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Intervention de Christophe Girardier

Réunion du jeudi 6 juillet 2023 à 15h05
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Christophe Girardier, président de Bolonyocte Consulting :

En matière de concentration, la première recommandation consiste à interdire toutes les grandes surfaces (au-delà de 1 500 mètres carrés) dans les territoires d'Outre-mer.

Deuxièmement, tout acteur, quel que soit son secteur d'activité, ne devrait pouvoir totaliser en chiffre d'affaires une part de marché supérieure à 25 % dans tous les territoires d'Outre-mer.

Troisièmement, il faut interdire toute intégration verticale, ce qui signifie qu'un acteur ne peut pas être à la fois dans le marché amont et dans le marché aval. Par conséquent, il doit choisir entre être un distributeur et être un producteur ; mais il ne peut pas être à la fois un producteur, un grossiste et un distributeur.

Ensuite, pour les marges arrière, je pense qu'il faudrait appliquer la loi EGAlim dans les Outre-mer, mais avec quelques adaptations. Il faut en effet rassurer les producteurs. Je ne pense pas que vous puissiez interdire les marges arrières, mais vous pouvez les encadrer. Ainsi, vous pouvez limiter leur taux. Pour se rendre compte de l'impact de ses marges, il suffit de considérer une promotion à La Réunion, aux Antilles ou Guyane et de regarder le différentiel de prix entre cette promotion et le prix en fond de rayon. Vous observerez que celui-ci est facilement de 40 %, voire de 50 %, ce qui n'est pas normal. Quand j'étais à La Réunion pour effectuer mon rapport, il m'est même arrivé de constater qu'un prix était dégriffé de 75 %. Par ailleurs, il faut exiger que ces marges arrières soient restituées dans le ticket de caisse, et non pas remontées dans une holding.

Enfin, je suis tellement désespéré qu'une si grande autorité comme le Conseil d'État se soit fourvoyée à ce point. La décision du Conseil d'État qui a consisté à ne pas censurer l'Autorité de la concurrence sur l'affaire Hayot est profondément choquante pour les juristes. Par conséquent, il est nécessaire de réformer le droit de la concurrence. Je considère que la décision de l'Autorité a été politique, hélas, dans ce cas d'espèce. J'étais en train d'achever mon rapport lorsque les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence se sont rendus à La Réunion. Le président de l'OPMR leur a proposé de me rencontrer puisque j'étais chargé de rédiger ce rapport, mais ils ont refusé. Ce n'est pas normal.

Il faut instituer, comme vous l'avez fait en Nouvelle-Calédonie, une autorité de la concurrence locale. Mais assurez-vous que ceux qui seront nommés dans cette autorité ne soient pas en lien incestueux avec ceux que l'on veut un peu freiner : choisissez des acteurs totalement indépendants.

Je n'ai aucun mérite : je suis dirigeant de mon petit cabinet de consulting. Quand l'OPMR a fait appel à moi, j'étais probablement le seul indépendant dans cette histoire, mais j'ai subi d'énormes pressions.

J'en ai pris plein la figure, y compris de la part de la presse. Je rappelle qu'à La Réunion, 80 % des budgets publicitaires de la presse locale – qui n'est d'ailleurs pas très florissante – émane des grands annonceurs, dont en grande partie le groupe Hayot. J'imagine que le poids doit être à peu près identique aux Antilles.

Je ne prétends pas que les dirigeants d'Hayot font pression sur le directeur de la rédaction de tel ou tel quotidien. La pression relève plutôt dans ce cas de l'autocensure. Quand j'ai rendu mon rapport, j'ai réalisé une interview avec le Journal de l'île de La Réunion (JIR). La journaliste m'avait interviewé le vendredi soir, l'article devait être publié le samedi matin. Elle m'a appelé pour me dire que l'article ne paraîtrait pas, parce que des consignes lui avaient été données. Si vous regardez l'actualité de l'époque, les journalistes du Syndicat de la presse réunionnaise se sont mis en grève parce qu'ils ne supportaient pas la censure. Le directeur de la rédaction du JIR a admis avoir pris cette décision pour des raisons économiques. Cela veut tout dire.

L'Autorité de la concurrence, dans sa décision de 2022, dit qu'elle n'a pas pris en compte la dimension conglomérale du groupe au motif que cela ne correspondait pas à ses règles d'examen. Mais ceci est faux : quand on regarde la doctrine de l'Autorité de la concurrence, il est clair qu'elle peut s'en affranchir. En résumé, l'Autorité n'a pas pris en compte la spécificité de l'île de La Réunion. De mon côté, je me suis rendu à dix reprises à La Réunion pour comprendre la situation et j'ai interrogé tous les acteurs. Il faut aller sur place, longuement, pour bien discerner les spécificités de la zone de chalandise.

Enfin, il faut renforcer les OPMR, sans cynisme : si vous créez des OPMR, il faut leur donner de l'argent. Le dernier rapport que j'ai remis a été réalisé pour 30 000 euros TTC, tout en prenant à ma charge les billets d'avion. J'y ai passé deux mois et demi ; j'aurais dû le vendre trois fois ce prix-là, mais j'ai considéré qu'il s'agissait d'un devoir pour moi.

Pour conclure, je couperais également le cordon ombilical entre les OPMR et l'État. Le préfet ne peut plus s'ingérer dans les décisions prises par l'OPMR. En revanche, vous avez eu la très bonne idée de confier la présidence à un magistrat des juridictions financières. En effet, je pense que l'on peut faire toute confiance à la Cour des comptes, en vertu de ce sacro-saint principe de séparation des pouvoirs.

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