Jeudi 6 juillet 2023
La séance est ouverte à quinze heures.
(Présidence de M. Guillaume Vuilletet, président de la commission)
Nous poursuivons cet après-midi les auditions de la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution, à la suite de notre mission à La Réunion.
Comme je m'y suis engagé auprès de nos collègues réunionnais, nous allons auditionner deux auteurs de rapports, qui ont pu susciter beaucoup de commentaires, dont un rapport de la Cour des comptes sur les financements de l'État en Outre-mer.
Nous commençons par entendre M. Christophe Girardier, président de Bolonyocte Consulting, auteur de deux rapports commandés par l'observatoire des prix, des revenus et des marges (OPMR) de La Réunion en marge du rachat de Vindémia par le groupe Bernard Hayot (GBH), dont un État des lieux du marché de la distribution généraliste de détail à dominante alimentaire à La Réunion paru en septembre 2022.
Élément d'actualité : lundi 3 juillet, c'est-à-dire il y a trois jours, le Conseil d'État a validé la décision de l'Autorité de la concurrence autorisant ce rachat, en rejetant les recours fondés notamment sur votre étude.
M. Girardier, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vais vous passer la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, qui précédera notre échange sous forme de questions et réponses – à commencer par celles de notre rapporteur qui nous accompagne à distance, comme un certain nombre de collègues. Les technologies évoluant, nous avons désormais la capacité d'avoir des interventions et de faire des auditions alors même que certains députés peuvent être dans leur circonscription ou ailleurs. Je vous remercie également de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Christophe Girardier prête serment).
Je vous remercie de vous intéresser à mes travaux. En réalité, j'ai rendu cinq rapports, dont beaucoup pour La Réunion et deux pour Mayotte. J'ai eu l'occasion et le bonheur de m'intéresser aux sujets d'Outre-mer. J'ai suivi avec beaucoup d'attention vos auditions, je souhaiterais commenter certaines d'entre elles. Je n'oublie pas que l'on doit normalement donner des informations exactes devant votre commission, et j'ai peur de voir que dans certaines déclarations il y a eu des déclarations que je qualifierais de fallacieuses à bien des égards.
J'ai bien compris que le souci de l'Assemblée nationale et de cette commission est de s'intéresser aux causes et aux facteurs qui jouent sur la vie chère en Outre-mer, dont personne ne conteste la réalité. Les causes de la vie chère en Outre-mer sont plus évidentes que l'on n'a bien voulu le dire. Je suis préoccupé par le fait que les personnalités que vous avez entendues se concentrent essentiellement sur ce qu'elles considèrent être une des causes majeures de la vie chère, qui serait l'éloignement des marchés d'Outre-mer.
Je ne conteste pas le fait que ce facteur de l'insularité ou de l'éloignement joue un rôle, mais seulement très partiellement. Au risque de vous choquer, je vous dirais que si cette commission ne s'intéresse qu'à ce facteur, elle restera sur « l'écume des vagues ». Bien sûr, les coûts d'acheminement sont réels, mais comme l'a rappelé le président de CMA CGM lors de son audition devant votre commission, dans le coût des produits de grande consommation qui arrivent dans les Outre-mer, la part attribuable au transport est rarement au-delà de 5 %, en tout cas c'est moins de 5 %.
Si l'on ajoute d'autre frais comme l'octroi de mer ou autre, on n'arrive pas, ni à La Réunion, ni aux Antilles, ni en Guyane, au différentiel très important entre les prix de la vie en Outre-mer. Il faut préciser que l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) mesure très bien ce différentiel, mais il est mal perçu par les ultramarins car il donne l'impression que c'est faible – de 27 à 28 % pour La Réunion. Mais il faut bien savoir que cette mesure prendre compte de tous les éléments de la vie. Or, si on regarde juste l'alimentation, c'est beaucoup plus – là-dessus ils ont raison. Les vraies causes de la vie chère ne relèvent pas du sentiment : j'ai rendu des rapports très précis, dont un sur le modèle économique de la grande distribution à La Réunion, dans lequel j'ai consacré vingt pages à la vie chère.
Les facteurs essentiels de la cherté de la vie sont de trois ordres.
Le premier concerne le modèle économique appliqué dans ces départements. Les Outre-mer en sont restés à une économie que l'on pourrait qualifier « d'économie de comptoir ». Ainsi, certains acteurs font la loi dans les Outre-mer. Je reviendrais sur la décision du Conseil d'État qui me semble extrêmement préoccupante. À titre d'exemple, les ouvertures de très grandes surfaces se sont multipliées dans ces territoires. Or quand vous donnez à un opérateur l'autorisation d'ouvrir un hypermarché de 5 000 à 10 000 mètres carrés, de fait, vous lui donnez une position de quasi-monopole sur sa zone.
Ce modèle a été appliqué partout dans les Outre-mer et a rendu le marché extrêmement concentré. C'est le deuxième facteur. Devant votre commission, M. le ministre Bruno Le Maire a rappelé que parmi les facteurs clés figure l'environnement concurrentiel. Je persiste, je signe et je maintien : l'insuffisance de pluralisme concurrentiel à La Réunion, aux Antilles et à Mayotte est l'un des facteurs majeurs de vie chère. Je vais même aller encore plus loin. Il y a non seulement l'insuffisance de pluralisme concurrentiel - en cela, la décision du Conseil d'État est presque irresponsable.
Au-delà de cette insuffisante concurrence, il convient d'évoquer le modèle économique des acteurs de la grande distribution. La loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi EGAlim », est très importante et ne s'applique pas dans les Outre-mer. Le modèle économique de la grande distribution est fondé sur les marges arrières. Le président des magasins franchisés E. Leclerc à La Réunion et M. Robert Parfait, président du groupe Parfait aux Antilles, vous l'ont d'ailleurs confirmé. Ce dernier vous a ainsi indiqué que ces marges arrières pouvaient aller jusqu'à 25 %. Je suis d'ailleurs consterné que l'Autorité de la concurrence n'ait pas dit un mot à ce sujet dans son rapport de 2019.
Le dernier facteur porte sur le phénomène des conglomérats, c'est-à-dire des groupes présents à différents endroits de la chaîne de valeur. Par exemple à La Réunion, le groupe GBH est présent dans le marché aval de la distribution alimentaire, mais aussi la distribution d'articles de sport, de bricolage, de location ou la réparation de voitures, de la fourniture de pneus, etc. Ce sont des acteurs qui, pour la grande distribution, sont présents dans le marché aval, mais également dans le marché amont, c'est-à-dire la production agricole. Songez que le même groupe possède tous les produits laitiers de la marque Danone, mais également les magasins du groupe Carrefour.
J'ai rendu un rapport où j'ai écrit les manquements du groupe GBH à ses obligations en matière d'assortiment. À ce jour, aucune enquête n'a été diligentée par les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (Dgccrf), alors que ce rapport n'a pas été contesté. J'en suis consterné. C'est la raison pour laquelle je pense que vous avez eu raison de poser sur la table ce débat qui est majeur.
Oui, les causes de la vie chère sont connues. Non, elles ne sont pas dues de façon significative à l'éloignement. Enfin, je ne pense pas qu'il faille supprimer l'octroi de mer. M. le député Philippe Naillet a rappelé que ce dispositif, qui était fait pour le financement des collectivités locales, mais aussi pour protéger la production locale, a globalement fonctionné. L'octroi de mer doit être relativisé avec le taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui est très inférieur dans les Outre-mer. Il est par exemple de 2,5 % à 8,5 % à La Réunion, pour 5 % à 20 % pour l'Hexagone. Je vous suggère de ne pas rechercher les causes de la vie chère sur « l'écume des vagues », car sinon votre volonté louable de vous intéresser à l'un des problèmes de nos concitoyens sera vaine.
J'entends votre réflexion sur « l'écume des vagues ». Dans votre estimation, quelle proportion attribuez-vous à l'insularité et aux difficultés d'approvisionnement et de distribution ? Ensuite, vous avez indiqué que certaines informations ou déclarations qui nous avaient été transmises étaient fallacieuses. Pouvez-vous nous en dire plus ? Enfin, la décision du Conseil d'État vous semble irresponsable. Pouvez-vous étayer votre point de vue ?
Je respecte naturellement le Conseil d'État. Cependant, cette décision est consternante.
S'agissant de « l'écume des vagues », selon moi, sur une échelle de 100, les causes de la vie chère liée à l'éloignement sont inférieures à 10 %, octroi de mer compris. Un exemple est très symptomatique de la légèreté de certains acteurs. On vous a parlé du conteneur de pâtes, mais il y en a très peu. Comme vous l'a dit le président de la CMA CGM, le prix d'un conteneur est le même quel que soit son contenu. Je ne peux donc pas imaginer que les acteurs vont commettre l'erreur de placer des produits à très faible valeur ajoutée dans un containeur dont le prix est bien connu. On va y mettre une pluralité de marchandises. Ainsi, ces conteneurs ne sont pas remplis que de pâtes, ils transportent également des produits à très forte valeur ajoutée. Un conteneur de 40 pieds coûte ainsi 3 500 à 4 000 euros pour 20 000 kilomètres. De même, le président de CMA CGM a raison lorsqu'il vous indique qu'il applique des tarifs très inférieurs à ceux qu'il pourrait pratiquer. J'ai pu le vérifier. En résumé, ce ne sont pas les compagnies maritimes qui sont responsables, en tout cas pas celle-ci.
La part que l'on peut attribuer au manque de pluralisme concurrentiel, à la concentration et au modèle économique peut être donc évaluée à 80 %. À titre d'exemple, il suffit d'aller voir une promotion dans un supermarché, quel qu'il soit, à La Réunion. Je me mets à la place de nos compatriotes réunionnais qui voient qu'une célèbre marque de bière réunionnaise peut voir son prix baisser de 20 à 30 % et un pot de pâte à tartiner baisser de 45 % lors d'une opération promotionnelle. Cela témoigne en creux des excès : si l'on est capable de diviser par deux le prix d'un produit lors d'une promotion, c'est bien qu'il existe un problème. Les consommateurs des Outre-mer le savent bien : bien souvent, ils n'achètent qu'en promotion. Malheureusement, ce sont des promotions en trompe l'œil : seulement 20 % des produits d'un supermarché sont en promotion et les autres 80 % n'en font jamais l'objet. Pire encore, j'ai vu des produits de marque dont le prix était moins cher que des produits de marque de distributeur (MDD).
Ensuite, selon moi, la décision de l'Autorité de la concurrence intervenue en 2022 est privée de base légale. Je suis consterné de constater que le Conseil d'État n'ait pas censuré cette disposition, alors qu'il aurait dû le faire. J'en suis d'autant plus gêné que le Conseil d'État a un vice-président tout à fait remarquable. Il a préalablement été à la tête de l'Autorité de la concurrence et sous sa présidence, celle-ci avait rendu d'excellentes décisions. Une fois qu'il a quitté son poste, j'ai senti que l'Autorité était un peu moins indépendante de l'État que lorsqu'il la présidait.
En tout état de cause, la décision de l'Autorité de la concurrence était privée de base légale. Lorsque l'on regarde les motifs de cette décision de l'Autorité de la concurrence, on remarque que la loi indique que pour qu'une opération de concentration qui relève du contrôle de l'Autorité de la concurrence soit validée, il ne faut pas qu'il y ait atteinte à la concurrence. Or dans sa décision, l'Autorité admet l'atteinte à la concurrence et se focalise notamment sur la situation de dépendance économique des acteurs de la production locale. Sur ce fondement, elle demande d'ailleurs des engagements structuraux et comportementaux au groupe Hayot. Le groupe Hayot le propose de lui-même, car il reconnaît qu'il existe un problème. Il s'engage donc à céder des points de vente. Mais les quatre hypermarchés que le groupe GBH cède sont précisément ceux dont il n'a pas besoin, car ce sont ceux les plus exposés à la concurrence directe des concurrents et de lui-même en particulier.
Les autres engagements sont d'ordre comportemental. Le groupe Hayot a ainsi pris l'engagement de protéger la production locale et de faire en sorte que les acteurs de la production locale puissent être libérés de leur dépendance au groupe. Qu'est-ce qu'ils proposent ? Rien, d'arrêter de leur acheter. Mais vous imaginez bien qu'un acteur de la production locale qui dépend à 80 % des distributeurs ne peut pas demander au groupe Hayot de le libérer de la dépendance, alors même qu'il n'a pas d'autre marché que celui-ci de La Réunion, car il a des difficultés à exporter. J'ai expliqué ce problème à l'Autorité de la concurrence. Là où il y a un vice dans la décision, c'est que la loi, que vous avez voté, messieurs les députés, dit que l'Autorité de la concurrence ne peut autoriser un rachat que si elle s'assure que les engagements pris par un acteur sont de nature à neutraliser les risques d'atteinte à la concurrence.
Deux ans avant la décision, j'avais prévu que le nouvel acteur Run Market, créé de toutes pièces et qui selon le groupe Hayot devait animer la concurrence puisqu'il lui cédait quatre hypermarchés, n'était pas viable et qu'il se casserait la figure. C'est malheureusement ce qui s'est passé. Ce rapport date de 2020. Deux ans plus tard, l'entreprise Run Market, créée de toute pièce, va demander à l'État français 60 millions d'euros d'abandon de créances. Il est quand même invraisemblable que dans cette vieille démocratie qu'est la France, 60 millions d'euros d'argent public aient été injectés pour aider le groupe mauricien Ireland Blyth Limited (IBL) à prendre le contrôle de quatre hypermarchés. En outre, je prédis que cette affaire ne fonctionnera pas. IBL n'aura donc que deux solutions : perdre de l'argent pour rester sur le marché ou cesser son activité dans un ou deux ans.
Vous connaissez la célèbre phrase que Winston Churchill aurait dit au Premier ministre Neville Chamberlain, après la conférence de Munich, en 1938 : « Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre. » Je suis consterné, et si je peux me permettre un conseil, il aurait été utile de poser la question au ministre de l'économie : pourquoi, alors même qu'il existait des candidats locaux pour reprendre ces hypermarchés, a-t-on accordé 60 millions d'euros d'abandons de créances ? Je trouve cela préoccupant.
M. le président, je vous ai adressé une lettre le 29 mai 2023, dans laquelle je vous précise des détails très importants. Je l'ai également envoyée aux membres de la commission, qui sont tous au courant. J'ai été très préoccupé de constater les multiples contre-vérités qui ont été prononcées sous serment par les dirigeants du groupe GBH en réponse aux différentes questions posées par certains députés membres de la commission, et surtout d'entendre certaines de leurs affirmations qui à mon sens relèvent d'assertions fallacieuses. Or ces mêmes dirigeants sont des experts de leur secteur, donc des « sachants ». Ils ne pouvaient en effet ignorer les réalités. Ils en avaient parfaitement connaissance, ou bien parce qu'elles concernent les informations internes en leur possession, ou bien parce qu'elles ont été établies par des documents dont ils ont eu connaissance, et notamment mes rapports remis à l'OPMR, qui leur ont été communiqués.
J'ajoute que ces dirigeants ont osé dire que j'aurais des relations avec leur concurrent. C'est totalement méprisable. Je n'ai jamais eu de relations particulières avec celui-ci et j'ai signé ces rapports en toute indépendance pour le compte de l'OPMR, qui est dirigé par un membre de la chambre régionale des comptes. J'avais rendu ces rapports à un excellent président de l'OPMR, M. Sébastien Fernandes, qui est vice-président de la chambre régionale des comptes de La Réunion et dont l'indépendance est exemplaire. Je n'accepte donc pas que l'on puisse dire ou supposer que j'avais des intérêts. Je me réserve le droit de le rappeler à ces dirigeants.
Dans ma lettre, j'ai repris les déclarations effectuées par les représentants du groupe Hayot devant vos caméras. Selon leurs propos, les distributeurs achèteraient au même prix auprès des centrales d'achats métropolitaines des grandes enseignes de la distribution. Je vous explique dans mon courrier qu'ils ne peuvent ignorer que tel n'est pas le cas. Dans mon rapport du 30 avril 2019, j'explique que non seulement les conditions d'achat de gros relèvent des négociations commerciales propres à chaque acteur, mais surtout des marges arrières très conséquentes exigées par les distributeurs auprès des fournisseurs. Ces deux composantes de l'équation font varier très sensiblement les conditions d'achat.
GBH déclare que les marges arrières sont entièrement reversées aux magasins GBH, alors même qu'il ne peut ignorer que cela n'est pas exact pour de nombreux acteurs de la distribution. En particulier pour lui-même : le groupe GBH ne reverse par nécessairement ces marges arrières au niveau de ses magasins, mais de plus il ne les répercute nullement sur le prix de vente aux consommateurs.
Enfin, le dirigeant du groupe Hayot indique que la part de marché de l'enseigne Carrefour serait de 28,6 % après l'opération de rachat de Vindémia, soit moins que celle de 33 % que détenait Vindémia avant l'opération. Il ajoute que le marché de la distribution généraliste à La Réunion ne serait pas concentré et qu'il n'existerait aucun duopole, que les enseignes Leclerc et Système U talonneraient Carrefour, rendant ce marché beaucoup plus concurrentiel et dynamique qu'il ne l'était avant l'opération.
Ma réponse est la suivante : « Alors même qu'il ne peut ignorer, comme l'a établi mon rapport du 5 octobre 2022 et sans qu'aucun acteur ne le conteste sérieusement, à la fin de l'année 2022, le groupe GBH se trouve bien en situation dominante. » Vous avez rencontré les dirigeants de la direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DEETS) représentant la Dgccrf, qui vous ont indiqué que mes chiffres n'étaient pas corrects, ce qui est erroné. Mes chiffres datent de la fin de l'année 2022. Les chiffres que la Dgccrf vous a donné sont à fin 2021. Or à cette époque, les effets de la concentration ne pouvaient pas se voir.
Je l'affirme sous serment : à la fin de l'année 2022, le groupe GBH se trouve bien en position dominante, avec une part de marché en chiffre d'affaires d'environ 37 %, je pense même que c'est 38-39 % maintenant, bien loin des 26,8 % qu'assume M. Hayot et beaucoup plus que la part de marché de Vindémia avant l'opération, contrairement aux affirmations de M. Stéphane Hayot. Cette montée en puissance du groupe GBH s'est accompagnée de la formation d'un duopole avec l'enseigne Leclerc, qui atteint une part de marché de 29 %, soit 7 à 10 points de moins que celle de GBH. On ne peut donc pas dire que Leclerc talonne GBH. Ce duopole effectif totalise à lui seul les deux tiers du marché réunionnais, le troisième acteur, Système U, n'atteignant que 15 % de part de marché – et non pas 21 % comme le prétend GBH – avec une différence de 22 points avec le premier. Tous les autres acteurs sont relégués à moins de 10 %, Leader Price occupant la quatrième place avec environ 8 %, et non pas 17%.
J'ai passé des années à travailler sur ce sujet, quand bien même je n'avais pas accès à un grand nombre de sources. J'ai demandé à tous les acteurs qu'ils me donnent pour 2020 et 2021 les chiffres d'affaires en euros des magasins. Le groupe Hayot ne m'a pas donné d'informations, alors même que tous les autres acteurs m'ont fourni les chiffres en 2022. Cependant, M. le président, il ne faut pas demander le chiffre d'affaires du groupe GBH. En effet, le groupe a 52 sociétés différentes à La Réunion. Le rapporteur soulignait qu'il était très difficile de lire les comptes parce qu'on ne sait pas où va la marge, il a raison. Il faut en réalité demander le chiffre d'affaires des magasins et, en général, on ne vous le donne pas.
Je m'étonne que la Dgccrf n'ait pas ouvert d'enquête à la suite de mon rapport de 2022, dans la mesure où je pense avoir caractérisé les atteintes à la concurrence. Qui plus est, ils peuvent avoir accès aux liasses fiscales. GBH vous a fourni le chiffre d'affaires des magasins, mais n'a pas évoqué les chiffres d'affaires des grossistes, qu'il possède lui aussi. Or, un grossiste vend des produits, donc il faut le mettre dans la part de marché. Lorsqu'il a racheté Vindémia, GBH a récupéré Super Cash, le plus important grossiste alimentaire de La Réunion, qui totalise 80 % de part de marché auprès des petits commerçants de l'île et qui réalise 100 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Le groupe Bernard Hayot a beaucoup de chance : l'Autorité de la concurrence lui a donné raison, et même le Conseil d'État. Mais moi je persiste à dire que ces deux institutions se sont trompées. Si on regarde votre loi, la décision de l'Autorité de la concurrence est privée de base légale, car elle a tablé sur des engagements structuraux et comportementaux qui visaient à neutraliser les effets d'atteinte à la concurrence. Or, ce n'est pas ce qui s'est passé. Un exemple : quand on dit qu'un acteur va limiter la part de marché, et qu'au bout de deux ans, cet acteur se casse la figure en perdant 40 % de son chiffre d'affaires au profit du groupe Hayot et du groupe Excellence – Leclerc. En résumé, on a dans mon rapport la preuve que le dispositif de l'Autorité de la concurrence qui était destiné à limiter les effets de la concentration n'a pas été effectif. Je l'ai démontré, mais le Conseil d'État n'a manifestement pas lu mon rapport.
Que pensez-vous de la concurrence sur le marché en amont ? Que pensez-vous du modèle des grossistes importateurs agents de marque, dont vous avez parlé ? Pourquoi les distributeurs font-ils appel aux grossistes importateurs ? Les marges qu'ils facturent correspondent-ils selon vous à un réel service pour les distributeurs ?
Sur les grossistes importateurs, il faut savoir de quoi on parle. Le grossiste dont je viens de vous parler, Super Cash, qui est donc dans la galaxie GBH désormais, revend les produits que vous trouvez dans un magasin Carrefour à La Réunion. M. le rapporteur, je pense que vous faites référence aux importateurs de marques, qui sont aussi des grossistes. C'est encore une erreur de l'Autorité de la concurrence : dans son rapport de 2019, l'Autorité de la concurrence s'intéresse aux marges soi-disant abusives de ces grossistes. En fait, là encore, on est dans « l'écume des vagues ». Il y a des importateurs qui ne présentent aucune valeur ajoutée. Un grossiste local qui représente une marque qui ne fait que de la marge n'a aucun intérêt, il est vrai. Mais il y a des acteurs à La Réunion, qui eux jouent un rôle. Certaines grandes marques comme Nivea, Procter & Gamble et Nestlé ont signé des accords de partenariats non exclusifs – même si en réalité c'est quasi de l'exclusivité car ils créent des conditions qui font qu'un autre acteur ne pourrait pas le faire. À La Réunion, au moins deux acteurs jouent un rôle particulier, car ils utilisent de infrastructures de logistique pour permettre un assortiment plus large et plus de choix pour les Réunionnais. C'est la raison pour laquelle certains distributeurs les utilisent. En effet, pour élargir l'assortiment, il faut beaucoup de stocks. Or, en général, les grands distributeurs n'aiment pas ça : ils veulent vendre des grosses masses. Donc moins il y a de référence – on appelle cela la profondeur de l'offre –, plus il y a de volume, plus ils sont ravis. Donc les importateurs sérieux, qui ne le sont pas tous, peuvent apporter cette valeur ajoutée pour donner aux réunionnais un choix plus vaste.
Contrairement à ce que dit l'Autorité de la concurrence, ils ne cumulent pas les marges. L'industriel leur transfère le droit de représenter leurs marques, en donnant des gros budgets de promotion, qu'ils vont utiliser. Ils doivent eux pouvoir les rétrocéder aux distributeurs. C'est certainement ce qu'a dû vous expliquer M. Pascal Thiaw-Kine, président du groupe Excellence et franchisé E. Leclerc à La Réunion, en disant qu'il passe pour 30 % de son assortiment pour pouvoir bénéficier de la capacité de stockage qu'il n'a pas. Mais il se demande s'il va continuer, parce que le différentiel devient moins intéressant. En effet, à La Réunion, aux Antilles, comme à Mayotte, le système des marges arrières est encore plus pervers que dans l'Hexagone. À La Réunion, le distributeur exige du producteur local qu'il effectue lui-même le rempotage, c'est-à-dire qu'il remplisse les rayons gratuitement. Pour moi, il s'agit d'une violation des règles.
Puisqu'on exige de lui des services gratuits, le producteur local augmente ses prix pour rééquilibrer. Ce jeu des marges arrière conduit donc à un renchérissement de la vie en Outre-mer, ce qui pèse sur l'importateur, qui est lui aussi soumis, quand il représente une marque, aux mêmes obligations de la part du distributeur. Il est à noter que le groupe Leclerc demande la suppression des marges arrières, à juste titre. En résumé, ce n'est pas la faute de l'importateur, mais du modèle économique des marges arrières, qui impose à l'importateur de céder beaucoup de marges arrières au distributeur.
À l'heure actuelle, le responsable du franchisé E. Leclerc à La Réunion est mécontent de ses relations avec les grossistes, donc il est en train d'élargir ses capacités de stockage, pour pouvoir importer directement depuis la centrale de l'enseigne Leclerc. À terme, les acteurs des grossistes vont disparaître, alors même qu'ils jouent un rôle. Ne laissez pas faire cela : vous risquez de renforcer l'hégémonie de la distribution. En revanche, vous devez rappeler à l'ordre les services de la Dgccrf, en réaffirmant qu'il n'est pas tolérable de demander aux producteurs locaux de réaliser gratuitement de telles prestations de service.
J'ai rencontré les représentants des producteurs, et le paradoxe est qu'ils veulent continuer à délivrer des prestations gratuites. En effet, ils savent que s'ils ne le font pas, leurs produits ne seront pas dans les assortiments, ce qui signifie qu'il n'y aura pas de vente. Il s'agit là, en quelque sorte, d'une forme de « syndrome de Stockholm » : je suis sympathique avec mon agresseur. Il faut donc dire aux producteurs locaux que la loi doit s'appliquer, mais aussi les protéger, afin que les distributeurs ne les punissent pas s'ils décident de ne pas faire ces prestations gratuitement. Mesdames et Messieurs les députés, votre rôle est terriblement important. Voilà pourquoi les grossistes qui apportent de la valeur ajoutée sont importants.
J'ai essayé de créer une relation de confiance avec les personnes que j'ai interrogé lors de mes études. À M. Pascal Thiaw-Kine, j'ai demandé s'il maintiendrait ses commandes à l'importateur local au cas où celui-ci n'effectuait plus le rempotage, ou s'il prévoyait de faire son travail pour qu'il disparaisse. Il m'a répondu que si le différentiel de marge est acceptable, il le fera. Le groupe E. Leclerc étant un groupe coopératif, M. Thiaw-Kine dépend de la centrale d'achat du Havre et ses négociateurs négocient les prix en France avec les grandes marques. Donc il y a des marges arrières dans tous les sens. Mais le groupement E. Leclerc lui reverse toutes les marges arrières métropolitaines et il prétend – je n'ai pas de raisons de penser qu'il ment – reverser au moins 5 % au consommateur. Je crois que c'est exact, mais tout le monde ne le fait pas. Il me disait que si les importateurs locaux arrivaient à donner entre 2 et 4 %, alors il continuerait de travailler avec eux. Sachez qu'aujourd'hui il prépare l'alternative.
Si les distributeurs en position dominante sont mis en situation de pouvoir concurrencer les importateurs locaux, il n'y aura plus de diversité, plus de pluralisme concurrentiel et vous livrerez ces territoires aux effets terribles de l'économie de comptoir.
Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Il est extrêmement important d'écouter vos propos, qui confirment que nous vivons une situation extrêmement préoccupante. Il faudra donc agir. Pour ma part, je ne souhaite pas rester sur « l'écume des vagues » et vous demande donc de répondre de manière le plus détaillé possible à l'ensemble des questions que je m'apprête à poser.
Vous avez entendu les dirigeants du groupe GBH, qui nous ont garanti que le pluralisme concurrentiel était assuré à La Réunion et que l'enseigne Carrefour n'était pas en situation de domination. Qu'en pensez-vous ? Ensuite, ces mêmes dirigeants contestent vos analyses et notamment la part de marché que vous leur attribuez. Quelles est votre réaction ? Maintenez-vous vos analyses ?
Vous avez abordé la situation dramatique de Run Market, qui a encore fait l'objet d'un plan de conciliation validé par le tribunal de commerce de Saint-Denis, ce qui confirme ce que vous annonciez deux années plus tôt. Que pensez-vous de l'option de reprise par le groupe IBL ? Est-elle de nature à régler la situation de cet acteur ? Va-t-elle développer la concurrence ?
Le ministre délégué aux Outre-mer, M. Jean-François Carenco, nous a affirmé que le pluralisme concurrentiel existait dans le secteur de la distribution, avec au moins trois acteurs. Qu'en pensez-vous ? Si tel n'est pas le cas, pourquoi ?
Au-delà, un grand nombre de personnes interrogées par notre commission nous ont assuré que les causes de la vie chère en Outre-mer doivent être recherchées dans les conséquences de l'insularité, et donc que ce sont les frais d'approche qui en sont à l'origine. Pensez-vous que d'autres acteurs doivent être pris en compte, et si oui lesquels ?
Vous avez beaucoup travaillé sur la question de la concentration des acteurs en Outre-mer, notamment à La Réunion. Pensez-vous qu'il y a là une des causes essentielles de la vie chère et si oui, dans quelles mesures ?
Dans vos différents rapports, vous n'avez cessé de formuler des recommandations, mais force est de constater que les gouvernements successifs n'ont pas suivi vos analyses. Que recommandez-vous pour lutter efficacement contre la vie chère ? Sur quels leviers faudrait-il agir pour faire baisser les prix, avec des résultats rapides ?
Enfin, vous avez reçu un courrier de la commission d'enquête comportant un certain nombre de questions, comme cela est le cas pour chaque auditionné. Ce courrier indique en note : « Le présent courrier est établi par le secrétariat de la commission d'enquête afin de permettre aux participants et aux députés membres de la commission de préparer l'audition ». Je tiens à dire à M. le président qu'à aucun moment, je n'ai reçu ce courrier ou les courriers qui ont été adressés. Si on ne nous envoie pas les courriers, comment peut-on préparer l'audition ? Je regrette ce mode de fonctionnement.
Je souhaite répondre à ce dernier point. Ce mode de fonctionnement est classique dans les commissions d'enquête. Le questionnaire qui est transmis aux personnes que nous recevons est à disposition du président et du rapporteur et préparé par les administrateurs qui nous accompagnent au cours de cette commission d'enquête. Il est soumis au président et au rapporteur, qui peuvent le modifier, le cas échéant. En aucun cas, il ne s'agit d'une contrainte. C'est la raison pour laquelle à l'issue de nos travaux, je précise que nous avons besoin des réponses à ces demandes écrites, mais que par ailleurs la personne auditionnée doit compléter son propos par des documents qu'il jugerait nécessaires, et surtout qu'il doit répondre à toutes les questions qui lui ont été adressées.
En aucun cas, ces questionnaires ne sont des limitations au droit d'intervention de députés, ni ne peuvent servir de rempart aux personnes auditionnées pour ne pas répondre à d'autres questions qui leur seraient posées. Cet exercice assez formel permet de garantir la transmission d'un certain nombre d'informations et il est identique à toutes les commissions d'enquête auxquelles j'ai pu participer. Ces questions ne sont pas diffusées à l'ensemble des membres de la commission pour la simple raison que leur questionnement est totalement libre.
Il est écrit noir sur blanc que ce courrier est transmis aux députés membres de la commission pour préparer les auditions. Je suis membre de la commission, mais je n'ai jamais reçu ces documents.
La formule exacte est la suivante : « Le présent questionnaire a été établi par le secrétariat de la commission d'enquête afin de permettre aux participants et aux députés membres de la commission de préparer l'audition. » Encore une fois, il ne s'agit que d'une base qui est transmise aux personnes auditionnées, essentiellement pour leur permettre de préparer des éléments. Cela n'a jamais été limitatif pendant l'audition, ni par la suite. Ne faisons pas de mauvais procès : toutes les questions que les uns et les autres veulent poser nécessitent des réponses d'un même degré de rigueur de la part des personnes auditionnées. C'est le cas pour chacune des auditions et pour chacune des commissions d'enquête. Tel est le mode de fonctionnement normal en la matière.
Je pense avoir déjà répondu à certaines questions. M. le député Ratenon, vous m'avez interrogé sur les déclarations du groupe GBH. Comme je l'ai dit au préalable, le pluralisme concurrentiel n'existe pas à La Réunion. Le groupe Hayot possède l'enseigne Carrefour et il est bien en situation dominante, avec une part de marché que j'estime entre 37 et 38 %, devant l'enseigne Leclerc, située 7 à 8 points derrière. Ces deux enseignes détiennent ainsi les deux tiers du marché. De façon objective, en matière d'analyse de concurrence, on ne peut pas dire qu'il y a un marché concurrentiel quand les deux tiers du marché sont détenus par deux acteurs.
Encore une fois, mes rapports parlent d'une situation à la fin de l'année 2022. L'un de plus gros hypermarchés de La Réunion est l'hypermarché Carrefour de Sainte-Clotilde. J'avais estimé son chiffre d'affaires à 145 millions d'euros, en l'absence d'informations transmises par la direction. Mais il s'avère que cette estimation s'est avérée exacte. En effet, les délégués syndicaux du groupe Hayot se sont plaints récemment de ne pas avoir suffisamment de primes. À cette occasion, ils ont exigé de recevoir le chiffre d'affaires du magasin, qui s'est établi à environ 150 millions d'euros en 2022. C'est donc bien fin 2022 que doivent être examinés les effets réels de cette opération : cela n'a pas de sens de le faire à la fin 2021.
Je maintiens, je persiste et je signe et je constate que dans ses observations, le groupe Hayot n'a pas fourni d'éléments de nature à contredire mes propos. Il serait d'ailleurs très mal fondé de le faire, puisqu'il a refusé de me fournir ses données, quand tous les autres ont accepté de le faire. Les dirigeants de GBH vous ont dit qu'ils ne m'avaient pas transmis ces chiffres car ils considéraient que j'étais partisan. Pour ma part, je pense même que la part de marché que j'ai estimé est sans doute sous-évaluée.
Ensuite, cette histoire est terrible parce qu'après les abandons de créances, cette affaire ne marchera pas mieux. En effet, ces quatre hypermarchés sont dans une situation structurellement déficitaire. IBL sera confronté au même problème, sauf s'il accepte de perdre de l'argent. Ces quatre hypermarchés sont en effet très fortement exposés à la concurrences des deux mastodontes. Deux ans plus tard, le nouvel acteur a ainsi dû être sauvé par la puissance publique et va se retrouver entre mains d'un groupe mauricien. Je compatis à la douleur de mes compatriotes réunionnais qui se demandent s'il aurait été possible de faire mieux. Je suis convaincu que la présidente de la région, comme les services de l'État, auraient pu agir autrement.
M. le député, je pense donc que cette opération de reprise ne suffira pas à faire de cette enseigne une enseigne profitable. L'ironie de l'histoire est que deux acteurs avaient montré leur intérêt pour la reprise : le groupe Système U et le groupe Caillé, qui possède l'enseigne Leader Price. Or, si Système U avait obtenu deux ou quatre de ces hypermarchés, les cartes auraient été rebattues à La Réunion. C'est un peu désespérant, parce qu'en agissant comme elle l'a fait, la puissance publique a fragilisé un acteur.
Vous nous avez indiqué que ces quatre hypermarchés étaient ceux qui étaient le plus sous la menace de leurs concurrents directs, Carrefour et Leclerc. Ces quatre hypermarchés n'avaient-ils pas tout simplement vocation à disparaître ? Existait-il un « plan B » ?
De quel plan B voulez-vous parler ?
Run Market ne partage pas votre analyse et vous reproche d'effectuer des prophéties autoréalisatrices qui viendraient les fragiliser plutôt que les conforter dans leur action. Compte tenu de ce que vous décrivez, existe-t-il un moyen qui aurait permis ou qui permettrait à ces quatre structures et à leurs salariés de survivre ?
Bien sûr. Peut-être me suis-je mal exprimé. Contrairement à ce que dit M. le préfet de La Réunion, si cette affaire avait été prise dans le bon sens, les salariés n'auraient pas été menacé. Make Distribution, les actionnaires du groupe Run Market, sont eux-mêmes possédés par un grand acteur local à La Réunion, le groupe Adrien Bellier.
Dans mon pré-rapport, j'ai indiqué que le groupe Run Market était en situation de cessation de paiement, ce qui impliquait le dépôt de bilan devant le tribunal de commerce. Le groupe Adrien Bellier ne voulait pas que Run Market dépose le bilan, mais il aurait dû. Je ne sais pas pourquoi le tribunal de commerce ne lui a pas imposé. J'ai évoqué ces sujets avec les services de l'État, qui m'ont quasiment interdit de le mentionner dans mon rapport.
Si le dépôt de bilan était intervenu comme la loi l'imposait, le président du tribunal de commerce aurait nommé un administrateur judiciaire, qui aurait vendu les actifs. Les acteurs locaux preneurs potentiels, dont le groupe Caillé et les adhérents Système U, souhaitaient le dépôt de bilan, parce qu'ils ne voulaient pas payer l'encours. Ils auraient repris les magasins et ils auraient embauché tous les salariés. C'est la raison pour laquelle je suis désespéré par la position des syndicats, que je respecte. Ils auraient dû défendre une solution locale.
Il aurait donc fallu déposer le bilan. Il aurait fallu que l'administrateur judiciaire impose un bon prix de rachat des fonds de commerce. Les repreneurs se seraient engagés à reprendre tous les salariés. Le marché aurait été moins concentré. Je l'ai indiqué à tous, mais hélas sans grande réussite. Ce plan B aurait été dans l'intérêt de La Réunion, des salariés, de l'État et de nos compatriotes.
Ensuite, M. Ratenon, vous m'avez interrogé sur l'insularité. Elle ne saurait justifier la vie chère en Outre-mer.
Je vous remercie pour vos propos clairs et sans langue de bois. Dès 2020, lors de votre précédent rapport, nous avons alerté l'opinion et les pouvoirs publics sur l'aspect trompeur pour la concurrence à La Réunion de la reprise par Run Market des quatre hypermarchés et son impact sur les consommateurs.
Vendredi dernier, l'Autorité de la concurrence a rendu un avis favorable à la reprise de Run Market par le groupe mauricien IBL. Cela permet de conserver l'enseigne et de préserver des centaines d'emplois. Mais comme vous le soulignez, une solution alternative aurait permis de conserver les emplois.
Cependant, les enseignes Carrefour et Leclerc détiennent toujours les deux-tiers du marché local. En 2020, le rachat du groupe Vindémia par GBH a clairement renforcé la concentration sur le marché de la distribution généraliste de détail à La Réunion, ce qui constitue une des causes majeures de la vie chère.
Dans votre rapport, vous pointez également le système congloméral en place dans l'île et plus largement, dans les Outre-mer. C'est le cas du groupe GBH, qui pourrait être qualifié de véritable pieuvre, puisqu'il est implanté dans la majeure partie de nos territoires ultramarins. C'est également le cas du groupe IBL, premier conglomérat à l'île Maurice. Que peut-on attendre de cette opération ? Vous avez exprimé vos réserves sur l'avenir du groupe IBL à La Réunion. Je souhaiterais obtenir confirmation : l'arrivée du groupe IBL aura selon vous un impact modéré, voire nulle sur la vie chère à La Réunion, si j'ai bien compris.
Vous préconisez l'interdiction des conglomérats dans les Outre-mer. Comment rendre cela réalisable aujourd'hui ? Le modèle des très grandes surfaces est également une des causes de la vie chère. Il est désormais bien installé. Nous sommes en début de mois et il est certain que l'ensemble des grandes surfaces de l'île sont pleines de clients. Les analyses et les rapports économiques ne rentrent-ils pas en contradiction avec les attentes de la population et les évolutions des modes de consommation, même si je le regrette ?
Je suis favorable aux commerces de proximité, qui favorisent la production locale, contrairement aux grandes surfaces. Pendant la crise de la Covid-19, la population a eu recours aux circuits courts. Sur le temps long et de façon immuable, le retour à ce mode de consommation sera difficile à mettre en place, à tous niveaux. À votre connaissance, cette démarche a-t-elle été malgré tout déjà observé en France et en Europe ? Le retour aux commerces de proximité est-il possible en 2023 ? Si tel est le cas, comment pouvons-nous y aider ?
Le groupe IBL est à peu près équivalent au groupe GBH, en termes de structures. Sa reprise des quatre hypermarchés par IBL ne changera rien. Pire, je pense que le groupe IBL va très rapidement comprendre son erreur. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils ont demandé de telles abandons de créances. Je suis d'ailleurs assez consterné de constater que les banques l'ont accepté, à l'exception d'une d'entre elle, qui s'en est d'ailleurs plainte dans la presse locale. Elle a immédiatement été pointée du doigt, mais elle avait raison. Je l'ai d'ailleurs dit publiquement.
Je recommande effectivement l'interdiction des situations conglomérale en Outre-mer. La représentation nationale vote les lois ; je propose qu'elle amende le code du commerce. Mon rapport propose la rédaction d'un article qui indiquerait que désormais, on ne peut pas être présent en amont ou en aval dans des départements en situation d'insularité. Cela serait soit l'un, soit l'autre. Il serait possible de donner dix-huit mois à deux ans aux acteurs pour se mettre en conformité. Contrairement à ce que certains prétendent, il y aurait de nombreux candidats. Arrêtons de dire que le marché réunionnais est un petit marché : il représente plus de trois milliards d'euros, rien que pour l'alimentaire.
Je préconise donc de mettre un terme au modèle concentrateur des très grandes surfaces. Il serait possible de voter une taxe au profit du développement local pour toutes les surfaces commerciales supérieures à 2 000 mètres carrés. Les acteurs comprendraient que, plus c'est grand, plus cela coûtera en fiscalité. Je suis sûr que le législateur pourra trouver les bonnes solutions.
Ensuite, il est effectivement possible de favoriser le commerce de proximité. À ce titre, il faut arrêter de ringardiser les petits commerçants. Avant que la grande distribution ne s'implante à La Réunion, les petits commerces chinois étaient la règle dans l'île. Je suis partisan de petits commerces, limités à 1 500 mètres carrés. Je préfère dix commerces de 1 000 mètres carrés plutôt qu'un seul de 10 000 mètres carrés. J'ai même démontré que ce système permettrait de créer un plus grand nombre d'emplois.
Je ne veux pas les incriminer, mais elles n'auraient jamais dû signer les autorisations d'ouverture de ces mastodontes. La Réunion a le triste record du plus grand Décathlon au monde, qui représente 8 000 ou 9 000 mètres carrés, et est situé à Saint-Denis. Au cours de ma carrière, j'ai accompagné l'enseigne Décathlon et je leur ai parlé de ce problème. Ils m'ont répondu que ceci était le fait d'un franchisé. Il n'y a plus de place pour les autres : c'est terrible la concentration.
Je vous remercie M. Christophe Girardier pour sa présence et ses propos, qui éclairent la commission d'enquête. Si je vous ai bien compris, il y a de quoi être pessimistes si nous n'agissons pas. Deux distributeurs généralistes contrôlent en effet 66 % du marché à La Réunion. Malgré la recapitalisation de Run Market, vous considérez qu'ils auront du mal à concurrencer ces deux poids lourds. L'attractivité ne se fait pas par les prix, comme en témoigne la création de cette commission d'enquête.
Vous nous avez fourni quelques pistes, dont celles qui consistent à appliquer la loi EGAlim, à supprimer les marges arrières. Vous évoquez également l'arrêt du rempotage qui est effectué à l'heure actuelle par les producteurs locaux, gratuitement. Il faut également mettre l'accent sur la transparence.
Si la commission d'enquête ne peut certes pas renverser la table, elle ne peut pas non plus accoucher d'une souris. Néanmoins, nous sommes confrontés à des hommes et des femmes d'affaires, qui ne sont pas des enfants de chœur. Nos propositions en faveur de l'intérêt général seront en effet contrées par des stratégies de business. Comment peut-on les anticiper ?
Enfin, vous n'avez pas totalement répondu à une question de Mme Karine Lebon. Derrière les enjeux sur les prix, la cherté de la vie et les monopoles, il faut mettre en valeur la production locale. Comment pouvons-nous renforcer une stratégie dynamique en faveur de la production locale, sans qu'elle soit à la merci des distributeurs ?
Vous avez raison. L'honneur de votre mandat consiste notamment à aller à l'encontre des lobbys et des groupes de pression, quels qu'ils soient.
Je propose la fin du modèle des grandes surfaces dans les territoires insulaires, par l'interdiction de surfaces commerciales supérieures à 1 500 mètres carrés, dans tous les domaines. Cela obligerait à avoir plusieurs acteurs sur place. Ensuite, sur le modèle de l'amendement Thien Ah Koon, je vous propose d'interdire toute position supérieure à 25 % de parts de marché en chiffre d'affaires. Si vous le faisiez, vous rabattriez complètement les cartes. Donc, on acte la fin des grandes surfaces et la limitation dans les territoires en situation d'insularité. On ne peut pas avoir deux acteurs qui font plus de 50 %.
Par ailleurs, vous devriez interdire les structures verticales. Lorsque vous avez entendu M. Pascal Thiaw-Kine, vous avez pu vous rendre compte que son groupe n'est pas verticalisé.
J'ai apprécié l'entretien avec M. Thiaw-Kine, qui était particulièrement précis, notamment sur la description des marges arrière. Cependant, quand on parle d'une centrale d'achat qui couvre pratiquement tous les produits, on est assez proche d'une structure verticalisée.
Je suis partiellement d'accord vous. La centrale d'achat E. Leclerc ne fait que négocier l'achat, tandis que le groupe GBH négocie l'achat mais possède aussi l'industrie. Encore une fois, je ne comprends pas que la Dgccrf n'ait pas mené l'enquête à l'issue de mon rapport. Les industriels sont très attentifs aux mètres linéaires utilisés dans les grandes surfaces pour exposer leurs produits. Il existe une totale proportionnalité entre la profondeur de l'offre, l'exposition et le chiffre d'affaires. Si un industriel perd 50 centimètres d'exposition sur les rayonnages, son chiffre d'affaires peut s'écrouler de 20 %.
Le groupe Hayot possède Sorelait, l'usine de yaourts et de produits frais sous enseigne Danone. De son côté, le groupe agricole local Urcoopa possède la Compagnie laitière des Mascareignes (Cilam), qui produisent les yaourts Yoplait. Des usines de yaourts et de produits frais sont ainsi implantées localement dans la mesure où le yaourt ne s'exporte pas. J'ai embauché un étudiant réunionnais et lui ai demandé de mesurer l'exposition de l'assortiment des produits Danone par rapport à celui des produits Yoplait, sur les rayonnages des différents magasins de La Réunion.
Chez tous les distributeurs, le linéaire des produits frais accordés à Yoplait était de deux tiers contre un tiers pour Danone, à l'exception d'Hayot où la proportion était inverse. Cilam propose en effet un assortiment beaucoup plus riche que celui de Danone, quasiment du simple au double. Vous vous rendez compte du manque à gagner pour les producteurs, qui s'appuie sur 38 % à 40 % de part de marché. Cilam sait très bien ce qui lui arriverait s'il osait dénoncer cette situation. En tant que modeste consultant, j'ai pointé ce phénomène dans mon rapport et l'ai exposé aux yeux de tous. Mais rien n'a changé.
Telle est une traduction concrète de ce que j'appelle une atteinte à la concurrence ou un verrouillage de marché.
Si je comprends bien, vous considérez que pour évaluer les distorsions de concurrence relatives aux effets de concentration, il faut davantage regarder les liens entre production et distribution que dans d'autres intermédiaires.
Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question.
Selon vous, c'est bien le contrôle d'un produit associé à une marque et à sa distribution qui a engendré un avantage concurrentiel. Ce lien est-il le plus significatif dans la distorsion de la concurrence ou est-ce un exemple parmi tant d'autres ?
Votre question est intéressante car elle montre bien que la concentration verticale est une plaie. Elle peut justifier que le législateur l'interdise, à plus forte raison dans un département insulaire. En effet, dans ce cas précis, l'éloignement devient une clef de voûte de la concentration.
Naturellement, ceci entraînerait une très vive réaction de la part de certains distributeurs, qui mobiliseraient des armées de juristes. Pour ma part, j'ai subi de très fortes pressions lorsque j'ai publié mon rapport. Ils essayeront vraisemblablement de solliciter immédiatement la Commission européenne, pour qu'elle vous déjuge. Mais si vous rédigez bien votre loi, cela n'arrivera pas. Dans le cadre de mes activités, je me rends à la Commission européenne quasiment deux fois par semaine. J'y discute fréquemment avec des experts du droit de la concurrence, qui m'ont dit que si une telle mesure était adoptée, un contentieux aurait certes lieu, mais vous le remporteriez, en démontrant qu'il s'agit là de la seule manière de créer les conditions de la libre concurrence, qui est un des principes fondamentaux des institutions européennes.
Mais M. Philippe Naillet a raison, vous devez vous y préparer. Pour ma part, je suis consterné que l'Europe laisse passer cet abandon de créance. Si j'étais concurrent de Run Market, j'irais immédiatement saisir les institutions européennes pour demander des comptes au gouvernement français, qui a abandonné 60 millions d'euros. On me rétorque qu'il en a été de même pour le transport aérien ; mais j'estime que les motifs ne sont pas identiques. Le gouvernement français peut être fondé à maintenir une compagnie aérienne à bout de souffle pour permettre aux gens de voyager. Or, on n'est pas dans ce cas.
En vous écoutant, je comprends pourquoi on dit souvent que le meilleur arrive à la fin. J'aurais tellement aimé que cette audition intervienne avant celle d'autres groupes. Votre intervention m'a fait penser à une phrase de Coluche : « Il y a deux sortes d'avocats. Ceux qui connaissent la loi et ceux qui connaissent le juge ». Des acteurs économiques sont-ils au-dessus des lois dans nos territoires d'Outre-mer ? Manque-t-il des lois pour que certains acteurs économiques cessent de profiter de la cherté de la vie sur le dos des Réunionnaises et des Réunionnais ?
Depuis 2020, je ne cesse de dire que les groupes de grandes surfaces comme Hayot ont compris que la vraie richesse de La Réunion réside dans sa terre. Ils sont en train de nous « bouffer » nos terres. Il y a trop de grandes surfaces à La Réunion et j'avais déposé un amendement à la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, qui visait à empêcher ces mastodontes de s'élargir encore plus au sol. Quels plans d'action préconisez-vous pour démanteler ces monopoles ?
Pour compléter la question de Frédéric Maillot, je constate que le foncier est non seulement contraint, mais également déjà très occupé en réalité. Que pouvons-nous faire à la fois pour l'avenir, mais également pour l'existant ?
Il m'est difficile de répondre à cette question. M. Maillot, je souris à votre rappel de l'excellente phrase de Coluche. Je pense que la décision de l'Autorité de la concurrence est éminemment politique. M. le ministre de l'économie a déployé une argumentation globalement juste lors de la déclaration liminaire qu'il a effectuée devant votre commission. Cependant, pourquoi l'État a-t-il autorisé cette opération ? Le ministre de l'économie avait le pouvoir d'évoquer l'affaire, mais il ne l'a pas fait. Peut-être ne l'a-t-on pas suffisamment informé. Mais si vous vous penchez sur les procédures, l'Autorité de la concurrence peut agir de deux manières : soit à travers la procédure rapide, soit à travers la procédure approfondie. Dans le cas d'espèce, l'Autorité a utilisé la procédure rapide, alors même que tous les élus de La Réunion avait écrit une lettre pour demander une procédure approfondie, que le ministre de l'économie pouvait exiger.
La manière dont l'Autorité de la concurrence a géré cette affaire est en cause. Il existe une proximité entre certains hauts fonctionnaires et certains groupes, qui devrait cesser. Néanmoins, le fond du problème n'est pas là. Il faut que les législateurs changent la loi, le moment est venu. Le niveau de concentration est tel que vous devez sonner la fin de la récréation, c'est-à-dire vous dotez des moyens d'en finir avec ce système.
Encore une fois, je préconise la fin des grandes surfaces, l'interdiction de posséder plus de 25 % de parts de marché, l'interdiction des situations de concentration, la réforme des marges arrières. En réalité, les victimes de ces marges arrières sont les producteurs locaux. Le système est en soi inflationniste et mortifère : les uns demandent toujours plus de marges arrières et les autres augmentent les prix pour compenser le phénomène. Si même le groupe Leclerc vous le demande, c'est bien qu'il faut le faire.
Par ailleurs, j'ai été très choqué par les propos de l'ancienne ministre de l'Outre-mer, Mme Annick Girardin. Elle vous a ainsi dit qu'il était tout à fait possible de faire cesser le dispositif des OMPR. Je trouve cela incroyable. Modestement, j'ai rappelé au président de l'OPMR qu'il avait des droits et qu'il devait les exploiter. Le texte qui définit les missions des OPMR rappelle qu'ils sont indépendants et qu'à ce titre, ils sont présidés par un magistrat des juridictions financières. Lorsque j'ai rendu des rapports, j'ai subi des pressions, notamment de la part des collaborateurs du préfet. Je leur répondais que la commande qui m'avait été faite émanait de l'OPMR.
Lorsque j'ai rédigé mon premier rapport final en 2019, le président de l'OPMR avait demandé que celui-ci soit rendu en séance plénière, avant la tenue d'une conférence de presse. Le préfet s'est opposé à cette conférence de presse, mais le président de l'OPMR – magistrat de la chambre régionale des comptes – a été respectueux de la séparation des pouvoirs et l'a maintenue. Nous avons finalement réalisé cette conférence de presse dehors, sous la pluie, devant trois journalistes. Comment est-il possible qu'un préfet de la République interdise l'utilisation d'une salle de la préfecture pour la réunion d'un OPMR ?
Votre loi doit définitivement casser le cordon ombilical entre l'OPMR et l'exécutif. Je rappelle que le président de l'OPMR est obligé de demander de l'argent au préfet pour pouvoir réaliser un rapport. Le groupe Hayot est allé voir le préfet pour exiger que je ne sois pas chargé de ce rapport. Fort heureusement, grâce à la loi d'indépendance que vous avez votée, le président de l'OPMR a résisté.
Je vous rassure, l'ensemble des ministres de l'Outre-mer que nous avons interrogés sur les moyens de l'OPMR ont tous eu une réponse assez allusive. Ensuite, je souhaite revenir sur ma question de l'existant. Comment fait-on pour casser l'existant ?
En tant que législateurs, vous êtes chargés de rédiger la loi. Je vous recommande d'utiliser la fiscalité, en imposant que tout distributeur exploitant une surface supérieure à 1 500 mètres carrés paye une taxe, fléchée vers l'exécutif local. Vous verrez que les grandes surfaces deviendront moins rentables et vous pourrez en finir avec elles. Certains hypermarchés seront peut-être même démontés, permettant de rendre les terres agricoles aux agriculteurs.
Vous proposez de supprimer les marges arrière. Comment se fait-il que les organismes de contrôle d'État (Dgccrf, OPMR) ne puissent pas à l'heure actuelle faire la transparence sur la réalité de ces marges arrière ? Pensez-vous qu'il existe une méthodologie pour les mesurer, de même que la réalité de la concentration verticale ?
Faites-vous le lien entre la concertation horizontale et la concentration verticale ? Avez-vous déjà effectué des études dans ce domaine ? Puisque nos marchés insulaires sont captifs, comment peut-on instaurer une plus grande démocratie économique ?
Enfin, on nous dit souvent que l'exiguïté des marchés intérieurs dissuade l'implantation de nouveaux acteurs. Comment pourrions-nous offrir une attractivité suffisante à d'autres acteurs, pour accroître la concurrence et mécaniquement faire baisser les prix ? Je rappelle que quand Free est arrivé sur le marché de la téléphonie mobile, les prix ont subitement baissé, alors que l'on nous disait auparavant que cela n'était pas possible. Lorsque la concentration règne, celui qui a le pouvoir économique détermine le prix de vente.
C'est parce que les marchés sont concentrés que ces territoires manquent d'attractivité économique. Les acteurs économiques sont souvent pragmatiques, voire cyniques : s'ils peuvent contourner les règles, ils le font, dans la légalité. Ces acteurs économiques savent que le marché de La Réunion est verrouillé et ne sont donc pas incités à y aller. C'est par exemple la raison pour laquelle Intermarché n'a jamais voulu s'installer sur le marché réunionnais.
J'étais stupéfait que le ministre Jean-François Carenco vous dise que la situation était correcte puisqu'il existe deux à trois opérateurs économiques différents dans chaque île. Cela me rappelle cette histoire de Fernand Raynaud que me racontait mon père : « L'essence augmente, mais j'en prends toujours pour 100 francs, moi ». Il ne suffit pas que cinq acteurs soient présents pour garantir un réel pluralisme, si deux d'entre eux accaparent complètement le marché. Donc, il n'est pas vrai de dire que de toute façon le territoire est trop petit et que les acteurs ne viendront pas.
Ce n'est vrai que dans un cas : les transports aérien et maritime, qui relèvent d'un autre registre. C'est pour cela que je peux comprendre que la puissance publique investisse pour sauver une compagnie aérienne. On doit se réjouir qu'un grand patron d'industrie française décide de baisser les prix. En effet, outre la cagnotte qu'il a mentionnée et qui va se terminer à la fin de l'année, le plus grand investissement de CMA CGM est en réalité les conditions préférentielles accordées aux territoires ultramarins par la compagnie, qui lui coûtent 80 millions d'euros par an. Donc faites en sorte de ne pas le désespérer. Il n'en est pas de même pour le reste.
Il ne me semble pas pertinent que l'État crée une nouvelle compagnie aérienne. En revanche, je serais plus favorable à une compagnie maritime privée qui desservirait les différentes îles de l'océan Indien, en cabotage. Ce n'est pas à l'État de faire ça. J'ai préconisé la structuration des petits commerçants en coopérative, ce qui à terme, pourrait leur permettre d'acheter un bateau pour pouvoir s'approvisionner de manière indépendante et contrôler leurs prix.
Ensuite, vous m'avez interrogé sur les effets de la concentration verticale par rapport à l'usage des marges arrières. La concentration verticale est encore pire. Par exemple, le groupe GBH est non seulement propriétaire de certaines usines, mais aussi des grossistes. Dans la corbeille de la mariée de Vindémia, il y avait des grossistes, mais aussi une société nommée SDECOM qui est un importateur de marques, c'est-à-dire celui à qui des industriels délèguent la représentation de leurs marques. Cette société a été fusionnée avec Bamyrex, autre importateur possédé par le groupe Hayot, qui bénéficie désormais des contrats de promotion qu'il exploite lui-même. Aujourd'hui, le système est incestueux et il faut y mettre un terme, n'importe quel économiste vous le confirmerait.
Comment se fait-il qu'aucun organisme d'État n'ait pu objectiver les marges arrière ? Ensuite, vous avez eu raison de critiquer l'exemple du container de pâtes, qui nous avait été fourni. Il faut pouvoir regarder l'ensemble des rayons des magasins pour objectiver, ce que ne font ni l'Autorité de la concurrence, ni les organismes de contrôle.
Pour analyser ce sujet, il faut vraiment disposer d'une expertise spécifique, ce qui nécessite de se faire aider par des experts. Si vous demandez les comptes des 52 sociétés du groupe Hayot, vous ne verrez rien. La marge avant est la marge la plus connue : un distributeur achète un produit puis rajoute sa marge au moment de la commercialisation. La marge arrière est le fait pour un distributeur d'exiger de son fournisseur deux types de marge : soit il demande une ristourne en cours d'année ou en fin d'année, qui peut aller jusqu'à 25 % ; soit l'industriel doit lui rendre 25 % de ce qu'il a vendu au titre d'une croissance du chiffre d'affaires. Or, comme il est dominant, il atteint toujours l'objectif.
Mais il existe d'autres marges arrières encore plus pernicieuses, qui me posent encore plus problème. La faculté d'être en tête de gondole dans un hypermarché coûte de l'argent, notamment aux producteurs locaux. Les distributeurs vont exiger de faire payer le producteur pour avoir leurs produits en tête de gondole. Certaines marges arrières de type « ristourne » ne sont pas répercutées sur le ticket de caisse, sauf dans certains magasins. À l'époque, Vindémia avait sa propre centrale d'achat qui négociait pour les magasins qui étaient filialisés. La marge arrière, qui pouvait aller jusqu'à 25 %, était conservée dans le compte d'exploitation de Vindémia, mais pas dans le magasin.
En résumé, au titre des ristournes de fin d'année, le distributeur émet une facture à l'ordre des producteurs. Cette facture n'est pas forcément logée dans la même société. C'est la raison pour laquelle il faudrait sans doute réformer plus largement le système. Il n'est pas normal que le groupe Hayot ait 52 sociétés dans la même île, ce qui lui permet de placer la marge où il veut.
Quand j'ai rendu mon rapport, le groupe Hayot a contesté certains de mes chiffres, que j'ai toujours maintenus. Pour essayer de me convaincre, il m'a adressé une lettre assez dure présentant une attestation de son commissaire aux comptes. Cependant, cette attestation ne présentait pas le périmètre en question et surtout, elle portait sur les comptes 2021 quand je parlais des comptes 2022, qui n'étaient pas encore bouclés – mais j'estimais la situation.
Messieurs les députés, quand vous voulez instaurer une obligation de contrôle, il est important de donner les moyens à des gens comme moi qui travaillent pour l'OPMR ou au service de l'État de savoir les critères sur lesquels ils vont pouvoir contrôler le respect des lois de la République. En la matière, si j'étais à votre place, je demanderais au groupe Hayot le chiffre d'affaires hors taxe de chacun de ses magasins, sur les trois dernières années. Tous les acteurs ont accepté de me les transmettre, sous le sceau de la confidentialité, à l'exception du groupe Hayot. Le président de l'OPMR en a été averti, j'ai pris les chiffres et les ai agrégés.
Ensuite, il est essentiel que vous demandiez les justificatifs de l'application des contrats commerciaux entre le distributeur et le producteur. La loi leur impose de dire de quelle nature sont ces marges arrières. Vous demandez les factures et vous verrez que ces factures ne sont pas répercutées. Je crois également savoir que M. Pascal Thiaw-Kine vous a demandé que si des marges arrière doivent être conservées, elles soient répercutées sur le ticket de caisse.
Le système est mortifère et le législateur doit y mettre un terme.
M. Girardier, pouvez-vous en quelques minutes résumer vos propositions et recommandations ?
En matière de concentration, la première recommandation consiste à interdire toutes les grandes surfaces (au-delà de 1 500 mètres carrés) dans les territoires d'Outre-mer.
Deuxièmement, tout acteur, quel que soit son secteur d'activité, ne devrait pouvoir totaliser en chiffre d'affaires une part de marché supérieure à 25 % dans tous les territoires d'Outre-mer.
Troisièmement, il faut interdire toute intégration verticale, ce qui signifie qu'un acteur ne peut pas être à la fois dans le marché amont et dans le marché aval. Par conséquent, il doit choisir entre être un distributeur et être un producteur ; mais il ne peut pas être à la fois un producteur, un grossiste et un distributeur.
Ensuite, pour les marges arrière, je pense qu'il faudrait appliquer la loi EGAlim dans les Outre-mer, mais avec quelques adaptations. Il faut en effet rassurer les producteurs. Je ne pense pas que vous puissiez interdire les marges arrières, mais vous pouvez les encadrer. Ainsi, vous pouvez limiter leur taux. Pour se rendre compte de l'impact de ses marges, il suffit de considérer une promotion à La Réunion, aux Antilles ou Guyane et de regarder le différentiel de prix entre cette promotion et le prix en fond de rayon. Vous observerez que celui-ci est facilement de 40 %, voire de 50 %, ce qui n'est pas normal. Quand j'étais à La Réunion pour effectuer mon rapport, il m'est même arrivé de constater qu'un prix était dégriffé de 75 %. Par ailleurs, il faut exiger que ces marges arrières soient restituées dans le ticket de caisse, et non pas remontées dans une holding.
Enfin, je suis tellement désespéré qu'une si grande autorité comme le Conseil d'État se soit fourvoyée à ce point. La décision du Conseil d'État qui a consisté à ne pas censurer l'Autorité de la concurrence sur l'affaire Hayot est profondément choquante pour les juristes. Par conséquent, il est nécessaire de réformer le droit de la concurrence. Je considère que la décision de l'Autorité a été politique, hélas, dans ce cas d'espèce. J'étais en train d'achever mon rapport lorsque les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence se sont rendus à La Réunion. Le président de l'OPMR leur a proposé de me rencontrer puisque j'étais chargé de rédiger ce rapport, mais ils ont refusé. Ce n'est pas normal.
Il faut instituer, comme vous l'avez fait en Nouvelle-Calédonie, une autorité de la concurrence locale. Mais assurez-vous que ceux qui seront nommés dans cette autorité ne soient pas en lien incestueux avec ceux que l'on veut un peu freiner : choisissez des acteurs totalement indépendants.
Je n'ai aucun mérite : je suis dirigeant de mon petit cabinet de consulting. Quand l'OPMR a fait appel à moi, j'étais probablement le seul indépendant dans cette histoire, mais j'ai subi d'énormes pressions.
J'en ai pris plein la figure, y compris de la part de la presse. Je rappelle qu'à La Réunion, 80 % des budgets publicitaires de la presse locale – qui n'est d'ailleurs pas très florissante – émane des grands annonceurs, dont en grande partie le groupe Hayot. J'imagine que le poids doit être à peu près identique aux Antilles.
Je ne prétends pas que les dirigeants d'Hayot font pression sur le directeur de la rédaction de tel ou tel quotidien. La pression relève plutôt dans ce cas de l'autocensure. Quand j'ai rendu mon rapport, j'ai réalisé une interview avec le Journal de l'île de La Réunion (JIR). La journaliste m'avait interviewé le vendredi soir, l'article devait être publié le samedi matin. Elle m'a appelé pour me dire que l'article ne paraîtrait pas, parce que des consignes lui avaient été données. Si vous regardez l'actualité de l'époque, les journalistes du Syndicat de la presse réunionnaise se sont mis en grève parce qu'ils ne supportaient pas la censure. Le directeur de la rédaction du JIR a admis avoir pris cette décision pour des raisons économiques. Cela veut tout dire.
L'Autorité de la concurrence, dans sa décision de 2022, dit qu'elle n'a pas pris en compte la dimension conglomérale du groupe au motif que cela ne correspondait pas à ses règles d'examen. Mais ceci est faux : quand on regarde la doctrine de l'Autorité de la concurrence, il est clair qu'elle peut s'en affranchir. En résumé, l'Autorité n'a pas pris en compte la spécificité de l'île de La Réunion. De mon côté, je me suis rendu à dix reprises à La Réunion pour comprendre la situation et j'ai interrogé tous les acteurs. Il faut aller sur place, longuement, pour bien discerner les spécificités de la zone de chalandise.
Enfin, il faut renforcer les OPMR, sans cynisme : si vous créez des OPMR, il faut leur donner de l'argent. Le dernier rapport que j'ai remis a été réalisé pour 30 000 euros TTC, tout en prenant à ma charge les billets d'avion. J'y ai passé deux mois et demi ; j'aurais dû le vendre trois fois ce prix-là, mais j'ai considéré qu'il s'agissait d'un devoir pour moi.
Pour conclure, je couperais également le cordon ombilical entre les OPMR et l'État. Le préfet ne peut plus s'ingérer dans les décisions prises par l'OPMR. En revanche, vous avez eu la très bonne idée de confier la présidence à un magistrat des juridictions financières. En effet, je pense que l'on peut faire toute confiance à la Cour des comptes, en vertu de ce sacro-saint principe de séparation des pouvoirs.
Nous allons d'ailleurs entendre la Cour des comptes à l'issue de votre audition. Je vous remercie pour votre intervention. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles pour la commission d'enquête et qui permettront de répondre aux questions qui n'ont pas pu été posées pendant cette audition.
La commission procède ensuite à l'audition de M. Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller maître à la Cour des comptes, co-auteur de la communication Les Financements de l'État en outre-mer : Une stratégie à concrétiser, un Parlement à mieux informer de mars 2022.
Nous recevons à présent M. Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller maître à la Cour des comptes, co-auteur de la communication Les Financements de l'État en Outre-mer : Une stratégie à concrétiser, un Parlement à mieux informer, en mars 2022. Un des sujets de notre commission porte notamment sur l'existence parfois réduite des données disponibles.
Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de prendre le temps de répondre à notre invitation. Je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Philippe-Pierre Cabourdin prête serment)
Je tiens à me présenter brièvement en préambule. Je suis entré à la Cour des comptes en 1998 comme auditeur. Au cours de ma carrière, j'ai été détaché pendant treize années à l'extérieur de la Cour, où j'ai pu exercer les fonctions de directeur régional Île-de-France de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de directeur central de la PJJ ; puis de recteur d'académie à Reims et de recteur de région académique en Normandie. Cette dernière responsabilité m'a permis d'avoir dans mes attributions la supervision de l'éducation nationale à Saint-Pierre-et-Miquelon, rattachée à l'académie de Normandie.
Dans le cadre de mes fonctions à la PJJ, j'ai porté un point d'attention tout particulier aux territoires d'outre-mer, compte tenu de la place de la jeunesse dans ces territoires et des difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés. Depuis 2016, je suis rentré à la Cour des comptes, à la cinquième chambre, dont je préside la première section depuis mars 2023. Cette section a la charge du secteur du logement, de la cohésion des territoires et des outre-mer. J'étais précédemment, au sein de cette section, responsable du secteur des outre-mer depuis 2019.
Le contrôle et la gestion de l'emploi des fonds publics outre-mer est réparti entre la cour et les quatre chambres régionales et territoriales des comptes ultramarines. La Cour – et donc l'ensemble de ses chambres – traite de tout ce qui concerne la gestion et les finances de l'État, ainsi que de Wallis-et-Futuna. Nous avons d'ailleurs rendu un rapport sur Wallis-et-Futuna l'année dernière. Les chambres régionales et territoriales des comptes traitent des finances et de la gestion des collectivités territoriales et des organismes qui leur sont rattachés.
De ce fait, par rapport aux questions que vous m'avez transmises, j'essayerais de répondre à celles qui correspondent aux chambres régionales, même si je suis un peu en dehors de ma compétence. Néanmoins, nous travaillons fréquemment ensemble dans le cadre de formations inter-juridictions sur des enquêtes conjointes et des thématiques que nous arrêtons ensemble.
Enfin, je me dois de vous préciser que ne peux m'exprimer devant vous que sur des rapports qui ont été délibérés par la Cour. Cette dernière précision me conduit à répondre directement à la première question du questionnaire reçu, qui portait sur le fait de savoir si nous avions travaillé sur la vie chère outre-mer. Hormis le rapport que vous avez cité, qui l'aborde de façon incidente par les moyens que l'État met en place sur ces départements et collectivités, nous n'avons pas de rapport qui traite directement de ce sujet. Mais comme nous sommes très conscients de cette réalité, nous avions mis au programme de 2023 deux enquêtes sur deux sujets qui nous semblaient mériter d'être analysés en tant que tels par rapport à leur possible impact sur la vie chère outre-mer.
La première enquête est une enquête sur les compléments de rémunération des fonctionnaires outre-mer. Nous l'avons menée à la suite du rapport de 2015, qui avait fait l'objet d'une insertion au rapport public annuel de la même année. Cette enquête de suivi est terminée et a donné lieu à l'envoi d'un référé à la Première ministre le 8 juin 2023. Conformément aux procédures, ce référé sera transmis aux présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat le 8 août prochain.
Cependant, il ne m'a pas semblé complétement inconvenant de vous donner les grandes lignes qui concernent le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Les référés sont des documents très denses ; celui-ci fait cinq pages. Sur ces cinq pages, deux grands paragraphes traitent de ce sujet. L'un des objectifs des compléments de rémunération outre-mer est d'y réduire le différentiel du coût de la vie avec la métropole pour les fonctionnaires d'État concernés. Or, l'analyse des effets économiques de ce dispositif tend à monter qu'il pourrait avoir l'effet inverse. Notez bien le conditionnel que nous avons employé : les données constituent une vraie limite dans une expression affirmée sur tous ces sujets. Ces compléments de rémunération créent un marché de consommation garanti permettant aux importateurs et aux distributeurs de maintenir un niveau de prix élevés dans un contexte de faiblesse de la concurrence due à la structure oligopolistique de secteur de la distribution.
Plutôt que de lutter contre les effets de la vie chère, l'effet des compléments de rémunération sur les prix, la part de l'emploi public dans les territoires d'outre-mer, mais aussi l'extension progressive au secteur parapublic et à une partie du secteur privé sont autant de facteurs qui, en augmentant le coût de la vie, vont à l'encontre de l'objectif initialement souhaité.
Ils accentueraient également les inégalités sociales au sein des sociétés ultramarines, entre les salariés qui bénéficient de cette disposition et ceux qui n'y ont pas accès. Nous avons suggéré qu'une réponse a minima pourrait consister à fixer à son juste niveau le montant de ces compléments de rémunération. Les analyses statistiques que nous ont fourni nos collègues de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) montrent que ce différentiel est aujourd'hui largement supérieur au différentiel réel de coût de la vie entre les territoires d'outre-mer et l'Hexagone. Là encore, il faudrait avoir une approche plus fine sur chacun des territoires. Nos collègues de l'Insee sont en mesure de l'établir, puisqu'ils nous l'ont communiquée.
Comme nous nous doutions bien que nous ne pourrions pas aller beaucoup plus loin dans la démonstration d'un éventuel rôle des compléments de rémunération des fonctionnaires outre-mer sur la vie chère, nous avons également mis à notre programme de contrôle un autre dispositif qui nous semblait pouvoir avoir un impact sur la vie chère des outre-mer : l'octroi de mer. Compte tenu de la complexité de ce dispositif de taxation, de son poids fiscal et économique, comme de son caractère dérogatoire vis-à-vis des textes européens, nous avons décidé de le traiter dans le cadre d'une formation inter-juridictions, qui réunit les chambres régionales concernées. Nous avons souhaité procéder à une évaluation de politique publique. Dans ce cadre, nos normes professionnelles nous conduisent à nous entourer d'un comité d'accompagnement auquel nous soumettons pour avis les résultats de nos travaux. Ce comité est composé d'universitaires, d'experts du sujet et de parties prenantes, représentants d'entreprises et de collectivités concernées.
Le rapport d'instruction provisoire sera délibéré le 19 juillet prochain, pour être soumis à la contradiction des administrations et des collectivités concernées. Nos travaux devraient être publiés avant la fin de l'année. C'est un peu frustrant pour moi, puisque je n'ai pas d'éléments suffisants à vous apporter au sujet de l'octroi de mer, sur lequel il y a beaucoup à dire indépendamment des notions de cherté de la vie en Outre-mer.
Je vais laisser le rapporteur débuter la série de questions. Je vous interrogerai plus tard sur la dépense publique,
Vous avez effectué une analyse de l'impact des 40 % des fonctionnaires sur l'inflation. Avez-vous effectué une étude de l'impact de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui, contrairement à l'octroi de mer, est une ressource qui ne reste pas dans le territoire dit d'outre-mer ?
Comment intégrez-vous dans vos rapports la réalité des contraintes structurelles de l'insularité, de l'éloignement et de l'exigüité du marché intérieur ? Je rappelle que 80 % de ce que nous consommons est importé de France et d'Europe. Comment intégrez-vous ces contraintes structurelles non modifiables dans vos études pour mesurer leurs impacts ?
Ces paramètres ne sont effectivement pas modifiables. Cependant, même si je ne pourrais pas aller très loin puisque nous sommes en train de travailler dessus, dans l'octroi de mer, nous étudions les caractéristiques du dispositif en droit. Nous regardons son interaction avec la TVA et nous demandons éventuellement à nos collègues de l'Insee de faire tourner des modèles économétriques pour voir comment ont évolué et comment évoluent les différents taux, qu'ils soient décidés au niveau des collectivités (région ou département) ou au niveau des communes. Le fait que l'on soit à 5 000 ou 8 000 kilomètres de l'Hexagone n'est pas un paramètre que nous pouvons intégrer dans ce mode de calcul. En revanche, nous pouvons constater qu'un produit importé a un coût d'importation, ne serait-ce qu'en raison de la distance.
Nous pouvons aussi constater s'il est produit localement ou non. En effet, l'octroi de mer a pour objectif de protéger le développement des industries locales par rapport au marché libre que constitue l'ensemble du marché européen. C'est sous cet angle que nous les prenons en compte, mais nous ne pouvons pas dire que cela correspond à tel pourcentage, en raison de la variabilité selon chaque secteur.
Nos collègues de l'Inspection générale de finances ont commis une étude sur plusieurs secteurs, dont la minoterie, et ils ont pu déterminer quelle était la part des marges qui n'était pas justifiée ni par le transport, ni par des taxes, mais par une pratique locale des entreprises. Nous avons étudié le sujet et il figurera dans notre rapport.
Encore une fois, il m'est difficile de vous répondre quant à la prise en compte des handicaps structurels.
Je préfère parler de contraintes plutôt que de handicaps. Vous avez mené une analyse des moyens financiers publics qui ont été alloués aux territoires dits d'outre-mer. Disposez-vous de l'évolution de ces financements sur les vingt dernières années ? Avez-vous conduit une analyse évolutive et progressive permettant de comparer les moyens par rapport aux politiques publiques ?
Oui. Nous mettons nos notes d'exécution budgétaire annuelles en perspective des financements précédents. Dans le rapport sorti en 2022 sur des chiffres 2021 que M. le président citait en introduction, nous indiquons l'évolution par rapport à 2020 (+ 11 %). J'ai actualisé les chiffres pour l'année 2022, qui font état d'une hausse de 4 % par rapport à 2021. Ces chiffres sont à votre disposition, ceux qui sont antérieurs à 2022 figurent dans le rapport et ceux de 2022 sont dans la note d'exécution budgétaire que nous avons transmise au Parlement dans le cadre de l'exécution de la loi de finances.
Votre précision me conduit à évoquer un point essentiel. Les moyens budgétaires sont en augmentation, mais c'est également le cas des exécutions. Cependant, il existe un delta entre les moyens accordés et les moyens consommés. Les chiffres que j'ai donnés concernent les moyens consommés ou exécutés.
Vous avez transmis un tableau montrant la dépense par habitant par rapport à l'Hexagone et la moyenne nationale, en établissant une distinction entre différents territoires. Avez-vous comparé ces dépenses avec une granularité qui serait inférieure à l'Hexagone dans son ensemble ? Le niveau de dépenses par habitant est-il tellement différent entre La Réunion et la Lozère ? Il importe en effet d'avoir des chiffres en dehors de la région parisienne. Nous savons en effet que l'Île-de-France concentre par exemple 20 % de la population mais 30 % du produit intérieur brut. Il faudrait pouvoir comparer ce qui est comparable.
Ensuite, un chiffre intègre-t-il les transferts sociaux, par exemple les retraites ? On entend souvent dire que « les Outre-mer coûtent cher », mais je ne suis pas sûr que cela soit le cas en matière de retraites. Malheureusement, le niveau des retraites y est extrêmement faible. Cette consolidation de l'ensemble de l'effort de la nation peut-elle être trouvée quelque part ?
Le document que nous avons remis n'intègre pas les dépenses sociales ni les retraites. Il se concentre sur les dépenses budgétaires et les dépenses fiscales de l'État. Il existe peut-être des études plus globales réalisées par d'autres organismes ou des chercheurs, mais nous ne l'avons pas fait. En outre, nous n'avons jamais dit ou écrit que les Outre-mer coûtaient cher ; nous ne nous le permettrions pas. Surtout, nous n'aurions aucun élément pour le dire. En effet, il est facile de voir les dépenses d'une île, mais il est très compliqué de mener ce travail sur l'ensemble des dépenses budgétaires, fiscales, sociales et de retraites de l'État pour un département hexagonal. Nous pourrions faire ce calcul, mais il aurait toutes les chances d'être faux.
Nous avons recommandé la production d'un document de politique transversale (DPT) qui reflète l'effort spécifique aux outre-mer. La direction générale des outre-mer (DGOM) commence à le mettre en œuvre. Le fait d'avoir des enseignants, des policiers, des services de préfecture est normal dans un département. En revanche, l'existence d'un complément de traitement ou de dépenses de construction différentes en raison du caractère cyclonique de la zone mériterait de figurer dans le DPT, afin de voir l'effort spécifique de la Nation en faveur de l'outre-mer.
Nous espérons pouvoir le réaliser. Mais simultanément, cela a un côté contradictoire par rapport au souhait d'avoir une vision globale sur l'argent dépensé. Nous interrogerons-nous sur l'argent dépensés pour la Creuse par exemple ? En revanche, il est normal de se poser la question de savoir quel est l'effort spécifique que nous produisons pour répondre aux contraintes structurelles des outre-mer. C'est intéressant de le mesurer et de voir si, sur ces questions spécifiques, on apporte une réponse en augmentation, en baisse, constante, etc. Ceci est plus difficile, mais nous pourrons le voir à travers les contrats de convergence et de transformation (CCT), où un effort spécifique est contractualisé avec la collectivité pour atteindre une convergence, ce qui est l'objectif de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle Outre‑mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite « loi Erom ». Notre étude débute au second semestre de cette année et j'espère que nous aurons terminé en 2024.
Au sein de la Cour, chaque chambre est compétente dans son domaine spécifique. Nous essayons de mener ce travail d'ensemblier, qui est peu celui de la DGOM au niveau des administrations : il s'agit de mettre en synergie l'ensemble des administrations qui travaillent au profit des outre-mer, comme au profit des autres directions, mais de bien suivre ce qui est spécifique.
Comment qualifiez-vous le document de politique transversale ? S'agit-il véritablement d'un outil de stratégie ?
Son caractère qu'on qualifie d'hybride fait qu'il ne pouvait précisément pas être un document de stratégie. Une fois qu'il aura été allégé, comme la DGOM et la direction du Budget s'y sont engagées, il sera beaucoup plus un élément de stratégie, ou a minima un élément de suivi et de compte-rendu de ce qui est réellement réalisé dans la démarche de convergence vers les départements hexagonaux.
Quelles seraient les orientations qui nous permettraient de rendre cet outil plus stratégique ? Que faudrait-il améliorer ? Dans les Outre-mer, on arrive même à donner les balances commerciales. Ne pourrait-on pas regarder l'effort réalisé par territoire plutôt que de regarder l'effort fait par les Outre-mer ? Au titre de l'effort accompli pour les services de l'État, il ne faut pas non plus oublier les hôpitaux ou les enseignants. Notre potentiel est réel, mais il a besoin d'être développé. Il est donc nécessaire de disposer d'un accompagnement. Les réponses à nos questions concernent l'octroi de mer et la surrémunération du personnel. J'apprécie malgré tout que vous souligniez la nécessité de regarder le différentiel qui existe. Cependant, il faudrait le mesurer tous les jours car, en face, les distributeurs, savent faire.
Nous avions dit qu'il fallait le mesurer plus fréquemment, mais cela ne peut se faire tous les jours. Il serait déjà bien de le mesurer chaque année. On peut mesurer une balance commerciale par territoire d'outre-mer parce que nous disposons de l'octroi de mer. Mais effectivement, nous pensons que les réponses ne reposent pas uniquement sur les compléments de rémunération et l'octroi de mer. Les contrats de convergence et de transformation constituent une réponse, de même que les contrats de redressement en Outre-mer (Corom) qui démarrent, qui doivent permettre de donner cet élan supplémentaire que vous appelez de vos vœux.
S'agissant du DPT, la difficulté tient au fait que chacun veut savoir ce que pèse budgétairement un département. Mais l'exercice, en application de la loi Erom, consiste bien à voir les efforts accomplis pour permettre cette convergence. Je ne sais pas si le DPT pourrait être un document stratégique, mais il pourrait donner les éléments de suivi pour alimenter la réflexion et la stratégie.
J'éprouve des difficultés à entendre les mots « effort de l'État », parce que je ne conçois pas la contribution financière de l'État comme étant un effort, mais comme une forme de péréquation et de normalité. Il existe un véritable décalage entre ce qui est écrit concernant le montant augmenté des dotations sur les Outre-mer (6,3 milliards d'euros) et la réalité que nous vivons dans les Outre-mer. Le cas de Mayotte est encore plus difficile, compte tenu notamment du déficit en infrastructures publiques.
Quand vous effectuez vos calculs financiers, inscrivez-vous en face des dépenses ce qu'elles rapportent ? Concrètement, il n'y a pas de valorisation de ce que le territoire rapporte. La France est par exemple le deuxième pays au monde en termes d'étendue de sa zone économique exclusive (ZEE). Ces éléments n'ont jamais été quantifiés pour mesurer ce qu'ils rapportent à l'État français. À quel moment objectivez-vous ces éléments ? Comme le président l'a indiqué, beaucoup estiment que nos territoires coûtent de l'argent à la France. Personnellement, je pense que cela est tout à fait erroné. Néanmoins, il faut pouvoir objectiver la valeur de ce que nous apportons. Les caractéristiques spécifiques de nos territoires sont-elles prises en compte dans le rapport à l'investissement financier de l'État sur nos territoires, en termes de niveau de développement, de chômage, de précarité, etc. ? Comment avoir une analyse plus fine et plus réaliste ?
Nous sommes la Cour des comptes. Nous travaillons par rapport aux budgets que le Parlement vote. Sur la base de ces budgets et de l'exécution qu'en font les services publics dans ces territoires, nous pouvons parler d'effort compte tenu des chiffres que j'ai annoncés et qui sont à la hausse ces dernières années, de manière significative.
Dans notre rapport sur les financements de l'État en Outre-mer, nous avons écrit ceci : « Malgré les investissements importants réalisés par l'État dans les territoires ultramarins, d'évidentes inégalités persistent en matière de transports, d'infrastructures, d'assainissement, d'électricité, de télécommunications ou d'accès au logement social. L'intensité de ces besoins, renforcée pour deux de ces territoires (Guyane et Mayotte) par une croissance démographique dynamique, a conduit l'État à multiplier les plans de développement en faveur de ces territoires qui demeurent fragiles en raison de leur situation financière et de l'insuffisance de ressources humaines qualifiées. »
À très juste titre, vous m'avez demandé plus tôt s'il s'agissait des budgets mis en place ou des budgets exécutés. Je vous ai dit que les budgets exécutés étaient en progression, mais ils ne sont pas à hauteur complète, notamment dans les contrats de convergence territoriale qui financent des investissements publics. Aujourd'hui, nous sommes presque à la fin de ces contrats, qui ont été prolongés d'un an jusqu'à la fin 2023. Mais à la fin 2022, ils n'avaient consommé que 32 % dans leur enveloppe.
On rejoint donc parfaitement le différentiel entre des crédits mis en place et des crédits consommés. Ici, les difficultés sont différentes selon les territoires. Il peut exister des problèmes de cadastre en Nouvelle-Calédonie ou des difficultés sur le sol – telle la route littorale à La Réunion –, des difficultés ou insuffisances en matière d'ingénierie. Les Corom ont précisément été mis en place pour permettre aux territoires qui n'ont pas cette ingénierie de pouvoir faire appel à des fonds permettant soit de recruter des personnes compétentes, soit de prendre des cabinets de conseil qui les accompagneront. Nous ne pouvons le faire qu'à partir des finances publiques. Or, comme vous l'avez très bien dit, il n'y a pas que les finances publiques sur un territoire : il y a aussi une dynamique d'entreprenariat privé et de la société. Nous ne savons pas mesurer cette dynamique, contrairement, sans doute, à nos collègues de l'Insee ou de la direction générale des entreprises de Bercy.
Par ailleurs, nous avons publié un rapport sur la ZEE, qui constitue une immense richesse de notre pays. Des économistes ou des chercheurs doivent être capables de quantifier ce que rapporte ou pourrait rapporter le fait de disposer de la deuxième ZEE mondiale. Mais je ne suis pas certain que la Cour des comptes soit en mesure d'y répondre, d'un point de vue institutionnel.
En revanche, le rôle de la Cour des comptes consiste aussi à établir une appréciation critique des dépenses publiques effectuées. Le moins que l'on puisse dire, c'est que vous portez précisément un regard critique sur les déductions fiscales et les défiscalisations. Pourriez-vous revenir sur ces sujets ? En effet, ces mesures ont vocation à favoriser l'investissement et l'activité économique sur ces territoires. Quand elles augmentent, le signal est donc plutôt positif, puisque cela signifie que l'activité croît.
Selon vous, en quoi ces dépenses sont-elles peu efficaces ? A contrario, quelles seraient les dépenses efficaces en la matière ?
La dépense fiscale a un immense avantage : elle est immédiate et à la main de celui qui la décide. Objectivement, elle va plus vite qu'une subvention. Cependant, la Cour des comptes, de manière récurrente, critique certaines dépenses fiscales, notamment parce qu'on ne peut pas les chiffrer. En effet, il s'agit d'une « non-recette » de l'État, donc une dépense. Si on ne peut pas la chiffrer, on ne sait pas le coût exact supporté par l'État.
En outre, comme elle est à la main de celui qui décide cet investissement, il est difficile de la piloter et de cibler le territoire sur lequel elle s'applique. Est-ce à l'endroit où il est le plus nécessaire que cet investissement intervient ? Enfin, rien ne nous empêcherait d'évaluer. Or vous avez beau les demander en tant que parlementaires, les évaluations ne sont pas réalisées. Les seules évaluations qui ont eu lieu étaient celles qui étaient obligatoires parce qu'elles étaient dérogatoires aux règles communautaires.
Ceci n'est pas normal : quand on engage une dépense – et nous parlons quand même de plus de 6 milliards – on devrait avoir un réel programme d'évaluation. À ma connaissance, la dernière revue, qui n'était pas une évaluation, était le rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, dit « rapport Guillaume » de 2011, qui épinglait lui aussi la plupart des dépenses fiscales.
Je parlais précédemment des difficultés du ciblage. Lorsque nous avons produit notre rapport sur le logement outre-mer, qui a été remis en septembre 2020, nous avons effectivement été très critiques sur la défiscalisation en matière de logement. En effet, nous avons constaté que cette défiscalisation a surtout profité aux intermédiaires entre le promoteur, qui a construit, et l'investisseur, souvent un particulier. Il y a là un premier problème. Le deuxième problème tient au fait que ces constructions n'ont pas été réalisées là où nous en avions le plus besoin. Elles ont permis de faire du logement intermédiaire, mais en Outre-mer, nous avons besoin de prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI), c'est-à-dire les logements les plus sociaux, qui correspondent aux ressources des personnes qui pourraient être logées. En effet, 78 % de la population en moyenne est en dessous du seuil des PLAI.
En outre, ces dispositifs fiscaux garantissent un loyer raisonnable pendant 9 à 12 ans. Le même investissement fait dans du logement social a un terme d'environ 45 à 50 ans généralement. C'est pourquoi nous parlons d'inefficience de la dépense fiscale, notamment en matière de logement. Nous ne sommes pas en phase avec l'ensemble des acteurs de ce secteur sur ce sujet. La note thématique qui sera publiée début juillet comportera un point sur cet aspect.
Le deuxième exemple ne concerne pas le logement, mais le dispositif fiscal dit « Girardin industriel ». Nous avons publié un rapport sur l'achat par Air Tahiti Nui de quatre Boeing pour remplacer des Airbus. Sans l'aide fiscale de 82 millions, Air Tahiti Nui n'aurait certainement pas pu acheter ce type d'appareil et avoir les liaisons que la compagnie offre entre Tahiti et différentes destinations, dont l'Hexagone. Le coût pour l'État de ces 82 millions d'aide au destinataire final a été de 107 millions d'euros, dont 27 millions qui ont été consacrés à des dispositifs qui ont bénéficié à des intermédiaires, les « arrangeurs » et les investisseurs, en l'occurrence des banques fédérant des groupes de particuliers. Le fait d'aider la compagnie aérienne n'est pas critiquable, mais il existait d'autres moyens de le faire, des moyens beaucoup moins onéreux. Les discussions ont commencé en 2015 pour des avions qui ont été livrés au moment de la crise de la Covid-19.
En résumé, nous ne sommes pas contre les dépenses fiscales, par principe. En revanche, nous y sommes opposés quand elles ne sont pas localisables et quand elles ne ciblent pas suffisamment le besoin, et surtout quand elles ne sont pas évaluées.
Sur ce sujet, nous avons un désaccord avec M. le rapporteur. L'abattement a été remis en cause il y a cinq ans et a été réduit. Comment appréciez-vous son effet sur le coût de la vie et le problème qui nous préoccupe ?
De quel abattement parlez-vous ?
Il s'agit de l'abattement de 30 % sur l'impôt sur le revenu, dont le plafond a été réduit.
Notre chambre ne l'a pas évalué en tant que tel. Ici, il s'agit typiquement du champ de la première chambre, qui s'attache à l'impôt.
On a augmenté les impôts de la classe moyenne de notre territoire, qui paye plus d'impôts qu'elle ne consomme.
Je souhaite par ailleurs évoquer le volet de la défiscalisation. Votre analyse n'est pas seulement comptable, mais porte aussi sur l'efficacité de la mesure. Globalement, le montant de la défiscalisation dans les Outre-mer est passée d'un milliard à 500 millions. Que pouvez-vous nous dire sur cette réalité ? Cette défiscalisation correspond à un investissement dans un territoire soit en mal-développement, soit en retard de développement, comme la plupart des territoires d'outre-mer. Quelle analyse faites-vous de la diminution de cette défiscalisation ?
À cet égard, il est possible de faire un lien avec l'octroi de mer. Aujourd'hui, il est question de le réformer, mais personne ne parle de le supprimer, car nous savons qu'il permet de créer des emplois et de l'activité économique.
La Cour des comptes essaye d'apporter le maximum de réponses aux questions que vous posez. Selon moi, les dépenses fiscales ne sont pas en réduction, mais en augmentation en ce qui concerne l'Outre-mer, compte tenu des chiffres communiqués par la direction générale des finances publiques.
S'agissant de l'octroi de mer, je ne suis pas en mesure de vous dire quelles seront les conclusions des travaux de la Cour. En revanche, j'ai entendu dire que l'octroi de mer aurait protégé 20 000 emplois. Je pense que ceux qui porteront la contradiction n'hésiteront pas à étayer ce chiffre, que nous n'avons pas pu établir par nous-mêmes.
Pouvons-nous revenir sur les Corom ? Comment mesurez-vous leur efficacité ? Pensez-vous que les efforts demandés aux exécutifs locaux sont compatibles avec la libre administration des collectivités locales ? Que penseriez-vous si on l'étendait aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui eux aussi ont en charge la dynamique de développement et qui sont en difficulté réelle ? Sur le territoire de la Guadeloupe, l'EPCI Cap Excellence bénéficie de toutes les recettes et fonctionne très bien ; mais les autres sont structurellement en difficulté.
Ensuite, concernant l'exécution des financements de l'État, au moins 2 milliards ne seraient selon vous pas exécutés et constitueraient un reste à payer. Cela pose quelques difficultés, ne serait-ce que pour permettre à une économie de fonctionner et tenter d'endiguer le chômage. Est-ce une dynamique subie par l'État ou n'y a-t-il pas une forme d'insincérité ? Le logement pose également problème, mais je constate que les normes sont trop abondantes et que les bailleurs sont obligés de consacrer beaucoup de temps à leurs montages, qu'il s'agisse des défiscalisations ou des emprunts. En outre, le foncier n'a pas le même prix selon les territoires.
Les finances des collectivités locales ne sont pas de la compétence directe de la Cour, mais les juridictions financières ont publié le rapport public annuel sur les finances publiques locales en juin 2023. Il est donc à votre disposition. Des pages 142 à 153, un focus est opéré sur les collectivités outre-mer. Il y est écrit que ces collectivités souffrent particulièrement de charges de fonctionnement élevées, notamment grevées de fortes dépenses de personnel. Ces charges de fonctionnement sont de 44 % dans le budget des collectivités situées Outre-mer en 2022, contre 35 % dans les collectivités de l'Hexagone. Mais surtout, la situation s'est fortement dégradée par rapport à 2016, où les pourcentages étaient à peu près semblables dans l'Hexagone et en Outre-mer. Par conséquent, ces charges de fonctionnement très importantes ne permettent pas de dégager suffisamment d'argent pour permettre les co-investissements avec l'État, l'Europe ou d'autres financeurs. Il y a là un vrai sujet, qui mérite d'être expertisé.
Un autre sujet porte sur les comptes des collectivités au sens large. Pour certaines d'entre elles, nos collègues des chambres régionales des comptes constatent que les compte sont retracés de manière incomplète. Par exemple, des sommes dues aux fournisseurs ne sont pas inscrites, ce qui affecte la fiabilité de la dépense. Les calculs des ratios d'endettement en sont d'autant plus compliqués.
S'agissant des Corom, l'expérimentation menée depuis 2021 est assez positive. En 2022, nous avons constaté, sur les six communes concernées de la zone Antilles-Guyane, une réduction de leur déficit de 14 millions d'euros au sens large. Quand les communes ou les collectivités utilisent ce dispositif, il leur permet d'identifier les meilleures manières d'employer les fonds qui leur sont donnés dans un contexte tendu. En effet, les finances locales dans les Outre-mer sont en grande tension et nos collègues des chambres régionales des comptes sont souvent appelés pour faire des exercices budgétaires sur les communes.
Les Corom sont encore assez récents, mais, pour le moment, ils ont permis d'obtenir des résultats positifs. Portent-ils atteinte à la liberté des exécutifs locaux ? Je n'ai pas l'expertise suffisante pour vous répondre de manière assurée, mais je n'en suis pas convaincu. En effet, ces experts sont à la main de l'exécutif, qui peut les refuser. Surtout, il n'est pas tenu de suivre ce qui lui est proposé : l'exécutif local reste à la manœuvre.
Certes, mais si l'État ne les suit pas, les montants d'accompagnement peuvent changer. Pour ma part, j'ai géré pendant vingt ans une ville et n'ai jamais rencontré de souci en matière de finances. Cependant, cet exercice demeure très contraint.
J'ai par ailleurs interrogé le ministre M. Jean-François Carenco, pour lui demander s'il n'y a pas également lieu d'aider un nombre plus important de communes, pour leur permettre de payer les fournisseurs et dynamiser l'économie. En effet, nous avons besoin d'outils stratégiques et la Cour peut nous dire comment faire. En tant que parlementaires, la lecture de votre document nous informe que 2 milliards restent encore à réaliser par l'État. Lorsque nous devrons faire le point sur les lois de règlement, nous pourrons mieux appréhender les chiffres qui nous sont fournis.
Je souhaite compléter l'intervention de M. Califer. Nous constatons bien la logique des Corom, qui consiste à susciter un effort réciproque de l'État et des collectivités locales. Derrière cet effort se niche l'idée que les collectivités ne peuvent plus investir, notamment dans les travaux publics, compte tenu des impayés importants. Les Corom doivent donc leur servir à éponger une grande partie de ces derniers.
Ne faudrait-il pas non plus se pencher sur la notion d'affacturage ? En effet, si tout l'effort est centré sur le rétablissement des comptes, qui est certes une nécessité, nous nous orientons vers une période blanche en matière d'investissements des collectivités locales.
Pardonnez-mois, je n'ai pas été suffisamment clair. Le Corom correspond à de l'ingénierie, à hauteur de 30 millions d'euros, pour accompagner les collectivités. Il n'y a pas d'argent spécifique pour de l'investissement. À côté de ce Corom, il existe les contrats de convergence et de transformation, qui eux fournissent des investissements pour financer les projets.
Vos propos m'interpellent. Il existe malgré tout un accompagnement, une espèce d'enveloppe d'amorçage, au début. Mais le président a raison d'évoquer une période blanche, qui correspond de fait à un retard. L'Etat pratique par appels à projets et manifestations d'intérêt, mais l'on ne peut pas toujours y répondre. On est ensuite obligés de s'endetter. Il y a là un cercle vicieux, systémique et spécieux.
Je souhaite revenir sur les restes à payer. Les restes à payer que nous avons identifiés sont effectivement de 2 milliards. La DGOM a fourni de grands efforts pour apurer les restes à payer d'opérations qui dataient de quinze à vingt ans et qui n'avaient pas débuté.
Le schéma est le suivant : une autorisation d'engagement a été mise en place pour lancer un projet. Soit ce projet est en cours, et il reste par exemple 60 % de restes à payer, ce qui est parfaitement normal. Soit les études ont commencé, mais le projet s'est arrêté là, soit parce que le terrain n'est plus disponible ou que le projet n'est plus complétement partagé par les élus locaux. Ce deuxième cas de figure est malheureusement le cas le plus fréquent dans ces 2 milliards. Mais il ne s'agit pas d'argent que l'État n'aurait pas versé : en tant que Cour des comptes, on indique à l'État que le reste à payer est de 2 milliards et qu'il doit s'assurer du cadencement auquel il va devoir payer ce montant.
Il est normal d'avoir des restes à payer quand il s'agit d'opérations qui durent plusieurs années. Mais la DGOM a également apuré des opérations qui dataient d'avant 2010. Désormais, nous émettons un critère d'alerte à l'intention de la direction du Budget : il faudra penser à honorer cet engagement. Cette somme est très importante et il est impératif d'établir son cadencement budgétaire.
En résumé, les restes à payer constituent un engagement de l'État, mais il n'est en rien défaillant dans ce système. Simplement, la Cour des comptes l'alerte sur le fait qu'il s'est engagé à payer une somme importante sur ces différents projets.
Différents points de votre intervention m'interpellent. Vous avez comparé les dépenses de fonctionnement des collectivités locales, en précisant que ces charges sont de 44 % dans le budget des collectivités outre-mer en 2022, contre 35 % dans les collectivités de l'Hexagone. Vous avez en outre ajouté que la situation s'est fortement dégradée par rapport à 2016. La Cour des comptes effectue des analyses de chiffres sans forcément prendre en compte la vision globale Or, dans ces 44 %, il n'y a pas forcément des dépenses fastueuses, mais plutôt des charges supérieures, notamment de centralité pour les communes chefs-lieux comme Fort-de-France. Les autres charges peuvent être liées à des problèmes d'insécurité ou des services publics à mettre en œuvre.
Par ailleurs, la question des personnels dans les collectivités est historique, elle ne date pas d'aujourd'hui. Il existe un vrai sujet d'analyse globale pour ne pas biaiser une comparaison. Une collectivité est un élément moteur en termes d'investissement, de développement et de création d'emplois directs ou indirects. Quand le budget d'une collectivité est réduit, elle n'a plus les moyens de mener une politique publique motrice, au service des populations. Comprenez donc ma gêne.
Il en va de même pour les contrats de convergence et de transformation. Les financements interviennent en complément et donc en partenariat, mais encore faut-il pouvoir les déclencher, ne serait-ce qu'en trésorerie. L'exemple du centre hospitalier universitaire de Fort-de-France est à ce titre très illustratif. Comme la trésorerie manque, les collectivités ne peuvent pas payer les entreprises, générant des allongements de délais de paiement très importants. Certaines entreprises ne peuvent donc plus tenir et d'autres augmentent leur prix, parce qu'elles savent que, de toute manière, l'État ou les collectivités territoriales payent avec un grand retard. Ce problème est historique mais il perdure. Il faut faire en sorte qu'il n'y ait plus de problématiques de trésorerie, ni dans les collectivités locales de proximité, ni dans les outils d'État de proximité comme les hôpitaux, afin de ne pas pénaliser les entreprises.
Ensuite, je souhaite aborder les Corom. Leur montant est de 30 millions d'euros sur trois ans, mais les collectivités qui en bénéficient sont en très grande difficulté financière. Je peux attester que les contraintes énormes pèsent, par exemple dans la communauté d'agglomération du Centre de la Martinique dont dépend Fort-de-France. Ces collectivités se serrent la ceinture, font de grands efforts en diminuant les dépenses de personnels, ce qui contribue à dégrader le service public, les prises en charge et l'accompagnement, alors que ces territoires sont frappés par une plus grande précarité, un taux de chômage plus élevé et un vieillissement de la population plus accentué. À Mayotte et en Guyane, la population augmente, mais le phénomène est inverse à la Martinique et en Guadeloupe. Comment les retraités vont-ils pouvoir vivre dignement si la puissance publique locale ou d'État n'aident pas ?
Vous avez objectivement raison sur le plan financier, mais j'ai l'impression qu'une coordination manque pour relativiser les constats que vous établissez. Quand vous indiquez que six communes de la zone Antilles-Guyane ont enregistré une réduction de leur déficit de 14 millions d'euros, les citoyens peuvent avoir l'impression que leurs communes sont mal gérées. Mais cela n'est pas le cas : les charges sont plus élevées pour diverses raisons, comme la pauvreté ou l'insécurité.
Je me demande donc quand la Cour des comptes pourra changer de paradigme d'analyse, afin de mieux correspondre à la réalité. J'ai bien compris que vous analysez des budgets, mais ces derniers sont rattachés à des politiques publiques. Il importe que la Cour des comptes coordonne ses travaux avec ceux des autres organismes de l'État, pour harmoniser les approches.
Depuis un certain nombre d'années, les modes de calcul des dotations aux collectivités locales d'outre-mer ont été modifiés, conduisant à leur diminution en deux temps, avant et après 2014. Les recettes sont donc diminuées alors que le potentiel fiscal ne génère pas plus d'activité et ne crée pas plus d'emplois. La péréquation a été mise en place mais quelle est votre analyse pour permettre un rétablissement de l'équilibre ? Demander aux collectivités de rentrer aujourd'hui dans un Corom revient à leur demander de perdre 20 kilos alors qu'elles n'ont déjà que la peau sur les os.
Les résultats financiers sont bons dans les territoires où les Corom sont mis place. Mais politiquement, humainement et en termes de dignité, ils sont catastrophiques. Ils n'ont pas créé plus d'emplois ni d'activité, les investissements ne sont pas plus élevés. À l'inverse, la pauvreté, la précarité et le chômage ont augmenté. Comment allez-vous pouvoir conduire les études nécessaires pour faire en sorte que les collectivités d'outre-mer soient à égalité avec les collectivités de l'Hexagone ? Les services publics d'État en France continentale peuvent se mutualiser mais, en Martinique, ils sont à l'échelle des 1 000 kilomètres carrés de l'île.
Il s'agit là du sujet pour lequel j'avais indiqué que je répondrais le moins, puisque la cinquième chambre ne traite pas des finances des collectivités locales d'outre-mer.
Il me faut rappeler l'article 15 de la déclaration des droits de l'Homme pour souligner que la Cour des comptes éclaire le citoyen sur le bon emploi des fonds publics. Telle est notre mission. En revanche, la coordination entre les différents emplois relève de choix politiques, qui appartiennent aux exécutifs, qu'ils soient nationaux ou locaux.
S'agissant des différences de ressources entre les collectivités ultramarines et les collectivités de l'Hexagone, la lecture du rapport public annuel peut être instructive. Vous y trouverez toutes les réponses en matière de comparaison. En revanche, le Corom est un « plus », il ne correspond pas à une cure d'amaigrissement. Ces 30 millions d'euros sont apportés pour aider à l'ingénierie en matière de meilleure gestion et de préparation de projets. Il ne s'agit donc jamais d'un « moins ». Ces Corom sont encore récents et il faudra les suivre dans le temps. Surtout, j'incite M. le rapporteur à regarder les conséquences de ces Corom dans les six communes concernées dans la zone Antilles-Guyane.
S'il y constate des situations anormales, je lui suggère de les faire remonter au préfet et de les signaler à la chambre régionale des comptes, pour lui demander de nuancer son enthousiasme sur ces dispositifs. Mais encore une fois, la Cour rappelle dans son rapport que ces résultats restent toutefois à confirmer dans la durée.
Je vous remercie pour vos réponses. Je vous propose de compléter nos échanges en envoyant au secrétariat les documents que vous jugerez utiles à la commission d'enquête.
Nos auditions sont à présent terminées. Les membres de la commission d'enquête seront prochainement convoqués à la réunion d'examen du rapport, qui devrait se dérouler le jeudi 20 juillet à 14 heures, avant une conférence de presse qui pourrait avoir lieu le même jour à 17 heures. Le projet de rapport préparé par le rapporteur sera auparavant disponible pour que les membres le consultent sur place, du lundi 17 juillet au jeudi 20 juillet, suivant les modalités qui seront précisées dans la convocation.
La séance s'achève à dix-sept heures trente.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Johnny Hajjar, M. Frédéric Maillot, M. Philippe Naillet, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Cécile Rilhac, M. Guillaume Vuilletet.
Assistaient également à la réunion. – M. Elie Califer, Mme Karine Lebon, M. Davy Rimane.