalité historique et tentent, par des amendements pour le moins étranges, de se livrer à une opération de révisionnisme historique, dans le but d'exonérer l'État français de sa responsabilité dans la déportation et l'extermination des Juifs.
Notre devoir est de perpétuer le souvenir des spoliations antisémites dont ont été victimes les Juifs durant l'occupation, avec la collaboration zélée de l'État français, comme l'atteste l'historien Robert Paxton dans son ouvrage La France de Vichy. Nous devons aussi avancer sur la restitution des œuvres spoliées. C'est un minimum pour les victimes, bien dérisoire au regard des injustices subies.
Mais malgré la nécessité et l'urgence, le ministère de la culture n'envisagerait pas d'augmenter la faible dotation – 200 000 euros – de la mission de restitution des biens spoliés, selon un article publié par Le Monde le 16 janvier 2023, que Mme la ministre n'a pas réfuté. De ce point de vue, le projet de loi, dont l'objet est d'accélérer les restitutions, perd de son intérêt. En outre, il ne prévoit rien pour les collections privées, ce qui constitue une lacune importante. Nous voterons pour ce texte, mais nous pensons qu'il n'est malheureusement pas à la hauteur de l'enjeu.
Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
En Europe, 6 millions de personnes ont péri lors du génocide des Juifs, avec, parfois – c'est triste à dire mais ce fut le cas – le concours zélé de l'État français. Pour reprendre les termes du discours que Jacques Chirac a prononcé lors des cérémonies commémorant la grande rafle du Vel d'Hiv, c'est une immense blessure ouverte pour l'humanité tout entière. Le peuple juif a toujours entretenu un lien particulier avec l'art, la création, la beauté ; la spoliation de ses biens a participé à son effacement – car c'était bien là l'objectif.
Tout à l'heure, je parlais du silence. J'ai évoqué l'intervention de Tsahal pour libérer les otages d'un avion d'Air France, que l'héroïque commandant Bacos avait refusé de laisser. Je me souviens également du témoignage d'un pilote américain. Il racontait qu'en 1944, il avait demandé à huit reprises la permission de bombarder les rails menant à Auschwitz – à l'époque, 10 000 personnes, Juifs, communistes, résistants, tziganes étaient brûlées, chaque jour, dans les camps de la mort. À huit reprises, on a rejeté sa demande ! Les rails conduisant à Auschwitz étaient dans son viseur, il suffisait de les bombarder ! Silence. Le monde s'est tu.
C'est pour cela que chacun doit comprendre l'importance pour le peuple juif de la création de l'État d'Israël. Celui-ci est devenu, par la force des choses, son certificat d'assurance vie. Il existe une obsession pour ce minuscule État – le seul et unique État juif –, d'une superficie égale à celle de deux départements français, qu'on diabolise. Il a accepté les frontières fixées en 1948, alors que le territoire n'existait pas, et celles imposées en 1956. En 1967, on lui a déclaré la guerre et il l'a gagnée. Pour une partie des personnes, y compris dans l'hémicycle, cet antisémitisme s'est transformé en haine d'Israël, en antisionisme : il est essentiel qu'ils comprennent que l'État d'Israël constitue désormais le certificat d'assurance vie du peuple juif !
Madame la ministre, vous vous êtes dite très inquiète pour les valeurs républicaines après la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête du JDD – Journal du Dimanche. Pour rappel, une journaliste du service public a fait l'apologie du nazisme, et quatre journalistes de France 24 – pour ne pas les citer – ont tenu des propos antisémites et négationnistes.
Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Murmures sur les bancs du groupe RE.
Ils ont notamment dit : « Levez-vous, monsieur Hitler, levez-vous, il y a des personnes qui doivent être brûlées ! » La bête immonde est toujours présente, elle a simplement changé de visage.
Encore une fois, je demande à chacun de comprendre. On peut faire preuve d'empathie pour le peuple palestinien – cela ne me pose aucun souci –, mais on ne peut entretenir cette obsession en recevant à l'Assemblée nationale Salah Hamouri, qui est un terroriste, membre du FPLP. C'est grave, madame Soudais !
Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Monsieur le président du groupe d'études sur l'antisémitisme, lorsque Salah Hamouri a l'autorisation de rendre visite à des terroristes aux Baumettes, il y a un problème.
Mêmes mouvements.
Nous voterons tous ce projet de loi, mais je demande à chacun de prendre conscience que le nouvel antisémitisme, c'est la haine d'Israël, c'est l'antisionisme. Vous devez le comprendre, chacun doit le comprendre !
Applaudissements sur les bancs des groupes LR et RN. – Protestations sur les bancs du groupe LFI – NUPES.
Mme Caroline Parmentier brandit le règlement de l'Assemblée nationale en direction de la gauche de l'hémicycle.
Chers collègues, il ne peut y avoir de rappel au règlement durant les explications de vote.
En adoptant en 2022 la première loi de restitution des biens culturels spoliés, nous avions franchi un cap important. Aujourd'hui, le projet de loi-cadre inscrit définitivement la volonté française de réparer les spoliations commises par le régime nazi et pendant l'Occupation, dans la droite ligne du discours prononcé par Jacques Chirac le 16 juillet 1995. La mission de recherche de la provenance des œuvres, confiée à la CIVS, est essentielle.
Les députés du groupe Démocrate sont fiers de voter ce texte. Nous remercions tous ceux qui y ont travaillé, afin qu'il soit voté aujourd'hui. Je le répète, rendre les biens acquis est un devoir à la fois qui nous honore et qui s'inscrit dans une importante démarche mémorielle.
Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et RE.
Comme je l'ai dit lors de la discussion générale, les députés du groupe Socialistes et apparentés (membre de l'intergroupe NUPES) sont heureux de voter le présent projet de loi. Je n'ai pu prendre la parole sur les deux amendements précédents, un orateur pour et un orateur contre s'étant déjà exprimés, mais je tiens à souligner que, pour que la loi soit efficace et qu'elle ait du sens, le rapport doit détailler les moyens financiers et humains dédiés à la recherche de la provenance. Madame la ministre, madame la rapporteure, je vous demande donc d'être vigilantes sur ce point.
Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI – NUPES, Écolo – NUPES et GDR – NUPES.
Je me réjouis que nos débats aient été dignes. Ce projet de loi nous réunit tous, si bien que nous l'adopterons, je l'espère, à l'instar du Sénat, à l'unanimité. Cela honorerait la France.
Ce que nous faisons ici n'est pas anecdotique : nous gravons dans le marbre de notre histoire nationale une partie de l'histoire de la Shoah, celle de la spoliation dont furent victimes les Juifs. Même si rien ne réparera les horreurs commises par le nazisme, les millions d'assassinats, nous contribuons un peu à une réparation grâce à ce projet de loi et aux restitutions qu'il permettra, et nous rendons justice.
Je veux, pour conclure, avoir une pensée pour Jacques Chirac et vous lire quelques mots du discours qu'il prononça en 1995 : « Il est, dans la vie d'une nation, des moments qui blessent la mémoire et l'idée que l'on se fait de son pays. […] Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions et à son génie. »
C'est cette France-là que nous honorons en nous apprêtant à adopter ce texte. Merci, madame la rapporteure, madame la ministre, de nous permettre de le faire !
Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, RE et Dem.
Par ce projet de loi, nous revenons sur un principe très important, celui de l'inaliénabilité des collections publiques, principe auquel nous devons redire tout notre attachement. Cet acte, nous devons en avoir conscience, n'est pas un acte léger. L'inaliénabilité des collections publiques est un élément fondamental de la politique culturelle ; elle témoigne de la place qu'occupent le patrimoine et l'art dans notre pays. Si nous dérogeons à ce principe, nous le faisons en pleine conscience, sans avoir la main qui tremble, car cette loi-cadre est indispensable pour réparer l'irréparable.
Les spoliations n'ont été, en définitive, qu'un épiphénomène de la volonté de destruction totale du peuple juif en Europe par les nazis, dont le projet a été facilité et même anticipé par l'État français.
Nous sommes donc heureux de pouvoir, dignement, nous prononcer en faveur de ce texte, qui sera, nous l'espérons, adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Nous restons bien entendu mobilisés pour que le texte relatif à la restitution des restes humains et le projet de loi-cadre sur les biens culturels spoliés par les guerres françaises et la colonisation aboutissent au plus vite.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE. – Mme la rapporteure applaudit également.
Les députés communistes voteront bien entendu pour ce projet de loi, car c'est un texte de justice qui permet de rendre à qui de droit les biens spoliés durant une période sombre de notre histoire.
Il s'agit, qui plus est, d'une loi-cadre. C'est important, car il était d'une certaine façon humiliant de devoir en passer par une procédure lourde, à savoir l'adoption d'une loi ad hoc, pour chaque restitution, comme ce fut encore le cas en 2020. Désormais, grâce à cette loi-cadre, la restitution par la France d'œuvres spoliées sera en quelque sorte plus systématique. À cet égard, c'est une loi de justice et une avancée très importante pour notre pays.
Enfin, deux autres textes relatifs aux restitutions devraient suivre, l'un sur les restes humains, l'autre sur les biens pillés et spoliés pendant la colonisation. J'espère que le Gouvernement aura recours à la même méthode pour ces deux textes et que ceux-ci feront l'objet de la même concorde nationale que celle qui, je l'espère, s'exprimera, aujourd'hui, par un vote unanime de l'Assemblée nationale.
Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo – NUPES et sur plusieurs bancs du groupe RE.
Nous soutiendrons cette loi-cadre, essentielle pour le devoir de mémoire. De même qu'il est important – et il ne faut pas en avoir peur – de reconnaître la responsabilité de la France dans la déportation et l'exécution des Juifs de France, de même, il est important d'instaurer un dispositif qui favorisera la restitution des biens spoliés au cours d'une période sombre de notre histoire ainsi que la réparation et l'indemnisation de leurs propriétaires ou de leurs ayants droit.
L'Assemblée nationale s'honorerait d'adopter ce projet de loi à l'unanimité. Cependant, madame la ministre, les groupes d'opposition veilleront particulièrement à ce que les moyens financiers nécessaires pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés suivent. Si tel ne devait pas être le cas, nous aurions à nouveau raté un rendez-vous avec l'histoire.
Le projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet d'une spoliation dans le contexte des persécutions antisémites entre 1933 et 1945 est d'abord un texte pour l'histoire, alors que disparaissent progressivement les derniers survivants de la Shoah.
Il est aussi un texte pour la mémoire : la mémoire de ma famille ,
L'oratrice, émue, s'interrompt quelques instants. – Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR
la mémoire des humiliations, des arrestations, des spoliations, des persécutions, des déportations et de l'extermination des Juifs, en France et à travers le monde.
Il est un texte de vigilance. Vigilance face à la bête immonde qui renaît de ses cendres et dont les habits neufs prennent la forme du complotisme, de l'islamisme et de la haine d'Israël. L'antisémitisme, quelles que soient ses expressions, fragilise toujours les fondements de notre démocratie et nous concerne tous.
C'est enfin un texte de justice. Justice rendue à ceux qui ont été victimes des spoliations, dont ils ont subi les conséquences dévastatrices. Au-delà de la dépossession, la spoliation porte une atteinte grave à la dignité des individus : elle est la négation de leur mémoire, de leurs souvenirs, de leurs émotions.
Si rien ne peut ramener les victimes d'hier, nous pouvons néanmoins rendre plus facile la restitution de leurs biens culturels à leurs familles ou à leurs ayants droit. Nous le leur devons, pour leur rendre un fragment d'histoire familiale, afin que ce qui est juste ne soit plus un combat législatif sans fin mais un droit.
Depuis 1995, date à laquelle Jacques Chirac a reconnu officiellement la responsabilité de la France dans les exactions et les déportations dont les Juifs de France furent l'objet, les gouvernements successifs cherchent à faire la lumière sur les spoliations et à indemniser tous ceux qui en ont été les victimes. Pourtant, lorsque les recherches aboutissent, lorsqu'une œuvre spoliée est repérée comme telle dans les collections publiques, lorsqu'on en a identifié les propriétaires, lorsque toutes les parties s'accordent sur le principe de la restitution, il reste impossible de la rendre sans passer au cas par cas par une loi spécifique.
Cette loi-cadre, vous l'avez compris, permettra de faciliter la restitution des biens culturels spoliés en instaurant une procédure administrative dérogeant au principe d'inaliénabilité des collections publiques. Ainsi, nous continuerons de tracer le chemin de justice ouvert par tous ceux qui se sont battus pour rendre les restitutions possibles, à l'instar de Rose Valland, qui, pendant la guerre, a caché et dressé la liste de centaines de milliers d'œuvres d'art réquisitionnées par le régime nazi puis contribué, des années plus tard, à leur restitution.
Par ce texte, nous rendons hommage à leur engagement, et nous nous en montrons dignes. Telle est désormais la portée de la nouvelle mission qui nous engage et nous oblige.
Je veux saluer ici le travail et l'investissement exceptionnels de Mme la ministre et de Mme la rapporteure, Fabienne Colboc ,
Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem
et remercier pour son soutien précieux Fabrice Le Vigoureux, coresponsable de ce texte.
Mêmes mouvements.
Vous l'aurez compris, le groupe RE votera avec conviction pour ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR., ainsi que sur les bancs des commissions.
Ce projet de loi marque une nouvelle étape de la politique de réparation des spoliations antisémites et de la réconciliation de notre mémoire nationale. Retrouver ces biens culturels et les restituer aux ayants droit des victimes n'est que justice – nous l'avons dit tout au long des débats –, mais c'est aussi donner le droit aux descendants des familles de renouer avec leur histoire personnelle et leur mémoire.
La restitution des biens culturels dont les Juifs furent spoliés par l'Allemagne nazie est une œuvre de justice et d'humanité dont la signification morale et politique dépasse les valeurs matérielles.
Au nom du Rassemblement national, je salue ce texte pour lequel nous voterons.
Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Meyer Habib applaudit également.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 77
Nombre de suffrages exprimés 77
Majorité absolue 39
Pour l'adoption 77
Contre 0
Le projet de loi est adopté.
Applaudissements prolongés.
Prochaine séance, lundi 3 juillet, à seize heures :
Discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 ;
Discussion du projet de loi organique relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.
La séance est levée.
La séance est levée à seize heures dix.
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra