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Intervention de Philippe-Pierre Cabourdin

Réunion du jeudi 6 juillet 2023 à 15h05
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Philippe-Pierre Cabourdin, conseiller maître à la Cour des comptes :

Je tiens à me présenter brièvement en préambule. Je suis entré à la Cour des comptes en 1998 comme auditeur. Au cours de ma carrière, j'ai été détaché pendant treize années à l'extérieur de la Cour, où j'ai pu exercer les fonctions de directeur régional Île-de-France de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de directeur central de la PJJ ; puis de recteur d'académie à Reims et de recteur de région académique en Normandie. Cette dernière responsabilité m'a permis d'avoir dans mes attributions la supervision de l'éducation nationale à Saint-Pierre-et-Miquelon, rattachée à l'académie de Normandie.

Dans le cadre de mes fonctions à la PJJ, j'ai porté un point d'attention tout particulier aux territoires d'outre-mer, compte tenu de la place de la jeunesse dans ces territoires et des difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés. Depuis 2016, je suis rentré à la Cour des comptes, à la cinquième chambre, dont je préside la première section depuis mars 2023. Cette section a la charge du secteur du logement, de la cohésion des territoires et des outre-mer. J'étais précédemment, au sein de cette section, responsable du secteur des outre-mer depuis 2019.

Le contrôle et la gestion de l'emploi des fonds publics outre-mer est réparti entre la cour et les quatre chambres régionales et territoriales des comptes ultramarines. La Cour – et donc l'ensemble de ses chambres – traite de tout ce qui concerne la gestion et les finances de l'État, ainsi que de Wallis-et-Futuna. Nous avons d'ailleurs rendu un rapport sur Wallis-et-Futuna l'année dernière. Les chambres régionales et territoriales des comptes traitent des finances et de la gestion des collectivités territoriales et des organismes qui leur sont rattachés.

De ce fait, par rapport aux questions que vous m'avez transmises, j'essayerais de répondre à celles qui correspondent aux chambres régionales, même si je suis un peu en dehors de ma compétence. Néanmoins, nous travaillons fréquemment ensemble dans le cadre de formations inter-juridictions sur des enquêtes conjointes et des thématiques que nous arrêtons ensemble.

Enfin, je me dois de vous préciser que ne peux m'exprimer devant vous que sur des rapports qui ont été délibérés par la Cour. Cette dernière précision me conduit à répondre directement à la première question du questionnaire reçu, qui portait sur le fait de savoir si nous avions travaillé sur la vie chère outre-mer. Hormis le rapport que vous avez cité, qui l'aborde de façon incidente par les moyens que l'État met en place sur ces départements et collectivités, nous n'avons pas de rapport qui traite directement de ce sujet. Mais comme nous sommes très conscients de cette réalité, nous avions mis au programme de 2023 deux enquêtes sur deux sujets qui nous semblaient mériter d'être analysés en tant que tels par rapport à leur possible impact sur la vie chère outre-mer.

La première enquête est une enquête sur les compléments de rémunération des fonctionnaires outre-mer. Nous l'avons menée à la suite du rapport de 2015, qui avait fait l'objet d'une insertion au rapport public annuel de la même année. Cette enquête de suivi est terminée et a donné lieu à l'envoi d'un référé à la Première ministre le 8 juin 2023. Conformément aux procédures, ce référé sera transmis aux présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat le 8 août prochain.

Cependant, il ne m'a pas semblé complétement inconvenant de vous donner les grandes lignes qui concernent le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Les référés sont des documents très denses ; celui-ci fait cinq pages. Sur ces cinq pages, deux grands paragraphes traitent de ce sujet. L'un des objectifs des compléments de rémunération outre-mer est d'y réduire le différentiel du coût de la vie avec la métropole pour les fonctionnaires d'État concernés. Or, l'analyse des effets économiques de ce dispositif tend à monter qu'il pourrait avoir l'effet inverse. Notez bien le conditionnel que nous avons employé : les données constituent une vraie limite dans une expression affirmée sur tous ces sujets. Ces compléments de rémunération créent un marché de consommation garanti permettant aux importateurs et aux distributeurs de maintenir un niveau de prix élevés dans un contexte de faiblesse de la concurrence due à la structure oligopolistique de secteur de la distribution.

Plutôt que de lutter contre les effets de la vie chère, l'effet des compléments de rémunération sur les prix, la part de l'emploi public dans les territoires d'outre-mer, mais aussi l'extension progressive au secteur parapublic et à une partie du secteur privé sont autant de facteurs qui, en augmentant le coût de la vie, vont à l'encontre de l'objectif initialement souhaité.

Ils accentueraient également les inégalités sociales au sein des sociétés ultramarines, entre les salariés qui bénéficient de cette disposition et ceux qui n'y ont pas accès. Nous avons suggéré qu'une réponse a minima pourrait consister à fixer à son juste niveau le montant de ces compléments de rémunération. Les analyses statistiques que nous ont fourni nos collègues de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) montrent que ce différentiel est aujourd'hui largement supérieur au différentiel réel de coût de la vie entre les territoires d'outre-mer et l'Hexagone. Là encore, il faudrait avoir une approche plus fine sur chacun des territoires. Nos collègues de l'Insee sont en mesure de l'établir, puisqu'ils nous l'ont communiquée.

Comme nous nous doutions bien que nous ne pourrions pas aller beaucoup plus loin dans la démonstration d'un éventuel rôle des compléments de rémunération des fonctionnaires outre-mer sur la vie chère, nous avons également mis à notre programme de contrôle un autre dispositif qui nous semblait pouvoir avoir un impact sur la vie chère des outre-mer : l'octroi de mer. Compte tenu de la complexité de ce dispositif de taxation, de son poids fiscal et économique, comme de son caractère dérogatoire vis-à-vis des textes européens, nous avons décidé de le traiter dans le cadre d'une formation inter-juridictions, qui réunit les chambres régionales concernées. Nous avons souhaité procéder à une évaluation de politique publique. Dans ce cadre, nos normes professionnelles nous conduisent à nous entourer d'un comité d'accompagnement auquel nous soumettons pour avis les résultats de nos travaux. Ce comité est composé d'universitaires, d'experts du sujet et de parties prenantes, représentants d'entreprises et de collectivités concernées.

Le rapport d'instruction provisoire sera délibéré le 19 juillet prochain, pour être soumis à la contradiction des administrations et des collectivités concernées. Nos travaux devraient être publiés avant la fin de l'année. C'est un peu frustrant pour moi, puisque je n'ai pas d'éléments suffisants à vous apporter au sujet de l'octroi de mer, sur lequel il y a beaucoup à dire indépendamment des notions de cherté de la vie en Outre-mer.

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